Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

GLORIA BAPTISTE

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SERVICE CORRECTIONNEL CANADA

l'intimé

MOTIFS DE DÉCISION

D.T. 12/01 2001/11/06

MEMBRE INSTRUCTEUR : Anne Mactavish, présidente

[TRADUCTION]

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. LE DROIT

III. OBSERVATIONS GÉNÉRALES À PROPOS DE LA CRÉDIBILITÉ DE GLORIA BAPTISTE

IV. LA PREUVE

A. Premières années de Mme Baptiste à l'établissement de Matsqui

i) L'appréciation de rendement de 1990-1991

ii) L'appréciation de rendement de 1991-1992

iii) L'appréciation de rendement de 1992-1993

iv) L'appréciation de rendement de 1993-1994

v) L'appréciation de rendement de 1994-1995

vi) Les appréciations de rendement établies par Mme Greye au sujet de Gloria Baptiste entre 1990 et 1995 étaient-elles équitables?

a) Le climat à l'établissement de Matsqui

b) La race de Mme Baptiste a-t-elle influencé les appréciations établies par Sharon Greye?

c) Les cotes de rendement de Mme Baptiste se sont-elles dégradées après qu'elle eut manifesté le désir de devenir gestionnaire?

B. Concours -- Poste de chef d'équipe intérimaire

i) Processus de demande

ii) Rendement subséquent de Mme Baptiste

iii) Refus de laisser Gloria Baptiste agir comme chef d'équipe intérimaire

iv) La race de Gloria Baptiste a-t-elle été un élément qui a joué dans la décision de refuser de la laisser occuper le poste de chef d'équipe intérimaire?

v) Règlement du grief de Mme Baptiste

C. Événements subséquents au règlement du grief de Mme Baptiste

i) L'appréciation de rendement de 1996-1997

ii) Stages de Mme Baptiste aux établissements de Mission et de Kent

iii) Concours NU-HOS-05

iv) Concours NU-HOS-04

v) L'enquête disciplinaire avortée

vi) Enquête et rapport de Theresa Killam et intervention de Jamie Millar-Dixon

vii) Décès inexpliqués à l'établissement de Matsqui

viii) Réorientation de Gloria Baptiste à l'établissement de Matsqui

V. CONCLUSION RELATIVE À LA RESPONSABILITÉ

VI. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] Gloria Baptiste est infirmière à l'établissement de Matsqui, pénitencier relevant du Service correctionnel du Canada (SCC), situé à Mission, en Colombie-Britannique. Mme Baptiste allègue qu'elle a été défavorisée en cours d'emploi au SCC en raison de sa race. Plus particulièrement, Mme Baptiste allègue que son rendement professionnel n'a pas été évalué de façon équitable et qu'on lui a refusé des possibilités d'avancement, le tout parce qu'elle est de race noire.

[2] Mme Baptiste a eu comme surveillante Sharon Greye pendant un certain nombre d'années au début et au milieu des années 90. Selon Mme Baptiste, Sharon Greye ne l'aimait pas parce qu'elle est noire. Mme Baptiste allègue que l'attitude discriminatoire de Mme Greye s'est reflétée sur ses appréciations de rendement, dans lesquelles son rendement a été déprécié injustement. De plus, l'attitude de Mme Greye à l'égard de Mme Baptiste expliquerait le traitement dont elle a fait l'objet de la part d'autres gestionnaires à l'établissement de Matsqui, ainsi que de la part de ses collègues et des détenus.

[3] L'intimé soutient que le rendement professionnel de Gloria Baptiste posait des problèmes, qui ont été constatés non seulement par Sharon Greye mais aussi par chacun des neufs surveillants qui ont traité avec elle au cours de la période où elle a été à l'emploi du SCC. Le SCC nie que le racisme ait influencé de quelque façon les actes qui ont donné lieu à la plainte de Gloria Baptiste.

II. LE DROIT

[4] La plainte de Mme Baptiste a été présentée en vertu de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui précise que le fait de défavoriser un individu en cours d'emploi constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite.

[5] La race est un motif de distinction illicite.

[6] Dans une affaire de ce genre, il incombe à la partie plaignante (Mme Baptiste, en l'espèce) d'établir une preuve prima facie de discrimination (1). Le cas échéant, il revient à la partie intimée (le SCC, dans le cas qui nous occupe) de fournir une explication raisonnable de la conduite jugée répréhensible (2).

[7] La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée (3). Les allégations faites par la partie plaignante doivent être dignes de foi afin de justifier la conclusion qu'une preuve prima facie a été établie (4).

[8] Si le SCC fournit une explication raisonnable de la conduite qui lui est reprochée, il incombera ensuite à Mme Baptiste de démontrer que l'explication n'était qu'un prétexte et que les actes de son employeur étaient vraiment motivés par des considérations discriminatoires (5).

[9] Il est difficile de prouver des allégations de discrimination à l'aide de preuves directes. Tel que précisé dans Basi, la discrimination n'est généralement pas un phénomène qui se manifeste ouvertement (6). Il appartient au Tribunal d'examiner toutes les circonstances afin de déterminer s'il existe ce qu'on a appelé dans Basi de subtiles odeurs de discrimination.

[10] En matière de discrimination, la norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités qui s'applique habituellement dans les causes civiles ordinaires. Dans le cas d'une preuve circonstancielle, on peut conclure à la discrimination quand les éléments présentés à l'appui rendent cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible (7).

[11] Pour faire droit à une plainte, il n'est pas nécessaire que les considérations discriminatoires soient le seul motif de la conduite reprochée. Il suffit que la discrimination soit un facteur qui a motivé la conduite ou les décisions de l'employeur (8).

III. OBSERVATIONS GÉNÉRALES À PROPOS DE LA CRÉDIBILITÉ DE GLORIA BAPTISTE

[12] Je dois, pour beaucoup d'éléments de preuve, faire un choix entre le témoignage de Gloria Baptiste et ceux des experts cités par le SCC. Je traiterai de ces points de divergence au fur et à mesure. Toutefois, deux questions ayant trait à la crédibilité générale de Gloria Baptiste sont sans cesse revenues sur le tapis à l'audience. Elles ont rapport aux lettres, courriels et notes de service qui étaient destinés à Mme Baptiste et que cette dernière n'aurait jamais reçus, ainsi qu'aux incidents documentés qui, selon Gloria Baptiste, ne se sont jamais produits.

[13] Durant son témoignage, Mme Baptiste s'est vu montrer des douzaines de documents qui, semble-t-il, sont des lettres, des notes de service et des courriels qui lui ont été transmis au fil des années et qu'elle a nié dans chaque cas avoir reçus. Certains documents auraient été envoyés par le système de courrier interne du SCC, d'autres par voie électronique et d'autres encore directement par Postes Canada à la résidence de Mme Baptiste. Dans au moins un cas, on a eu recours à plusieurs modes de transmission. D'autres documents ont présumément été livrés par porteur à Mme Baptiste personnellement. La plupart des documents en question émanaient du SCC; cependant, Mme Baptiste a aussi nié avoir reçu des lettres de la Commission canadienne des droits de la personne et de la Commission de la fonction publique.

[14] La plupart des documents dont il s'agit ont par la suite été identifiés par leurs auteurs, qui ont tous affirmé sous serment qu'ils avaient été envoyés à Gloria Baptiste aux dates ou vers les dates qu'ils portent.

[15] Pour accepter le témoignage de Gloria Baptiste voulant qu'elle n'ait reçu aucun de ces documents, il me faudrait conclure que beaucoup de gens au sein du SCC ont fabriqué des documents puis se sont parjurés lorsqu'ils ont affirmé que les documents en question ont bel et bien été transmis à Gloria Baptiste. Autrement, il me faudrait conclure que Gloria Baptiste a été extrêmement malchanceuse au cours des années, en ce qui concerne la livraison de son courrier, vu le nombre de documents qui lui ont été adressés et qui n'ont pas été livrés. Toutefois, pareille explication ne vaudrait pas dans les cas où des personnes ont affirmé avoir remis à Mme Baptiste des documents en mains propres.

[16] Je ne puis simplement pas accepter le témoignage de Mme Baptiste à cet égard. À mon avis, il est plus que probable que les documents en question aient été envoyés et livrés à Gloria Baptiste.

[17] De même, divers témoins ont déposé en preuve de nombreux documents qui sont censés rendre compte de beaucoup de discussions que leurs auteurs disent avoir eues avec Gloria Baptiste, ou d'incidents mettant présumément en cause Mme Baptiste. Dans son témoignage, Mme Baptiste a affirmé que beaucoup de ces discussions et incidents n'avaient jamais eu lieu. Or, les auteurs de la plupart des documents ont affirmé sous serment que leurs notes rendaient compte assez bien des discussions qu'ils avaient eues avec Gloria Baptiste aux dates ou vers les dates que portent les écrits en question. Dans certains cas, les événements décrits dans les documents ont été corroborés par plus d'un témoin. Plusieurs témoins ont expliqué qu'ils avaient décidé de communiquer avec Gloria Baptiste uniquement par écrit, après qu'elle eut nié que certaines discussions n'avaient jamais eu lieu.

[18] Encore là, pour accepter le témoignage de Gloria Baptiste, il me faudrait conclure que toutes ces personnes ont menti à la barre des témoins, que ces incidents ne se sont jamais produits et que tous les documents qui sont censés rendre compte de ce qui s'est passé sont des faux. Au regard de la preuve, je ne suis pas disposée à tirer pareille conclusion.

[19] Dans son plaidoyer final, l'avocat du SCC a souligné que Mme Baptiste a tellement peu de mémoire qu'il n'était pas prêt à lui prêter d'intentions malveillantes. Je ne sais pas si Gloria Baptiste ment consciemment lorsqu'elle dit ne pas avoir reçu ces documents et que les discussions et incidents décrits ne se sont jamais produits, ou si, pour une raison ou une autre, sa mémoire est profondément défaillante. Quoi qu'il en soit, j'ai de très sérieuses réserves au sujet de la fiabilité générale de son témoignage. Compte tenu de ces réserves, je compte, à moins d'indications contraires, privilégier le témoignage des autres témoins dans les cas où celui de Mme Baptiste est contradictoire.

IV. LA PREUVE

[20] Quelque dix-neuf témoins ont comparu durant l'audience, qui s'est échelonnée sur quatre semaines. Le Tribunal a été saisi d'une preuve documentaire volumineuse. Par souci de cohérence, je décrirai donc la preuve qui se rattache à chacune des allégations principales de Mme Baptiste. Tout en traitant de chacune des questions séparément, j'analyserai chaque allégation au regard de l'ensemble de la preuve afin de déterminer si l'intimé affichait un comportement discriminatoire typique.

A. Premières années de Mme Baptiste à l'établissement de Matsqui

[21] Gloria Baptiste est infirmière autorisée. Après avoir travaillé pendant plusieurs années dans divers hôpitaux de l'Ouest canadien, Mme Baptiste est entrée au service du SCC à l'établissement de Matsqui comme infirmière en avril 1990. Elle a d'abord été engagée pour une période déterminée; toutefois, peu de temps après, elle a été nommée pour une période indéterminée.

[22] L'établissement de Matsqui est un pénitencier à sécurité moyenne-supérieure qui accueille quelque 400 détenus. Mme Baptiste travaillait à l'infirmerie, centre de soins subaigus d'un seul tenant qui compte une douzaine de lits et qui est situé dans l'enceinte de l'établissement. La population de l'établissement de Matsqui est mixte et se compose d'individus reconnus coupables de divers types d'infractions graves.

[23] Les postes d'infirmières ou d'infirmiers au SCC sont classés à divers niveaux -- niveau NU-HOS-02 dans le cas des infirmières et infirmiers psychiatriques, niveau NU-HOS-04 et plus dans le cas des cadres. Mme Baptiste a été engagée au niveau NU-HOS-03. Les membres du personnel infirmier au niveau NU-HOS-03 sont des infirmières ou infirmiers des services hiérarchiques qui prodiguent aux détenus des soins relativement à divers troubles physiques.

i) L'appréciation de rendement de 1990-1991

[24] La surveillante immédiate de Mme Baptiste était Sharon Greye. Après la première année de travail de Mme Baptiste, Mme Greye a évalué son rendement professionnel, qu'elle a coté Satisfaisant, ce qui signifiait que Mme Baptiste satisfaisait aux exigences, mais ne répondait pas à certains des objectifs établis et/ou ne remplissait pas certaines des fonctions définies pour le poste. Mme Greye a indiqué que Mme Baptiste avait éprouvé au début des difficultés à traiter avec la population carcérale. Elle a également fait état de conflits et de difficultés dans les rapports de Mme Baptiste avec d'autres employés, tout en faisant observer que l'intéressée avait réussi à surmonter ces problèmes. Mme Baptiste n'a pas contesté cette appréciation de rendement.

[25] Cependant, les débuts de Mme Baptiste au SCC n'ont pas été sans problème. À sa première année à l'établissement de Matsqui, Mme Baptiste a déposé une plainte pour harcèlement contre un agent de correction, dans laquelle elle contestait deux mentions consignées par l'agent relativement aux rapports de Mme Baptiste avec les détenus. Selon le rapport d'enquête établi au sujet de la plainte, Mme Baptiste n'estimait pas qu'elle faisait l'objet d'une vendetta personnelle de la part de l'agent de correction; à son avis, l'agent avait été mêlé à un complot motivé par le racisme que la Sécurité avait orchestré et qui avait été attisé par un autre membre du personnel infirmier. La plainte de Mme Baptiste a donné lieu à une enquête mais a été jugée non fondée. On n'a pas trouvé de preuve de complot contre Gloria Baptiste. L'enquête a révélé que Gloria Baptiste était généralement perçue comme brusque et agressive envers les détenus et a soulevé des préoccupations quant à ses rapports interpersonnels avec d'autres employés. Le libellé des mentions inscrites au registre dénote un jugement douteux de la part de l'agent de correction, mais il n'existait pas de politique précise quant à la façon de faire de telles inscriptions. Bien que l'incident ne soit pas pertinent par rapport à la plainte de Mme Baptiste, on a constaté qu'un membre du personnel infirmier avait fait à son sujet une remarque désobligeante derrière son dos, ce qui allait à l'encontre de la politique du SCC sur le harcèlement, même si rien n'indiquait que la remarque en question était attribuable à une attitude raciste.

[26] L'enquêteur a indiqué que certains détenus avaient crié à Mme Baptiste des noms peu flatteurs à connotation raciale. Il a fait observer que la direction avait la responsabilité de faire en sorte que le lieu de travail soit exempt de harcèlement et qu'elle devrait informer le personnel que les détenus qui agissent ainsi devraient être dénoncés et sanctionnés au moyen du processus disciplinaire. Il a également proposé qu'on donne au personnel une formation en matière de harcèlement. Enfin, il a recommandé que l'on prodigue des conseils à Gloria Baptiste quant à la façon de traiter avec les détenus et qu'on l'informe des divers recours qui s'offrent à elle en cas de violence raciale.

[27] Il semble que le personnel ait reçu une formation en matière de harcèlement à la suite de l'enquête sur la plainte de Gloria Baptiste. Mme Baptiste a elle-même bénéficié de conseils quant à la façon de réagir à la violence des détenus. Enfin, Sharon Greye a fait parvenir à tout le personnel infirmier de l'établissement de Matsqui une note au sujet des remarques désobligeantes ou des insultes des détenus à l'endroit du personnel infirmier. Les avocats de la Commission ont grandement fait état du fait que la note ne fait pas précisément mention des insultes à caractère raciste. C'est vrai, mais le document donne au personnel des directives claires quant à la nécessité de signaler les comportements violents ou les remarques désobligeantes de la part des détenus. À mon avis, la note de Mme Greye représentait une réponse raisonnable à la recommandation de l'enquêteur.

ii) L'appréciation de rendement de 1991-1992

[28] Sharon Greye a évalué à nouveau le rendement de Mme Baptiste au printemps de 1992. Mme Baptiste s'est à nouveau vu attribuer la cote Satisfaisant. Mme Greye a indiqué que Mme Baptiste avait reçu des directives quant à sa façon d'agir avec les détenus, à la nécessité d'être courtoise et professionnelle et d'adopter un style non conflictuel, ainsi qu'aux recours qui s'offraient à elle en cas d'abus de la part des détenus. Mme Greye a également fait des observations au sujet des rapports de Mme Baptiste avec ses collègues, faisant remarquer que ceux-ci manquaient de cohérence, qu'elle se montrait très distante et réagissait souvent de façon brusque lorsqu'un collègue tentait de discuter avec elle de questions ayant trait au travail. Sharon Greye a également indiqué que Mme Baptiste ne s'était pas bien acquittée du projet d'évaluation de la qualité des soins infirmiers qui lui avait été confié, n'ayant produit que trois des sept rapports nécessaires. Mme Baptiste n'a pu se rappeler si cela était vrai.

[29] Mme Baptiste n'était pas d'accord avec l'appréciation en général. Il y avait sur la formule une case permettant à l'employé(e) de préciser qu'il ou elle avait signé la formule, mais qu'il ou elle n'était pas d'accord avec l'appréciation; cependant, Mme Baptiste a carrément refusé de signer la formule. Invitée à justifier par écrit son désaccord, Mme Baptiste n'a pas donné suite à la demande. Par ailleurs, Mme Baptiste a été informée de son droit de contester l'appréciation de rendement, mais elle s'est abstenue de le faire.

iii) L'appréciation de rendement de 1992-1993

[30] Au printemps de 1993, Sharon Greye a coté le rendement de Gloria Baptiste Entièrement satisfaisant, ce qui signifiait qu'elle satisfaisait entièrement aux exigences du poste, répondait aux objectifs établis et/ou remplissait les fonctions définies pour le poste. Selon l'addendum établi par Mme Greye, Mme Baptiste s'était vraiment efforcée d'améliorer son rendement par rapport à l'année précédente. Mme Greye a signalé que Mme Baptiste entretenait de meilleurs rapports avec les détenus de même qu'avec ses collègues. En fait, la seule ombre au tableau résidait dans l'observation voulant qu'elle ait fait deux fois des erreurs dans la distribution des stupéfiants.

[31] Même si l'appréciation était généralement positive, Mme Baptiste a refusé à nouveau de la signer. Elle a expliqué que, selon elle, son refus de signer l'appréciation ne signifiait pas qu'elle était d'accord ou en désaccord avec le contenu, faisant observer que la convention collective ne l'obligeait pas à signer le document. Elle a ajouté qu'elle n'était pas d'accord avec l'observation portant sur la distribution des stupéfiants, précisant que le problème résidait dans l'emballage des médicaments et que les erreurs ne lui étaient pas entièrement imputables.

[32] L'appréciation de rendement en question faisait mention du désir de Mme Baptiste d'assister à une conférence sur le SIDA. Mme Baptiste a indiqué que Mme Greye avait refusé de lui permettre de participer à la conférence de 1993, et que c'était la preuve qu'elle faisait l'objet d'un traitement discriminatoire en raison de sa race. Sharon Greye a déposé en preuve une note indiquant qu'elle n'appuyait pas la demande de participation de Mme Baptiste à cette conférence. Elle a précisé qu'elle fournissait généralement de vive voix à ses employés les renseignements de cette nature, mais qu'elle avait commencé à communiquer par écrit avec Mme Baptiste, étant donné que cette dernière avait été incapable de se rappeler de certaines de leurs discussions antérieures.

[33] Dans son témoignage, Mme Greye a indiqué qu'un refus d'appuyer la participation d'un employé à une conférence pouvait être motivé par de nombreuses raisons : restrictions budgétaires, charge de travail, emploi du temps, caractère adéquat de la formation pour l'intéressé, etc. Mme Greye n'a pas été en mesure de dire à l'audience pourquoi elle n'avait pas voulu appuyer la demande de Mme Baptiste en 1993, précisant toutefois que cette dernière avait finalement été autorisée à assister à la conférence. La version de Mme Greye est corroborée par le curriculum vitæ de Mme Baptiste, qui fait état de sa participation à une conférence sur le SIDA à l'hôpital St. Paul en 1993.

