Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal                         Tribunal canadien des droits de la personne

 

ENTRE :



CAROL J. LATTEY

la plaignante



- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission



- et -

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

l'intimée



ET ENTRE :



CAROL J. LATTEY

la plaignante



- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission



- et -

MURRAY DOUGLAS

l'intimé





DÉCISION CONCERNANT LA JONCTION DES PLAINTES



Décision no 1

2002/02/25



MEMBRE INSTRUCTEUR : Anne Mactavish, présidente



TRADUCTION




[1] Carol Lattey a déposé une plainte en matière de droits de la personne contre son employeur, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP). Mme Lattey allègue que le CP a exercé de la discrimination à son endroit en ne lui offrant pas un milieu de travail exempt de harcèlement contrairement aux articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Mme Lattey a déposé une deuxième plainte contre un collègue du nom de Murray Douglas, alléguant avoir fait l'objet de harcèlement en cours d'emploi, en contravention de l'article 14 de la Loi. Le Tribunal doit déterminer s'il y a lieu de joindre les deux plaintes de Mme Lattey.

[2] Les plaintes de Mme Lattey ont été déposées devant la Commission canadienne des droits de la personne le 4 décembre 1997. Suite à l'enquête de la Commission, les plaintes ont été renvoyées au Tribunal canadien des droits de la personne le 17 décembre 2001. Dans sa lettre de renvoi, la Commission a demandé que les deux plaintes soient jointes, étant donné qu'à son avis, elles soulèvent substantiellement les mêmes questions de fait et de droit.

[3] Le CP et M. Douglas s'opposent tous deux à ce que les plaintes soient jointes.


I. SOUMISSIONS DES INTIMÉS

[4] Selon le CP, la plainte contre M. Douglas porte principalement sur des communications entre des membres de l'exécutif de la Section locale 422 des Travailleurs unis des transports qui se sont déroulées lors de réunions syndicales. Le CP affirme que les actes reprochés se sont produits en dehors du milieu de travail (1). Non seulement le CP ne sait-il pas ce qui s'est passé aux réunions, mais il ne pouvait, en fait, nuire à la conduite des réunions syndicales (2). Le CP est d'avis qu'une instruction commune aurait pour effet de prolonger la durée de l'audience; de plus, il estime que les éléments de preuve concernant M. Douglas qui n'ont pas rapport à son emploi ne sont pas pertinents et ne pourraient que porter préjudice à l'employeur. En outre, l'admission de tels éléments de preuve pourrait mener à des conclusions erronées, fondées sur des événements qui n'ont pas rapport à ce qui s'est passé dans le cours de l'emploi de Mme Lattey chez CP.

[5] Le CP conteste également la compétence du Tribunal d'examiner des questions ayant trait à la conduite d'affaires syndicales qui se sont déroulées, dit-il, en dehors du milieu de travail. Il demande au Tribunal de restreindre la portée de la plainte contre elle aux allégations qui ont trait aux événements qui se sont produits dans le cours de l'emploi de Mme Lattey en tant qu'agente de train, et qui concernent l'obligation du CP d'offrir un milieu de travail exempt de harcèlement.

[6] La procureure de M. Douglas a fait valoir que plusieurs des plaintes de Mme Lattey à l'égard de son client [Traduction] « ... ont trait à des événements qui se sont produits en l'absence de l'employeur. » Il ne convient donc pas, selon elle, d'ordonner une instruction commune.


II. SOUMISSIONS DE LA COMMISSION ET DE MME LATTEY

[7] La Commission et MmeLattey sont toutes deux d'avis qu'on ne devrait pas réunir ces plaintes. La Commission soutient que le raisonnement du CP en faveur d'instructions distinctes devrait, en fait, être présenté comme moyen de défense de l'employeur contre la plainte sur le fond, et n'a pas rapport à la question de la jonction des plaintes. Il appartient en fin de compte au Tribunal de déterminer, après avoir entendu l'ensemble de la preuve pertinente, si le CP doit être tenu responsable de la conduite affichée par un employé dans le cadre d'affaires syndicales. Le CP a la possibilité de soulever à l'audience toute objection qu'il peut avoir relativement à l'admissibilité de la preuve.

