Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

SYNTHIA KAVANAGH

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

l'intimé

- et -

ZENITH FOUNDATION

et

TRANS/ACTION

les parties intéressées

MOTIFS DE DÉCISION

D.T. 11/01 2001/08/31

MEMBRES INSTRUCTEURS : Anne Mactavish, présidente

Grant Sinclair, membre du tribunal

Sandra Goldstein, membre du tribunal

[TRADUCTION]

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. PARTIES INTÉRESSÉES

III. TROUBLE DE L'IDENTITÉ SEXUELLE

IV. TRAITEMENT DU TRANSSEXUALISME

V. POLITIQUES DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA CONCERNANT LE TRAITEMENT DES TRANSSEXUELS

VI. L'INVERSION SEXUELLE CHIRURGICALE ET LES DÉTENUS

A. Expérience pratique

B. Stabilité psychosociale

C. Aptitude de Synthia Kavanagh à subir l'inversion sexuelle chirurgicale

VII. PLACEMENT DES DÉTENUS TRANSSEXUELS AU STADE PRÉOPÉRATOIRE

A. Risque physique pour les autres détenus

B. Effet psychologique sur les autres détenus

C. Création d'un établissement spécialisé

D. Mesures d'accommodement prises par le SCC face aux besoins des transsexuels au stade préopératoire

VIII. PRINCIPES JURIDIQUES

IX. ANALYSE

A. Placement des transsexuels au stade préopératoire

i) Existe-t-il une preuve prima facie de discrimination?

ii) Le SCC s'est-il acquitté du fardeau de la preuve?

a) Lien rationnel

b) Bonne foi

c) Contrainte excessive

1. Placement dans des établissements destinés aux détenus du sexe cible

2. Autres solutions possibles

iii) Conclusions relatives au placement des détenus transsexuels au stade préopératoire

B. Accès à l'inversion sexuelle chirurgicale

i) Existe-t-il une preuve prima facie de discrimination?

ii) Le SCC s'est-il acquitté de son fardeau?

a) Lien rationnel

b) Bonne foi

c) Contrainte excessive

iii) Autres questions

C. Conclusion relative à la responsabilité

X. REDRESSEMENT

A. Placement

B. Inversion sexuelle chirurgicale

C. Maintien de la compétence du tribunal

X. ORDONNANCE

[1] Au Canada, le système correctionnel fédéral est constitué d'établissements pour hommes et d'établissements pour femmes. En l'espèce, le litige porte sur la politique du Service correctionnel du Canada concernant le placement des détenus transsexuels, ainsi que sur sa politique interdisant l'accès des détenus à l'inversion sexuelle chirurgicale.

I. INTRODUCTION

[2] Synthia Kavanagh avait une anatomie masculine à sa naissance. Cependant, dès sa première enfance, elle a compris qu'elle était différente, que quelque chose n'allait pas. On lui a finalement diagnostiqué un trouble de l'identité sexuelle; autrement dit, son sexe biologique ou anatomique ne correspondait pas à son identité sexuelle, c'est-à-dire à son sentiment subjectif qu'elle était une femme.

[3] Mme Kavanagh est actuellement une détenue qui relève du système correctionnel fédéral, par suite de sa condamnation pour meurtre au deuxième degré en 1989. Elle s'était d'abord vu imposer une peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pendant quinze ans. Ensuite, sa période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle a été réduite à dix ans à la faveur d'un appel.

[4] Au moment de son incarcération, Mme Kavanagh vivait comme une femme. Elle prenait des hormones femelles depuis l'âge de treize ans et avait été jugée apte à subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Au moment du prononcé de la sentence, le juge qui présidait a recommandé qu'on lui permette de purger sa peine dans un établissement pour femmes.

[5] En dépit de la recommandation du juge de première instance, Mme Kavanagh a été incarcérée au pénitencier de Millhaven, établissement pour hommes à sécurité maximale situé à Kingston, en Ontario. Durant les onze années qui ont suivi, Mme Kavanagh, en dépit de ses demandes répétées bien que parfois discordantes de placement dans un établissement pour femmes, a été écrouée dans divers établissements pour hommes à sécurité maximale ou moyenne en Ontario et en Colombie-Britannique.

[6] L'incarcération de Mme Kavanagh a eu des répercussions sur le traitement de son trouble de l'identité sexuelle. On lui a d'abord interdit de continuer de prendre des hormones, ce qui lui a fait perdre un grand nombre de ses caractéristiques sexuelles secondaires féminines et lui a causé une grande souffrance. En 1993, on a permis qu'elle ait à nouveau accès à l'hormonothérapie; cependant, en dépit de ses demandes répétées, Mme Kavanagh n'a pas été autorisée à subir l'inversion sexuelle chirurgicale.

[7] À la suite de ces événements, Mme Kavanagh a déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne des plaintes au sujet de la non-administration d'hormones, du refus d'autoriser l'inversion sexuelle chirurgicale et de son placement dans un établissement pour hommes. Elle a allégué dans chaque plainte être victime d'une discrimination fondée sur le sexe et la déficience.

[8] Les plaintes portées par Mme Kavanagh à titre personnel contre le SCC ont été réglées. Par suite du règlement, Mme Kavanagh a subi l'inversion sexuelle chirurgicale. Elle est actuellement incarcérée à l'établissement de Joliette pour femmes, pénitencier à sécurité moyenne.

[9] À l'heure actuelle, la politique sur les services de santé du SCC permet d'administrer des hormones à des transsexuels, sur la recommandation d'une clinique reconnue de traitement du trouble de l'identité sexuelle. L'accès à l'hormonothérapie n'est pas en l'espèce une question litigieuse sur laquelle le tribunal doit se prononcer. Le litige qui subsiste a trait à la politique du SCC concernant le placement des détenus transsexuels au stade préopératoire, ainsi qu'à politique restreignant l'accès des détenus à l'inversion sexuelle chirurgicale.

II. PARTIES INTÉRESSÉES

[10] Deux organismes qui viennent en aide à la communauté transsexuelle ont demandé et obtenu le statut de partie intéressée en l'espèce. Trans/Action a reçu l'avis d'audience mais n'a pas pris part à l'audience sur le fond. La Fondation Zenith y a pris part et a fourni un point de vue utile sur les questions difficiles que soulève cette instance.

III. TROUBLE DE L'IDENTITÉ SEXUELLE

[11] Ont témoigné au sujet du trouble de l'identité sexuelle et du traitement approprié le Dr Diane Watson, au nom de la Commission canadienne des droits de la personne, ainsi que le Dr Robert Dickey, le Dr Stephen Hucker et Maxine Petersen, au nom du SCC. Les Drs Watson, Dickey et Hucker sont tous des psychiatres spécialisés en identité sexuelle et dans les domaines connexes, tandis que Mme Petersen est une psychologue spécialisée dans les mêmes domaines. Les Drs Dickey et Hucker sont également spécialisés en psychiatrie médico-légale.

[12] Selon les experts, on entend par identité sexuelle le sentiment subjectif de virilité ou de féminité d'un individu. Le Dr Watson a qualifié cette réalité de sexe cérébral, par opposition au sexe anatomique ou chromosomique.

[13] Le terme trouble de l'identité sexuelle englobe divers états relatifs à l'identité sexuelle. Certains individus peuvent sentir la nécessité de manifester certaines caractéristiques du sexe opposé par des comportements comme le travestisme, sans jamais éprouver le besoin de changer vraiment de sexe. D'autres présentent la forme extrême de la maladie : leurs caractéristiques sexuelles internes et externes sont normales, mais ils sont convaincus d'appartenir à l'autre sexe (1). Le Dr Watson a expliqué que ces personnes souffrent d'un très grave trouble de l'identité sexuelle. Ce terme qu'elle utilise ne semble pas être couramment utilisé au sein de la communauté médicale. Le trouble de l'identité sexuelle est un syndrome médical reconnu comme tel dans la quatrième édition du Diagnostic and Statistical Manual.

[14] Le Dr Watson a déjà diagnostiqué à Synthia Kavanagh un très grave trouble de l'identité sexuelle. Le Dr Hucker s'est dit d'accord avec le diagnostic, sans toutefois qualifier l'état de Mme Kavanagh de très grave, comme l'a fait le Dr Watson.

[15] On parle de dysphorie de genre pour décrire la souffrance des transsexuels qui sont mécontents de leur sexe biologique. Divers témoins ont décrit l'énorme supplice (y compris l'ostracisme social) auquel sont en proie les individus qui estiment que leur corps ne correspond pas à leur sentiment subjectif d'identité.

[16] La majorité des spécialistes estime que le transsexualisme est attribuable à une cause biologique. Selon des études récentes, un homme sur 11 900 et une femme sur 30 400 seraient transsexuels; toutefois, l'incidence du transsexualisme est peut-être un peu plus forte au sein de la population carcérale.

[17] L'identité sexuelle et l'orientation sexuelle sont deux choses très distinctes. La perception subjective de sa propre virilité ou féminité n'a rien à voir avec la préférence sexuelle de l'individu. Un transsexuel peut donc être homosexuel ou hétérosexuel. La préférence sexuelle ne change pas. Par conséquent, un transsexuel biologiquement mâle qui est attiré par les hommes continuera de ressentir un attrait pour les hommes après la réassignation sexuelle chirurgicale.

[18] Les transsexuels hétérosexuels masculins ont tendance à avoir une apparence masculine et n'ont pas ordinairement d'antécédents de féminisation hâtive (2). Ces personnes sont attirées par l'anatomie de la femme, particulièrement lorsque celle-ci vient en contact avec leur corps. Les transsexuels hétérosexuels ou autogynéphiles sont attirés par les femmes et deviennent des lesbiennes après l'inversion sexuelle chirurgicale. Par contre, les transsexuels homosexuels masculins ont tendance à être plus efféminés que les transsexuels hétérosexuels et présentent plus hâtivement les caractéristiques fémin ines et les symptômes du trouble de l'identité sexuelle. Les transsexuels homosexuels masculins continuent d'être androphiles ou, si l'on préfère, d'être attirés par les hommes après l'inversion sexuelle chirurgicale.

IV. TRAITEMENT DU TRANSSEXUALISME

[19] Les experts sont sur la même longueur d'onde : une évaluation minutieuse est nécessaire pour reconnaître le transsexualisme étant donné les nombreux autres états qui peuvent contribuer à la confusion en ce qui touche l'identité sexuelle et le travestisme.

[20] Une fois qu'un diagnostic de transsexualisme a été posé, on peut envisager plusieurs types de traitements. La psychothérapie peut aider le transsexuel à se fixer des buts réalistes dans la vie et à reconnaître et atténuer les conflits susceptibles d'avoir miné son mode de vie. En outre, il peut s'avérer nécessaire de recourir à la psychothérapie et à la désintoxication pour traiter des états mentaux concomitants tels que la dépression.

[21] L'hormonothérapie joue également un rôle important dans le processus de conversion sexuelle. Grâce à l'administration contrôlée d'hormones du sexe opposé, le sujet peut commencer à acquérir certaines caractéristiques sexuelles secondaires du sexe souhaité. Ainsi, les mâles biologiques qui reçoivent des œstrogènes verront leur pilosité s'estomper, leurs seins grossir et leur matière grasse se redistribuer. Les femmes biologiques qui prennent des hormones mâles verront leur voix devenir plus grave, leur pilosité du visage augmenter et leurs seins s'atrophier, entre autres choses.

[22] Dans la mesure où elle est bien prescrite, l'hormonothérapie peut améliorer la qualité de vie des transsexuels en accentuant leur sentiment d'appartenance au sexe préféré ou cible.

[23] L'inversion sexuelle chirurgicale (aussi appelée réassignation sexuelle chirurgicale) est un traitement reconnu qui convient à des sujets minutieusement sélectionnés. Tous les experts qui ont témoigné à l'audience ont reconnu l'importance de bien choisir les sujets, eu égard au caractère envahissant et irréversible de l'intervention. À cette fin, on s'est efforcé d'élaborer un protocole international normalisé de traitement des transsexuels. Un organisme international spécialisé, la Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association, a pour mission d'éduquer le public à propos du trouble de l'identité sexuelle et des méthodes de traitement. Cet organisme a élaboré des normes de traitement généralement reconnues qui énoncent les conditions minimales d'admissibilité à l'inversion sexuelle chirurgicale.

[24] Conformément à la norme Harry Benjamin, il faut, pour être admissible à l'inversion sexuelle chirurgicale, avoir l'âge de la majorité, avoir habituellement pris des hormones pendant douze mois de suite et avoir fait de façon concluante pendant douze mois l'expérience de l'appartenance au sexe cible. Afin de déterminer si l'expérience pratique du sujet est suffisante pour satisfaire aux critères énoncés dans la norme Harry Benjamin, il faut tenir compte de sa capacité de conserver un emploi à temps plein ou partiel, de fonctionner comme étudiant ou de travailler comme bénévole, ou d'une combinaison de certains de ces éléments.

[25] Selon la norme Harry Benjamin, l'expérience pratique [Traduction] … permet de vérifier le degré de détermination du sujet, sa capacité de fonctionner en tant que membre du sexe préféré et le caractère adéquat du soutien social, économique et psychologique dont il bénéficie. Elle aide tant le patient que le professionnel de la santé mentale à décider de la façon de procéder.

[26] Selon la norme Harry Benjamin, l'inversion sexuelle chirurgicale n'est pas un droit qu'on accorde sur demande. On ne devrait pas permettre qu'un sujet qui ne répond aux conditions minimales d'admissibilité et qui n'a pas eu une expérience pratique concluante subisse l'intervention. Cependant, il est précisé dans la norme qu'on peut déroger à celle-ci [Traduction] si la situation anatomique, sociale ou psychologique particulière du sujet ou un protocole de recherche justifie une dérogation, ou si un spécialiste expérimenté a modifié son angle d'approche à l'égard d'une situation courante.

[27] Si le sujet répond aux conditions d'admissibilité, il faut qu'il obtienne deux lettres de recommandation de professionnels de la santé mentale avant que l'intervention puisse avoir lieu.

[28] Dans le cas des sujets masculins, l'inversion sexuelle chirurgicale consiste en l'ablation du pénis et des testicules et en la fabrication d'un vagin, d'un clitoris et de lèvres. Il peut aussi y avoir d'autres interventions (p. ex., l'implantation de seins). Ces interventions sont irréversibles.

V. POLITIQUES DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA CONCERNANT LE TRAITEMENT DES TRANSSEXUELS

[29] Au cours de son témoignage, Jane Laishes a fait l'historique des politiques du SCC concernant le traitement des détenus transsexuels. Mme Laishes est gestionnaire principale de projet, Programmes de santé mentale, au SCC; elle dirige un groupe de psychologues et de travailleurs sociaux. Elle est chargée d'élaborer des politiques et de prodiguer des conseils au sujet des cas complexes de santé mentale. Durant sa carrière au SCC, Mme Laishes a contribué à l'élaboration de la politique du SCC qui s'applique aux détenus transsexuels.

[30] Selon Mme Laishes, c'est en 1980 que le SCC s'est penché pour la première fois sur le traitement des détenus transsexuels. Il a alors commandé au Dr F.C.R. Chalke un rapport destiné à l'aider à élaborer une politique sur les aspects médicaux de la réassignation sexuelle chirurgicale en milieu carcéral. Le Dr Chalke a recommandé que les détenus ne soient soumis à aucune forme de traitement durant leur incarcération et qu'on examine la situation cas par cas pour ce qui est de ceux qui avaient commencé à prendre des hormones avant leur emprisonnement. Selon le Dr Chalke, l'inversion sexuelle chirurgicale ne devrait être envisagée que lorsque la peine du détenu tire à sa fin.

[31] En 1982, le SCC a publié sa première politique sur le sujet. Celle-ci prévoyait que chaque cas devait être examiné individuellement. Conformément à la recommandation du Dr Chalke, la politique stipulait qu'on ne devrait pas amorcer un traitement durant l'incarcération du détenu. On pouvait administrer des hormones à un détenu qui en prenait déjà au moment de son admission au pénitencier, dans la mesure où l'intéressé subirait vraisemblablement l'inversion sexuelle chirurgicale après sa remise en liberté. La politique ne prévoyait aucunement que l'intervention puisse avoir lieu durant la période d'incarcération.