[34] Je dispose de peu de preuves relativement à la participation d'autres employés à des conférences durant la période en cause. Cependant, il ressort du dossier que Mme Baptiste a reçu l'autorisation de participer à un certain nombre de conférences au cours des années où elle a été sous la surveillance de Sharon Greye.

iv) L'appréciation de rendement de 1993-1994

[35] Sharon Greye a évalué une fois de plus le rendement de Gloria Baptiste au début de 1994. Cette fois, elle a coté le rendement de Mme Baptiste Insatisfaisant. Cette cote est attribuée aux employés qui n'ont pas satisfait aux exigences et qui n'ont pas répondu aux objectifs établis. En clair, elle signifie que l'intéressé a fourni un rendement nettement insatisfaisant. À l'appui de sa conclusion voulant que Mme Baptiste ait démontré qu'elle n'était pas capable de satisfaire aux exigences fondamentales du poste à plusieurs égards, Mme Greye a cité un certain nombre d'incidents particuliers.

[36] Mme Greye a d'abord cité l'exemple de la réattribution du projet portant sur les vérifications de dossiers. Selon Mme Greye, Mme Baptiste avait été informée oralement que ce projet serait pris en charge par un autre employé. Elle a par la suite nié qu'on lui ait dit cela et déclaré qu'elle avait l'intention de poursuivre le travail. Mme Greye a soutenu qu'elle a dû ordonner par écrit à Mme Baptiste de remettre les documents nécessaires à un autre employé.

[37] Dans son témoignage, Mme Baptiste a carrément nié que cet incident se soit jamais produit.

[38] La mention faite par Sharon Greye dans l'appréciation de rendement au sujet des vérifications de dossiers est corroborée par des notes qu'elle avait rédigées à l'époque de ses discussions avec Mme Baptiste à ce propos. C'est sans hésitation que j'opte pour le témoignage de Sharon Greye de préférence à celui de Gloria Baptiste à ce sujet.

[39] Sharon Greye a cité comme deuxième exemple pour justifier la cote Insatisfaisant décernée à Gloria Baptiste la présumée omission de cette dernière de se conformer à la politique de l'infirmerie voulant que les détenus appelés à subir des épreuves de dépistage du VIH doivent bénéficier d'un counselling au préalable. Selon Mme Greye, Mme Baptiste a omis de donner un counselling pré-test à un détenu; par conséquent, ce dernier n'était pas suffisamment bien préparé à faire face à un résultat positif. À la suite de cet incident, Gloria Baptiste a, selon Mme Greye, complètement fait fi de plusieurs demandes d'explications faites oralement et par écrit.

[40] Il est établi que Gloria Baptiste a prélevé du sang du détenu N le 5 mars 1993 en vue d'un test de dépistage du VIH. Il appert que c'est le Dr Hoogewerf qui avait demandé le test. Mme Baptiste a reconnu, en outre, que la politique du SCC exige que tout détenu devant être soumis à un test de dépistage du VIH bénéficie d'un counselling de la part de l'équipe de soins quant aux conséquences d'un résultat positif. Mme Baptiste prétend avoir donné le counselling nécessaire et fait signer par le détenu la formule de consentement appropriée au moment où elle a fait le prélèvement sanguin.

[41] Il semble que le détenu N ait été informé de sa séropositivité au VIH le 24 mars 1993. Il va sans dire que le détenu était très bouleversé et avait besoin de médicaments et de counselling psychologique. L'intéressé a nié avoir bénéficié d'un counselling pré-test; en outre, son dossier médical ne fait état d'aucun counselling de cette nature et ne renferme aucune formule de consentement signée.

[42] Sharon Greye a dit au cours de son témoignage qu'elle était allée trouver Gloria Baptiste le 6 avril 1993 afin de lui demander une explication écrite de ce qui s'était produit. Mme Baptiste a dit à Mme Greye que le détenu lui avait donné un consentement tacite au moment du prélèvement sanguin et qu'il lui faudrait consulter son dossier afin de pouvoir lui fournir une explication plus complète. Le lendemain, Mme Greye a fait suivre sa demande verbale d'une demande écrite enjoignant Mme Baptiste de lui fournir une explication écrite avant le 15 avril. Une copie de la demande écrite de Mme Greye a été produite à l'audience. Mme Baptiste a nié que Mme Greye lui ait jamais parlé de cette question et a nié avoir reçu la note de Mme Greye.

[43] N'ayant reçu aucune réponse de Mme Baptiste, Mme Greye a dit qu'elle lui avait écrit à nouveau pour lui demander une explication. À cet égard, une note de Mme Greye à Gloria Baptiste en date du 19 avril a été produite. Gloria Baptiste a encore une fois nié avoir reçu la note, à laquelle Sharon Greye n'a pas reçu de réponse.

[44] Le 20 avril, Mme Greye a informé Gloria Baptiste de la tenue d'une enquête disciplinaire à ce sujet. Gloria Baptiste a reconnu avoir reçu l'avis d'enquête disciplinaire. Toutefois, il ne semble pas y avoir eu d'enquête disciplinaire à ce moment-là. Le 7 septembre 1993, Sharon Greye a écrit à nouveau à Mme Baptiste, lui faisant observer que quatre mois s'étaient écoulés et qu'elle n'avait pas encore fourni d'explication relativement à l'affaire du test de dépistage du VIH. Mme Greye a alors informé Mme Baptiste qu'elle n'aurait d'autre choix que d'envisager le recours à des mesures disciplinaires si elle ne recevait pas une explication écrite avant le 17 septembre 1993.

[45] Gloria Baptiste a dit qu'elle n'avait jamais reçu la note du 7 septembre de Mme Greye. Cependant, une semaine plus tard, elle a fourni à Mme Greye un ensemble de documents portant sur le détenu en question. Il semble que Mme Baptiste ait rencontré le 14 septembre le détenu, qui souhaitait manifestement subir un autre test de dépistage du VIH. Mme Baptiste n'a pas fait de prélèvement sanguin à ce moment-là; cependant, elle aurait alors donné au détenu un counselling pré-test, en réponse à la préoccupation exprimée à l'égard du test de mars.

[46] Le témoignage de Mme Baptiste sur toute cette question prête à confusion et manque parfois de sincérité. Il est tout à fait insatisfaisant, et je le rejette carrément. Je conclus qu'un différend est survenu en mars 1993 sur la question à savoir si un counselling pré-test a été fourni au détenu N et que, en dépit de nombreuses demandes orales et écrites, Gloria Baptiste a refusé de fournir une explication quant à son comportement. Lorsque Mme Baptiste a finalement produit des documents au sujet du détenu en question, en réponse manifestement à la note du 7 septembre de Mme Greye, ceux-ci ne répondaient pas à la préoccupation clairement exprimée. Il convient particulièrement de noter qu'il n'est nulle part indiqué dans la documentation que Gloria Baptiste a éventuellement produite qu'elle avait, en fait, donné au détenu un counselling pré-test en mars.

[47] La Commission a soutenu que je devrais à cet égard tenir compte du fait que Sharon Greye n'a jamais communiqué avec le Dr Hoogewerf pour vérifier s'il avait vraiment demandé le test en question. Il ressort des témoignages de Gloria Baptiste et de Sharon Greye que la formule provinciale de demande de test doit être signée par un médecin. Bien que la note du 7 avril de Mme Greye mentionne le fait que le dossier du détenu ne renferme aucune ordonnance de médecin, l'examen de l'ensemble de la documentation, y compris la note suivante de Mme Greye à Gloria Baptiste, indique clairement que les véritables préoccupations se situaient au niveau du counselling pré-test et de l'absence de consentement éclairé.

[48] En outre, l'appréciation de rendement fait également état d'un manquement de Gloria Baptiste à la confidentialité. Il semble que lorsque Mme Baptiste a rencontré le détenu N, en septembre, elle ait discuté de sa séropositivité en présence d'un garde. Bien entendu, l'état sérologique est une question délicate. Lors de son témoignage, Mme Baptiste n'a pas fourni d'explication satisfaisante relativement à ce manquement apparent à la confidentialité.

[49] Le troisième exemple donné par Sharon Greye pour justifier sa cote Insatisfaisant a trait à l'omission de Mme Baptiste de consigner dans un registre le nom d'un détenu nouvellement admis. Gloria Baptiste ne se souvient pas de cet incident, que Sharon Greye a décrit de façon relativement détaillée, expliquant que les détenus devaient être examinés au moment de leur admission à l'établissement de Matsqui afin de déterminer leur forme physique. La Sécurité omettait couramment d'informer les Services de santé de l'arrivée de nouveaux détenus. En l'occurrence, Mme Greye avait eu vent de l'admission d'un détenu pendant la nuit. Comme le centre de santé ne possédait aucun dossier à son sujet, Mme Greye s'est plainte à la Sécurité de ce qui semblait être une autre rupture de communication. En fait, il s'est avéré que Mme Baptiste avait été informée de l'arrivée du détenu, mais avait oublié de faire les inscriptions nécessaires au registre.

[50] Le témoignage de Mme Greye à cet égard a été étayé par les notes qu'elle avait rédigées à l'époque au sujet de l'incident, et je l'accepte. L'incident en soi n'est pas très grave; toutefois, il convient de le signaler, car il s'agit d'un autre exemple documenté du genre de comportement qui semble avoir caractérisé Gloria Baptiste tout au cours de sa carrière et de l'audience. C'est un autre cas où des employés du SCC ont discuté avec Gloria Baptiste d'une question dont elle a nié peu de temps après avoir eu connaissance. Un comportement aussi déconcertant n'a évidemment pas manqué de susciter beaucoup de conflits et une grande méfiance à l'égard de Gloria Baptiste tout au cours de la période où elle a été à l'emploi du SCC.

[51] Le dernier incident que Mme Greye a cité pour appuyer sa conclusion que le rendement de Gloria Baptiste était insatisfaisant concerne la présumée administration par Mme Baptiste d'un médicament de prescription en l'absence d'ordonnance médicale. En l'occurrence, Mme Baptiste aurait administré à un détenu du Toradol, un analgésique qui est normalement prescrit pour combattre la migraine. Un médecin de l'établissement s'est manifestement inquiété du comportement de Mme Baptiste, car le détenu en question avait la réputation de chercher régulièrement à obtenir des médicaments d'ordonnance.

[52] Lors de son témoignage, Mme Baptiste a dit n'avoir absolument aucun souvenir de cet incident, ce qui contraste avec celui que nous avons relaté à propos du test de dépistage du VIH. Cependant, elle a déclaré avoir donné du Toradol à un détenu, conformément à une ordonnance médicale permanente. Sharon Greye a dit qu'elle ne pensait pas qu'il existait à l'époque une telle ordonnance permanente, bien qu'elle ne puisse l'affirmer catégoriquement. Quoi qu'il en soit, l'examen de la documentation de l'époque révèle que Gloria Baptiste a fourni une explication tout à fait différente. Mme Baptiste avait expliqué antérieurement que le détenu avait demandé un analgésique, qu'elle avait noté qu'il avait tendance à tenter de se procurer des drogues et conclu que le Toradol était un meilleur choix parce qu'il ne contenait pas de codéine. Rien n'indique qu'au moment où elle a administré le médicament, Gloria Baptiste pensait qu'une ordonnance médicale permanente l'autorisait à le faire.

[53] En guise de dernier point, Sharon Greye faisait également remarquer dans cette appréciation de rendement que Gloria Baptiste avait éprouvé de la difficulté à établir ses priorités et à travailler en équipe. Mme Greye a aussi fait état d'une plainte reçue d'un employé du nom de Pierre Bell à propos de dispositions qui avaient été prises pour permettre à des membres de l'équipe de soins de se rendre à Vancouver pour participer à un colloque. Mme Baptiste aurait présumément omis de se présenter à l'heure dite, avec le résultat que le départ des autres employés a été retardé. Lorsque ceux-ci sont arrivés à destination, Mme Baptiste était déjà là. Il semble qu'elle n'ait fourni aucune explication relativement à son omission d'informer qui que ce soit de son changement de plan, et qu'elle ait évité tous ses collègues durant le colloque. M. Bell a confirmé qu'il avait présenté une plainte à Sharon Greye parce que le comportement de Gloria Baptiste l'avait choqué. Mme Baptiste a dit ne pas se souvenir de cet incident, se contentant d'indiquer qu'elle utilise toujours sa propre voiture pour se rendre à des colloques.

[54] Sharon Greye a dit avoir rencontré Gloria Baptiste pour examiner son appréciation de rendement le 11 février 1994. Sur la foi des notes qu'elle avait prises à ce moment-là, Mme Greye a affirmé que Mme Baptiste avait lu l'appréciation de rendement et avait carrément refusé d'en discuter avec elle, se contentant d'indiquer qu'elle ne voulait pas la signer. Dans son témoignage, Mme Greye a dit avoir signalé à Gloria Baptiste le fait que certaines sections de la formule exigent un apport de l'employé(e), ce à quoi Mme Baptiste aurait rétorqué qu'elle n'était pas prête à répondre à des questions. Mme Greye aurait alors dit à Mme Baptiste que si elle n'était pas disposée à discuter avec elle de l'appréciation, elle pouvait le faire avec le sous-directeur intérimaire, qui agissait en l'occurrence comme agent de révision.

[55] Le témoignage de Gloria Baptiste au sujet de ses entretiens avec Mme Greye relativement à son appréciation de rendement prête à confusion. Elle reconnaît avoir eu une discussion avec Sharon Greye au moment où celle-ci lui a remis un exemplaire de l'appréciation de rendement; cependant, elle conteste la version de Mme Greye. Elle prétend qu'elle a dit à Sharon Greye qu'elle était mécontente de l'appréciation et qu'elle en a pleinement discuté avec elle. Toutefois, elle n'a pas fourni de détails quant à ce qu'elle aurait dit à Mme Greye.

[56] On a produit une note à Gloria Baptiste en date du 17 février 1994 signée par Brenda Marshall, le sous-directeur intérimaire. Dans cette note, Mme Marshall demande à Mme Baptiste de lui faire part avant le 2 mars 1994 de tout commentaire qui lui inspire l'appréciation de rendement. Mme Baptiste nie avoir jamais reçu cette note, et Mme Marshall n'a pas témoigné. À mon avis, cela n'est pas important, car Mme Baptiste a dit clairement qu'elle était consciente de son droit de faire un apport au processus d'appréciation de rendement, ainsi que des recours qui s'offraient à elle en cas de désaccord.

[57] L'appréciation de rendement a manifestement été examinée par un comité de révision le 4 mars 1994. Gloria Baptiste n'ayant présenté aucun argument, l'appréciation a été confirmée telle quelle.

[58] Mme Baptiste a fini par répliquer à l'appréciation de rendement de 1993-1994; toutefois, on ne s'entend pas sur le moment où elle l'a fait. Le document qui se veut la réplique de Mme Baptiste est daté du 26 avril 1995, soit 14 mois environ après sa discussion avec Sharon Greye. Mme Baptiste a indiqué qu'elle avait peut-être inscrit la mauvaise année sur le document, précisant qu'elle l'avait présenté, en fait, en avril 1994. L'examen du document proprement dit révèle que cela est peu probable. Selon Mme Baptiste, Sharon Greye a été sa surveillante pendant cinq ans; en avril 1995, c'était le cas mais ce ne l'était plus en avril 1994. Fait plus révélateur, Gloria Baptiste fait allusion dans sa réplique au fait que Shirley Cox remplacera sous peu Sharon Greye à titre de chef des Services de santé. Mme Cox a succédé à Sharon Greye au début de mai 1995.

[59] La réplique de Mme Baptiste comporte surtout des affirmations selon lesquelles elle s'est acquittée de manière satisfaisante, voire entièrement satisfaisante, de chacune des tâches que doit accomplir une infirmière au niveau NU-HOS-03. Mme Baptiste allègue que Sharon Greye a fait preuve de partialité à son endroit et n'a pas évalué son rendement de façon équitable; cependant, elle ne tente aucunement de répondre aux critiques fondamentales.

v) L'appréciation de rendement de 1994-1995

[60] Au début de 1994, l'établissement de Matsqui s'est vu offrir l'occasion d'envoyer un membre de son personnel infirmier suivre un stage de perfectionnement de six mois au Centre psychiatrique régional (CPR). Pierre Bell et Gloria Baptiste ont tous deux manifesté de l'intérêt. Contrairement à Mme Baptiste, M. Bell avait de l'expérience en soins infirmiers psychiatriques. Par conséquent, Mme Greye a estimé que Mme Baptiste tirerait davantage profit de ce stage, et c'est elle qui a été choisie.

[61] Il s'agissait en l'occurrence d'un poste d'infirmière/infirmier psychiatrique classé au niveau NU-HOS-02. Selon Mme Greye, Mme Baptiste désirait vraiment suivre le stage, mais elle craignait d'être rémunérée au niveau NU-HOS-02 durant son séjour au CPR. Mme Greye a donné à Mme Baptiste l'assurance qu'elle continuerait d'être rémunérée au niveau NU-HOS-03, ce qui a semblé apaiser ses inquiétudes.

[62] Mme Baptiste a travaillé au CPR d'avril à octobre 1994 sous la surveillance de Devadas Ilapogu. Selon M. Ilapogu, contrairement aux infirmières/infirmiers de niveau NU-HOS-03, qui s'occupent principalement des besoins physiques des patients et qui font leur travail indépendamment, les infirmières/infirmiers NU-HOS-02 reçoivent constamment des directives et s'occupent des besoins des patients en matière de réadaptation psychosociale.

[63] M. Ilapogu ne connaissait pas Gloria Baptiste avant son arrivée au CPR; en fait, il ne savait rien d'elle. Il a nié avoir jamais eu d'entretiens avec Sharon Greye au sujet de Mme Baptiste.

[64] Selon M. Ilapogu, Mme Baptiste entretenait de bons rapports avec ses patients. Il a dit qu'il n'avait pas reçu de plainte à son sujet de la part des patients durant la période où elle a travaillé au CPR. M. Ilapogu a souligné le besoin au CPR de travailler en équipe du fait que le personnel infirmier traite avec des détenus atteints de troubles mentaux qui peuvent être dangereux. Au cours de son témoignage, il a affirmé que même si elle interagissait avec ses collègues de temps à autre, Mme Baptiste faisait surtout cavalier seul, ce qui le préoccupait. Mme Baptiste s'était dite intéressée à examiner les possibilités de carrière en gestion des soins infirmiers dans la fonction publique fédérale. De l'avis de M. Ilapogu, Mme Baptiste, compte tenu de ses difficultés à interagir avec ses pairs, n'avait pas les qualités de chef nécessaires pour exercer des fonctions de cadre.

[65] M. Ilapogu a été appelé à évaluer le rendement de Mme Baptiste durant la période où il a agi comme son surveillant. Il a coté Entièrement satisfaisant le rendement global de Mme Baptiste pendant cette période. Bien que le ton ait été généralement positif, M. Ilapogu a exprimé des réserves quant aux compétences de Mme Baptiste en soins infirmiers psychiatriques, à la façon dont elle organisait sa charge de travail et à la qualité des observations portées aux dossiers. Il a également fait état de sa tendance à faire cavalier seul et il ne lui a attribué que la cote Satisfaisant pour ce qui est de son aptitude à travailler efficacement avec d'autres employés. La formule comporte une section qui permet au gestionnaire d'indiquer si l'employé est apte à être promu. M. Ilapogu a indiqué qu'il n'était pas en mesure d'évaluer Mme Baptiste à cet égard.

[66] Mme Baptiste est retournée à l'établissement de Matsqui en octobre 1994. En avril 1995, Sharon Greye a rédigé l'appréciation de rendement de Mme Baptiste pour la période comprise entre octobre 1994 et février 1995. Elle lui a attribué la cote Satisfaisant.

[67] Selon Mme Greye, le rendement de Mme Baptiste laissait à désirer à plusieurs égards : connaissance des tâches, attitude à l'égard de son travail, aptitude à prendre des décisions judicieuses, aptitude à prendre par elle-même des mesures qui s'imposent, acceptation de la responsabilité de ses décisions, clarté de ses écrits et réticence à demander conseil, au besoin. La formule d'appréciation est accompagnée d'une longue description d'un incident qui, selon Mme Greye, illustrait toutes les lacunes de Mme Baptiste.

