Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

CAROL RAMPERSADSINGH

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

DWIGHT WIGNALL

l'intimé

MOTIFS DE LA DÉCISION

Décision no 13/02

2002-11-26

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[Traduction]

TABLE DES MATIÈRES

I. Les faits

II. La preuve déposée à l'appui de la plainte

A. Le quart de soirée du 28 novembre 1995

B. Le 29 novembre 1995

C. Autres présumés incidents de harcèlement

D. Événements qui ont précédé le dépôt de la plainte relative aux droits de la personne

III. Le témoignage de l'intimé

IV. La jurisprudence

V. L'Analyse des faits

A. Est-ce que la conduite reprochée était à caractère sexuel ou visait-elle l'origine nationale ou ethnique de la plaignante?

B. Est-ce que la conduite reprochée était importune?

C. Est-ce que la conduite reprochée était suffisamment grave ou répétitive?

VI. Conclusion

VI. Ordonnance

[1] La plaignante allègue que l'intimé a fait preuve de discrimination à son endroit en la harcelant en raison de son origine nationale ou ethnique et de son sexe, en violation de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi).

[2] La Commission était la seule partie représentée par un conseiller juridique lors de l'audience du Tribunal. La cause de la plaignante a essentiellement été établi suivant la preuve déposée par la Commission. L'intimé a présenté son propre cas.

I. Les faits

[3] La pays d'origine de la plaignante est Trinité et celle-ci est d'ascendance indienne. L'intimé est d'origine jamaïcaine. Tous deux se considèrent comme membres d'un groupe de minorité visible. Ils sont employés à la Société canadienne des postes (Postes Canada); la plaignante a commencé à y travailler en 1987. En juillet 1995, cette dernière a été affectée à l'installation de traitement en vrac située au Centre principal Gateway de Postes Canada Gateway à Mississauga (Ontario). L'installation de traitement en vrac est exploitée 24 heures sur 24, et environ 400 travailleurs sont affectés aux trois quarts quotidiens de huit heures. Les activités exécutées à cet emplacement sont liées au tri des colis et au codage des codes postaux. La principale fonction de la plaignante est la saisie des codes postaux apparaissant sur les colis à un ordinateur.

[4] Il était pratique courante à l'établissement pour un employé d'être affecté à l'aire de tri final est-ouest (aire de tri) pour trier les colis à la main, lorsqu'il ne pouvait occuper son poste principal. Le 28 novembre 1995, la plaignante et l'intimé travaillaient tous deux le quart de soirée, c'est-à-dire de 16 h à minuit. Parce qu'il n'y avait pas ce soir-là de colis dont les codes postaux devaient être saisis, la plaignante a été affectée à l'aire de tri par son superviseur. L'intimé y avait également été affecté à partir de son poste ordinaire dans un autre secteur de l'installation. Les fonctions consistaient à prendre des colis dans un grand conteneur, à les trier et à les placer dans des bacs plus petits. Pour ce faire, les employés devaient se déplacer d'un bac à l'autre, et ils ont amplement eu l'occasion de se parler.

II. La preuve déposée à l'appui de la plainte

A. Le quart de soirée du 28 novembre 1995

[5] Il n'est pas contesté que la plaignante et l'intimé ne s'étaient jamais rencontrés avant ce soir-là. Au nombre des personnes qui travaillaient à l'aire de tri ce soir-là, se trouvait un ami de l'intimé, M. Garland Drummond. La plaignante allègue que lorsqu'elle est arrivée à l'aire de tri, elle a placé son sac à main par terre. L'intimé lui a immédiatement dit de garder son sac à main à l'œil, parce que s'il était volé, lui-même et M. Drummond (qui sont tous deux Noirs) seraient accusés du vol.

[6] Peu après, M. Drummond a commencé à parler avec la plaignante au sujet de sa sœur, qui par le passé avait travaillé à Postes Canada. À un moment donné, selon la plaignante, l'intimé a interrompu leur conversation et a fait observer que la sœur de la plaignante avait eu une liaison avec un Noir . [traduction] La plaignante a rétorqué que cela n'était pas de ses affaires.

[7] Selon la plaignante, peu de temps après, l'intimé et M. Drummond ont commencé à exprimer certaines opinions sur plusieurs des femmes qui travaillaient à l'installation de Postes Canada. L'intimé aurait qualifié une employée blanche de putain [traduction] et laissé entendre qu'elle était comme une poupée Barbie [traduction]. La plaignante a soutenu qu'il a demandé à une autre femme qui travaillait dans l'aire de tri, qui était musulmane, pourquoi elle n'était pas couverte de la tête aux pieds.

[8] La plaignante prétend également que l'intimé a fait des observations désobligeantes au sujet de la couleur de ses cheveux. Elle a reconnu durant son témoignage avoir teint ses cheveux d'une couleur plus pâle que sa couleur naturelle. Apparemment, durant leur discussion ce soir-là, l'intimé se serait moqué de la couleur des cheveux de la plaignante en demandant à d'autres employés s'ils avaient jamais vu une Noire aux cheveux blonds. Il aurait également dit qu'il n'aimait pas la façon dont une autre employée noire avait tressé ses cheveux.

[9] La plaignante a également témoigné qu'à de nombreuses reprises ce soir-là, l'intimé l'a qualifiée de paki-coolie . Elle a expliqué que le mot coolie est une insulte qui est utilisée dans les Antilles pour désigner les personnes originaires des Indes orientales. De toute évidence, elle était d'avis que l'ajout du qualificatif paki servait à accentuer l'injure. Elle a également ajouté que l'intimé l'a souvent qualifiée de chienne [traduction] tout au long de la soirée.

[10] La plaignante admet que durant leur discussion, elle a également employé un langage injurieux. À titre d'exemple, lorsque l'intimé s'est moqué de ses cheveux, elle lui aurait demandé Est-ce que t'es jaloux? [traduction], en faisant apparemment allusion à la calvitie de l'intimé. Elle lui a également dit Va te faire foutre! [traduction] plusieurs fois. Après lui avoir dit cela à une occasion, l'intimé a réagi en lui disant que s'ils étaient en Jamaïque, il aurait pu l'attaquer avec un coutelas pour avoir employé un langage pareil, et qu'il s'en serait tirer à peu de compte. Elle lui a répondu qu'il avait probablement raison.

[11] Suivant des observations qui n'ont jamais été clarifiées lors des témoignages, la plaignante allègue que l'intimé l'a menacée, à savoir qu'il demanderait à un autre employé masculin, qui passait près d'eux à ce moment-là, de la battre [traduction], qu'il mentionnerait ensuite l' attitude [traduction] de la plaignante à l'égard de toutes les travailleuses blanches et qu'il leur demanderait également de la battre.