[32] En 1982, un nouveau rapport a été produit pour le compte du SCC -- par le Dr Betty Steiner et le Dr Hucker, entre autres. Ce rapport recommandait un gel de l'état de féminisation ou de masculinisation du détenu au moment de son incarcération. Le placement des détenus dans des établissements pour hommes ou pour femmes dépendait de leur structure anatomique. Les détenus pouvaient prendre des hormones mais ne pouvaient subir l'inversion sexuelle chirurgicale durant leur incarcération.

[33] La politique du SCC a été révisée à nouveau en 1987. La politique de 1987 permettait l'administration d'hormones pendant une période d'au plus neuf mois, mais elle ne faisait aucunement mention de l'inversion sexuelle chirurgicale.

[34] En 1992, le SCC a demandé l'avis du Dr Yvon Lapierre au sujet de sa politique. Le Dr Lapierre a recommandé que les détenus transsexuels ne reçoivent aucun traitement durant leur incarcération en raison de la [Traduction] surcharge de travail qui en découlerait, compte tenu des effets secondaires de la thérapie. Le Dr Lapierre était d'avis qu'il en résulterait des difficultés sur le plan de la gestion de ces détenus à cause des effets du traitement sur leur comportement. Il n'a pas fourni de plus amples explications. Le SCC a également consulté à l'époque d'autres experts, dont les Drs Watson et Hucker. En 1993, la politique du SCC a été révisée afin de permettre l'hormonothérapie pendant toute la durée de l'incarcération. La chirurgie sexuelle reconstructive était permise, mais il n'était pas fait mention de l'inversion sexuelle chirurgicale. En 1995, on a révisé la politique afin de permettre l'inversion sexuelle chirurgicale, moyennant l'approbation du sous-commissaire régional et du commissaire du SCC.

[35] La publication de la politique actuelle du SCC (désignée sous le nom de Directive 800 du Commissaire) remonte à 1997. C'est sur cette politique, et plus particulièrement sur les articles 30 et 31, que porte la présente instance. Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

Objectif de la politique

1. S'assurer que les détenus ont accès aux services médicaux, dentaires et de santé essentiels, conformément aux pratiques généralement admises dans la collectivité.

Services de santé essentiels

2. Les détenus ont accès à des services d'évaluation, d'aiguillage et de traitement. Les services essentiels comprennent :

a) les soins d'extrême urgence (le retard du service mettra en danger la vie du détenu);

b) les soins d'urgence (l'état du détenu se détériorera probablement au point d'exiger des soins d'extrême urgence ou le détenu pourra perdre la capacité d'exercer ses activités quotidiennes);

c) les soins de santé mentale donnés en réponse aux troubles de la pensée, de l'humeur, de la perception, de l'orientation ou de la mémoire qui altèrent considérablement le jugement, le comportement, le sens de la réalité ou l'aptitude à faire face aux exigences normales de la vie. Cette définition vise les services actifs et prolongés de soins de santé mentale…

3. Les détenus auront un accès raisonnable aux autres services de santé (c'est-à-dire pour les problèmes non susmentionnés), qui peuvent être assurés selon les normes s'appliquant dans la collectivité. La prestation de ces services dépend de questions comme la période pendant laquelle le détenu restera dans l'établissement avant sa mise en liberté et les exigences opérationnelles.

Services non essentiels demandés par des détenus

26. Lorsque le détenu demande des services qui ne sont pas jugés essentiels par le médecin de l'établissement, il doit en assumer tous les frais, y compris les frais de consultation et, à la discrétion du directeur, les coûts connexes associés aux fonctions d'escorte. Les services de santé sont responsables de la coordination des dispositions relatives à tous les services demandés par des détenus.

Changement de sexe

29. Si, avant son incarcération, un détenu recevait des hormones prescrites par une clinique reconnue offrant un programme d'identité sexuelle, on peut continuer de lui administrer des hormones à condition :

a) que le détenu soit dirigé vers une clinique reconnue d'évaluation de l'identité sexuelle pour y subir un nouvel examen;

b) que la clinique d'évaluation de l'identité sexuelle recommande de poursuivre l'hormonothérapie.

30. À moins d'avoir subi une opération chirurgicale pour changer de sexe, les détenus de sexe masculin doivent être gardés dans des établissements réservés aux hommes (3).

31. Ce type de chirurgie reconstructive ne sera pas envisagé pendant la peine du détenu.

[36] Selon Mme Laishes, les traitements médicaux classés comme services essentiels sont administrés aux détenus aux frais du SCC. Il en est ainsi à l'échelle nationale, que le service particulier en question figure ou non dans la liste des services visés par le régime de soins de santé de la province où le détenu est incarcéré. Les frais liés aux services non essentiels sont à la charge du détenu. Selon Mme Laishes, la décision quant à ce qui constitue un service essentiel est d'ordre médical et est prise par le médecin de l'établissement. Il incombe également au médecin de l'établissement de diriger, au besoin, le détenu vers des spécialistes externes en vue de l'évaluation de son cas. De façon générale, le médecin de l'établissement oriente le détenu vers le spécialiste le plus disponible. Mme Laishes a indiqué que, dans le cas des détenus qui demandent de subir l'inversion sexuelle chirurgicale, les frais d'évaluation sont assumés par le SCC.

[37] La pratique actuelle du SCC en ce qui concerne l'accès à l'hormonothérapie diffère quelque peu de celle prévue par l'article 29 de la politique. Selon Mme Laishes, le SCC permet que les transsexuels prennent des hormones, dans la mesure où le traitement est recommandé par une clinique reconnue de traitement du trouble de l'identité sexuelle. La prise d'hormones au moment de l'incarcération n'est pas un élément sur lequel le SCC insiste. Mme Laishes a affirmé que, même s'il considère l'hormonothérapie comme un service facultatif, le SCC en assume les frais.

[38] Le Dr Dickey, le Dr Hucker et Mme Petersen s'accordent tous à dire que l'inversion sexuelle chirurgicale est une intervention facultative et ne constitue pas un service essentiel au sens de la politique du SCC. Le Dr Watson n'a pas abordé directement cette question dans son témoignage. Toutefois, elle a fait ressortir le fait que les personnes dont le transsexualisme n'est pas traité vivent l'enfer. La norme Harry Benjamin traite également du caractère facultatif ou essentiel de l'inversion sexuelle chirurgicale. Elle précise que [Traduction] la réassignation sexuelle chirurgicale n'est pas expérimentale, facultative, esthétique, ou optionnelle d'une quelconque façon concrète. Il s'agit d'un traitement très efficace et approprié dans les cas de transsexualisme ou de trouble profond de l'identité sexuelle. (Le caractère gras ne figure pas dans l'original.)

[39] Mme Laishes a expliqué les raisons de l'élimination dans la politique de 1997 de la possibilité de subir une inversion sexuelle chirurgicale. Elle a affirmé qu'elle avait examiné la pratique dans un certain nombre d'autres États, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, et déterminé que l'on permet l'intervention uniquement si le tribunal a rendu une ordonnance à cet effet ou si les frais sont assumés par le détenu. L'élimination de la possibilité de subir l'inversion sexuelle chirurgicale a permis d'aligner davantage la politique du SCC sur celle qui a cours dans d'autres États, au dire de Mme Laishes.

[40] Une autre raison a motivé l'élimination de la possibilité de subir l'inversion chirurgicale : on voulait empêcher les détenus de fonder des espoirs sur ce qui était, en réalité, une impossibilité dans la pratique. Mme Laishes a expliqué qu'il existe au Canada un seul endroit où l'on fait ce genre d'intervention la clinique Ménard à Montréal , ce qui crée des problèmes logistiques. De plus, on doutait vraiment de la possibilité que le détenu puisse obtenir les autorisations nécessaires pour subir l'intervention, compte tenu des profondes divergences d'opinions qui existent au sein de la communauté médicale quant à la meilleure façon de gérer les détenus transsexuels. Le cas de Mme Kavanagh a récemment fait ressortir ces divergences d'opinions.

[41] De l'avis de Mme Laishes, le fait d'offrir aux détenus la possibilité de subir aux frais du SCC l'inversion sexuelle chirurgicale alors que l'État n'assume pas toujours les frais d'une telle intervention, aurait pu inciter certaines personnes à commettre des crimes (4). Au dire de Mme Laishes, le SCC offre aux détenus un meilleur niveau de soins dentaires que celui dont bénéficient les membres de la collectivité et, selon des rapports non scientifiques, certains individus ont perpétré des crimes afin d'avoir accès aux soins dentaires. Cette préoccupation n'a cependant pas amené le SCC à modifier sa politique en ce qui touche la prestation des soins dentaires.

[42] Le Dr Diane Watson est professeure clinicienne de psychiatrie à l'Université de la Colombie-Britannique et psychiatre-conseil auprès du Centre for Sexuality, Gender Identity and Reproductive Health à l'Hôpital de Vancouver. Elle a été directrice et cofondatrice de la Gender Dysphoria Clinic de ce même hôpital. Selon Mme Laishes, le Dr Watson et son équipe de la Gender Dysphoria Clinic ont approuvé en janvier 1997 l'inversion sexuelle chirurgicale dans le cas de Synthia Kavanagh. Mme Laishes a ensuite consulté le Dr Dickey, qui était chef de la Gender Identity Clinic au Centre for Addiction and Mental Health (Division Clarke) à Toronto. Le Dr Dickey connaissait Mme Kavanagh qu'il avait vue une fois une dizaine d'années auparavant. Il était fermement convaincu qu'elle n'était pas apte à subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Désireuse de résoudre la question, Mme Laishes s'est ensuite adressée au Dr Hucker afin d'obtenir une troisième opinion. Le Dr Hucker est professeur de psychiatrie et chef des études à la division de psychiatrie médico-légale du département de psychiatrie et de neurosciences à l'Université McMaster, ainsi que directeur médical du programme médico-légal de l'hôpital St. Joseph's Health Care et du Centre for Mountain Health Services. Il agit également comme expert-conseil auprès de la Gender Identity Clinic et de la Sexual Behaviours Clinic au Centre for Addiction and Mental Health (Division Clarke). Le Dr Hucker a examiné Mme Kavanagh à l'établissement Mission et conclu qu'elle n'était pas apte à subir l'intervention.

[43] Selon Mme Laishes, le SCC se trouvait de ce fait dans une situation très difficile. Mme Laishes était très inquiète face à la perspective de l'administration d'un traitement qui altère profondément le mode de vie et est irréversible, compte tenu des avis d'experts médicaux voulant qu'un tel traitement ne soit pas approprié. Mme Laishes s'inquiétait non seulement des résultats possibles de l'intervention que subirait Mme Kavanagh, mais aussi des conséquences possibles en termes de responsabilité pour le SCC.

[44] Compte tenu de ces préoccupations, le SCC a pris la décision de réviser sa politique afin d'éliminer la référence à l'inversion sexuelle chirurgicale et d'ajouter l'interdiction expresse énoncée à l'article 31 de la nouvelle politique (1997). Cependant, Mme Laishes a indiqué dans son témoignage que l'intention du groupe de travail chargé de réviser la politique était de prévoir la possibilité que l'inversion sexuelle chirurgicale puisse être autorisée dans des cas exceptionnels, où cette intervention serait qualifiée de service essentiel. Le groupe comprenait en effet qu'il puisse y avoir des situations où l'intéressé est apte à subir l'intervention, opinion qui, de toute évidence, était fondée sur l'avis du Dr Dickey. On a ultérieurement informé le groupe de travail que la politique, telle que libellée, ne reflétait pas l'intention des auteurs et que l'interdiction prévue expressément au paragraphe 31 en ce qui concerne l'inversion sexuelle chirurgicale éliminait la possibilité qu'un détenu puisse subir l'intervention, quelles que soient les circonstances.

[45] On a également songé à ce que le SCC confie à l'Institut Clarke la responsabilité d'évaluer le cas de chaque transsexuel désireux de suivre un traitement aux hormones ou de subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Mme Laishes a expliqué que l'attitude prudente du Dr Dickey et de l'Institut Clarke à l'égard de ces questions était bien connue, et que l'orientation de tous les détenus transsexuels vers l'Institut Clarke serait compatible avec l'approche du SCC. Par ailleurs, on aurait ainsi limiter le nombre de cas où l'intervention serait autorisée, de même que les problèmes opérationnels, logistiques et de responsabilité connexes. Toutefois, cette suggestion n'a jamais été retenue.

[46] Mme Kavanagh a subi l'inversion sexuelle chirurgicale en 2000; elle a assumé elle-même le coût de l'intervention. Mme Laishes a affirmé que, même si la politique du SCC interdisait de pratiquer ce type d'intervention durant l'incarcération d'un détenu, le SCC avait fait une exception dans le cas de Mme Kavanagh parce qu'il était en voie de réviser sa politique à la suite du règlement intervenu avec elle. Finalement, la politique n'a fait l'objet d'aucune modification en raison de l'avis fourni par un éthicien médical et du désaccord quant à l'étendue du devoir de garde du SCC envers les détenus. Les divergences d'opinions au sein de la communauté médicale quant à l'opportunité d'offrir aux détenus la possibilité de subir l'inversion sexuelle chirurgicale, ainsi que la difficulté de trouver des médecins compétents pouvant fournir deux opinions convergentes, compte tenu du nombre très limité de médecins spécialisés dans ce domaine, ajoutaient à la complexité du problème (5).

[47] Dans son témoignage, Mme Laishes a indiqué qu'on reconnaît au sein du SCC la nécessité de réviser la politique afin qu'elle corresponde aux normes de pratique, pour reprendre le terme qu'elle a utilisé. Malgré cela, la politique n'a fait l'objet d'aucune modification en ce qui concerne l'inversion sexuelle chirurgicale depuis la révision de 1997.

VI. L'INVERSION SEXUELLE CHIRURGICALE ET LES DÉTENUS

[48] Chacun des témoins experts s'est vu poser de nombreuses questions quant à l'aptitude des détenus à subir l'inversion sexuelle chirurgicale et, le cas échéant, aux circonstances dans lesquelles une telle intervention pourrait être pratiquée. Le Dr Watson, qui manifeste une attitude libérale à l'égard de la question, et le Dr Dickey, le Dr Hucker et Mme Petersen, qui affichent une attitude prudente, semblent être en désaccord principalement sur deux points. Le désaccord a trait d'une part à la possibilité de satisfaire en milieu carcéral au critère de l'expérience pratique, et, d'autre part, à la nécessité que le sujet soit stable du point de vue psychosocial.

A. Expérience pratique

[49] De l'avis du Dr Watson, le milieu carcéral n'est généralement pas propice à la prise de décisions irréversibles par un transsexuel. C'est pourquoi l'exigence de l'expérience pratique au sein de la société n'est pas déraisonnable dans la plupart des cas. Toutefois, le refus de permettre l'inversion sexuelle chirurgicale dans le cas des détenus qui purgent une longue peine a des conséquences plus graves. De l'avis du Dr Watson, il est possible que ces détenus puissent acquérir en milieu carcéral l'expérience pratique nécessaire pour être jugés aptes à subir l'intervention.

[50] Selon le Dr Watson, la règle énoncée dans la norme Harry Benjamin relativement à l'expérience pratique n'est pas rigide; il s'agirait plutôt d'une ligne directrice. Chaque cas doit être évalué selon son bien-fondé. Aux yeux du Dr Watson, le facteur déterminant est la gravité de la problématique de l'identité sexuelle, par opposition à ce qu'elle a appelé la [Traduction] problématique du mode de vie. Somme toute, c'est le patient -- et non les professionnels de la santé -- qui est le plus en mesure de déterminer si l'inversion sexuelle chirurgicale est nécessaire. Le Dr Watson a affirmé qu'il [Traduction] est non seulement présomptueux mais aussi impossible de croire que quelqu'un d'autre que l'intéressé puisse déterminer si l'intervention est nécessaire dans son cas. Selon elle, c'est en fin de compte une [Traduction] question de choix personnel : personne ne serait prêt à faire face à tous les obstacles rencontrés et à s'imposer tous les sacrifices nécessaires [famille, amis, etc.] si l'inversion sexuelle chirurgicale ne répondait pas à un véritable besoin.

[51] De l'avis du Dr Watson, le milieu carcéral peut, à certains égards, permettre une expérience pratique encore meilleure que celle qu'on peut acquérir dans la collectivité. Comme les détenus font l'objet d'une observation étroite, il est plus facile d'évaluer les manifestations de leur identité sexuelle masculine ou féminine en termes de constance et de spontanéité. L'acceptation par les autres détenus constitue, à maints égards, le [Traduction] test le plus difficile, au dire du Dr Watson.