[68] Le 23 octobre 1994, Gloria Baptiste a trouvé un détenu gisant sur le plancher de sa cellule. Il semblait être tombé du lit supérieur. Il était conscient et pouvait bouger sa tête et ses bras; cependant, il se plaignait de douleurs au dos. Mme Baptiste a constaté que les pupilles du détenu étaient égales et réagissaient à la lumière, que sa tension artérielle était de 140/80, que son pouls était de 80 pulsations par minute et rapide et que sa fréquence respiratoire était de 20 respirations par minute. Elle a également constaté que sa peau était sèche et chaude au toucher. Mme Baptiste a porté au dossier l'inscription suivante : Semble être sous l'influence de substance inconnue. Propos décousus. Aucune trace de marques. Mme Baptiste a aussi indiqué avoir administré au détenu une dose de Narcon : Narcon 0.4 I/M. Elle a ensuite fait transporter le détenu par ambulance à l'hôpital public d'Abbotsford.

[69] Le détenu a, bien sûr, émis des doutes au sujet du traitement administré par Gloria Baptiste. En outre, Mme Greye a affirmé dans son témoignage que le médecin de l'établissement était très fâché de ne pas avoir été mis au courant de l'état du détenu, et parce que l'hôpital communautaire s'était plaint du fait qu'il n'avait pas été prévenu de l'arrivée de celui-ci. Mme Baptiste a été priée de décrire son évaluation du cas et les décisions prises en matière de traitement, car l'information qui figurait au dossier à ce sujet n'était pas claire. Elle n'a pas répondu directement à cette demande, se contentant de porter une inscription tardive au dossier médical : Aucun trouble épileptique apparent. Ne semble pas avoir perdu conscience. Suit constamment du regard l'activité de l'infirmière et de l'agent de sécurité. A aidé l'infirmière à lever son bras droit pour installer le brassard de tensiomètre. Capable de serrer les mains de l'infirmière, sur demande. Peut bouger ses orteils pour permettre d'évaluer la force musculaire. Peut lever ses quatre membres sans aide.

[70] Trois jours plus tard, Mme Baptiste a été priée à nouveau de fournir une explication écrite quant aux soins prodigués au détenu. Selon Mme Greye, Mme Baptiste a dit qu'elle ne pouvait fournir de réponse écrite à la demande parce que cela ne faisait pas partie de ses fonctions. Mme Baptiste a donné une explication orale à Mme Greye. Cette dernière a affirmé que Mme Baptiste n'avait pas indiqué pourquoi elle avait donné au détenu du Narcon, se contentant de dire que sa conversation paraissait parfois décousue.

[71] Sharon Greye a exprimé plusieurs préoccupations à l'égard de la réaction de Gloria Baptiste à cette situation. Elle a signalé notamment que Mme Baptiste n'avait pas informé le médecin de l'établissement de l'état du détenu ni prévenu l'hôpital de son arrivée imminente. Mme Baptiste n'avait pas indiqué que le Narcon avait été administré conformément à une ordonnance médicale permanente ni les raisons qui l'avaient amenée à administrer cette substance.

[72] Selon le compte rendu établi par Sharon Greye à la suite de son entretien avec Mme Baptiste, celle-ci n'avait pas informé le médecin de l'établissement de l'état du détenu parce que c'était le surveillant correctionnel qui avait appelé les ambulanciers et envoyé le détenu à l'hôpital. Mme Baptiste aurait affirmé que la décision d'envoyer le détenu à l'hôpital communautaire était justifiée, étant donné la possibilité qu'il se soit infligé une fracture au dos. Mme Greye s'interroge quant au jugement professionnel de Mme Baptiste, compte tenu du fait qu'elle a indiqué dans le dossier que le détenu pouvait tourner sa tête, bouger ses bras et ses orteils, lever ses quatre membres sans aide et serrer les mains de l'infirmière, et que tous ses signes vitaux neurologiques semblaient normaux. De l'avis de Sharon Greye, le détenu aurait dû être gardé sous observation à l'infirmerie.

[73] Selon Sharon Greye, le Narcon est une substance qu'on peut administrer conformément à une ordonnance médicale permanente dans le cas d'un présumé empoisonnement aux opiacés. Un tel état se caractérise par une baisse de la tension artérielle et de la fréquence respiratoire, une perte de conscience ou l'incapacité de réagir aux ordres donnés, l'insensibilité des pupilles à la lumière et la mollesse des membres. Or, aucun de ces symptômes n'a été documenté en l'occurrence; on a plutôt indiqué que la tension artérielle du détenu, son pouls et sa fréquence respiratoires semblaient normaux, que les pupilles étaient égales et réagissaient à la lumière et que le détenu était conscient et capable de dire son nom lorsqu'on le lui demandait.

[74] Mme Baptiste a affirmé lors de son témoignage qu'elle n'avait pas indiqué avoir donné du Narcon conformément à une ordonnance médicale permanente, mais que cela n'était pas nécessaire selon les normes de l'établissement. Lorsqu'on lui a demandé s'il convenait d'administrer du Narcon, compte tenu des symptômes que présentait le détenu, elle a répondu :

[Traduction]

À ce moment-là, je n'ai pas jugé que c'était contre-indiqué. Mme Baptiste n'a pas expliqué ce qui dans l'état du détenu l'avait amenée à administrer cette substance.

[75] Lors de son témoignage, Mme Baptiste a dit qu'elle avait envoyé le détenu à l'hôpital parce que l'établissement n'avait pas de technicien en radiologie. Elle a affirmé qu'elle avait tenté en vain de prévenir le médecin de l'hôpital. Elle a également déclaré qu'elle avait informé l'hôpital de l'arrivée imminente du détenu. Selon Mme Baptiste, le détenu devait bien avoir un malaise puisqu'il est revenu de l'hôpital avec une ordonnance.

[76] Le témoignage de Mme Baptiste au sujet de cet incident est inquiétant. Je constate que Mme Baptiste prétend maintenant qu'elle a tenté de joindre le médecin de l'établissement et qu'elle a téléphoné à l'hôpital la nuit en question, bien que rien au dossier n'indique qu'elle ait jamais fourni cette information à qui que ce soit avant cette audience. Fait plus important, cependant, Mme Baptiste, si l'on se fie aux constatations cliniques consignées, n'a pas fourni d'explication satisfaisante relativement à sa décision d'administrer du Narcon.

[77] Deux autres éléments figurant dans l'appréciation de rendement méritent d'être commentées. Mme Greye a indiqué qu'elle n'était pas en mesure de déterminer quand Mme Baptiste serait apte à être promue, précisant qu'il faudrait que ses connaissances de base en évaluation infirmière soit jugées entièrement satisfaisantes pour qu'elle puisse obtenir de l'avancement. En outre, la formule d'appréciation renferme des observations au sujet de l'incapacité de Mme Baptiste de se souvenir d'instructions reçues.

[78] Malgré les sérieuses réserves qu'elle avait à propos de certains aspects du rendement de Mme Baptiste, Sharon Greye a expliqué qu'elle lui avait en fin de compte attribué la cote Satisfaisant parce que son rendement à plusieurs égards était satisfaisant, voire entièrement satisfaisant.

[79] Un plan de perfectionnement professionnel en date d'avril 1995 a aussi été déposé en preuve. Selon Sharon Greye, on élabore un tel plan pour chaque employé. Le document permet à l'employé de décrire ses aspirations de carrière; l'employeur, pour sa part, décrit les activités de formation obligatoires ou recommandées pour la période visée par le plan. On peut lire que Mme Baptiste désirait obtenir de l'avancement au SCC et accéder à un poste NU-HOS-04 dans un délai de deux ans. Sharon Greye (qui était sur le point de quitter son poste à l'époque) indique dans le plan que Mme Baptiste devrait discuter de ses projets de carrière plus en détail avec son nouveau surveillant, tout en précisant qu'il lui faudrait fournir un rendement entièrement satisfaisant à titre de NU-HOS-03 pour espérer obtenir une promotion. Mme Greye ajoute qu'elle a discuté de cette exigence avec Gloria Baptiste. Bien qu'elle ait signé le plan, Mme Baptiste n'a pas voulu reconnaître qu'elle avait été informée de cette exigence, même si elle n'a pas non plus nié la chose, à ce qu'il me semble.

vi) Les appréciations de rendement établies par Mme Greye au sujet de Gloria Baptiste entre 1990 et 1995 étaient-elles équitables?

[80] À cet égard, il est important de comprendre la nature précise de la plainte de Gloria Baptiste. Mme Baptiste a écrit sur la formule de plainte :

[Traduction]

Mes appréciations de rendement, rédigées par des collègues en compétition avec moi, sous-évaluent mon niveau de rendement et la qualité de mon travail. J'estime que mon travail n'a pas été évalué de façon objective et impartiale. Mon travail est déprécié depuis que j'ai manifesté le désir de devenir gestionnaire.

[81] Rien n'indique que Sharon Greye ait jamais été une collègue en compétition avec Gloria Baptiste.

[82] Il est ressorti clairement à l'audience que la plainte de Mme Baptiste relativement au caractère équitable de ses appréciations de rendement à l'établissement de Matsqui ne se limitait pas aux appréciations établies par des collègues considérés par Mme Baptiste comme étant en compétition avec elle. La plainte de Mme Baptiste repose essentiellement sur sa prétention que Sharon Greye avait à son endroit des préjugés raciaux et que ses appréciations de rendement étaient le reflet de cette attitude, qui lui aurait constamment été préjudiciable. Bien qu'elle ne soit pas clairement énoncée dans la plainte de Mme Baptiste, cette allégation a été examinée en détail à l'audience. Je suis persuadée que le SCC a été pleinement informé de la preuve qu'il aurait à réfuter à cet égard et qu'il s'est pleinement prévalu de cette possibilité.

[83] Selon la Commission, l'évaluation du caractère équitable des appréciations rédigées par Mme Greye (ainsi que des appréciations de rendement établies ultérieurement par d'autres employés de l'établissement de Matsqui) passe par l'examen du contexte qui prévalait au SCC en général et à l'établissement de Matsqui en particulier. Il importe encore une fois, dans l'examen de cette preuve, de ne pas oublier la nature de la plainte de Mme Baptiste. Il ne s'agit pas d'une plainte de harcèlement racial en milieu de travail. Mme Baptiste ne prétend pas que les qualificatifs et le langage peu flatteurs à caractère sexiste utilisés par les détenus et les employés à son endroit ont empoisonné son milieu de travail. En fait, il est évident que Mme Baptiste n'était pas consciente de la plupart des remarques désobligeantes des employés à son endroit. Mon rôle consiste plutôt à examiner si la preuve relative au langage peu flatteur utilisé et aux attitudes racistes en milieu de travail démontre que les préjugés raciaux ont joué un rôle dans les questions qui sont au cœur de la plainte de Mme Baptiste, à savoir les allégations voulant que son rendement n'ait pas été évalué de façon équitable et qu'on lui ait refusé des possibilités d'avancement. Dans cette optique, il convient de se pencher sur le climat qui régnait à l'établissement de Matsqui.

a) Le climat à l'établissement de Matsqui

[84] En l'espèce, on a consacré beaucoup de temps à l'audition de témoignages portant sur le climat qui régnait au SCC en général et à l'établissement de Matsqui en particulier. Il est évident que les pénitenciers fédéraux sont des lieux de travail difficiles et que les détenus fédéraux posent des défis particuliers aux employés et notamment au personnel infirmier. De plus, il semble fréquent que le personnel infirmier soit invectivé par les détenus. La violence des détenus à l'endroit du personnel infirmier se manifestait de diverses façons et se présentait notamment sous la forme de qualificatifs à caractère sexiste. Par exemple, on traitait les infirmières de maudites putains et de salopes. On qualifiait une infirmière d'un certain âge de vieille vache. Un infirmier se souvient qu'on lui ait accolé des étiquettes homophobes telles que pédé et homo; d'autres membres du personnel infirmier se souviennent que ce même individu avait droit à des quolibets rappelant son origine francophone. Bien qu'ils disent souvent aux détenus que leur langage est inacceptable, les infirmières et infirmiers n'ont généralement recours au processus disciplinaire que s'ils estiment que leur sécurité est compromise. Plusieurs infirmières et infirmiers ont affirmé que la violence verbale est un phénomène tellement répandu qu'il serait tout simplement irréaliste de songer à avoir recours au processus disciplinaire chaque fois que survient un incident.

[85] Une grande partie de la violence dont Mme Baptiste faisait l'objet avait une connotation raciale. Les détenus la traitaient souvent de chienne noire, et au moins un d'entre eux l'appelait la déesse de la jungle. Un certain nombre de témoins ont affirmé que Gloria Baptiste se montrait souvent brusque envers les détenus et qu'elle avait tendance à être condescendante, ce qui provoquait des affrontements et suscitait de la violence verbale. Les témoins ont donné divers exemples de ce comportement, dont beaucoup n'ont pas été contestés par Mme Baptiste. Toutefois, les témoins ont également admis que depuis l'époque du rapport d'enquête sur le harcèlement (1991), certains détenus n'aimaient pas Mme Baptiste parce qu'elle était de race noire, faisant remarquer que certaines des réactions négatives à son endroit étaient motivées par leurs préjugés raciaux. Sharon Greye a elle-même déclaré qu'il était notoire dans l'ensemble du système correctionnel que les détenus faisaient souvent preuve d'une attitude raciste déplorable.

[86] Au dire de Gloria Baptiste, certains collègues qu'elle n'a pas nommés s'en donnaient à cœur joie lorsque des détenus l'affublaient de noms racistes. Mme Baptiste a affirmé qu'elle avait rédigé des rapports d'observation ou des plaintes en bonne et due forme au sujet du comportement des détenus mais qu'à sa connaissance, aucun suivi n'avait jamais été donné. À titre d'exemple, Mme Baptiste a parlé d'une plainte qu'elle avait présentée à propos d'un incident survenu en 1998. Bien qu'une énorme quantité de documents ait été déposée en preuve en ce qui touche les premières années de Mme Baptiste à l'établissement de Matsqui, je n'ai été saisie d'aucun rapport d'observation et d'aucune plainte écrite au sujet de la violence raciale manifestée à son endroit. Même si on n'a pas contesté le fait que Mme Baptiste ait fait l'objet de violence raciale de la part des détenus durant cette période, je n'accepte pas son témoignage voulant qu'elle ait déposé des plaintes écrites à ce sujet et que rien n'ait été fait.

[87] Il est peut plus évident que Gloria Baptiste n'était pas populaire auprès de ses collègues, dont beaucoup la trouvaient brusque ou très distante. Plusieurs ont émis des réserves quant à ses compétences en soins infirmiers et beaucoup ont exprimé l'avis qu'elle n'était pas une joueuse d'équipe et qu'elle n'était pas prête à aider ses collègues. Même Jasmine MacKay et Eva Sabir, les deux infirmières qui ont témoigné en sa faveur, ont acquiescé du bout des lèvres à l'opinion voulant qu'elle soit une joueuse d'équipe. Un certain nombre de collègues ont même dit qu'ils se méfiaient d'elle, du fait qu'elle avait carrément nié dans certains cas avoir eu des discussions ou des ententes avec eux. On a signalé que certains de ses pairs traitaient de temps à autre Gloria Baptiste de noms racistes, notamment de chienne noire et de beauté noire. À une certaine époque, des collègues désignaient Mme Baptiste sous le nom de Gloria Black afin de la distinguer d'une autre employée prénommée Gloria, qui répondait au nom de Gloria White. La majeure partie de ces remarques était faite dans le dos de Mme Baptiste, sans qu'elle en soit consciente.

[88] Mme Baptiste a fait mention d'une remarque raciste que lui aurait faite un collègue au début de sa carrière au SCC. Au dire de Mme Baptiste, Lee (Richardson) Nelson lui aurait dit :

[Traduction]

Je suis le sel et tu es le poivre. Mme Baptiste a dit s'être plainte à Mme Greye de cette remarque et que cette dernière lui aurait dit qu'elle leur laissait le soin de [Traduction] régler ça entre elles. Mme Greye ne se souvient pas que Mme Baptiste lui ait jamais parlé de cet incident; elle a fait observer qu'elle s'en souviendrait sans doute, vu la nature inusitée du commentaire.

[89] Lee Nelson a nié avoir jamais fait le commentaire qu'on lui a attribué, bien que sa dénégation n'ait pas été tout à fait inéquivoque. Elle a déclaré qu'elle ne se souvenait pas d'une telle affirmation et qu'elle ne pouvait pas dire si elle l'avait faite. Mme Nelson n'a pas été un témoin impressionnant. Elle a reconnu avoir affublé Mme Baptiste de noms racistes à un certain nombre de reprises. Sa prétention, quelque peu facétieuse, voulant que sa référence à Mme Baptiste à titre de beauté noire se voulait un compliment mine grandement sa crédibilité. J'ai d'importantes réserves quant à la fiabilité du témoignage de Mme Baptiste; toutefois, dans ce cas-ci, je préfère le témoignage de Mme Baptiste à celui de Lee Nelson, et je conclus que Mme Nelson a vraiment fait le commentaire en question.

[90] Cependant, je ne suis pas prête à conclure que Mme Baptiste a porté la question à l'attention de Sharon Greye. Je souscris à l'opinion de Sharon Greye voulant qu'on se souviendrait d'une plainte de cette nature. Mme Greye n'a en aucun souvenir. À cet égard, je préfère le témoignage de Mme Greye à celui de Gloria Baptiste.

[91] On a également allégué que certains surveillants affublaient Mme Baptiste de noms racistes. J'examinerai ces allégations par rapport à chaque surveillant qui a traité avec Gloria Baptiste. Cependant, on n'a pas nié que Sharon Greye ait qualifié au moins une fois Gloria Baptiste de chienne noire. Mme Greye a dit qu'elle et un représentant du Personnel avaient pris des dispositions pour rencontrer Gloria Baptiste et un délégué syndical. Mme Greye attendait l'arrivée de Mme Baptiste. Comme elle n'arrivait pas, elle a communiqué avec le délégué syndical, qui lui a dit que la rencontre avait été annulée et que Gloria Baptiste devait l'en informer. Mme Greye a dit qu'elle était tellement frustrée et fâchée qu'elle s'est mise à la recherche de Gloria Baptiste en criant : Où est donc la chienne noire? ou quelque chose du genre. Mme Greye a indiqué que dès que les mots sont sortis de sa bouche, elle s'est rendu compte de ce qu'elle avait dit et s'est excusée aussitôt auprès de Jasmine MacKay et d'Eva Sabir, qui avaient été témoins de la scène. Sharon Greye a dit que c'est la seule fois qu'elle a traité Mme Baptiste de chienne noire.

[92] Jasmine MacKay et Eva Sabir ont confirmé la description que Mme Greye a donnée de l'incident, y compris le fait qu'elle s'était excusée en voyant Mme MacKay et Mme Sabir près d'elle. On ne sait trop quand cet incident a eu lieu mais, chose certaine, c'était en 1996 ou 1997 (9).

[93] Au cours de son témoignage, Pierre Bell a affirmé qu'il avait entendu Mme Greye appeler Mme Baptiste la chienne noire. Selon M. Bell, Mme Greye, au sortir de son bureau après un entretien avec Gloria Baptiste, s'est écriée [Traduction] : Maudite chienne noire!. M. Bell a décrit Mme Greye comme étant très agitée -- [Traduction] Pas dans un état normal --, précisant qu'elle était sortie dehors pour fumer quelques cigarettes. M. Bell ne se souvient pas qu'Eva Sabir et Jasmine MacKay aient été là. Il estime toutefois que c'est peu probable, puisque Mmes MacKay et Sabir ne sont pas du même quart de travail que lui. On ne sait pas exactement quand cet incident a eu lieu.

[94] Compte tenu de la description des événements fournie par M. Bell, je crois qu'il est plus que probable que Sharon Greye ait traité Gloria Baptiste de chienne noire une deuxième fois. M. Bell n'a aucune raison de mentir au sujet de cet incident. D'après sa description de l'incident, il semble qu'il s'agissait d'une situation différente de celle évoquée par Mmes Greye, MacKay et Sabir. Il convient également de mentionner que Sharon Greye ne se souvient pas que M. Bell ait été présent au moment où elle a fait le commentaire devant Eva Sabir et Jasmine MacKay. Comme Sharon Greye a reconnu bien candidement qu'elle avait traité Gloria Baptiste de chienne noire à une occasion, je pense que le fait qu'elle ne se rappelle pas du deuxième incident est vraisemblablement le résultat du passage du temps plutôt que d'un manque de transparence de sa part (10).

