Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

RICHARD W. ROGERS

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

DECKX LTD.

l'intimée

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE

Décision no 1

2002/04/12

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis, membre

TRADUCTION

[1] L'intimée a soulevé une question préliminaire en l'espèce. Elle allègue que le Tribunal n'a pas compétence pour instruire la plainte étant donné que les parties ont complètement réglé le litige dans le cadre d'une conciliation faite en 2001. La Commission canadienne des droits de la personne (Commission), le plaignant et l'intimée ont tous soumis au Tribunal leurs arguments écrits respectifs concernant la question préliminaire. Des éléments de preuve ont été produits sous la forme d'affidavits auxquels étaient joints des documents. Les déposants n'ont pas été interrogés sur leurs affidavits. Dans la présentation des faits à l'origine de la requête, j'ai délibérément omis de faire état de renseignements concernant les propos confidentiels tenus par les parties dans le cadre de la conciliation.

I. LES FAITS

[2] Le plaignant a déposé la plainte devant la Commission le 31 juillet 1999. Il allègue que l'intimée a commis un acte discriminatoire contre lui en omettant de tenir compte de sa déficience (vision double) et en mettant fin à son emploi, contrairement aux dispositions de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (1) (Loi). À la suite d'une recommandation en ce sens de l'enquêteur de la Commission désigné à ce cas, la Commission a nommé une conciliatrice, pour tenter d'arriver à un règlement de la plainte, conformément à l'article 47 de la Loi. Le 29 mars 2001, une réunion de conciliation a eu lieu à Winnipeg. Y participait, en plus de la conciliatrice (Mme Buelah Adams-Farrell), un représentant de l'intimée (M. Andrew Bieber), le conseiller juridique de l'intimée (M. Mark Newman), le plaignant et son conseiller (M. Jeff Goszaluk).

[3] Il ne fait aucun doute qu'à la fin de la réunion susmentionnée qui semblerait avoir duré tout ce jour de travail, les parties en étaient arrivées à une certaine entente. En fait, le plaignant a indiqué ce qui suit, au paragraphe 5 de son affidavit daté du 18 février 2002 :

[TRADUCTION]

À la fin de la conciliation, un règlement avait été dégagé relativement aux modalités suivantes :

Le plaignant a ensuite énuméré lesdites modalités.

[4] Il n'y a pas non plus de litige sur le fait qu'à la clôture de la réunion de conciliation, les parties n'ont pas signé de procès-verbal de transaction ni autre document similaire. M. Bieber déclare, dans son affidavit, qu'à la fin du jour de conciliation, tant la conciliatrice que M. Newman ont confirmé oralement avec toutes les parties présentes les modalités qui avaient été convenues, et que M. Bieber et le plaignant se sont ensuite serré la main. Il ajoute que même si la conciliatrice avait invité les parties à rester et à signer le procès-verbal de transaction, étant donné la longueur de la réunion de conciliation, il avait été convenu que ledit procès-verbal serait communiqué aux parties et signé à une date ultérieure.

[5] La conciliatrice a subséquemment préparé le procès-verbal de transaction et l'a communiqué à l'intimée, le 11 avril 2001. L'intimée a apporté une révision qu'elle qualifie de mineure au libellé, puis la conciliatrice a ensuite envoyé le texte modifié au plaignant, le 23 avril 2001. Le plaignant, selon ses dires, aurait appris, dans les jours qui ont suivi la réunion de conciliation, que certains des détails des modalités étaient différents de ce qu'il avait compris lors des discussions. En fait, il soutient avoir communiqué avec la conciliatrice le 6 avril 2001 pour l'informer de certains détails que l'intimée ne lui avait pas divulgués durant la conciliation. Le plaignant allègue que le 26 avril 2001, après avoir reçu le procès-verbal de transaction, il a informé la conciliatrice des raisons pour lesquelles il estimait que l'entente n'était pas acceptable. Il n'a donc pas signé le procès-verbal.

[6] Le 9 juillet 2001, la conciliatrice a rédigé son rapport à la Commission dans lequel elle déclare que la plainte n'a pas été réglée et que l'affaire est retournée à la Commission pour décision. Elle a recommandé que soit un tribunal des droits de la personne soit chargé d'instruire la plainte soit la Commission rejette la dite plainte si une instruction était jugée injustifiée. Après avoir reçu une copie du rapport de la conciliatrice, M. Newman a fait parvenir une lettre à cette dernière, le 19 juillet 2001, dans laquelle il a articulé la position de sa cliente selon laquelle une entente de règlement liant les parties avait de fait été conclue au moment de la réunion de conciliation.

[7] Le 16 octobre 2001, la Commission a avisé le plaignant et l'intimée de sa décision de demander, conformément à l'article 49 de la Loi, à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne de désigner un membre pour instruire la plainte. La Commission a fait observer, dans sa lettre aux parties, qu'elle avait prit sa décision après avoir examiné le rapport (supposément celui de l'enquêteur et/ou celui de la conciliatrice) ainsi que des arguments déposés subséquemment.

II. ANALYSE DES ARGUMENTS DES PARTIES

[8] Aux termes du paragraphe 48 (1) de la Loi, les parties qui conviennent d'un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l'audience d'un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l'approbation de la Commission. Le paragraphe 48(2) porte de plus que dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties. L'intimée reconnaît que, à la lumière des dispositions susmentionnées, la Commission a compétence pour approuver ou rejeter un règlement convenu dans le cadre d'une conciliation. Cependant, l'intimée ajoute que jusqu'à ce que la Commission ait exercé son pouvoir de décision, elle n'a pas compétence pour renvoyer la plainte au Tribunal.

