Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

YUL F. HILL

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

AIR CANADA

l'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

2003 TCDP 9

2003/02/18

MEMBRE INSTRUCTEUR : Paul Groarke

(TRADUCTION)

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

A. Les plaintes

B. Les questions préliminaires

II. FAITS

A. La crédibilité

i) Le plaignant

ii) M. Ryan

B. Le cadre

i) Le plaignant

ii) La ligne des Dash-80

iii) Le secteur H

iv) Le banc d'essai

C. L'allégation de discrimination

i) Les tâches assignées

ii) La candidature au poste de planificateur III

iii) Les événements du 18 octobre 1994

D. L'allégation de harcèlement

E. Les griefs du plaignant et les enquêtes internes

i) Le premier grief

ii) Le deuxième grief

iii) Le troisième grief

III. ANALYSE

A. Preuve prima facie

B. Discrimination

i) La preuve générale

ii) L'emploi du terme Nig Nog

iii) Les tâches temporaires

C. Le poste de planificateur III

D. Le harcèlement

E. La nature fondamentale des droits de la personne

IV. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

A. Les plaintes

[1] Je suis saisi de deux plaintes. Il est allégué dans la première que les Lignes aériennes Canadien International Ltée ont exercé envers Yul F. Hill une discrimination fondée sur la race, en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en ne lui offrant pas une formation technique en cours d'emploi, en sapant son travail, en lui refusant une promotion et en le soumettant à un contrôle plus serré que celui exercé sur d'autres employés. Cette discrimination aurait été exercée entre juin 1992 et la date de l'audience, bien qu'elle ait commencé avant cette date. Dans la deuxième plainte, il est allégué que Canadien n'a pas assuré à M. Hill un milieu exempt de harcèlement, comme l'exige l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ce harcèlement, qui aurait pris la forme de graffitis, d'insultes et de mauvaises plaisanteries, se serait produit entre janvier 1991 et octobre 1994.

[2] Ces plaintes sont de nature personnelle plutôt que systémique. Il existe apparemment une troisième plainte qui porte sur une plus vaste problématique touchant le milieu de travail et qui n'a pas été renvoyée au Tribunal. Le plaignant et la Commission ont néanmoins invoqué à l'appui de leur argumentation la présumée tendance générale à la discrimination au sein du milieu de travail. Cette approche pose problème, étant donné qu'il n'existe pas de lien clair entre les expériences de M. Hill et la situation générale à l'atelier moteur.

[3] Air Canada, en tant que société ayant remplacé les Lignes aériennes Canadien International Ltée, a accepté toute responsabilité que Canadien a pu encourir en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'audience sur les plaintes, qui a eu lieu à Vancouver, a duré 25 jours. Ont comparu 18 témoins. À la fin de l'audience, j'ai reçu des observations orales et écrites qui ont été d'une grande utilité. Me Ash et Me Fakirani, qui représentaient le plaignant et la Commission, respectivement, ont fait un bel effort pour établir le bien-fondé des plaintes, mais les faits ne plaident tout simplement pas en leur faveur.

[4] Le plaignant et la Commission canadienne des droits de la personne ont prétendu que le fait d'être de race noire explique le traitement défavorable subi. M. Hill a fait l'objet, semble-t-il, de discrimination de la part de son contremaître et de harcèlement de la part de son contremaître et d'autres mécaniciens. La situation a atteint son paroxysme le 18 octobre 1994 dans le bureau du superviseur, où elle a dégénéré en un échange virulent et chargé d'émotion entre M. Hill et son contremaître. Pour son propre bien-être, M. Hill a alors cru bon de quitter le lieu de travail.

[5] Air Canada a prétendu que M. Hill était un employé problème qui évitait le travail et faisait consciemment montre d'un manque de respect pour l'autorité.

[6] L'intimée a dépeint le plaignant comme quelqu'un qui était prompt à attribuer ses difficultés à sa race. Dans ses observations écrites, elle fait l'affirmation suivante :

[TRADUCTION]

Le plaignant a peut-être été traité différemment de certains autres mécaniciens affectés au Dash-80 en ce qui touche l'attribution des tâches, mais cela n'avait rien à voir avec sa race et avait tout à voir avec ses compétences et son attitude en tant que mécanicien.

Elle fait aussi l'affirmation ci-après :

[TRADUCTION]

Le plaignant a peut-être été surveillé plus étroitement que d'autres employés; cependant, ce n'était pas en raison de sa race, de sa couleur ou de son origine nationale ou ethnique, mais plutôt parce qu'il avait tendance à s'absenter de son poste de travail plus fréquemment que d'autres employés…

L'intimée soutient que le plaignant blâmait les autres pour ses problèmes. Plutôt que de modifier ses habitudes de travail ou de suivre les voies habituelles pour obtenir de l'avancement, il est tombé dans le piège de tenir pour acquis que ceux qui l'entouraient le traitaient de façon injuste.

B. Les questions préliminaires

[7] Durant l'audience, j'ai fait une visite de l'atelier moteur. Cette visite a fait l'objet d'une décision distincte. Dans le présent contexte, il suffit de dire que la visite en question a beaucoup aidé à comprendre le reste de la preuve. Même si l'atelier a fait l'objet de certains réaménagements, le plan général des lieux était le même qu'à l'époque où M. Hill travaillait chez Canadien. Les bureaux des superviseurs et des contremaîtres étaient toujours là et le travail était organisé encore de la même manière. La visite des lieux m'a permis, d'une part, de mieux comprendre les pratiques suivies pour l'assemblage des moteurs, ainsi que la nature du travail effectué dans différents secteurs et, d'autre part, de visualiser le milieu de travail. Elle a renforcé l'idée que l'atelier était géré de façon compétente et a peut-être appuyé de façon implicite la preuve présentée par divers témoins; toutefois, elle n'a pas influencé de façon importante mes conclusions de fait.

[8] Avant d'exposer les faits, j'aimerais toutefois aborder une autre question de droit. L'une des principales difficultés en l'espèce était que la plupart des témoignages portaient sur des événements survenus au début des années 90. On m'a fourni diverses estimations quant au nombre de personnes qui travaillaient à l'atelier moteur; cependant, je n'ai entendu, en réalité, qu'un nombre relativement restreint de témoins, dont le témoignage était souvent vague et fondé sur des impressions. Quoi qu'il en soit, il serait difficile d'évaluer aussi longtemps après le fait le contexte émotionnel qui régnait dans un atelier en pleine activité. Cela est d'autant plus difficile en l'espèce que la compagnie était au bord de la faillite, que le milieu de travail était en proie à l'incertitude et que la situation n'avait rien de normal.

[9] Je dispose toutefois d'un certain nombre de rapports internes au sujet des événements. J'ai été impressionné par le ton de ces rapports, qui dénotent une grande impartialité et beaucoup de tact face à une situation difficile. Les déclarations aux auteurs de ces rapports n'ont pas été faites sous serment et n'ont pas fait l'objet d'un examen approfondi; elles ont généralement été formulées à bâtons rompus. Elles présentent néanmoins une certaine spontanéité qui aide à se faire une idée de ce qui se passait à l'atelier. Même si j'ai reçu d'autres éléments de preuve qui ont clarifié certaines questions, je crois que ces rapports devraient être généralement admis.

[10] De façon générale, la preuve confirme les rapports initiaux à propos de ce qui s'est produit. Je crois qu'il est logique de porter une attention particulière aux déclarations qui ont été faites avant que les participants aient l'occasion d'adapter leurs motifs aux besoins de la cause. Cette affirmation doit toutefois être nuancée. D'une part, il faut se garder d'interpréter les rapports au pied de la lettre, étant donné que les déclarations faites n'ont pas été consignées textuellement par les enquêteurs. D'autre part, il est évident que les personnes interrogées par Laurie Ferguson et Hunter Rogers se sont exprimés plus librement qu'ils ne l'ont fait à l'audience.