[95] J'ai conclu que les détenus et les collègues de Mme Baptiste affublaient cette dernière de noms racistes, et que Sharon Greye a traité Gloria Baptiste de chienne noire à deux reprises. Ce comportement, particulièrement de la part des employés du SCC, est à la fois non professionnel et inacceptable, et n'a pas de raison d'être dans un lieu de travail. Cependant, il convient de se rappeler que la plainte de Mme Baptiste ne porte pas sur l'existence d'un climat de travail empoisonné, mais plutôt sur l'évaluation inéquitable de son rendement professionnel.

b) La race de Mme Baptiste a-t-elle influencé les appréciations établies par Sharon Greye?

[96] La question que je dois me poser est la suivante : les appréciations de rendement établies par Mme Greye étaient-elles inéquitables et la race de Mme Baptiste a-t-elle influencé l'évaluation par Mme Greye de son rendement. Je ne suis pas persuadée que c'est le cas.

[97] Selon la Commission, les appréciations de Mme Greye consistent en de nombreuses criailleries. Je ne suis pas d'accord. Les appréciations de rendement établies par Mme Greye étaient détaillées et minutieuses. Elle a cité des exemples précis pour justifier l'évaluation du rendement de Mme Baptiste et les cotes qu'elle lui avait attribuées. Durant ses cinq premières années de service au SCC, Mme Baptiste a fait preuve plusieurs fois d'un piètre jugement, notamment lorsqu'elle a omis de donner un counselling pré-test à un détenu et à l'occasion de l'administration de Narcon en l'absence de constatations cliniques justifiant le recours à un médicament contre l'empoisonnement aux opiacés. Les explications de Mme Baptiste au sujet des incidents décrits dans les appréciations de rendement ne sont pas du tout satisfaisantes. En outre, je n'ai été saisie d'aucune preuve confirmant que l'approche de Sharon Greye vis-à-vis de l'évaluation du rendement de Mme Baptiste différait d'une façon ou d'une autre de celle qu'elle suivait pour évaluer le rendement de ses collègues.

[98] Il y a lieu de noter que bien qu'elle ait reconnu avoir été mise au courant des recours qui s'offraient à elle si elle désirait contester une appréciation de rendement de Mme Greye, Mme Baptiste n'a à aucun moment pris de mesures en ce sens, si ce n'est qu'elle a répondu à l'appréciation de 1994 quinze mois environ après le fait.

[99] En outre, il est très révélateur que l'appréciation de rendement établie par Devadas Ilapogu reprenne un bon nombre des préoccupations qui ont été des thèmes récurrents dans les appréciations de rendement de Mme Greye. Gloria Baptiste estime que les opinions de tous ses surveillants subséquents ont été empreintes de l'attitude raciste de Sharon Greye. Cependant, rien ne démontre que Devadas Ilapogu ait jamais eu quoi que ce soit à voir avec Mme Greye.

[100] Gloria Baptiste et Sharon Greye ont eu une relation professionnelle longue et parfois très difficile. Il est évident que Mme Baptiste était une employée très difficile à diriger et que le sentiment de frustration de Mme Greye à l'égard de Mme Baptiste s'est amplifié avec le temps. Même si le fait que Mme Greye ait qualifié Mme Baptiste de chienne noire est vraiment inquiétant, je ne puis conclure, après mûre réflexion, à l'existence du lien nécessaire entre les remarques intempestives de Mme Greye et ses évaluations négatives du rendement de Mme Baptiste.

c) Les cotes de rendement attribuées à Mme Baptiste se sont-elles dégradées après qu'elle eut manifesté le désir de devenir gestionnaire?

[101] Mme Baptiste s'est également plainte d'avoir obtenu de plus mauvaises cotes après avoir informé Sharon Greye de son désir de devenir gestionnaire. La première mention écrite de cet objectif professionnel de Mme Baptiste remonte à l'appréciation de rendement établie par Devadas Ilapogu en octobre 1994. Le premier document établi par Sharon Greye faisant état des ambitions de Mme Baptiste est le plan de perfectionnement personnel élaboré en avril 1995. Cependant, Mme Baptiste a dit avoir informé de vive voix Sharon Greye de ses aspirations à un certain moment avant 1994.

[102] Mme Greye croit que c'est en avril 1995 qu'elle a été informée pour la première fois des aspirations professionnelles de Mme Baptiste. Toutefois, elle n'a pas été en mesure de l'affirmer catégoriquement.

[103] Vu mes réserves quant à la fiabilité du témoignage de Gloria Baptiste en général, et étant donné le caractère imprécis de son allégation voulant qu'elle ait informé antérieurement Sharon Greye de son désir de devenir gestionnaire, je ne puis accepter le témoignage de Mme Baptiste voulant qu'elle ait fait part à Mme Greye de ses aspirations professionnelles avant avril 1995. Cependant, il est possible que Mme Greye soit devenue au courant des ambitions de Mme Baptiste vers la fin de 1994, en raison de la note figurant dans l'appréciation de rendement établie par Devadas Ilapogu.

[104] Sharon Greye a coté le rendement de Gloria Baptiste Satisfaisant en 1991 et 1992, Entièrement satisfaisant en 1993 et Insatisfaisant au début de 1994. En supposant que Sharon Greye ait pris conscience des ambitions professionnelles de Mme Baptiste vers la fin de 1994, l'appréciation suivante -- la dernière -- établie par Sharon Greye au début de 1995 indique que le rendement de Mme Baptiste était Satisfaisant, ce qui représente une amélioration par rapport à l'appréciation antérieure. En conséquence, je ne vois aucun fondement à la prétention de Mme Baptiste voulant que Sharon Greye l'ait moins bien cotée après être devenue au courant de son désir de devenir gestionnaire. Nous examinerons plus loin dans la présente décision si les appréciations de rendement établies après 1995 par les autres surveillants de Mme Baptiste étaient équitables.

B. Concours -- Poste de chef d'équipe intérimaire

i) Processus de demande

[105] Mme Baptiste s'est plainte qu'on lui ait refusé en janvier 1997 la possibilité d'agir comme chef d'équipe intérimaire à l'établissement de Matsqui, malgré le fait qu'on avait antérieurement promis de la nommer à ce poste.

[106] Gerwyn Mills était à l'époque l'administrateur régional des Services de santé de la Région du Pacifique au SCC. Selon M. Mills, les chefs des Services de santé dans deux établissements ont pris leur retraite en 1995. La direction du SCC a commencé à examiner les moyens de réorganiser la structure de gestion dans la Région du Pacifique afin qu'elle soit plus efficace en termes de coûts. On a décidé de tenter de remplacer par un seul chef les gestionnaires de plusieurs établissements. En mai 1995, Shirley Cox a été nommée chef des Services de santé de la vallée inférieure du Fraser, secteur qui comprenait l'établissement de Mission et l'établissement Ferndale. Mme Cox a pris à ce moment-là la relève de Sharon Greye à l'établissement de Matsqui. Mme Greye a été détachée auprès du bureau régional.

[107] M. Mills a affirmé que contrairement aux autres établissements, qui possédaient peu d'installations médicales, l'établissement de Matsqui était doté d'une infirmerie pouvant accueillir des malades. Vu la nature plus complexe des soins et l'accroissement correspondant de la charge de travail, il a été décidé de tenter l'expérience de nommer à Matsqui un gestionnaire de niveau NU-HOS-04 qui pourrait surveiller l'infirmerie lorsque le chef se rendait dans d'autres établissements.

[108] Comme il s'agissait d'une expérience, on n'a pas créé de poste permanent ni tenu de concours en bonne et due forme. En juillet 1995, on a annoncé un poste de chef d'équipe intérimaire à l'établissement de Matsqui. L'avis au personnel précisait que, selon le nombre de candidats, on pourrait procéder à des nominations intérimaires par rotation. L'avis initial précisait que les demandes devaient être présentées au Personnel avant le 8 août.

[109] Le poste de chef d'équipe intérimaire intéressait Gloria Baptiste, qui a présenté une demande avant la date limite, à l'instar d'une autre infirmière du nom de Donna Raketti. Toutefois, aucune mesure n'a été prise à l'époque pour doter le poste. Le 16 août, un deuxième avis au personnel a été affiché; la date limite a alors été fixée au 30 août.

[110] Marie Dunn, qui était chef intérimaire du Personnel à l'établissement de Matsqui, aidait Mme Cox dans le processus de recrutement. Mme Dunn a dit avoir rencontré Shirley Cox le 15 août pour faire le point. Normalement, Mme Dunn aurait consulté le dossier du service du personnel immédiatement avant la rencontre. En l'occurrence, Mme Dunn avait cru comprendre que personne n'avait posé sa candidature, ce qu'elle a dit à Mme Cox. Pour sa part, Mme Cox croyait comprendre que des membres du personnel infirmier de l'établissement de Matsqui étaient intéressés par le poste. Aussi Mmes Dunn et Cox ont-elles pris la décision d'annoncer à nouveau le poste.

[111] Le timbre-dateur du SCC confirme que le Personnel a reçu les demandes de Gloria Baptiste et de Donna Raketti le 8 août 1995. Ce jour-là, une lettre signée par l'adjointe de Mme Dunn, Francine Goodfellow, au nom de cette dernière a été envoyée à Mme Baptiste en guise d'accusé de réception de sa demande. Par conséquent, il est quelque peu étonnant que Mme Dunn n'ait pas été au courant des demandes déjà présentées lorsqu'elle a rencontré Mme Cox le 15 août. Mme Dunn a expliqué que Mme Goodfellow l'avait peut-être mal informée.

[112] Bien que la Commission a fait grand cas de cette anomalie, je n'y attache pas une grande importance, et ce pour plusieurs raisons. Le souvenir de Mme Dunn était très nébuleux, ce qui n'est pas étonnant, compte tenu du nombre de processus de dotation dont elle s'est occupée entre 1995 et la date de son témoignage. En fait, elle s'est d'abord rappelée que le délai accordé pour présenter une demande avait été prorogé en raison du faible nombre de candidatures reçues. La documentation établie à l'époque jette un peu de lumière sur la question : la note versée au dossier par Mme Dunn au sujet de sa rencontre avec Mme Cox indique seulement que cette dernière avait demandé de proroger le délai parce qu'elle croyait que certains employés de sa section souhaitaient poser leur candidature. Il est apparemment très correct de proroger le délai, même si l'on reçoit des demandes dans le délai initial, lorsque les gestionnaires veulent élargir le bassin de candidats. Cela se produit souvent dans les périodes où il y a beaucoup de congés, notamment l'été, lorsque beaucoup d'employés sont en vacances. Il y a lieu de noter que bien que Gloria Baptiste ait allégué avoir fait l'objet de préjugés raciaux de la part d'un nombre appréciable d'employés du SCC, elle n'a fait aucune insinuation en ce sens au sujet de Marie Dunn, qui a été à notre avis un témoin crédible. La décision de proroger le délai a eu les mêmes conséquences pour Donna Raketti, une employée de race blanche, que pour Gloria Baptiste. Fait plus important, les résultats du processus de recrutement ne militent pas en faveur d'une sombre conclusion : Mme Baptiste s'est en fait vu offrir une affectation par rotation au poste de chef d'équipe intérimaire, bien que les conditions de cette offre restent à déterminer.

[113] À la suite de la prorogation du délai fixé pour la présentation des demandes et de discussions entre les gestionnaires et le personnel, Jenny Plate et Kim Watkins ont elles aussi posé leur candidature. Shirley Cox a examiné les quatre demandes et les quatre candidates se sont vu offrir la possibilité d'agir comme chef d'équipe. Jenny Plate a obtenu la première affectation, suivie de Kim Watkins, Donna Raketti et Gloria Baptiste. Comme le niveau de rendement de Gloria Baptiste avait été jugé tout juste satisfaisant, Mme Cox a décidé de mettre Mme Baptiste à la fin de la liste afin de lui donner le temps d'améliorer son rendement. Dans les notes de Mme Cox, on peut lire :

[Traduction]

Elle ne peut être admissible à l'occasion de perfectionnement tant que son rendement n'aura pas été jugé entièrement satisfaisant.

[114] Mme Cox a dit avoir basé ses commentaires à l'égard de Gloria Baptiste sur la dernière appréciation de rendement, ainsi que sur ses propres observations concernant Mme Baptiste et les discussions qu'elle avait eues avec le personnel. Bien qu'elle ait discuté du rendement de Mme Baptiste avec certains autres gestionnaires, Mme Cox a affirmé qu'elle n'avait jamais eu de discussions avec Sharon Greye au sujet de Gloria Baptiste.

[115] Mme Cox a également mené une entrevue avec Mme Baptiste. Elle a décrit Mme Baptiste comme très hésitante à l'entrevue. Elle s'est livrée au même exercice avec les autres candidates, sauf Donna Raketti. Mme Raketti était une employée de fraîche date à l'établissement de Matsqui, ayant joint le SCC après une carrière en gestion des soins infirmiers dans le système d'hôpitaux publics. En conséquence, Mme Raketti n'avait encore fait l'objet d'aucune appréciation de rendement en bonne et due forme au SCC. Dans le cas de Mme Raketti, Mme Cox a fondé son évaluation sur l'entrevue, ainsi que sur sa propre observation de son rendement professionnel.

[116] Le 25 septembre 1995, Mme Baptiste a été informée des résultats du processus de recrutement. La lettre qu'elle a reçue, qui était signée par Mme R. Fulbrook, chef intérimaire du Personnel à l'établissement de Matsqui, l'informait qu'elle allait agir comme chef d'équipe intérimaire du 1er janvier au 1er mars 1997. Toutefois, il ne s'agissait pas d'une offre inconditionnelle. Dans sa lettre, Mme Fulbrook précisait :

[Traduction]

Ce sont les nominations intérimaires prévues; cependant, il pourrait y avoir des changements selon le rendement de chaque employé et la disponibilité du personnel au moment des nominations. (Je souligne.)

[117] Marie Dunn a expliqué que l'exigence du rendement Entièrement satisfaisant ne figurait pas parmi les exigences officielles énumérées dans l'énoncé de qualités. Cependant, on allait tenir compte du niveau de rendement individuel dans l'évaluation des candidats, en vertu du principe voulant que le rendement antérieur soit habituellement un indicateur fiable du rendement futur. Il était loisible au gestionnaire de refuser de nommer à un poste un candidat qui n'avait pas fourni un rendement entièrement satisfaisant.

[118] Shirley Cox a dit avoir rencontré Gloria Baptiste à l'automne 1995 afin de lui expliquer pourquoi elle avait mis son nom à la fin de la liste de candidats. Mme Cox aurait dit à Mme Baptiste qu'elle ne pourrait exercer les fonctions de chef d'équipe que si son rendement devenait entièrement satisfaisant. Mme Baptiste aurait demandé à Mme Cox si elle croyait possible qu'elle puisse atteindre ce niveau. Mme Cox lui aurait répondu qu'elle pourrait y parvenir avec de l'aide et à force de travail.

[119] Mme Baptiste nie qu'un tel entretien ait jamais eu lieu.

[120] Compte tenu de mes réserves quant à la fiabilité du témoignage de Mme Baptiste, je préfère celui de Mme Cox. Je conclus qu'à l'automne 1995, on a dit à Gloria Baptiste qu'elle pourrait agir comme chef d'équipe intérimaire si elle parvenait à fournir un niveau de rendement entièrement satisfaisant.

ii) Rendement subséquent de Mme Baptiste

[121] Brenda Marshall, le sous-directeur de l'établissement de Matsqui, a révisé l'appréciation de rendement d'avril 1995 de Mme Baptiste telle qu'établie par Sharon Greye. Le 8 mai 1995, Mme Marshall a écrit à Gloria Baptiste pour l'informer que même s'il avait été coté satisfaisant, son rendement frisait le niveau insatisfaisant, car il était insatisfaisant sous plusieurs aspects. Mme Marshall a également indiqué à Mme Baptiste qu'elle avait demandé à Mme Cox (qui venait de succéder à Mme Greye comme surveillante de Mme Baptiste) d'évaluer mensuellement son rendement. Mme Baptiste nie avoir reçu cette note; en outre, elle nie que Mme Cox ait jamais produit d'appréciations mensuelles de son rendement.

[122] Shirley Cox a affirmé qu'elle avait établi des appréciations mensuelles de rendement. Elle a dit avoir d'abord rencontré Mme Baptiste pour passer en revue ses appréciations de rendement antérieures et dégager les aspects posant problème. Elle a ensuite rencontré Mme Baptiste chaque mois. Durant ces rencontres, Mme Cox discutait d'exemples précis du rendement de Mme Baptiste, exemples choisis par cette dernière. Les gestes posés par Mme Baptiste étaient ensuite évalués par rapport aux normes de l'Association des infirmières et infirmiers autorisés de la Colombie-Britannique, afin de déterminer si elle était capable de respecter les normes. Divers courriels que se sont échangées à l'époque Mme Cox, Brenda Marshall et Marie Dunn confirment que Mme Cox a eu une première rencontre avec Gloria Baptiste, ainsi que son intention de la rencontrer ensuite chaque mois.

[123] Lors de son témoignage, Shirley Cox a indiqué que Jenny Plate avait pris part à ces rencontres. Mme Plate a agi comme chef intérimaire des Services de santé à l'établissement de Matsqui entre le départ de Sharon Greye et l'arrivée de Shirley Cox. Après la nomination de Shirley Cox au poste de chef des Services de santé, Mme Plate a continué de la remplacer de façon officieuse lorsqu'elle s'absentait de l'établissement de Matsqui, alors que le processus de recrutement était en cours. Mme Plate a confirmé avoir assisté à au moins deux des rencontres mensuelles; sa description de la nature et de l'objet des rencontres cadre avec celle fournie par Mme Cox. Selon Mme Plate, Mme Baptiste déployait beaucoup d'efforts lors de ces discussions. Une fois de plus, je préfère le témoignage de Mme Cox et de Mme Plate à celui de Gloria Baptiste et je conclus qu'il y a eu en 1995 une série de rencontres dans le but d'aider Mme Baptiste à améliorer son rendement.

[124] Le 1er octobre 1995, Mme Plate a officiellement pris la relève à titre de chef d'équipe intérimaire. Le lendemain, Mme Plate a écrit à l'agent de sécurité préventive de l'établissement pour lui dire qu'elle s'inquiétait pour la sécurité de Gloria Baptiste. Mme Plate disait avoir reçu deux ou trois plaintes de détenus qui disaient que Mme Baptiste était brusque dans ses rapports avec eux. Lors d'une discussion avec un des détenus qui s'était plaint, ce dernier a dit à Mme Plate que beaucoup de détenus éprouvaient des problèmes avec Mme Baptiste à cause de son attitude et que sa sécurité serait compromise en cas d'émeute à l'établissement. Mme Plate a affirmé qu'elle s'était déjà entretenue avec Mme Baptiste de la manière dont elle traitait les détenus et qu'elle l'avait fait à nouveau à la suite de cette plainte. Elle a dit à Mme Baptiste qu'elle avait souvent constaté qu'elle interrompait fréquemment les gens et tentait de répondre aux questions des détenus avant qu'ils aient fini de les poser. Au cours de sa discussion avec Mme Plate portant sur cette dernière plainte, Mme Baptiste a nié qu'elle éprouvait des difficultés dans ses relations interpersonnelles. De plus, elle a nié que Mme Plate lui ait jamais fait part d'une telle préoccupation.

[125] Gloria Baptiste a nié que tout cela se soit jamais produit.

[126] En février 1996, le rendement de Gloria Baptiste a à nouveau été évalué, cette fois par Mme Plate, qui terminait son affectation à titre de chef d'équipe intérimaire. Shirley Cox a également pris part à l'exercice, au terme duquel le rendement de Gloria Baptiste a été coté Satisfaisant dans l'ensemble. Mme Plate a indiqué qu'elle avait évalué le rendement de Mme Baptiste en fonction des divers aspects et que Shirley Cox avait rédigé les observations écrites.

[127] Il semble que Mme Plate n'interprétait peut-être pas les diverses cotes de rendement possibles exactement de la même façon que les autres surveillants que Mme Baptiste avait eus. Selon Mme Plate, Entièrement satisfaisant voulait dire que l'employé dépassait souvent les attentes énoncées dans les normes de l'Association des infirmières et infirmiers autorisés. Quelle que soit l'interprétation de Mme Plate, les avocats de la Commission ont clairement indiqué qu'on -- la Commission à tout le moins -- ne voulait pas laisser entendre que l'application par Mme Plate des normes au rendement de de Mme Baptiste était motivée par des considérations raciales. En outre, rien ne prouve que Mme Plate ait évalué le rendement de Mme Baptiste en fonction d'une norme différente de celle appliquée aux autres infirmières et infirmiers de niveau NU-HOS-03 à l'établissement de Matsqui. Il y a lieu également de noter que Shirley Cox a révisé et approuvé l'appréciation de Mme Baptiste établie par Mme Plate.