[12] À un moment durant la soirée, l'intimé a remarqué qu'une autre travailleuse, Mme Geri Bogdanow, pleurait pendant qu'elle parlait à un délégué syndical. Apparemment, l'intimé a commencé à se moquer d'elle. Selon la plaignante, il a affirmé que si cela s'était produit à l'extérieur de l'installation de Postes Canada, il aurait donner un coup de pied au derrière de [Mme Bogdanow] ainsi qu'à celui de l'enfant qu'elle portait [traduction] .

[13] À la fin du quart, la plaignante a parlé à l'un des délégués syndicaux qui était en poste ce soir-là, M. Darryl Ellis, et s'est plainte du comportement de l'intimé. M. Ellis, qui a témoigné à l'audience, se rappelle que la plaignante s'est approchée de lui et qu'elle était manifestement perturbée. Il ne pouvait se rappeler les détails de sa plainte, sauf que l'intimé l'avait embêtée. Le même soir ou le lendemain, M. Ellis a rencontré l'intimé. Il se rappelait peu leur conversation, mais il croit lui avoir donné les mêmes conseils que ceux qu'il donne habituellement dans de telles situations : s'il s'était comporté d'une telle façon, cela devait cesser; sinon, les parties devraient au moins éviter de travailler ensemble afin de ne pas entrer en conflit à l'avenir.

B. Le 29 novembre 1995

[14] La plaignante est entrée au travail le soir suivant. Elle a été affectée à son poste ordinaire de la saisie des codes postaux. Lorsqu'ils se trouvent dans ce secteur, les employés sont à une distance d'au moins 12 pieds les uns des autres, ils sont assis à leur clavier ainsi qu'à côté des glissoirs sur lesquels sont acheminés les colis.

[15] La plaignante a témoigné qu'avant le début du quart, elle a mentionné à une autre employée, Mme Nancy Collins, les commentaires que l'intimé avait faits au sujet de Mme Bogdanow. Mme Collins a confirmé durant son témoignage qu'elle a répété les propos de l'intimé à Mme Bogdanow. Cette dernière a témoigné (appelée à témoigner par l'intimé) qu'elle était vexée lorsqu'elle a appris ce qui avait été dit à son sujet. Elle s'est alors adressée à l'intimé pour lui demander une explication. Il a nié avoir fait ces observations. L'intimé et Mme Bogdanow ont ensuite décidé d'aller voir la plaignante pour lui parler de ces présumés propos.

[16] Ils se sont tous deux rendus au poste de saisie de la plaignante. Selon celle-ci, l'intimé se serait approché d'elle de façon agressive, se plaçant tout près d'elle. Il a commencé à l'admonester pour avoir dit qu'il avait fait ces commentaires au sujet de Mme Bogdanow. Il se comportait comme s'il n'avait jamais fait ces observations et comme si la plaignante avait fabriqué cette histoire de toute pièce. La plaignante allègue que durant toute la conversation, l'intimé usait d'un langage vraiment grossier à son endroit, la traitant d' espèce de Boy George manqué , de paysanne , de pakie-coolie et de chienne [traduction]. L'intimé lui a aussi dit qu'elle était grosse et menteuse. Il a ajouté que si elle était un homme, il lui aurait donné une raclée [traduction] à ce moment même. La plaignante a soutenu qu'il la menaçait du poing pendant qu'il lui parlait. Elle lui a répondu au moins une fois en lui disant Va te faire foutre. [traduction] Elle a également commencé à pleurer.

[17] Mme Nancy Collins travaillait au poste de saisie voisin. Ce secteur est très bruyant en raison du fonctionnement constant des courroies d'acheminement des colis. Pourtant, elle se souvient d'avoir entendu, malgré le bruit ambiant, les éclats de voix qui venaient du poste de la plaignante. Elle a seulement pu discerner des bribes de la conversation. Elle a entendu l'intimé nier avoir fait des commentaires au sujet de l'enfant que Mme Bogdanow portait. L'intimé aurait également dit à la plaignante qu'en changeant la couleur de ses cheveux, elle essayait de passer pour blanche. Il aurait également qualifié les enfants de la plaignante de zèbres , [traduction] ce que Mme Collins a interprété comme voulant dire qu'ils étaient nés de parents de races différentes. Mme Collins a confirmé que la plaignante était en larmes. À un moment donné, Mme Collins s'est rendue au poste de la plaignante pour lui offrir un mouchoir. Elle se souvient que l'intimé était agité, agressif et qu'il parlait fort.

[18] La plaignante s'est éventuellement levée pour aller déposer une plainte auprès de son superviseur. Pour ce faire, elle devait descendre un escalier. La plaignante, Mme Bogdanow et l'intimé sont partis à peu près en même temps. Alors qu'ils descendaient l'escalier, la plaignante soutient que l'intimé a touché sa main, comme s'il lui donnait une légère tape. Elle allègue qu'il a ensuite prétendu trébucher à cause du contact, puis il s'est tourné vers Mme Bogdanow en s'exclamant As-tu vu comment cette espèce de chienne a essayé de me faire tomber? [traduction] La plaignante a ensuite déclaré J'en ai assez de cette merde , [traduction] et elle est allée directement au bureau de son superviseur pour se plaindre. Elle pleurait durant tout l'incident.

[19] La plaignante a rencontré son superviseur pour déposer une plainte. Elle a en outre soutenu avoir communiqué avec le bureau de sécurité de Postes Canada et le poste de police régional de Peel. Apparemment, parce que la police pouvait seulement venir à l'installation après la fin du quart, la plaignante s'est arrêtée au poste de police le lendemain pour déclarer l'incident. La police s'est rendue à l'installation de traitement en vrac à un moment donné afin de mener une enquête. Les agents ont appris que la direction de Postes Canada se renseignerait sur l'affaire et, par conséquent, la police a décidé de ne pas poursuivre l'affaire à ce moment-là, estimant qu'il s'agissait d'un cas interne.

[20] Effectivement, Postes Canada a mené une enquête. L'affaire a fait l'objet d'une enquête par Mme Cecidia Farrugia, surintendante par intérim au Centre principal Gateway à ce temps-là. Mme Farrugia a témoigné que la plaignante l'a rencontrée la première fois après le second incident. La plaignante était visiblement bouleversée. Mme Farrugia a recueilli sa déclaration concernant les incidents du 28 et du 29 novembre. Elle a également interviewé les autres employés qui auraient été témoins des événements. Elle a témoigné que l'intimé ne s'était pas montré bien empressé à lui dire sa version des faits. Il l'a enfin rencontrée, mais il était évident qu'il n'était pas d'accord sur les allégations. Apparemment, il aurait affirmé que la plaignante l'avait harcelé.