II. FAITS

A. La crédibilité

i) Le plaignant

[11] J'admets que le plaignant a présenté les faits de la façon dont il les a perçus. Cela ne signifie pas que j'accepte la description qu'il en a faite. M. Hill a été un témoin partial; sa perception des faits était souvent influencée par ses sentiments. Il a eu tendance à tout ramener à un dénominateur commun : le traitement injuste dont il a été l'objet. Les témoignages d'autres témoins, notamment celui de M. Fletcher, appuient cette conclusion.

[12] À mon avis, les divergences entre les parties découlent surtout de l'interprétation des faits. J'ai néanmoins constaté que le comportement de M. Hill dans la salle d'audience était foncièrement agressif. Je comprends son sentiment d'injustice, mais il s'est nettement trompé ou mépris sur un certain nombre d'éléments et n'a pas voulu faire la part des choses. Il est donc évident que j'ai rejeté une partie de son témoignage.

[13] J'accepte le témoignage du Dr Pinkhasik, qui a permis d'établir que M. Hill souffrait de dépression et d'anxiété. Ce fait n'établit pas le fondement des plaintes pour autant. On a fait un certain nombre de références obscures à d'autres problèmes que le plaignant a éprouvés dans sa vie et qui pourraient expliquer les troubles psychologiques dont il a souffert.

[14] Par ailleurs, un certain nombre de témoins ont fourni au cours de leur témoignage des éléments de preuve appuyant l'allégation de l'employeur voulant que M. Hill ait déposé les plaintes parce qu'il espérait obtenir un règlement comptant. Je crois que les observations faites par M. Hill à d'autres mécaniciens à ce propos étaient d'abord et avant tout une forme de bravade psychologique; toutefois, je crois que la situation est plus compliquée qu'elle ne le paraît. Ce serait une erreur que de douter de la sincérité des sentiments de M. Hill voulant qu'il ait été traité de façon injuste.

ii) M. Ryan

[15] Je sens par ailleurs le besoin de commenter le témoignage de M. Ryan, le contremaître de M. Hill, dont la crédibilité a été mise en doute par certains témoins. On a parlé, par exemple, des deux visages de Ryan. La présente affaire est jusqu'à un certain point l'histoire des rapports entre M. Hill et M. Ryan. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que M. Ryan avait vraiment une attitude hostile envers M. Hill. Selon M. Kirby, M. Ryan provoquait M. Hill d'une façon calculée et sournoise. Je ne suis pas sûr de cela, mais le langage raciste qu'il semble avoir employé lorsqu'il s'est entretenu avec Laurie Ferguson et Hunter Rogers, comparativement à celui qu'il a tenu lors de son témoignage à l'audience, me paraît un reflet plus fidèle du langage qu'il utilisait à l'atelier.

[16] Je suis néanmoins d'avis que M. Ryan n'aimait pas M. Hill parce que celui-ci était un employé difficile et sujet à des colères subites. M. Hill avait de l'ambition, mais il n'était pas disposé à en faire plus que le mécanicien moyen. À ses yeux, la plupart de ses tâches étaient avilissantes. Je ne crois pas que c'est la question raciale qui était au cœur des divergences entre les deux hommes. Le vrai problème est que M. Hill n'acceptait pas l'autorité de son contremaître. À mon avis, M. Ryan en voulait également à M. Hill parce qu'il avait porté plainte contre lui. M. Ryan se gardait bien d'offenser les personnes en situation d'autorité et a sans doute vu là une tentative pour saper son autorité.

[17] M. Ryan et M. Hill semblent s'être livrés un combat de titans. Malgré ses défauts, M. Ryan avait une certaine fierté professionnelle et faisait montre de dévouement au travail. Pour sa part, M. Hill était déterminé à affirmer son indépendance. Je n'ai point le désir de m'interposer dans l'affrontement entre les deux hommes mais, chose certaine, ils se sont certes faits un point d'honneur de se provoquer mutuellement. Il ne fait aucun doute que M. Hill en tout cas tentait d' atteindre M. Ryan.

[18] M. Hill avait le don de contrarier ses supérieurs immédiats. Il semble avoir perfectionné son art lorsqu'il a travaillé à l'atelier moteur. Il était beaucoup plus prudent avec les personnes occupant un rang plus élevé dans la hiérarchie. Il s'est produit sur la ligne au moins un incident où M. Hill et M. Ryan doivent s'être échangés des regards plutôt méchants; M. Hill avait alors réussi à mettre M. Ryan dans tous ses états. Cet incident est survenu lorsque M. Hill a reçu un nouveau bulletin de service et a été prié de refaire du travail qu'il avait déjà fait.

[19] J'accorde une grande crédibilité au témoignage de Margery Knorr, l'agente d'équité en matière d'emploi, et à celui de M. Shelford, le directeur des installations de motopropulsion. L'un et l'autre ont répondu aux questions des deux parties avec circonspection. Bien informés, ils ont fourni des éléments d'information utiles au sujet de la politique de la compagnie. J'ai trouvé leur témoignage foncièrement honnête. J'ai été impressionné également par le témoignage de Scott Hunter, qui a été impartial et précis. M. Hunter faisait partie du comité de sélection créé pour le poste de planificateur III et j'accepte sans réserve son témoignage.

[20] J'ai trouvé crédibles les témoignages de la plupart des autres témoins. M. Kirby serait d'accord à mon avis pour dire qu'il avait une orientation idéologique qui a transpiré dans son témoignage. Il a néanmoins été naturel et bien articulé. Les autres mécaniciens qui ont témoigné ont été sincères et se sont montrés coopératifs. Le témoignage de M. Ghuman, un membre d'une minorité, a été candide et factuel. Le témoignage de M. Cavasin a été utile tout en étant très révélateur des attitudes qui régnaient à l'atelier. Une bonne partie des preuves quant aux tensions raciales chez Canadien n'avaient guère rapport, toutefois, avec la situation dans laquelle se trouvait M. Hill. Le témoignage de M. Hibbert, qui estimait être l'objet de discrimination, est un bon exemple.

B. Le cadre

[21] Le contexte dans lequel s'inscrivent les présentes plaintes est simple. Canadien était l'une des principales compagnies aériennes commerciales au Canada. Étant un important transporteur, Canadien avait une division de la maintenance et des services techniques qui exploitait un atelier d'usinage à Vancouver. C'est là que la plupart des événements pertinents sont survenus. La preuve a permis d'établir que la compagnie aérienne était dans une situation financière désespérée au cours de la période visée par les plaintes. Personne ne savait si la compagnie allait survivre et les employés étaient constamment en proie à des pressions émotives et financières.

i) Le plaignant

[22] M. Hill a commencé sa carrière comme technicien de moteurs à réaction dans la marine américaine; il a passé six ans au sein des forces actives et de réserve. Il est entré au service de Canadien à titre d'apprenti mécanicien en 1986 et a travaillé environ huit ans pour la compagnie. Il est devenu par la suite mécanicien à part entière. À titre de mécanicien d'aéronef, il faisait partie de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, connue sous le nom d'AIMTA. Comme c'est souvent le cas, les allégations dont je suis saisi ont donné lieu au dépôt de griefs en vertu des conventions collectives pertinentes, ainsi qu'à une enquête interne sur les droits de la personne.

[23] Durant son apprentissage, le plaignant a travaillé dans la division de la maintenance et des services techniques. En tant que compagnon, il a travaillé sur la ligne des 737 dans le hangar. Il a été affecté à l'atelier moteur entre octobre 1989 et décembre 1990, après quoi il est retourné sur la ligne des 337. Durant son affectation à l'atelier moteur, M. Hill faisait partie d'une des équipes préposées à la ligne des Dash-80. En juin 1992, il a été muté à nouveau à l'atelier moteur, où il est demeuré jusqu'en mai 1994, date où il a été provisoirement affecté à l'atelier des roues et freins. En août, il a été réaffecté à la ligne des Dash-80, où il est demeuré jusqu'à son dernier jour de travail, le 18 octobre 1994. Il a néanmoins touché une rémunération jusqu'en janvier 1995.

