Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

PATRICK E. QUIGLEY

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

OCEAN CONSTRUCTION SUPPLIES

l'intimée

MOTIFS DE DÉCISION

D.T. 06/02

2002/04/03

MEMBRE INSTRUCTEUR : Shirish P. Chotalia

[TRADUCTION]

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. FAITS

A. Activités d'Ocean

B. Jours de relâche

C. Tâches du matelot de pont

D. Horaires de travail de l'équipage du Crest

E. Évaluations médicales : formalités administratives

F. Cas particulier de M. Quigley

i) Antécédents généraux

a) Introduction

b) Premier, deuxième et troisième congés

c) Quatrième congé

d) Essais de travail de 1993

e) Cinquième congé

f) Chirurgie et état de santé après celle-ci

g) Cessation des prestations d'invalidité de longue durée

h) Demande d'essai de travail (1996

ii) État de M. Quigley après sa cessation d'emploi

a) Précisions fournies par le Dr Nelems après la cessation d'emploi

b) Cessation des prestations d'invalidité de longue durée

c) Grief

d) Demandes répétées d'essais

e) Évaluation médicale de la Maritime

f) Plainte présentée à la CCDP

g) Cellulomyalgie

h) Réclamation

i) Certificat d'aptitude de Transports Canada

j) Rapport d'évaluation d'aptitude au travail

k) Antécédents de travail et travaux ménagers

III. LE DROIT

A. Législation sur les droits de la personne

B. Recours à une preuve d'événements postérieurs à la libération

IV. ANALYSE

A. Preuve prima facie

B. Détermination des normes ayant entraîné le congédiement de M. Quigley

V. CONCLUSION

I. INTRODUCTION

[1] M. Quigley est cuisinier de profession. Depuis décembre 1988, il travaillait comme cuisinier sur des remorqueurs qui tiraient des chalands dans les voies navigables de la Colombie-Britannique. Ces remorqueurs étaient exploités par la division maritime d'Ocean Construction Supplies Ltd. (Ocean). À compter de 1991, M. Quigley a souffert de diverses affections médicales qui l'ont empêché de travailler régulièrement. Il a pris cinq congés d'invalidité entre 1991 et 1996.

[2] En 1993, on a diagnostiqué à M. Quigley le syndrome de la traversée thoracobrachiale (STT), maladie pour laquelle il a subi une chirurgie correctrice en janvier 1994. En août 1996, M. Quigley a demandé qu'on lui accorde un essai de travail comme matelot de pont afin de déterminer s'il était apte à recommencer à travailler dans ses nouvelles fonctions. Ocean a refusé pour des raisons de sécurité d'accéder à sa demande et a mis fin à son emploi.

[3] En l'espèce, il s'agit de déterminer si Ocean a mis fin à l'emploi de M. Quigley en raison de sa déficience physique et, le cas échéant, si cette décision était justifiable légalement.

II. FAITS

A. Activités d'Ocean

[4] Ocean Construction Supplies est une vaste entreprise qui a des bureaux en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Elle possède une division d'agrégats. Elle possède également une division maritime (nommée Ocean aux fins de la présente décision) qui achemine des produits du ciment à divers clients à l'aide de chalands. Les chalands sont remplis de sable, de gravier et de produits du ciment à divers quais de départ comme celui de Vancouver. Les remorqueurs traînent les chalands jusqu'à divers ports, où on les décharge. Ils ramènent ensuite au port d'origine les chalands vides afin qu'on les remplisse à nouveau. Ocean exploite ainsi divers parcours ou liaisons. Certains ports sont situés à proximité de Vancouver (p. ex., Granville Island, Victoria). Certaines destinations sont éloignées (p. ex., Seattle, l'Alaska).

[5] Par conséquent, Ocean exploite cinq navires : quatre navires de haute mer et un navire d'eaux intérieures. Au cours des années pertinentes, les navires de haute mer naviguaient 14 à 15 jours avant de retourner au quai d'origine. Par conséquent, les équipages vivaient et dormaient à bord des navires pendant environ 14 jours avant de retourner au point de départ. Ils étaient formés de quatre ou cinq personnes : un capitaine, qui surveillait l'ensemble des manœuvres, un capitaine en second et deux matelots de pont-cuisiniers qui s'occupaient des manœuvres d'accostage, attachaient ou détachaient les chalands, faisaient la cuisine et nettoyaient. Parfois, l'équipage comprenait également un mécanicien qui surveillait la salle des machines. Une fois à bord, les membres d'équipage effectuaient un quart de travail (six heures), puis se reposaient pendant six heures avant de faire un autre quart. Par exemple, le capitaine était de quart de midi à 18 h et le second prenait la relève de 18 h à minuit pour lui permettre de se reposer. De même, les deux matelots de pont-cuisiniers travaillaient en alternance par quarts, se relayant toutes les six heures.

[6] Le régime de travail à bord du seul navire d'eaux intérieures d'Ocean, l'Evco Crest, était différent. Ce navire était en service 24 heures sur 24 du lundi au vendredi : après avoir quitté le port, il effectuait un périple d'une douzaine d'heures au terme duquel il revenait vide au quai de départ à partir de destinations plus rapprochées comme Granville Island. Un équipage frais montait alors à bord du navire. Par conséquent, l'équipage, qui se composait du capitaine, lequel surveillait les manœuvres, et d'un seul matelot de pont, qui s'occupait des chalands, travaillait à bord du navire durant 12 heures. Le matelot de pont était de service pendant toute la période de 12 heures. Le navire n'était pas doté de couchettes. À bord de ce remorqueur, le matelot de pont n'accomplissait pas de tâches de cuisinier. Les membres d'équipage apportaient leurs repas. Ils bénéficiaient de deux jours de repos après cinq jours de travail. Par conséquent, le matelot de pont qui travaillait à bord de ce navire revenait au port d'origine chaque jour et pouvait dormir chez lui.

[7] L'effectif de la division maritime d'Ocean était formé d'une cinquantaine d'employés : des capitaines, des seconds et quelques mécaniciens qui étaient des officiers brevetés appartenant à une guilde. Les matelots de pont-cuisiniers et les matelots de pont étaient des non-officiers non brevetés qui faisaient partie d'un syndicat différent. Dans le cas de l'Evco Crest, Ocean employait trois matelots de pont permanents et trois capitaines permanents : un pour le poste de jour, un pour le poste de nuit et un pour les semaines où les deux autres équipages n'étaient pas de service. Ocean avait trois équipages de deux personnes. Dans la mesure du possible, les répartiteurs s'assuraient que les membres de chaque équipage avaient déjà travaillé ensemble et s'entendaient bien. C'était important pour des raisons de sécurité. Par exemple, tel ou tel capitaine pouvait préférer se tenir à une certaine distance d'un pont; le matelot de pont en venait au fil du temps à comprendre les habitudes du capitaine. Le capitaine préférait parfois que les chalands soient attachés à la proue d'une façon particulière. Les jours de tempête ou de brouillard, les tandems capitaine-matelot de pont expérimentés offraient une plus grande garantie de sécurité que les équipages inexpérimentés dont les membres n'avaient jamais navigué ensemble.

B. Jours de relâche

[8] Les équipages d'Ocean travaillaient 12 heures par jour. La rémunération qu'Ocean versait aux employés conformément à la convention collective était calculée sur une base mensuelle. Ocean payait ses employés comme s'ils avaient effectué une journée de travail de huit heures. Afin d'indemniser les employés de leurs heures supplémentaires, Ocean accordait à ces derniers des jours de relâche. La compagnie distinguait dans son système de comptabilité les jours noirs (ceux pour lesquels la compagnie devait de l'argent à l'employé) et les jours rouges (ceux pour lesquels l'employé devait des heures de travail à la compagnie). Comme le navire d'eaux intérieures (l'Evco Crest) n'était pas toujours en service, son équipage avait souvent des jours rouges, avec le résultat que les employés qui y étaient affectés avaient de la difficulté à accumuler des jours de relâche. En outre, étant donné que l'Evco Crest était doté d'un équipage restreint et que le navire assurait un service de navette ininterrompu, les employés qui y travaillaient devaient prendre leurs jours de relâche en fonction du calendrier de la compagnie.

C. Tâches du matelot de pont

[9] Les remorqueurs naviguaient souvent par gros temps. Les conditions n'étaient pas les mêmes que sur la terre ferme. La mer était souvent agitée et dangereuse. Le matelot de pont devait manipuler de gros câbles d'acier appelés câbles-brides. Ces câbles, dont le diamètre est de un pouce et quart, mesuraient environ 65 pieds de longueur et étaient munis à leur extrémité d'un œl de trois pieds. La manipulation des câbles-brides servant à attacher les chalands exigeait passablement de force. De façon générale, les tâches du matelot de pont étaient exigeantes physiquement. Les employés devaient être en bonne forme physique. Les lignes de flottaison devaient arriver à égalité avec le remorqueur qui retenait le chaland dans le bassin tandis que le matelot de pont détachait les cordages et les déposait sur le rivage. Ensuite, le matelot de pont devait, à l'aide d'une gaffe, soulever les câbles-brides pour les relier aux bollards, de gros fûts cylindriques en acier coulé installés en position verticale qui servaient à ancrer les navires. Souvent, il fallait faire des manœuvres en pleine mer pour détacher les chalands vides et les remplacer par des chalands remplis. Il était plus difficile d'accomplir ces tâches lorsqu'il faisait tempête. Le matelot de pont devait lever des poids lourds, tirer des charges vers le haut à la hauteur de sa poitrine tout en les empoignant et les tenant, se pencher en s'étirant pour saisir des objets, souvent dans l'obscurité, monter et descendre dans des échelles en mouvement à des hauteurs considérables au-dessus de la surface de l'eau ou de quais. Le matelot de pont était appelé à garder ses bras en avant et au-dessus de sa tête. Bref, c'était un travail physiquement exigeant qui impliquait de forcer, de s'étirer, de tirer des charges et de se pencher, souvent dans l'obscurité, pour ramasser des poids lourds.