[52] Le Dr Watson reconnaît que l'expérience des transsexuels MF qui tenteraient d'agir en femme dans un pénitencier pour hommes différerait de celle qu'ils vivraient dans la collectivité puisque le milieu carcéral est tellement différent. C'est pourquoi elle ne recommande pas que les détenus purgeant une brève peine tentent de subir l'inversion sexuelle chirurgicale durant leur incarcération.

[53] La plupart des transsexuels masculins que le Dr Watson a connus établissent des rapports avec d'autres hommes durant leur détention dans des établissements pour hommes. Les partenaires des transsexuels masculins sont souvent des détenus hétérosexuels (6). Le Dr Watson n'était pas prête à admettre que l'absence de femmes biologiques dans les prisons pour hommes rend les transsexuels plus attrayants en tant que partenaires sexuels possibles des détenus hétérosexuels; toutefois, elle a reconnu que les détenus transsexuels ont une [Traduction] chasse gardée et n'ont pas à rivaliser avec d'autres femmes.

[54] De l'avis du Dr Watson, les transsexuels MF au stade préopératoire qui en sont à une étape avancée du processus de réassignation hormono-chirurgical devraient être incarcérés dans des pénitenciers pour femmes et acquérir leur expérience pratique dans de tels établissements (7).

[55] Le Dr Dickey, le Dr Hucker et Mme Petersen sont tous d'avis que le milieu artificiel qu'est la prison ne permet pas d'acquérir une véritable expérience pratique et biaiserait l'évaluation de l'aptitude du sujet à subir l'inversion sexuelle chirurgicale.

[56] Le Dr Dickey a rappelé l'un des principes fondamentaux en médecine :

[Traduction]

D'abord, ne pas nuire. Bien que, selon le Dr Dickey, l'on ait démontré que l'inversion sexuelle chirurgicale a été bénéfique à certains sujets soigneusement sélectionnés, les indicateurs d'aptitude ne sont pas particulièrement évidents. Lorsqu'un avantage possible ne peut être démontré dans un cas donné, le médecin doit déterminer si le traitement proposé nuira en fait au patient. En l'occurrence, le traitement envisagé (l'inversion sexuelle chirurgicale) est extrêmement envahissant et irréversible et comporte une foule de conséquences psychologiques et sociales pour le patient.

[57] Selon le Dr Dickey, les détenus ne sont pas de bons sujets du fait qu'ils ne peuvent répondre de façon satisfaisante au critère de l'expérience pratique dans le milieu artificiel que constitue la prison. Le Dr Dickey a indiqué dans son témoignage que les détenus transsexuels au stade préopératoire jouissent d'un niveau d'acceptation dont ils ne bénéficieraient pas dans la collectivité, en raison de l'existence en milieu carcéral du phénomène de l'homosexualité facultative. Autrement dit, le transsexuel MF au stade préopératoire qui se comporte en femme dans une prison pour hommes peut jouir d'un prestige ou d'un niveau d'acceptation dont il ne pourrait pas bénéficier dans la collectivité. Ce renforcement positif peut donner au détenu une image biaisée de sa capacité de vivre comme membre du sexe opposé. Par ailleurs, les possibilités d'interaction avec des femmes seraient limitées, et le détenu pourrait difficilement évaluer sa capacité d'adaptation. Les caractéristiques du milieu carcéral font qu'il est très difficile de bien évaluer l'acuité de la dysphorie de genre.

[58] Le Dr Dickey a illustré ces préoccupations en s'appuyant sur des cas cliniques isolés. Il s'agissait de détenus transsexuels qu'il avait traités et qui avaient réintégré la collectivité. Il a notamment cité le cas d'un transsexuel masculin qui se comportait comme une femme durant son incarcération et qui avait exprimé son ardent désir de subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Après sa remise en liberté, l'intéressé n'était plus sûr de vouloir poursuivre l'aventure jusqu'au bout. Il a également cité le cas d'un détenu très efféminé qui s'était comporté en femme pendant son séjour en prison et qui voulait subir l'intervention. Selon le Dr Dickey, moins d'une semaine après sa remise en liberté, cette personne avait repris son rôle d'homme.

[59] Cela étant dit, le Dr Dickey a affirmé dans son témoignage qu'il pourrait y avoir des cas où un détenu pourrait être un bon sujet. Il a dit qu'il n'hésiterait aucunement à recommander l'inversion sexuelle chirurgicale pour un individu qui a généralement un comportement prosocial, qui a commis un seul crime (p. ex., un crime passionnel), qui ne risque guère de récidiver et qui a eu avant son incarcération une certaine expérience pratique de l'appartenance à l'autre sexe. C'est pourquoi il est souhaitable à son avis que la politique du SCC soit souple jusqu'à un certain point.

[60] Le témoignage du Dr Hucker a rejoint dans une large mesure celui du Dr Dickey. Selon le Dr Hucker, les cliniques les plus réputées exigent que les sujets aptes à subir l'intervention vivent pendant un à deux ans dans la collectivité en tant que membres du sexe cible. Le Dr Hucker a dit qu'il pouvait se montrer un peu plus souple du fait qu'il ne dirige pas de clinique et s'occupe plutôt de cas individuels. Il a néanmoins insisté sur l'importance que le sujet vive au moins un an dans la collectivité en tant que membre du sexe cible, afin qu'on puisse déterminer s'il peut composer avec les réactions négatives qu'il provoquera immanquablement. Les personnes avec lesquelles le sujet est en contact risquent d'être horrifiées par ce qu'il tente de faire. À cause de ces réactions, il risque de perdre son emploi et de se brouiller avec sa famille et ses amis.

[61] Le Dr Hucker a souscrit à l'opinion du Dr Dickey voulant que le milieu carcéral ne se prête pas à l'acquisition d'une expérience pratique. À l'appui de cette opinion, il a cité plusieurs des raisons invoquées par le Dr Dickey. Le Dr Hucker a également fait état du profond besoin des transsexuels MF d'interagir avec d'autres femmes -- d'[Traduction] être membre de la sororité -- tout en faisant remarquer qu'il y a peu d'occasions d'avoir ce type de rapports dans un établissement pour hommes.

[62] Malgré ces réserves, le Dr Hucker pense, à l'instar du Dr Dickey, qu'il pourrait y avoir des cas où un détenu pourrait être un sujet apte à subir l'inversion sexuelle chirurgicale, même s'il s'agit selon lui de situations [Traduction] très hypothétiques qu'il n'a pas rencontrées.

[63] Mme Petersen (qui s'est identifiée comme l'une des rares expertes dans le domaine qui soit elle-même transsexuelle) a dans une large mesure abondé dans le même sens que le Dr Dickey et le Dr Hucker. Mme Petersen a mis l'accent sur la rigidité du cadre carcéral, faisant observer que l'interaction du détenu avec ses compagnons de détention serait hautement réglementée, contrairement aux rencontres aléatoires qui surviennent au sein de la collectivité.

[64] Mme Petersen a également fait observer que les personnes qui ne sont pas suffisamment occupées sont susceptibles de devenir dépressives et d'être obsédées par l'idée que l'inversion sexuelle chirurgicale est une sorte de [Traduction] cure magique. Le milieu carcéral serait propice à ce genre de réaction.

[65] Tout comme les Drs Dickey et Hucker, Mme Petersen a fait observer que l'attention sexuelle que les transsexuels masculins recevront vraisemblablement dans un établissement pour hommes sera un puissant agent de renforcement et les encouragera à voir l'inversion sexuelle chirurgicale comme le remède préféré à leur malheur, que ce soit ou non le cas dans les faits. Le transsexuel MF n'est pas susceptible de bénéficier de ce genre de renforcement positif lorsqu'il s'affiche en femme dans la collectivité.

[66] Mme Petersen a également passé en revue la documentation qui traite de la possibilité d'effectuer une expérience pratique en milieu carcéral, faisant état particulièrement d'un document publié par un endocrinologue danois, le Dr George Sturup. Ce dernier a traité plusieurs détenus transsexuels, dont un qui avait reçu un traitement hormonal et qui a finalement subi une castration chirurgicale durant son incarcération. Après sa remise en liberté, ce patient s'est comporté en femme pendant une brève période avant de nouer une relation avec une femme et de reprendre son rôle masculin. Le Dr Sturup n'a pas été en mesure d'expliquer sa perception erronée de la situation et a conclu qu'on ne devrait prendre aucune décision définitive au sujet de l'inversion sexuelle chirurgicale tant que le détenu n'a pas réintégré la communauté.

[67] Il y a lieu de noter que la norme Harry Benjamin traite de l'administration d'hormones et du recours à la psychothérapie pour soigner des détenus, précisant que les personnes traitées pour un trouble de l'identité sexuelle devraient continuer d'être soignées durant leur incarcération, si besoin est. Le but est d'empêcher ou de restreindre la labilité affective, l'estompage non désiré des changements physiques provoqués par l'hormonothérapie et le sentiment de désespoir qui peut mener à l'angoisse, à la dépression et à la suicidabilité. Cependant, la norme ne fait aucunement mention ni de l'inversion sexuelle chirurgicale chez les détenus ni de la question de l'expérience pratique en milieu carcéral.

B. Stabilité psychosociale

[68] Le deuxième point de désaccord entre les experts entendus a trait à l'une des conditions d'admissibilité à l'inversion sexuelle chirurgicale, à savoir le besoin d'une certaine stabilité sur le plan psychosocial, ainsi qu'à la question connexe à savoir si des antécédents criminels sont une contre-indication pour une telle intervention.

[69] Selon le Dr Watson, les politiques qui mettent l'accent sur le mode de vie, l'acceptabilité sociale et la stabilité mentale sont discriminatoires envers les transsexuels qui n'appartiennent pas à la classe moyenne, qui n'ont pas d'emploi, qui ne sont pas financièrement solides, qui ne souffrent pas de troubles psychiatriques concomitants ou qui n'ont pas un comportement normal. Pour qu'on diagnostique un trouble de l'identité sexuelle, il faut que le patient manifeste des signes de [Traduction] grande détresse du point de vue clinique ou de dysfonctionnement sur le plan social ou professionnel ou dans d'autres domaines de comportement importants (8). Il est donc déraisonnable, selon le Dr Watson, de s'attendre à ce qu'un individu constamment marginalisé puisse s'intégrer totalement à la société et soit capable de travailler ou d'étudier du seul fait qu'il est devenu un membre du sexe cible.

[70] Le Centre for Sexuality, Gender Identity and Reproductive Health de l'Hôpital de Vancouver, auquel est affilié le Dr Watson, s'est doté de critères de sélection qu'il a publiés. Dans sa liste des critères d'exclusion applicables aux cas de dysphorie de genre, on trouve l'énoncé suivant :

[Traduction]

Tout état médical ou psychiatrique qui rend le comportement de l'individu tellement instable et imprévisible qu'il représente un risque substantiel élevé ou permanent pour soi-même ou autrui. Selon le Dr Watson, cela implique qu'on ne devrait pas envisager de traiter les patients qui consomment de la drogue ou qui ont des épisodes psychotiques ou encore un comportement tout à fait débridé.

[71] Au dire du Dr Watson, beaucoup de transsexuels présentent des troubles psychiatriques en plus du trouble de l'identité sexuelle. Le trouble de l'identité sexuelle peut s'accompagner d'autres problèmes : angoisse, dépression, abus de substances psychoactives, idées suicidaires, automutilation, etc. Le Dr Watson a indiqué que les patients peuvent avoir de la difficulté à surmonter ces problèmes tant que le problème de base, celui de l'identité sexuelle, n'a pas été réglé. Le Dr Watson reconnaît que le fait de traiter un détenu atteint d'un trouble de l'identité sexuelle n'atténue pas son comportement criminel; toutefois, le traitement peut selon elle l'amener à être moins enclin à manifester un comportement manipulateur.

[72] En ce qui touche l'inversion sexuelle chirurgicale dans le cas des détenus, le Dr Watson a affirmé qu'il n'existe pas d'études appuyant la thèse selon laquelle l'intervention est contre-indiquée pour les personnes ayant un comportement criminel. En fait, selon le Dr Watson, il est irréaliste de penser que les détenus transsexuels puissent faire des progrès du point de vue de leur réadaptation tant qu'ils n'ont pas réglé le problème de l'incompatibilité de leur identité fondamentale.

[73] La psychopathie ou le trouble de la personnalité antisociale est l'un des phénomènes psychiatriques dont les experts ont traité. Le psychopathe peut avoir de longs antécédents de comportement déviant ou criminel; il peut mentir fréquemment et ne pas avoir de conscience. Dans son témoignage, le Dr Watson a précisé qu'elle ne fait pas subir à ses patients de test de dépistage de la psychopathie.

[74] Le Dr Dickey est d'avis que l'inversion sexuelle chirurgicale est contre-indiquée chez les patients instables du point de vue psychosocial. Il n'est pas le seul à penser ainsi : une enquête internationale menée en 1995 par le Dr Dickey et Mme Petersen auprès des cliniques de traitement du trouble de l'identité sexuelle (9) a révélé que toutes les cliniques sondées considéraient l'instabilité psychosociale permanente comme une contre-indication. Soixante-quatre pour cent des cliniques sondées ont indiqué qu'un comportement criminel permanent serait également une contre-indication.

[75] Le Dr Dickey a expliqué que le besoin de stabilité psychosociale nous ramène au critère de l'expérience pratique : l'individu instable du point de vue psychosocial ne sera vraisemblablement pas en mesure de satisfaire à l'exigence de l'expérience de vie.

[76] Selon le Dr Dickey, le degré élevé de psychopathie que manifestent les détenus, dont beaucoup sont atteints d'un trouble de la personnalité antisociale, soulève d'autres préoccupations. Tel qu'indiqué plus haut, les psychopathes peuvent mentir fréquemment et n'ont pas de conscience. L'incidence de la psychopathie est beaucoup plus forte dans la population carcérale qu'au sein de la population en général : dans le cas des détenus, la moyenne sur l'échelle de psychopathie de Hare est de 22 sur 40 (10), tandis qu'elle n'est que de 4 sur 40 dans le cas de la population en général. C'est là un élément important du point de vue de l'évaluation des détenus atteints d'un trouble de l'identité sexuelle, car il y a peut-être lieu de douter de l'exactitude de la description de leurs antécédents. Les médecins se fient sur ce que leur disent leurs patients pour recueillir des données au sujet de leur passé, dans le cadre du processus d'évaluation, bien qu'ils tentent de vérifier l'information par des moyens indépendants. Au dire du Dr Dickey, les patients qui veulent changer de sexe peuvent exagérer le degré de féminité dont sont empreints leurs antécédents afin d'être perçus comme des sujets plus aptes. Cette réalité, jointe à la propension à mentir du psychopathe, constitue selon le Dr Dickey un double fardeau et fait qu'il est encore plus difficile d'ajouter foi à ce que dit le patient. Le patient qui donne une version déformée des faits s'expose à subir une intervention inutile ou inappropriée qui ne lui procurera aucun avantage et pourrait en fait lui nuire. Par conséquent, on craint que le contribuable finance des chirurgies inutiles ou que le patient en vienne à exprimer des regrets ou à intenter des poursuites.

[77] À l'heure actuelle, la psychopathie ne se soigne pas, selon le Dr Dickey. Par conséquent, il n'y a aucun moyen de faire progresser le détenu psychopathique afin que l'inversion sexuelle chirurgicale ne pose pas de danger.

[78] Le Dr Dickey a affirmé qu'il pourrait dans certains cas être disposé à oublier le critère de l'expérience pratique en tant que condition préalable à l'inversion sexuelle chirurgicale; toutefois, il a ajouté qu'il serait très réticent à le faire dans le cas d'un sujet qui a commis des crimes graves. Dans son témoignage, il a indiqué qu'il n'existe guère de preuves que le trouble de l'identité sexuelle provoque des comportements criminels; la plupart des patients transsexuels qu'il voit manifestent en fait ce qu'il appelle une [Traduction] attitude prosociale. Le Dr Dickey a également affirmé que le refus de traiter un transsexuel n'entraîne pas de comportement criminel ou suicidaire. Bien que le taux de suicide soit plus élevé chez les transsexuels, il n'a pas été démontré qu'il est plus faible chez les sujets qui ont subi l'inversion sexuelle chirurgicale.