[24] Le ministère des Transports avait délivré à Canadien une licence de mécanicien applicable à l'ensemble de la compagnie. Par conséquent, les mécaniciens à l'emploi de Canadien n'avaient pas besoin d'une licence personnelle, mais ils devaient obtenir le pouvoir de certification des aéronefs, connu sous le nom d'ACA, pour faire la maintenance d'un moteur particulier. M. Hill était agréé par la compagnie pour les moteurs CF6-50 et CF6-80. Les mécaniciens pouvaient également obtenir du ministère des Transports des licences personnelles, appelées licences M, pour différents types d'aéronefs et de moteurs. Les parties avaient des opinions nettement divergentes quant à savoir s'il était vraiment important que M. Hill soit titulaire d'une telle licence, compte tenu du fait que cela n'était pas nécessaire. Bien qu'il ne revête pas à mon avis une importance capitale, cet élément démontre certes que M. Hill avait de l'ambition et jugeait souhaitable d'acquérir des titres de compétence, contrairement à beaucoup d'autres mécaniciens de Canadien.

ii) La ligne des Dash-80

[25] La division de la maintenance et des services techniques de Canadien était dotée d'installations de motopropulsion. Le directeur de ces installations, Graeme Shelford, a expliqué dans son témoignage qu'un certain nombre d'ateliers, dont l'atelier moteur, relevaient de lui. Un cadre du nom de Bob Krause travaillait sous M. Shelford. C'est lui qui était responsable de la gestion au jour le jour des installations et notamment de l'atelier moteur. Il y avait également au sein de chaque atelier des superviseurs qui relevaient directement de M. Krause et, occasionnellement, de M. Shelford. Au cours de la période qui nous intéresse, les superviseurs à l'atelier moteur étaient Don Strohmaier, Jerry Jureidin et Al Hunger.

[26] L'atelier moteur comptait un certain nombre de zones de travail. Il y avait là notamment les lignes où l'on faisait la maintenance des différents types de moteurs. Il fallait de six à dix jours pour démonter un moteur et jusqu'à deux semaines pour le remonter. La réparation des moteurs, des modules et des pièces n'était pas faite sur les lignes. Une fois les moteurs remontés, on obtenait les approbations nécessaires puis on les vérifiait sur le banc d'essai , qui se trouvait dans un grand bâtiment situé sur le même terrain. Il y avait aussi le secteur équilibrage et le secteur H , mieux connu sous le nom d'atelier de réusinage des pales.

[27] Des équipes étaient affectées à chacune des zones de travail. Chaque équipe comptait au moins six mécaniciens. Jusqu'à l'automne de 1994, chaque équipe comprenait un contremaître et un inspecteur. Le contremaître de M. Hill était Kerry Ryan. Les contremaîtres jouaient surtout le rôle de chef d'équipe et étaient syndiqués; cependant, ce sont eux qui étaient chargés d'attribuer les tâches aux membres des équipes. Les inspecteurs approuvaient le travail des membres des équipes, ce qui impliquait notamment de signer les autorisations nécessaires. Les contremaîtres et les inspecteurs relevaient des superviseurs de l'atelier moteur. Ils n'avaient pas le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires à l'égard des mécaniciens.

[28] L'atelier moteur comptait trois lignes, soit celles des moteurs CF6-50, CF6-80 et JD-8. M. Hill faisait partie d'une des trois équipes de la ligne des CF6-80 ou Dash-80, qui travaillaient selon un régime d'alternance. M. Ryan agissait comme contremaître. Chaque équipe était affectée au poste de jour pendant deux semaines, puis au poste d'après-midi durant la troisième semaine. Il est peut-être utile d'ajouter que le Dash-80 était le moteur le plus nouveau et le plus perfectionné. Aux yeux de certains employés, il s'agissait donc du secteur le plus prestigieux où pouvait travailler un mécanicien. Au dire de M. Kirby, la réaffectation à la ligne des JD-8 d'un employé travaillant sur la ligne des Dash-80 était considérée comme le signe précurseur d'une punition.

[29] Lorsqu'un moteur arrivait à l'atelier, les planificateurs de l'atelier moteur préparaient un ensemble de bulletins et de commandes de service qu'ils remettaient aux contremaîtres, qui à leur tour les distribuaient aux équipes. Lorsque les moteurs étaient démontés, les mécaniciens examinaient chaque constituant ou pièce en vue d'y déceler des anomalies. Cette inspection pourrait entraîner la révision de certaines commandes. Le matin, les superviseurs se réunissaient avec les contremaîtres et leur remettaient des feuilles de travail énumérant les moteurs à réparer et les travaux nécessaires. Les contremaîtres confiaient ensuite à chaque membre de l'équipe la réparation d'un moteur.

[30] En outre, les contremaîtres attribuaient à certains membres de leur équipe, des tâches spécifiques, particulièrement lorsqu'une tâche difficile devait être exécutée sans tarder. Certains travaux à accomplir sur la ligne étaient plus complexes ou techniques que d'autres et présentaient des défis intéressants. C'était le cas notamment de la dépose et de la réinstallation de la turbine haute pression (HP), de la turbine basse pression (BP) et du noyau central. Parmi les tâches moins difficiles figuraient le calfeutrage, la réinstallation des conduites carburant et la préparation du moteur en vue de sa vérification sur le banc d'essai.

[31] Lorsqu'un mécanicien se voyait confier un moteur, il effectuait normalement tous les travaux d'entretien nécessaires. Toutefois, on attribuait aussi aux mécaniciens des tâches temporaires pour pallier le manque de personnel dans d'autres secteurs de l'atelier. Si le superviseur avait besoin de renfort dans le secteur H, par exemple, il demandait à un contremaître d'y détacher un de ses mécaniciens. Il pouvait également affecter un mécanicien au secteur en question. L'un des témoins, Ray Fletcher, a affirmé que beaucoup de mécaniciens étaient simplement appelés à terminer le travail entrepris durant le poste de travail précédent. Les mécaniciens qui attendaient d'être affectés à des tâches particulières héritaient souvent des tâches dont personne ne voulait.

iii) Le secteur H

[32] Un moteur à réaction comporte des soufflantes munies de pales qui sont montées sur un axe central et qui propulsent l'air à travers le réacteur. Les mécaniciens du secteur H examinaient les pales de soufflante afin d'y déceler des dommages ou des anomalies, limaient les éraflures et les encoches et vérifiaient si les pales étaient bien équilibrées. Au moment de notre visite, le secteur était propre et bien éclairé; toutefois, on pouvait constater que tous les objets étaient recouverts d'une fine poussière laissée par les rognures de métal et les résidus chimiques. On a également précisé lors des témoignages que les employés manipulaient dans leur travail des produits chimiques dangereux comme l'iode et l'acétone.

[33] Les avocats ont débattu la question à savoir si les travaux exécutés dans le secteur H étaient des tâches inférieures. M. Rodominski, qui était reconnu pour ses compétences en mécanique, a décrit ces travaux comme étant [TRADUCTION] de nature très répétitive et parfois très ennuyeux . Selon lui, personne ne voulait vraiment travailler là. À preuve les mécaniciens affectés au secteur H n'étaient pas soumis au régime d'alternance. Au dire de M. Shelford, il s'agissait là d'un stimulant nécessaire pour qu'on puisse compter sur un effectif complet dans ce secteur. Le fait de travailler dans le secteur H comportait cependant certains avantages : on pouvait travailler dans la position assise, on effectuait beaucoup de temps supplémentaire et on était toujours affectés au poste de jour. Par conséquent, certains mécaniciens supérieurs y travaillaient en permanence. Comme ces mécaniciens pouvaient choisir leurs semaines de vacances, le secteur H était à court de personnel durant l'été.