[21] À la lumière des déclarations contradictoires et comme le lui a conseillé le service des relations avec le personnel de Postes Canada, Mme Farrugia a avisé les parties par écrit le 1er mai 1996, à savoir qu'il n'y avait pas de preuve à l'appui [traduction] des allégations de discrimination [traduction] de l'une ou l'autre partie.

C. Autres présumés incidents de harcèlement

[22] La plaignante allègue que durant les mois qui ont suivi les incidents de novembre, l'intimé l'a harcelée [traduction] à plusieurs reprises. Il est à signaler que bien que les deux parties aient continué à travailler à l'établissement de traitement en vrac durant le même quart de soirée, ils n'ont jamais été affectés aux mêmes fonctions. En effet, le superviseur de la plaignante l'a affectée en permanence au poste de saisie des codes postaux afin de réduire toute possibilité de contact avec l'intimé. Néanmoins, la plaignante soutient que lorsque l'intimé passait près de son poste de travail ou la croisait à un endroit dans l'immeuble, il la fixait des yeux, lui souriait d'un air narquois ou lui faisait des grimaces. Il ne lui a jamais adressé la parole, mais la plaignante a témoigné que les expressions du visage de l'intimé l'ont dérangée.

[23] La plaignante a également mentionné trois autres incidents précis qu'elle croit être du harcèlement. Elle se souvient qu'un jour en février 1996, de nombreux employés avaient décidé de commander leur repas de mi-quart d'un restaurant chinois. Comme ils avaient l'habitude de le faire, les travailleurs se sont rendus à l'aire de réception de l'édifice pour chercher leur nourriture. Lorsque la plaignante est arrivée, elle s'est trouvée à côté de l'intimé, qui parlait à M. Drummond. L'intimé aurait dit à M. Drummond, ça pue ici [traduction], pendant qu'il regardait directement la plaignante. Cette dernière lui aurait lancé un regard de colère, puis se serait éloignée.

[24] Le second incident s'est produit peu de temps après, lorsque la plaignante quittait le parc de stationnement du Centre Gateway. L'intimé quittait en même temps et lorsque sa voiture s'est approchée de la voiture de la plaignante en direction opposée, il a fait clignoter ses phares et a klaxonné incessamment. Finalement, le troisième événement s'est produit à un parc de stationnement d'un supermarché antillais local. Alors qu'elle quittait le magasin avec sa fille, la plaignante a remarqué que la voiture de l'intimé se trouvait dans le stationnement et que ce dernier y prenait place. Il a commencé à lui faire des grimaces, lui a souri de façon narquoise, lui a tiré la langue, puis a fait semblant de se cacher le visage derrière un livre. La plaignante et sa fille sont montées dans leur automobile puis sont parties.

D. Événements qui ont précédé le dépôt de la plainte relative aux droits de la personne

[25] Au cours des mois qui ont suivi la plainte initiale que la plaignante a déposée auprès de l'employeur concernant les incidents de novembre 1995, cette dernière a consacré beaucoup d'énergie et de temps pour aider Postes Canada à enquêter sur cette affaire. Elle a dû rencontrer à de nombreuses reprises les représentants de son syndicat et ceux de l'employeur. On lui a souvent demandé de préparer et d'organiser des renseignements aux fins de l'enquête. Pour ce faire, elle devait consacrer beaucoup de temps après son travail à ces activités tout en prenant soin de sa fille.

[26] Elle a en conséquence été très déçue d'apprendre, le 1er mars 1996, que son employeur avait déterminé qu'il n'y avait pas de preuves selon lesquelles [l'intimé] aurait exercé de la discrimination à son endroit [traduction]. Elle a obtenu un congé pour cause de stress de son emploi le jour même. Son congé a duré jusqu'au 26 juillet 1996. La Commission a déposé un exemplaire des documents signés par le médecin de la plaignante, qui avaient été présentés à l'employeur concernant la condition de cette dernière. Dans une lettre du 18 avril 1996, le médecin a indiqué que la plaignante souffrait de tension cervicale chronique qui entraînait par effet secondaire des céphalées duent à une grande tension nerveuse [traduction], ainsi que de stress ou d'anxiété au travail attribuable au harcèlement racial qu'elle y subissait . [traduction] Le médecin lui a prescrit des médicaments ainsi que des séances de physiothérapie. Celui-ci a conclu qu'elle pourrait retourner au travail une fois le programme de physiothérapie terminé, ajoutant qu'il était impératif que [la] patiente évite toute situation de stress imputable au harcèlement [de] collègues . [traduction]

[27] Le 17 juin 1996, le médecin de la plaignante a signé une note indiquant qu'elle était maintenant apte à réintégrer ses fonctions, dans la mesure où son quart serait modifié, préférablement pour qu'elle ne travaille pas en même temps que l'intimé. À la fin de juillet 1996, la plaignante a appris de son syndicat que, conformément aux conditions énoncées dans la convention collective, elle serait mutée à l'établissement de traitement des lettres Ouest. Cet établissement est situé dans le même complexe que l'installation de traitement en vrac, bien que dans un édifice séparé. Il était peu vraisemblable que la plaignante entre en contact avec l'intimé à cet établissement. Elle a donc réintégré ses fonctions à Postes Canada le 26 juillet 1996.

[28] Entre-temps, le 29 mars 1996, la plaignante a signé et déposé la plainte relative aux droits la personne auprès de la Commission, plainte qui est devant le présent Tribunal. Il semble que la plaignante ait également déposé une plainte relative aux droits de la personne à l'endroit de Postes Canada. Cette plainte a depuis été réglée.

[29] Les réparations que la Commission et la plaignante cherchent à obtenir pour les gestes que l'intimé a posés dans la présente affaire consistent en une ordonnance du Tribunal à l'endroit de l'intimé pour qu'il remette une lettre d'excuses à la plaignante et suive une formation en sensibilisation aux différences culturelles. En outre, une demande d'indemnité spéciale a été présentée. L'avocat de la Commission a reconnu que parce que les faits qui ont donné lieu à la plainte se sont produits avant les modifications apportées à la Loi en 1998 (1), la demande pour préjudice non pécuniaire doit être présentée conformément aux dispositions de la Loi qui étaient en vigueur avant que les modifications soient apportées. Par conséquent, suivant la version d'avant 1998 du paragraphe 53(3), le Tribunal peut seulement ordonner à l'intimé de verser à la plaignante au plus 5 000 $ à titre d'indemnité spéciale. À la fois la Commission et la plaignante ont confirmé qu'une demande d'indemnisation pour perte de salaire ne sera pas présentée.