[79] Le Dr Dickey s'est dit prêt à admettre que la dysphorie de genre puisse entraîner un bouleversement psychologique qui contribue aux problèmes que présentent les détenus transsexuels, mais il a affirmé catégoriquement que l'inversion sexuelle chirurgicale n'atténue pas ces problèmes.

[80] Enfin, le Dr Dickey a fait observer que certains patients paraîtront plus stables du point de vue psychosocial qu'ils ne le sont en réalité, dans le cadre hautement structuré qu'est celui de la prison. Le cadre carcéral peut tenir lieu de [Traduction] colle et permettre au détenu de demeurer stable, ce qui serait impossible s'il vivait dans la collectivité.

[81] Le témoignage du Dr Hucker et de Mme Petersen à ce sujet a été dans une large mesure corroboré par celui du Dr Dickey. Le Dr Hucker a affirmé que la plupart des sujets qui reçoivent des hormones et qui subissent l'intervention chirurgicale se sentent plus heureux par la suite. Il a également souscrit à l'opinion du Dr Watson selon laquelle l'acuité et la persistance du trouble de l'identité sexuelle sont des indicateurs de l'opportunité de l'intervention. Abondant dans le sens du Dr Dickey, il a toutefois précisé que la propension du psychopathe à manipuler et à mentir fait qu'il est très difficile de bien évaluer s'il est un bon sujet. En outre, le Dr Hucker a signalé que, selon les études publiées, il semble que les résultats postopératoires ne soient pas aussi concluants chez les psychopathes. Par conséquent, la psychopathie est un critère d'exclusion, selon le Dr Hucker.

[82] Mme Petersen admet que le sujet doit faire montre d'une certaine stabilité psychosociale pour qu'on puisse recommander l'inversion sexuelle chirurgicale. Elle a fait observer qu'un certain nombre de rapports indiquent que les individus instables du point de vue psychologique sont davantage susceptibles d'exprimer des regrets après l'intervention ou de présenter des résultats non satisfaisants. Mme Petersen ne partage pas l'avis du Dr Watson selon lequel il n'existe pas d'études sur les habitudes criminelles et l'aptitude à subir l'intervention. Elle a affirmé qu'on a fait relativement peu de recherches à ce sujet, mais que les études qui ont été faites ont révélé que les résultats de l'intervention sont beaucoup moins satisfaisants dans le cas des sujets ayant des antécédents de comportement criminel.

[83] Selon la norme Harry Benjamin, le sujet, pour être jugé apte à subir l'intervention, doit avoir fait, [Traduction] sur le plan des relations professionnelles, familiales ou interpersonnelles, des progrès indéniables et avoir ainsi amélioré sensiblement son état de santé mentale; cela implique de maîtriser de façon satisfaisante des problèmes tels que la sociopathie, l'abus de substances psychoactives, la psychose, la suicidabilité, etc..

C. Aptitude de Synthia Kavanagh à subir l'inversion sexuelle chirurgicale

[84] Dans son témoignage, Mme Kavanagh a déclaré que, avant son incarcération en 1989, le Dr Hymie Smith, de Vancouver, avait donné son accord pour qu'elle subisse l'intervention. Cependant, l'accord du Dr Smith était subordonné à la non-perpétration de crimes. Mme Kavanagh n'a pas subi l'intervention à l'époque parce qu'elle a continué d'avoir des démêlés avec la justice.

[85] En 1997, le Dr Watson a approuvé l'intervention chirurgicale dans le cas de Synthia Kavanagh. Selon le Dr Watson, Mme Kavanagh était un bon sujet parce qu'elle avait commencé dès sa première enfance à s'identifier à l'autre sexe (11) et avait continuellement manifesté un comportement féminin pendant une longue période en milieu carcéral.

[86] Le Dr Watson ne partage pas l'opinion selon laquelle on aurait dû tenir compte de la stabilité ou du mode de vie de Mme Kavanagh. À son avis, en exigeant la stabilité au plan psychosocial, on crée un cercle vicieux. Le trouble de l'identité sexuelle s'accompagne d'une grande souffrance qui, selon elle, peut mener à la dépression et l'angoisse, à la consommation de drogues et à la criminalité. Selon le Dr Watson, cette situation se perpétue si l'on ne soigne pas le trouble de l'identité sexuelle. De l'avis du Dr Watson, en considérant l'inconduite de Mme Kavanagh en milieu carcéral comme une contre-indication en ce qui touche l'intervention, on ne tient pas compte de l'effet déstabilisateur que la persistance du trouble de l'identité sexuelle a sur sa réadaptation.

[87] Selon le Dr Watson, le résultat sur l'échelle de psychopathie ne serait pas particulièrement pertinent. Elle n'a pas abordé la question de la psychopathie de Mme Kavanagh dans son témoignage, même si un rapport qu'elle avait rédigé peu de temps avant l'intervention chirurgicale indiquait qu'il y avait amélioration en ce qui touche ses traits de personnalité antisociale. On ne sait trop comment elle est parvenue à cette conclusion.

[88] Le Dr Dickey a vu Mme Kavanagh une fois, en 1989, alors qu'elle était détenue à la Don Jail à Toronto. Il ne s'agissait pas d'une consultation officielle pour le compte de la clinique de traitement de l'identité sexuelle du Clarke Institute, mais plutôt d'une consultation visant à aider le Dr Dickey à déterminer le traitement qu'il conviendrait d'administrer à court terme à Mme Kavanagh au centre de détention. Toutefois, depuis ce temps, le Dr Dickey a examiné le rapport du Dr Watson au sujet de Mme Kavanagh, ainsi que les rapports des autres médecins. De l'avis du Dr Dickey, l'inversion sexuelle chirurgicale n'était pas un traitement approprié dans le cas de Mme Kavanagh. Selon lui, l'instabilité permanente de Mme Kavanagh du point de vue psychosocial et son degré élevé de psychopathie (12) donnaient fortement à croire qu'elle ne pourrait réussir dans la pratique à vivre en femme dans la collectivité.

[89] Le Dr Hucker a interviewé Mme Kavanagh en 1997. Il a également examiné les dossiers des établissements du SCC où elle a été détenue. Abondant dans le sens du Dr Dickey, le Dr Hucker a jugé que Synthia Kavanagh n'était pas apte à subir l'intervention chirurgicale, compte tenu de ses graves problèmes psychiatriques et plus particulièrement son extrême psychopathie.

[90] Dans son témoignage, le Dr Hucker a indiqué que le principal point de désaccord avec le Dr Watson et la clinique de Vancouver avait trait au degré de psychopathie de Mme Kavanagh. Contrairement au Dr Watson qui avait jugé les traits antisociaux de Mme Kavanagh comme relativement bénins, il les avait qualifiés de [Traduction] très marqués. Le Dr Hucker a signalé que le Dr Watson n'avait pas administré à Synthia Kavanagh de test de dépistage de la psychopathie, tout en faisant observer que ce n'était pas quelque chose qu'on vérifiait ordinairement en dehors du cadre carcéral.

[91] Le Dr Hucker ne partage pas non plus l'opinion du Dr Watson selon laquelle les antécédents de passage à l'acte de Mme Kavanagh en prison étaient attribuables, du moins en partie, au refus d'autoriser l'inversion sexuelle chirurgicale. Selon le Dr Hucker, une telle conclusion est [Traduction] naïve.

VII. PLACEMENT DES DÉTENUS TRANSSEXUELS AU STADE PRÉOPÉRATOIRE

[92] Dans sa deuxième plainte, Synthia Kavanagh allègue avoir été victime de discrimination en raison de la politique du SCC qui oblige d'incarcérer dans des établissements pour hommes les transsexuels MF au stade préopératoire. Il est précisé dans la plainte que la politique du SCC [Traduction] ne tient pas compte du besoin psychologique d'être emprisonné avec des membres de son sexe psychologique….

[93] Il est entendu que, au cours de son incarcération, Mme Kavanagh a de temps à autre demandé d'être transférée à un établissement pour femmes, bien qu'il semble qu'elle n'ait pas toujours donné les mêmes signaux à cet égard.

[94] De l'avis du Dr Watson, c'est le personnel correctionnel et médical qui devrait décider où doivent être incarcérés les détenus transsexuels au stade préopératoire, en fonction de chaque cas et de l'endroit qui favorisera le plus leur intégration. Cependant, il ne fait aucun doute, selon le Dr Watson, que les transsexuels MF au stade préopératoire qui en sont à une étape avancée du processus de réassignation hormono-chirurgical devraient être incarcérés dans des établissements pour femmes. Cela leur permettrait de faire vraiment l'expérience de la vie avec des femmes tout en les obligeant à s'intégrer et à se comporter en femme. De même, les transsexuels FM qui en sont à un stade très avancé de l'hormonothérapie devraient être placés dans des établissements pour hommes.

[95] Selon le Dr Watson, il y aurait très peu de risques que des détenus transsexuels MF au stade préopératoire agressent sexuellement des femmes, étant donné que les hormones femelles qu'ils prennent rendent la plupart d'entre eux incapables de fonctionner sexuellement. Cependant, elle a dit ne pas pouvoir fournir de garantie à cet égard. En outre, la plupart des détenus transsexuels MF sont attirés par les hommes. En ce qui concerne Synthia Kavanagh, le Dr Watson a affirmé qu'elle [Traduction] n'était attirée du point de vue sexuel que par les hommes avant son intervention et qu'elle n'aurait pas, par conséquent, présenté de risque dans un établissement pour femmes sur le plan du comportement sexuel.

[96] En fait, Mme Kavanagh a eu une liaison sexuelle avec une détenue à l'établissement de Joliette, bien qu'on ne s'entende pas sur l'étendue de celle-ci (13). Avant son témoignage, le Dr Watson n'était pas au courant de ce fait. Elle a déclaré que l'opinion qu'elle avait émise était fondée sur les renseignements fournis par Mme Kavanagh. Le Dr Watson a évoqué, à la lumière de ce renseignement supplémentaire, la possibilité que Mme Kavanagh soit bisexuelle.

[97] Selon le Dr Watson, l'acceptation dans une prison pour femmes d'un transsexuel ayant une anatomie masculine qui en est au stade préopératoire ne pose aucune difficulté. D'après son expérience, les femmes ont tendance à mieux accepter les transsexuels que les hommes. L'opinion du Dr Watson est fondée sur l'expérience vécue avec des femmes au sein de groupes de thérapie. Le Dr Watson a admis qu'elle n'avait guère travaillé auprès des détenues. Elle a reconnu en outre que la dynamique serait très différente dans le cas de détenues. Elle n'a pu dire si l'expérience vécue avec des patientes au sein de groupes de thérapie serait transposable en milieu carcéral.

[98] Plutôt que de placer les transsexuels au stade préopératoire dans des établissements correspondant au sexe cible, on pourrait avoir intérêt, selon le Dr Watson, à créer un centre de traitement spécialisé à l'intention des transsexuels, bien que cela risquerait de ghettoïser ces détenus.

[99] Le témoignage du Dr Watson soulève un certain nombre de questions en ce qui concerne le placement des détenus transsexuels au stade préopératoire. La preuve quant au bien-fondé et à la faisabilité de chacune de ses suggestions est analysée dans les pages ci-après.

A. Risque physique pour les autres détenus

[100] Plusieurs témoins du SCC se sont prononcés sur l'opinion du Dr Watson voulant que les transsexuels MF au stade préopératoire ne présenteraient pas de risque pour les détenues du point de vue physique. Le Dr Dickey, le Dr Hucker et Mme Petersen se sont tous inscrits en faux contre l'affirmation du Dr Watson selon laquelle la plupart des détenus transsexuels MF soient attirés par les hommes. À leur avis, c'est le contraire : la plupart des transsexuels incarcérés dans les établissements fédéraux sont en fait attirés par les femmes. Au Canada, les individus emprisonnés dans un établissement fédéral ont commis des crimes graves. Selon le Dr Dickey et Mme Petersen, les transsexuels homosexuels ne présentent habituellement pas le degré d'agressivité ou de psychopathie nécessaire pour se retrouver dans un établissement fédéral. Les transsexuels que le Dr Hucker a rencontrés dans le milieu correctionnel ont tendance, a-t-il dit, à manifester une orientation sexuelle [Traduction] plus ambiguë. En outre, le Dr Dickey se demande pourquoi un transsexuel MF homosexuel voudrait être transféré à une prison pour femmes. Bien qu'il soit habituellement possible de distinguer les transsexuels homosexuels des transsexuels hétérosexuels, il reste qu'il y a des cas où cela est impossible, selon le Dr Dickey.

[101] Le Dr Dickey, le Dr Hucker et Mme Petersen ont tous affirmé qu'ils seraient très inquiets si l'on incarcérait dans un établissement pour femmes un transsexuel MF hétérosexuel au stade préopératoire, vu le risque qu'il s'attaque à des détenues. Le Dr Dickey et Mme Petersen ont affirmé que l'hormonothérapie ne garantit aucunement que le transsexuel sera incapable d'avoir une érection.

[102] Selon le Dr Hucker, le placement dans un établissement pour femmes pourrait avoir pour effet d'améliorer le comportement de certains détenus transsexuels. Cependant, il a dit craindre que des détenus qui ne sont pas vraiment transsexuels demanderaient d'être mis dans des prisons pour femmes, pour des raison d'ordre sexuel. Tout comme le Dr Dickey, il a exprimé la crainte que les transsexuels MF hétérosexuels présenteraient un risque pour les détenues. Il s'est lui aussi interrogé sur les raisons qui pourraient amener un transsexuel homosexuel masculin à vouloir quitter un établissement pour hommes, mais il a reconnu que le profond besoin que ressentent les transsexuels MF de s'associer à des femmes pourrait en être une. Le Dr Hucker a convenu que les relations sexuelles consensuelles ainsi que la violence sexuelle sont actuellement monnaie courante en milieu carcéral.

[103] Mme Petersen a parlé dans son témoignage de l'enquête qu'elle a menée de concert avec le Dr Dickey et d'autres collègues au sujet des pratiques correctionnelles à l'échelle internationale (14). Selon Mme Petersen, cette enquête a révélé que, de façon générale, les transsexuels MF au stade préopératoire sont détenus dans des établissements pour hommes. Mme Petersen est d'accord avec cette pratique, pour plusieurs des raisons de sécurité citées par les Drs Dickey et Hucker.

[104] En ce qui concerne le placement des détenus transsexuels au stade préopératoire, la norme Harry Benjamin ne recommande pas expressément l'incarcération dans des établissements pour hommes ou pour femmes; cependant, elle précise que les décisions à cet égard [Traduction] devraient tenir compte du stade où ils en sont dans leur processus de conversion ainsi que de leur sécurité personnelle.

B. Effet psychologique sur les autres détenus

[105] Jane Laishes et Nancy Wrenshall ont commenté l'opinion du Dr Watson selon laquelle les transsexuels MF au stade préopératoire seraient facilement acceptés dans les établissements pour femmes. Nancy Wrenshall est conseillère pour les détenues auprès des Services correctionnels de la Colombie-Britannique et directrice de district du centre correctionnel pour femmes de Burnaby. Mme Wrenshall a été reconnue comme experte pour ce qui est du système pénitentiaire et des questions touchant les détenues.

[106] Mme Laishes et Mme Wrenshall ont toutes deux décrit dans leur témoignage le profil particulier des détenues. Selon Mme Laishes, le placement dans des établissements pour femmes de transsexuels MF au stade préopératoire présenterait un grand risque pour les détenues, dont beaucoup ont déjà été victimes d'agressions sexuelles.

[107] Mme Wrenshall a abondé dans le même sens, faisant remarquer que des études ont révélé que plus de 75 % des détenues ont été victimes de sévices physiques, sexuels, émotionnels ou psychologiques -- infligés principalement par des hommes. Certaines détenues ont été tellement traumatisées qu'elles sont absolument incapables d'aborder un homme.

