Tribunal canadien des droits de la personne

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Décision rendue le 5 juillet 1982.

D. T. 7/ 82

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 1977, C. 33, version modifiée

Et dans l’affaire d’une audience devant un tribunal des droits de la personne constitué aux termes de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

LITIGE METTANT EN CAUSE: James Anderson, Plaignant et L’Administration de pilotage de l’Atlantique, Défendeur

DEVANT: Susan Mackasey Ashley, Tribunal

Ont comparu: Yvon Tarte Avocat du plaignant et de la Commission canadienne des droits de la personne Murray Ritch et Roseanne MacGillivray Avocats de l’Administration de pilotage de l’Atlantique

Dans la présente affaire, le plaignant, M. James L. Anderson, prétend que son employeur, l’Administration de pilotage de l’Atlantique, a établi à son endroit une distinction illicite fondée sur le handicap physique, contrevenant ainsi aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le formulaire de plainte (pièce C- 4), daté du 7 juillet 1980, énonce la plainte comme suit:

Renvoyé en raison d’une crise cardiaque survenue il y a six ans et jugé par le médecin de la compagnie comme étant une restriction au travail. Selon mon médecin personnel, je suis capable d’accomplir mon travail.

(Traduction)

Les faits Voici la suite des événements par ordre chronologique. En décembre 1973, M. Anderson a été victime d’une crise cardiaque. Alors âgé de vingt- huit (28) ans, il travaillait dans le domaine de la marine depuis l’âge de quatorze (14) ans. Après sa convalescence, il est retourné aux études pour se perfectionner. Détenteur d’un certificat de capitaine de pêche depuis 1969, il a obtenu son certificat de capitaine au cabotage (navire de 350 tonneaux) en 1975, son certificat de capitaine (eaux secondaires), également en 1975, et la mention Simulateur radar vers la même période.

Au moment de sa crise cardiaque, il était matelot sur un petit chalutier. Entre 1973 et le moment de son entrée en fonction auprès de l’Administration de pilotage de l’Atlantique, M. Anderson a travaillé pour les compagnies suivantes: Atlantic Towing de Saint- Jean (comme second), Eastern Canada Towing de Halifax (comme second), National Sea Products de Lunenburg (comme matelot), A. B. McLean de Sault Sainte- Marie (comme capitaine), McNamara Marine de Whitby (Ontario) (comme capitaine) et H. B. Nickersons de Riverport (Nouvelle- Ecosse) (comme matelot et second).

En 1980, M. Anderson a appris que l’Administration de pilotage de l’Atlantique à Halifax était à la recherche de capitaines pour servir de patrons de bateau- pilote de relève. Les fonctions du patron de bateau- pilote sont décrites dans la pièce C- 6 qui se lit en partie comme suit:

Diriger un bateau- pilote servant à transporter les pilotes vers les navires se trouvant dans le district et à les en ramener, c’est- à- dire: - tracer l’itinéraire et guider le bateau à l’aide d’un compas et d’un radar; - manoeuvrer la barre et les commandes du moteur pour approcher le bateau le long des navires afin de faire embarquer ou débarquer les pilotes; - suivre la pratique normale des matelots pour éviter le trafic et protéger le bateau et ses passagers en cours de route; - tenir compte des limites du bateau en voyageant par mauvais temps et sur des mers houleuses. (Traduction)

Le patron doit aussi organiser l’expédition et l’itinéraire des bateaux- pilote, donner des instructions aux navires concernant la façon d’accoster, superviser l’entretien du bateau, tenir des registres et des listes des provisions et autres choses essentielles, et fournir un moyen de transport à d’autres organismes ministériels.

Le capitaine Claude Ball est directeur des Opérations auprès de l’Administration de pilotage de l’Atlantique. Dans son témoignage, M. Ball a fait la description détaillée suivante des fonctions d’un patron de bateau- pilote:

La fonction du patron de bateau- pilote est de commander son bateau. Il est chargé essentiellement de transporter les pilotes vers les navires se trouvant dans la zone de pilotage obligatoire de Halifax, par exemple, et de les en ramener. Il est également responsable de certains travaux d’entretien du bateau et de la supervision du travail d’un matelot. Outre sa fonction de base, le bateau- pilote sert également aux opérations de recherche et de sauvetage. C’est pourquoi il faut assurer une permanence de 24 heures sur 24 dans notre port comme dans les autres ports, de sorte que si un bateau a des problèmes, une équipe peut être envoyée à son secours à tout moment. En plus d’assurer le transport des pilotes aux navires, il nous arrive, par mauvais temps, de les guider aux termes de la Loi, c’est- à- dire de faire embarquer un pilote à bord d’un navire ailleurs qu’à la station d’embarquement ordinaire. Donc, lorsqu’il fait mauvais, le pilote monte à bord du bateau- pilote et, avec le patron à la barre, guide le navire à un autre endroit que la station d’embarquement afin de pouvoir y embarquer convenablement et en sécurité. Le bateau- pilote devance le navire et lui trouve un passage sécuritaire. (Transcription, pages 215 et 216)

(Traduction)

Le patron du bateau- pilote a la responsabilité de son bateau et est la seule personne autorisée à le manoeuvrer.

La formation des patrons de bateau- pilote comprend deux (2) périodes de travail de vingt- quatre (24) heures. Selon le capitaine Ball:

Après avoir présenté sa candidature et soumis les certificats requis, c’est- à- dire au moins un certificat de pilotage (navire de 350 tonneaux), il est affecté pour deux périodes de 24 heures au bateau d’un patron expérimenté qui lui explique les règles du métier, lui montre comment manoeuvrer le bateau, comment s’approcher le long des navires, lui apprend les différents jargons dont nous nous servons et la méthode d’approche radar à utiliser par temps brumeux. Pendant ce stage, le patron expérimenté demande à son stagiaire de prendre les commandes du bateau et observe la façon dont il s’y prend pour faire embarquer les pilotes, ramener le bateau à quai, etc. Si le patron expérimenté lui donne une cote satisfaisante, le stagiaire lui sera affecté la prochaine fois comme patron de relève. Le patron expérimenté pourra aussi recommander une ou deux périodes de stage supplémentaires parce que le premier stage s’est fait, par exemple, par beau temps ou dans une période de circulation peu intense.