[8] La Commission soutient que la plainte de Mme Lattey porte notamment sur des actes que M. Douglas aurait posés en dehors du contexte syndical. Elle fait observer que l'enquête interne du CP a porté sur les actes de M. Douglas tant au cours qu'en dehors de réunions syndicales.

[9] De l'avis de la Commission, les éléments de preuve relatifs aux deux plaintes sont interreliés, tant et si bien que la preuve qu'il faudrait présenter à chacune des audiences serait en grande partie la même.

[10] Mme Lattey fait valoir que sa plainte concernant la conduite de M. Douglas ne se limite pas aux actes qui sont survenus dans le contexte syndical et englobe les actes commis en milieu de travail. En outre, elle soutient que la politique du CP en matière de discrimination et de harcèlement s'applique autant à la conduite en milieu de travail qu'à celle qui s'inscrit dans un cadre social ou qui a cours lors d'activités sociales, y compris, selon elle, les réunions syndicales. Mme Lattey affirme que les éléments de preuve concernant les plaintes contre le CP et M. Douglas sont dans une large mesure interreliés, et qu'on imposerait une contrainte excessive aux témoins, dont certains viennent de l'extérieur de la région de Vancouver, si on exigeait d'eux qu'ils témoignent lors de deux audiences distinctes.


III. ANALYSE

[11] Pour déterminer s'il y a lieu de joindre les plaintes de Mme Lattey, je dois d'abord me reporter aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne proprement dite. Le paragraphe 40(4) de la Loi traite précisément du pouvoir de la Commission de joindre des plaintes présentées par différents plaignants contre un même intimé, dans les cas où la Commission est convaincue que les plaintes soulèvent substantiellement les mêmes questions de fait et de droit. Dans de tels cas, la Commission peut également demander au président du Tribunal canadien des droits de la personne d'ordonner une instruction commune (3). Il n'existe pas de disposition comparable en ce qui concerne le dépôt par un même plaignant de plusieurs plaintes contre différents intimés.

[12] Bien qu'elle fournisse des précisions quant au pouvoir de la Commission de joindre des plaintes, la Loi est muette en ce qui concerne le pouvoir du Tribunal canadien des droits de la personne de joindre ou de séparer des plaintes dont il est saisi. À mon avis, la décision de tenir une ou plusieurs audiences relève de la procédure (4). En l'absence de directives précises dans la Loi, il est loisible au Tribunal de déterminer la procédure à suivre (5).

[13] Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, le Tribunal devrait-il ordonner l'instruction commune des plaintes de Mme Lattey contre le CP et M. Douglas? Pour répondre à cette question, je dois tenir compte d'un certain nombre d'éléments, y compris ceux mentionnés ci-après.

1. L'intérêt public qu'il y a à éviter la multiplicité des procédures, y compris la réduction des coûts, des délais, des inconvénients pour les témoins, du besoin de répéter la preuve et du risque de parvenir à des résultats contradictoires;

2. Le préjudice que pourrait causer aux intimés une instruction commune, notamment en raison du prolongement de la durée de l'audience pour chaque intimé, étant donné la nécessité d'examiner des questions propres à l'autre intimé, ainsi que du risque de confusion que pourrait engendrer la présentation d'éléments de preuve n'ayant peut-être pas rapport aux allégations mettant en cause particulièrement l'un ou l'autre intimé; et

3. L'existence de questions de fait ou de droit communes.

[14] Après avoir soigneusement examiné tous ces éléments, je suis d'avis qu'il convient de joindre les plaintes. D'après la documentation dont j'ai été saisie, il semble que les plaintes de Mme Lattey portent sur des actes que M. Douglas aurait commis lors de réunions syndicales, ainsi que sur des actes qui auraient eu lieu dans le cadre de ce qui constituerait vraisemblablement aux yeux de toutes les parties le milieu de travail. Que le CP soit ou non considéré au bout du compte comme responsable d'actes de harcèlement qu'aurait commis M. Douglas lors de réunions syndicales, il me semble que les allégations concernant la présumée conduite de M. Douglas dans l'un et l'autre cadre ne saurait être examinée séparément. Un commentaire formulé à l'atelier peut revêtir une importance particulière en raison de ce qui peut s'être produit auparavant, dans une réunion syndicale, que le CP soit ou non responsable des actes posés antérieurement dans le contexte syndical.