[34] Les avocats de l'intimée ont insisté sur la valeur des pales de soufflante, qui pouvaient coûter jusqu'à 17 000 $ US l'unité. Un autre témoin, Jay Ghuman, a affirmé que les travaux à faire sur les pales étaient importants et exigeants en termes d'effort et devaient être exécutés par quelqu'un de compétent. Si une pale était mal reprofilée et présentait une surface rugueuse ou une fissure capillaire, elle risquait de se rompre, avec les conséquences catastrophiques que cela peut comporter pour les voyageurs à bord de l'aéronef. J'accepte toutes ces observations, qui n'ont toutefois pas rapport à la plainte fondamentale de M. Hill, à savoir que le travail était extrêmement fastidieux et, partant, inférieur.

[35] Il n'y a aucun doute dans mon esprit que le secteur H était l'un des moins attrayants. M. Kirby a indiqué qu'une affectation à ce secteur pouvait être perçue comme une forme de punition; il est évident qu'un grand nombre de mécaniciens détestaient y travailler. J'admets que les tâches à cet endroit étaient inférieures et peu valorisantes. Je puis admettre d'office que le limage de pales métalliques, si coûteuses soient-elles, n'a rien pour exciter les passions d'un mécanicien.

[36] Certains témoins ont exprimé l'avis que la plupart, voire la totalité, des mécaniciens de l'atelier moteur avaient eu des affectations au secteur H. D'autres ont affirmé que certains mécaniciens n'y avaient jamais travaillé. On a déclaré, par ailleurs, qu'il y avait beaucoup plus de membres des minorités visibles dans des secteurs comme celui du réusinage des pales. Selon M. Kirby, cette situation était le reflet de l'injustice au sein du milieu de travail, où les membres des minorités devaient se résigner à exécuter les tâches les moins intéressantes. Toutefois, M. Fletcher a affirmé lors de son témoignage que les membres des minorités visibles préféraient travailler ensemble. La situation peut être interprétée de diverses façons.

iv) Le banc d'essai

[37] Avant qu'un moteur quitte l'atelier, il fallait vérifier s'il répondait aux normes du fabricant et du ministère fédéral des Transports. Cette vérification était faite sur le banc d'essai. Le moteur était transporté depuis l'atelier moteur jusqu'au banc d'essai, où il était soulevé à l'aide de sangles puis installé dans un boîtier afin de permettre aux vérificateurs de le démarrer et de le laisser fonctionner. Une fois installé dans le boîtier, le moteur était actionné par l'ordinateur, qui simulait les conditions de vol. Il s'agissait d'une tâche relativement dramatique, qui était gratifiante, car elle permettait de déterminer si la révision du moteur avait été bien faite. Un vérificateur mettait le moteur en marche et observait ce qui se passait, tandis qu'un collègue surveillait les données communiquées par l'ordinateur pour déterminer si les normes en vigueur étaient respectées.

[38] Trois mécaniciens agissaient comme vérificateurs sur la ligne des Dash-80. Ces mécaniciens, qui avaient reçu une formation spéciale, touchaient quinze cents de plus l'heure. Lorsqu'il n'y avait pas de moteurs à vérifier, ils aidaient le reste de l'équipe. Les mécaniciens qui avaient travaillé sur le moteur étaient eux aussi présents lors de la vérification sur le banc d'essai. Ils aidaient le vérificateur à sangler le moteur et à l'installer dans le boîtier. Lorsque l'essai était terminé, ils faisaient les réparations nécessaires de concert avec le vérificateur et aidaient celui-ci à enlever les sangles et à faire l'inspection finale du moteur. L'accouplement et le désaccouplement du moteur constituaient les étapes les plus pénibles, mais aussi celles qui engageaient le moins leur responsabilité.

C. L'allégation de discrimination

i) Les tâches assignées

[39] M. Hill avait la compétence voulue pour travailler comme mécanicien. Cependant, il ne fait aucun doute que son attitude à l'égard de son travail chez Canadien laissait beaucoup à désirer. M. Hill était fermement convaincu qu'il possédait des talents que son employeur n'avait jamais reconnus. Par conséquent, il semblait avoir acquis la conviction que certaines tâches qu'on lui confiait n'étaient pas dignes de lui. Devant cette attitude, ses supérieurs en vinrent à mettre en doute ses compétentes et aptitudes, ce qui ne fit qu'exacerber son aversion à l'égard du travail qu'ils voulaient lui confier. D'après certains éléments de preuve, il avait tendance à flâner et à se dérober devant ses responsabilités.

[40] Au cours de son témoignage, M. Hill a affirmé que la ligne des 737 chez Canadien était à son avis un milieu de travail foncièrement raciste. On l'affectait presque toujours aux basses besognes (nettoyage des câbles, graissage, réglage des engrenages, etc.). L'hostilité a atteint son paroxysme lorsque d'autres mécaniciens ont dit qu'ils s'étaient [TRADUCTION] débarrassés de tous les asiates et pakis et qu'il ne leur restait qu'un nègre sur les bras . M. Hill était le dernier à qui on offrait de faire du temps supplémentaire. On lui demandait de travailler sous la direction de mécaniciens qui avaient moins d'ancienneté que lui. Aussi a-t-il demandé d'être muté à l'atelier moteur.

[41] À l'audience, les parties ont concentré leur attention sur l'époque où M. Hill a travaillé à l'atelier moteur. L'allégation fondamentale veut que le contremaître confiait à M. Hill les plus basses besognes. Dans son témoignage, M. Kirby a indiqué que M. Ryan l'affectait au réusinage, à l'inspection et à l'équilibrage des pales, à la préparation du banc d'essai et à l'installation des pales de soufflante, autant de tâches inférieures. Parmi ces tâches figuraient le remplacement des filtres et l'accouplement ou le désaccouplement des moteurs au banc d'essai. Certaines de ces tâches étaient qualifiées de sales besognes. M. Ryan n'affectait M. Hill à des tâches plus complexes [TRADUCTION] que s'il n'y avait personne d'autre autour . M. Hill a précisé lors de son témoignage qu'il avait travaillé dans le secteur H les 23 et 24 août 1993. Selon lui, les différents mécaniciens de l'atelier auraient dû être affectés en alternance à ce genre de tâches.

[42] Dans une lettre de plainte adressée au président du syndicat, M. Hill a décrit la situation dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Les gestionnaires de l'atelier 750 ont récemment exercé une discrimination à mon endroit. Ils ont systématiquement choisi et pistonné certains individus qu'ils décrivent comme la crème et qui semblent avoir avec eux certaines affinités. On pistonne ces personnes pour qu'ils obtiennent de l'avancement tandis qu'on décourage et laisse dans l'ombre les membres des minorités visibles.

On confie aux membres des minorités visibles les basses besognes, ce qui sape leur motivation et leur détermination. On ne leur offre pas les mêmes possibilités de s'améliorer et de progresser dans leur carrière. Ceux qui font partie de l' élite sont encouragés à persister dans l'exécution des tâches techniques ou axées sur la résolution de problèmes. On les récompense en leur donnant de l'avancement au sein de la compagnie. On ne leur confie pas de tâches inférieures; on leur demande parfois de prendre la relève d'un membre d'une minorité visible qui a commencé [sic] une tâche technique.

C'est la façon dont M. Ryan a traité M. Hill qui est apparemment à l'origine de la plainte déposée auprès du syndicat.

[43] Dans sa lettre au président du syndicat, M. Hill a précisé qu'il avait été affecté au secteur H trois fois en deux mois et que cette tendance devrait éveiller la suspicion. Au regard de la preuve, il est exagéré de dire, comme le font le plaignant et la Commission, que M. Ryan affectait M. Hill au secteur H [TRADUCTION] la majeure partie du temps . La preuve testimoniale permet simplement d'établir que M. Hill a été affecté au réusinage des pales à trois ou quatre reprises alors qu'il était sur la ligne des Dash-80. M. Ryan n'a pas admis que M. Hill était régulièrement affecté au réusinage des pales. Les deux fois où la situation a atteint un point critique, M. Hill s'est dit malade et est rentré chez lui sans terminer son poste de travail.