Après ce second stage, si sa cote est toujours bonne, le stagiaire est classé dans la catégorie de suppléance. Ainsi, lorsqu’un des patrons réguliers est malade ou en congé annuel, il est appelé à le remplacer comme patron de relève.

(Traduction)

Selon M. Melvin Lloyd, directeur du Personnel auprès de l’Administration de pilotage, les conditions minimales à remplir pour devenir patron de bateau- pilote sont de posséder un certificat de pilotage (navire de 350 tonneaux) et les qualifications radar et radio, de subir un examen médical et de justifier de la compétence générale nécessaire pour exercer l’emploi (transcription, page 156). Il semble par ailleurs que les patrons de relève ne soient tenus de subir l’examen médical que lorsqu’ils obtiennent un poste permanent.

Il est à noter que l’Administration de pilotage, au port de Halifax, n’exploite qu’un seul bateau- pilote à équipage complet, généralement avec un autre bateau de relève. L’équipage comprend le patron et un matelot. Le bateau utilisé au port de Halifax porte le numéro APA 20.

M. Anderson a reçu la formation nécessaire pour le poste de patron de relève, après quoi on l’a informé qu’on communiquerait avec lui en cas de besoin. Plus tard, l’APA l’a appelé pour lui offrir un poste permanent, précisant que le médecin de l’Administration devrait donc lui faire subir un examen médical. Il a commencé à travailler pour l’Administration de pilotage de l’Atlantique le 31 mars 1980 (selon la pièce R- 3), et a été examiné par le docteur Charles A. Gordon, médecin de l’Administration, le 26 mai 1980.

Le rapport d’examen établi par le docteur Gordon constitue la pièce C- 2. Le questionnaire sur l’état de santé du patient, rempli par le médecin, fournit des détails sur les antécédents médicaux de M. Anderson et de sa famille. Au bas de la formule, le docteur Gordon a apporté des précisions sur les réponses affirmatives de M. Anderson, notamment que sa mère est décédée à l’âge d’environ 52 ans des suites d’une maladie cardiaque, que M. Anderson lui- même fûme un paquet de cigarettes par jour, qu’il a eu une pneumonie sans complications il y a six ans, qu’il a été victime, à l’âge de 28 ans, d’un infarctus du myocarde dont il s’est bien remis, ainsi que d’autres détails qu’il est inutile de rappeler ici. A la fin de son rapport, le docteur Gordon indique que M. Anderson possède les capacités mentales et physiques nécessaires pour s’acquitter des fonctions du poste de patron de bateau- pilote sous certaines réserves, et qu’il semble capable d’accomplir un autre genre de travail. Voici ses commentaires:

Electro- cardiogramme ci- joint. Infractus du myocarde de siège inférieur bien documenté. Les risques d’un autre infarctus sont grands et pourraient le rendre soudainement incapable d’accomplir ses fonctions de patron de bateau- pilote.

(Traduction)

Le 7 juillet 1980, M. Anderson a été renvoyé de l’Administration de pilotage de l’Atlantique, pour être officiellement rayé de l’effectif le 9 juillet de la même année. Le capitaine Ball a informé M. Anderson qu’il faudra que les résultats de son examen médical soient meilleurs pour que l’Administration l’engage de façon permanente, lui signalant qu’il pouvait demander à son médecin personnel de communiquer avec le docteur Gordon. La formule de plainte de M. Anderson, présentée aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, était datée du 7 juillet 1980.

Dans une note de service (pièce C- 7), M. Lloyd a avisé le capitaine Ball du rapport médical négatif et lui a indiqué dans une note manuscrite que selon le docteur Gordon, M. Anderson est en parfaite santé en ce moment mais pourrait subir une autre crise cardiaque sous l’effet du stress. (Traduction) Plus loin, j’entrerai dans le détail des témoignages médicaux.

Dans son témoignage, l’employeur a raconté un incident survenu à Herring Cove, à l’embouchure du port de Halifax, le 4 juillet 1980. Pendant que M. Anderson assurait le transport du pilote vers un navire qui entrait au port, il a laissé échouer l’APA 20, causant 20 000 dollars de dommages à l’embarcation et des blessures au matelot qui n’a pu travailler pour environ six mois. De l’avis de l’employeur, c’est l’incompétence de M. Anderson qui serait à l’origine de son renvoi. Le 11 juillet 1980, le capitaine Ball faisait parvenir une note de service à M. Lloyd, la pièce C- 8, dans laquelle il déclare:

Après avoir lu le rapport médical du docteur Gordon qui faisait des réserves quant à la capacité physique de M. Anderson d’accomplir les fonctions de patron de bateau- pilote auprès de l’Administration, j’ai convoqué ce dernier le 7 juillet 1980 pour l’informer que les résultats de son examen médical ne permettaient pas à l’Administration de pilotage de l’Atlantique de le maintenir en service comme patron de bateau- pilote.

Je lui ai également souligné la gravité de l’échouement à Herring Cove de l’APA 20 qu’il pilotait le vendredi 4 juillet 1980.

Vous êtes donc prié de rayer M. Anderson de l’effectif à compter du début de la journée du 9 juillet 1980.

(Traduction)

Advenant que le tribunal juge qu’il y a eu discrimination à cet égard, l’employeur prétend que sa conduite ne serait pas pour autant repréhensible, compte tenu de l’exigence professionnelle normale selon laquelle tout candidat doit passer avec succès un examen médical en vertu de l’article 14 de la Loi.