III. Le témoignage de l'intimé

[30] L'intimé a nié de nombreux aspects du témoignage de la plaignante et n'est pas d'accord sur la version de celle-ci de certains incidents. Il travaille à Postes Canada depuis 1989. Il n'avait pas rencontré ni n'avait eu connaissance de la plaignante avant d'être affecté, aux côtés de cette dernière, à l'aire de tri le 28 novembre 1995. Il a soutenu que tout au long de la soirée, il n'a eu que quelques échanges, de courte durée, avec la plaignante.

[31] L'intimé a reconnu avoir parlé à la plaignante parce qu'elle avait placé son sac à main par terre lorsqu'elle est arrivée à l'aire de travail, mais il a insisté pour dire que ses commentaires étaient sans malice. D'autres employés, surtout ceux appartenant aux groupes de minorité visible, ont été accusés par le passé de voler des objets dans les aires de travail. Il a indiqué qu'en raison de ces vols, l'employeur avait adopté une règle selon laquelle les employés ne pouvaient laisser leurs effets personnels par terre dans les aires de travail. Il a affirmé qu'il voulait seulement aviser la plaignante de garder à l'œil ses effets personnels, et il se souciait à l'idée que si quelque chose devait arriver au sac à main de la plaignante, lui-même et les autres employés noirs seraient les premiers à être accusés.

[32] Au début, il n'a pas pris part à la discussion entre M. Drummond et la plaignante qui a porté sur la sœur de cette dernière. Toutefois, à un moment donné, il a été surpris d'entendre la plaignante dire que tous les hommes noirs qui travaillaient à l'installation de traitement en vrac s'intéressaient seulement aux femmes qui ressemblaient à des poupées Barbie [traduction]. L'intimé a reconnu qu'il faisait le malin [traduction], lorsqu'il a décidé de s'interposer à ce moment-là, et a demandé à la plaignante pourquoi elle s'était teint les cheveux d'une couleur pâle si elle désapprouvait tellement les préférences des employés masculins. La plaignante lui a répondu que c'était sa couleur naturelle. Il a ricané de cette réponse, s'est tourné vers la superviseure, Mme Sophie Marshall, qui passait à ce moment-là, et lui a demandé si elle avait jamais entendu parler d'une Noire qui soit naturellement blonde. Mme Marshall a répondu non , et a ordonné à l'intimé, à la plaignante et à M. Drummond de reprendre le travail.

[33] Après que Mme Marshall eût quitté l'aire de tri, la plaignante a dit à l'intimé qu'il avait probablement fait un enfant à une blanche. L'intimé a répondu aux commentaires de la plaignante en lui disant qu'il devrait peut-être dire aux employées blanches ce que la plaignante pensait d'elles.

[34] L'intimé nie avoir injurié ou insulté la plaignante le soir du 28 novembre. Plus particulièrement, il soutient ne jamais l'avoir traitée de paki-coolie ou de chienne [traduction], ni avoir qualifié les autres femmes de putains [traduction]. Par ailleurs, c'est la plaignante qui lui aurait dit à de nombreuses occasions Va te faire foutre [traduction], mais il a insisté pour dire que c'était d'un ton badin, sans lui laisser entendre que ses commentaires étaient déplacés. L'intimé a demandé à la superviseure, Mme Marshall, de témoigner à l'audience. Le souvenir de Mme Marshall est que, la plaignante, l'intimé et M. Drummond s'amusaient bien lorsqu'elle leur a parlé le soir du 28 novembre 1995. Bien qu'elle ne soit pas restée près d'eux plus que quelques secondes, elle se souvient que la raison pour laquelle elle s'est approchée d'eux, alors qu'elle était à son poste qui se situait à environ 25 pieds, c'était pour leurs éclats de rire. Tous trois riaient, y compris la plaignante.

[35] L'intimé soutient ne jamais avoir parlé de coutelas [traduction] ni avoir menacé d'agresser ou de blesser la plaignante de quelque façon que ce soit. Il affirme également ne jamais avoir tenu de propos racistes quels qu'ils soient. Il fait remarquer qu'à l'époque, il croyait que la plaignante était une Noire et non d'ascendance indienne. C'est pour cette raison qu'il a demandé à Mme Marshall si elle avait déjà vu une Noire ayant des cheveux naturellement clairs. Il n'aurait donc eu aucune raison de traiter la plaignante de paki-coolie [traduction].

[36] L'intimé nie avoir fait quelque observation que ce soit au sujet de Mme Bogdanow. Plus particulièrement, il soutient ne jamais avoir dit qu'il lui donnerait un coup de pied au derrière [traduction] ou à l'enfant qu'elle portait. Toutefois, il a confirmé que le lendemain, le 29 novembre 1995, peu de temps après avoir commencé son quart de travail, Mme Bogdanow lui a demandé s'il avait fait une telle déclaration. Il a désavoué l'allégation et a suggéré à Mme Bogdanow qu'ils aillent tous deux parler à la plaignante à ce sujet. Lui-même et Mme Bogdanow se sont rendus au poste de travail de la plaignante. Mme Bogdanow a adressé la parole à la plaignante en premier, lui demandant quelle était l'origine de ces propos. La plaignante a affirmé avoir entendu l'intimé tenir de tels propos. L'intimé s'est fâché lorsqu'il a entendu cette réponse, et il a immédiatement interrompu la conversation et a traité la plaignante de menteuse. L'intimé a admis volontiers qu'il était fâché en raison des fausses accusations de la plaignante à son endroit, et qu'il lui avait adressé des paroles grossières. Il s'est toutefois empressé d'ajouter que la plaignante lui a dit à plusieurs reprises Va te faire foutre [traduction].

[37] La conversation a pris fin lorsque l'intimé et Mme Bogdanow ont dit à la plaignante de ne plus répandre de rumeurs à leur sujet. Mme Bogdanow s'est tournée pour partir et l'intimé l'a suivie, empruntant un petit escalier. Alors qu'il descendait, il a senti qu'on le poussait à l'épaule, ce qui l'a fait trébucher et il a empoigné la rampe pour se retenir. Il s'est rendu compte que c'était la plaignante qui l'avait poussé, et s'est donc retourné pour lui dire de ne plus faire cela. Elle a rétorqué que c'était à lui de ne pas la toucher. Il lui a répondu qu'il n'avait pu la toucher parce qu'il marchait devant elle. Il reconnaît qu'elle a ensuite dit J'en ai assez de cette merde [traduction], et qu'elle s'est rendue au bureau de la direction. L'intimé n'a par la suite pas entendu parler de l'incident, jusqu'à ce qu'il apprenne que la plaignante avait déposé une plainte de harcèlement contre lui auprès de Postes Canada.