[108] Face à ces inquiétudes, le SCC a pris des précautions particulières en ce qui touche l'embauche des employés de sexe masculin travaillant dans les établissements pour femmes. Suite à une recommandation de la Commission d'enquête Arbour sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, la Commission de la fonction publique a accordé au SCC une exemption en ce qui a trait à l'établissement d'Edmonton, afin de permettre à ce dernier de n'embaucher que des femmes. Pour ce qui est de tous les autres établissements pour femmes de son réseau, le SCC fait montre d'une très grande prudence dans l'embauche des employés de sexe masculin, cherchant à s'assurer que tous les individus recrutés sont sensibilisés aux questions qui touchent les femmes et peuvent être de bons modèles de rôle masculin. La juge Arbour a également recommandé la nomination de covérificatrices pour assurer le suivi de certaines questions. Ces personnes ont récemment recommandé que le SCC n'embauche aucun employé exécutant de sexe masculin dans ses établissements pour femmes, en raison de ces préoccupations. Mme Wrenshall a travaillé auprès de détenus de sexe masculin et notamment de détenus transsexuels MF au stade préopératoire. Elle a conclu de son expérience que les détenus n'ont pas les compétences nécessaires pour agir comme modèles de rôle masculin.

[109] Mme Wrenshall a nié que la résistance dont les détenues font preuve face aux hommes soit le résultat de préjugés. À son avis, ce phénomène s'explique par la peur, même si, admet-elle, cette peur est attribuable en partie à l'ignorance et aux idées préconçues.

[110] La présence de transsexuels MF au stade préopératoire dans un établissement pour femmes créerait également des difficultés sur le plan de la gestion. Mme Wrenshall partage l'inquiétude exprimée par d'autres témoins en ce qui touche les relations sexuelles, consensuelles ou non, entre le détenu transsexuel et les détenues. Mme Wrenshall a également fait état du risque de grossesse. À son avis, la présence d'un détenu ayant une anatomie masculine dans un établissement pour femmes aurait un effet perturbateur, car des femmes pourraient ressentir un attrait sexuel envers le détenu, ce qui engendrerait de la jalousie et des querelles.

[111] Mme Wrenshall a également contesté l'opinion du Dr Watson voulant que les détenues accepteraient vraisemblablement les transsexuels. Elle a affirmé que, compte tenu de la façon dont sont traités les transsexuels MF opérés et les transsexuels FM au stade préopératoire dans les établissements pour femmes, les transsexuels MF au stade préopératoire se feraient probablement ridiculiser. D'après son expérience, les détenus, autant ceux de sexe masculin que ceux de sexe féminin, ont tendance à harceler quiconque est différent. Par conséquent, les détenus transsexuels au stade préopératoire seraient probablement incapables de fonctionner au sein d'une population féminine et se retrouveraient dans l'unité d'isolement protecteur, où ils jouiraient d'un accès limité aux programmes de formation offerts à l'ensemble de la population carcérale.

[112] Malgré la position qu'elle a adoptée dans sa plainte, Mme Kavanagh semble avoir changé d'opinion en raison de sa propre expérience et de sa familiarisation avec l'environnement carcéral des femmes, quant à l'endroit où devraient être incarcérés les transsexuels MF au stade préopératoire. Mme Kavanagh est sur la même longueur d'onde que Mme Laishes et Mme Wrenshall : les détenues n'accepteraient pas un transsexuel MF au stade préopératoire, à cause des sévices qu'elles ont subis. Mme Kavanagh souscrit par ailleurs à l'idée du Dr Watson de créer un établissement spécialisé pour les transsexuels au stade préopératoire.

C. Création d'un établissement spécialisé

[113] Jane Laishes a traité des problèmes opérationnels que pose la suggestion de créer un établissement spécialisé à l'intention des transsexuels. Selon Mme Laishes, les établissements fédéraux comptaient en novembre 2000 dix transsexuels au stade préopératoire sur un total de 12 500 détenus. Parmi ces dix détenus, quatre souhaitaient subir l'inversion sexuelle chirurgicale. L'examen de la preuve révèle qu'au cours des dernières années, le nombre de détenus transsexuels a varié entre dix et vingt-trois. Le nombre restreint de transsexuels représente un obstacle de taille par rapport à toute tentative pour créer un établissement spécialisé à l'intention des transsexuels.

[114] Au dire de Mme Laishes, la population transsexuelle compte un grand nombre d'[Traduction] éléments incompatibles, c'est-à-dire de détenus qui, pour des raisons de sécurité, ne peuvent être mis ensemble. Par conséquent, si l'on décidait d'incarcérer les détenus transsexuels au stade préopératoire dans un établissement spécialisé, il faudrait aménager non pas un établissement mais plutôt deux ou peut-être même trois afin de tenir compte des éléments incompatibles.

[115] L'un des objectifs du SCC est de faire en sorte que les détenus soient le plus près possible de chez eux afin qu'ils puissent demeurer en contact avec leur famille et réintégrer plus facilement la société. Cette préoccupation constitue l'une des principales raisons pour lesquelles on a aménagé cinq nouveaux établissements régionaux pour femmes. Étant donné que toutes les détenues étaient auparavant incarcérées à la Prison des femmes à Kingston, un grand nombre d'entre elles étaient loin de leur foyer et de leur famille. On se retrouverait dans la même situation si on créait un établissement spécialisé pour les transsexuels au stade préopératoire.

[116] À l'instar du Dr Watson, Mme Laishes a dit craindre l'effet de [Traduction] ghettoïsation que pourrait avoir la création d'un établissement réservé aux transsexuels. De plus, selon Mme Laishes, il serait impossible d'offrir une programmation à un aussi petit nombre de détenus qui auraient chacun des besoins différents.

[117] Bien qu'elle soit en faveur de la création d'un établissement qui serait réservé aux transsexuels au stade préopératoire, Mme Kavanagh a affirmé dans son témoignage qu'elle a elle-même gardé ses distances par rapport aux autres transsexuels, tant en prison que dans la collectivité, parce qu'elle ne se sent pas à l'aise avec eux.

D. Mesures d'accommodement prise par le SCC face aux besoins des transsexuels au stade préopératoire

[118] Jane Laishes a décrit les efforts déployés par le SCC pour tenir compte des besoins d'un transsexuel MF au stade préopératoire incarcéré à l'établissement de Bath, pénitencier pour hommes à sécurité moyenne situé en Ontario. Selon elle, le personnel du SCC a pris des dispositions particulières et exceptionnelles pour tenir compte des besoins de ce détenu. L'individu en question, qui prend des hormones et qui est considéré comme [Traduction] très efféminé, est autorisé à être déguisé et maquillé en tout temps. Il a ses propres quartiers (une chambre à coucher et une salle de bain privée) et peut se mêler aux autres détenus durant la journée. On lui permet également de décorer le local et même de garder un chat. Les autres détenus vivent dans de très petites cellules disposées en rangées. Selon Mme Laishes, les dispositions spéciales qui ont été prises dans le cas de ce détenu ont suscité une certaine frustration chez les autres détenus.

[119] Brenda Lamm a décrit lors de son témoignage les efforts faits par le personnel du SCC pour répondre aux besoins de Mme Kavanagh à l'établissement de Kent, prison pour hommes à sécurité maximale en Colombie-Britannique. Mme Lamm était coordonnatrice de la gestion des cas à cet établissement à l'époque où Synthia Kavanagh y était incarcérée. Selon Mme Lamm, on a tenu compte de la préférence de Mme Kavanagh pour une cellule individuelle; cependant, elle a admis que Mme Kavanagh avait dû à certains moments partager sa cellule avec un autre détenu. À ces occasions, on lui a permis de choisir son compagnon de cellule. Selon Mme Lamm, Mme Kavanagh entretenait une relation avec un autre détenu et partageait souvent sa cellule avec lui. Mme Kavanagh était généralement gardée dans la cellule la plus près de l'agent de sécurité, pour sa propre protection.

[120] Tous les détenus de l'établissement de Kent devaient porter un blue-jean et un tee-shirt durant la journée. Par la suite, Mme Kavanagh pouvait porter des vêtements féminins et se maquiller. Elle pouvait commander des vêtements et des cosmétiques grâce aux catalogues fournis aux détenus dans le cadre du processus d'achat. Mme Lamm a reconnu que c'était là un changement d'attitude de la part du SCC face aux transsexuels et que Mme Kavanagh n'aurait pas eu la même latitude au début de sa période d'incarcération.

[121] Mme Lamm a indiqué au moment de son témoignage que Synthia Kavanagh n'avait pas éprouvé de problèmes importants avec les autres détenus durant son incarcération à l'établissement de Kent, et que Mme Kavanagh était bien en mesure de prendre soin d'elle-même. Elle affirmé que Mme Kavanagh avait passé beaucoup de temps en isolement préventif ou protecteur lors de son séjour à l'établissement de Kent. Mme Lamm ne savait pas exactement pourquoi Mme Kavanagh avait été mise en isolement protecteur; cependant, elle a indiqué que son placement en isolement préventif était attribuable à la fois au transsexualisme et à des motifs disciplinaires découlant de ce qu'elle a qualifié de [Traduction] problèmes propres à l'établissement. Mme Lamm ne se souvient pas que Mme Kavanagh ait jamais demandé d'être mise en isolement préventif ou protecteur.

[122] Allison Dowson a travaillé auprès des transsexuels tant à l'établissement de Kent qu'à l'établissement Mountain, établissement pour hommes à sécurité moyenne situé en Colombie-Britannique, où elle a connu Synthia Kavanagh. Mme Dowson est agente de libération conditionnelle à l'établissement; à l'heure actuelle, elle est chef d'unité intérimaire à l'établissement Mountain. Selon Mme Dowson, Synthia Kavanagh logeait dans une cellule individuelle en face du poste de l'agent de sécurité lors de son séjour à l'établissement Mountain. Cette cellule était celle qui était le plus près des douches. Mme Dowson a affirmé que Synthia Kavanagh n'avait pas éprouvé beaucoup de difficultés avec les autres détenus de l'établissement, lesquels la laissaient passablement tranquille.

[123] Mme Kavanagh était à l'établissement Mountain juste avant qu'elle se rende à Montréal pour y subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Avant son départ, Mme Dowson a aidé Mme Kavanagh à acheter des vêtements féminins et des cosmétiques.

[124] Mme Dowson a admis que les détenus sont fouillés de temps à autre. Dans le cas de Mme Kavanagh, des agentes procédaient à une fouille-palpation. De l'avis de Mme Dowson, toute fouille à nu aurait été faite par des agents de sexe masculin; cependant, elle a dit ne pas se souvenir que Synthia Kavanagh ait jamais été l'objet d'une fouille à nu durant son séjour à l'établissement Mountain.

[125] Le SCC ne semble pas donner à son personnel beaucoup de formation au sujet des transsexuels et de leurs besoins. Selon Mme Lamm, le personnel du SCC qui traite avec des transsexuels a tendance à s'auto-éduquer. Mme Dowson a dit avoir pris conscience du fait qu'elle ne savait pas grand-chose à propos des problèmes des transsexuels. Elle a commencé à se renseigner en se procurant auprès de la clinique de Vancouver de la documentation au sujet du trouble de l'identité sexuelle. Elle a affirmé qu'elle avait assisté au Centre régional de santé à un atelier organisé par le SCC à l'intention du personnel qui s'occupe des transsexuels et qu'elle avait fait part de ses connaissances aux autres employés du SCC qui devaient traiter avec Mme Kavanagh. On ne nous a pas fourni de plus amples renseignements au sujet de ce problème particulier ou de toute autre formation que le SCC offre au personnel relativement au trouble de l'identité sexuelle.

[126] Mme Lamm et Mme Dowson ont toutes deux affirmé dans leur témoignage que l'attitude du SCC envers les détenus en général et les détenus transsexuels en particulier a considérablement évolué au cours des dix dernières années, du point de vue de la reconnaissance des besoins des individus.

[127] Synthia Kavanagh a relaté ses expériences à titre de détenue du SCC. Depuis 1989, Mme Kavanagh a été incarcérée dans onze différents établissements en Ontario et en Colombie-Britannique, séjournant plusieurs fois dans certains d'entre eux. Elle a affirmé que la plupart des détenus ne sont pas transférés aussi souvent, mais que plusieurs des établissements où elle a été incarcérée n'ont pas voulu la garder en raison de son trouble de l'identité sexuelle. Elle a reconnu que son transfèrement en Colombie-Britannique visait à lui permettre de consulter le Dr Watson et la clinique de Vancouver spécialisée dans le traitement du trouble de l'identité sexuelle.

[128] Mme Kavanagh a affirmé que peu après son admission au pénitencier, le Dr Dickey a ordonné qu'on cesse de lui administrer des hormones. Elle a décrit en termes très clairs la souffrance et le sentiment de panique qu'elle a ressentis lorsque ses caractéristiques féminines secondaires se sont estompées. Ont été déposées en preuve de nombreuses lettres écrites à divers dirigeants du SCC dans lesquelles elle demandait d'être traitée parce qu'elle était atteinte d'un trouble de l'identité sexuelle. L'angoisse de Mme Kavanagh est palpable dans ces lettres. Elle a déclaré qu'elle [Traduction] contrôlait passablement bien son problème d'identité sexuelle lorsqu'elle vivait dans la collectivité. Toutefois, après son arrivée en prison et l'interruption de l'hormonothérapie, elle est devenue obsédée par l'idée de poursuivre son traitement et de subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Mme Kavanagh a affirmé que beaucoup de ses agissements en milieu carcéral (passage à l'acte, automutilation, consommation de drogues, grèves de la faim, tentatives de suicide, etc.) étaient des manifestations de désespoir résultant du refus de la traiter.

[129] Mme Kavanagh a dit qu'on l'avait régulièrement battue, agressée sexuellement et ridiculisée dans les établissements pour hommes administrés par le SCC. Elle a dit avoir été violée par neuf hommes au cours d'une peine purgée antérieurement dans un établissement fédéral. Mme Kavanagh a affirmé que certains détenus la voyaient comme un trophée et une éventuelle conquête sexuelle. Les insultes de la part de détenus qui n'aimaient pas ce qu'elle était engendraient de violents affrontements. Mme Kavanagh a dit avoir toujours été au cœur de différends et de manifestations de violence. Elle a reconnu que d'autres détenus, notamment les homosexuels et les très jeunes détenus, sont vulnérables au genre d'abus qu'elle a subis dans les prisons pour hommes.

[130] Tout en reconnaissant qu'elle avait été en mesure de prendre soin d'elle-même dans certaines situations, Mme Kavanagh a dit que Millhaven [Traduction] était comme le Vietnam. Selon elle, elle ne serait pas sortie vivante de cet établissement si elle n'avait pas consenti des faveurs sexuelles à certains détenus.

[131] Mme Kavanagh a dit avoir souvent demandé d'être placée dans le secteur d'isolement pour sa propre protection. Lorsqu'on refusait d'acquiescer à sa demande, elle menaçait le personnel ou agissait de façon à être placée en isolement, ne serait-ce que pour des motifs disciplinaires.

[132] Mme Kavanagh a affirmé qu'elle n'était pas autorisée à porter des vêtements féminins ou à se maquiller durant les premières années de son incarcération. Depuis son transfèrement à l'établissement de Kent en 1997, Mme Kavanagh est autorisée à porter des vêtements féminins et à se maquiller. Elle a fait remarquer que ce changement est survenu après le dépôt de sa plainte relative aux droits de la personne. Elle a dit avoir été placée dans des cellules individuelles ou doubles dans les divers établissements pour hommes où elle a été incarcérée. Au cours des dernières années qu'elle a passées dans des établissements pour hommes, elle avait eu la plupart du temps sa propre cellule, bien qu'elle ait été contrainte à certaines occasions de partager une cellule avec un autre détenu. Elle a expliqué qu'elle était mal à l'aise lorsqu'elle partageait sa cellule avec un détenu de sexe masculin et qu'elle devait se déshabiller et utiliser la toilette devant lui.

[133] Après l'intervention chirurgicale, Mme Kavanagh a été transférée à l'établissement de Joliette. Peu de temps après, elle a été transférée à l'Institut Philippe Pinel à Montréal après une tentative de suicide. Mme Kavanagh a dit avoir été contrainte de refouler ses émotions pendant toute la période où elle a été incarcérée dans des établissements pour hommes. Une fois en sécurité dans une prison pour femmes, elle a commencé à donner libre cours à ses sentiments car sa vie n'était plus en danger. À ce moment-là, Mme Kavanagh n'a pas été en mesure de maîtriser l'épanchement de ses émotions et elle a [Traduction] claqué. Mme Kavanagh a indiqué dans son témoignage qu'on lui avait diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique, causé par les nombreux traumatismes qu'elle avait subis durant sa vie, notamment au sein du système pénitentiaire pour hommes.