Discrimination

Il s’agit tout d’abord de décider si le plaignant a prouvé qu’il semble, de prime abord, y avoir eu discrimination aux termes des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En effet, il faut que le plaignant prouve qu’il y a eu discrimination avant que ne se pose la question de savoir si les agissements du défendeur étaient justifiés par une exigence professionnelle aux termes de l’article 14. Une fois qu’il a été prouvé qu’il semble, de prime abord, y avoir eu discrimination, c’est au défendeur qu’il incombe de démontrer que la politique ou la pratique en cause était justifiable au sens de la Loi et du droit jurisprudentiel.

Il est maintenant évident que l’intention de l’employeur n’entre pas en ligne de compte quand il s’agit de prouver qu’il y a eu discrimination aux termes de la Loi. Voir, entre autres, Re Attorney General for Alberta & Gares et al (1976), 67. D. L. R. 635 (Alberta S. C.), Foster v. B. C. Forest Products Ltd. (1980) 2 W. W. R. 289 (B. C. S. C.). L’important, c’est de savoir non pas si l’employeur avait l’intention d’établir une distinction illicite, mais bien si sa conduite, même involontaire, l’a amené à traiter le plaignant de façon discriminatoire, car l’un des objectifs de la Loi est d’assurer que tous les employés qu’elle vise soient traités équitablement malgré l’existence de certains facteurs, dont le handicap physique. Il est évident que la crise cardiaque antérieure de M. Anderson peut être qualifiée de handicap physique au sens de l’article 20 de la Loi, soit toute infirmité congénitale ou accidentelle....

L’employeur prétend en l’occurrence que les mauvais résultats de l’examen médical de M. Anderson n’ont justifie qu’en partie son renvoi, l’échouement à Herring Cove le 4 juillet 1980 y étant aussi pour beaucoup. De nombreux témoignages ont été présentés à ce sujet, et la question se pose de savoir s’il est nécessaire, pour prouver qu’il y a eu discrimination que le motif de distinction illicite ait été le seul à expliquer l’action de l’employeur ou s’il suffit qu’il ait compté parmi les différents facteurs en cause.

Dans son article intitulé Human Rights Legislation in Canada: Its Origin, Development and Interpretation, (1976), 15 U. W. O. Law Rev. 21, Ian Hunter aborde cette question à la page 32:

Qu’arrive- t- il si la race ou la couleur entre en ligne de compte tout en n’étant qu’un des divers facteurs à l’origine de l’acte discriminatoire en question? A ce sujet, les commissions d’enquête du Canada soutiennent qu’il suffit que le défendeur ait eu en tête le motif de distinction illicite, peu importe son rôle dans la prise de décision finale.

(Traduction)

Il cite, à l’appui de sa déclaration, les décisions Segrave v. Zellers Ltd (Commission d’enquête de l’Ontario, 1975), Naugler v. N. B. Liquor Commission (Commission d’enquête du Nouveau- Brunswick, 1975), Jones and Wilkinson v. Huber (Commission d’enquête de l’Ontario, 1976), et R. V. Bushnell Communications Ltd (1974) 4 O. R. (2d) 288 (C. A.).

Plus récemment, en juin 1981, une Commission d’enquête de l’Ontario est revenue sur ce point dans une décision rendue en application du code des droits de la personne de cette province.

Dans l’affaire Mrs Perlina Reid v. Russellstell Ltd. (1981), 2 C. H. R. R. D/ 400, la commission d’enquête a déclaré ce qui suit, au paragraphe 3588:

... La question est donc la suivante: Mme Reid a- t- elle perdu son emploi à cause d’un motif de distinction illicite, contrairement à l’alinéa 4( 1)( 6) du Code? Du reste, la jurisprudence indique clairement que la plaignante réussira à établir qu’il y a eu violation du Code s’il se trouve un motif de distinction illicite parmi les raisons de son renvoi. Bien que ce motif doive avoir été une cause immédiate de renvoi, rien n’empêche qu’il s’y ajoute d’autres causes immédiates.

(Traduction)

Peter A. Cumming, président de la commission d’enquête, cite la décision R. v. Bushnell Communications Ltd. à l’appui de ce qui précède et, dans une note explicative (pages D/ 400 - D/ 401) déclare ce qui suit:

En conclusion donc, il est affirmé dans la décision Bushnell que lorsqu’un motif de distinction illicite existe, ne serait- ce que parmi d’autres motifs non interdits, il y a eu infraction. Cette affirmation a été reprise dans d’autres décisions en matière de relations de travail et a été appliquée par analogie dans des décisions rendues par des commissions d’enquête en vertu du code des droits de la personne de l’Ontario.

(Traduction)

Dans l’affaire Peter Mitchell v. Nobilium Products Ltd. (1982), 3 C. H. R. R. D/ 641, une commission d’enquête de l’Ontario a jugé que la discrimination fondée sur la race, la couleur, la nationalité, l’ascendance ou le lieu de naissance était un des facteurs à l’origine du renvoi de M. Mitchell. Le président de la commission a déclaré ne point douter que la raison principale du renvoi du plaignant était son rendement insatisfaisant mais qu’à son avis, c’était aussi au fait que le traitement accordé à M. Mitchell, un noir de la Trinité, différait de celui qu’auraient subi d’autres employés dans des circonstances semblables (paragraphe 5776).

Dans le cas qui nous intéresse, l’avocat de l’Administration de pilotage de l’Atlantique avoue que deux facteurs ont motivé le renvoi de M. Anderson. (A la page 436 de la transcription, M. Ritch déclare que M. Anderson a été renvoyé à cause de son état de santé et de l’échouement porté à son compte. (Traduction))

La valeur des autorités invoquées m’amène inévitablement à conclure que s’il y a discrimintation, il y aura infraction à la Loi.