[10] Les fonctions qu'accomplissait le matelot de pont sur l'Evco Crest étaient similaires à celles qu'exécutait le matelot de pont affecté à un navire de haute mer. Cependant, il n'y avait pas à bord des navires de haute mer d'employés qui se consacraient exclusivement aux tâches de matelot de pont. En haute mer, les matelots agissaient comme matelots de pont-cuisiniers. Tel qu'indiqué, les titulaires de ces postes accomplissaient à la fois des tâches de cuisinier/préposé au nettoyage et de matelot de pont. La principale différence résidait dans la proportion que représentaient les tâches de matelot de pont. En revanche, le matelot de pont affecté à un navire d'eaux intérieures exécutait des tâches de matelot de pont pendant les 12 heures que durait le périple quotidien. Même s'il y avait des périodes calmes, on peut penser que le matelot de pont accomplissait les tâches ardues de matelot de pont pendant une grande partie du temps. En revanche, le matelot de pont-cuisinier qui travaillait à bord d'un navire de haute mer partageait son temps presque moitié-moitié entre ses tâches de cuisinier et ses tâches de matelot de pont. Sur un navire de haute mer, le capitaine et l'officier pouvaient, en cas d'urgence, compter sur l'aide d'un deuxième matelot de pont et, parfois, d'un mécanicien. Sur l'Evco Crest, il n'y avait qu'un seul matelot de pont; celui-ci devait être plus compétent et plus en mesure de réagir à des difficultés et à des situations d'urgence que le matelot de pont travaillant sur un navire de haute mer. Le travail de matelot de pont à bord de l'Evco Crest était plus ardu que celui de matelot de pont-cuisinier sur un navire de haute mer.

[11] La réputation de l'industrie du transport maritime en ce qui concerne l'indemnisation des accidentés du travail n'est plus à faire. Les problèmes de santé les plus courants ont trait aux tours de rein. Il arrive que des employés soient écrasés entre le chaland et le remorqueur ou glissent et tombent. Si l'accident survient lorsque le navire est à proximité du rivage, un bateau-taxi est dépêché. Autrement, selon l'heure à laquelle le navire doit revenir au quai, un deuxième remorqueur est envoyé en hâte pour remplacer le premier.

D. Horaires de travail de l'équipage du Crest

[12] L'équipage du Crest étant restreint, la compagnie devait pouvoir compter sur des capitaines et des matelots de pont fiables. Les absences causaient des problèmes d'affectation, car il fallait retarder le départ de l'Evco Crest. Si un matelot de pont ne pouvait se présenter au travail parce qu'il était malade ou pour une autre raison, le répartiteur de la compagnie tentait de joindre le troisième matelot de pont qui bénéficiaient de journées de relâche. S'il n'y parvenait pas, il devait communiquer avec le bureau d'embauchage syndical pour lui demander d'envoyer en hâte un matelot de pont chevronné. Le syndicat mettait plusieurs heures pour répondre à la demande. Les répartiteurs demandaient au bureau en question d'envoyer des employés expérimentés pour travailler comme matelots de pont, particulièrement dans le cas du Crest.

E. Évaluations médicales : formalités administratives

[13] Lorsqu'un employé demandait de revenir au travail après un long congé d'invalidité, la démarche suivie par la compagnie était la suivante :

  1. L'employé devait demander à son médecin de famille de lui rédiger une lettre confirmant qu'à son avis, il était apte à réintégrer les fonctions qu'il exerçait avant son accident.
  2. L'employé devait ensuite être examiné par le médecin de la compagnie, qui déterminait s'il était apte à réintégrer son poste.
  3. La convention collective prévoyait qu'en cas de désaccord entre les médecins, il fallait demander à un médecin indépendant agréé à la fois par le syndicat de l'employé et la compagnie de rendre une décision définitive.
  4. Si l'employé était jugé apte au travail, on lui établissait un calendrier d'affectations.

Cette procédure était bien connue à l'échelle de la compagnie et conforme à la pratique dans l'industrie ainsi qu'à la Loi sur la marine marchande du Canada (1). La Loi sur la marine marchande du Canada exigeait que tout navire soit muni d'un équipage suffisant et compétent au point de vue de la sauvegarde de la vie humaine, en vue de son voyage projeté, et reste pourvu de cet équipage durant le voyage. Le fait de ne pas se conformer à cet article constituait une infraction.

[14] Cependant, la procédure régissant les certificats médicaux au sein de l'industrie du remorquage a été modifiée vers 1996. À compter de cette année-là, les matelots de pont devaient être jugés aptes à revenir au travail par un médecin désigné par le ministère des Transports du Canada plutôt que par leur propre médecin. C'est aujourd'hui encore la procédure à suivre selon la Loi sur la marine marchande du Canada et son règlement d'application.

F. Cas particulier de M. Quigley

[15] Examinons le cas particulier de M. Quigley à la lueur de ces pratiques et politiques.

i) Antécédents généraux

a) Introduction

[16] Aujourd'hui, M. Quigley est âgé de 43 ans. Il est marié et père de famille. Il a terminé sa 10e année. Il a occupé divers emplois : commis de ventes au détail, cuisinier de restaurant, plongeur, commis-débarrasseur, etc. Il a commencé à travailler chez Ocean comme cuisinier en décembre 1988 et est devenu par la suite matelot de pont-cuisinier.

[17] Malheureusement, M. Quigley est affligé depuis l'enfance de problèmes de santé, ressentant des douleurs particulièrement à la poitrine, au dos et aux bras. Ces douleurs ont été exacerbées par l'accident de motocyclette qu'il a subi en 1983. Bien qu'il fût jeune et frustré par son degré d'incapacité, il était déterminé à travailler pour assurer sa subsistance et celle de sa famille.

[18] Durant la période où il a travaillé chez Ocean, soit de 1991 à 1996, il a pris cinq congés de maladie de longue durée. Dans chaque cas, l'assureur était le même -- la Maritime Compagnie d'Assurance-Vie (Maritime).

b) Premier, deuxième et troisième congés

[19] En 1989, à l'occasion du décès de sa mère, M. Quigley a pris un congé de deuil (du début de décembre 1989 jusqu'au 14 avril 1990 -- premier congé). Il est revenu au travail le 15 avril 1990. Il a pris un deuxième congé (de la mi-octobre 1990 jusqu'au 2 mars 1991 -- deuxième congé) lorsque sa femme a accouché d'un mort-né et qu'il a subi une intervention chirurgicale au genou. Durant son absence, tous les postes de cuisinier et de matelot de pont chez Ocean ont été convertis en postes de matelot de pont-cuisinier à la faveur d'une reclassification. Par conséquent, le poste de M. Quigley a lui aussi été reclassé.

[20] M. Quigley est retourné au travail le 3 mars 1991 dans ses nouvelles fonctions de matelot de pont-cuisinier sur un navire de haute mer. À la fin de mars 1991, il a pris un autre congé d'invalidité (troisième congé) et est revenu au travail le 6 mai 1991. Durant son absence, M. Quigley à écrit à la compagnie. Dans sa lettre en date du 30 avril 1991, il a indiqué qu'il n'avait pas été initié à ses nouvelles fonctions de matelot de pont-cuisinier. Il a demandé à la compagnie de lui donner une formation structurée (sur un navire et à l'école de marine) pour s'assurer qu'il pouvait exécuter en toute sécurité ses tâches de matelot de pont. En réponse à cette lettre, Ocean a envoyé en 1991 M. Quigley suivre une formation de matelot de pont d'une journée donnée par le capitaine Harold Forward. La formation qu'il a reçu ce jour-là, était celle de troisième membre d'équipage d'un navire d'eaux intérieures doté normalement d'un équipage formé de deux employés.

c) Quatrième congé

[21] M. Quigley s'est ensuite blessé aux coudes et aux genoux en tombant dans un escalier, blessures qui ont résulté en une paralysie cubitale. En novembre 1991, il a présenté une réclamation pour invalidité en raison de complications causées par sa blessure aux coudes. Il était en attente d'une chirurgie correctrice et en proie au stress. En 1991, il a travaillé 115 jours comme matelot de pont-cuisinier. Le 12 novembre 1991, un médecin, le Dr Gordon, a rempli un formulaire d'invalidité, indiquant que M. Quigley était totalement inapte à remplir les fonctions de son poste et qu'il retournerait vraisemblablement au travail à la fin de mars 1992. La compagnie a gardé M. Quigley à son service pendant son congé d'invalidité (du 5 décembre 1991 au 4 avril 1993 -- quatrième congé). En 1991, on lui a également diagnostiqué des troubles affectifs saisonniers, état dont les symptômes étaient les suivants : irritation, confusion, fatigue et retrait social.

[22] Durant son congé, M. Quigley a subi une intervention chirurgicale aux coudes (avril 1992). Lorsqu'il est devenu évident que les symptômes persistaient malgré cette intervention, M. Quigley a consulté un chirurgien thoracique, le Dr Nelems. Le 30 juillet 1992, M. Quigley a rempli à la demande du Dr Nelems un questionnaire sur la douleur dans lequel il a déclaré ressentir des douleurs et des symptômes profonds. À l'occasion d'un examen en août 1992, le Dr Nelems a demandé à M. Quigley d'exécuter divers mouvements d'étirement au niveau du thorax (p. ex., lever les bras au-dessus de sa tête en les balançant). Les symptômes sont réapparus à chacun des gestes. M. Quigley ressentait également de la douleur lorsqu'il bougeait son cou, et ce même s'il pouvait mouvoir celui-ci dans tous les sens. Ses muscles de la région pectorale étaient sensibles au toucher autant à gauche qu'à droite. Le Dr Nelems lui a diagnostiqué le syndrome de la traversée thoracobrachiale des deux côtés. En clair, cela signifiait qu'il présentait un excédent de tissus fibreux et des brides fibreuses dans la région de la côte cervicale qui causaient un pincement des nerfs conduisant à son bras; ce problème était d'origine congénitale. Lorsque M. Quigley bougeait ses bras et ses épaules, les clavicules frottaient contre son plexus, refoulant celui-ci à un point trop élevé, ce qui provoquait une inflammation articulaire. Par conséquent, il ressentait de la douleur au niveau des muscles postoccipitaux, à l'arrière des épaules et dans les bras. Son bras droit le faisait souffrir davantage que son bras gauche. Il éprouvait une sensation d'engourdissement dans tous ses doigts. Dès qu'il s'adonnait à une activité qui exigeait qu'il garde les bras élevés et qu'il transporte des objets lourds, cette sensation s'amplifiait. Il éprouvait des picotements et des douleurs à l'intérieur de son avant-bras droit, ce qui lui causait des problèmes lorsqu'il conduisait sa voiture. Il avait de la difficulté à dormir. Il a dû renoncer à plusieurs passe-temps, notamment le golf, le hockey, la natation et le ski nautique. La force dans ses biceps droit et gauche a diminué de façon marquée, de même que la force de préhension de sa main droite. Le Dr Nelems a déclaré que la meilleure solution consisterait fort vraisemblablement en l'ablation de la côte douloureuse et des brides fibreuses.

[23] M. Quigley a entrepris des traitements continus et intensifs de physiothérapie.