[128] Pour la plupart des aspects, Mme Baptiste s'est vu attribuer la cote Satisfaisant et parfois la cote Entièrement satisfaisant; toutefois, son rendement a été jugé insatisfaisant pour ce qui est de sa capacité de travailler efficacement avec les détenus. L'appréciation faisait état des plaintes reçues au sujet de son attitude, De plus, les détenus estimaient qu'elle ne les écoutait pas et qu'elle n'était pas sympathique à leur endroit. Les détenus disaient d'elle qu'elle était aggressive et les bousculait afin qu'elle puisse faire d'autres choses plus importantes. Le document précisait également qu'elle s'était employée à améliorer son rendement, mais que ses rapports avec le personnel et les détenus suscitaient encore des préoccupations.

[129] Mme Baptiste a participé à ce processus d'appréciation. Elle a notamment indiqué qu'elle aspirait à accéder au poste de chef d'équipe dans un délai de deux à trois ans. Dans la partie réservée à l'employeur, il est précisé que Mme Baptiste ne serait pas apte à être promue avant trois à cinq ans. L'objectif convenu pour l'année à venir était le suivant : Gloria Baptiste continuerait de travailler, de concert avec l'équipe de soins de l'établissement de Matsqui, à l'exécution des tâches qui lui seraient confiées au fur et à mesure des besoins.

[130] Fait plus important, l'appréciation de rendement précisait :

[Traduction]

Gloria a manifesté le désir d'agir comme chef d'équipe intérimaire. Cela ne sera possible qu'une fois que Gloria aura atteint un niveau de rendement entièrement satisfaisant.

[131] Mmes Plate, Cox et Baptiste se sont réunies le 6 février 1996 pour discuter de l'appréciation de rendement. Au cours de la rencontre, Mme Baptiste a apposé sa signature dans la section précisant que l'employé(e) a revu et approuvé l'évaluation de ses surveillants, mais elle n'a pas coché la case indiquant qu'elle était d'accord avec l'évaluation. L'évaluation a ensuite été soumise à un comité de révision. Le 19 avril 1996, le comité de révision a écrit :

[Traduction]

Le comité de révision est heureux de constater qu'il y a eu amélioration et encourage Mme Baptiste à poursuivre ses efforts pour que son rendement devienne entièrement satisfaisant. La signature de Mme Baptiste figure encore une fois en dessous des observations du comité de révision; il est précisé dans cette section qu'elle a lu le rapport dûment rempli. La deuxième signature de Mme Baptiste est accompagnée de la mention de la date (29 avril 1996).

[132] Mme Baptiste a affirmé qu'au cours de sa rencontre de février 1996 avec Mme Plate et Mme Cox, cette dernière a accepté de relever sa cote (au niveau Entièrement satisfaisant) et qu'elle a signé le document sur la foi de cette entente. Je rejette carrément le témoignage de Mme Baptiste à cet égard. Non seulement Shirley Cox et Jenny Plate ont-elles nié qu'une telle entente ait jamais été conclue, mais la version de Mme Baptiste n'est tout simplement pas digne de foi lorsqu'on l'examine à la lumière de son comportement antérieur dans le processus d'appréciation du rendement. De toute évidence, il régnait depuis longtemps un climat de méfiance entre Mme Baptiste et la direction du SCC. Elle avait sans cesse refusé de signer ses appréciations de rendement, même lorsqu'elle était d'accord avec leur contenu. Penser que Gloria Baptiste puisse signer une appréciation de rendement indiquant qu'elle était d'accord avec le contenu, alors que ce n'était pas le cas, sous réserve de la promesse que la cote serait modifiée une fois le document signé, dépasse tout simplement l'entendement.

[133] En outre, le témoignage de Mme Baptiste ne concorde pas avec l'appréciation de rendement proprement dite. Il est évident que Mme Baptiste a signé le document une deuxième fois, après qu'il eut été soumis au comité de révision. Le comité de révision encourageait Mme Baptiste à améliorer son rendement afin d'atteindre le niveau Entièrement satisfaisant. Il était évident à la lecture du document que, de l'avis du comité de révision, Gloria Baptiste en n'était pas encore là.

[134] Mme Baptiste a reconnu avoir signé l'appréciation une deuxième fois, après son examen par le comité de révision, quoiqu'elle ait laissé entendre qu'elle n'avait peut-être pas vu l'ensemble des documents lorsqu'elle l'a fait. Encore une fois, compte tenu de la prudence de Mme Baptiste lorsque vient le temps d'apposer sa signature sur un document, je ne puis croire qu'elle aurait signé l'appréciation en reconnaissant qu'elle avait lu le rapport dûment établi si elle ne l'avait pas fait. Quoi qu'il en soit, la signature de Mme Baptiste figure sur la même page que celle où l'on trouve les commentaires du comité de révision.

[135] Passons maintenant à la question du caractère équitable des appréciations de rendement de Gloria Baptiste au cours de la période allant jusqu'à janvier 1997. Je dois particulièrement déterminer si la couleur de la peau de Mme Baptiste a influencé la façon dont son rendement a été évalué. Je ne suis pas persuadée que ce fut le cas.

[136] J'ai conclu que Gloria Baptiste a signé l'appréciation de rendement, tout en indiquant qu'elle était d'accord avec son contenu. Cela ne règle pas la question mais donne certes à croire que, au moment de l'évaluation, Mme Baptiste était convaincue que l'appréciation rendait compte assez bien de la qualité de son travail. Il est important, en outre, de ne pas oublier la nature des préoccupations de Mme Baptiste à l'égard de la question des appréciations de rendement. Elle a allégué dans sa plainte que le processus d'appréciation de rendement n'était pas équitable parce que son travail était évalué par des individus qui étaient en compétition avec elle pour obtenir de l'avancement. Il est vrai que le poste d'attache de Jenny Plate se trouvait au niveau NU-HOS-03 et qu'il était possible, du moins en théorie, que Mme Plate soit ultérieurement en compétition avec Gloria Baptiste pour l'obtention d'une promotion. Bien qu'elle puisse susciter des préoccupations du point de vue des Ressources humaines, cette situation pose deux difficultés par rapport à la plainte de Gloria Baptiste en matière de droits de la personne. D'abord, rien n'indique que Gloria Baptiste ait été à cet égard traitée différemment de tous les autres membres du personnel infirmier au niveau NU-HOS-03 à l'établissement de Matsqui. Ensuite, même si je concluais que Mme Plate n'a pas évalué équitablement le rendement de Gloria Baptiste de façon à l'éliminer en tant que concurrente possible -- ce que je ne fais pas --, un tel comportement ne constituerait pas une violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Loi a pour objet d'éliminer la discrimination et non de réglementer chaque aspect du processus d'appréciation de rendement. Une appréciation influencée par des intérêts personnels pourrait être inéquitable et susceptible à juste titre de donner lieu à un grief ou à un appel, sans violer pour autant la Loi.

[137] En ce qui concerne l'allégation de Mme Baptiste voulant que Sharon Greye ait teinté d'une façon ou d'une autre le processus d'appréciation de rendement après son départ de l'établissement de Matsqui, il n'existe tout simplement pas de preuves suffisantes qui me permettraient de tirer une telle conclusion. Sharon Greye avait été détachée auprès du bureau régional. Shirley Cox a affirmé sans ambages qu'elle n'avait jamais eu de discussions avec Mme Greye au sujet de Mme Baptiste dans le cadre du processus d'appréciation. Rien dans le dossier n'indique que Sharon Greye ait joué quelque rôle que ce soit dans l'évaluation du rendement de Mme Baptiste durant cette période.

[138] Enfin, je ne suis pas non plus convaincue que l'évaluation de rendement de Mme Baptiste ait été influencée par une attitude raciste de la part de Shirley Cox ou de Jenny Plate. Bien qu'elle ait allégué que Mme Cox et Mme Plate avaient toutes deux des préjugés raciaux à son endroit, Mme Baptiste n'a pas fourni de détails à l'appui de son allégation. Lors de son témoignage, Eva Sabir a dit avoir entendu Jenny Plate, entre autres, utiliser des épithètes racistes au lieu de travail, mais elle n'a pas fourni de détails ou d'exemples. Jenny Plate, qui m'a donné l'impression d'être un témoin crédible, a nié avoir jamais utilisé un tel langage, et personne d'autre n'a confirmé l'avoir entendu proférer des choses du genre. J'ai certaines réserves quant à la crédibilité de Mme Sabir, qui m'a paru bien intentionnée mais quelque peu portée à exagérer. Mme Sabir a tout naturellement été offensée par les épithètes racistes utilisées dans le lieu de travail et par ce ce qu'elle percevait comme un traitement injuste de Gloria Baptiste. Mme Sabir a déclaré qu'elle s'était plainte à son surveillant et à tous les autres du langage utilisé dans le lieu de travail. Aucun des 15 employés du SCC cités par l'intimé, dont un certain nombre m'ont paru crédibles, ne s'est souvenu que Mme Sabir ait jamais soulevé une telle préoccupation. Le désir évident de Mme Sabir d'appuyer Mme Baptiste semble s'être reflété sur son objectivité; par exemple, Mme Sabir a affirmé au cours de son témoignage qu'elle ne pensait pas que le fait qu'un détenu ait subséquemment accusé Gloria Baptiste d'avoir tué un autre détenu susciterait des préoccupations quant à la sécurité de Mme Baptiste au sein de l'établissement.

[139] Au regard de l'ensemble de la preuve, je suis convaincue que la race de Mme Baptiste n'est pas un élément qui est entré en ligne de compte dans l'évaluation de son rendement au cours de la période allant jusqu'à janvier 1997.

iii) Refus de laisser Gloria Baptiste agir comme chef d'équipe intérimaire

[140] On ne sait pas exactement si quelqu'un a pris consciemment la décision de refuser à Mme Baptiste la possibilité d'agir comme chef d'équipe intérimaire avant le 1er janvier 1997 ou, si cela s'est produit par défaut, étant donné qu'elle n'avait pas fourni un rendement entièrement satisfaisant. Nous ne savons pas à quel moment, avant son départ en congé de maladie en novembre 1996, Sharon Greye a demandé à Donna Raketti (qui devait agir comme chef des Services de santé en l'absence de Mme Greye) si elle estimait avoir besoin d'un chef d'équipe intérimaire pendant la période où elle la remplacerait comme chef. De toute évidence, Mme Raketti a indiqué à Mme Greye que cela n'était pas nécessaire à son avis. Rien n'indique qu'il y ait eu à ce moment-là des discussions au sujet de la situation de Gloria Baptiste.

[141] Gloria Baptiste a reconnu n'avoir demandé à personne, durant la période allant jusqu'au 1er janvier 1997, s'il était encore prévu qu'elle entrerait en fonctions comme chef d'équipe intérimaire à cette date. Kim Watkins a affirmé que peu de temps avant la date prévue de son entrée en fonctions comme chef d'équipe, le personnel avait reçu une note l'informant de la chose. Rien n'indique qu'une telle note ait été diffusée avant 1er janvier 1997 dans le cas de Mme Baptiste. Néanmoins, Mme Baptiste a déclaré que lorsqu'elle s'est présentée au travail le 1er janvier 1997, elle s'attendait vraiment à exercer les fonctions de chef d'équipe intérimaire.

[142] Donna Raketti avait agi comme chef d'équipe intérimaire au cours des mois précédant janvier 1997. Mme Baptiste a affirmé que Mme Raketti lui a dit le 1er janvier qu'elle continuerait d'occuper le poste. Gloria Baptiste a dit avoir été étonnée et atterrée, étant donné qu'elle n'avait aucunement été informée qu'elle n'agirait pas comme chef d'équipe intérimaire comme on le lui avait promis.

[143] Mme Raketti a nié que Gloria Baptiste ait abordé avec elle cette question le 1er janvier 1997.

[144] Mme Baptiste a communiqué avec le bureau de M. Mills afin de le rencontrer au sujet du refus de lui laisser occuper le poste de chef d'équipe intérimaire. Elle a obtenu un rendez-vous pour le 22 janvier. Le lieu de la réunion a fait l'objet d'un litige. M. Mills et Donna Raketti avaient tous deux compris que la réunion aurait lieu à l'établissement de Matsqui. Par conséquent, Mme Raketti a été étonnée de voir Mme Baptiste se préparer à quitter l'établissement pour se rendre au bureau de M. Mills le 22 janvier. Mme Raketti a dit à Mme Baptiste qu'elle ne pouvait partir, étant donné qu'elle n'avait personne d'autre pouvant la remplacer. Selon Mme Raketti, Mme Baptiste a simplement quitté l'immeuble.

[145] Durant son témoignage, Mme Baptiste a affirmé qu'elle avait dit à M. Mills, au cours de la rencontre, qu'on aurait dû la laisser exercer les fonctions à titre intérimaire. Selon elle, M. Mills a indiqué qu'il communiquerait avec Sharon Greye (qui était retournée à l'établissement de Matsqui pour remplacer Shirley Cox en août 1996) et lui demanderait ce qu'elle entendait faire à ce sujet. Mme Baptiste n'a à aucun moment au cours de la rencontre laissé entendre à M. Mills que le refus de lui confier le poste était à son avis motivé par des considérations raciales.

[146] Le 28 janvier 1997, M. Mills a écrit à Gloria Baptiste pour lui dire qu'il avait discuté de ses préoccupations avec Shirley Cox et Sharon Greye. M. Mills a fait référence à la lettre de Mme Fulbrook et plus particulièrement à l'énoncé selon lequel les nominations intérimaires étaient susceptibles d'être modifiées, selon le rendement individuel. M. Mills a fait remarquer que Sharon Greye et, dans une moindre mesure, Shirley Cox, avaient des inquiétudes au sujet du rendement de Mme Baptiste. Il a indiqué à Mme Baptiste qu'il discuterait de la question plus en détail avec elle et Sharon Greye, au retour du congé de maladie de cette dernière à la mi-février.

[147] Donna Raketti a subséquemment demandé à Gloria Baptiste d'expliquer par écrit pourquoi elle avait quitté le travail sans autorisation le 22 janvier. Mme Baptiste a répondu à Donna Raketti qu'elle savait qu'elle avait rendez-vous avec M. Mills à son bureau. Gloria Baptiste a également nié que Donna Raketti lui ait jamais directement ordonné de ne pas quitter le travail.

[148] Mme Baptiste a ensuite fait intervenir son syndicat. Le 5 février 1997, elle a déposé un grief à propos du refus de la laisser occuper le poste de chef d'équipe intérimaire ainsi que de l'allégation qu'elle avait quitté le bureau sans autorisation. Elle a ensuite interjeté appel devant la Commission de la fonction publique de la nomination de Donna Raketti à titre de chef d'équipe intérimaire. Mme Baptiste a dit que Shirley Cox, lors d'une réunion portant sur cet appel, n'avait pas cessé de répéter que le rendement de Mme Baptiste ne l'inquiétait pas vraiment et que, à son avis, on devrait lui permettre d'agir comme chef d'équipe.

[149] M. Mills a confirmé avoir rencontré Gloria Baptiste le 22 janvier. Cependant, sa version de ce qui a transpiré de la rencontre diffère considérablement de celle de Mme Baptiste. M. Mills avait déjà été informé que Gloria Baptiste s'était vu offrir le poste de chef d'équipe intérimaire à la condition que son rendement devienne entièrement satisfaisant. Il a affirmé qu'après avoir reçu la demande de rendez-vous de Mme Baptiste, il s'était entretenu avec Shirley Cox et Sharon Greye au sujet de la situation. Au terme de son entretien avec Mme Baptiste, M. Mills a indiqué qu'il communiquerait de nouveau avec Mme Cox et Mme Greye afin de faire le point sur ce qu'elle lui avait dit. M. Mills a insisté sur le fait qu'il n'avait jamais dit à Mme Baptiste qu'on aurait dû lui laisser occuper le poste de chef d'équipe intérimaire. Il lui a dit qu'il examinerait la situation et lui reviendrait. Après s'être entretenu avec Mme Cox et Mme Greye, M. Mills était persuadé que Mme Baptiste avait été traitée de façon équitable, et c'est ce qu'il lui a dit dans sa lettre du 28 janvier.

[150] Shirley Cox et Sharon Greye ont toutes deux confirmé que M. Mills avait communiqué avec elles au sujet de Mme Baptiste et du poste de chef d'équipe intérimaire. Mme Cox a dit qu'elle avait hésité à faire part à M. Mills de son opinion à savoir si Mme Baptiste devrait avoir sa chance ou non, étant donné qu'elle n'était plus sa surveillante et n'avait pas accès à ses appréciations de rendement. Mme Cox a suggéré à M. Mills d'examiner les dernières appréciations de rendement de Mme Baptiste et de parler à son chef de l'époque. Mme Cox a également affirmé lors de son témoignage qu'elle n'avait aucunement été mêlée à l'appel de Mme Baptiste concernant la nomination de Donna Raketti et a nié avoir jamais dit à cette dernière qu'on aurait dû, à son avis, lui donner la chance d'agir comme chef d'équipe intérimaire.

[151] Mme Greye a dit avoir demandé à M. Mills si le rendement de Mme Baptiste selon sa dernière appréciation était entièrement satisfaisant; M. Mills a dit qu'il ne le savait pas et qu'il vérifierait. Mme Greye a indiqué que, à son avis, Mme Baptiste ne devrait pas agir comme chef d'équipe si elle n'avait pas fourni un rendement entièrement satisfaisant. Mme Greye a également dit à M. Mills que, compte tenu de ce qu'elle avait vu du rendement de Mme Baptiste, elle n'était pas prête à appuyer l'idée qu'elle devienne chef d'équipe intérimaire. Elle a indiqué qu'elle était d'autant plus préoccupée du fait qu'elle n'était pas là elle-même pour aider Mme Baptiste à exercer les fonctions de chef d'équipe intérimaire. Donna Raketti occupait alors son poste à titre intérimaire durant son congé de maladie. Par conséquent, on se serait retrouver dans une situation où une employée intérimaire aurait eu à surveiller le travail d'une autre employée intérimaire, ce qui n'était pas souhaitable selon Mme Greye.

[152] Sharon Greye a nié que M. Mills lui ait jamais indiqué qu'elle devrait tenir la promesse faite à Mme Baptiste. Selon elle, M. Mills lui a dit qu'il était d'accord avec son évaluation de la situation.

iv) La race de Gloria Baptiste a-t-elle été un élément qui a joué dans la décision de refuser de la laisser occuper le poste de chef d'équipe intérimaire?

[153] De l'avis de la Commission, Sharon Greye, qui avait à peine vu Gloria Baptiste au cours des deux années précédentes, a bel et bien pris la décision de refuser à Gloria Baptiste la possibilité d'agir comme chef d'équipe intérimaire. Aucune tentative n'a été faite pour discuter de la question avec Donna Raketti, qui était alors la surveillante de Mme Baptiste, et la décision de Mme Greye a été prise de façon arbitraire. La Commission a soutenu, en outre, qu'on a permis à Mme Raketti d'agir comme chef d'équipe intérimaire, en dépit du fait qu'elle n'avait encore fait l'objet d'aucune appréciation de rendement à l'établissement de Matsqui; par conséquent, Mme Raketti ne justifiait pas d'un rendement entièrement satisfaisant. En tout état de cause, je devrais conclure, selon la Commission, que les préjugés raciaux de Sharon Greye ont à tout le moins été un élément qui a joué dans la décision de refuser à Gloria Baptiste la possibilité d'agir comme chef d'équipe intérimaire. Je ne suis pas d'accord.

[154] Je souscris à l'opinion de Marie Dunn voulant que même si la justification d'un rendement entièrement satisfaisant n'est pas une exigence expressément mentionnée dans un énoncé de qualités, le rendement de l'employé dans les fonctions qu'il occupe est un élément dont on est en droit de tenir compte lorsqu'on évalue son aptitude à assumer des responsabilités accrues. En fait, comme un témoin l'a dit, il serait illogique de confier à un employé des responsabilités accrues avant qu'il soit en mesure de maîtriser les tâches courantes.