Ainsi, il est évident que le handicap physique de M. Anderson a motivé son renvoi par l’Administration, même si un autre facteur y a également contribué. A ce sujet, je rappelle la note de service du capitaine Ball à M. Lloyd (pièce C- 8) que j’ai déjà citée, la note du capitaine Latter au capitaine Ball datée du 2 septembre 1980 (pièce C- 9) selon laquelle ... M. Anderson a été rayé de l’effectif de l’Administration le matin du 9 juillet 1980, parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences médicales qui, comme on le lui avait signalé au moment de son engagement, constituent une condition d’emploi... (traduction), et le relevé d’emploi rempli par M. Lloyd en date du 11 juillet 1980 (pièce C- 5), dans lequel il est dit que M. Anderson a été refusé au cours de sa période de probation; il n’a pas satisfait aux exigences médicales de l’Administration (traduction). (Cette dernière phrase aurait apparemment été ajoutée à la formule par M. Lloyd, le 14 juillet, à la demande de M. Anderson afin qu’il puisse toucher des prestations d’assurance- chômage.)

Je suis donc d’avis qu’il y a eu discrimination aux termes des articles 7 et 10 de la Loi.

Application de l’Ordonnance sur les exigences professionnelles normales Aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission peut établir des règlements concernant certaines questions visées par la Loi. C’est ainsi qu’elle a émis, en date du 14 décembre 1981, une ordonnance sur les exigences professionnelles normales par rapport au handicap physique, laquelle, si elle s’appliquait, pourrait nous servir d’inspiration.

Toutefois, cette ordonnance ne nous est d’aucune utilité dans le cas qui nous intéresse car la discrimination a eu lieu en juillet 1980, soit plus d’un an avant son émission. En effet, n’ayant été publiée que le 13 janvier 1982, elle ne peut être réputée avoir un effet rétroactif à compter de juillet 1980. Selon le paragraphe 9( 1) de la Loi sur les textes réglementaires, S. C. 1970- 71- 72, c. 38:

Aucun règlement ne doit entrer en vigueur avant la date de son enregistrement à moins a) qu’il ne déclare expressément qu’il entrera en vigueur à une date antérieure à celle de son enregistrement et qu’il ne soit enregistré dans les 7 jours après qu’il a été établi, ou b) qu’il ne s’agisse d’un règlement d’une catégorie qui, en application de l’alinéa b) de l’article 27, est soustraite à l’application du paragraphe (1) de l’article 5, auquel cas il entrera en vigueur, sauf si le contraire est autorisé ou prévu par la Loi en application de laquelle il est établi ou sous son régime, le jour où il est établi ou à la date postérieure qui peut être indiquée dans le Règlement.

Ni l’un ni l’autre des alinéas a) et b) ne s’applique dans ce cas- ci. Le terme règlement est défini comme suit à l’alinéa 2( 1) b) de la Loi sur les textes réglementaires:

... un texte réglementaire i) établi dans l’exercice du pouvoir législatif conféré par une loi du Parlement ou sous son régime,... et comprend une règle, une ordonnance ou un règlement régissant la pratique ou la procédure dans toute instance devant un organisme judiciaire ou quasi judiciaire établi par une loi du Parlement ou sous son régime, de même qu’un texte que toute autre loi du Parlement désigne comme règlement.

Le pouvoir législatif d’établir des règlements ou des ordonnances est accordé à l’article 22 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’Ordonnance sur les exigences professionnelles normales a été émise le 14 décembre 1981, transmise pour enregistrement et publication, conformément aux articles 5, 6 et 11 de la Loi sur les textes réglementaires, et ainsi publiée le 13 janvier 1982. Par conséquent, il est impossible de l’invoquer dans le cas d’une plainte déposée en juillet 1980. Il faut plutôt consulter les précédents établis pour déterminer la signification de l’expression exigences professionnelles normales Exigences professionnelles normales Maintenant qu’il a été établi qu’un acte discriminatoire a été perpétré, il faut déterminer si la politique de l’employeur à son origine était justifiée par une exigence professionnelle normale.

L’article 14 de la Loi offre aux employeurs un moyen de prouver que certaines exigences qui, à prime abord, semblent discriminatoires, ont une telle importance pour l’emploi en question qu’elles en deviennent inséparables. On y lit notamment ce qui suit:

Ne constituent pas des actes discriminatoires (a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;...

Dans le présent cas, M. Anderson a été victime de discrimination à cause de l’exigence selon laquelle tous les patrons de bateau- pilote occupant un poste permanent doivent subir un examen médical. Or, ni le docteur Charles Gordon, responsable de ces examens, ni l’employeur n’ont précisé ce qui constitue un résultat satisfaisant à ce chapitre. Dans son témoignage, le docteur Gordon a dit connaître les fonctions de patron de bateau- pilote de façon générale. Toutefois, il a avoué n’avoir examiné que deux patrons (transcription, page 313), tandis qu’il examine environ six pilotes par année. Il est à noter que les règlements d’application de la Loi sur le pilotage contiennent des normes médicales très précises et très rigoureuses pour les pilotes. Ils ne contiennent toutefois aucune norme particulière pour les patrons de bateau- pilote. Selon le docteur Gordon (transcription, page 334):

Je ne pensais qu’à la sécurité du capitaine Anderson et de tout matelot ou passager à bord du bateau et à la sécurité des autres bateaux qu’il pourrait rencontrer. (Traduction).

D’après le docteur Gordon, le capitaine Anderson était incapable de s’acquitter des fonctions de patron de bateau- pilote en raison de son infarctus et de la nature du travail à accomplir:

... Je ne le croyais pas physiquement capable de s’acquitter des responsabilités de patron de bateau- pilote, c’est- à- dire de commander un bateau assez gros et de travailler de longues heures, parfois jusqu’à 24 heures de suite, souvent dans des situations très stressantes, en haute- mer et par temps brumeux, comme de s’approcher le long des navires. Beaucoup de choses auraient pu lui arriver pour nuire à sa sécurité. Un patron a souvent la responsabilité d’autres vies que la sienne. Ce serait risqué pour lui et ses passagers ou son équipage, si quelque chose le rendait soudainement incapable de travailler. C’était d’ailleurs une forte possibilité dans le cas de M. Anderson. (transcription, page 300)... Je ne le jugerais certainement pas capable d’exécuter un travail aussi stressant que le sien étant donné la grave affection cardio- vasculaire dont il avait été victime, d’autant plus que le risque d’une seconde crise cardiaque était beaucoup plus grand que chez une personne n’ayant jamais eu de crise cardiaque. Il ne satisfaisait donc pas aux normes de santé qui me paraissaient s’imposer dans le cas du titulaire d’un poste comme le sien.... (transcription, page 301).