[24] En novembre 1992, M. Quigley a obtenu une deuxième appréciation médicale. Le Dr Luoma a confirmé le diagnostic du syndrome de la traversée thoracobrachiale du côté droit. Il a également confirmé que toute activité l'obligeant à lever les bras au-dessus de sa tête ainsi que toute activité exigeant un effort physique aggraveraient ses symptômes. À son avis, M. Quigley serait incapable de retourner au travail s'il ne subissait pas une intervention chirurgicale.

d) Essais de travail de 1993

[25] Étant donné que ses médecins lui avaient décrit les risques que comportait l'intervention, dont le succès n'était pas garanti, M. Quigley était, tout naturellement, hésitant à subir une intervention importante. Au printemps de 1993, il a demandé à Ocean de lui accorder un essai dans l'espoir qu'il puisse revenir au travail. Il était très motivé à continuer de travailler. Il a alors produit une lettre de son médecin de famille confirmant qu'il était apte au travail.

[26] M. Quigley ayant été autorisé par son médecin de famille à revenir au travail, M. Chapman, le directeur de la division maritime d'Ocean, a dirigé le plaignant vers le médecin de la compagnie, le Dr Troffe, pour obtenir un second avis médical. Le Dr Troffe a examiné M. Quigley. Comme la situation semblait presque normale pour ce qui est de la force de ses bras, le médecin a jugé à l'époque qu'un essai de deux semaines serait sans danger. Cependant, le Dr Troffe a émis l'opinion que M. Quigley éprouverait constamment des problèmes lorsqu'il tirerait les lourds câbles-brides, que l'état de son avant-bras se détériorerait et qu'il déciderait éventuellement de subir une intervention chirurgicale ou de chercher un travail moins exigeant physiquement. Le Dr Troffe a recommandé que M. Quigley renonce à travailler dans l'industrie du transport maritime et trouve un emploi sédentaire. Il estimait que cela empêcherait la détérioration de sa côte cervicale et pourrait lui permettre d'éviter l'intervention.

[27] À ce moment-là, le gestionnaire des ressources humaines d'Ocean a recommandé de mettre fin à l'emploi de M. Quigley. Cependant, M. Chapman a accepté d'accorder à M. Quigley un essai de travail, conformément à l'appréciation du Dr Troffe. Dans son esprit, l'essai équivalait à un retour au travail. M. Chapman a fondé sa décision sur le fait que M. Quigley avait obtenu l'autorisation voulue de son médecin de famille et de celui de la compagnie. Par conséquent, il a accordé à M. Quigley quatre essais (9 avril 1993, 18 avril 1993, du 9 au 24 mai 1993 et 22 juillet 1993) au poste qu'il occupait avant son accident, soit celui de matelot de pont-cuisinier sur les navires de haute mer.

[28] Après ces quatre essais, M. Quigley s'est plaint à M. Chapman qu'il ne pouvait dormir sur le côté dans les couchettes étroites des navires de haute mer. Il a dit qu'il lui faudrait dormir sur le dos, mais que cela était impossible dans les petites couchettes. Il a demandé de faire un essai comme matelot de pont sur un navire d'eaux intérieures. Il estimait être en mesure de travailler pendant une période de 12 heures. Il pourrait ensuite rentrer à la maison et dormir confortablement dans son lit. Il aurait le temps de prendre ses médicaments contre la douleur et de relaxer avant de se rendre au travail le lendemain.

[29] M. Chapman a acquiescé à sa demande. Il l'a autorisé à faire un essai comme matelot de pont sur un remorqueur effectuant des trajets d'une douzaine d'heures. Le 19 août 1993, M. Quigley s'est vu accorder un essai sur l'Evco Crest sous la surveillance du capitaine Northcott. Ce dernier a jugé qu'il avait obtenu des résultats allant de piètres à satisfaisants dans cinq catégories de tâches différentes.

[30] En résumé, les résultats obtenus lors des cinq essais faits sur deux navires, sous la surveillance de cinq capitaines différents étaient les suivants :

· deux des cinq capitaines se sont prononcés contre le maintien en poste de M. Quigley;

· un capitaine a recommandé son maintien en poste et deux n'ont pas émis d'opinion à ce sujet;

· quatre des cinq capitaines ont indiqué qu'il avait une piètre attitude;

· un capitaine a expressément souligné que M. Quigley éprouvait des engourdissements dans son bras et sa main;

· les cinq capitaines ont tous indiqué que ses connaissances et compétences en tant que matelot de pont-cuisinier ou de matelot de pont laissaient à désirer;

· les cinq capitaines ont tous coté satisfaisante à piètre sa forme physique;

· le capitaine Northcott a jugé que son rendement sur l'Evco Crest se situait quelque part entre piètre et satisfaisant.

[31] À l'époque, M. Chapman n'a pas montré les évaluations à M. Quigley, pas plus qu'il ne lui a demandé de les commenter, parce qu'elles ne revêtaient pas un caractère disciplinaire. Cependant, sur la foi de ces évaluations, et plus particulièrement de l'essai sur l'Evco Crest, M. Chapman n'était pas convaincu que M. Quigley devait être promu au poste de matelot de pont sur l'Evco Crest. Après son dernier essai, M. Chapman s'est entretenu avec lui afin de déterminer quel plan d'action répondrait le mieux à ses intérêts. Ils ont discuté de la possibilité qu'il subisse une intervention chirurgicale. M. Quigley a dit à M. Chapman qu'il hésitait à subir l'intervention parce qu'il ne connaissait pas toute l'étendue de ses difficultés médicales. M. Quigley n'a pas cherché alors à se faire affecter à un des navires de haute mer, étant donné les difficultés qu'il avait éprouvées antérieurement en raison des horaires de travail. À la fin de l'entretien, M. Chapman et M. Quigley ont discuté de l'option consistant à demander des prestations d'invalidité de longue durée. M. Quigley a demandé à M. Chapman des formulaires d'invalidité. M. Chapman lui a remis les formulaires en question.

e) Cinquième congé

[32] M. Quigley a vu son médecin de famille, le Dr Lacroix. Cette dernière a rempli les formulaires d'invalidité, indiquant qu'il ressentait de la douleur et de la faiblesse dans les épaules, les bras et le cou, ce qui entravait sa capacité de travailler. Elle a écrit que M. Quigley avait été [Traduction] frappé d'une invalidité totale et totalement inapte au travail à compter du 25 août 1993. Elle n'était pas en mesure d'indiquer à la compagnie la date prévue de son retour au travail. Par conséquent, M. Quigley a pris un congé d'invalidité du 20 août 1993 à août 1996 (cinquième congé).

[33] Le 26 août 1993, le Dr Nelems, le chirurgien thoracique de M. Quigley, a confirmé par écrit au Dr Lacroix les risques que comportait la chirurgie. Il a indiqué qu'après l'intervention, 50 p. 100 des patients étaient totalement remis, 30 p. 100 constataient une nette amélioration mais manifestaient encore d'importants symptômes et 20 p. 100 ne voyaient aucune amélioration. Le même jour, il a écrit à M. Chapman pour lui expliquer en quoi consistait le STT. Il lui a fourni un rapport scientifique sur cette maladie. M. Chapman a lu le rapport. Le Dr Nelems a confirmé que M. Quigley souffrait de spasmes musculaires dans les bras et les épaules. Il a indiqué que la chirurgie était facultative et que M. Quigley n'était pas disposé à la subir. Compte tenu de l'information que M. Quigley lui avait fournie au sujet des deux régimes de travail possibles sur les remorqueurs d'Ocean, le Dr Nelems disait préférer le régime des 12 heures du navire d'eaux intérieures.

[34] M. Quigley a finalement décidé pour diverses raisons de subir l'intervention chirurgicale. Il ne pourrait continuer de travailler sans cela. En fait, lors de ses entretiens avec M. Chapman, il avait envisagé de toucher les prestations d'invalidité de longue durée et peut-être de subir l'intervention chirurgicale, puis de tenter de revenir travailler chez Ocean.

f) Chirurgie et état de santé après celle-ci

[35] Durant son congé d'invalidité, M. Quigley a subi en janvier 1994 une chirurgie correctrice (syndrome de la traversée thoracobrachiale du côté droit). Il a ensuite été en convalescence durant une longue période au cours de laquelle le Dr Nelems a continué de suivre l'évolution de son état de santé. Le Dr Nelems a présenté des rapports à l'assureur sur l'état de santé de M. Quigley; toutefois, ni M. Chapman ni personne d'autre chez Ocean n'a reçu ces rapports.

[36] L'évolution de l'état de santé de M. Quigley à la suite de l'intervention est décrite ci-après. En juillet 1994, le Dr Lacroix a examiné M. Quigley, qui s'est plaint de douleurs au bras et de picotements dans les doigts. Il était incapable de lever des charges. Même les travaux ménagers ou de jardinage légers lui causaient des douleurs dans le bras et dans les épaules. Le Dr Lacroix espérait qu'il pourrait reprendre le travail à temps plein en 1995. En février 1995, le Dr Nelems avait bon espoir que M. Quigley puisse tenter un retour au travail, ce dernier ayant fait état d'une amélioration de 60 p. 100. Cependant, M. Quigley continuait de ressentir de la douleur et avait moins de poigne. Il n'éprouvait plus, par ailleurs, de sensation d'engourdissement et son état de santé général était meilleur. Même si M. Quigley se plaignait de douleur accrue lorsqu'il faisait des mouvements répétitifs, le Dr Nelems a indiqué qu'il pourrait reprendre le travail en avril 1995, si son médecin de famille, le Dr Lacroix, lui donnait le feu vert. M. Quigley n'a à aucun moment expliqué au Dr Nelems en quoi consistaient précisément les fonctions de matelot de pont ou de matelot de pont-cuisinier, ni en quoi les deux postes étaient distincts. Compte tenu de l'idée générale qu'il s'était faite du milieu de travail de M. Quigley à la lumière des observations de celui-ci, le Dr Nelems préconisait un retour au travail sous surveillance sur le navire dont l'équipage était soumis au régime des 12 heures, l'Evco Crest.

[37] M. Quigley a commencé à faire de l'exercice en prévision de son retour au travail. Toutefois, il ressentait de la douleur lorsqu'il nageait ou patinait. Le Dr Lacroix a recommandé à l'assureur, la Maritime, un programme de conditionnement au travail. M. Quigley a commencé le 8 mai 1995 à suivre un tel programme au Westbank Physiotherapy Center. À ce moment-là, M. Quigley ressentait de la douleur du côté droit du cou ainsi que dans l'épaule et le bras droits. La douleur prenait la forme d'un malaise qui s'aggravait plus il se servait de son bras. En outre, il éprouvait de fréquentes migraines et une paresthésie (engourdissement) dans sa main droite et dans tous ses doigts. Il avait de la difficulté à dormir. Il a subi des tests de force et d'endurance cardiorespiratoire et a obtenu de piètres résultats. Cependant, le 27 juillet 1995, son physiothérapeute, Randy Goodman, a estimé qu'il avait fait d'excellents progrès. Il a recommandé quatre semaines supplémentaires d'entraînement aux poids et des traitements occasionnels de physiothérapie pour réduire systématiquement la douleur. M. Quigley était en mesure d'accomplir plus de tâches à la maison (p. ex., couper le gazon, lever des boîtes), mais son bras se fatiguait encore vite. Ce n'est qu'après 12 heures que ses symptômes se résorbaient et qu'il pouvait faire à nouveau du travail.