[38] Il a tenu compte du conseil de M. Ellis, à savoir qu'il devait éviter la plaignante, et l'intimé a affirmé qu'il a intentionnellement évité tout contact avec la plaignante après ces incidents. Il a nié avoir fait les commentaires au sujet de la plaignante lorsque les mets chinois ont été livrés aux employés à l'aire de réception de l'immeuble, et il affirmene jamais avoir klaxonné ou fait clignoter ses phares en direction de la plaignante dans le parc de stationnement du Centre principal de traitement du courrier. Il reconnaît qu'il prenait place dans son automobile au parc de stationnement du supermarché antillais, lorsque la plaignante quittait le supermarché, mais il affirme ne jamais l'avoir agacée, comme celle-ci l'a allégué.

IV. La jurisprudence

[39] Aux termes de l'alinéa 14(1)c) de la Loi, le fait de harceler un individu pour l'un ou l'autre motif de distinction illicite relativement à des questions de travail constitue un acte discriminatoire. Les motifs de distinction illicite comprennent, entre autres, le sexe, l'origine nationale ou ethnique (paragraphe 3(1)). De plus, il est indiqué au paragraphe 14(2) que le harcèlement sexuel, en application du paragraphe 14(1), est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

[40] Le harcèlement prohibét, aux termes de la Loi, peut prendre de nombreuses formes. Le harcèlement sexuel ne se limite pas aux situations où le harceleur offre un gain financier ou d'autre nature en échange d'une faveur sexuelle. Comme la Cour suprême du Canada l'a soutenu dans l'affaire Janzen c. Platy Enterprises Inc. (2), cette forme n'est qu'une des nombreuses manifestations de harcèlement sexuel. Le harcèlement comprend également les situations où les employés sont obligés de subir le tripotage de nature sexuelle, les propositions et commentaires inappropriés, même lorsqu'il n'y a pas de rétribution financière concrète du fait d'être visés par un tel comportement. C'est pourquoi, selon la Cour, le harcèlement sexuel est essentiellement défini comme une conduite importune à caractère sexuel qui comporte un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui entraîne des conséquences préjudiciables au travail pour les victimes de harcèlement. La Cour a ajouté que le harcèlement sexuel au travail porte atteinte à la dignité ou à l'estime de la victime, à la fois en tant qu'employé et qu'être humain (3). Il n'est pas nécessaire que le harcèlement soit l'unique motif des gestes qui sont visés par la plainte pour que celle-ci soit justifiée ni que le harcèlement ait été intentionnel de la part de l'auteur (4). Il a été soutenu que ces principes sont également applicables lorsque le harcèlement se rapporte à un autre motif illicite, tel que la race et l'origine nationale ou ethnique (5).

[41] L'affaire Canada (CCDP) c. Canada (Forces armées) et Franke (6) (Franke), entendue par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, se rapportait à une plainte de harcèlement sexuel, déposée aux termes des articles 7 et 14 de la Loi. Dans sa décision, Mme la juge Tremblay-Lamer en a profité pour expliquer en détail le critère relatif au harcèlement sexuel, qui avait été établi antérieurement dans l'affaire Janzen. Elle a indiqué que pour qu'une plainte de harcèlement soit justifiée, les éléments suivants doivent être démontrés :

  1. Les gestes qui sont visés par la plainte sont importuns, ce que l'on peut déterminer en évaluant la réaction de la plaignante au moment où les incidents allégués de harcèlement se produisent ou si celle-ci a montré, que ce soit de vive voix ou par son comportement, que la conduite était importune. La Cour a reconnu qu'un refus verbal n'est pas nécessaire dans tous les cas, et que le fait d'omettre à plusieurs reprises de répondre aux commentaires suggestifs de l'auteur du harcèlement constitue une indication que sa conduite est importune. La norme appropriée qu'il faut appliquer afin de pouvoir déterminer la conduite de la plaignante est celle d'une personne raisonnable dans les circonstances.
  2. Lorsque la plainte vise le harcèlement sexuel, la conduite reprochée doit être à caractère sexuel. Vraisemblablement, dans les cas où la plaignante allègue qu'il y a eu harcèlement du fait de son origine nationale ou ethnique, il faut montrer que la conduite de l'intimé est liée à ce motif. Les gestes de harcèlement, particulièrement lorsqu'il s'agit de harcèlement sexuel, peuvent être de nature physique, tels que les pincements, les attouchements, les étreintes ou les baisers. Toutefois, le harcèlement peut également être de nature verbale, comprenant un comportement caractérisé par des insultes ou des observations concernant le sexe d'une personne ou son origine nationale ou ethnique, de même que des commentaires sur son apparence ou ses habitudes sexuelles. La détermination par le Tribunal de ce qui est à caractère sexuel ou d'une nature qui se rapporte à l'un ou l'autre motif de discrimination illicite doit être effectuée conformément à ce qu'une personne raisonnable trouverait normal dans les circonstances entourant le cas, compte tenu des normes sociales courantes.
  3. Ordinairement, pour qu'il y ait harcèlement, il faut que celui-ci soit persistant ou répétitif mais, dans certaines circonstances, même un seul incident peut être suffisamment grave pour créer un environnement hostile. Dans l'affaire Franke, par exemple, le Tribunal a fait observer qu'une agression physique peut être suffisamment grave pour constituer du harcèlement sexuel. Par contre, une plaisanterie obscène, bien que de mauvais goût, ne suffirait pas généralement pour constituer du harcèlement sexuel et pour créer un environnement de travail défavorable. Le critère objectif de la personne raisonnable est également employé pour évaluer ce facteur.
  4. Le dernier facteur se rapporte au dépôt d'une plainte à l'endroit de l'employeur relativement à la conduite de l'un des employés. Selon le principe de l'équité, dans des situations pareilles, la victime de harcèlement doit, dans la mesure du possible, aviser l'employeur de la conduite répréhensible alléguée. Parce que, dans la présente affaire, il n'y a pas de plainte à l'endroit de Postes Canada, ce facteur n'est pas pertinent.

[42] Dans l'affaire Stadnyk c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada) (7), la Cour d'appel fédérale s'est quelque peu étendue sur les conclusions dans l'affaire Franke. L'affaire portait sur une plainte de harcèlement sexuel déposée par une plaignante. La Cour a maintenu la décision du Tribunal canadien des droits de la personne, qui avait entendu l'affaire en première instance, d'adapter la norme de la personne raisonnable en fonction d'une personne raisonnable de sexe féminin. Cette adaptation a permis de tenir compte du fait que l'interaction entre un homme et une femme peut être perçue différemment lorsqu'il s'agit d'une femme ou d'un homme. Il faut toutefois souligner que dans l'affaire Stadnyk, le Tribunal a entendu le témoignage d'experts à l'appui de cette proposition.