(Traduction)

Le docteur Gordon était d’avis que, multipliée par d’autres facteurs comme la cigarette, l’obésité et la tension, la possibilité d’un autre infarctus du myocarde serait grandement accrue, de sorte que le capitaine Anderson ne pourrait occuper en toute sécurité le poste de patron de bateau- pilote. A son avis, les personnes qui ont déjà subi une crise cardiaque courent un risque beaucoup plus grand de perdre la vie.

Dans la lettre qu’il a envoyée à la Commission des droits de la personne le 8 octobre 1980, pour apporter des précisions sur l’état de santé du capitaine Anderson, le docteur Gordon a déclaré ce qui suit:

... Victime d’un infarctus aigu du myocarde il y a longtemps déjà, il ne semble pas avoir subi de décompensation cardiaque. D’ailleurs, il n’a jamais souffert de cardiopathie ischémique.

Si j’ai fait des réserves, c’est parce que je ne le considérais pas physiquement apte à supporter de longues périodes de travail sans repos. Je crois comprendre que ses fonctions de patron de bateau- pilote peuvent l’appeler à travailler jusqu’à vingt- quatre heures de suite sans arrêt, souvent par mauvais temps et avec un équipage et des passagers à bord. A cause de son incapacité, j’étais d’avis qu’il souffrais d’une maladie qui pouvait l’empêcher de s’acquitter de ses fonctions de façon sécuritaire et efficace, surtout s’il devait travailler de longues heures dans des conditions défavorables.

(Traduction)

Le 3 juin 1981, M. Anderson a aussi été examiné par le docteur R. D. Gregor à la demande du tribunal. Il faut souligner que cet examen avait pour but de faire le bilan de la fonction cardiaque de M. Anderson, et non pas de déterminer sa capacité d’exécuter un emploi en particulier. Dans son rapport (pièce R- 2), le médecin signale que ... sans aucun doute M. Anderson a eu un infarctus du myocarde. Toutefois, en ce moment, il est complètement asymptomatique. (Traduction). Le docteur Gregor a fait subir à M. Anderson un électro- cardiogramme et une épreuve d’effort. L’électro- cardiogramme a révélé la lésion précédente du myocarde, tandis que l’épreuve d’effort a indiqué qu’il avait une capacité d’effort allant de bonne à excellente. En d’autres mots, M. Anderson est capable d’accomplir des activités physiques relativement fatigantes (transcription, p. 341). En fait, son rendement sur l’ergocycle est supérieur à la normale.

Les conclusions du docteur Gregor se présentent comme suit: En résumé, il s’agit d’un jeune homme qui, à l’âge de 28 ans, a été victime d’un infarctus du myocarde. Depuis, exception faite de contractions ectopiques ventriculaires, il est totalement asymptomatique. Les résultats de son épreuve d’effort sont normaux. En ce moment, il ne court probablement pas beaucoup plus de risques que toute autre personne âgée de 36 ans. Toutefois, c’est un fumeur et il fait de l’hypertension. En outre, il est très difficile d’évaluer les risques associés à l’activité ectopique, bien qu’elle les accroisse probablement un peu. Par contre, il n’est pas prouvé que le traitement des contractions ectopiques ventriculaires diminue les risques.

... Il se peut donc qu’il coure des risques un peu plus grands que d’autres personnes de son âge, mais, après sept années sans accident ischémique, ces risques se rapprochent certainement de la normale. (Traduction)

Dans son témoignage, le docteur Gordon a dit ne pas être en désaccord avec les conclusions du docteur Gregor (transcription, page 319). Ce dernier, n’était cependant pas du même avis que le docteur Gordon pour ce qui est du risque d’un autre infarctus chez quelqu’un comme M. Anderson. Selon lui, en effet, le risque de faire un autre infarctus est plus grand au cours de la période de six mois à un an suivant la crise initiale. Toutefois, s’il n’y a aucun autre accident ischémique, le risque retombe assez rapidement au niveau de la normale. (transcription, pages 342 et 343). En réponse à une question de M. Tarte, le docteur Gregor a déclaré qu’il n’avait aucun doute sur la capacité physique de M. Anderson d’accomplir les fonctions de patron de bateau- pilote (transcription, page 347).

Existence d’une exigence professionnelle normale La Cour suprême du Canada, dans la décision Ontario Human Rights Commission v. Borough of Etobicoke (1982) 40 N. R. 159, a établi une définition de l’exigence professionnelle normale au paragraphe 8 de la page 166 du rapport. Le juge McIntyre y déclare ce qui suit au nom de la Cour:

... Pour constituer une qualité ou une exigence professionnelle normale, toute restriction, comme la retraite obligatoire à un âge préétabli, doit être imposée en toute sincérité en toute bonne foi avec la conviction profonde qu’elle servira à assurer l’exécution convenable des travaux de la manière la plus rapide, la plus sécuritaire et la plus économique possible, et ce, sans arrière- pensée ni à des fins susceptibles d’aller à l’encontre du Code. De plus, cette restriction doit être liée de façon objective à l’exécution des travaux en question, c’est- à- dire qu’elle doit s’imposer dans une certaine mesure pour assurer l’exécution efficace et économique des travaux sans mettre en danger l’employé, ses collègues et le grand public.

(Traduction)

Avant la Cour suprême du Canada, plusieurs commissions ou tribunaux avaient énoncé des critères semblables. Ainsi, dans la décision (Cosgrove v. The Corporation for the City of North Bay (1976), 21 O. R. (2d) 607 (Ont. C. A.), on affirme:

... s’il est nécessaire que toute restriction soit imposée de bonne foi ou avec de bonnes intentions, il faut en outre qu’elle soit appuyée par des faits et par une logique fondée sur la réalité du travail et de la vie de tous les jours.