[155] J'ai déjà conclu que les appréciations de rendement de Gloria Baptiste jusqu'à ce moment étaient équitables et que la race de la plaignante n'avait pas influencé ces appréciations.

[156] L'offre faite dans la lettre de septembre 1995 de Mme Fulbrook en ce qui concerne le poste de chef d'équipe intérimaire était, de toute évidence, conditionnelle au rendement individuel. L'appréciation de rendement établie par Sharon Greye en 1995 indique que Mme Baptiste ne pourrait progresser dans sa carrière tant que ses connaissances dans le domaine de l'évaluation infirmière ne seraient pas entièrement satisfaisantes. Cet élément est repris dans le plan de perfectionnement personnel d'avril 1995 de Mme Baptiste, où Mme Greye précise que Gloria Baptiste devra afficher un rendement entièrement satisfaisant à titre de NU-HOS-03 avant de pouvoir accéder à un poste NU-HOS-04.

[157] J'ai également conclu que Mme Cox a dit à Mme Baptiste à l'automne 1995 qu'elle ne pourrait exercer les fonctions de chef d'équipe intérimaire que si son rendement était entièrement satisfaisant. Ce message a été transmis à nouveau à Mme Baptiste lors de sa rencontre du 6 février 1996 avec Jenny Plate et Shirley Cox. De plus, il était clairement énoncé dans l'appréciation de rendement que Mme Baptiste a signée le 6 février, puis à nouveau le 29 avril 1996. On peut lire dans l'appréciation :

[Traduction]

Gloria a manifesté le désir d'agir comme chef d'équipe intérimaire. Cela ne sera possible qu'une fois que Gloria aura atteint un niveau de rendement entièrement satisfaisant. Entre l'automne 1995 et le 1er janvier 1997, Gloria Baptiste n'a à aucun moment affiché un niveau de rendement entièrement satisfaisant.

[158] Gloria Baptiste a elle-même admis qu'on lui avait dit au moins deux fois qu'il fallait que son rendement soit jugé entièrement satisfaisant pour qu'elle puisse exercer des fonctions de NU-HOS-04. Par conséquent, il est difficile de comprendre que Mme Baptiste ait prétendu avoir été atterrée lorsqu'elle s'est rendu compte, le 1er janvier 1997, qu'elle n'agirait pas comme chef d'équipe intérimaire.

[159] Bien que M. Mills ait décidé de consulter Donna Raketti et les autres employés ayant agi comme surveillants de Mme Baptiste, le fait est qu'en janvier 1997, le poste de chef d'équipe intérimaire était vacant et que Mme Greye était la surveillante immédiate de Mme Baptiste (11). Mme Raketti occupait simplement à titre intérimaire le poste de Sharon Greye durant le congé de maladie de cette dernière. Sharon Greye avait travaillé avec Gloria Baptiste à divers intervalles pendant une période de sept ans et connaissait bien son travail. Mme Greye a également pris soin de dire qu'elle n'était pas au courant de la dernière appréciation de rendement de Mme Baptiste et de suggérer à M. Mills de consulter ce document. M. Mills ne s'est pas entretenu uniquement avec Sharon Greye; il a également consulté Mme Cox. Il convient également de noter que, même si elle n'a pas été consultée par M. Mills, Donna Raketti souscrivait pleinement à la décision de ne pas permettre à Gloria Baptiste d'agir comme chef d'équipe intérimaire. De l'avis de Mme Raketti, Mme Baptiste n'avait pas la compétence nécessaire pour remplir les fonctions de chef d'équipe intérimaire.

[160] Mme Baptiste a fait valoir que le fait qu'elle ait agi comme chef d'équipe durant deux jours en juillet 1996 constitue une preuve qu'elle avait la compétence nécessaire pour faire le travail. Il est établi que Kim Watkins n'a pas terminé son affectation à titre de chef d'équipe intérimaire, ayant commencé à suivre un cours de dialyse rénale en juin 1996, soit plusieurs semaines avant la fin de son affectation. Donna Raketti ne devait entrer en fonctions que le 1er août. Afin de pallier la situation, Shirley Cox a pris des dispositions pour que les membres du personnel infirmier de l'établissement de Matsqui (y compris ceux qui n'avaient pas postulé le poste de chef d'équipe intérimaire) se relaient au poste de chef d'équipe intérimaire.

[161] Shirley Cox a affirmé dans son témoignage que le travail exécuté par ces employés ne pouvait en aucune façon être comparé à celui du chef d'équipe intérimaire et qu'il équivalait plutôt à celui d'infirmière/infirmier responsable qu'on retrouve à l'infirmerie la nuit et le week-end. L'infirmière/infirmier responsable s'occupe des admissions et des congés et veille à ce qu'une équipe complète soit de service. En fait, Gloria Baptiste a souvent agi comme infirmière/infirmier responsable. Par contraste, le chef d'équipe intérimaire est chargé d'organiser et de superviser les cliniques, d'établir l'emploi du temps et de s'occuper de certaines questions financières. L'équivalence donnée par Mme Cox est reprise dans une note qu'elle a écrite en janvier 1996 pour informer le Personnel que le poste serait occupé chaque jour par un employé désigné responsable jusqu'à ce que Mme Raketti prenne la relève.

[162] Compte tenu de la description de Mme Cox quant à la différence entre les fonctions des employés agissant chaque jour comme remplaçants et celles du chef d'équipe intérimaire, je suis persuadée que le fait que Mme Baptiste ait été autorisée à agir comme chef d'équipe suppléant pendant deux jours en juillet 1996 ne peut en aucune façon être interprété comme la reconnaissance qu'elle avait la compétence nécessaire pour exercer les fonctions de chef d'équipe intérimaire en janvier 1997.

[163] Dernier point à considérer à cet égard : l'argument de la Commission voulant que Gloria Baptiste ait été assujettie à une norme différente comparativement aux autres employés. À ce sujet, la Commission souligne le fait que Donna Raketti a été autorisée à agir comme chef d'équipe intérimaire même si le SCC n'avait encore produit aucune appréciation de rendement qui reconnaissait son rendement comme étant entièrement satisfaisant.

[164] Sauf le grand respect que je dois à la Commission, je pense que cet argument passe à côté de l'essentiel. Il fallait que Mme Baptiste affiche un niveau de rendement entièrement satisfaisant. L'appréciation constitue une mesure du rendement, mais ce n'est pas la seule. Donna Raketti était une employée relativement nouvelle, qui n'avait pas encore fait l'objet d'une appréciation de rendement en bonne et due forme. De toute évidence, elle accomplissait bien son travail de NU-HOS-03 et avait bien tiré son épingle du jeu lors de l'entrevue avec Shirley Cox. Mme Cox avait également vu Mme Raketti à l'œuvre dans des situations de crise et était persuadée qu'elle pouvait se tirer fort bien d'affaire. Rien n'indique qu'on ait reçu des plaintes au sujet de quelque aspect du rendement de Mme Raketti et notamment de son jugement clinique et de ses rapports avec ses collègues et les détenus. De plus, Mme Raketti avait de nombreuses années d'expérience en gestion des soins infirmiers. À titre de responsable de la surveillance d'un établissement de 57 lits, elle avait démontré sa capacité d'exercer des fonctions de gestion. Bref, rien n'indique que le rendement de Mme Raketti à titre de NU-HOS-03 n'était pas été entièrement satisfaisant.

[165] Par contraste, Mme Baptiste présentait de longs antécédents de rendement médiocre. L'examen de ses appréciations et des témoignages des divers surveillants qu'elle a eus au fil des années fait ressortir un certain nombre de thèmes récurrents : tendance à se montrer brusque envers les détenus, difficulté à communiquer avec ses collègues, incapacité inquiétante de se souvenir de directives. À mon avis, compte tenu des antécédents de travail de Mme Baptiste, il était tout à fait raisonnable que M. Mills et d'autres employés aient entretenu des réserves quant à sa capacité d'exercer des responsabilités accrues. Je ne suis pas persuadée que la race de Mme Baptiste ait influencé la décision de lui refuser la possibilité d'agir comme chef d'équipe intérimaire en janvier 1997.

v) Règlement du grief de Mme Baptiste

[166] Tel que mentionné ci-haut, Mme Baptiste a déposé un grief au sujet du refus de lui laisser occuper le poste de chef d'équipe intérimaire et de la lettre disciplinaire de Donna Raketti à propos de son départ présumément non autorisé du lieu de travail pour aller rencontrer M. Mills le 22 janvier. M. Mills a convenu qu'il pouvait y avoir eu malentendu quant au lieu de sa rencontre avec Mme Baptiste et a fait droit à ce volet de son grief, acceptant de retirer de son dossier personnel la lettre de Mme Raketti. En ce qui concerne l'allégation de Mme Baptiste voulant qu'on lui ait refusé la possibilité d'agir comme chef d'équipe intérimaire en raison de préjugés raciaux, M. Mills a rejeté le grief. Dans sa décision, il a indiqué que le nom de Mme Baptiste avait été inscrit sur la liste par erreur et qu'il n'aggraverait pas l'erreur en nommant à titre intérimaire un employé dont le rendement n'avait été coté que satisfaisant au cours des quatre dernières années. Dans son témoignage, M. Mills a expliqué qu'il n'aurait pas inscrit le nom de Mme Baptiste en première place sur la liste, compte tenu de son piètre rendement. Il aurait cependant accepté d'inscrire son nom sur la liste, dans la mesure où il figurerait en dernière place, afin de lui donner la chance d'atteindre le niveau entièrement satisfaisant.

[167] Mme Baptiste a porté son grief à l'échelon suivant. Toutefois, avant que le sous-commissaire se penche sur le grief, Mme Baptiste et M. Mills ont conclu une entente prévoyant que Mme Baptiste se verrait offrir un stage de perfectionnement de trois mois. En contrepartie, Mme Baptiste a accepté de retirer son grief.

[168] La preuve a révélé des divergences de vues quant aux conditions précises de l'entente. Lors de son témoignage, Mme Baptiste a dit avoir cru comprendre qu'elle travaillerait elle-même comme chef d'équipe et non de concert avec d'autres chefs d'équipe. Par contraste, M. Mills a indiqué que le délégué syndical de Mme Baptiste avait proposé que le SCC fournisse à cette dernière la possibilité de travailler avec un surveillant afin qu'elle puisse acquérir de l'expérience, et que c'était là ce qui avait été convenu avec elle.

[169] Le fait que Mme Baptiste ait insisté pour dire que l'entente prévoyait qu'elle travaillerait comme chef d'équipe doit être examiné à la lueur de sa perception de l'entente à l'époque. Dans une lettre qu'elle lui a adressée, Mme Baptiste résume à M. Mills sa compréhension de l'entente. Selon la lettre de Mme Baptiste, M. Mills avait proposé qu'elle travaille durant trois mois à l'établissement de Mission [Traduction] avec le chef d'équipe intérimaire, l'infirmier Dale. Mme Baptiste a indiqué qu'après qu'elle eut rencontré M. Mills et Mme Greye le 13 mai, l'entente avait été modifiée et qu'elle allait faire un stage de six semaines à l'établissement de Mission [où elle travaillerait présumément de concert avec le chef d'équipe intérimaire, l'infirmier Dale Shackleford], après quoi elle ferait un deuxième stage de six semaines à l'établissement de Kent, [Traduction] de concert avec le chef d'équipe intérimaire, l'infirmière Debbie [Gaskell].

[170] Cette entente a été confirmée dans une note de M. Mills en date du 14 mai. Dans cette note, M. Mills informe Mme Baptiste qu'elle allait travailler en compagnie de M. Shackleford et de Mme Gaskell pour se familiariser avec les fonctions et les responsabilités que comporte un poste de NU-HOS-04. Dans la décision rendue au troisième palier le 22 mai à l'égard du grief de Mme Baptiste, le sous-commissaire, M. P.H. de Vink, a confirmé que Mme Baptiste obtiendrait la possibilité de [Traduction] travailler avec d'autres chefs d'équipe durant une période de trois mois.

C. Événements subséquents au règlement du grief de Mme Baptiste

[171] Il a beaucoup été question à l'audience de la portée de la plainte de Mme Baptiste. D'après ce que je crois comprendre de la position de Mme Baptiste et de la Commission, la plainte porte essentiellement sur les appréciations de rendement de la plaignante et le refus de lui laisser occuper le poste de chef d'équipe intérimaire. Mme Baptiste et la Commission font également état du programme de réorientation auquel Mme Baptiste a été soumise à son retour à l'établissement de Matsqui en septembre 2000 comme source de responsabilité en vertu de la Loi. Bien qu'il existe une preuve abondante en ce qui concerne les expériences de Mme Baptiste au lieu de travail entre janvier 1997 et septembre 2000, la Commission est d'avis que cet élément est pertinent surtout à titre de preuve supplémentaire du climat qui régnait au SCC. Bien que j'aie soigneusement examiné cette preuve, compte tenu du but dans lequel elle a été présentée, je l'analyserai de façon relativement sommaire.

i) L'appréciation de rendement de 1996-1997

[172] En avril 1997, Mme Baptiste a fait l'objet d'une appréciation de rendement, de la part cette fois de Donna Raketti et Kim Watkins, qui avaient été ses surveillantes au cours de la période visée. Le rendement de Mme Baptiste a alors été jugé satisfaisant; toutefois, il est précisé dans le document que son rendement a été insatisfaisant en ce qui concerne sa capacité de travailler avec des collègues, la qualité de ses écrits et la confiance des gestionnaires hiérarchiques à son endroit. Même si l'appréciation fait état de certains progrès, il y est précisé que Mme Baptiste continue d'éprouver des difficultés dans ses rapports avec ses collègues et les détenus. On peut y lire une fois de plus qu'il faudra que le niveau de rendement de Mme Baptiste soit jugé entièrement satisfaisant pour qu'elle puisse obtenir de l'avancement.

[173] Mme Baptiste a refusé de signer l'appréciation de rendement.

[174] Mme Baptiste a dit avoir rencontré Donna Raketti afin d'examiner l'appréciation. À cette occasion, Mme Baptiste a indiqué à Mme Raketti que son rendement aurait dû, selon elle, être jugé entièrement satisfaisant. Au dire de Mme Baptiste, Mme Raketti a dit qu'elle discuterait de la question avec Mme Watkins et qu'elles apporteraient les modifications demandées. Constatant qu'aucune modification n'avait été faite, Mme Baptiste a écrit à M. Mills pour se plaindre de l'injustice dont elle était victime. Une fois de plus, Mme Baptiste s'est plainte que l'appréciation avait été faite par des employées avec lesquelles elle était en compétition. Selon Mme Baptiste, l'appréciation avait pour but de l'éliminer du concours. Mme Baptiste ayant refusé de signer le document, celui-ci a été soumis au comité de révision. Mme Baptiste n'a pas participé au processus, précisant dans son témoignage qu'elle n'était pas au courant que l'affaire suivait son cours.

[175] Donna Raketti et Kim Watkins ont affirmé qu'elles avaient toutes deux rencontré Gloria Baptiste pour discuter de l'appréciation. Elles sont toutes deux d'avis que l'appréciation rend compte assez bien du rendement de Mme Baptiste durant la période en question, et elles ont toutes deux nié avoir jamais dit à Mme Baptiste que le document serait modifié.

[176] Je rejette dans son intégralité le témoignage de Mme Baptiste au sujet de cette appréciation de rendement. Mme Baptiste aurait voulu me faire croire que Mme Raketti a accepté de modifier son appréciation pour lui décerner la cote Entièrement satisfaisant, après sa rencontre avec elle. Non seulement Kim Watkins et Donna Raketti ont-elles nié que cette dernière ait jamais accepté de faire un tel changement, mais Mme Baptiste ne fait pas mention de cette entente dans la lettre qu'elle a subséquemment adressée à M. Mills à ce sujet. Je rejette également la prétention de Mme Baptiste voulant qu'elle n'ait fourni au comité de révision aucune information à propos de ses préoccupations parce qu'elle n'était pas au courant de la procédure. Mme Baptiste a reçu plusieurs notes et lettres l'informant de la procédure et de son droit de fournir au comité de révision de l'information à l'appui de sa position. Marie Dunn a transmis une note à Mme Baptiste au travail. Une couple de mois plus tard, Mme Dunn a reçu une lettre de l'avocat de Mme Baptiste demandant que celle-ci puisse fournir de l'information. L'avocate de Mme Baptiste avait déjà précisé que sa cliente répondrait à l'appréciation; toutefois, le SCC n'a jamais reçu de réponse. Marie Dunn a ensuite fait parvenir par courrier courant une lettre à la résidence de Mme Baptiste; elle a également transmis à cette dernière une copie par courrier électronique à son poste de travail. Je ne crois pas Mme Baptiste lorsqu'elle dit qu'elle n'a pas reçu aucun des envois qui lui ont été faits. En outre, Mme Baptiste avait déjà participé à un exercice de révision; par conséquent, elle était bien au courant de ce processus en tant que recours possible.

[177] Je ne suis pas non plus persuadée que la race de Mme Baptiste ait influencé d'une façon ou d'une autre la façon dont Mme Raketti et Mme Watkins ont évalué son rendement. Il y a lieu de noter que la seule préoccupation que Mme Baptiste ait elle-même soulevée à l'égard de son appréciation a été son objection face au fait que son travail était évalué par des employées qui, à son avis, étaient en compétition avec elle. Selon moi, ce n'est pas une préoccupation déraisonnable, mais je ferai remarquer encore une fois que le fait que l'évaluateur fasse une mauvaise appréciation en raison d'intérêts personnels ne va pas à l'encontre de la Loi.

[178] La possibilité qu'il existe à tout le moins une perception de préjugé non racial est d'autant plus grande en l'espèce qu'au moment où Mme Raketti a évalué le rendement de Mme Baptiste, en avril 1997, cette dernière avait interjeté appel de la nomination de la première à titre de chef d'équipe intérimaire (12). En plus de créer une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit de Mme Baptiste, cette situation a mis Mme Raketti dans une position très difficile.

[179] Le comité de révision a demandé à Mme Raketti et à Mme Watkins de justifier à l'aide d'exemples précis les cotes attribuées à Mme Baptiste. Elles ont fourni de nombreux exemples, dont un dénote une erreur apparemment grave de la part de Mme Baptiste (13). Je ne passerai pas en revue ces exemples; je ferai simplement remarquer que je suis persuadée que l'appréciation rend compte assez bien du rendement de Mme Baptiste. On a fait beaucoup état du fait que les exemples cités par Mme Raketti et Mme Watkins avaient trait à des événements qui s'étaient produits après la période sur laquelle portait l'appréciation. Toutefois, selon Marie Dunn, il est permis de fournir de tels exemples. C'est un élément dont le comité de révision peut tenir compte.

[180] Le comité de révision a confirmé l'appréciation telle que rédigée.

ii) Stages de Mme Baptiste aux établissements de Mission et de Kent

[181] Il est établi que tous les intéressés ont été très insatisfaits du rendement de Mme Baptiste au sein des divers établissements. Ni Dale Shackleford ni Debra Gaskell n'a été consulté avant que l'entente soit conclue avec Mme Baptiste, et l'un et l'autre ont été quelque peu pris de court lorsque Mme Baptiste s'est soudainement présentée à eux. Ils ont tous deux affirmé qu'ils étaient à court de personnel et s'inquiétaient du fait qu'il leur faudrait consacrer du temps à Mme Baptiste. En dépit de leurs préoccupations, ils se sont tous deux efforcés de faire du stage de Mme Baptiste une expérience d'apprentissage positive. En dépit de leur bonne volonté, toutefois, l'un et l'autre ont affirmé que Gloria Baptiste avait posé peu de questions, qu'elle hésitait à prendre des décisions et qu'elle se montrait peu intéressée à se familiariser avec les fonctions inhérentes au poste NU-HOS-04. En raison de la pénurie de personnel, les chefs d'équipe intérimaires devaient exécuter des tâches cliniques. Mme Baptiste n'était manifestement pas disposée à les aider dans ces tâches, étant d'avis qu'il ne revient pas à un surveillant de faire ce genre de travail. Cette attitude a, de toute évidence, soulevé du ressentiment chez ses collègues. M. Shackleford et Mme Gaskell ont tous deux exprimé l'avis que Mme Baptiste ne faisait guère preuve d'initiative et n'était pas perçue comme une joueuse d'équipe. Bien que Dale Shackleford ait estimé que les connaissances de Gloria Baptiste en évaluation infirmière étaient satisfaisantes, Mme Gaskell et lui ont exprimé de sérieuses réserves pour ce qui est de ses relations et communications interpersonnelles.