VIII. PRINCIPES JURIDIQUES

[134] Les plaintes de Mme Kavanagh ont été présentées en vertu de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon cet article, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, d'en priver un individu ou de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. Aux termes de l'article 3 de la Loi, le sexe et la déficience sont des motifs de distinction illicite.

[135] Il est indéniable qu'une discrimination fondée sur le transsexualisme constitue une discrimination sexuelle de même qu'une discrimination fondée sur une déficience (15).

[136] Conformément à l'alinéa 15.(1)g) de la Loi, le fait de priver un individu d'un service ne constitue pas un acte discriminatoire si on a un motif justifiable de le faire.

[137] La Cour suprême du Canada a récemment eu l'occasion de réexaminer la méthode à adopter dans des cas comme celui qui nous intéresse, dans les affaires Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (16) (Meiorin) et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights) (17) (Grismer). La distinction historique entre la discrimination directe et la discrimination indirecte fait place désormais à une méthode unifiée de traitement des plaintes relatives aux droits de la personne. En vertu de cette méthode, il incombe d'abord à la partie plaignante d'établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée (18).

[138] Une fois qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie, il revient à la partie intimée de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la politique ou norme discriminatoire comporte un motif justifiable. Dans cette optique, la partie intimée doit désormais prouver :

  1. qu'elle a adopté la norme à une fin ou dans un but qui est rationnellement lié à la fonction exécutée;
  2. qu'elle a adopté la norme de bonne foi, en croyant qu'elle est nécessaire à l'atteinte de la fin ou du but en question;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour accomplir la fin ou le but poursuivi, en ce sens que la partie intimée ne peut composer avec les personnes qui présentent les caractéristiques de la partie plaignante sans subir une contrainte excessive.

[139] Le terme contrainte excessive n'est pas défini dans la Loi. Toutefois, les arrêts Meiorin et Grismer aident beaucoup à déterminer si une défense fondée sur une contrainte excessive a été établie. Dans Meiorin, la Cour suprême a fait observer que l'utilisation du mot excessive laisse supposer qu'une certaine contrainte est acceptable; pour satisfaire à la norme, il faut absolument que la contrainte imposée soit excessive (19). La Cour suprême a également fait remarquer que le défendeur, afin de prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, doit toujours démontrer qu'elle inclut toute possibilité d'accommoder sans qu'il en résulte une contrainte excessive (20). Il incombe au défendeur d'établir qu'il a examiné et raisonnablement rejeté toutes les formes viables d'accommodement. Le défendeur doit démontrer qu'il était impossible d'incorporer dans la norme des aspects positifs d'accommodement individuels sans qu'il en résulte une contrainte excessive (21). Afin de déterminer si les efforts d'accommodement du défendeur ont été suffisants, il faut tenir compte de la perspective d'atteinte réelle aux droits d'autrui (22). L'adoption de la norme du défendeur doit être étayée par des éléments de preuve convaincants. La preuve, constituée d'impressions, ne suffit pas généralement (23). Enfin, la Cour suprême a indiqué que les facteurs tels que le coût des méthodes d'accommodement possibles devraient être appliqués d'une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas.

IX. ANALYSE

[140] Le Tribunal a été saisi de deux plaintes. L'une a trait à la politique du SCC concernant le placement des détenus transsexuels au stade préopératoire, tandis que l'autre se veut une contestation de l'interdiction de l'inversion sexuelle chirurgicale durant l'incarcération. Nous examinerons chacune de ces plaintes séparément.

A. Placement des transsexuels au stade préopératoire

i) Existe-t-il une preuve prima facie de discrimination?

[141] La politique du SCC exigeant que les détenus ayant une anatomie masculine soient incarcérés dans des établissements pour hommes défavorise manifestement les détenus transsexuels MF au stade préopératoire. Le placement des non-transsexuels est fonction de leur sexe anatomique et de leur sexe. Toutefois, le placement des transsexuels est fonction de leur sexe anatomique et non de leur sexe. L'avocat du SCC admet volontiers que la politique constitue en apparence une discrimination fondée tant sur le sexe que sur la déficience.

ii) Le SCC s'est-il acquitté du fardeau de la preuve?

[142] Comme nous avons conclu qu'il existe une preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe et la déficience, il incombe au SCC de démontrer que sa politique repose sur un motif justifiable. Afin de démontrer l'existence d'un motif justifiable, il faut établir trois éléments.

a) Lien rationnel

[143] Compte tenu de la méthode définie par la Cour suprême du Canada dans Meiorin et Grismer, le SCC doit, afin de prouver que la politique en question est fondée sur un motif justifiable, d'abord démontrer qu'il a adopté ladite politique à une fin ou dans un but qui est rationnellement lié à la tâche à accomplir. L'analyse à cette étape ne porte pas principalement sur la validité de la politique en cause, mais plutôt sur la validité de son objet plus général (24).

[144] À cet égard, l'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne admet qu'il existe un lien rationnel entre la politique du SCC concernant le placement des détenus et son devoir de garde des détenus.

b) Bonne foi

[145] Le deuxième élément que doit établir le SCC conformément au critère énoncé dans Meiorin et Grismer est qu'il a adopté la politique en question de bonne foi, estimant qu'elle était nécessaire à l'atteinte de la fin ou du but poursuivi. L'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne admet que rien ne démontre que le SCC n'a pas agi en toute bonne foi lorsqu'il a élaboré sa politique.

c) Contrainte excessive

[146] Enfin, il incombe au SCC, pour démontrer l'existence d'un motif justifiable, d'établir que sa politique est raisonnablement nécessaire à l'atteinte de son but, dans le sens où il ne peut composer avec les personnes qui présentent les caractéristiques de la plaignante sans qu'il en résulte une contrainte excessive.

1. Placement dans des établissements destinés aux détenus du sexe cible

[147] L'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne soutient que le SCC a omis de satisfaire à cet élément du critère énoncé dans Meiorin et Grismer. Selon la Commission, la preuve présentée par le SCC pour justifier son refus de permettre le placement des transsexuels au stade préopératoire dans des établissements correspondant au sexe cible est dans une très large mesure constituée d'impressions. En outre, la Commission estime que la prétention du SCC voulant que les transsexuels MF au stade préopératoire ne puissent être mis dans des établissements pour femmes en raison de la réaction des détenues est extrêmement inquiétante, du fait qu'elle légitimise les attitudes préjudiciables d'autres individus, lesquelles sont fondées sur la peur et une mauvaise information. Au dire de la Commission, il appartient au SCC de remédier à ces attitudes discriminatoires par l'éducation et, si nécessaire, grâce à une meilleure sécurité.

[148] Mme Kavanagh a fait observer que, à l'instar de beaucoup de détenues, de nombreux transsexuels ont des antécédents de consommation de drogues et de prostitution et ont souvent été victimes du même genre de sévices. Selon Mme Kavanagh, ces caractéristiques communes aideraient à combler le fossé.

[149] En ce qui concerne le risque que poserait pour les détenues le placement dans un établissement pour femmes d'un transsexuel MF au stade préopératoire, la Commission a fait valoir qu'il existe déjà des relations sexuelles sans consentement tant dans les établissements pour hommes que dans les établissements pour femmes. Il s'agit d'agressions ou de dérogations aux règles de l'établissement, et il faut traiter ces cas-là en conséquence. De l'avis de l'avocat de la Commission, que l'agression soit commise par un détenu de sexe masculin envers un détenu du même sexe, ou par un transsexuel MF au stade préopératoire envers une détenue, ne fait aucune différence.

[150] La Commission a cité la décision du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique dans Sheridan. Sur la foi de la preuve d'expert présentée dans cette affaire, le Tribunal a conclu que :

[Traduction]

… les transsexuels en transition qui vivent comme des membres du sexe souhaité devraient être considérés comme des membres de ce sexe aux fins de la législation sur les droits de la personne (25). En l'espèce, la Commission estime que les transsexuels MF au stade préopératoire devraient être traités comme des femmes et être logés dans des établissements pour femmes.

[151] L'avocat du SCC a fait observer que la méthode Meiorin permet d'examiner si un mode d'accommodement particulier porterait vraiment atteinte aux droits d'autres individus. Une partie du processus de réadaptation des détenues consiste à les mettre dans un lieu sûr, où elles peuvent commencer à régler les problèmes à l'origine de leurs démêlés avec la justice. Cela implique notamment de leur enseigner comment réagir de façon plus positive face aux hommes. Selon l'avocat du SCC, il s'agit de femmes défavorisées qui sont aux prises avec leurs propres problèmes, et nous devons être réalistes quant à leur capacité de surmonter ces problèmes. Obliger ces femmes à accepter la présence de transsexuels MF au stade préopératoire et les risques que ces individus peuvent représenter n'est ni une attente réaliste ni une priorité appropriée.

2. Autres solutions possibles

[152] La Commission et Mme Kavanagh sont toutes deux conscientes des préoccupations que susciterait le placement d'un(e) transsexuel(le) au stade préopératoire dans un établissement correspondant au sexe cible. Elles sont toutes deux d'avis qu'il faut peut-être opter pour un compromis (p. ex., placement dans un centre de transition ou au centre régional de santé). Somme toute, la norme actuelle du SCC n'est pas jugée valable et doit être révisée, de l'avis de la Commission.

[153] En ce qui concerne la création d'un établissement qui serait réservé aux transsexuels au stade préopératoire, la Commission est d'avis que toutes les raisons invoquées par le SCC pour justifier son incapacité de le faire se résument à une question de coût. Au dire de la Commission, nous ne disposons pas de renseignements relatifs au coût de l'aménagement d'un tel établissement; par conséquent, le SCC a omis de démontrer qu'il en résulterait une contrainte excessive.

[154] De l'avis de la Commission et de Mme Kavanagh, une autre solution consisterait à garder les transsexuels non opérés dans les centres régionaux de santé pendant leur transition. L'avocat du SCC a affirmé que cette solution ne convient pas pour plusieurs raisons. Les centres régionaux de santé sont tous des établissements à sécurité maximale, et il ne conviendrait pas d'y loger pendant une longue période un détenu exigeant une sécurité moyenne ou minimale, compte tenu de l'obligation du SCC de s'assurer que l'établissement où est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible (26). De plus, les transsexuels au stade préopératoire n'auraient pas accès dans ces centres à l'éventail de programmes nécessaires à leur réadaptation.

iii) Conclusions relatives au placement des détenus transsexuels au stade préopératoire

[155] La première question à examiner est la prétention de la Commission voulant que la preuve relative aux attitudes des détenues soit constituée uniquement d'impressions et ne satisfasse pas à la norme énoncée dans Meiorin et Grismer. Il est vrai qu'on n'a pas présenté beaucoup d'éléments de preuve au sujet de la vulnérabilité des détenues en tant que groupe et qu'il aurait été utile de fournir de plus amples renseignements à cet égard. Cela dit, Mme Laishes et Mme Wrenshall ont toutes deux décrit les résultats des études sur les expériences de vie et les besoins des détenues. De plus amples renseignements ont également été fournis au sujet des constatations de la Commission Arbour ayant trait à la Prison des femmes. Enfin, Mme Wrenshall, reconnue comme une experte pour ce qui est des questions touchant les détenues, nous a fait part de ses opinions. Compte tenu de cette information, nous sommes persuadés que les craintes quant à la vulnérabilité de la population carcérale de sexe féminin et aux effets qu'aurait sur cette population le placement d'un détenu ayant une anatomie masculine sont légitimes et objectivement fondées.

[156] L'argument voulant que nous ne devrions pas permettre que les attitudes discriminatoires des détenues empêchent l'incarcération dans des établissements pour femmes de transsexuels MF au stade préopératoire est intéressant à première vue et cadre avec la série de précédents en matière de droits de la personne dans lesquels on a invoqué la préférence du client pour se défendre contre une allégation de discrimination. Le fait pour un employeur ou un fournisseur de services d'exercer une discrimination en raison des exigences de ses clients ne constitue pas en fait un moyen de défense face à une plainte de discrimination (27).

[157] Après avoir bien réfléchi à cet argument, nous en sommes venus à la conclusion qu'il ne tient pas pleinement compte du contexte particulier que constitue le milieu carcéral. On voudrait, somme toute, que des détenues aient comme voisin, pendant une longue période, un individu qui, du point de vue anatomique, appartient à l'autre sexe. Cela s'inscrirait dans un contexte où une détenue qui jugerait la situation intolérable n'aurait pas la possibilité de quitter les lieux (28).

[158] Par ailleurs, il nous paraît trop simpliste d'affirmer que la réaction des détenues serait attribuable à la peur et à l'ignorance et que l'on pourrait, en les éduquant quelque peu, faire accepter un détenu ayant une anatomie masculine au sein de leur établissement. Les difficultés que les détenues éprouvent avec les hommes découlent en partie d'un manque d'information mais en partie également des expériences pénibles qu'elles ont vécues. Il semble d'après la preuve qu'un grand nombre de ces femmes présentent des séquelles psychologiques en raison des sévices physiques, psychologiques ou sexuels que des hommes leur ont infligés. À l'instar des transsexuels, les détenues représentent un groupe vulnérable et ont droit à la reconnaissance et au respect de leurs droits.

[159] À cet égard, nous ferons remaruqer que la conclusion énoncée dans Sheridan qui veut que les transsexuels en transition qui en sont au stade préopératoire soient traités comme des membres du sexe cible est fondée sur la preuve produite dans cette affaire et a trait à l'accès aux toilettes d'un bar. Nous partageons l'avis du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique, à savoir qu'il peut y avoir des situations où il convient de traiter des transsexuels au stade préopératoire comme des membres du sexe cible. Toutefois, à notre avis, la situation de fait dont il s'agit en l'espèce se distingue facilement de celle décrite dans Sheridan, du fait qu'elle a trait à l'entourage des détenues de même qu'à la vulnérabilité particulière de la population carcérale de sexe féminin.

[160] Pour ces motifs, nous estimons que le SCC s'est acquitté de son fardeau et a démontré que, compte tenu de la nature particulière du milieu carcéral et des besoins des détenues, il n'est pas possible d'incarcérer dans des prisons pour femmes des transsexuels MF au stade préopératoire.

[161] Nous nous sommes également interrogés au sujet du risque physique que représenterait le placement dans une prison pour femmes de transsexuels MF au stade préopératoire. D'après les témoignages des experts, il semble impossible de déterminer avec quelque certitude que ce soit l'orientation sexuelle des détenus transsexuels. Ce point a été clairement mis en relief par le témoignage du Dr Watson, qui a dû nuancer son opinion voulant que Mme Kavanagh ne soit attirée que par les hommes, à la lueur du fait qu'elle a eu une liaison sexuelle avec une femme à l'établissement de Joliette. Par ailleurs, rien ne garantit que les transsexuels MF au stade préopératoire ne pourraient fonctionner sexuellement en dépit de la prise d'hormones femelles. En conséquence, les transsexuels MF au stade préopératoire représentent un risque potentiel pour les détenues. À notre avis, c'est un élément dont nous devons tenir compte sans toutefois en exagérer l'importance. La triste réalité est qu'il existe déjà des relations sexuelles non consensuelles en milieu carcéral, même si la preuve révèle que celles-ci sont moins fréquentes dans les établissements pour femmes que dans les établissements pour hommes.

[162] Nous partageons l'opinion du SCC voulant qu'il ne soit pas faisable de créer un établissement à l'intention des transsexuels en transition qui en sont au stade préopératoire. La Commission a abordé la question uniquement sous l'angle du coût; cependant, il est évident que c'est l'aspect logistique, et non le coût, qui pose au SCC des difficultés insurmontables. Il existe un nombre infime de détenus transsexuels et encore moins de détenus transsexuels intéressés à subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Selon Mme Laishes, il y a actuellement quatre détenus dans cette situation au SCC. De plus, il faudrait tenir compte du problème de l'incompatibilité. À moins d'aménager plusieurs établissements, les transsexuels se trouveraient loin de leur famille et des mécanismes de soutien communautaire. En outre, bien que Mme Laishes n'ait pas mentionné ce fait, il est évident qu'il faudrait tenir compte du niveau de sécurité exigé par les détenus et aménager des établissements à sécurité maximale, moyenne et minimale (29). Il faudrait également se demander s'il serait convenable de loger des transsexuels MF au stade préopératoire avec des transsexuels FM au même stade. En fin de compte, le placement dans un établissement spécial des détenus transsexuels au stade préopératoire équivaudrait presque à l'isolement cellulaire.