(Traduction)

Dans la cause Bhinder c. les Chemins de fer nationaux du Canada (1981) 2 C. H. R. R. D/ 546, le tribunal a décidé que le défendeur s’était livré à un acte discriminatoire en exigeant que le plaignant se conforme à la politique de la compagnie voulant que tous les employés de la gare de triage de Toronto portent le casque protecteur, privant ainsi M. Bhinder du droit de respecter les préceptes de sa religion, qui interdit le port de tout couvre- chef autre qu’un turban. Le tribunal a également déclaré que même si l’employé court un risque de blessures un peu plus grand s’il ne se conforme pas à l’exigence professionnelle, il faut, dans la mesure du possible lui laisser le choix de courir ou non ce risque, conformément aux objectifs généraux de la Loi sur les droits de la personne.

Le principe affirmé dans la cause Hall a également été appliqué dans la décision Michael Ward c. les Messageries du CN, (1982) 3 C. H. R. R. D/ 689, où l’on stipule que:

... une exigence professionnelle normale doit être honnête, authentique, réelle et sérieuse. Ce n’est pas l’opinion de l’employeur concernant l’exigence de l’emploi qui doit avoir ces caractéristiques, mais bien l’exigence elle- même.

L’employeur est d’avis que le poste de patron de bateau- pilote comporte énormément de risques et nécessite un minimum de bonne forme physique. Dans certains témoignages, on a décrit quelques- uns des problèmes relatifs à l’embarquement et au débarquement des pilotes. On a également parlé de l’encombrement relatif du port d’Halifax comparativement à d’autres ports des provinces de l’Atlantique, où la circulation est beaucoup moins forte. D’autre part, le climat est certainement un facteur important dans l’exécution des fonctions de l’emploi; du reste, le climat d’Halifax étant ce qu’il est, cela doit être un problème assez constant. Je ne doute point qu’il s’agisse là d’un emploi assez fatigant et exigeant.

Toutefois, certains facteurs me portent à croire qu’il ne s’agit pas d’un emploi particulièrement dangereux. En effet, s’ils doivent posséder certains certificats de navigation, les candidats à des postes de patron de bateau- pilote ne reçoivent qu’un minimum de formation en cours d’emploi. On ne leur donne aucune instruction particulière sur la bonne façon de faire embarquer et débarquer les pilotes, à part les conseils des patrons plus expérimentés avec lesquels ils font leur stage. Si le stagiaire est en formation par beau temps, il est possible, mais pas obligatoire, qu’on lui demande de faire une autre sortie par mauvais temps.

D’après les témoignages, il semble également que les patrons de relève ne soient pas obligés de subir un examen médical, même s’ils font le même travail que les employés à temps complet. Si l’Administration avait retenu les services de M. Anderson à titre de patron de relève, il n’aurait pas perdu son emploi. Cela ne semble pas concorder avec l’opinion selon laquelle M. Anderson n’était pas apte à exercer les fonctions de l’emploi. Si l’Administration le jugeait capable de s’acquitter des tâches de patron de relève en raison de son expérience et de ses compétences, il semble absurde qu’il ne soit pas en mesure d’être employé à temps complet.

Pour affirmer que la crise cardiaque de M. Anderson le rendait incapable d’accomplir les tâches de l’emploi, le docteur Gordon se fondait principalement sur la possibilité qu’il soit terrassé par une autre crise au travail, risquant ainsi de se blesser ou de faire subir des blessures à son matelot, ou d’endommager le bateau. De son côté, le docteur Gregor constestait l’affirmation du docteur Gordon voulant que le risque d’un autre infarctus soit beaucoup plus grand pour M. Anderson que pour d’autres hommes âgés de 36 ans. Etant donné que M. Anderson n’avait souffert d’aucun trouble cardiaque depuis l’infarctus de 1973, le docteur Gregor estimait que les pronostics étaient bons.

Je me demande si l’idée que le docteur Gordon se fait de la capacité physique d’exercer les fonctions de patron de bateau- pilote n’aurait pas pour effet d’exclure toute personne qui a déjà été victime d’une crise cardiaque. Ce serait là une très large catégorie d’exclusion, fondée sur une très mince marge de risque. Même s’il existe effectivement un risque (ce que conteste le docteur Gregor), la décision rendue dans l’affaire Bhinder permettrait à M. Anderson, un employé handicapé, de décider lui- même s’il est prêt à l’accepter. Si M. Anderson ou le grand public courrait un important risque de blessures graves, la norme médicale stricte appliquée pourrait se justifier.

Toutefois, dans le cas qui nous intéresse, non seulement semble- t- il n’y avoir qu’un risque assez minime que M. Anderson tombe victime d’une seconde crise cardiaque, mais il semble aussi qu’il y ait un risque encore plus mince que cette crise se produise au travail dans des circonstances qui mettraient M. Anderson ou son matelot en danger. (Comme le travail de M. Anderson n’a rien à voir avec le grand public, je ne traiterai pas des risques sur ce plan.) En fait, il serait beaucoup plus probable, compte tenu de l’incident du 4 juillet, par exemple, que l’incompétence ou le manque de formation de M. Anderson soit la cause d’une blessure quelconque, et on semble n’avoir pris ni prévoir prendre de mesures à cet égard.

La discrimination à l’égard des handicapés physiques a été incluse dans la Loi canadienne sur les droits de la personne comme motif de distinction illicite afin de permettre aux personnes handicapées d’entrer sur le marché du travail, dans la mesure du possible comme des employés parfaitement compétents. Il existe des fonctions que certaines personnes handicapées ne peuvent exécuter, bien que la loi interdise aux employeurs de décider d’une manière généralisée de ce qu’un employé handicapé peut ou ne peut pas accomplir, sans s’assurer non seulement que la fonction en question est nécessaire à l’emploi mais aussi que l’employé ou le postulant intéressé ne peut pas exécuter le travail ou la fonction en question.