[38] Le Dr Nelems l'a revu en septembre 1995. Il a alors signalé que M. Quigley avait perdu dix livres. M. Quigley a indiqué que son tronc supérieur et ses épaules allaient nettement mieux, mais qu'il ne constatait guère d'amélioration au niveau de son coude et de son tronc inférieur. Il n'était pas encore prêt à reprendre le travail.

[39] Le 10 octobre 1995, le Dr Nelems a écrit au Dr Lacroix. Il lui a confirmé que les tâches ardues de nature répétitive (p. ex., couper le gazon, passer l'aspirateur) risquaient d'aggraver ses symptômes. Le 23 octobre 1995, le Dr Lacroix a écrit à l'assureur pour lui confirmer que M. Quigley continuait d'éprouver des problèmes avec sa hanche, son genou et son coude droits. Elle a également signalé que M. Quigley avait consulté un chirurgien orthopédiste au sujet de sa bursite à la hanche. Elle avait bon espoir qu'il puisse reprendre le travail dans quelques mois.

g) Cessation des prestations d'invalidité de longue durée

[40] Le 17 mai 1996, l'assureur, la Maritime, a cessé de verser à M. Quigley des prestations. Il avait d'abord cessé de recevoir des prestations à compter du 15 juillet 1996; toutefois, la période de prestations a par la suite été prolongée jusqu'en septembre 1996. La position de la Maritime était la suivante : M. Quigley était apte à reprendre le travail dans les quatre à six semaines et à effectuer un travail pour lequel il pourrait recevoir un salaire équivalant à 60 p. 100 de celui que lui procurait son emploi. Les dispositions de la Maritime en matière de prestations prévoyaient que le réclamant devait pendant les trois premières années prouver qu'il n'était pas apte à exercer les fonctions de son poste, c'est-à-dire en l'occurrence celles de matelot de pont-cuisinier. Après cette période, le réclamant devait prouver qu'il était inapte à accomplir quelque travail que ce soit qui lui rapporterait au moins 60 p. 100 du salaire qui lui était versé. La Maritime a transmis à M. Chapman copie de cette lettre.

h) Demande d'essai de travail (1996)

[41] Le 6 juillet 1996, le Dr Lacroix a écrit à la Maritime pour demander de prolonger la période de prestations. Elle a précisé que M. Quigley avait contracté une infection des oreilles qui causait des étourdissements et qu'il n'avait pu, pour cette raison, se rendre souvent au gymnase. Par conséquent, son état de santé n'avait pas progressé aussi rapidement qu'elle l'avait espéré en prévision de son retour au travail.

[42] Plus tard ce mois-là, un physiothérapeute du nom de Roy Gillespie s'est entretenu avec la Maritime. Il a indiqué que M. Quigley avait participé à un programme intensif de réadaptation et de conditionnement au travail. Il a alors affirmé qu'on devrait accorder un essai de travail à M. Quigley.

[43] Ni le plaignant ni ses médecins ni ses physiothérapeutes n'ont communiqué avec M. Chapman au sujet de l'état de santé de M. Quigley entre août 1993 et août 1996. Avant de recevoir la lettre du Dr Nelems en date du 6 août 1996, M. Chapman n'avait pas reçu de rapports médicaux ni de mises à jour sur l'état de santé de M. Quigley.

[44] Le même jour, le Dr Nelems a reçu M. Quigley. Cela faisait presque un an qu'il ne l'avait pas revu. Le 6 août 1996, le Dr Nelems a écrit au Dr Lacroix une lettre dont il a transmis copie à M. Chapman. Dans cette lettre, le Dr Nelems confirmait que M. Quigley lui avait indiqué que l'état de son côté droit s'était amélioré d'environ 60 p. 100, mais qu'il n'était pas entièrement rétabli. Il indiquait également que M. Quigley avait atteint un plateau pour ce qui est de son côté droit. Le Dr Nelems faisait observer au sujet de ses symptômes qu'il avait [Traduction] de bonnes journées et de mauvaises journées. Son pronostic était que M. Quigley aurait à suivre des traitements de physiothérapie et un programme d'exercice. Il confirmait que toute activité particulièrement problématique faite par M. Quigley ravivait la douleur. Le Dr Nelems estimait qu'il avait fait du progrès mais qu'il continuerait d'éprouver des problèmes. En outre, il était d'avis que l'affection thoracique du côté gauche de M. Quigley s'était détériorée et qu'il faudrait suivre l'évolution de ce problème. Le Dr Nelems a écrit :

[Traduction]

"Le plus grand dilemme de Pat à ce moment-ci consiste à déterminer s'il devrait tenter un retour au travail à temps partiel sur les remorqueurs. Pat est le seul en mesure de décider ce qu'il convient le mieux de faire et le seul à pouvoir déterminer avec certitude si un tel essai est une réussite ou un échec. Il sera le seul juge là-dessus."

À ce moment-là, le Dr Nelems a confirmé que M. Quigley devait continuer de prendre des analgésiques pour diminuer la douleur. À ce sujet, il a écrit :

[Traduction]

En ce qui concerne son retour possible au travail, il faudrait que sa compagnie soit très souple pour ce qui est de son horaire. Si elle ne fait pas montre de souplesse quant à la fréquence et au nombre de ses affectations, il est évident que sa tentative de retour au travail s'avérera un échec.

[45] Lorsqu'il a lu cette lettre, M. Chapman a craint que l'intervention n'ait pas été couronnée de succès et que l'état de M. Quigley se soit détérioré. Il avait maintenant une affection thoracique du côté gauche. Malgré ces préoccupations, M. Chapman est demeuré ouvert à l'idée de rencontrer M. Quigley pour discuter de son état et de son retour possible au travail. M. Chapman a rencontré M. Quigley dans la semaine du 13 août 1996. À cette occasion, M. Chapman a convenu avec M. Quigley que celui-ci semblait être dans une [Traduction] bonne forme [physique]. M. Quigley a dit à M. Chapman qu'il ne pouvait exercer ses fonctions de matelot de pont-cuisinier sur les navires de haute mer, en raison de l'horaire de travail et du temps qu'il fallait pour que les effets de ses médicaments s'estompent. Il a alors demandé qu'on l'autorise à travailler comme matelot de pont sur l'Evco Crest. Cependant, M. Chapman a discuté des préoccupations qu'avait suscitées la lecture du rapport du Dr Nelems. Il a affirmé que M. Quigley ne semblait pas apte à travailler comme matelot de pont sur l'Evco Crest. M. Quigley a répondu en demandant à M. Chapman de s'entretenir directement avec le Dr Nelems au sujet de sa lettre. Il a également demandé à M. Chapman de parler à son représentant syndical, M. Al Engler. M. Chapman a acquiescé aux deux demandes.

[46] Le 28 août 1996, M. Chapman a parlé au Dr Nelems. Lors de cette conversation, il a expliqué au Dr Nelems la nature et les exigences du travail sur l'Evco Crest. Il a informé le Dr Nelems qu'il s'agissait d'un navire doté d'un équipage de deux personnes effectuant des trajets d'une douzaine d'heures. Il a demandé au Dr Nelems si une personne dans la situation de M. Quigley serait en mesure de travailler sur un navire comme l'Evco Crest. Tout en continuant d'être en faveur d'un essai sur l'Evco Crest, le Dr Nelems s'est dit d'accord avec l'analyse de M. Chapman, à savoir qu'il ne serait pas sécuritaire d'affecter M. Quigley à un navire doté d'un équipage de deux hommes. Le raisonnement de M. Chapman était que dans le cas où M. Quigley ne serait pas en mesure d'accomplir ses tâches, l'équipage ne serait pas suffisamment nombreux. Il existait un réel danger d'échec. En cas d'échec, l'équipage et le navire seraient en péril.

[47] Après cette conversation, croyant que le Dr Nelems approuvait son raisonnement, M. Chapman a parlé à M. Engler de la situation de M. Quigley. Il lui a lu des parties de la lettre du Dr Nelems tout en indiquant que, compte tenu du diagnostic de celui-ci, il n'avait d'autre choix que de mettre fin à l'emploi de M. Quigley à ce moment-là. M. Chapman a également consulté le gestionnaire des ressources humaines de la compagnie.

[48] Après ces consultations, M. Chapman croyait que M. Quigley était inapte à retourner au travail ou à faire un essai comme matelot de pont. Il estimait qu'il n'était pas sécuritaire de le soumettre à un essai comme matelot de pont sur l'Evco Crest, pour les raisons suivantes :

· M. Quigley n'avait pas obtenu de son médecin de famille ou d'un spécialiste de certificat confirmant qu'il était apte à réintégrer les fonctions de matelot de pont-cuisinier qu'il occupait avant l'accident, conformément aux exigences de la loi et à la pratique dans l'industrie. M. Quigley avait obtenu un tel certificat en 1993 avant de retourner au travail pour effectuer ses essais.

· Le rendement de M. Quigley comme matelot de pont-cuisinier ou matelot de pont lors des essais de travail de 1993 préalables à l'intervention chirurgicale n'avait pas été satisfaisant. Dans son rapport portant sur l'essai d'une journée sur l'Evco Crest, le capitaine Northcott avait qualifié le rendement de M. Quigley tout juste satisfaisant tout en indiquant qu'il pourrait avoir des conflits de personnalité avec d'autres. Le capitaine Guy avait expressément signalé que M. Quigley avait éprouvé une sensation d'engourdissement dans les bras au cours de son essai de juillet 1993 sur un navire de haute mer. M. Chapman croyait qu'il serait peut-être en proie à des difficultés permanentes.

· Voilà que le Dr Nelems confirmait maintenant que la chirurgie n'avait pas résolu le problème du STT de M. Quigley, que l'état de celui-ci avait atteint un plateau et qu'il avait développé le syndrome du côté gauche de son corps. De plus, le Dr Nelems confirmait que la douleur réapparaîtrait dès que M. Quigley s'adonnerait à une activité particulièrement problématique.

· M. Quigley n'avait jamais travaillé comme matelot de pont, abstraction faite de l'essai d'une journée effectué en 1993 et de la séance de formation d'une journée donnée par le capitaine Forward en 1991. Le poste de matelot de pont était plus exigeant que celui de matelot de pont-cuisinier occupé par M. Quigley. Ce dernier refusait de travailler sur les navires de haute mer et demandait d'être affecté à son retour à l'Evco Crest, où le travail était encore plus exigeant physiquement. En fait, M. Quigley, un cuisinier de profession, n'avait pas beaucoup travaillé comme matelot de pont-cuisinier, avait reçu une formation limitée et avait été absent du travail depuis 1993 pour des raisons médicales.