[44] L'un de ces cas est survenu le 23 août 1993, date où M. Hill serait arrivé en retard. Selon M. Ryan, M. Hill aurait été le dernier mécanicien à se présenter au travail et aurait, par conséquent, été affecté au réusinage des pales. Cette version des faits contredit celle qu'il a donnée à Laurie Ferguson et Hunter Rogers, à savoir que M. Hill avait été l'avant-dernière personne arrivée au travail. Il est toujours possible qu'une erreur se soit glissée dans le rapport Ferguson-Rogers, mais je crois que l'élément important est que le plaignant n'a pas contesté le fait qu'il soit arrivé en retard. Cela a peut-être été le motif qui a amené M. Ryan à détacher ailleurs un employé qui lui donnait du fil à retordre.

[45] Plutôt que de se rendre au secteur H conformément aux instructions reçues, M. Hill est rentré à la maison pour cause de maladie, se disant trop stressé pour travailler ce jour-là. Lorsqu'il a été mis au courant de la situation, le superviseur a dit à M. Ryan d'affecter M. Hill au réusinage des pales le lendemain. Le jour suivant, M. Hill, après avoir reçu cet ordre, est rentré chez lui pour cause de maladie et s'est absenté du travail durant une semaine. M. Hill était choqué parce qu'il était arrivé tôt le deuxième jour et a donné à entendre que M. Ryan ne suivait pas son propre système puisqu'il l'affectait au réusinage des pales. Selon lui, c'est le dernier arrivé qui aurait dû être affecté au réusinage des pales.

[46] L'attitude de M. Hill était fourbe et ne tenait pas compte de l'ensemble de la situation. Il importe de souligner que le plaignant, à l'instar de la Commission, ont fait abstraction de l'insubordination évidente que dénotaient ses faits et gestes. Je suis d'avis que la direction ne s'est pas attaquée à la situation. La question n'a pas été traitée de façon appropriée, étant donné que le superviseur et le contremaître étaient nettement d'avis que M. Hill feignait d'être malade. Ils auraient dû le convoquer pour lui parler. Quoi qu'il en soit, le différend véritable entre le plaignant et ses supérieurs était loin de tenir simplement à l'affectation au secteur H.

[47] Les relations entre M. Hill et M. Ryan étaient tendues, pour dire le moins, et M. Ryan avait peut-être été prompt à affecter M. Hill au secteur H. Cependant, si tel était le cas, c'est surtout en raison de l'hostilité qui existait entre les deux hommes plutôt qu'à cause du fait que M. Hill était de race noire. La preuve sur la question de fond est pour le moins minime, et les problèmes entourant la preuve du plaignant sont suffisants pour m'empêcher de l'accepter sans qu'elle soit étayée par d'autres témoins.

[48] Le plaignant, à l'instar de la Commission, a soutenu que M. Ryan le surveillait plus étroitement que d'autres employés. Je ne doute pas que c'était le cas, du moins vers la fin, alors que les deux hommes étaient devenus des adversaires. Il a été allégué, par exemple, qu'on posait des questions à M. Hill lorsqu'il revenait de la salle de bains. S'il se dérobait devant ses responsabilités, cette façon d'agir était certes tout à fait justifiée. Je n'admets pas que M. Ryan était malveillant ou inventait des choses. Il y avait des limites à son hostilité. Il ne fait aucun doute que dans l'esprit de M. Ryan, M. Hill n'était pas un employé fiable et qu'il ne faisait pas sa part. Presque tous les témoins ont corroboré ce point. M. Hill avait besoin de surveillance.

[49] M. Hill a allégué qu'on lui avait confié plus que sa juste part de tâches peu intéressantes, et ce tant sur la ligne que dans les autres secteurs de l'atelier. Il a également affirmé dans son témoignage qu'il demandait sans cesse de faire du travail plus technique sur la ligne des Dash-80. Il a fourni des exemples à l'appui d'une des plaintes dont je suis saisi : le 6 décembre 1993, il aurait été affecté à un moteur pour lequel il ne restait que des tâches inférieures à accomplir. Le 6 septembre 1994, alors qu'il effectuait du travail technique, il a été réaffecté à des tâches de bas niveau. Il a fourni un certain nombre d'autres exemples, dont certains n'ont pas été corroborés par les feuilles d'affectations sur lesquelles étaient consignés les noms des employés affectés aux divers moteurs, feuilles qui ont été déposées en preuve.

[50] Le passage du temps rend la reconstitution des événements particulièrement plus difficile. Toutefois, une telle accusation devrait être étayée par des faits concrets, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Les souvenirs de M. Hill quant à ce qui s'est produit sont empreints de partialité et fondés sur des impressions; de plus, un grand nombre de situations dont il se plaint prêtent à interprétation. Il ne fait aucun doute qu'il se sentait victime de discrimination; cependant, la preuve que le plaignant et la Commission ont présentée repose davantage sur des allégations que sur des faits. La preuve est de piètre qualité, pour dire le moins.

[51] M. Hill a également affirmé que M. Ryan lui donnait de nouveaux bulletins de service après qu'il eut terminé une tâche et qu'il lui demandait de refaire le travail. Au dire de M. Hill, M. Ryan faisait cela à dessein parce qu'il voulait lui compliquer la vie. Les relations entre les deux hommes était très tendues à ce moment-là en raison de la plainte de M. Hill à l'endroit de M. Ryan. M. Hill a également affirmé dans son témoignage qu'il avait d'instinct reculé lorsque M. Ryan avait lancé violemment les feuilles sur le lutrin. À ce moment-là, il existait entre les deux hommes une franche hostilité. Je ne crois pas M. Hill lorsqu'il affirme que la conduite de M. Ryan n'avait pas été provoquée. Il ressort de la preuve de M. Hill que celui-ci avait des façons bien à lui de provoquer ses supérieurs immédiats.

[52] D'autres incidents sont dignes de mention, notamment l'entretien de M. Hill avec Jeff Reimer, à qui on avait confier la tâche de renouveler les licences. M. Hill a apostrophé M. Reimer à l'atelier comme s'il s'agissait d'un infime esclave à qui l'on pouvait dicter ses quatre volontés. La demande de M. Hill était déjà en retard. Plutôt que de s'excuser et de reconnaître le fait qu'il était en retard, il a entraîné M. Reimer dans un échange virulent. Si M. Reimer ne s'est peut-être pas lui-même comporté de façon appropriée en tant que membre de la direction, il n'en reste pas moins que l'attitude de M. Hill était provocatrice et cavalière. Il importe de souligner que M. Hill a réagi à l'incident en se plaignant officiellement de l' attitude de M. Reimer.

[53] Il y a eu d'autres incidents, dont la conversation que M. Hill a eue avec Jerry Jureidin, un des superviseurs, lorsqu'il avait été pris en train de photocopier des pages d'un manuel. Les mécaniciens devaient se servir des originaux. D'excellentes raisons militaient en faveur de cette pratique. En outre, M. Hill utilisait le photocopieur sans permission. Plutôt que de s'excuser, il a adopté une attitude d'indifférence, ce qui a sans doute confirmé l'opinion courante voulant qu'il n'acceptait pas l'autorité de ses supérieurs. Ce genre de comportement ne faisait qu'exacerber la situation. Je reconnais que M. Hill estimait être dans un milieu désagréable, mais je suis persuadé que sa conduite est probablement l'élément qui a le plus contribué à créer la situation dans laquelle il se trouvait.

