Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE,

SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,

DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER,

FEMMES-ACTION

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

BELL CANADA

l'intimée

REQUÊTE EN RADIATION

Décision no 7

2002-06-10

MEMBRES INSTRUCTEURS : J. Grant Sinclair, président

Pierre Deschamps, membre

[TRADUCTION]

[1] La nécessité de la présente décision découle du mémoire déposé par chaque partie à la demande du Tribunal. Le mémoire de chacune des parties énonce les faits pertinents de la cause, ainsi que l'essentiel de la preuve et des mesures de redressement demandées.

[2] Parmi les mesures de redressement demandées par la Commission et les plaignants, l'ACET, le SCEP et Femmes-Action, dans leur mémoire figure le paiement par Bell Canada d'une indemnité aux employés des groupes professionnels à prédominance féminine qui ont touché des salaires discriminatoires pendant la période de rétroactivité et qui occupent un nouvel emploi comportant des tâches identiques ou semblables dans des circonstances où le nouvel employeur est directement ou indirectement contrôlé ou partiellement contrôlé par Bell ou lié à Bell. La demande à l'égard de ce redressement figure à l'alinéa 8(c) du mémoire de la Commission; au paragraphe 6 du mémoire de l'ACET; à l'alinéa 8(a) du mémoire du SCEP, et Femmes-Action a souscrit à l'alinéa 8(c) du mémoire de la Commission (l'ensemble étant désigné le redressement 8(c)).

[3] L'ACET pousse sa demande un peu plus loin. Elle demande une indemnisation fondée sur les mêmes motifs sauf que celle-ci s'appliquerait à tout nouvel employeur et non pas seulement à un nouvel employeur contrôlé par Bell. L'ACET donne, à titre d'exemple, les employés de Bell qui ont exécuté les fonctions en matière de courrier, de reproduction, de planification de conférences ou de services audiovisuels qui relèvent des services administratifs. Xerox a assumé ces fonctions en 1995, et ces anciens employés de Bell travaillent maintenant pour Xerox et exécutent les mêmes fonctions.

[4] La période de rétroactivité, telle qu'elle est définie par la Commission, est la période entre le 11 février 1990 (une année avant l'annonce de l'étude conjointe) et la date d'intégration. La date d'intégration serait la date de la décision initiale du Tribunal. La décision initiale devrait décider si les politiques salariales de Bell contreviennent à l'article 11 de la Loi et, le cas échéant, déterminer la méthode de rajustement salarial devant être utilisée pour établir l'étendue de l'écart salarial et de la compensation résultante devant être payée par Bell, y compris l'indemnité destinée à combler l'écart salarial, la rémunération à tous égards, l'indemnité pour souffrances et douleur, l'indemnité spéciale, les intérêts et les frais.

[5] Dans son mémoire, la Commission a également demandé que le Tribunal reste saisi de l'affaire après le prononcé de sa décision initiale . Les parties devront s'entendre sur le montant de l'indemnité individuelle, et si les parties ne peuvent s'entendre à cet égard, le Tribunal traitera ensuite cette question en se prévalant de cette réserve de compétence. Toutes les parties ont souscrit à ces modalités.

[6] Quant au redressement 8(c), Bell a présenté une requête pour le faire radier du mémoire de la Commission et de celui des plaignants. La requête de Bell renferme un composite de 17 motifs. De façon générale, les motifs peuvent être groupés en fonction de ceux qui traitent du bien-fondé du redressement 8(c); les motifs qui traitent de l'opportunité du redressement 8(c) et de la capacité de Bell de présenter une défense pleine et entière; les motifs qui concernent la participation des nouveaux employeurs et ceux qui soulèvent la compétence du Tribunal à prononcer une ordonnance à l'encontre des nouveaux employeurs.

[7] Ne sachant pas avec certitude si la requête de Bell devrait être traitée maintenant ou plus tard en tenant compte de toute la preuve pertinente au redressement 8(c), le Tribunal a demandé aux parties de présenter des observations sur cette question.