[49] Dans son témoignage, M. Chapman a affirmé candidement que si M. Quigley avait obtenu de son médecin un certificat d'aptitude et si le médecin de la compagnie avait corroboré l'opinion du premier médecin, il l'aurait réaffecté au poste qu'il occupait avant son invalidité. Si le poste n'avait pas été vacant, M. Chapman aurait alors discuté avec le syndicat des mesures d'accommodement possibles. On aurait pu lui offrir un autre emploi pour lequel il avait ou aurait pu recevoir la formation nécessaire.

[50] À ce moment-là, M. Chapman n'a pas examiné d'autres possibilités d'emploi au sein de la compagnie, M. Quigley étant résolu à travailler comme matelot de pont sur l'Evco Crest à son retour.

[51] Se fondant sur les motifs mentionnés ci-dessus, M. Chapman a pris la décision de mettre fin à l'emploi de M. Quigley. Il a écrit une lettre de cessation d'emploi en date du 29 août 1996 confirmant à M. Quigley qu'il s'était entretenu avec le Dr Nelems et M. Engler au sujet de sa demande d'essai sur l'Evco Crest dans la perspective d'un retour au travail. À ce moment-là, M. Chapman n'a pas demandé à M. Quigley de consulter le médecin de la compagnie, car il était d'avis que cela n'était pas nécessaire puisque M. Quigley n'avait pas obtenu de son médecin une confirmation quant à son aptitude à revenir au travail.

[52] La compagnie a établi un relevé d'emploi indiquant que M. Quigley avait bénéficié de prestations de maladie et n'avait pas été en mesure de réintégrer ses fonctions de matelot de pont-cuisinier sur les navires de haute mer, et que la compagnie n'avait pas d'autres postes à lui offrir.

ii) État de M. Quigley après sa cessation d'emploi

a) Précisions fournies par le Dr Nelems après la cessation d'emploi

[53] Le 13 septembre 1996, M. Quigley a revu le Dr Nelems, qui ne savait pas que son patient n'était plus à l'emploi d'Ocean. Le Dr Nelems a écrit à nouveau à M. Chapman pour confirmer la conversation qu'il avait eue avec lui le 28 août 1996. Le Dr Nelems a reconnu que M. Chapman serait confronté à un problème de sécurité si un des deux membres d'équipage à bord du navire effectuant des trajets d'une douzaine d'heures était un employé en voie de rétablissement. [Traduction] La logique voulait que si un des deux hommes effectuait un essai, il y avait vraiment un risque d'échec. Le Dr Nelems a confirmé que M. Quigley était disposé à faire un essai à ses frais en tant que troisième membre d'équipage. Par ailleurs, M. Quigley était prêt à signer un formulaire d'exonération de responsabilité et à se soumettre à un programme de réentraînement à l'effort sans rémunération.

[54] M. Chapman n'a pas répondu à cette lettre, car M. Quigley n'était plus à l'emploi d'Ocean. En outre, la lettre ne contenait pas à son avis d'éléments d'information nouveaux. En 1993, alors qu'il manifestait les symptômes du STT du côté droit seulement, M. Quigley avait obtenu un essai comme troisième membre d'équipage sur l'Evco Crest. Toutefois, le Dr Nelems ne savait pas, au moment où il a écrit la lettre, que M. Quigley avait obtenu un tel essai avant l'intervention chirurgicale.

b) Cessation des prestations d'invalidité de longue durée

[55] Le 4 septembre 1996, la Maritime a finalement annulé les prestations d'invalidité de longue durée de M. Quigley. Sa position était la suivante : M. Quigley n'était pas en mesure de réintégrer ses fonctions de matelot de pont-cuisinier, mais il pouvait exercer d'autres emplois (p. ex., cuisinier).

c) Grief

[56] Le 11 septembre 1996, M. Quigley a demandé à son syndicat de présenter un grief parce que la compagnie avait refusé qu'il retourne au travail. M. Engler appuyait M. Quigley. Il a expliqué les options qui s'offraient à lui : déposer un grief contre la compagnie et en appeler de la décision de la compagnie d'assurance de mettre fin à ses prestations d'invalidité de longue durée. M. Engler a dit à M. Quigley que le syndicat n'avait pas qualité pour intervenir auprès de la compagnie d'assurance; il lui a conseillé de retenir les services d'un avocat pour en appeler de la décision de la Maritime, ce qu'il a fait. M. Engler a conseillé à M. Quigley de ne pas mener les deux démarches de front (dépôt d'un grief et appel), précisant que celles-ci étaient foncièrement contradictoires et qu'il ne serait pas avantageux de procéder ainsi. Il a recommandé la deuxième option. Le 31 octobre 1996, le syndicat a informé M. Quigley qu'il ne présenterait pas son grief, compte tenu des circonstances entourant son cas et de son état de santé.

[57] Mécontent de cette décision, M. Quigley a porté plainte devant le Conseil canadien des relations du travail, alléguant que son syndicat avait agi de mauvaise foi à son endroit de deux façons :

· le syndicat ne l'avait pas représenté de façon adéquate et convaincante auprès de l'assureur pour ce qui est de sa demande de rétablissement des prestations d'invalidité de longue durée;

· le syndicat avait omis de présenter son grief demandant qu'il puisse réintégrer ses fonctions après que l'assureur ait mis fin à ses prestations.

[58] Le syndicat a soutenu que la preuve médicale révélait que M. Quigley était totalement inapte à retourner au travail et à occuper un emploi, quel qu'il soit, et que ce n'était que sa détermination irréaliste à travailler qui avait amené la Maritime à conclure qu'il pouvait exercer un emploi.

[59] Durant ce processus de plainte, M. Engler, en toute bonne foi, a demandé à la Maritime de reconsidérer sa décision de mettre fin aux prestations de M. Quigley.

[60] Le 24 décembre 1997, le Conseil canadien des relations du travail a rendu une décision concluant que le syndicat s'était acquitté de son devoir de juste représentation à l'égard de M. Quigley. Il a conclu que M. Quigley était [Traduction] le responsable de son malheur, car il avait tenté d'atteindre deux buts contradictoires, soit obtenir le rétablissement de ses prestations d'invalidité de longue durée et retourner au travail (2).

d) Demande répétée d'essais de travail

[61] Le Dr Nelems a continué jusqu'en octobre 1996 à demander à M. Chapman d'accorder à M. Quigley un essai de travail. Fait étonnant, il ne savait toujours pas que M. Quigley n'était plus à l'emploi d'Ocean. En novembre 1996, le Dr Nelems a constaté que M. Quigley était désemparé et a recommandé qu'il fasse l'objet d'une évaluation ergonomique pour déterminer le genre de travail qu'il pouvait faire. Le Dr Nelems a candidement reconnu qu'il ne possédait pas une telle expertise.

[62] En décembre 1996, le Dr Lacroix, à l'appui de la demande de prestations d'invalidité de M. Quigley, a écrit que celui-ci était incapable de travailler en raison de son état de santé. Ultérieurement, le Dr Lacroix a écrit dans une lettre en date du 22 avril 1997 que M. Quigley [Traduction] n'aurait pas été en mesure depuis le 15 juillet 1996 d'effectuer un travail différent pour lequel il aurait touché une rémunération équivalant à 60 p. 100 de celle qu'il touchait auparavant, sans se recycler au préalable. Elle a confirmé que M. Quigley désirait alors retourner au travail. Sa lettre se terminait comme suit :

[Traduction]

Cependant, même si les médecins, ses spécialistes et moi-même le soutenions dans son désir de retourner au travail, nous estimions que, médicalement parlant, il n'était pas en mesure de reprendre le travail et qu'il ne serait vraisemblablement jamais en mesure de réintégrer ses fonctions difficiles sur les navires.

[63] Les notes du 21 avril 1997 du Dr Lacroix indiquent qu'elle a encouragé M. Quigley à renoncer à travailler sur les navires. Elle a écrit :

[Traduction]

Je lui ait dit CATÉGORIQUEMENT d'accepter cette réalité, de tourner la page et de suivre un cours en vue de faire un travail à sa portée.

[64] Le Dr Nelems a continué de voir M. Quigley. Il n'a pas recommandé de chirurgie pour remédier au STT du côté gauche, compte tenu du succès mitigé de l'intervention chirurgicale visant à corriger le même problème du côté droit. Le 16 septembre 1997, le Dr Nelems a confirmé qu'il ne croyait pas que M. Quigley était apte au travail, à moins qu'on ne puisse l'affecter au poste dont il avait été question, c'est-à-dire celui de matelot de pont sur le navire dont l'équipage était soumis au régime des 12 heures. À ce moment-là, il n'avait pas encore été informé de la cessation d'emploi de M. Quigley.

e) Évaluation médicale de la Maritime

[65] Le 13 novembre 1997, M. Quigley s'est présenté au Dr Hirsch, le médecin de la Maritime, afin de se soumettre à une évaluation médicale. Le Dr Hirsch a noté que M. Quigley se plaignait de douleurs quotidiennes constantes aux épaules, aux coudes et aux poignets et éprouvait une sensation de fatigue dans ces articulations. Il a expliqué qu'il ressentait une sensation de picotement ou de brûlure dans ses membres supérieurs. M. Quigley a indiqué qu'il avait de bonnes journées et de mauvaises journées. Il avait constamment l'impression que ses épaules étaient disloquées. En outre, il éprouvait constamment une sensation d'engourdissement dans ses bras et ses mains. Lorsqu'il agrippait fermement un objet, il avait l'impression d'avoir frappé un os sensible. Il disait éprouver des douleurs à la gauche et à la droite du cou ainsi qu'une douleur dans tout son dos qui descendait jusqu'à ses fesses et parfois jusqu'à ses genoux et orteils. Il avait des engourdissements dans les orteils et les hanches. Selon lui, ces symptômes, particulièrement les douleurs au cou et aux bras, avaient commencé vers 1982. Malgré ces douloureux symptômes, le Dr Hirsch estimait à l'époque que M. Quigley pouvait travailler à tout le moins à temps partiel et probablement à temps plein, comme matelot de pont-cuisinier ou matelot de pont.