[163] Plusieurs autres motifs militent contre l'idée de réserver un établissement aux transsexuels. L'absence de masse critique entraverait la capacité du SCC d'offrir des programmes à ces détenus. En outre, plusieurs témoins, dont le Dr Watson, ont exprimé la crainte que la création d'un tel établissement n'entraîne une ghettoïsation. Enfin, nous devons rappeler que Synthia Kavanagh elle-même a déclaré qu'elle avait toujours tenté d'éviter les autres transsexuels parce qu'elle ne se sentait pas à l'aise avec eux. De toute évidence, le placement de Mme Kavanagh dans un établissement réservé aux détenus transsexuels avant son intervention chirurgicale n'aurait pas répondu à ses besoins.

[164] S'il ne convient pas de placer dans des établissements pour femmes ou dans un établissement spécial les transsexuels MF au stade préopératoire, doit-on en déduire que la politique actuelle du SCC concernant le placement des détenus transsexuels est justifiée?

[165] La description qu'a faite Synthia Kavanagh des traitements qui lui ont été infligés dans les établissements pour hommes du SCC, particulièrement ceux de l'Ontario, est très inquiétante. Nous reconnaissons la nécessité de faire montre de circonspection à l'égard du témoignage de Mme Kavanagh, compte tenu du comportement manipulateur dont elle a fait montre dans le passé et du fait qu'elle a admis avoir fréquemment menti aux autorités pour obtenir ce qu'elle voulait. Cependant, nous avons trouvé qu'elle était un témoin éloquent et convaincant et nous avons noté que l'avocat du SCC n'a pas contesté sa description des sévices qu'elle aurait subis en milieu carcéral. Au regard de l'ensemble de la preuve et notamment du témoignage de Mme Kavanagh, nous estimons que les transsexuels au stade préopératoire représentent un groupe vulnérable dont le placement au sein du système pénitentiaire exige une attention particulière.

[166] À notre avis, le SCC n'a pas justifié sa politique actuelle concernant le placement des détenus transsexuels, car celle-ci ne tient pas compte de la vulnérabilité particulière des détenus transsexuels au stade préopératoire. Bien que le SCC semble tenir compte de cette réalité, du moins dans certains cas, il le fait de façon sporadique, et l'angle d'approche n'est pas le même d'un établissement à l'autre. Toute politique qui concerne ce groupe particulièrement vulnérable doit tenir compte de l'effet différentiel que le placement des détenus en fonction de leur anatomie a sur les détenus transsexuels. Le risque de victimisation inhérent au milieu carcéral doit également être pris en compte. Enfin, il faut que les dirigeants du secteur correctionnel examinent le cas de chaque transsexuel de concert avec des professionnels de la santé qualifiés avant son placement dans une des catégories d'établissements pénitentiaires pour hommes (30), et qu'on prenne les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité.

[167] Même s'il appert, d'après le témoignage de Mme Lamm, que le personnel du SCC reçoive une certaine formation en ce qui touche le trouble de l'identité sexuelle, on ne semble pas exiger que le personnel du SCC qui est régulièrement en contact avec des transsexuels bénéficie d'une formation particulière quant aux besoins spéciaux de cette population. La politique du SCC concernant le placement des détenus transsexuels devrait comporter une telle exigence.

B. Accès à l'inversion sexuelle chirurgicale

i) Existe-t-il une preuve prima facie de discrimination?

[168] L'avocat du SCC a soutenu que la Commission et Mme Kavanagh n'ont pas démontré que la politique du SCC en ce qui concerne l'inversion sexuelle chirurgicale est à première vue discriminatoire. Selon le SCC, les transsexuels bénéficient du même niveau de soins de santé que les autres détenus. De l'avis de l'avocat, toute distinction en ce qui touche l'accès aux soins de santé est fondée sur le statut (détenu fédéral) et l'opinion de certains professionnels de la santé voulant que les transsexuels ne soient pas des sujets aptes à subir l'inversion sexuelle chirurgicale, et non sur le fait que le détenu est un transsexuel.

[169] Nous ferons très respectueusement remarquer que la différence de traitement n'est pas fondée sur le statut du détenu. Le Dr Dickey et le Dr Hucker ont tous deux indiqué dans leur témoignage qu'un détenu fédéral pourrait dans certains cas être un sujet apte à subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Cependant, l'article 31 de la politique sur les services de santé du SCC interdit formellement une telle intervention au cours de l'incarcération. Aucun autre type d'intervention n'est visé par une interdiction aussi générale.

[170] Les témoignages ont révélé qu'il existe des divergences d'opinions quant au caractère essentiel ou facultatif de l'inversion sexuelle chirurgicale en tant qu'intervention, au sens de la politique sur les services de santé du SCC. Nous nous pencherons plus loin sur cette question dans le cadre de notre analyse portant sur la contrainte excessive. Toutefois, nous ferons remarquer à ce stade-ci que même si nous admettons que l'inversion sexuelle chirurgicale n'est pas un service de santé essentiel, la politique du SCC traite ce type d'intervention différemment de tous les autres types de services de santé non essentiels. L'examen du traitement accordé aux non-transsexuels qui demandent des services de santé non essentiels démontre que c'est le statut du détenu en tant que transsexuel qui est la cause du traitement différentiel. Le détenu qui désire subir une intervention facultative (pour éliminer un tatouage, par exemple) peut demander à son médecin de lui écrire une lettre qui lui permettra d'obtenir le service à ses frais. Il en est de même pour tout traitement médical facultatif à l'exception de l'inversion sexuelle chirurgicale. Dans le cas de Mme Kavanagh, le Dr Watson avait procédé à une évaluation et approuvé l'inversion sexuelle chirurgicale; malgré cela, on a d'abord refusé d'autoriser l'intervention, à cause de l'interdiction énoncée au paragraphe 31 de la politique.

[171] Pour ces raisons, nous sommes persuadés que la Commission et Mme Kavanagh ont démontré que l'article 31 de la politique sur les services de santé du SCC constitue à première vue une discrimination fondée tant sur le sexe que sur la déficience.

ii) Le SCC s'est-il acquitté de son fardeau?

[172] Étant donné notre conclusion à savoir qu'il existe à première vue une preuve de discrimination fondée sur le sexe et la déficience, il appartient au SCC d'établir que sa politique repose sur un motif justifiable. Nous examinerons à tour de rôle chacun des trois éléments qu'il faut établir pour démontrer l'existence d'un motif justifiable.

a) Lien rationnel

[173] Compte tenu des arrêts Meiorin et Grismer, il faut d'abord que le SCC démontre qu'il a adopté la politique en question à une fin ou dans un but qui est rationnellement lié à la tâche à accomplir. À cet égard, l'avocat de la Commission a admis que la politique sur les services de santé du SCC est rationnellement liée à son devoir de garde des détenus.

b) Bonne foi

[174] Le deuxième élément que doit établir le SCC est qu'il a adopté la politique en question de bonne foi. À cet égard, l'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne admet encore une fois qu'aucun élément de preuve n'indique que le SCC n'a pas agi en toute bonne foi lorsqu'il a élaboré sa politique concernant l'accès à l'inversion sexuelle chirurgicale.

c) Contrainte excessive

[175] Enfin, il faut déterminer si le SCC a démontré que sa politique interdisant l'inversion sexuelle chirurgicale est raisonnablement nécessaire pour atteindre son but, dans le sens où il ne peut composer avec les personnes qui présentent les caractéristiques de la plaignante sans qu'il en résulte une contrainte excessive.

[176] Il est évident que les difficultés auxquelles s'est heurté le SCC dans ses efforts pour élaborer une politique d'accès au traitement applicable aux détenus transsexuels découlent des divergences de vues fondamentales entre les spécialistes de l'Institut Clarke et ceux de la clinique de dysphorie de genre de l'Hôpital de Vancouver en ce qui concerne le mode approprié de traitement des transsexuels en milieu carcéral. Il y a unanimité quant au fait que la norme Harry Benjamin, qui exige notamment que les sujets désireux de subir l'inversion sexuelle chirurgicale ait acquis une expérience pratique, représente l'étalon-or en matière de diagnostic et de traitement des transsexuels. Les différences de vues entre les experts ont trait à la possibilité d'acquérir vraiment en milieu carcéral une expérience pratique en tant que membre du sexe cible. Les experts divergent également d'opinion quant à la nécessité qu'un sujet soit stable du point de vue psychosocial.

[177] Le Dr Watson a affirmé qu'un détenu peut vraiment acquérir une expérience pratique en milieu carcéral, qu'il soit incarcéré dans un établissement pour hommes ou dans un établissement pour femmes. Elle nous a impressionné : c'est un médecin sincère qui fait preuve de compassion et qui, de toute évidence, se soucie grandement de ses patients transsexuels. En outre, elle est manifestement très compétente en matière d'identité sexuelle. Bien qu'elle ait été reconnue experte dans le traitement des détenus transsexuels, il était évident d'après son témoignage que son expérience auprès du milieu carcéral est limitée. De même, le Dr Watson n'a aucune expérience en psychiatrie médico-légale, contrairement aux Drs Dickey et Hucker, qui ont tous deux été reconnus experts dans ce domaine. Les Drs Dickey et Hucker ont également acquis beaucoup d'expérience auprès du milieu carcéral en raison de leur travail dans les domaines de l'évaluation des risques et de la libération conditionnelle.

[178] Nous partageons l'opinion des experts appelés par le SCC, à savoir que l'exigence de l'expérience pratique énoncée dans le protocole de traitement ne puisse être remplie de façon satisfaisante en milieu carcéral. Il ressort de l'ensemble des témoignages que les transsexuels au stade préopératoire doivent être en mesure d'interagir à la fois avec des hommes et des femmes dans leur vie quotidienne pour répondre de façon satisfaisante à l'exigence de l'expérience pratique. Nous avons déjà conclu qu'il ne convient pas de placer dans des établissements pour femmes des transsexuels MF au stade préopératoire. Ces individus peuvent-ils acquérir l'expérience pratique voulue durant leur incarcération dans des pénitenciers pour hommes? Nous pensons que non. Tous les experts, y compris le Dr Watson, ont convenu que le but de l'expérience pratique est d'évaluer la détermination du patient vis-à-vis de l'inversion sexuelle chirurgicale, de même que la capacité de l'intéressé de vivre en tant que membre du sexe cible. On vérifie la détermination du patient en exigeant qu'il s'expose à perdre son emploi et à s'aliéner sa famille et ses amis, tout en étant prêt à subir l'opprobre social que risque de susciter la décision de vivre comme membre du sexe cible. Contrairement à la société en général, le milieu carcéral, de par sa nature artificielle, comporte des renforcements positifs ou négatifs (31) susceptibles de déformer l'expérience de l'intéressé, d'où l'impossibilité de se fier sur l'expérience pratique pour vérifier si l'intéressé est vraiment déterminé, sa capacité de fonctionner comme membre du sexe cible et le caractère adéquat du soutien social, économique et psychologique dont il bénéficie (32). Par conséquent, l'expérience pratique acquise en milieu carcéral n'est pas un indicateur fiable de l'aptitude d'un détenu à subir l'inversion sexuelle chirurgicale.

[179] Nous préférons également les témoignages des experts du SCC plutôt que celui du Dr Watson en ce qui concerne le besoin de stabilité du point de vue psychosocial et plus particulièrement l'effet que la psychopathie peut avoir sur l'aptitude à subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Contrairement au Dr Watson, les Drs Dickey et Hucker sont tous deux experts en psychiatrie médico-légale et semblent justifier d'une expérience beaucoup plus vaste que le Dr Watson dans le traitement de détenus.

[180] Nous partageons l'opinion du Dr Watson voulant que les dispensateurs de soins de santé doivent se garder d'imposer leurs propres valeurs à une population qui est chroniquement marginalisée. Toutefois, il faut se rappeler que tous les experts conviennent que le transsexualisme ne cause pas de comportement criminel et que le traitement ne fera pas d'individus qui ont des tendances criminelles des citoyens respectueux des lois. Nous reconnaissons que le non-traitement du transsexualisme risque d'entraver la capacité des détenus transsexuels à se réadapter. Néanmoins, compte tenu du caractère irréversible et extrêmement envahissant de l'intervention dont il s'agit, il ne nous paraît que raisonnable d'exiger que le sujet ait un certain niveau de stabilité psychosociale avant de passer à cette étape finale de cette transformation profonde qu'est l'inversion sexuelle.

[181] Le fait que nous partagions l'opinion des experts du SCC quant à l'impossibilité d'acquérir en milieu carcéral l'expérience pratique nécessaire ne signifie pas pour autant que l'interdiction absolue de l'inversion sexuelle chirurgicale par le SCC est justifiée. Les Drs Dickey et Hucker ont tous deux indiqué dans leur témoignage qu'on pourrait imaginer des cas où un détenu pourrait être un bon sujet et tirer profit de l'intervention. Une telle intervention serait envisageable, par exemple, dans le cas d'un individu généralement prosocial qui aurait satisfait à l'exigence de l'expérience pratique avant son incarcération. Le Dr Dickey et Mme Laishes ont tous deux reconnu que la politique du SCC doit être relativement souple afin de permettre l'examen de ces cas individuellement.

[182] Tous les experts sont d'avis que l'inversion sexuelle chirurgicale est un traitement légitime et médicalement reconnu qui convient à certains transsexuels soigneusement choisis (33). L'avocat du SCC a soutenu que l'interdiction générale en ce qui touche ce type d'intervention est néanmoins justifiée, étant donné qu'une révision de la politique pour tenir compte d'une possibilité théorique donnerait un faux espoir à beaucoup de détenus auxquels cette question tient beaucoup à cœur. Cette attitude à l'égard des détenus transsexuels est quelque peu paternaliste et n'est pas compatible avec le droit dans ce domaine. Pour justifier une interdiction absolue quant à l'accès à un service pour un motif de distinction illicite, le fournisseur du service doit être en mesure de démontrer que personne ne peut répondre aux critères d'admissibilité (34).

[183] Pour ces raisons, nous estimons que le SCC a omis de justifier sa politique générale interdisant l'inversion sexuelle chirurgicale dans le cas des détenus.

iii) Autres questions

[184] Avant d'examiner la question du redressement, nous devons nous pencher sur plusieurs autres points, eu égard à notre conclusion que l'interdiction absolue de l'inversion sexuelle chirurgicale n'est pas justifiée. Le premier de ces points a trait à la question à savoir qui devrait choisir le médecin qui évaluera l'aptitude du détenu transsexuel à subir l'intervention sexuelle chirurgicale. On a passé beaucoup de temps à débattre cette question à l'audience, à cause des divergences de vues au sein de la communauté médicale quant à l'aptitude des détenus transsexuels à subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Selon Mme Laishes, lorsqu'un détenu est dirigé vers un spécialiste de l'extérieur en vue d'une évaluation, c'est habituellement le médecin de l'établissement qui choisit le spécialiste en question. La Commission nous exhorte à permettre au détenu de choisir le médecin, compte tenu du fait que c'est de son corps dont il s'agit. De l'avis de la Commission, si nous laissons le SCC exercer ce choix, chaque cas sera simplement soumis à l'Institut Clarke et personne ne sera jamais jugé apte à subir l'intervention.

[185] Compte tenu de notre conclusion voulant que le milieu carcéral ne se prête pas à l'acquisition de l'expérience pratique nécessaire, seuls les transsexuels qui ont acquis une telle expérience pratique conformément aux critères énoncés dans la norme Harry Benjamin avant leur incarcération pourraient être des sujets aptes à subir l'inversion sexuelle chirurgicale. Selon le protocole de traitement, l'expérience pratique doit être acquise sous la surveillance d'une clinique reconnue de traitement du trouble de l'identité sexuelle. Il ne nous paraît que raisonnable qu'il revienne aux médecins qui ont suivi le détenu tout au cours du processus de transition de décider s'il est apte et prêt à subir l'intervention, à moins que le détenu et le SCC décident mutuellement de choisir quelqu'un d'autre pour l'évaluation finale.