[8] Les observations de Bell sont essentiellement les suivantes. Les règles de procédure du Tribunal permettent à Bell de présenter une telle requête, et le Tribunal doit entendre dès maintenant le bien-fondé de la requête. De plus, la requête porte uniquement sur la compétence en ce sens qu'elle allègue que le Tribunal n'a pas la compétence requise pour accorder le redressement 8(c) dans la mesure où celui-ci suppose une ordonnance contre les nouveaux employeurs qui pourraient ne pas être des employeurs fédéraux visés par la Loi. Bell ne devrait pas être tenue de présenter une preuve ou de contre-interroger des témoins au sujet d'une question au regard de laquelle le Tribunal n'est pas compétent.

[9] Nous ne sommes pas d'accord que le Tribunal doit se prononcer sur le bien-fondé de la requête de Bell dès maintenant. Même si la requête soulève uniquement une question de compétence et, à notre avis ce n'est pas le cas, le Tribunal conserve tout de même un pouvoir discrétionnaire de traiter la requête à titre de question préliminaire ou après que toute la preuve aura été présentée.

[10] Aucune des parties n'a cité de jurisprudence dans ses observations sur cette question. Mais, comme l'a mentionné la Cour d'appel fédérale dans Borghi c. Canada (la Commission de l'emploi et de l'immigration) (1), le présent Tribunal peut prendre en compte toute jurisprudence non citée par les avocats dans la mesure où elle ne soulève pas de nouveaux motifs.

[11] À cet égard, et quoique nous ne soyons pas liés, nous sommes d'avis que la décision de la Cour d'appel de Terre-Neuve dans Newfoundland (Human Rights Commission) c. Newfoundland (Department of Health) (2) est très pertinente lorsqu'il s'agit de décider si nous devrions examiner les questions soulevées dans la requête de Bell maintenant ou plus tard.

[12] Dans l'affaire de Terre-Neuve, une plainte déposée auprès de la Commission des droits de la personne de Terre-Neuve a été renvoyée à une commission d'enquête. Au moment de l'audience devant la commission d'enquête, les intimés ont soulevé une objection préliminaire selon laquelle cette commission n'était pas compétente pour traiter de la plainte parce qu'aucun des intimés n'était un employeur au sens du code des droits de la personne. Pensant qu'elle devait se prononcer sur la question de compétence à titre préliminaire, la commission d'enquête a rendu une décision préliminaire sur l'objection et a rejeté la plainte. La commission a porté cette décision en appel, et la Cour d'appel a finalement tranché la question.

[13] L'appel portait, entre autres, sur la question de savoir si la commission d'enquête avait un pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait au moment où elle devait se prononcer sur l'objection et, le cas échéant, si elle a exercé ce pouvoir convenablement.

[14] La Cour d'appel a décidé que la commission d'enquête n'était pas tenue d'entendre l'objection relative à la compétence à titre préliminaire et qu'elle pouvait décider qu'il était préférable de l'entendre à la conclusion de l'audience lorsque toute la preuve pertinente aurait été présentée.

[15] La Cour d'appel a conclu que la commission d'enquête n'avait pas exercé sa compétence convenablement. Pour aboutir à cette conclusion, la Cour a noté que ce pouvoir discrétionnaire aurait dû être exercé après la présentation d'un exposé conjoint des faits ou encore d'une déclaration assermentée ou d'un témoignage lorsque les faits sous-jacents sont de notoriété publique. Toutefois, la Cour d'appel a souligné que, lorsque les questions de fait et de droit sont complexes et interreliées, il est préférable d'attendre la fin de l'audience avant de trancher la question de compétence.

[16] À notre avis, les règles de procédure du Tribunal n'exigent pas que celui-ci se prononce sur la requête de Bell dès maintenant. Selon nous, il incombe au Tribunal, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de déterminer si une question de compétence devrait être traitée maintenant ou plus tard.

[17] Exerçant notre pouvoir discrétionnaire, nous avons décidé que les questions soulevées dans la requête de Bell devraient être traitées dans le cadre de l'audience lorsque le Tribunal abordera le redressement 8(c). Deux raisons justifient cette décision. Tout d'abord, la requête de Bell soulève des questions qui débordent la seule compétence. En deuxième lieu, en ce qui a trait à la question de compétence, aucun fait ne permet encore à Bell d'affirmer que le présent Tribunal n'a pas le pouvoir de prononcer une ordonnance contre de nouveaux employeurs. De fait, nous ne savons même pas s'il s'agit d'un enjeu attendu que, en ce qui a trait au redressement 8(c), la Commission et les plaignants demandent uniquement une ordonnance contre Bell.