[54] Les plus fortes preuves à l'appui des allégations de M. Hill ont été fournies par M. Kirby. Dans son témoignage, M. Kirby a repris la déclaration qu'il avait faite à Mme Ferguson et à M. Hunter, à savoir que [TRADUCTION] quiconque entrait dans l'atelier pouvait en moins de cinq minutes s'apercevoir que certains avaient droit à un traitement préférentiel . Dans son témoignage, M. Kirby a affirmé que M. Ryan n'affectait M. Hill aux tâches les plus stimulantes que lorsque personne d'autre n'était disponible. Il a ajouté que les membres des minorités visibles qui travaillaient dans les ateliers se retrouvaient surtout dans des secteurs éloignés des lignes où s'exécutaient des travaux de mécanique moins intéressants. M. Kirby a également affirmé qu'on avait tendance à affecter beaucoup de membres des minorités visibles à des secteurs comme ceux du réusinage, de l'inspection et du rééquilibrage des pales. Cette observation a été corroborée par M. Abbing et M. Fletcher. Ce dernier a émis l'opinion que les membres des minorités visibles voulaient être ensemble et, par conséquent, gravitaient autour des mêmes aires de travail.

[55] Je comprends pourquoi M. Kirby a formulé de telles conclusions, mais ses opinions comportent un élément de spéculation que je ne puis accepter. Il n'est pas suffisant de faire des allégations de discrimination, si sincères soient-elles. Les observations formulées par un grand nombre de témoins permettent certes de conclure qu'il existait des communautés sociales à l'atelier moteur. Toutefois, je ne suis pas disposé à aller plus loin sur la foi des allégations. Il serait présomptueux de conclure que la répartition des employés entre les divers secteurs de l'atelier était le résultat d'une attitude manifestement discriminatoire.

[56] Il ne fait aucun doute qu'un climat de discorde régnait à l'atelier et que le racisme y était pour quelque chose. Des témoignages comme ceux de MM. Kirby, Hui et Panis ont permis d'établir que, comparativement aux autres mécaniciens de Canadien, les membres des minorités n'estimaient pas avoir les mêmes possibilités. M. Kirby et M. Hibbert ont tous deux affirmé dans leur témoignage que les membres des minorités n'étaient tout simplement pas dans la course pour l'obtention des meilleurs postes à l'atelier. Préoccupé par cette question, M. Hibbert avait écrit en 1988 une lettre de plainte dans laquelle il soulevait des questions semblables à celles évoquées par M. Hill. Les plaintes dont je suis saisi sont de nature personnelle et la preuve d'une discrimination systémique n'est pertinente que dans la mesure où elle permet de situer en contexte ce qui s'est produit dans le cas de M. Hill. Le plaignant et la Commission ont décrit les témoignages de nature générale comme une preuve de faits similaires ; toutefois, la situation de M. Hill semble s'être développée indépendamment de toute tendance à la discrimination à l'atelier.

ii) La candidature au poste de planificateur III

[57] Alors qu'il était affecté à l'atelier des pneus et freins en 1993, M. Hill a posé sa candidature au poste de planificateur d'aéronefs III. On a présenté de nombreux éléments de preuve à propos de l'affichage de ce poste, du processus de sélection, des entrevues, du processus décisionnel et de la réaction de M. Hill à la décision prise. Les témoins ont fait deux assertions relativement différentes. La première veut que le comité de sélection ait tenu pour acquis que le candidat retenu avait les compétences nécessaires pour le poste, y compris le pouvoir de certification des aéronefs (ACA). Il est clair, en rétrospective, qu'il ne répondait pas à cette exigence ou qu'il a obtenu le pouvoir de certification en question après avoir obtenu le poste, ce qui allait à l'encontre de ce qui était stipulé dans l'affiche.

[58] La deuxième assertion veut que le comité ait eu de bonnes raisons de rejeter la candidature de M. Hill. Même s'il avait plus d'ancienneté que le candidat choisi, M. Hill ne connaissait pas les fonctions du poste de planificateur III et n'a pas fait bonne figure à l'entrevue. Je suis d'avis que le candidat choisi n'aurait pas dû se voir attribuer le poste, et je soupçonne qu'il y ait eu des manigances politiques à cet égard. Toutefois, je n'admets pas que cette situation ait pu influer sur la candidature de M. Hill. Il n'y a pas de preuves convaincantes que le comité ait été motivé par le racisme.

[59] J'ai entendu le témoignage de deux membres du comité. La preuve présentée par M. Clement, qui était très frêle, pose problème. M. Clement s'est révélé un témoin sincère qui possédait une vaste expérience en gestion; toutefois, il a manifestement modifié ses scores afin de faire des compromis avec les autres membres du comité, posant ainsi un geste mal avisé. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce comportement était inapprorié. Cela ne signifie pas pour autant que le comité était animé d'une volonté de discrimination. Il s'agit de problèmes qui relèvent de l'application de la convention collective plutôt que de la législation sur les droits de la personne.

[60] J'ai déjà dit que j'avais été impressionné par le témoignage de Scott Hunter, l'autre membre du comité, qui s'est révélé un témoin sincère qui, par ailleurs, se souvenait très bien des faits. M. Hunter a admis très volontiers que le poste n'aurait pas dû être attribué au candidat choisi et a indiqué que le syndicat aurait pu formuler un grief. Cela ne change en rien le fait que M. Hill n'ait pas été à la hauteur lors de l'entrevue. Lorsqu'on lui a demandé, par exemple, s'il voulait le poste, il s'est lancé dans un monologue relativement long au sujet de son ambition de devenir écrivain. Ce comportement, tout en étant non professionnel, n'avait pas sa place dans le cadre d'une entrevue. Voilà qui explique sans doute les observations du troisième membre du comité, Mme Lange, qui a écrit sur sa feuille d'évaluation que M. Hill avait une [TRADUCTION] attitude désinvolte . Je pense qu'il serait exagéré de prétendre que cette observation a été motivée par le racisme.

[61] Le problème que pose la preuve du plaignant est qu'elle ne permet tout simplement pas d'établir que la question raciale a joué dans le processus de sélection. Elle révèle simplement que M. Hill, qui faisait partie d'une minorité raciale, n'a pas obtenu le poste. À mon sens, il est juste de prétendre que M. Hill aurait dû avoir droit à un nouveau concours, à l'instar des autres candidats, mais la preuve ne renferme guère d'éléments qui pourraient m'amener à croire qu'il était le meilleur candidat. Cela ressort clairement des scores attribués, et ce même si l'on tient compte du problème des feuilles de notation de M. Clement. Je suis tout simplement incapable de voir quelque injustice que ce soit dans le fait que le comité ne lui ait pas accordé le poste.

[62] Il importe de souligner que M. Hill s'est plaint du processus de sélection pour le poste de planificateur III et qu'il a parlé à M. Clement des entrevues. Il s'agissait simplement d'une occasion pour lui de faire de nouvelles allégations, qui ne méritent pas d'être commentées. Dans l'esprit de M. Hill, cela ajoutait néanmoins à son sentiment d'injustice de plus en plus aigu. Je crois qu'il est juste de dire que M. Hill se sentait persécuté au regard du déroulement des événements.

iii) Les événements du 18 octobre 1994

[63] Il ne fait aucun doute que M. Hill se sentait opprimé face à sa situation à l'atelier moteur. Je crois que le fait de ne pas avoir obtenu le poste de planificateur III a été une vive déception et a ajouté aux pressions émotives auxquelles il était en proie. De surcroît, il éprouvait des difficultés au plan personnel. Je n'ai point l'intention de minimiser la situation; de toute évidence, ce fut pour lui une période difficile. En tout état de cause, les tensions au travail ont inexorablement atteint leur apogée le 18 octobre 1994 dans le bureau du superviseur.

[64] Certains faits entourant les événements du 18 octobre 1994 ne sont pas contestés. Le 13 septembre 1994, M. Cavasin a présenté un mémogramme dans lequel il demandait de changer de poste de travail avec M. Hill jusqu'au 15 novembre 1994. Il s'agissait d'une demande inhabituelle puisque M. Cavasin préférait habituellement le poste d'après-midi et échangeait volontiers ses postes de jour avec les mécaniciens qui souhaitaient continuer d'être affectés au poste de jour. Il a précisé lors de son témoignage que sa femme était en congé de maternité et qu'il préférait dans les circonstances le poste de jour. Il appert que les mécaniciens s'échangeaient fréquemment des postes de travail et que cette demande n'avait rien d'inusité.