[66] Le Dr Hirsch n'a pas décelé de symptômes du STT ou d'affections nerveuses connexes. Il a diagnostiqué à M. Quigley le syndrome d'amplification de la douleur. M. Quigley a intenté contre la Maritime une poursuite au civil pour contester cette évaluation.

f) Plainte présentée à la CCDP

[67] La plainte qui nous intéresse a été déposée par M. Quigley le 27 février 1998. En dépit du délai, la CCDP a décidé d'examiner la plainte parce que M. Quigley avait communiqué avec elle dans l'année qui avait suivi la dernière allégation de discrimination et qu'on lui avait par erreur conseillé de porter plainte à la Commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique.

g) Cellulomyalgie

[68] En mars 1998, un rhumatologue, le Dr Jones, a diagnostiqué à M. Quigley une cellulomyalgie. M. Quigley a reçu à nouveau des traitements de physiothérapie en 1998. Depuis 1996, son état physique s'était détérioré. Toutefois, il désirait toujours retourner au travail.

h) Réclamation

[69] Le 14 octobre 1998, M. Quigley a présenté à la Maritime une réclamation dans laquelle il alléguait que cette dernière avait mis fin à tort à ses prestations à compter du 15 juillet 1996. Il prétendait qu'il avait été incapable d'exercer quelque emploi que ce soit à compter de cette date, qu'en plus de souffrir du STT, il était atteint de cellulomyalgie, et que l'intervention de janvier 1994 visant à remédier au STT avait exacerbé ses maux de tête, sa fatigue, son irritation intestinale, sa paresthésie et son état dépressif.

[70] En 1999, le nouvel avocat de M. Quigley a modifié sa réclamation, alléguant qu'en janvier 1991 ou vers cette époque, le plaignant, en raison de la maladie, était devenu totalement inapte à exercer ses fonctions normales chez Ocean et que son état d'invalidité persistait. La réclamation confirme que M. Quigley a demandé le versement de prestations d'invalidité de longue durée à compter du 1er janvier 1991 et que la Maritime lui a versé de telles prestations jusqu'en septembre 1996.

i) Certificat d'aptitude de Transports Canada

[71] De son propre chef, M. Quigley a pris rendez-vous, le 10 septembre 1999, avec le Dr Klarke, un médecin agréé par Transports Canada, pour déterminer s'il était apte à retourner au travail. Selon l'évaluation du Dr Klarke, M. Quigley était apte à travailler comme matelot de pont; la seule restriction dont il a fait état était qu'il portait des verres.

j) Rapport d'évaluation d'aptitude au travail

[72] En mai 2001, un ergothérapeute a établi un rapport d'aptitude au travail pour le compte de la Maritime. Dans ce rapport, le spécialiste a décrit les activités courantes (y compris les activités de loisirs) qui causaient des difficultés à M. Quigley. On peut lire dans la longue liste que lever les bras vers le haut en les étirant entraînait des douleurs dans les épaules, avivait la douleur au niveau du cou et entraînait des picotements dans les doigts. Les résultats des tests d'aptitude de M. Quigley étaient piètres pour ce qui est de la souplesse, des muscles abdominaux, de la performance aérobie et de l'indice de masse corporelle. Compte tenu de la description que M. Quigley a faite des tâches du cuisinier et du matelot de pont, et sur la foi des évaluations fournies dans la CNP (3), le spécialiste a conclu que M. Quigley pourrait exécuter autant les tâches du cuisinier que celles du matelot de pont. Le rapport concluait qu'il serait en mesure d'exécuter des tâches dans la position sédentaire qui exigent une force légère ou moyenne. Toutefois, c'est à tort qu'il a indiqué que le travail de matelot de pont exigeait une force moyenne, étant donné que l'évaluation pertinente de la CNP correspondait à la catégorie Matelots de pont du transport par voies navigables. La description qui correspond à cette catégorie précise qu'il faut lever des charges lourdes.

k) Antécédents de travail et travaux ménagers

[73] De 1994 jusqu'à maintenant, M. Quigley n'a exercé aucun emploi. Toutefois, il s'est adonné à deux activités qui l'intéressent : d'une part, il a aidé son beau-père qui exploite une petite entreprise qui vend du sirop d'érable, travail qui exige souvent de lever et de transporter de grosses barriques; d'autre part, il a travaillé brièvement (juillet 2000) dans l'industrie des pipelines. Il n'a pas tenté de trouver un emploi de cuisinier, car il estimait que le travail de matelot de pont était plus gratifiant.

[74] En ce qui concerne les travaux ménagers, il avait de la difficulté à utiliser la tondeuse à cause des vibrations.

III. LE DROIT

A. Législation sur les droits de la personne

[75] Après que M. Quigley eut déposé sa plainte, la Cour suprême du Canada a redéfini la méthode à adopter dans les affaires de discrimination. Elle a décrit la nouvelle méthode dans les arrêts Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (4) [appelé également Meiorin] et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights) [appelé également Grismer] (5). La distinction classique entre la discrimination directe et la discrimination indirecte fait place désormais à une méthode unifiée de traitement des plaintes relatives aux droits de la personne. Selon cette méthode, il incombe d'abord à la partie plaignante d'établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée (6).

[76] Une fois qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie, il revient à la partie intimée de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la politique ou norme discriminatoire comporte une exigence professionnelle justifiée. Le moyen de défense fondé sur une exigence professionnelle justifiée découle de l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (7), qui régit les cessations d'emploi comme celle dont il s'agit en l'espèce. Pour prouver l'existence d'une exigence professionnele justifiée, la partie intimée doit prouver :

  1. qu'elle a adopté la norme à une fin ou dans un but qui est rationnellement lié à la fonction exécutée. À cette étape, l'analyse porte non pas sur la validité de la norme particulière en cause, mais plutôt sur la validité de son objet plus général, par exemple la nécessité d'exécuter la tâche de manière sûre et efficace. Si l'objet général est d'assurer l'exécution de la tâche de manière sûre et efficace, il ne sera pas nécessaire de consacrer beaucoup de temps à cette étape;
  2. qu'elle a adopté la norme en question en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail, et sans qu'elle ait eu l'intention de faire preuve de discrimination envers le demandeur. À cette étape, l'analyse passe de l'objet général de la norme à la norme particulière elle-même;
  3. que la norme contestée est raisonnablement nécessaire pour atteindre le but poursuivi, c'est-à-dire l'exécution de la tâche de manière sûre et efficace. L'employeur doit démontrer qu'il ne peut composer avec le demandeur et les autres personnes touchées par la norme sans subir une contrainte excessive. La Cour a statué qu'il est souvent plus utile dans la pratique d'examiner la procédure, s'il en est, qui a été adoptée pour évaluer la question de l'accommodement. En outre, la teneur réelle d'une norme plus conciliante qui a été offerte par l'employeur doit être adaptée à chaque cas. Subsidiairement, l'employeur doit justifier pourquoi il n'a pas offert une telle norme.

[77] La Loi en vigueur aux époques pertinentes ne faisait pas état du concept de contrainte excessive, qui découle de la jurisprudence (8). Toutefois, les arrêts Meiorin et Grismer comportent des paramètres qui permettent de déterminer si une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée a été établie. Dans Meiorin, la Cour suprême a fait observer que l'utilisation du mot excessive laisse supposer qu'une certaine contrainte est acceptable; pour satisfaire à la norme, il faut absolument que la contrainte imposée soit excessive (9). Il peut être idéal, du point de vue de l'employeur, de choisir une norme d'une rigidité absolue. Encore est-il que, pour être justifiée en vertu de la législation sur les droits de la personne, cette norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques, ainsi que de la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n'impose aucune contrainte excessive.

[78] La Cour suprême a également fait remarquer que le défendeur, afin de prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, a toujours le fardeau de démontrer qu'elle inclut toute possibilité d'accommodement sans qu'il en résulte une contrainte excessive (10). Il incombe au défendeur d'établir qu'il a examiné et raisonnablement rejeté toutes les formes viables d'accommodement. Le défendeur doit démontrer qu'il était impossible d'incorporer dans la norme des aspects d'accommodement individuels sans qu'il en résulte une contrainte excessive (11). Dans certains cas, le coût excessif peut justifier le refus de composer avec les personnes atteintes de déficiences. Toutefois, il faut se garder de ne pas accorder suffisamment d'importance à l'accommodement. Il est beaucoup trop facile d'invoquer l'augmentation des coûts pour justifier le refus d'accorder un traitement égal (12). L'adoption de la norme du défendeur doit être étayée par des éléments de preuve convaincants. Une preuve impressioniste, d'une augmentation des dépenses ne suffit pas généralement (13). On devrait songer à des moyens d'accommodement innovateurs et non pécuniaires pratiques. Enfin, les facteurs tels que le coût des méthodes d'accommodement possibles devraient être appliqués d'une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas (14). Comme l'a fait observer le juge Cory dans Chambly c. Bergevin [1994] 2 R.C.S. 525, ce qui peut être parfaitement raisonnable en période de prospérité est susceptible d'imposer à un employeur un fardeau financier déraisonnable en période de restrictions budgétaires ou de récession.

B. Recours à une preuve d'événements postérieurs au congédiement

[79] En droit du travail, une preuve ex post facto n'est recevable que lorsqu'elle est pertinente relativement à la question, c'est-à-dire lorsqu'une telle preuve aide à clarifier si le congédiement était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné (15). La Cour a indiqué qu'en règle générale, l'arbitre qui examine une décision de congédier un employé devrait confirmer le congédiement lorsqu'il est convaincu qu'il y avait cause juste et suffisante de congédiement au moment où la compagnie a pris cette décision. Conclure le contraire reviendrait à accepter que l'issue d'un grief relatif au congédiement d'un employé puisse dépendre du moment où il a été déposé et du délai écoulé entre le dépôt initial et la dernière audience de l'arbitre. En outre, cela mènerait à la conclusion absurde que la décision de la compagnie de congédier un employé alcoolique peut être infirmée dès que cet employé, sous le choc de son congédiement, décide de se réhabiliter même si une telle réhabilitation n'aurait jamais eu lieu en l'absence de la décision de le congédier. Une telle preuve peut être préjudiciable à l'une des parties et fausser l'analyse appropriée (16). Dans le contexte des droits de la personne, le recours à une telle preuve a été rejeté (17). Paradoxalement, on a soutenu dans certaines instances relevant du droit du travail qu'il était non seulement raisonnable que les arbitres prennent en considération une telle preuve, mais aussi que le fait de ne pas le faire constituait une grave erreur (18). En dépit de cette jurisprudence, la pertinence d'une telle preuve est douteuse.

IV. ANALYSE

A. Preuve prima facie

[80] À mon avis, M. Quigley s'est acquitté de son fardeau initial, c'est-à-dire établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience. L'état de santé de M. Quigley a certes été l'un des facteurs qui ont influé sur la décision finale d'Ocean de le congédier, en contravention du par. 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ocean a mis fin à son emploi parce que sa déficience l'empêchait de retourner au travail. Il incombe maintenant à Ocean de prouver que sa décision reposait sur une exigence professionelle justifiée.