Je suis d’avis, en l’occurrence, que l’examen médical qui exige que les patrons de bateau- pilote n’aient jamais subi de crise cardiaque a pour effet d’exclure des personnes qui, autrement seraient qualifiées. De plus, la raison motivant cette exigence, c’est- à- dire que le risque d’un autre infarctus mettrait le plaignant, d’autres personnes ou le bateau en danger, est si faible qu’elle n’est pas raisonnable dans les présentes circonstances. Pour reprendre les termes utilisés dans la décision Hall, l’exigence n’est pas liée de façon objective à l’exécution de l’emploi en question, en ce sens qu’elle serait raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre l’employé, ses collègues et le grand public en danger (traduction). Au contraire, il est très probable que, si on lui avait permis de le faire, M. Anderson aurait continué de travailler comme patron de bateau- pilote sans jamais tomber victime d’une autre crise cardiaque et sans causer les dommages redoutés.

Je trouve donc qu’il y a eu discrimination dans ce cas, et que l’employeur n’a pas réussi à établir qu’il existait une exigence professionnelle normale pour la justifier aux termes de l’article 14 de la Loi. Même si le fardeau de la preuve diminue pour l’employeur lorsque la sécurité entre en jeu, j’estime qu’il n’a pas su s’acquitter de cette responsabilité.

Indemnités

Pour ce qui est des indemnités, il est à noter que l’employeur, l’Administration de pilotage de l’Atlantique, a fait preuve de bonne foi tout au cours de l’incident et n’avait aucunement l’intention de faire de la discrimination à l’égard de M. Anderson. Par conséquent, il n’est pas question d’ordonner l’indemnisation de ce dernier aux termes de l’alinéa 41( 3) a) qui a trait aux actes discriminatoires commis délibérément ou avec négligence.

L’alinéa 41( 2) c) permet toutefois au tribunal d’ordonner qu’on indemnise la victime des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte discriminatoire. Dans l’affaire Foreman c. VIA Rail (1980) 1 C. H. R. R. D/ 223, le tribunal d’appel a déclaré au paragraphe 2043, que bien que les dispositions de cet alinéa soient facultatives, nous sommes d’avis que l’indemnisation doit être considérée comme normale dans chaque cas où la victime a subi de telles pertes (traduction). Toutefois, dans le cas qui nous intéresse, le plaignant n’a subi aucune perte financière par suite de l’acte discriminatoire en question, et il n’a présenté aucune réclamation en vertu de cet alinéa.

M. Anderson a demandé que le tribunal lui accorde 5 000 $ en vertu de l’alinéa 41( 3) b) de la Loi, qui stipule que:

... le tribunal ayant conclu b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire, peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars.

Toujours dans l’affaire Foreman, le tribunal d’appel a étudié la question des dommages- intérêts pour ce qui est du préjudice moral. Au paragraphe 2050, on peut lire:

Nous sommes également d’avis que l’indemnité à laquelle il est fait allusion au paragraphe 41( 3) devrait, comme celle du paragraphe 42( 2), être accordée automatiquement lorsque les circonstances invoquées existent vraiment, à moins qu’il n’y ait de bonnes raisons pour la refuser... la note en marge indique qu’il s’agit d’une indemnité spéciale. Cela ne veut tout de même pas dire qu’il s’agit d’un remède singulier qui ne doit être accordé que dans des circonstances exceptionnelles".

(Traduction)

En ce qui regarde le montant de l’indemnité, le tribunal d’appel a déclaré ce qui suit, au paragraphe 2057:

On pourrait croire que l’indemnité mentionnée au paragraphe 41( 3) doit être traitée différemment de l’indemnité accordée uniquement pour des pertes pécuniaires. Toutefois, nous sommes d’avis, du moins en ce qui concerne la demande d’indemnisation pour préjudice moral en vertu de l’alinéa b), qu’il nous faudra trouver un équivalent monétaire convenable (en tenant compte de la limite de 5 000 $) pour compenser les épreuves subies par les plaignants, sans que ce ne soit qu’une somme nominale. (...) Les difficultés de cette tâche (soit compenser une perte non pécuniaire par un équivalent monétaire) ne justifient pas le recours à des gestes purement symboliques.

(Traduction)

Et au paragraphe 2060: Le montant de l’indemnité qu’il convient d’accorder à chaque plaignant dépend des preuves présentées quant à sa situation et des conclusions qui peuvent raisonnablement en être tirées.

(Traduction)

Dans l’affaire Rawn Phelan c. le Solliciteur général du Canada (1981) 2 C. H. R. R. D/ 433, le plaignant s’est vu accorder 2 500 $ en dommages. Invoquant les principes que nous venons de tirer de la décision Foreman, le tribunal chargé d’entendre cette cause a jugé d’après les preuves présentées que le plaignant avait souffert un préjudice moral. En effet, il s’était vu obliger de demander des prestations d’assurance- chômage après avoir occupé un emploi pendant 8 ou 9 ans. Il avait aussi été obligé de se séparer de sa femme et de sa jeune famille pour atténuer ses pertes. D’après les témoignages, il était furieux et humilié par cette situation.

Dans l’affaire Peter Mitchell c. Nobilium Products Ltd. (Commission d’enquête de l’Ontario) (1982) 3 C. H. R. R. D/ 641, le plaignant a été renvoyé à cause de son incompétence et de sa race. Le tribunal, jugeant qu’il y avait eu discrimination, a accordé à M. Mitchell 3 012 $ en dommages pour perte de salaire, sans lui accorder d’indemnité en vertu du paragraphe 41( 3) parce que aucun élément de preuve n’a été présenté concernant le préjudice moral souffert par le plaignant. De ce fait, rien ne justifie l’action d’une indemnité en vertu de ce paragraphe.