[18] Comme la Cour d'appel de Terre-Neuve l'a souligné, [traduction] dans le contexte de la législation sur les droits de la personne, une relation d'emploi n'est pas restreinte aux rapports traditionnels de commettant à préposé, mais devrait être définie plus largement. Attendu que le code ne renferme aucune définition, dans tout cas particulier, il est préférable de rendre une décision à la lumière de l'objectif du code et d'un contexte factuel. Qu'elles soient rendues à titre préliminaire ou après une audition complète, les décisions concernant la compétence doivent être fondées sur des preuves claires. C'est particulièrement important dans les cas comme celui-ci où la commission d'enquête doit décider si une situation inhabituelle est visée par le code.

[19] À notre avis, ce commentaire est particulièrement approprié à la requête de Bell. Par conséquent, nous avons décidé de ne pas aborder maintenant les questions soulevées dans la requête. Il va de soi que cela ne porte pas atteinte au droit de Bell de contre-interroger tout témoin de la Commission et des plaignants, de présenter sa propre preuve et de débattre de ces questions après la présentation complète de la preuve sur le redressement 8(c).

[20] La Commission avait également quelque chose à dire au sujet du redressement 8(c). Dans sa lettre du 27 mai 2002 adressée à Bell, la Commission a fait valoir que la qualité d'ancien employé constitue une question distincte qui devrait être traitée séparément dans une phase distincte de l'audience après que le Tribunal aura rendu sa décision initiale. L'argument le plus concluant de la Commission porte sur le fait que la période de rétroactivité devrait être déterminée à ce moment-là. Si la période de rétroactivité est très restreinte, il se pourrait alors qu'aucun ancien employé n'ait droit à aucune des indemnités prévues au redressement 8(c). En outre, le Tribunal ne serait pas tenu de se prononcer sur ce redressement.

[21] Il existe certaines incohérences dans la position de la Commission. D'une part, la Commission plaide en faveur d'une très longue période de rétroactivité pour une fin, mais présuppose une période de rétroaction courte pour une autre fin. La Commission ne peut miser sur les deux tableaux.

[22] Selon un autre argument pertinent, la décision initiale (en supposant qu'il y a eu contravention à l'article 11 de la Loi) déterminerait l'indemnité payable à tous les employés au service de Bell occupant des postes à prédominance féminine qui ont touché des salaires discriminatoires. Quant au redressement 8(c), du point de vue de la preuve, il ne resterait plus qu'à décider si les anciens employés exécutaient des fonctions identiques ou semblables auprès du nouvel employeur, si le nouvel employeur est contrôlé par Bell ou lié à Bell ou a une relation commerciale avec Bell et si ces anciens employés ont touché des salaires discriminatoires après avoir quitté l'emploi de Bell au cours de la période de rétroactivité.

[23] Nous ne sommes pas convaincus que le redressement 8(c) constitue une question distincte qui devait être examinée séparément. À notre avis, il appartient à la même catégorie de redressement que le Tribunal doit traiter dans le cadre de sa décision initiale et qui comprend les indemnités destinées à combler l'écart salarial, la rémunération à tous égards, l'indemnité pour douleur et souffrances, l'indemnité spéciale, les intérêts et les frais.

[24] Par conséquent, nous concluons que la Commission et les plaignants doivent présenter l'ensemble de leur preuve concernant le redressement 8(c) pendant l'audience et avant que le Tribunal ne rende sa décision initiale.

Originale signée par

Grant Sinclair, président

Pierre Deschamps, membre

OTTAWA (Ontario)

10 juin 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER DU TRIBUNAL : T503/2098

INTITULÉ DE LA CAUSE : ACET et autres c. Bell Canada

LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (Ontario)

30 mai 2002

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : 10 juin 2002

ONT COMPARU :

Larry Steinberg Pour l'ACET

Peter Engelmann Pour le SCEP

Andrew Raven et Patrick O'Rourke Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Gary Rosen et Guy Dufort Pour Bell Canada

1. 1 [1996] A.C.F. no 353, paragraphe 17

2. 2 (1998) 164 NFLD & P.E.I.R. 251

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