B. Détermination des normes ayant entraîné le congédiement de M. Quigley

[81] Les faits de l'espèce ne ressemblent pas à ceux entourant les affaires Meiorin ou Grismer. Dans Meorin, le gouvernement préconisait l'application d'une norme aérobique particulière aux pompiers. Dans Grismer, les personnes qui demandaient un permis de conduire devaient avoir un certain champ visuel. Dans ces affaires-là, la Cour a indiqué le critère à utiliser pour évaluer la rationalité, la bonne foi et la nécessité de la norme. En l'espèce, la norme d'Ocean faisait en sorte que l'état de santé de M. Quigley devait être évalué par son propre médecin. Le médecin de la compagnie acceptait ou rejetait cette évaluation. En cas de désaccord, la compagnie avait le loisir de demander une évaluation indépendante par un médecin choisi conjointement par elle et le syndicat de l'employé. Ni M. Quigley ni la Commission n'a sérieusement soutenu que la procédure suivie pour évaluer l'état de santé d'un employé en vue de sa réintégration dans les fonctions qu'il exerçait avant son invalidité était en soi discriminatoire. La pratique de la compagnie d'exiger que les employés qui demandaient de réintégrer leurs fonctions après une maladie prolongée démontrent leur aptitude au travail était conforme à la norme de l'industrie et à la Loi sur la marine marchande du Canada. L'objectif de la compagnie était de s'assurer que M. Quigley pouvait s'acquitter de ses tâches de façon efficace et en toute sûreté. La procédure a été adoptée de bonne foi. Elle était raisonnablement nécessaire dans le sens où elle faisait en sorte d'évaluer l'état de santé de M. Quigley en fonction d'une norme réaliste tenant compte de ses propres capacités et de sa dignité, dans la mesure où cela n'imposait aucune contrainte excessive. La procédure en vigueur comportait l'administration de tests individuels.

[82] J'interprète plutôt les arguments de M. Quigley et de la Commission de la façon suivante :

· En fait, M. Quigley était apte à faire un essai de travail et à se soumettre à un programme de réentraînement à l'effort, après son congé d'invalidité de longue durée;

· En fait, Ocean a manqué à son obligation d'accommodement à l'égard de M. Quigley avant sa cessation d'emploi en omettant de composer avec sa déficience jusqu'à la contrainte excessive. Ocean n'a pas discuté avec le Dr Nelems de la possibilité que M. Quigley participe à l'essai de travail en tant que troisième membre d'équipage de l'Evco Crest. Ce faisant, elle a à tort obtenu l'accord tacite du Dr Nelems pour mettre fin à son emploi. Le Dr Nelems avait convenu avec M. Chapman qu'il ne serait pas sécuritaire de donner à M. Quigley un essai de travail en tant que membre d'un équipage de deux personnes; dans les circonstances, cet accord n'était pas suffisant pour soustraire Ocean à son obligation d'accommodement à l'endroit de M. Quigley. Du point de vue de M. Quigley, la lettre en date du 13 septembre 1996 que le Dr Nelems a rédigée après la cessation d'emploi, dans laquelle le spécialiste se prononçait en faveur d'un essai à titre de troisième membre d'équipage sur l'Evco Crest, constituait la preuve qu'un tel accommodement était possible et aurait dû être offert à M. Quigley au préalable, c'est-à-dire avant de mettre fin à son emploi.

[83] Avant d'examiner ces arguments, je constate que ni M. Quigley ni la Commission n'a soutenu qu'Ocean aurait dû composer avec lui en lui offrant un autre poste que celui de matelot de pont. La preuve présentée au Tribunal relativement à l'activité des autres divisions et entreprises d'Ocean est négligeable. Par conséquent, le Tribunal doit en l'espèce se contenter de déterminer si Ocean aurait dû et pu composer avec M. Quigley relativement au poste de matelot de pont.

[84] À mon avis, les mesures d'accommodement prises par Ocean envers M. Quigley durant la période 1991-1996 étaient relativement justes et raisonnables. J'ai entendu le témoignage de M. Chapman. Il a cherché en tout temps à composer dûment avec M. Quigley. En fait, il a décidé de garder M. Quigley comme employé en 1993, même si le gestionnaire des ressources humaines de la compagnie avait recommandé de mettre fin à son emploi. En outre, en 1993, il a donné à M. Quigley plusieurs essais de travail, et non un seul. Comme ces essais n'avaient pas été concluants, il a rencontré M. Quigley pour s'enquérir de ses besoins et déterminer comment agir au mieux de ses intérêts. En 1993, M. Chapman a reçu l'information médicale du Dr Nelems. Après en avoir pris connaissance, il a décidé d'appuyer la nouvelle demande de prestations d'assurance-invalidité de M. Quigley.

[85] De 1993 à 1996, M. Chapman a gardé M. Quigley comme employé de la compagnie et attendu son retour au travail à la suite de l'intervention chirurgicale.

[86] Il a également traité M. Quigley équitablement lorsque celui-ci a voulu revenir au travail en 1996. Lorsqu'il a reçu la lettre du 6 août 1996 du Dr Nelems, M. Chapman était à juste titre préoccupé. Le Dr Nelems a écrit que M. Quigley estimait à seulement 60 p. 100 l'amélioration du côté droit et n'était pas complètement remis. Il a confirmé que M. Quigley avait atteint un plateau pour ce qui est de l'amélioration du côté droit. En outre, il a indiqué que M. Quigley avait ses bonnes journées et ses mauvaises. Il a précisé que les douleurs ressenties par M. Quigley réapparaissaient lorsqu'il s'adonnait à une activité particulièrement problématique. Il a ajouté que M. Quigley continuerait d'éprouver des problèmes permanents, même s'il y avait eu amélioration. Enfin, il a fait remarquer que le problème thoracique du côté gauche s'était aggravé et exigeait un suivi. Dans cette lettre, le Dr Nelems précisait qu'il incombait entièrement à M. Quigley de déterminer s'il y avait lieu de faire un essai de travail. En fait, il ne pouvait en être ainsi puisque la compagnie avait la responsabilité de veiller à ce que le travailleur et ses collègues soient dûment protégés. Le Dr Nelems a écrit que la compagnie devait être souple afin de composer avec M. Quigley relativement à la fréquence des affectations et à la quantité de travail. M. Chapman a fait des efforts pour déterminer ce que cela pourrait impliquer du point de vue de l'accommodement.

[87] M. Chapman a fait des efforts raisonnables pour composer avec M. Quigley, qui ne reconnaissait pas la gravité de son affection médicale. C'est M. Quigley qui a insisté pour qu'on l'autorise à faire un travail plus exigeant que celui qu'il accomplissait comme matelot de pont-cuisinier avant son invalidité. C'est lui également qui a insisté pour qu'on lui accorde un essai de travail comme matelot de pont, réduisant ainsi les possibilités d'accommodement dans un autre emploi. La demande de M. Quigley était simplement irréaliste : le matelot de pont doit lever des poids lourds, tirer des charges vers le haut à la hauteur de sa poitrine tout en les agrippant et les tenant, se pencher en s'étirant pour ramasser des objets, souvent dans l'obscurité, monter et descendre dans des échelles en mouvement à des hauteurs considérables au-dessus de la surface de l'eau ou de quais. De par la nature de son travail physiquement exigeant, l'employé est appelé à garder ses bras en avant et au-dessus de sa tête et à s'étirer ou à se plier, exécutant des mouvements bizarres, de nature répétitive, tout en levant et transportant de lourdes charges. M. Chapman ne disposait pas de suffisamment de preuves que M. Quigley pouvait exécuter ces tâches qui faisaient partie du travail de matelot de pont-cuisinier, et encore moins à titre de matelot de pont pendant 12 heures par jour.

[88] Cependant, malgré les conséquences évidentes de l'évaluation de santé du Dr Nelems, M. Chapman a rencontré M. Quigley pour discuter avec lui des mesures d'accommodement possibles. Lorsqu'il lui a fait part des préoccupations que soulevait le rapport du Dr Nelems, M. Quigley lui a demandé de s'entretenir directement avec celui-ci. Il a également demandé que M. Chapman communique avec son représentant syndical, M. Al Engler. M. Chapman a acquiescé à ces deux demandes. Je conclus qu'il continuait de chercher des façons de composer avec M. Quigley.

[89] Lorsque M. Chapman a communiqué avec le Dr Nelems, celui-ci a confirmé la teneur de sa lettre. Le Dr Nelems a été incapable d'affirmer que M. Quigley était en mesure de travailler comme matelot de pont. Il a également comparu devant ce Tribunal. À mon avis, il représente le médecin idéal, faisant preuve d'une grande intégrité et rigueur intellectuelle et de beaucoup de compassion. Malgré son ardent désir d'aider M. Quigley, il a dû se contenter de dire, au sujet de l'état de santé de celui-ci avant la cessation d'emploi, qu'on aurait dû lui accorder un essai de travail; cependant, il ne savait pas à l'époque que M. Quigley avait fait un essai en 1993 sur l'Evco Crest. Le Dr Nelems a par ailleurs reconnu volontiers que l'ergonomie n'était pas sa spécialité. Il a admis que la compagnie connaissait mieux que lui les tâches de matelot de pont-cuisinier et de matelot de pont et leurs exigences. Enfin, au cours de sa conversation avec M. Chapman, le Dr Nelems a convenu qu'il ne serait pas sécuritaire de donner à M. Quigley un essai de travail comme matelot de pont au sein d'un équipage de deux personnes. Étant donné que l'information que possédait le Dr Nelems au sujet de l'emploi lui avait été fournie par M. Quigley, qui ne lui avait jamais expliqué de façon détaillée les tâches qu'accomplissent les matelots de pont-cuisiniers et les matelots de pont, je ne suis pas convaincu que le Dr Nelems connaissait suffisamment la nature du travail pour se prononcer de façon convaincante en faveur d'un essai de travail au poste en question. En fait, en avril 1995, le Dr Nelems a laissé entendre que M. Quigley pouvait retourner au travail en attendant l'autorisation de son médecin de famille, le Dr Lacroix.

[90] En résumé, je conclus que M. Chapman a raisonnablement jugé que M. Quigley n'était pas apte à se soumettre à un essai de travail comme matelot de pont. Son appréciation était conforme à celles des Drs Nelems, Troffe et Lacroix, avant la cessation d'emploi. Je ne souscris pas à l'argument de la Commission voulant que l'appréciation de M. Chapman ait été fondée sur des impressions. Son jugement reposait sur un certain nombre d'éléments, notamment le fait que les tâches du matelot de pont étaient plus exigeantes que celles du matelot de pont-cuisinier et l'appréciation de 1996 du Dr Nelems voulant que M. Quigley fût dans un piètre état de santé. L'appréciation de M. Chapman était également fondée sur les résultats mitigés de M. Quigley lors de l'essai de 1993, avant l'intervention chirurgicale. Vu le résultat de l'intervention (amélioration d'au plus 60 p. 100), et compte tenu du fait que M. Quigley manifestait également des symptômes du STT du côté gauche, ainsi que de ses autres problèmes de santé, il était logique de croire que ses capacités étaient tout au mieux comparables à celles qu'il possédait en 1993, avant l'intervention.