(Traduction) (paragraphe 5785)

Par contre, dans l’affaire Michael Ward c. les Messageries du CN (décision du tribunal, février 1982), il a été prouvé que l’acte discriminatoire avait été une source de frustration et de colère pour le plaignant qui en avait souffert un préjudice moral. C’était la première fois qu’il se faisait traiter de handicapé, et l’humiliation qu’il en a subie a motivé le tribunal à lui accorder 2 000 $ en vertu du paragraphe 41( 3).

Dans l’affaire Bhinder c. les Chemins de fer nationaux du Canada, le tribunal n’a pas étudié en profondeur la question des dommages. Le plaignant s’est vu accorder une indemnité pour perte de salaire, mais le tribunal a refusé de lui en accorder une en vertu du paragraphe 41( 3) en disant ... compte tenu de toutes les circonstances, nous ne croyons pas qu’il faille allouer des dommages- intérêts généraux. Il va sans dire que c’est au tribunal de décider s’il faut accorder une indemnité en vertu du paragraphe 41( 3). Cependant, après avoir examiné certaines des causes, il semble nécessaire de fournir des preuves pour justifier une telle indemnité. Dans le cas qui nous intéresse, les preuves sont insuffisantes. Dans l’interrogatoire que lui a fait subir M. Tarte, à la page 48 de la transcription, M. Anderson explique ce qu’il a ressenti lorsqu’il a été renvoyé à cause de son handicap:

(M. Anderson) R. Bien, si quelqu’un me dit que je ne peux pas travailler parce que j’ai eu une crise cardiaque il y a sept ans, je veux qu’il m’explique pourquoi. Et s’il en est ainsi, j’aurais simplement dû mourir au moment de ma crise cardiaque. A quoi me servait- il de m’en remettre? Je croyais avoir retrouvé la santé et pouvoir ainsi retourner au travail.

(M. Tarte) Q. Comment vous êtes- vous senti lorsque l’Administration de pilotage vous a informé que vous ne satisfaisiez pas aux normes médicales et ne pouviez donc pas continuer à travailler pour elle?

R. Je ne sais pas, je suppose que j’étais tout contrefait.

Q. Pardon? R. Je suppose que ça m’a tout contrefait. Q. Qu’est- ce que vous voulez dire par contrefait? R. J’étais en beau joual vert! Je ne comprenais pas comment on pouvait me dire ce que ce médecin a mis dans son rapport. Il aurait pu aussi bien dire que je pouvais mourir d’une minute à l’autre. Je ne vois pas du tout pourquoi il a dit ça! (Traduction)

Ce dialogue constitue la seule preuve du préjudice moral qu’a subi M. Anderson. L’avocat du plaignant et de la Commission a demandé que le tribunal interprète la décision Foreman comme voulant dire qu’il faudrait attribuer le montant total de 5 000 $, dans tous les cas, à moins qu’il n’y ait une raison de ne pas le faire. M. Tarte soutenait que le montant maximal de 5 000 $ était si petit qu’il devrait être accordé dans tous les cas où a été subi le genre de dommages mentionné à l’alinéa 41( 3) b).

Si je suis d’accord avec M. Tarte lorsqu’il affirme qu’il est difficile de déterminer sur quelle base ordonner ces indemnités et pourquoi un plaignant n’obtiendrait aucune indemnité tandis qu’un autre recevrait 2 500 $, je ne trouve pas qu’il serait justifiable d’accorder systématiquement la somme de 5 000 $ en dommages- intérêts et je doute que le tribunal d’appel dans l’affaire Foreman ait eu cette idée en tête lorsqu’il a déclaré que l’indemnité ne devrait pas être purement symbolique. De toute évidence, les dommages subis n’ont pas la même importance dans tous les cas, et il revient au tribunal de se prononcer la- dessus. Les tribunaux ne disposent que de très vagues lignes directrices sur la façon de déterminer la somme à accorder en dommages- intérêts, et c’est pourquoi chaque décision représente le point de vue subjectif du tribunal qui la rend. La Loi stipule que le tribunal peut ordonner l’indemnisation de la victime, et non pas qu’elle doit le faire. Elle laisse également au tribunal le soin de décider suite à l’audition de tous les témoignages, s’il y a lieu d’accorder une indemnité quelconque.

Lorsque M. Ritch a déclaré que le témoignage de M. Anderson était trop faible et trop vague pour justifier une indemnisation, M. Tarte a rétorqué de façon véhémente que le montant des dommages- intérêts ne devrait pas être fonction de l’aptitude du plaignant à exprimer ses sentiments. A la page 449 de la transcription, il déclare: ça ne serait pas juste parce qu’alors les meilleurs orateurs obtiendraient le plus d’argent et ce n’est pas le cas. Il faut être attentif pour percevoir ce que révèlent les mots; il faut voir la réaction de la personne et quelles mesures ont été prises. (Traduction)

Si je partage l’opinion de M. Tarte, je n’estime pas pour autant qu’il faille accorder l’indemnité maximale dans le présent cas. Rien n’indique que la colère de M. Anderson et le préjudice moral qu’il a souffert aient été d’une longue durée, ni que l’action de l’employeur lui ait fait subir un inconvénient excessif relativement à son emploi ou à sa famille. De plus, le témoignage de l’employeur concernant l’incident du 4 juillet me porte à croire que M. Anderson aurait perdu son emploi de toute manière. Il est possible que le rapport médical ait simplement fourni une excuse convenable.

Dans ces circonstances et compte tenu des témoignages présentés, je crois que la somme de 500 $ est suffisante, aux termes de l’alinéa 41( 3) b).

Décision et ordonnance

  1. L’Administration de pilotage de l’Atlantique a fait preuve de discrimination à l’égard de James Anderson en le renvoyant à cause de son handicap physique. Cette discrimination n’était pas justifiée par une exigence professionnelle normale aux termes de l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
  2. L’Administration de pilotage de l’Atlantique doit verser à James Anderson la somme de 500 $ pour préjudice moral subi, aux termes de l’alinéa 41( 3) b) de la Loi.

Fait à Halifax (Nouvelle- Ecosse) le 23 juin 1982.

Susan Mackasey Ashley, Tribunal

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