[9] La réponse de la Commission comporte deux volets. En premier lieu, étant donné que le plaignant n'a pas signé le procès-verbal de transaction et que la conciliatrice a précisé dans son rapport qu'il n'y avait pas eu règlement, il n'est pas nécessaire d'invoquer l'article 48. En deuxième lieu, s'il devait être admis que les parties sont en vérité arrivées à un règlement, la Commission a effectivement exercé son autorité aux termes de l'article 48 lorsqu'elle a décidé de saisir le Tribunal de la plainte. Autrement dit, le renvoi au Tribunal indique implicitement que la Commission a décidé de rejeter le prétendu règlement. Dans les arguments qu'elle a déposés auprès du Tribunal, la Commission souligne avoir décidé de saisir le Tribunal de l'affaire après avoir examiné tous les renseignements mis à sa disposition, y compris les arguments respectifs des parties sur le prétendu règlement.

[10] La Commission ajoute que l'une ou l'autre des décisions dont il a déjà été fait mention, qu'il s'agisse de la décision de rejeter le prétendu règlement ou de celle visant à renvoyer l'affaire au Tribunal, peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Il ne s'agit pas là de questions devant faire l'objet de réexamen par le Tribunal. En vérité, l'intimée a récemment déposé, auprès de la Cour fédérale, une requête en prorogation du délai de dépôt d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission, conformément à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale (2). Toutefois, la Cour a rejeté ladite requête de l'intimée (3).

[11] Je suis d'accord sur le fait que le Tribunal n'a pas compétence pour réexaminer les décisions rendues par la Commission aux termes des articles 48 et 49 de la Loi. L'intimée dans la cause Wall c. Kitigan Zibi Education Council (4) a soulevé des questions semblables au sujet de la conduite de la Commission qui avait mené au renvoi de la plainte au Tribunal. Il avait été alors soutenu que la Commission s'était appuyée sur des renseignements inexacts et s'était fondée à tort sur des renseignements se rapportant au processus de conciliation, pour arriver à la décision de renvoyer cette affaire au Tribunal. Le Tribunal a résumé sa décision provisoire sur cette question préliminaire au paragraphe 9 de sa décision sur le bien-fondé de l'affaire :

Au reçu [des] observations [des parties], le Tribunal a jugé qu'il n'avait pas le pouvoir d'examiner la conduite ou les décisions de la Commission ni même de vérifier si des décisions n'avaient pas été rendues. Comme il est signalé dans des affaires telles que Spurrell v. Canadian Armed Forces (1991), 14 C.H.R.R. D/130 et Dhanjal v. Air Canada (décision inédite, 30 janvier 1995), la compétence du Tribunal est limitée, étant fondée sur le pouvoir que lui confère la LCDP, en particulier le paragraphe 50 (1) qui porte :

Le tribunal .... examine l'objet de la plainte pour laquelle il a été constitué...

Il revient à la section de première instance de la Cour fédérale de statuer sur les questions relatives à la conduite de la Commission pendant les phases d'enquête et de conciliation du processus de traitement des plaintes (5).

[12] L'intimée allègue que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a renvoyé la plainte au Tribunal avant d'approuver ou de rejeter le règlement. Le paragraphe 48(1) de la Loi porte expressément que le pouvoir d'approbation ou de rejet d'un règlement par la Commission est limité à la période qui précède le début de l'audience du Tribunal. De plus, en l'espèce, les faits sont que le prétendu règlement a été dégagé dans le cadre du processus de conciliation et bien avant le renvoi de la plainte au Tribunal. La question soulevée est donc clairement une question relative à la conduite de la Commission pendant les phases d'enquête et de conciliation du processus de traitement des plaintes. De ce fait, elle n'entre pas dans la compétence conférée au tribunal, à savoir instruire la plainte pour laquelle il a été désigné. Toute question afférente à la conduite de la Commission peut donc uniquement être traitée dans le cadre d'un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[13] En l'absence d'un arrêt de la Cour fédérale qui aurait pour effet d'infirmer ou de modifier la décision de la Commission de renvoyer la plainte au Tribunal, la décision de la Commission demeure valide. Par conséquent, j'estime que le Tribunal a correctement été saisi de la plainte. Le Tribunal a donc compétence pour poursuivre l'instruction sur le bien-fondé de la plainte.

[14] La requête de l'intimée au sujet de la question préliminaire concernant la compétence du Tribunal est donc rejetée.

[15] Pour arriver à une décision sur ladite question préliminaire, j'ai examiné plusieurs documents liés au processus de conciliation confidentiel. Les arguments des parties et les affidavits à l'appui de leurs arguments ont aussi fait état des positions adoptées par les parties dans le cadre dudit processus confidentiel. J'ai donc demandé à la présidente du Tribunal de ne pas me désigner pour instruire cette affaire au fond. De plus, j'ai donné comme directive au greffe du Tribunal de supprimer, du dossier qui sera présenté au membre désigné, ou aux membres désignés, pour instruire de cette affaire au fond, tous les arguments, les affidavits et autres documents qui renvoient au processus de conciliation.

Originale signée par


Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)

Le 12 avril 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DU TRIBUNAL : T678/6601

INTITULÉ DE LA CAUSE : Richard W. Rogers c. Deckx Ltd.

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 12 avril 2002

ONT COMPARU :

Richard W. Rogers Pour lui-même

Mark McDonald Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Mark Newman Pour l'intimée (Deckx Ltd.)

1. 1 L.R.C. 1985, c. H-6.

2. 2 L.R.C., c. F-7.

3. 3 Deckx Ltd c. Rogers (26 mars 2002), 02-T-13, (C.F. 1re inst.).

4. 4 [1997] D.C.D.P. no 6 (TCDP) (QL).

5. 5 Ibid.

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