V. L'Analyse des faits

[43] Je conclus que même si l'on accepte que les faits dans le cas présent sont conformes à la preuve déposée à l'appui de la plainte, la conduite de l'intimé ne constitue pas du harcèlement fondé sur le sexe ou l'origine nationale ou ethnique, au sens de la Loi. Il ne fait aucun doute que la plaignante a été ennuyée et irritée par le comportement de l'intimé, mais les agissements de ce dernier ne satisfont pas à la norme établie en droit concernant les formes proscrites de harcèlement.

A. Est-ce que la conduite reprochée était à caractère sexuel ou visait-elle l'origine nationale ou ethnique de la plaignante?

[44] La plaignante allègue que l'intimé l'a appelée une paki-coolie [traduction], ce qui constitue un comportement qui visait son origine nationale ou ethnique. Selon la preuve produite, je suis d'avis que l'intimé a employé cette expression dans ses discussions avec la plaignante les deux soirs en question. Ses dénégations à cet égard sont peu convaincantes. Il ne fait aucun doute qu'une expression telle que paki-coolie [traduction] se rapporte directement à l'origine nationale ou ethnique d'une personne, d'une manière la plus dérogatoire possible et, en soi, satisfait à cet aspect du critère de harcèlement. Pour ce qui est des autres remarques liées à la nationalité ou à l'ethnicité de la plaignante, l'intimé a reconnu avoir mentionné les cheveux clairs de cette dernière. Bien qu'il soutienne que son intention n'était pas de la ridiculiser en tenant de tels propos, je reconnais qu'une personne raisonnable pourrait interpréter cette remarque comme une raillerie touchant son origine nationale ou ethnique, c'est-à-dire une tentative de ridiculiser une personne d'ascendance indienne native de Trinité, qui a choisi de porter des cheveux blonds [traduction].

[45] Pour ce qui est de la conduite de l'intimé, présumément à caractère sexuel, je suis convaincu, selon la preuve produite, que l'intimé a de fait qualifié la plaignante de grosse et de Boy George manqué [traduction] et qu'il l'a également traitée de chienne [traduction]. Est-ce que ces expressions sont à caractère sexuel ? La portée d'une conduite à caractère sexuel est plutôt large, comme la cour l'a souligné dans l'affaire Franke (8). Dans certains cas, le fait de commenter l'apparence d'une femme peut être perçu comme une allusion à son sexe. De plus, il n'est pas nécessaire que les commentaires laissent entendre que celle-ci soit sexuellement attirante. À titre d'exemple, la Commission d'enquête de l'Ontario a conclu, dans l'affaire Shaw c. Levac Supply Ltd. (9), que des observations désobligeantes au sujet de l'apparence d'une employée étaient à caractère sexuel. La Commission a indiqué que les observations qui dénotent l'absence d'attrait sexuel sont autant à caractère sexuel que celles que fait un harceleur qui désire une relation sexuelle avec sa victime. Par conséquent, je reconnais que les allusions susmentionnées qu'a faites l'intimé au sujet de l'apparence de la plaignante laissaient entendre qu'il la trouvait peu attrayante sexuellement. À ce titre, ces observations sont à caractère sexuel.

[46] Je suis également d'avis que l'expression chienne [traduction], comme l'a employée l'intimé, revêtait une connotation désobligeante peu flatteuse à l'endroit de la plaignante en tant que femme. Je conclus donc que ces observations étaient liées au sexe de la plaignante. Toutefois, j'aimerais ajouter que le fait que l'intimé ait ajouté le mot fucking à cette insulte ou d'autres, durant leur désaccord le second soir, ne donne pas un caractère sexuel à ses propos. Même si le mot fucking peut avoir une connotation sexuelle, le contexte dans lequel ce mot a été employé dans la présente affaire n'est pas à caractère sexuel mais plutôt une expression de colère (10). Comme je l'ai indiqué ci-dessus, la plaignante a fait usage de ce mot à maintes reprises elle-même, sans toutefois lui accorder un sens qui soit sexuel.

[47] Je ne suis pas convaincu que l'intimé ait employé le mot zèbre [traduction] durant l'altercation du 29 novembre 1995. Hormis le fait que la plaignante n'y ait pas fait allusion durant son témoignage, je tiens à souligner que, dans la déclaration écrite préparée par Mme Collins où elle a décrit l'incident et qu'elle a présentée à Mme Farrugia seulement quelques jours plus tard, il n'est nullement fait mention de cette observation. Quoiqu'il en soit, compte tenu de l'ambiance bruyante dans l'aire de saisie des codes postaux, comme l'a attesté Mme Collins elle-même, il est discutable qu'on ait pu entendre la conversation qui avait lieu à plusieurs mètres de distance.

[48] Je ne suis pas convaincu que la déclaration de l'intimé, à savoir qu'il demanderait à un collègue, qui passait à ce moment-là, de battre la plaignante [traduction] puisse être prise au sérieux. Hormis le fait que le témoignage de la plaignante à ce sujet était imprécis et peu convaincant, je conclus que cette observation, en présumant qu'elle ait réellement été faite, s'inscrit seulement dans les plaisanteries que se sont échangés les deux travailleurs des postes et M. Drummond ce soir-là. L'intimé a volontiers admis qu'il faisait le malin [traduction] lorsqu'il a fait certaines observations, et la plaignante a reconnu qu'elle lui a lancé des injures de son cru.

[49] C'est probablement dans le même contexte que l'intimé a fait allusion à ce qui arriverait en Jamaïque si une femme disait à un homme Va te faire foutre [traduction], paroles que la plaignante a adressées à l'intimé, c'est-à-dire qu'il l'attaquerait à coups de coutelas. D'ailleurs, la plaignante a reconnu que l'intimé avait probablement raison. Dans l'ensemble, je ne crois pas qu'une personne raisonnable percevrait l'une ou l'autre des observations de l'intimé comme étant à caractère sexuel.

B. Est-ce que la conduite reprochée était importune?

[50] La plaignante a témoigné qu'à de nombreuses occasions, elle a dit à l'intimé Va te faire foutre [traduction] durant leur conversation, pendant qu'ils travaillaient ensemble le 28 novembre 1995. La Commission a soutenu que ce seul fait montre que les observations de l'intimé à l'endroit de la plaignante étaient importunes. Toutefois, il est évident, en s'appuyant sur le témoignage de la plaignante, que cette dernière, l'intimé et M. Drummond se sont échangés de nombreuses répliques durant la soirée. Par exemple, la plaignante n'a pas hésité à y aller de ses propres railleries au sujet de l'apparence de l'intimé. Le témoignage de Mme Marshall a confirmé que les trois employés étaient d'humeur très joviale lorsqu'elle s'est approchée d'eux. La plaignante a essayé de jeter le discrédit sur le témoignage de Mme Marshall, parce que cette dernière est une amie de l'intimé, mais je conclus que dans l'ensemble le témoignage de Mme Marshall était digne de foi. Je suis d'avis qu'une personne raisonnable tâchant de démontrer que les observations de l'intimé étaient importunes se serait comportée différemment de la plaignante ce soir-là.