[15] Étant donné que les éléments de preuve relatifs à chacune des plaintes de Mme Lattey sont interreliés, je ne suis pas persuadée qu'une instruction commune nécessiterait beaucoup plus de temps que des instructions distinctes. Par ailleurs, tout préjudice qui pourrait en résulter pour les intimés est, à mon avis, compensé par le préjudice que causerait à la plaignante et au public le fait d'exiger que la plaignante assiste à deux audiences distinctes, témoigne deux fois au sujet des mêmes allégations et doive présumément demander à plusieurs des mêmes témoins de répéter leur témoignage. Enfin, le fait d'ordonner deux instructions exposerait toutes les parties au risque d'en arriver à des conclusions contradictoires à l'égard des mêmes faits de base.

[16] De même, je ne souscris pas à la prétention du CP voulant que l'audition par le Tribunal de la preuve concernant M. Douglas qui n'est pas liée à son emploi lui causerait un préjudice et que l'admission d'une telle preuve puisse mener à des conclusions erronées. Je ferai remarquer que c'est le rôle du Tribunal de déterminer l'admissibilité et la pertinence de la preuve par rapport à chaque plainte. Dans Hodder, la partie intimée a invoqué un argument similaire. Je fais miennes les observations de la commission d'enquête à cet égard :

[Traduction]

L'une des attributions normales de tout organisme d'arbitrage, dans les cas où il y a plus d'un plaignant/demandeur et/ou plus d'un intimé/défendeur, consiste à examiner la preuve produite, à déterminer son admissibilité à l'égard de chaque partie et à évaluer cette preuve strictement par rapport à la partie dans l'intérêt de laquelle elle a été admise. Je n'ai été saisi d'aucun élément de preuve indiquant que les positions de chacun des intimés ne peuvent être différenciées de façon adéquate (6).

[17] Tout en concluant à l'opportunité d'ordonner une instruction commune des deux plaintes de Mme Lattey, je ne tire aucune conclusion quant à la compétence du Tribunal de se pencher sur des actes survenus lors de réunions syndicales, ou au sujet de la responsabilité éventuelle d'un employeur à l'égard de tels actes. À mon avis, cette question doit être examinée à l'audience, dans le cadre de l'examen détaillé de l'ensemble des faits entourant les plaintes de Mme Lattey.





« originale signée par »

_________________________________

Anne L. Mactavish



OTTAWA ( Ontario )

Le 25 février 2002





TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL NOS : T685/7301 et T686/7401

INTITULÉ DE LA CAUSE : Carol J. Lattey c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique et Carol J. Lattey c. Murray Douglas

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :le 25 février 2002

ONT COMPARU :

Walter R. Plomish au nom de la plaignante (Carol J. Lattey)

Leslie Reaume au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Marc Shannon au nom de l'intimée (Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique)

Miriam Gropper, c.r. au nom de l'intimé (Murray Douglas)

 

 

1. 1 À cet égard, CP Rail se fonde sur les décisions rendues par le Tribunal et la Cour fédérale dans C luff c. Ministère de l'Agriculture et Michael Sage, (1992), 20 C.H.R.R. D/61, confirmée [1994] 2 C.F. 176, (sub nomine Cluff c. Canada (ministre de l'Agriculture)).

2. 2 Article 94 du Code canadien du travail. Le CP a également cité la décision rendue par le Conseil canadien des relations du travail dans Syndicat national des travailleurs et travailleuses en communication c. ATV New Brunswick Limited (CKCW-TV), [1979] 3 Can LRBR 342.

3. 3 Cependant, le président du Tribunal n'acquiesce pas toujours à une telle demande. Voir Coates c. Société canadienne des postes et Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, TCDP, le 23 juin 1999.

4. 4 À cet égard, je souscris aux conclusions énoncées par la commission d'enquête de l'Ontario dans Hyman v. Southam Murray Printing Division, (1981), 3 C.H.R.R.D/132, et par la commission d'enquête de la Nouvelle-Écosse dans Hodder v. Nova Scotia (Department of Finance), [1996], décision no 7, C.E.D.P.N.-É.

5. 5 Voir Mohawk Council of Kahnawake c. Jacobs, [1996] A.C.F. no 757 (C.F., 1re inst.), et Re Cedarvale Tree Services Ltd. and Labourer's International Union of North America , Local 183, [1971] 3 O.R. 832 ( C.A. Ont.).

6. 6 Précitée, par. 22.

 

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