[65] En raison de ce changement de poste de travail, M. Hill a travaillé le 18 octobre 1994 durant le poste d'après-midi. Toutefois, au dire de M. Hill, M. Cavasin et lui auraient décidé le 17 ou le 18 de revenir à leur poste de travail original. Je suis enclin à croire que l'instigateur a été M. Hill, bien que ce dernier ait indiqué qu'il voulait rendre service à M. Cavasin. M. Hill a néanmoins précisé dans son témoignage qu'il avait présenté un mémogramme le 17 octobre 1994 pour demander de revenir le lendemain au poste de jour. Il demandait dans cette note de retirer la note précédente.

[66] Il importe à mon avis de préciser, pour comprendre la dimension psychologique de la situation, que le mémo devait être approuvé. Ce fait a été quelque peu contesté mais, en dernière analyse, la direction avait le droit de refuser la demande. Il appert que les mécaniciens, qui préféraient généralement le poste de jour, avaient abusé de la possibilité de changer de poste de travail, et que trois ou quatre mécaniciens avaient parfois prétendu avoir changé de poste avec M. Cavasin. Par conséquent, cette question était délicate.

[67] Le 18 octobre 1994, pour une raison que personne n'a pu vraiment expliquer, l'un et l'autre se sont présentés pour le poste de jour. Bien que la preuve n'ait pas permis d'établir qui était en faute, je soupçonne que M. Hill n'avait pas informé M. Cavasin du mémo qu'il avait présenté la veille, ou que celui-ci n'avait pas encore été approuvé. Le fait que M. Ryan ait demandé à M. Hill pourquoi il se présentait pour le poste de jour est éloquent. M. Hill a expliqué qu'il avait présenté un mémo demandant un changement de poste de travail.

[68] M. Ryan a demandé à M. Hill de parler à M. Strohmaier et à M. Jureidin, qui étaient tous les deux des superviseurs. Ces derniers lui ont simplement demandé de faire signer par M. Cavasin le mémo de la veille. Il semble y avoir eu une certaine confusion quant à savoir si M. Cavasin avait changé de poste de travail avec M. Hill ou quelqu'un d'autre. Quelque chose ne fonctionnait pas, pour dire le moins. Lorsque M. Hill a présenté le mémo à M. Cavasin, ce dernier l'a signé et y a inscrit la note sarcastique suivante : [TRADUCTION] Pourquoi me le dire . Cela semble appuyer la thèse voulant que M. Cavasin n'était pas tout à fait au courant du changement de poste.

[69] À mon avis, l'explication des événements que M. Cavasin a donnée est logique. Il a affirmé dans son témoignage qu'il avait inscrit un [TRADUCTION] commentaire retors sur le premier document pour [TRADUCTION] saboter un peu le mémo . Il voulait [TRADUCTION] en quelque sorte le mettre un peu en rogne car, vous savez, on se jouait pas mal de tours . Quoi qu'il en soit, M. Cavasin voulait contraindre M. Hill à rédiger un autre mémo et à revenir pour une deuxième signature. M. Hill a inversé les rôles en se rendant avec le mémo dans le bureau du superviseur, au grand dam de ses supérieurs.

[70] Après qu'on lui eut demandé de rédiger un autre mémo et d'obtenir la signature appropriée, M. Hill est retourné voir M. Cavasin qui, lors de son témoignage, a dit ne pas avoir cru que M. Hill avait présenté le premier mémo aux superviseurs. Je ne puis m'empêcher de penser que M. Cavasin éprouvait peut-être envers M. Hill du ressentiment parce qu'il avait changé de poste de travail à ses dépens. Sur le deuxième mémo, M. Hill a écrit : [TRADUCTION] Ross C. et moi aimerions revenir à notre poste de travail habituel à compter de maintenant. Lorsque M. Hill est retourné voir M. Cavasin, ce dernier a signé le mémo mais n'a pu s'abstenir d'y inscrire un autre commentaire sarcastique : [TRADUCTION] N'est-ce pas normal?

[71] Il est évident que ce manège a nécessité énormément de temps. Ayant vu l'atelier, il est clair à mes yeux qu'il aurait normalement suffi d'une dizaine de minutes pour traiter les deux mémos. Les superviseurs ont apparemment cru que c'était M. Hill qui avait inscrit les commentaires, mais ils l'ont autorisé à continuer de travailler durant le poste de jour. Pendant la matinée, M. Ryan s'est plaint à ses superviseurs que M. Hill ne travaillait pas fort. D'après la preuve, le contremaître de M. Cavasin se serait plaint lui aussi. La preuve révèle qu'il y avait un certain flânage et niaisage de la part de M. Hill et de M. Cavasin, situation qui irritait les contremaîtres. Vers 12 h 30, M. Cavasin et M. Hill ont été convoqués à une réunion avec M. Jureidin, M. Strohmaier et M. Abbing, un délégué syndical.

[72] Je n'admets pas que M. Hill se dépeigne comme un participant passif à ces événements. De toute évidence, le mémo initial n'a pas été traité; comme c'est M. Hill qui demandait le changement, c'est à lui qu'il incombait d'obtenir la signature de M. Cavasin. En outre, il est évident qu'il était un employé rusé et perspicace et qu'il savait qu'il attisait le feu en retournant les mémos qui comportaient des commentaires sarcastiques de son confrère. Les deux hommes avaient la réputation de ne pas respecter l'autorité et tout gestionnaire responsable se serait senti obligé de leur rappeler la procédure à suivre.

[73] Une fois la question des changements de poste réglée, M. Jureidin s'est attaqué à la question du bavardage. Lorsque le contremaître de M. Cavasin est passé près du bureau, il a été prié de se joindre au groupe. Devant les énormes pressions exercées par M. Cavasin, il a nié s'être plaint aux superviseurs. On a ensuite parlé de M. Ryan, qu'on a averti à l'aide de son téléavertisseur pour lui demander de venir à la réunion. M. Hill et M. Ryan se sont alors livrés à une engueulade qui a eu vite fait de prendre des proportions gigantesques. Dans son témoignage, M. Cavasin a précisé que M. Ryan [TRADUCTION] est entré dans le bureau, puis je ne me souviens plus trop du reste… mais ça a bardé .

[74] Le bureau en question était extrêmement exigu, et on peut facilement imaginer la scène. À un moment donné, M. Hill a dit à M. Ryan de vérifier ses faits puis est sorti du bureau en claquant la porte. M. Cavasin a indiqué dans son témoignage que les deux hommes en étaient presque venus aux coups, tout en précisant qu'ils se seraient battus si M. Hill n'avait pas quitté la pièce. M. Hill est allé immédiatement au bureau de M. Shelford pour discuter de l'affaire avec lui. Voyant bien que M. Hill était extrêmement bouleversé, M. Shelford lui a donné l'autorisation de rentrer chez lui. M. Hill n'est pas retourné travailler chez Canadien.

D. L'allégation de harcèlement

[75] On a discuté à l'audience de ce qu'est le racisme. Je souscris à l'opinion exprimée par le plaignant et la Commission, qui ont fait valoir que, souvent, les membres des groupes dominants de la société ne voient pas l'existence de la discrimination et du harcèlement. Les avocats m'ont cité un extrait du paragraphe 44 de la décision Naraine v. Ford Motor Co. of Canada (No. 4), (1985) 27 C.H.R.R. 230 (commission d'enquête de l'Ontario), où l'on peut lire que la commission d'enquête a reconnu que les membres des minorités raciales possèdent souvent [TRADUCTION] une certaine expertise en la matière, ayant côtoyé pendant longtemps des membres de la majorité qui sont tyranniques et pleins de préjugés. À mon avis, il ne faut pas perdre de vue ce principe de précaution lorsqu'on examine le témoignage des témoins dans une affaire fondée sur une allégation de racisme, et ce à plus forte raison dans un cas de harcèlement.