[182] M. Mills a demandé à M. Shackleford et à Mme Gaskell de lui fournir une rétroaction au sujet du stage de Mme Baptiste. Mme Baptiste a allégué que M. Shackleford et Mme Gaskell étaient tous deux des collègues en compétition avec elle et que cette situation avait teinté la rétroaction qu'ils avaient fournie à propos de son rendement. Je ne suis pas persuadée que c'est le cas. Une fois de plus, je ferai remarquer que même si l'allégation voulant que ces évaluations aient été influencées par des intérêts personnels de Dale Shackleford ou de Debra Gaskell était fondée, cela ne contreviendrait pas à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[183] Bien que la Commission ne soutienne pas que la race de Mme Baptiste ait joué un rôle dans la structure des affectations aux établissements de Mission et de Kent, on a laissé entendre que je devrais examiner le témoignage de M. Shackleford à la lumière de la prétendue utilisation de l'épithète chienne noire pour décrire Gloria Baptiste. Jasmine MacKay a affirmé qu'un jour, après avoir raccroché le téléphone, Kim Watkins s'était tournée vers elle pour lui dire que Dale Shackleford lui avait demandé pourquoi on avait envoyé la chienne noire à Mission. M. Shackleford et Mme Watkins ont tous deux nié avoir jamais fait une telle remarque. Mme Watkins a également affirmé que même si M. Shackleford avait fait la remarque qu'on lui attribue, elle n'en aurait jamais touché mot à Mme MacKay, qui appartient elle-même à une minorité visible. À cet égard, je préfère le témoignage de M. Shackleford et, encore plus, le témoignage de Kim Watkins, à celui de Mme MacKay. Mme MacKay n'a jamais prétendu avoir elle-même entendu la remarque; elle a cité ce que lui aurait rapporté Kim Watkins. Mme Watkins n'est plus à l'emploi du SCC. De toute évidence, elle n'est pas une amie de l'organisation. Mme Watkins n'a fait l'objet d'aucune allégation de mauvaise conduite et n'aurait aucune raison de nier la remarque, eut-elle été faite. J'accepte également la déclaration de Mme Watkins selon laquelle elle n'aurait jamais répété une telle remarque à Mme MacKay, étant donné que celle-ci fait elle-même partie d'une minorité visible.

[184] Je souscris à l'opinion des avocats de la Commission voulant que les stages de Mme Baptiste aux établissements de Mission et de Kent aient été mal orchestrés, voire voués à l'échec. Cependant, il convient de noter que la Commission ne soutient pas que la race de Mme Baptiste ait joué un rôle dans la structure des stages aux établissements de Kent et de Mission. La Commission prétend plutôt que le caractère non adéquat des stages offerts à Mme Baptiste dans ces établissements est pertinent par rapport à la question de la réparation.

iii) Concours NU-HOS-05

[185] En prévision du départ à la retraite de Sharon Greye, le SCC a tenu, à l'été 1997, un concours pour doter le poste de chef des Services de santé. Ce poste, classé au niveau NU-HOS-05, exigeait de l'expérience dans la planification, la mise en œuvre et l'évaluation de programmes cliniques, dans la surveillance d'unités de soins infirmiers et dans la gestion de ressources financières, de projets et de marchés. Mme Baptiste a posé sa candidature; toutefois, sa demande a été rejetée à la présélection parce qu'elle n'avait pas l'expérience en gestion nécessaire.

[186] La Commission n'a pas laissé entendre qu'il y avait eu des irrégularités en ce qui touche ce concours. Elle a plutôt soutenu que, du fait qu'on l'a privée à tort de l'occasion d'agir comme chef d'équipe en janvier 1997, Mme Baptiste a été dans l'impossibilité de poser sa candidature à ce poste et que l'on devrait tenir compte de cet élément dans le contexte de la réparation. Tel qu'indiqué ci-haut, je ne suis pas persuadée que la race de Mme Baptiste ait été un élément qui a joué dans le refus de la laisser occuper le poste de chef d'équipe intérimaire.

[187] Mme Baptiste en a appelé des résultats de ce concours, alléguant que sa demande avait été rejetée à la présélection en raison de la partialité raciale systémique qui faisait en sorte que les Noirs étaient exclus des fonctions de gestion dans la Région du Pacifique du SCC. En décembre 1998, le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique a refusé de se pencher sur le refus de laisser Mme Baptiste occuper le poste de chef d'équipe intérimaire dans le cadre de cet appel, cette question ayant déjà fait l'objet d'un appel distinct de la part de Mme Baptiste, lequel avait été rejeté (14). En conséquence, le Comité d'appel n'a pas examiné l'allégation de discrimination raciale systémique de Mme Baptiste.

[188] En ce qui concerne la décision d'éliminer à la présélection la candidature de Mme Baptiste au poste NU-HOS-05, le Comité d'appel a jugé que cela n'était pas suffisant pour justifier la prétention de Gloria Baptiste voulant que sa demande réponde aux exigences en termes d'expérience; il incombait à Mme Baptiste de démontrer au jury de sélection qu'elle répondait aux exigences sur ce plan. Le Comité d'appel a conclu qu'au regard de la preuve présentée, il était raisonnable que le jury de sélection conclue que Mme Baptiste n'avait pas d'expérience dans la planification, la mise en œuvre ou l'évaluation de programmes cliniques ou dans la gestion de ressources financières, de projets et de marchés. De même, le Comité d'appel a jugé qu'il était raisonnable que le jury de sélection conclue que l'expérience de Mme Baptiste à titre d'infirmière responsable ne constituait pas de l'expérience dans la surveillance d'une équipe de soins infirmiers. L'appel de Mme Baptiste a donc été rejeté.

[189] Linda Dean a été l'heureuse candidate; elle est entrée en fonctions à titre de chef des Services de santé en janvier 1998.

iv) Concours NU-HOS-04

[190] En décembre 1997, le SCC a tenu un concours en vue de nommer un chef d'équipe permanent. Mme Baptiste a posé sa candidature. On a jugé qu'elle répondait aux exigences fondamentales du poste et on a retenu sa candidature à la présélection. Mme Baptiste a ensuite subi un examen, dont elle a échoué le volet connaissances. Elle en a appelé une fois de plus devant le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique.

[191] On ne sait pas exactement si Mme Baptiste était d'avis que ce concours était de quelque façon entaché de préjugés raciaux. Quoi qu'il en soit, la preuve dont j'ai été saisie est insuffisante pour me permettre de tirer pareille conclusion.

v) L'enquête disciplinaire avortée

[192] Au cours des premiers mois de 1998, plusieurs plaintes ont été présentées par des détenus et des employés au sujet du comportement de Mme Baptiste. Malgré le fait que plusieurs personnes, dont Shirley Cox et Linda Dean, se souviennent d'avoir discuté de ces plaintes avec Gloria Baptiste, cette dernière a dit qu'elle n'était absolument pas au courant de celles-ci.

[193] Vers la fin de juin et au début de juillet 1998, le SCC a reçu coup sur coup, en l'espace de deux semaines, trois plaintes supplémentaires à propos du comportement de Mme Baptiste. L'une de ces plaintes portait sur une altercation survenue alors que Mme Baptiste aidait un détenu à prendre son bain (l'incident du bain). Dans le deuxième cas, on se plaignait du fait que Mme Baptiste appelait ses collègues maudites vaches. La troisième plainte avait trait à la façon dont Mme Baptiste avait réagi à un affrontement avec un détenu au dispensaire de l'infirmerie (connu sous le nom de comptoir médical). Dans son témoignage, M. Mills a indiqué qu'en règle générale, on réagit à ce genre de plaintes en demandant au surveillant de l'employé de rencontrer ce dernier pour discuter des allégations. Toutefois, étant donné que dans le cas de Mme Baptiste, le SCC avait reçu en peu de temps trois plaintes ayant trait à son professionnalisme, M. Mills a décidé de tenir une enquête disciplinaire.

[194] Cependant, avant le début de l'enquête disciplinaire, M. Mills a reçu un appel de Paul Winn, l'avocat de Mme Baptiste. M. Winn a exprimé de sérieuses réserves au sujet du climat empoisonné qui régnait à l'établissement de Matsqui et qui, selon lui, contribuait aux problèmes professionnels de Mme Baptiste. Il a proposé à M. Mills d'enquêter là-dessus. M. Mills a accepté la suggestion de M. Winn. Le projet d'enquête disciplinaire sur les plaintes concernant Mme Baptiste est resté lettre morte.

vi) Enquête et rapport de Theresa Killam et intervention de Jamie Millar-Dixon

[195] À la suite de l'appel de M. Winn en octobre 1998, M. Mills a retenu les services de Theresa Killam pour enquêter sur le climat régnant à l'unité de soins infirmiers de l'établissement de Matsqui. Mme Killam est infirmière autorisée et infirmière psychiatrique autorisée; elle a de l'expérience dans le domaine des services correctionnels, ayant déjà travaillé au centre correctionnel pour femmes à Burnaby.

[196] Bien qu'il existe manifestement au SCC un protocole régissant la conduite des enquêtes, celui-ci n'a pas été fourni à Mme Killam. M. Mills a simplement demandé à Mme Killam d'interviewer tous les employés du centre de santé de l'établissement de Matsqui au sujet de [Traduction] leurs impressions et de leurs expériences personnelles ainsi que des préoccupations ayant cours au centre, particulièrement en ce qui concerne les insinuations ou commentaires racistes.

[197] En prévision de l'enquête, Mme Killam a rencontré Linda Dean, qui avait remplacé Sharon Greye à titre de chef des Services de santé. Selon Mme Killam, Mme Dean était préoccupée par les problèmes au centre de santé et paraissait avoir hâte de faire un apport constructif à l'enquête. Mme Killam a interviewé les employés au centre de santé, y compris Mme Baptiste, puis a présenté à M. Mills un rapport écrit le 12 mars 1999.

[198] Je n'ai point l'intention d'examiner en détail le contenu du rapport de Mme Killam. Ce rapport consiste principalement en une description narrative de ce que chaque infirmière ou infirmier lui a dit. L'information recueillie auprès de Mme Baptiste, de même que celle obtenue d'Eva Sabir et de Jasmine MacKay (qui tend à appuyer la position de Mme Baptiste), font l'objet de sections distinctes. Les vues des neuf autres infirmières et infirmiers, qui ont trait aux problèmes qu'ils ont éprouvés dans leurs rapports avec Mme Baptiste, sont regroupées dans une autre section. La plupart des employés que Mme Killam a interrogés ont témoigné à l'audience et ont répété ce qu'ils avaient dit à Mme Killam. Leurs témoignages, qui constituent la meilleure preuve, ont été examinés ci-haut.

[199] Ce qui importe, c'est la nature des conclusions de Mme Killam et ce que le SCC a fait de son rapport. Mme Killam a fait remarquer que son enquête soulevait d'importantes questions en ce qui touche la conduite du personnel professionnel de l'établissement de Matsqui. Elle a décrit la situation comme [Traduction] de nature instable, destructive et dangereuse. Mme Killam a fait observer que [Traduction] plusieurs signaux de tension, de violence et de danger extrêmes [étaient] évidents, citant la déclaration de Jasmine MacKay voulant que Mme Baptiste lui ait dit qu'elle [Traduction] avait envie de poignarder tout le monde pendant le travail en plein cœur (15).

[200] Mme Killam a également fait état de préoccupations à l'égard de la sécurité de Mme Baptiste parmi les détenus. Elle a indiqué que Mme Baptiste devrait à son avis bénéficier de conseils professionnels, faisant observer que la plupart de ses comportements présumément inacceptables semblent s'être produits après l'incident du bain à l'été de 1997 (16). Mme Killam a terminé en faisant remarquer que le personnel du centre de santé semblait [Traduction] non professionnel, raciste, cruel et parfois frustré. Elle a donné l'exemple de l'emploi par les employés d'épithètes tels que chienne noire pour justifier sa conclusion que le personnel avait des préjugés raciaux. Elle a évoqué la réticence du personnel à travailler avec Mme Baptiste comme exemple de sa cruauté.

[201] Mme Killam a exprimé l'avis que Mme Baptiste livrait un combat perdu d'avance à l'établissement de Matsqui et qu'elle devrait [Traduction] accepter l'aide d'un expert, obtenir une mutation et tourner la page. Selon elle, Mme Baptiste semblait se refuser à admettre les préoccupations des détenus et des autres employés. Mme Killam a recommandé, d'une part, qu'on tienne des réunions d'équipe quotidiennes pour aider à éviter de nouveaux conflits et à améliorer les communications et, d'autre part, qu'on [Traduction] donne une formation psychosociale et une formation en matière de diversité culturelle afin d'éliminer les stéréotypes et de favoriser un climat de travail fondé sur le respect. Mme Killam a également recommandé que le chef des Services de santé adopte une politique de porte ouverte et une attitude proactive à l'égard du règlement des différends. Enfin, Mme Killam a réitéré sa recommandation voulant que Mme Baptiste soit mutée ailleurs.

[202] M. Mills a affirmé qu'il a été ébranlé lorsqu'il a reçu le rapport de Mme Killam; il était quelque peu confus, car on ne l'avait jamais mis au courant de l'existence de problèmes semblables. M. Mills a fait lire le rapport par Linda Dean et Shirley Cox, qui ont toutes deux été étonnées des conclusions. Il ne semble pas que d'autres employés du centre de santé de l'établissement de Matsqui aient été mis au courant des conclusions de Mme Killam.

[203] Au moment où M. Mills a reçu le rapport de Mme Killam, Mme Baptiste ne travaillait plus à l'établissement de Matsqui, pour les motifs que nous expliquerons dans la prochaine section de cette décision. Il n'a donc pas été nécessaire de donner suite à la recommandation de Mme Killam de muter Mme Baptiste. M. Mills était d'avis qu'il fallait agir rapidement pour résoudre les autres problèmes soulevés dans le rapport. Aussi a-t-il demandé conseil au coordonnateur régional de la lutte contre le harcèlement du SCC. M. Mills a ensuite retenu les services de Jamie Millar-Dixon, une consultante que lui avait recommandée le coordonnateur de la lutte contre le harcèlement. M. Mills et Mme Dean ont ensuite rencontré Mme Millar-Dixon. Cette dernière a recommandé l'établissement d'un programme qui, selon elle, résoudrait les préoccupations décrites par Mme Killam. On lui a confié la mise en œuvre du programme.

[204] M. Mills a pris sa retraite du SCC en juin 1999. Il n'a pas participé à la mise en œuvre du programme de Mme Millar-Dixon. Le 12 août 1999, Linda Dean a informé le personnel des Services de santé que des employés avaient soulevé des problèmes en ce qui touche le climat de travail; toutefois, elle n'a pas indiqué la nature de ces problèmes. Mme Dean a dit que Jamie Millar-Dixon viendrait à l'établissement de Matsqui pour y mener [Traduction] une importante initiative en vue de s'assurer que les employés bénéficient d'un climat de travail sain et respectueux, exempt de comportements susceptibles d'être perçus comme du harcèlement ou de la discrimination. Mme Dean a également informé le personnel qu'il aurait l'occasion de soulever tout problème, question ou préoccupation qu'il pouvait avoir au sujet du harcèlement en milieu de travail.

[205] Bien que j'accepte le témoignage de M. Mills selon lequel on a retenu les services de Mme Millar-Dixon à la suite des conclusions du rapport Killam, il ne semble pas que le personnel ait compris le rôle qu'on lui avait confié. La plupart des infirmières et infirmiers qui ont témoigné se souviennent d'avoir rencontré Mme Millar-Dixon; toutefois, selon eux, elle était chargée de se pencher sur les problèmes de moral découlant de la conduite d'un cadre de l'établissement. La plupart des employés ne savaient aucunement que Mme Millar-Dixon était venue à l'établissement pour y examiner les préoccupations liées au racisme. Cela n'est peut-être pas étonnant, étant donné que la plupart des employés n'étaient pas au courant du fait que Mme Killam avait constaté un tel problème.

[206] Mme Millar-Dixon a rencontré le personnel des Services de santé en août et septembre 1999. Le 5 octobre 1999, elle a présenté à Shirley Cox (17) son rapport portant sur [Traduction] l'initiative d'amélioration du travail à l'établissement de Matsqui. Dans ce rapport, Mme Millar-Dixon faisait remarquer que l'objectif de cette initiative était d'assurer un climat de travail [Traduction] sain, respectueux, accueillant et valorisant…. Mme Millar-Dixon précisait dans son rapport que l'initiative visait également à déterminer l'ampleur du problème de harcèlement. Mme Millar-Dixon formulait dans son rapport un certain nombre de recommandations. Selon Shirley Cox, il incombait à John Sawatsky, qui avait succédé à M. Mills à titre de directeur exécutif du Centre régional de santé, de mettre en œuvre les recommandations de Mme Millar-Dixon. M. Sawatsky n'a pas témoigné à l'audience. Toutefois, la preuve indique que le personnel a reçu une formation portant sur la diversité en milieu de travail (18).

[207] Selon la Commission, le rapport Killam a dans les faits été enterré et constitue une autre preuve de la réticence à s'attaquer vraiment au problème du racisme en milieu de travail. Je partage l'avis de la Commission que la réaction du SCC aux conclusions énoncées dans le rapport Killam laissait à désirer. Il est difficile, en fait, de comprendre comment on peut s'attendre à ce que les employés s'emploient à éliminer un problème dont on ne leur a pas fait prendre conscience. J'ai accepté le témoignage de M. Mills voulant que l'on ait retenu les services de Jamie Millar-Dixon pour aider à résoudre les problèmes cernés par Mme Killam, mais il ne semble pas, répétons-le, que le personnel des Services de santé ait vraiment été informé de la nature de ceux-ci.

[208] Cela dit, je ne suis pas prête à faire ce que la Commission me demande, c'est-à-dire sauter à la conclusion que les lacunes quant à la façon dont le SCC a réagi au rapport Killam en 1999 donnent à penser que le racisme est un élément qui a joué dans le traitement dont Mme Baptiste a fait l'objet en milieu de travail au cours de la période qui a mené au refus de la laisser occuper le poste de chef d'équipe intérimaire en janvier 1997 ou dans la réorientation de Mme Baptiste à l'automne 2000. Sharon Greye, que Mme Baptiste a identifiée comme la source d'un bon nombre de ses problèmes, n'a rien eu à voir avec l'enquête de Theresa Killam ou avec la réponse à son rapport. De même, aucune des personnes que Mme Baptiste a identifiées comme des collègues en compétition avec elle n'a joué quelque rôle que ce soit en ce qui touche la suite donnée au rapport Killam. John Sawatsky, qui était manifestement chargé de la mise en œuvre des recommandations de Mme Millar-Dixon, semble n'avoir eu absolument rien à voir avec les questions qui ont donné lieu à la plainte de Mme Baptiste. En outre, je suis convaincue que M. Mills, l'un des très rares employés du SCC que Mme Baptiste n'a pas accusés d'avoir des préjugés raciaux à son endroit, a vraiment été horrifié par les conclusions de Mme Killam. À mon avis, il a agi de bonne foi en demandant l'aide du coordonnateur régional de la lutte contre le harcèlement et en retenant les services de Jamie Millar-Dixon pour l'aider à résoudre les préoccupations soulevées par Mme Killam. M. Mills a pris sa retraite du SCC en juin 1999; il n'a pratiquement joué aucun rôle dans la façon dont Mme Millar-Dixon a exécuté son mandat.

vii) Décès inexpliqués à l'établissement de Matsqui

[209] En janvier 1998, un détenu est décédé à l'infirmerie de l'établissement de Matsqui. Le coroner a été appelé à enquêter sur le décès. Avant le début de l'enquête, un activiste local a écrit au coroner à Abbotsford une lettre l'informant que des détenus avaient signalé un comportement suspect en rapport avec le traitement de l'individu décédé dans l'heure ayant précédé son décès. Le 5 novembre de la même année, un deuxième détenu est décédé. Alors qu'il enquêtait sur le second décès, le bureau du coroner a constaté que Mme Baptiste était de service au moment des deux décès et a décidé d'effectuer une autopsie sur le corps du deuxième détenu. En janvier 1999, le bureau du coroner a reçu les résultats des tests toxicologiques effectués, qui révélaient une concentration anormalement élevée de morphine dans le sang du détenu. Le coroner a décidé d'instituer une enquête sur le deuxième décès. La police d'Abbotsford a été chargée de l'enquête.