[91] Bien que je n'accorde pas beaucoup de poids aux actes de procédure relatifs à sa poursuite au civil contre la Maritime, je constate que ceux-ci sont conformes à la preuve voulant que M. Quigley ait été totalement et continuellement invalide, à compter au moins du 15 juillet 1996, voire à compter de 1991. Les actes de procédure indiquent que M. Quigley prétendait que l'assureur, la Maritime, devait lui verser des prestations d'invalidité parce qu'il était incapable de faire un travail qui lui vaudrait un salaire équivalant à 60 p. 100 de la rémunération qu'il touchait, notamment un travail de cuisinier. Lorsque j'ai interrogé M. Quigley au sujet de ces prétentions, il a dit qu'il avait toujours affirmé qu'il pouvait accomplir des tâches de matelot de pont, mais non de matelot de pont-cuisinier. Sa position était qu'il pouvait accomplir uniquement les tâches de matelot de pont. Bien que je sympathise avec lui, je ne peux considérer logique cette prise de position. Comment pouvait-il être physiquement apte à accomplir les fonctions de matelot de pont, et non les fonctions -- moins exigeantes physiquement -- de matelot de pont-cuisinier ou de cuisinier?

[92] La Commission et le plaignant ont soutenu que les professionnels de la santé qui ont évalué l'état de santé de M. Quigley sont d'avis que le travail par quarts comme matelot de pont convient particulièrement à une personne atteinte du STT; en effet, ce régime de travail, entre autres choses, est assorti de longues périodes de repos pendant lesquelles il est possible de prendre des médicaments. Ce n'est pas un travail de nature sédentaire comme celui du cuisinier -- auquel le plaignant aurait plus de difficulté à s'adapter. À mon avis, cette position n'est pas logique. Le matelot de pont en particulier fait un travail pour le moins ardu et physiquement exigeant. Même si M. Quigley est disposé à faire le travail malgré la douleur, celle-ci entraverait sa capacité de réagir comme il se doit en cas d'urgence. En fait, les essais de travail de 1993 confirment qu'il éprouvait à la fois de la douleur et des engourdissements, symptômes qui ont persisté après l'intervention.

[93] M. Quigley a fait valoir que les postes de cuisinier, de matelot de pont-cuisinier et de matelot de pont sont interchangeables en raison de la reclassification des postes de novembre 1990. D'après ce que je crois comprendre de sa position, M. Quigley soutient qu'étant donné que son essai comme matelot de pont-cuisinier n'a pas été concluant, la compagnie aurait dû lui offrir un essai comme matelot de pont, puisque les fonctions des deux postes étaient les mêmes. J'admets que la compagnie a offert aux cuisiniers et aux matelots de pont des postes de matelot de pont-cuisinier en 1990; cependant, cela ne signifie pas que les fonctions des deux postes étaient identiques. Au contraire, comme je l'ai déjà mentionné, le poste de matelot de pont-cuisinier est moins exigeant que celui de matelot de pont.

[94] En guise d'avant-dernier point, la Commission a soutenu qu'Ocean aurait pu faire plus pour composer avec M. Quigley. J'estime que M. Chapman et la compagnie étaient mieux informés quant aux besoins en personnel ailleurs au sein de la compagnie, ainsi que de la nature des divers postes à combler. Cependant, comme je l'ai déjà mentionné, ni la Commission ni M. Quigley n'a demandé d'affectation à un autre poste que celui de matelot de pont sur l'Evco Crest en guise d'accommodement. Dans le cas qui nous occupe, l'obligation d'Ocean se limitait à examiner comment composer avec M. Quigley par rapport au poste de matelot de pont sur l'Evco Crest. À mon avis, la compagnie ne pouvait se montrer plus accommodante pour ce poste.

[95] Passons maintenant à la preuve d'événements postérieurs à la cessation d'emploi présentée à l'audience. Comme je l'ai mentionné, les cours n'ont pas approuvé de façon non équivoque le recours à une telle preuve. Par conséquent, je n'y attache aucun poids. Par ailleurs, si je le faisais, cette preuve ne serait pas à mon avis particulièrement utile à la cause de M. Quigley. La Commission et M. Quigley ont soutenu que cette preuve permet de conclure que le plaignant était en mesure de travailler comme matelot de pont. Je ne suis pas d'accord. D'abord, même si un médecin de Transports Canada a déclaré que M. Quigley était apte à faire un travail de matelot de pont en 1999, le Dr Lacroix n'était pas de cet avis si l'on en juge par son appréciation de 1997. Le Dr Nelems lui-même respectait le jugement du Dr Lacroix, le médecin généraliste de M. Quigley. L'opinion exprimée par le Dr Lacroix après la cessation d'emploi dans sa lettre du 22 avril 1997 est conforme à celle de 1993 du Dr Troffe, à savoir que M. Quigley devait renoncer à travailler dans l'industrie du transport maritime. Dans sa lettre de 1997, le Dr Lacroix a écrit que M. Quigley était incapable d'effectuer un retour au travail à titre de matelot de pont-cuisinier, ou à un autre poste. Elle a alors fait observer que du point de vue médical, il était incapable de retourner à ses tâches difficiles sur les navires. Le 21 avril 1997, le Dr Lacroix a indiqué qu'elle avait encouragé M. Quigley à renoncer à travailler sur les navires. Ensuite, le rapport de 1997 du Dr Hirsch n'a pas été utile pour plusieurs raisons. Il semble que la Maritime ait retenu les services du Dr Hirsch pour appuyer sa position voulant que M. Quigley était capable de retourner au travail, après qu'elle eut cessé de lui verser des prestations d'invalidité; l'opinion du Dr Hirsch contredit les conclusions du Dr Lacroix et la vaste preuve médicale présentée à cette audience. Enfin, le rapport d'évaluation de mai 2001 de la Maritime n'est pas à mon avis utile, en partie pour les mêmes raisons. Il énumère par ailleurs ses nombreuses difficultés fonctionnelles, mais fonde sa conclusion sur la mauvaise catégorie de la CNP. Par conséquent, les preuves d'événements postérieurs à la cessation d'emploi n'aident guère la cause de M. Quigley.

[96] Enfin, la Commission peut prétendre que M. Chapman aurait pu en l'occurrence prendre une dernière mesure avant de mettre fin à l'emploi de M. Quigley. Il aurait pu diriger M. Quigley vers le médecin de la compagnie afin de déterminer si celui-ci était apte à faire un essai de travail à bord de l'Evco Crest. Je ferai remarquer à cet égard que M. Chapman a affirmé dans son témoignage qu'il faisait davantage confiance au jugement du Dr Nelems qu'à celui du médecin de la compagnie, le Dr Troffe. Compte tenu des déclarations faites par le Dr Nelems avant la cessation d'emploi quant au piètre état de santé de M. Quigley, il n'était pas nécessaire à ce moment-là de diriger M. Quigley vers le Dr Troffe. Sur la foi de l'ensemble de la preuve, et compte tenu particulièrement de la détérioration de l'état de santé de M. Quigley, j'estime qu'il aurait été tout à fait impossible que le médecin de la compagnie autorise en 1996 M. Quigley à faire un essai de travail comme matelot de pont. En ce qui touche la possibilité d'arbitrage par un médecin indépendant, la preuve ne suffit pas à démontrer qu'un tel médecin aurait jugé M. Quigley physiquement apte à travailler comme matelot de pont à l'époque ou à toute période raisonnable dans l'avenir prévisible.

V. CONCLUSION

[97] Je conclus qu'Ocean a mis fin à l'emploi de M. Quigley en raison de sa déficience. Toutefois, Ocean a enclenché en 1991 un processus d'accommodement. La compagnie a finalement rempli son obligation d'accommodement à l'endroit de M. Quigley jusqu'à la contrainte excessive en 1996, lorsque celui-ci a insisté pour que les mesures d'accommodement soient articulées autour du poste de matelot de pont. Même si j'éprouve de la sympathie à l'égard de M. Quigley, et bien que j'admire son courage et son désir de continuer de travailler, je dois rejeter la plainte.

«Originale signée par»

Shirish P. Chotalia

Ottawa (Ontario)

Le 3 avril 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL NO : T582/4000

INTITULÉ DE LA CAUSE : Patrick E. Quigley c. Ocean Construction

LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique) :

les 9, 10, 11 et 12 octobre 2001 et les 13, 14 et 15 novembre 2001

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 3 avril 2002

ONT COMPARU :

Patrick Quigley en son propre nom

Daniel Pagowski et Carla Qualtrough au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Michael Hunter au nom de l'intimée, Ocean Construction Supplies

1. 1 1986, chap. S-9, art. 335.

2. 2 Pièce HR-2, onglet 44, page 5.

3. 3 Classification nationale des professions établie par Développement des ressources humaines Canada, pièce R-5.

4. 4 [1999] 3 R.C.S. 3.

5. 5 [1999] 3 R.C.S. 868.

6. 6 Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Ltd. [1985] 2 R.C.S. 536.

7. 7 À l'époque pertinente, l'article 15 se lisait comme suit : Ne constituent pas des actes discriminatoires les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées…

8. 8 Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489.

9. 9 À cet égard, l'arrêt Meiorin est conforme à la décision rendue dans Central Okanagan School District v. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 984.

10. 10 Grismer, précitée, par. 32.

11. 11 Grismer, précitée, par. 42.

12. 12 Grismer, précitée, par. 41.

13. 13 Grismer, précitée, par. 41 et 42.

14. 14 Meiorin, précitée, par. 63. Voir aussi Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, p. 546.

15. 15 Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095. Lorsque l'arbitre conclut que le congédiement était justifié au moment où il a été ordonné, il ne peut pas, sans excéder sa compétence, l'annuler pour le seul motif que des événements subséquents rendent cette annulation juste et équitable. Dans un tel cas, l'arbitre excéderait sa compétence en se fondant sur une preuve d'événements subséquents pour annuler le congédiement.

16. 16 Farber c. Royal Trust Co., [1997] 1 R.C.S. 846 : la Cour a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en admettant une preuve ex post facto alors que sa pertinence n'avait pas été démontrée, et que l'admission de cette preuve avait porté préjudice à l'appelant, étant donné qu'elle avait, de l'avis de la Cour, faussé l'analyse du juge de première instance.

17. 17 Conte c. Rogers Cablesystems Ltd (1999) 36 C.H.R.R. D/403 (TCDP).

18. 18 Conseil de l'éducation de la cité de Toronto c. F.E.E.E.F.O., district 15 [1997] 1 R.C.S. 487.

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