[51] Il est vrai qu'à la fin du quart de travail, la plaignante s'est plainte à M. Ellis, délégué syndical, au sujet de la conduite de l'intimé. L'avocat de la Commission a soutenu que ce seul fait constitue une preuve que le comportement de l'intimé était importun. Toutefois, cette question ne peut être établie compte tenu de la façon dont un plaignant a réagi après l'interaction avec le présumé harceleur, mais plutôt en tenant compte de la réaction de la plaignante face au harceleur pendant la conduite même. Je ne crois pas que la preuve dans la présente affaire corrobore l'allégation de la plaignante, à savoir qu'elle ait manifestement montré qu'elle trouvait la conduite de l'intimé importune pendant que cette conduite avait eu lieu. Il importe également de souligner que M. Ellis a mentionné que la plaignante était contrariée, mais il n'a pu confirmer que l'usage du langage discriminatoire par l'intimé à l'endroit de la plaignante ait été la cause du bouleversement de cette dernière.

[52] Mes conclusions sont différentes quant au second incident ayant pris place entre les parties le 29 novembre 1995. Toute personne raisonnable, concernant les agissements agressifs dont la plaignante a fait l'objet aux mains de l'intimé, qui tâche de démontrer que cette conduite était importune aurait réagi de la même façon. J'accepte le témoignage de la plaignante, à savoir qu'elle était manifestement bouleversée par les observations de l'intimé et la manière dont il les a faites. Toute personne raisonnable aurait interprété son état suite à l'incident comme une indication qu'elle avait trouvé les observations importunes. Il semble que lorsqu'elle a dit à l'intimé Va te faire foutre [traduction] qu'il s'agissait d'un contexte entièrement différent de celui du soir précédent, c'est-à-dire qu'elle essayait de convaincre l'intimé de la laisser tranquille.

C. Est-ce que la conduite reprochée était suffisamment grave ou répétitive?

[53] Bien que je sois d'avis que la majorité des observations de l'intimé aient été injurieuses, sa conduite ne s'est pas produite suffisamment de fois ou n'a pas été suffisamment grave pour constituer une forme de harcèlement prohibée par la Loi. En effet, à mon avis, la conduite à caractère sexuel ou liée à l'origine nationale ou ethnique de la plaignante s'est limitée à l'utilisation à quelques reprises des expressions paki-coolie et chienne [traduction], pendant une période d'un à deux jours, ainsi que certaines autres observations plutôt cruelles au sujet de son apparence physique qui ont été répétées quelques fois seulement.

[54] Comme la Cour suprême du Canada l'a affirmé dans l'affaire Janzen, afin de pouvoir conclure au harcèlement, il faut démontrer que la conduite de l'intimé a comporté des effets préjudiciables sur l'environnement de travail. Il faut qu'il y ait un certain degré de gravité ou de répétition de la conduite pour que s'installe un environnement hostile ou empoisonné. Comme l'a indiqué le Tribunal canadien des droits de la personne, dans l'affaire Pitawanakwat c. Secrétariat d'État (11) ainsi que dans l'affaire Dhanjal (12), lorsque la conduite reprochée prend la forme d'insultes raciales, de blagues de mauvais goût et de stéréotypes, celle-ci doit être de nature persistante et fréquente pour qu'elle constitue du harcèlement. Une injure raciale isolée, même si elle est très blessante, ne constituerait pas en soi du harcèlement au sens de la Loi. Il est également indiqué ce qui suit dans l'affaire Dhanjal (13) :

Bref, plus un comportement est grave, moins il est nécessaire qu'il soit répété et, à l'inverse, moins un comportement est grave, plus sa persistance doit être démontrée pour créer un milieu de travail hostile et constituer du harcèlement racial.

[55] La même question a été abordée par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec (14). La Cour a reconnu qu'une seule action, dans la mesure où celle-ci est suffisamment grave et qu'elle comporte un effet continu, peut constituer du harcèlement (15). À titre d'exemple, Mme la juge Deschamps a laissé entendre qu'un seul incident d'agression sexuelle au travail peut comporter un effet insidieux, durable et défavorable, ce qui suffit à constituer du harcèlement sexuel (16). Toutefois, M. le juge Baudouin a également souligné, dans la même affaire, que si l'on conclut que les gestes ne sont pas suffisamment graves mais qu'ils constituent néanmoins du harcèlement, il en résulterait la banalisation d'une disposition de la Loi dont l'objet est d'aborder une forme bien particulière de discrimination (17) :

Des propos, des gestes, un comportement qui, dans le cadre d'une relation ordinaire homme-femme, peuvent paraître vulgaires, de mauvais goût, déplacés ou même grossiers et donc sexistes, ne sauraient constituer automatiquement du harcèlement. La loi n'est pas faite pour imposer la politesse, l'affabilité, le savoir-vivre, ou la rectitude politique. Ils peuvent cependant le devenir, s'il y a une certaine répétitivité (qui, faut-il redire, reste quand même limité dans ce cas), et surtout s'il existe un contexte de relation de dépendance. Il convient cependant d'être prudent à cet égard pour ne pas banaliser une atteinte que le législateur a voulu particulière et distincte de la simple discrimination.

(Soulignement ajouté)

[56] Je tiens à souligner que, comme dans l'affaire Habachi, pour ce qui est de la cause sur laquelle je dois me prononcer, il n'y avait pas de lien de dépendance entre les parties. Il s'agissait de deux employés des postes qui travaillaient dans un grand établissement aux côtés de centaines d'autres personnes. La Cour a fait observer, dans des situations pareilles, qu'il est encore plus important d'établir une certaine répétitivité de la conduite reprochée pour qu'il s'agisse de harcèlement.