[186] Par conséquent, il se peut que le processus d'aiguillage dans le cas de l'inversion sexuelle chirurgicale doive être légèrement différent de celui suivi pour les autres types d'évaluation médicale. Cependant, il est parfois nécessaire de traiter différemment les personnes qui ont été historiquement défavorisées, afin d'assurer l'égalité matérielle. C'est l'essence même du principe de l'accommodement.

[187] En supposant qu'un détenu satisfasse aux critères d'admissibilité à l'inversion sexuelle chirurgicale et obtienne les autorisations nécessaires, il reste à déterminer qui paiera la note. Tel que mentionné ci-haut, l'inversion sexuelle chirurgicale est un traitement médical légitime d'un état médical reconnu. Elle devrait être traitée comme tout autre type d'intervention médicale, aux fins de la politique sur les services de santé du SCC.

[188] En vertu de la politique, le SCC assume le coût des services médicaux essentiels tandis que les frais liés aux interventions facultatives sont à la charge du détenu. Le Dr Dickey, le Dr Hucker et Mme Petersen ont tous affirmé dans leur témoignage que l'inversion sexuelle chirurgicale est une intervention facultative au sens de la politique du SCC. Bien que le Dr Watson n'ait pas abordé directement cette question, sa description de la souffrance qu'éprouvent les individus qui sont atteints d'un [Traduction] très grave trouble de l'identité sexuelle laisse certes entendre que l'inversion sexuelle chirurgicale pourrait bien être essentielle au bien-être de ces personnes-là.

[189] Nous avons certaines préoccupations en ce qui touche le témoignage du Dr Dickey à cet égard. La possibilité qu'on puisse dépenser l'argent des contribuables pour permettre à des détenus de bénéficier de certaines interventions, alors que les citoyens respectueux des lois au sein de la collectivité en général ne peuvent faire assumer par l'État le coût de telles interventions, était une grande source d'inquiétude pour le Dr Dickey. Nous ferons remarquer avec le plus grand respect qu'il s'agit là d'un jugement moral plutôt que médical. Le Dr Dickey était manifestement un témoin averti, mais nous avons eu l'impression que ses préoccupations à l'égard de la question du financement étaient peut-être attribuables dans une certaine mesure au fait qu'il considérait cette intervention comme non essentielle.

[190] Nous n'avons pas les mêmes préoccupations à l'égard des témoignages du Dr Hucker et de Mme Petersen. Néanmoins, nous sommes préoccupés par leur affirmation catégorique selon laquelle l'inversion sexuelle chirurgicale n'était pas [et ne pourrait probablement jamais être] un service médical essentiel, compte tenu de l'énoncé non équivoque à l'effet contraire qui figure dans la norme Harry Benjamin. Il est évident que le degré de souffrance lié au transsexualisme varie selon les individus. Il se peut fort bien que l'inversion sexuelle chirurgicale soit essentielle pour certains individus et facultative pour d'autres. Il nous semble que ceux qui sont le mieux placés pour se prononcer dans chaque cas, ce sont les médecins rattachés à une clinique reconnue de traitement du trouble de l'identité sexuelle qui supervisent la transition du détenu et connaissent bien sa situation.

[191] Si des médecins sont d'avis que l'inversion sexuelle chirurgicale est un service essentiel pour un détenu particulier, les frais y afférents devraient être assumés par le SCC, comme pour tout autre service médical essentiel (35). Dans le cas contraire, il devrait appartenir au détenu d'assumer ces frais.

C. Conclusion relative à la responsabilité

[192] Nous avons conclu que la politique du SCC concernant le placement des transsexuels au stade préopératoire est discriminatoire envers les détenus transsexuels. Nous partageons l'opinion du SCC quant à l'opportunité de ne pas placer les transsexuels au stade préopératoire dans des établissements réservés au sexe cible; cependant, le SCC a omis de démontrer qu'il ne peut répondre aux besoins des personnes présentant les caractéristiques de la plaignante, au sein de la population carcérale de sexe masculin, sans qu'il en résulte une contrainte excessive.

[193] Nous avons également conclu que l'interdiction générale du SCC en ce qui concerne l'inversion sexuelle chirurgicale constitue envers les détenus transsexuels un traitement discriminatoire fondé sur le sexe et la déficience, et que le SCC n'a pas été en mesure de justifier une telle politique générale.

[194] Pour ces raisons, nous faisons droit aux plaintes de Mme Kavanagh.

X. REDRESSEMENT

[195] Ayant conclu à la responsabilité du SCC, il nous reste à déterminer les mesures de redressement qui s'imposent.

A. Placement

[196] Le SCC a démontré qu'il est justifié de ne pas mettre de transsexuels au stade préopératoire dans des établissements réservés au sexe cible. Toutefois, nous avons conclu que l'application de l'article 30 de la politique sur les services de santé du SCC défavorise les détenus transsexuels. Du fait qu'elle exige que les détenus transsexuels au stade préopératoire soient incarcérés avec les autres détenus ayant la même structure anatomique, la politique du SCC omet de tenir compte de la vulnérabilité particulière de ce groupe de détenus, ainsi que du besoin d'accommodement en milieu carcéral.

[197] À notre avis, il n'est pas nécessaire d'ordonner que le SCC cesse d'appliquer les dispositions de l'article 30 de sa politique sur les services de santé. Néanmoins, il faut que le SCC prenne des mesures, de concert avec la Commission, pour élaborer une politique visant à déterminer les besoins des détenus transsexuels et à tenir compte de ces besoins.

B. Inversion sexuelle chirurgicale

[198] Nous avons conclu que l'article 31 de la politique sur les services de santé du SCC constitue une discrimination fondée à la fois sur le sexe et la déficience, et que le SCC a omis de justifier son interdiction générale quant à l'accès à l'inversion sexuelle chirurgicale. Par conséquent, nous ordonnons que le SCC cesse d'appliquer des dispositions de l'article 31. Le SCC bénéficiera d'un sursis de six mois à compter de la date de cette décision pour consulter la Commission canadienne des droits de la personne relativement à l'élaboration d'une nouvelle politique conforme à ces motifs, en ce qui touche l'accès des détenus à l'inversion sexuelle chirurgicale.

C. Maintien de la compétence du tribunal

[199] Les parties déposeront devant le tribunal, dans les six mois suivant la date de la présente décision, des exemplaires des politiques révisées du SCC concernant le placement des détenus transsexuels et leur accès à l'inversion sexuelle chirurgicale. Le tribunal conserve sa compétence à l'égard de tout point litigieux pour le cas où les parties ne pourraient s'entendre sur une quelconque modalité d'application de ces politiques.

X. ORDONNANCE

[200] Pour les motifs précités, nous déclarons que les articles 30 et 31 de la politique sur les services de santé du SCC constituent une discrimination fondée sur le sexe et la déficience, et nous ordonnons :

  1. que le SCC prenne des mesures, de concert avec la Commission canadienne des droits de la personne, pour élaborer une politique visant à déterminer les besoins des détenus transsexuels en matière de placement et à tenir compte de ces besoins, conformément à la présente décision;
  2. que le SCC cesse d'appliquer les dispositions de l'article 31 de sa politique sur les services de santé; (Le SCC bénéficiera d'un sursis de six mois à compter de la date de la présente décision pour consulter la Commission canadienne des droits de la personne relativement à l'élaboration d'une nouvelle politique conforme à ces motifs, en ce qui concerne l'accès des détenus à l'inversion sexuelle chirurgicale.)
  3. que les parties déposent devant le tribunal des exemplaires des politiques révisées du SCC concernant le placement des détenus transsexuels et leur accès à l'inversion sexuelle chirurgicale, dans les six mois qui suivront la date de la présente décision. (Le tribunal conserve sa compétence à l'égard de tout point litigieux ayant trait aux modalités d'application de ces politiques.)

Anne L. Mactavish, présidente

J. Grant Sinclair, membre du tribunal

Sandra Goldstein, membre du tribunal

OTTAWA (Ontario)

Le 31 août 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T505/2298

INTITULÉ DE LA CAUSE : Synthia Kavanagh c. Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)

(du 2 au 6 avril 2001; du 9 au 12 avril 2001)

Joliette (Québec)

(les 4 et 5 juillet 2001)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 31 août 2001

ONT COMPARU :

Synthia Kavanagh en son propre nom

Daniel Pagowski Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Donnaree Nygard Pour le Procureur général du Canada

Stephanie Castle Heal Pour la Zenith Foundation

1. On a historiquement qualifié de transsexuels les membres de ce groupe; toutefois, ce terme n'apparaît plus dans le Diagnostic and Statistical Manual (DSM), la classification type de la American Psychiatric Association. Il figure encore dans la Classification internationale des maladies. C'est le terme que la plupart des personnes qui ont témoigné dans cette instance ont utilisé pour décrire les personnes atteintes d'un profond trouble de l'identité sexuelle, qui aspirent à une transformation chirurgicale de leur corps et à un changement de sexe au plan social.

2. Comme cette audience résulte des plaintes de Mme Kavanagh, la preuve a surtout porté sur les transsexuels MF (ou masculins). Cependant, les questions de principe que soulèvent les plaintes de Mme Kavanagh s'appliquent également aux transsexuels FM (ou féminins).

3. La politique du SCC ne renferme pas de disposition comparable en ce qui touche le placement des transsexuelles. Cependant, d'après ce que nous croyons comprendre de la preuve, les transsexuels FM au stade préopératoire sont détenus dans des établissements pour femmes.

4. L'inversion sexuelle chirurgicale est un des services assurés aux fins des régimes provinciaux de soins de santé de l'Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba, de Terre-Neuve et de la Colombie-Britannique. L'Ontario et les provinces Maritimes n'assument pas les frais liés à cette intervention. Au Québec, l'inversion sexuelle chirurgicale est couverte par le programme d'assurance-maladie, dans la mesure où l'intervention est faite dans un hôpital public. Cependant, il n'existe pas au Canada d'hôpitaux publics qui pratiquent ce genre d'intervention chirurgicale, la clinique Ménard étant un établissement privé.

5. Mme Laishes a précisé dans son témoignage que, hormis le Dr Watson et la clinique de Vancouver, le Dr Dickey et l'Institut Clarke, ainsi que le Dr Hucker, les seuls autres médecins qui peuvent au Canada fournir une évaluation quant à l'aptitude d'un détenu à subir l'inversion sexuelle chirurgicale sont deux psychiatres du Québec qui refusent tous deux d'envisager l'intervention dans le cas d'un détenu.

6. Le phénomène en vertu duquel un hétérosexuel a des relations homosexuelles pendant sa détention se remarque autant chez les hommes que chez les femmes. On le désigne sous le nom d'homosexualité facultative.

7. La deuxième plainte de Mme Kavanagh sur laquelle le Tribunal doit se pencher a trait au placement de transsexuels MF au stade préopératoire dans des prisons pour femmes. La preuve pertinente sera examinée plus en détail dans la section de la présente décision qui traite de cette plainte.

8. DSM IV.

9. Petersen, M.E. et Dickey, R., (1995) Surgical Sex Reassignment: A Comprehensive Survey of International Centres, Archives of Sexual Behaviour, 24, pp. 135 à 156.

10. L'échelle de psychopathie de Hare est un instrument couramment utilisé par les psychiatres légistes pour dépister la psychopathie ou le trouble de la personnalité antisociale. Cet outil permet de reconnaître les individus enclins à la violence et ceux qui risquent de récidiver.

11. Selon le Dr Watson, Synthia Kavanagh a commencé tellement jeune à prendre des hormones femelles qu'elle n'a jamais eu de développement pubertaire masculin.

12. Selon le Dr Hucker, le résultat de Mme Kavanagh sur l'échelle de psychopathie de Hare la classe dans la tranche supérieure des 5 % de la population carcérale.

13. Mme Kavanagh a admis avoir eu une [Traduction] rencontre sexuelle avec une détenue à Joliette; toutefois, elle nie qu'il s'agissait d'une [Traduction] relation. Elle a dit qu'elle avait simplement cherché à vérifier après l'intervention chirurgicale si ses organes généraux féminins lui permettraient d'éprouver des réactions sexuelles.

14. Petersen, M., Stephens, J., Dickey, R. et Lewis, W. Transsexuals Within the Prison System: An International Survey of Correctional Services Policies. Behavioral Sciences and the Law, 14, pp. 219 à 229, 1996.

15. Voir Sheridan v. Sanctuary Investments Ltd. (s/n B.J.'s Lounge), (1999) C.H.R.R. D/467 (T.D.P.C.-B.), M.L. et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec c. Maison des jeunes, [1998] J.T.D.P.Q. no 31 (T.D.P. Québec), Ferris v. Office and Technical Employees Union, section locale 15, [1999] T.D.P.C.-B. no 55, et Mamela v. Vancouver Lesbian Connection, (1999) 36 C.H.R.R. D/318 (T.D.P.C.-B.).

16. [1999] 3 R.C.S. 3.

17. [1999] 3 R.C.S. 868.

18. Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson Sears Limited, [1985], 2 R.C.S. 536, p. 558.

19. À cet égard, l'arrêt Meiorin est conforme à la décision rendue dans Central Okanagan School District c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 984.

20. Grismer, précitée, par. 32.

21. Grismer, précitée, par. 42.

22. Meiorin, précitée, par. 63.

23. Grismer, précitée, par. 41 et 42.

24. Meiorin, précitée, par. 59.

25. Sheridan, précitée, par. 107.

26. Article 28, Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

27. Voir, par exemple, Procureur général du Québec c. Service De Taxis Nord-Est (1978) Inc. (1986), 7 C.H.R.R. 3109 (T.D.P. Québec), Québec (Commission des droits de la personne) c. Entreprises L.D.Skelling Inc., (1994), 25 C.H.R.R. D/46 (T.D.P. Québec), et Perrett v. Versa Services, (1990), 11 C.H.R.R. D/435 (Human Rights Council de la C.-B.).

28. Il convient de noter que les précédents en matière de droits de la personne reconnaissent également le droit à la vie privée et à la dignité par rapport aux activités qui impliquent des contacts personnels étroits. Voir, par exemple Stanley c. Gendarmerie royale du Canada (1987), 8 C.H.R.R. D/3799, qui traite du respect de la vie privée des détenus.

29. Article 28, Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. La Loi exige également que le SCC donne aux détenus accès à un milieu culturel et linguistique compatible ainsi qu'à des programmes qui leur conviennent.

30. Ou d'établissements pénitentiaires pour femmes, dans le cas des transsexuels FM au stade préopératoire.

31. Il est vrai que la preuve présentée en ce qui touche le renforcement positif avait trait aux transsexuels autogynéphiles. À cet égard, nous préférons le témoignage du Dr Dickey et de Mme Petersen plutôt que celui du Dr Watson, parce que le Dr Dickey connaît mieux le milieu carcéral, et aussi parce que la plupart des détenus transsexuels font partie de cette sous-catégorie. Il y a lieu également de rappeler qu'il n'est pas toujours possible de distinguer avec un certain degré de certitude les transsexuels autogynéphiles de la sous-catégorie que constituent les homosexuels.

32. Norme Harry Benjamin.

33. À cet égard, l'avocat du SCC a cité la décision rendue par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans Cameron v. Nova Scotia (Attorney General), 177 D.L.R. (4th) 611, (demande de pourvoi refusée [1999] S.C.C.A. no. 531), comme source à l'appui de la prémisse voulant que lorsqu'il s'agit de nouvelles interventions controversées, on doive laisser à ceux qui administrent le programme -- en l'occurrence le SCC -- le soin de prendre les décisions quant à l'accès. Nous ferons respectueusement remarquer que ce jugement ne nous paraît pas particulièrement utile, compte tenu de la preuve médicale en l'espèce.

34. Grismer, précitée., par. 32. La Cour suprême du Canada a fait observer que l'autre façon dont un fournisseur de services pourrait justifier une interdiction générale serait de démontrer qu'il était impossible de procéder à une évaluation individualisée. Cela n'est pas le cas en l'occurrence.

35. Il convient de noter que bien que nous ayons été saisis de certains éléments de preuve quant au coût de l'inversion sexuelle chirurgicale, nous ne disposons d'aucun renseignement en ce qui touche le budget global que le SCC consacre aux services de santé. En outre, on n'a pas vraiment tenté de présenter d'argumentation basée sur les coûts pour justifier l'interdiction de ce type d'intervention.

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