[210] Selon M. Mills, certaines rumeurs associant Mme Baptiste aux décès circulaient à l'établissement de Matsqui. Cette situation suscitait de vives inquiétudes à propos de la sécurité de Mme Baptiste. De plus, M. Mills était vivement préoccupé par le bien-être affectif de Mme Baptiste. M. Mills, Shirley Cox et Linda Dean ont rencontré Mme Baptiste au début de février 1999. M. Mills a alors offert à Mme Baptiste de la muter provisoirement à un autre établissement. Mme Baptiste a refusé l'offre. M. Mills a déterminé que Mme Baptiste était en proie à beaucoup de stress et avait tout intérêt à s'éloigner de l'établissement. Par conséquent, il l'a réaffectée au Centre régional de santé. M. Mills a également aiguillé Mme Baptiste vers les programmes d'aide aux employés du SCC et l'association des infirmières et infirmiers autorisés de la Colombie-Britannique.

[211] Mme Baptiste et la Commission diffèrent d'opinion quant au retrait de Mme Baptiste de l'établissement de Matsqui. La Commission ne conteste pas le bien-fondé de la décision de M. Mills de réaffecter Mme Baptiste, tandis que cette dernière allègue qu'elle a été mutée en guise de représailles à la suite du dépôt de sa plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne. À l'appui de son allégation, Mme Baptiste souligne le fait qu'elle est la seule infirmière a avoir été mutée au cours de l'enquête. De plus, Mme Baptiste nie qu'elle était en proie au stress à cette époque.

[212] À mon avis, la décision de M. Mills de retirer Mme Baptiste était très raisonnable. L'allégation voulant que Mme Baptiste puisse être responsable du décès des deux détenus aurait certes suscité de vives préoccupations en ce qui concerne sa sécurité au sein de l'établissement. La prétention de Mme Baptiste voulant qu'aucun collègue infirmier n'ait subi ce traitement n'est pas sincère. D'après ce que je comprends de la preuve, aucun autre de ses collègues n'était soupçonné d'avoir tué des détenus. Enfin, le témoignage de Mme Baptiste selon lequel elle n'était pas en proie au stress, malgré le fait qu'on associait son nom aux deux décès, n'est tout simplement pas crédible.

[213] Mme Baptiste ne s'est pas présentée au Centre régional de santé le 8 février 1999, comme M. Mills le lui avait ordonné. Elle a été en congé de maladie pendant un certain nombre de semaines. Lorsqu'elle s'est finalement présentée au Centre régional de santé, où elle occupait un poste d'infirmière psychiatrique de niveau NU-HOS-02, Mme Baptiste a continué d'être rémunérée comme si elle était au niveau NU-HOS-03. Après avoir travaillé brièvement comme infirmière psychiatrique, Mme Baptiste s'est vu affecter à un projet spécial sous la surveillance de Shirley Cox. En septembre 2000, Mme Baptiste est retournée à l'établissement de Matsqui.

[214] La Commission n'a pas contesté le bien-fondé de la décision de M. Mills de retirer Mme Baptiste de Matsqui. Toutefois, elle a exprimé des préoccupations en ce qui touche le travail qu'on lui a confié au Centre régional de santé. La Commission a souligné l'affirmation faite par Mme Baptiste selon laquelle elle trouvait abaissant d'avoir à travailler comme NU-HOS-02, tout en exprimant l'avis que la nature des tâches confiées à Mme Baptiste témoigne du manque de respect à son égard et donne à penser que les motifs du SCC n'étaient pas été tout à fait purs.

[215] Je ne suis pas persuadée qu'il y ait eu quoi que ce soit d'irrégulieur dans l'affectation de Mme Baptiste au poste NU-HOS-02 au Centre régional de santé. M. Mills était manifestement confronté à une situation extraordinaire. Il lui fallait trouver une solution de rechange. Même si le poste de niveau NU-HOS-02 où elle se trouvait était inférieur à celui de NU-HOS-03 qu'elle occupait normalement, je ne suis pas persuadée que le travail était avilissant. À cet égard, il convient de rappeler que Mme Baptiste avait activement cherché en 1994 à obtenir un poste d'infirmière de niveau NU-HOS-02 au Centre psychiatrique régional (qui est devenu par la suite le Centre régional de santé). Durant le contre-interrogatoire portant sur cette occasion de perfectionnement, Mme Baptiste a indiqué qu'il y avait peu de différences à son avis entre les fonctions d'un(e) NU-HOS-02 et celles d'un(e) NU-HOS-03. En outre, Mme Baptiste a continué d'être rémunérée au niveau NU-HOS-03 au cours de toute la période passée en dehors de Matsqui.

viii) Réorientation de Gloria Baptiste à l'établissement de Matsqui

[216] Mme Baptiste a travaillé environ deux ans et demi hors de l'établissement de Matsqui. Pendant ce temps, les médias se sont beaucoup intéressés aux décès suspects survenus à l'établissement ainsi qu'à Mme Baptiste. Dans un article paru dans un journal local, cette dernière a été qualifiée d'ange de la mort et un segment de l'émission The Fifth Estate du réseau anglais de Radio-Canada a été consacré à la situation à l'établissement de Matsqui. La police a finalement terminé son enquête. Bien qu'aucune explication ne m'ait été fournie quant à la concentration élevée de morphine dans le sang du second détenu, on m'a informée que rien actuellement ne donne à penser que Mme Baptiste était de quelque façon à blâmer pour le décès de l'un ou l'autre détenu

[217] En septembre 2000, Mme Baptiste est retournée travailler à l'établissement de Matsqui. Avant son arrivée, M. Sawatsky a rencontré le personnel des Services de santé pour annoncer le retour imminent de Mme Baptiste. À cette occasion, on a informé le personnel qu'il faudrait traiter Mme Baptiste avec respect et qu'on ne tolérerait pas de remarques désobligeantes à caractère raciste.

[218] Du 5 septembre au 25 octobre, Mme Baptiste a suivi un programme de réorientation. Elle a allégué qu'aucun autre employé n'a été soumis à un programme de réorientation aussi rigoureux et qu'il s'agit là d'un autre exemple de discrimination raciale.

[219] Shirley Cox était à l'époque directrice, Méthodes professionnelles, dans la Région du Pacifique. À ce titre, elle a été mêlée à la réintégration de Mme Baptiste à l'établissement de Matsqui, où sa surveillante était Linda Dean. Selon Mme Cox, Mme Dean lui a demandé conseil à propos de la réorientation de Mme Baptiste. Dans son témoignage, Mme Cox a affirmé qu'aucun autre employé n'était revenu au travail après avoir été absent en raison de circonstances semblables à celles qui avaient entouré le départ de Mme Baptiste de l'établissement de Matsqui en 1999. Mme Baptiste était depuis longtemps en dehors du milieu clinique. En outre, sa sécurité constituait un sujet de préoccupation. Par conséquent, Mme Cox a demandé conseil à l'association des infirmières et infirmiers autorisés quant à la façon d'aborder la réintégration de Mme Baptiste. Mme Cox a déclaré que l'association lui avait fourni des principes à suivre et qu'elle s'était fondée sur ces principes pour élaborer le programme de réorientation de Mme Baptiste. Elle a indiqué, en outre, que son but était d'assurer une réintégration qui se ferait en douceur non seulement pour Mme Baptiste, mais aussi pour ses collègues. Elle a expliqué :

[Traduction]

Compte tenu du climat d'agitation qu'on avait connu, j'estimais que tous avaient besoin d'un certain temps pour se remettre….

[220] Shirley Cox a déclaré qu'elle réclamait depuis un certain temps un programme d'orientation plus poussé et qu'elle travaillait, par conséquent, depuis environ deux ans à l'élaboration d'un manuel d'orientation. Gloria Baptiste a été la première personne soumise au nouveau programme d'orientation. Selon Mme Cox, les nouveaux employés ou ceux qui reviendraient à l'établissement de Matsqui devraient suivre un programme semblable.

[221] Linda Dean a confirmé que l'association des infirmères et infirmiers autorisés avait contribué à l'élaboration du plan de réorientation de Gloria Baptiste. Selon Mme Dean, Jamie Millar-Dixon a également contribué à la gestion de la réintégration de Mme Baptiste. Mme Baptiste a confirmé que Mme Millar-Dixon avait participé aux discussions portant sur son retour à l'établissement de Matsqui.

[222] Mme Dean a dit qu'elle avait rencontré Mme Baptiste chaque semaine au cours de la période de réorientation. Alors que cette période tirait à sa fin, Mme Baptiste a exprimé l'opinion que la réorientation avait peut-être été trop longue. Selon Mme Dean, c'était la première fois que Mme Baptiste exprimait des préoccupations quant à la durée de la réorientation; toutefois, Mme Baptiste a affirmé qu'elle s'était plainte auparavant de la durée du programme. Mme Dean a convenu qu'en rétrospective, le programme avait peut-être duré trop longtemps.

[223] La preuve relative à l'orientation ou à la réorientation d'autres employés est mince. Dans son témoignage, Pierre Bell a dit qu'à son retour au travail en mai 1999, après une absence de dix mois, il n'avait été soumis à aucune forme de réorientation. M. Bell a dit ne pas se souvenir d'autres cas où l'employé a dû suivre un programme de réorientation de huit ou neuf semaines. Selon Mme Sabir, un employé qui est revenu au travail après une année sabbatique a dû suivre un programme de réorientation de deux ou trois semaines. On ne sait pas exactement quand cela s'est produit. Dale Shackleford se souvient d'avoir consacré deux ou trois semaines à l'orientation de collègues de niveau NU-HOS-03. Linda Dean a affirmé qu'une employée du nom de Micki Huisman a suivi un programme de réorientation de deux semaines à son retour à l'établissement de Matsqui, en mars 2001. Selon Mme Dean, Mme Huisman est de service le jour dans un secteur où il y a toujours un surveillant. Esther Neilson a mentionné lors de son témoignage qu'un nouvel employé était en train de suivre un programme d'orientation, qui avait commencé trois ou quatre semaines auparavant.

[224] Je ne suis pas persuadée que la race ait été un élément qui a joué en ce qui concerne le programme de réorientation auquel Mme Baptiste a été soumise à son retour à l'établissement de Matsqui à l'automne 2000. J'accepte le témoignage de Mme Cox voulant qu'on ait reconnu la nécessité d'un programme de réorientation plus poussé bien avant le retour prévu de Mme Baptiste à l'établissement de Matsqui. En fait, dans son rapport d'octobre 1999, Mme Millar-Dixon avait mentionné que le manque de cohérence au niveau de l'orientation des employés était un sujet d'inquiétude. Même si les observations de Mme Millar-Dixon avaient trait particulièrement aux nouveaux employés, il y a lieu de noter qu'elle avait recommandé la mise en place d'un programme d'orientation d'une durée de trois mois. L'affirmation de Mme Cox selon laquelle Mme Baptiste a été soumise à un nouveau programme d'orientation est également corroborée par la documentation établie à l'époque en ce qui concerne la réorientation de Mme Baptiste, dans laquelle il est fait mention du nouveau manuel d'orientation ainsi que du nouveau vidéo d'orientation.

[225] Le stage de réorientation de Mme Baptiste a duré sept semaines et un jour. Cela peut sembler long dans le cas d'un employé expérimenté du SCC; cependant, je suis d'avis que ce sont surtout les circonstances extraordinaires qui ont entouré le retrait de Mme Baptiste de l'établissement de Matsqui qui ont amené Shirley Cox et Linda Dean à concevoir un programme aussi long. La durée de l'absence de Mme Baptiste du milieu clinique ainsi que les préoccupations constantes à l'égard de son rendement ne sont sans doute pas étrangères à cette décision. À cet égard, il y a lieu de noter qu'on a consulté l'association des infirmières et infirmiers autorisés dans l'élaboration du programme. À mon avis, le fait que Mme Baptiste ait été de race noire n'a rien eu à voir avec la décision de Mme Cox et de Mme Dean. En fait, le fait que Jamie Millar-Dixon ait été appelée à participer au processus donne à penser que le SCC s'efforçait d'adopter une approche sensible vis-à-vis de la réintégration de Mme Baptiste à l'établissement de Matsqui.

[226] La preuve relative à la durée du stage d'orientation auquel sont soumis d'autres employés n'altère pas ma conclusion voulant que la race de Gloria Baptiste n'ait pas influencé la décision à cet égard. Le retour au travail de Pierre Bell a eu lieu avant la mise en place du nouveau programme de réorientation; cet élément n'est donc pas pertinent. En ce qui concerne l'orientation des autres employés après septembre 2000, il convient de rappeler que Mme Baptiste a été la première employée à suivre le nouveau programme d'orientation, dans des circonstances particulières, et que le programme auquel elle a été soumise semble avoir été en quelque sorte une expérience. Mme Dean a reconnu bien candidement qu'en rétrospective, un programme de sept semaines était peut-être trop long. Compte tenu du témoignage de Mme Dean, il n'est pas étonnant que des modifications aient été apportées au programme et que sa durée ait été abrégée.

V. CONCLUSION RELATIVE À LA RESPONSABILITÉ

[227] Le racisme est un phénomène tantôt conscient et manifeste, tantôt inconscient et insidieux. En fait, les stéréotypes et attitudes racistes peuvent influencer les actions que pose une personne sans que celle-ci n'en soit jamais consciente. Je n'exclus pas la possibilité que certains employés du SCC aient pu poser des actes empreints de racisme, mais je ne crois pas, au regard de l'ensemble de la preuve et pour les motifs énoncés dans la présente décision, qu'il soit probable que le racisme ait influencé la façon dont Gloria Baptiste a été traitée par rapport aux questions faisant l'objet de sa plainte.

[228] Il est évident que beaucoup de collègues et de surveillants de Mme Baptiste avaient celle-ci en aversion. Quatre semaines d'audience ont permis de dégager beaucoup de raisons qui expliquent cette antipathie et qui n'ont absolument rien à voir avec la couleur de la peau de Mme Baptiste.

[229] Il est vrai que l'antipathie à l'égard de Mme Baptiste s'est souvent traduite par le recours à des épithètes racistes par ses collègues et, au moins à deux occasions, par une de ses surveillantes. Ma conclusion voulant que cette plainte doive être rejetée ne doit en aucune façon être interprétée comme une absolution judiciaire à l'égard de la conduite reprochée. Les personnes qui travaillent au sein du système de justice pénale font malheureusement l'objet de violence de la part des détenus. Bien qu'il convienne de lutter activement contre l'utilisation par les détenus d'un langage à caractère raciste, on ne pourra jamais éliminer complètement le problème. Toutefois, même si Gloria Baptiste elle-même n'était dans une large mesure pas consciente de cette situation, la preuve relative au recours courant à des épithètes racistes par le personnel du SCC en l'espèce est très inquiétante. Les pénitenciers fédéraux sont certes un milieu de travail difficile; cependant, les infirmières et infirmiers qui y travaillent sont des professionnels bien éduqués. Ils devraient mieux se comporter.

[230] On ne sait pas exactement dans quelle mesure la direction du SCC était consciente de l'ampleur du problème de comportement au sein de son personnel avant qu'elle reçoive le rapport Killam; chose certaine, elle en est maintenant consciente. Ce comportement est honteux et ne devrait pas être toléré à l'avenir.

VI. ORDONNANCE

[231] Pour les motifs énoncés ci-dessus, la présente plainte est rejetée.

(Original signé par)

Anne L. Mactavish, présidente

OTTAWA (Ontario)

Le 6 novembre 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T590/4800

INTITULÉ DE LA CAUSE : Gloria Baptiste c. Service correctionnel Canada

LIEU DE L'AUDIENCE : Abbotsford (Colombie-Britannique)

(du 17 au 20 avril 2001; du 23 au 26 avril 2001;

du 27 au 31 août 2001; du 10 au 3 septembre 2001)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 6 novembre 2001

ONT COMPARU :

Gloria Baptiste en son propre nom

Salim Fakirani, Harvey Groberman, c.r. et Eddie Taylor au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Simon Fothergill au nom du Service correctionnel du Canada

1. 1 Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, p. 208, et Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, p. 558.

2. 2 Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne, 4 C.H.R.R. D/1616, p. 1617 (confirmée 5 C.H.R.R. D/2147 (tribunal d'appel)).

3. 3 O'Malley, précitée, p. 558.

4. 4 Singh c. Statistique Canada, [1998] T.C.D.P. no 7, confirmée [2000] A.C.F. no 417 (C.F., 1re inst.), et Dhanjal c. Air Canada, [1997] A.C.F. no 1599, (1997) 139 F.T.R. 37.

5. 5 Israeli, précitée, et Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (T.C.D.P.).

6. 6 Basi, précitée, p. D/5038.

7. 7 B. Vizkelety, Proving Discrimination in Canada, (Toronto), Carswell, 1987, p. 142.

8. 8 Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.).

9. 9 Mmes Sabir et MacKay ont toutes deux commencé à travailler à l'établissement de Matsqui en 1996. Sharon Greye a pris sa retraite du SCC en août 1997.

10. 10 Il y a lieu de noter que bien qu'elle ait affirmé avoir qualifié Mme Baptiste de chienne noire à une seule occasion, Sharon Greye n'a pas eu le loisir de traiter de l'incident décrit par Pierre Bell, dont le témoignage a suivi le sien. Mme Greye n'a donc jamais eu l'occasion de commenter l'incident dont il a fait état.

11. 11 Compte tenu de la position prise par la Commission et Mme Baptiste en l'espèce, il est toutefois raisonnable de présumer que toute consultation de M. Mills avec Mme Raketti (ou un des autres employés ayant agi comme chef d'équipe) aurait donné lieu à l'argument que des collègues en compétition avec Mme Baptiste ont été mêlés à tort à la décision de refuser à cette dernière la possibilité d'agir comme chef d'équipe.

12. 12 Selon la décision du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, Mme Baptiste a déposé son appel le 25 mars 1997. Mme Raketti a signé l'appréciation de Mme Baptiste le 14 avril 1997.

13. 13 Mme Baptiste aurait administré le 27 février 1997 de la morphine à un patient par voie intraveineuse plutôt que par voie sous-cutanée. Il semblerait que cela ait peut-être accéléré la mort du patient. Lorsqu'on a abordé la question avec Mme Baptiste, il semble que cette dernière ait apporté des changements au dossier du patient pour indiquer que la morphine avait été administrée par voie sous-cutanée. On ne sait pas exactement si la morphine a été administrée comme il se doit et s'il y a eu erreur dans la consignation de l'acte au dossier ou si le médicament a été administré de façon incorrecte. Toutefois, même si le médicament a été administré comme il se doit, on est quand même en droit de s'interroger quant au fait que Mme Baptiste a modifié le dossier après le fait. Mme Baptiste a elle-même reconnu que modifier un dossier après le fait irait à l'encontre des normes admises en matière de soins infirmiers. Toutefois, lorsque la documentation établie à l'époque, y compris le dossier du patient, lui a été soumise, Mme Baptiste a nié que tout cela se soit jamais produit.

14. 14 Dans sa décision du 29 septembre 1997, le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique a refusé d'entendre l'appel de Mme Baptiste au sujet de la nomination intérimaire de Donna Raketti, parce qu'il avait été présenté en dehors du délai imparti.

15. 15 Il convient de noter que Gloria Baptiste nie avoir jamais fait cette déclaration. Mme MacKay n'en a pas fait état dans son témoignage. Aussi je ne tire aucune conclusion à cet égard.

16. 16 À cet égard, il y a lieu de noter qu'Eva Sabir est la seule personne qui a déclaré avoir noté un changement de comportement chez Mme Baptiste après cet incident. Mme Baptiste a elle-même nié que son comportement ait changé à la suite de l'altercation avec le détenu.

17. 17 À ce moment-là, Shirley Cox occupait le poste de directrice, Méthodes professionnelles, Région du Pacifique. Elle agissait comme consultante en matière de méthodes professionnelles auprès de la haute direction de la Région du Pacifique.

18. 18 Voir la lettre du 25 août 1999 de P.H. de Vink à Gloria Baptise (pièce R-2, onglet 92).

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