[57] Bien que je croie que la conduite de l'intimé ait été répréhensible, elle a été de durée et de gravité limitées. La plaignante et l'intimé ont seulement travaillé ensemble le soir du 28 novembre 1995. L'autre incident s'est produit le soir suivant et a duré au plus quelques minutes. Lorsqu'on a interrogé la plaignante à ce sujet durant son témoignage, celle-ci a reconnu qu'elle n'a pas eu d'autres contacts avec l'intimé, sauf les trois occasions qu'elle a mentionnées dans son témoignage (c'est-à-dire le repas de mets chinois et les deux incidents au parc de stationnement du Centre principal Gateway et à celui du supermarché antillais). Elle a indiqué que l'intimé l'a narguée et lui a fait des grimaces à d'autres occasions au travail et que cela l'a vexée. Il ne fait aucun doute que la plaignante et l'intimé n'étaient pas en très bons termes, particulièrement après l'affrontement du 29 novembre 1995. Je conclus que le témoignage de la plaignante est crédible en ce qui a trait aux trois incidents susmentionnés. J'accepte également que l'intimé peut avoir fait des grimaces à la plaignante; toutefois, en raison de l'imprécision de son témoignage à ce sujet, je ne suis pas convaincu que ces incidents se soient produits plus qu'à quelques reprises. Bien que les gestes en question dénotent de l'immaturité de la part de l'intimé, sa conduite ne peut être caractérisée comme à caractère sexuel ou liée à l'origine nationale ou ethnique de la plaignante. Je suis d'avis qu'une personne raisonnable ne percevrait pas cette conduite comme ayant contribué à la gravité ou à la durée de l'un ou l'autre geste allégué de harcèlement suivant les motifs prohibés.

[58] Le fait que la plaignante se soit sentie obligée de cesser de travailler à l'installation de traitement en vrac ne signifie pas qu'il y régnait un environnement de travail empoisonné. Il ne fait aucun doute, comme je l'ai d'ailleurs mentionné, que la plaignante et l'intimé étaient antagonistes, et que cela a joué dans la décision de celle-ci de cesser de travailler au même endroit que lui. Toutefois, il convient également de noter que la plaignante a continué à y travailler au cours des trois mois qui ont suivi les incidents de novembre 1995 et a seulement quitté après avoir appris que la plainte interne qu'elle avait déposée à l'endroit de l'intimé avait été rejetée. En bout de ligne, dans mon analyse, je dois m'arrêter à la conduite particulière de l'intimé. Je suis d'avis qu'une personne raisonnable ne conclurait pas qu'un environnement de travail empoisonné ou hostile a été créé par suite de ces déclarations, qui ont été faites deux soirs seulement, même si celles-ci étaient à caractère sexuel ou liées à l'origine nationale ou ethnique de la plaignante.

[59] À l'encontre de ce qui s'est passé dans l'affaire Stadnyk, aucune preuve, que ce soit d'expert ou d'autre nature, ne m'a été présentée qui indique précisément comment les événements auraient pu être perçus différemment si la norme de la personne raisonnable avait été adaptée en fonction d'une femme raisonnable ou d'une personne raisonnable de la même origine nationale ou ethnique que celle de la plaignante. En effet, la Commission n'a pas formulé d'argument à ce sujet. De toute façon, compte tenu de la preuve qui a été produite dans la présente affaire, je ne crois pas que mes conclusions auraient différé si la norme de la personne raisonnable avait été adaptée afin de tenir compte des attributs de la plaignante.

VI. Conclusion

[60] En conclusion, je crois que les mots et expressions qu'a employés l'intimé les 28 et 29 novembre 1995 étaient injurieux et grossiers. Il a usé d'un langage inapproprié dans quelque milieu de travail que ce soit et il ne fait aucun doute que la plaignante a été ennuyée et irritée par sa conduite, particulièrement lors de leur affrontement le deuxième soir. On pourrait présumer, en apprenant qu'un tel langage a été employé, qu'il y a eu harcèlement. Mais le droit qui régit le harcèlement prévoit autrement. Les tentatives de décourager ou d'empêcher les personnes de faire des observations dénigrantes ou injurieuses à l'endroit d'autres personnes, surtout lorsque ces expressions se rapportent à l'un ou l'autre motif de discrimination illicite prévu dans la Loi, représentent un objet louable en soi. Toutefois, les dispositions relatives au harcèlement dans la Loi ne visent pas à sanctionner une conduite brève ou isolée de cette nature. Si la conduite de l'intimé s'était poursuivie pendant longtemps, elle aurait pu constituer une forme proscrite de harcèlement, mais en raison de sa brièveté, il m'est impossible dans la présente affaire de conclure qu'il y a eu harcèlement.

VII. Ordonnance

[61] Pour ces motifs, la plainte est rejetée.

« Originale signée par »


Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)

26 novembre 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER DU TRIBUNAL : T591/4900

INTITULÉ DE LA CAUSE : Carol Rampersadsingh c. Dwight Wignall

LIEU DE L'AUDIENCE : Mississauga (Ontario) 8-12 juillet 2002

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 26 novembre 2002

ONT COMPARU :

Carol Rampersadsingh Pour elle-même

Giocomo Vigna Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Dwight Wignall Pour lui-même

1. 1 La Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, L.C. 1998, ch. 9, art. 29.

2. 2 [1989] 1 R.C.S. 1252, p. 1282.

3. 3 Ibid, p. 1284.

4. 4 Swan c. Canada (Forces armées) (1994), 25 C.H.R.R. D/312, para. 73 (TCDP), révisé pour d'autres motifs (1995), 25 C.H.R.R. D/333 (1re inst. C.F.).

5. 5 Dhanjal c. Air Canada, (1995), C.H.R.R. D/27, para. 206 (TCDP), confirmé [1997] A.C.F. no 1599 (1re inst. C.F.) (Q.L.); Marinaki c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] DCPP, no 2, para. 187 (TCDP) (Q.L.).

6. 6 [1993] 3 C.F. 653, para. 29-50 (1re inst. C.F.).

7. 7 (2000), 38 C.H.R.R. D/290, para. 25, [2000] A.C.F. no 1225 (C.A.F.) (Q.L.).

8. 8 Franke, supra, note 6, para. 39.

9. 9 (1990), C.H.R.R. D/36, para. 139-141 (Commission d'enquête de l'Ontario).

10. 10 Voir l'affaire Marinaki, supra, note 5, para. 200.

11. 11 Pitawanakwat c. Secrétariat d'État (1992), 19 C.H.R.R. D/110, para. 40-42 (TCDP), révisé pour d'autres motifs [1994] 3 C.F 298 (1994) 21 C.H.R.R. D/355 (1re inst. C.F.).

12. 12 Supra, note 5, para. 212.

13. 13 Ibid, para. 215.

14. 14 [1999] R.J.Q. 2522, R.E.J.B. 1999-14361, [1999] J.Q. no 4269 (Q.L.) (C.A.Q.).

15. 15 Ibid, p. 2528.

16. 16 Ibid, p. 2541.

17. 17 Ibid, p. 2533-2534.

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