[76] Dans sa plainte de harcèlement, M. Hill a donné cinq exemples de graffitis racistes qu'il a vus sur les murs des salles de bains. Parmi ceux-ci figuraient la croix gammée et des déclarations comme [TRADUCTION] Mort à tous les Nègres et [TRADUCTION] Les nègres ne sont pas mauvais; tout le monde devrait en avoir un. Tous les témoins ont convenu qu'il y avait des graffitis sur les murs des salles de bains chez Canadien. Il y avait notamment des commentaires sexuels méprisants ou racistes et des propos diffamants. La preuve démontre que les graffitis sexuels étaient prédominants, bien que les commentaires racistes faisaient partie de la problématique. La question était suffisamment inquiétante pour que M. Shelford, le directeur des installations de motopropulsion, fasse certains efforts pour corriger la situation. Il a notamment fait peindre les murs en noir, stratégie qui, à long terme, n'a apparemment pas donné les résultats escomptés. On a également installé dans les salles de bains des tableaux blancs afin de pallier le problème. La seule solution véritable semblait être de repeindre constamment les salles de bains, mais les restrictions financières empêchaient la compagnie de le faire très souvent.

[77] M. Hill a également fourni cinq exemples de plaisanteries racistes qui ont circulé à l'atelier moteur et dont la teneur est sans équivoque :

[TRADUCTION]

« Le chemin de fer a été construit par des nègres et des chinetoques parce que les propriétaires ne voulaient pas utiliser des mules pour transporter la nitroglycérine. - dixit un collègue, en 1992.

Comment fait-on pour garder des négrillons? Eh bien, vous leur humectez les lèvres et vous les collez au plafond. - dixit Kerry Ryan, mon contremaître, au printemps de 1993.

George Lenihan a raconté une histoire au sujet d'une sortie entre amis où il s'agissait de frapper des Noirs avec des manches à balai depuis la caisse d'une camionnette; il a qualifié ce jeu de chasse aux nègres ».

Je ne suis pas persuadé que Kerry Ryan ait raconté la deuxième plaisanterie, mais quelqu'un d'autre l'a peut-être fait. J'admets volontiers cependant que les mécaniciens tentaient de voler la vedette en racontant des plaisanteries méprisantes et de mauvais goût.

[78] Dans la plainte, il est également allégué que M. Ryan a appelé M. Hill Nig Nog à plusieurs reprises. Selon M. Kirby, c'était une façon subtile de le qualifier de nègre. Ce n'est que lors du témoignage de M. Ryan que l'on a compris le double sens de ce terme. M. Ryan a précisé qu'il l'avait employé en parlant à ses enfants. Il a produit une définition provenant d'Internet pour expliquer qu'il s'agissait d'un terme employé dans le Lancashire [TRADUCTION] pour indiquer qu'on désapprouve les faits et gestes de quelqu'un . Selon son interprétation, ce terme signifiait simplement idiot et n'avait pas de connotation raciste.

[79] Je suis perplexe vis-à-vis des intentions qui animaient M. Ryan lorsqu'il a employé le terme Nig Nog , mais j'ai l'impression que l'interprétation de M. Kirby est logique. Je ne suis pas vraiment convaincu que M. Ryan parlait avec ses enfants et M. Hill de la même façon, d'autant plus qu'on avait tendance à l'atelier à utiliser un langage cru. Je ne vois pas trop pourquoi il lui aurait fallu employer des épithètes. J'accepte néanmoins l'affirmation de M. Ryan voulant qu'il n'ait pas employé ce terme après que M. Hill eut mis en doute sa signification. L'assertion de M. Hill selon laquelle M. Ryan a continué d'utiliser le terme [TRADUCTION] presque chaque fois qu'il m'adressait la parole n'est pas crédible à mon avis.

[80] L'élément de preuve le plus inquiétant en ce qui concerne le harcèlement a trait à la période que M. Hill a passée sur la ligne des 737, dans le secteur appelé hangar . Dans son témoignage, M. Hill a indiqué que les plaisanteries au sujet des [TRADUCTION] nègres, gooks, pakis, etc., étaient monnaie courante . Il a ajouté qu'on s'employait constamment à dénigrer la race noire. Gordy White, un autre mécanicien, le qualifiait toujours de nègre. La preuve indépendante à cet égard est mince. Il se peut que M. Hill ait exagéré, mais j'admets qu'on avait recours à un langage raciste. Dans son témoignage, M. Cavasin a indiqué que les mécaniciens se traitent encore les uns les autres de wops , de polacks et de flips . Il a établi une distinction entre ces sobriquets et les insultes racistes; toutefois, je ne crois pas que l'environnement social entourant la ligne des Dash-80 soit comparable à la situation qui existait sur la ligne des 737.

[81] J'ai le regret de dire qu'il existait un manque de respect général à l'atelier. Un des problèmes dans le cas de M. Hill est qu'on a fourni des éléments de preuve indiquant qu'il participait au harcèlement qui avait cours à l'atelier moteur. Cette attitude cadrait avec son ressentiment général à l'égard de l'autorité. Ainsi, M. Ghuman a indiqué dans son témoignage que M. Hill surnommait un autre mécanicien [TRADUCTION] vieille paire de tétons . M. Hill utilisait régulièrement ce surnom lorsqu'il s'adressait à cet employé, qui à son tour l'affublait de divers sobriquets. M. Ghuman a affirmé dans son témoignage [TRADUCTION] qu'ils cherchaient à se rabaisser mutuellement . Il a également précisé que M. Hill traitait ouvertement un autre employé de pelote débile , surnom qui faisait référence à l'anatomie féminine.

[82] On a également déposé en preuve le formulaire d'évaluation du rendement de Canadien. M. Hill a répondu en termes évasifs et équivoques lorsqu'on lui a demandé s'il avait rempli ce formulaire, se contentant d'indiquer que l'écriture ressemblait à la sienne. Il a finalement admis à contrecoeur qu'il avait rempli le formulaire, mais il a minimisé ses faits et gestes. Le formulaire semble être une réplique d'un dossier du personnel établi au nom de Gordie White. On peut lire sur ce formulaire que l'emploi de M. White est [TRADUCTION] fourreur de chiens . M. Hill a coché certaines inscriptions figurant sur le formulaire, notamment les suivantes :

[TRADUCTION]

Fait un travail de merde et fout constamment la merde.

Ne travaille que si on lui botte souvent le cul.

Est tellement stupide qu'il ne peut distinguer la merde de la merdouille.

Attitude de merde - pense qu'on lui chie toujours dessus.

Voilà un exemple des échanges crus et banals qui avaient cours à l'atelier.

[83] Il est important de souligner, dans le contexte du harcèlement, que Canadien avait une politique sur le harcèlement en milieu de travail. Cette politique visait notamment à sensibiliser les employés à la gravité d'un tel comportement. Bien qu'on ait présenté certains éléments de preuve donnant à croire que les employés n'étaient pas au courant de cette politique, je crois que la culture de travail était en voie d'évoluer à l'époque où M. Hill travaillait à l'atelier moteur. Il ne fait aucun doute que la plainte de M. Hill a peut-être contribué à cette évolution; en effet, le rapport Ferguson-Rogers, le rapport de Mme Knorr et les directives données par M. Shelford ont été autant d'éléments qui ont favorisé la prise de conscience que les commentaires racistes n'étaient plus acceptables.

[84] D'autres faits ont contribué à cette situation. C'est le cas notamment des tentatives initiales et plutôt malheureuses de l'employeur pour déterminer la répartition des membres des minorités visibles au sein de l'atelier. En outre, on offrait une formation sur le harcèlement, du moins au syndicat, et la preuve a permis d'établir que la compagnie s'est efforcée par la suite de veiller à ce que l'on offre des possibilités d'avancement aux membres des minorités visibles.

E. Les griefs du plaignant et les enquêtes internes

i) Le premier grief

[85] Les questions soulevées dans les deux plaintes dont je suis saisi ont donné lieu à la présentation par le plaignant de trois griefs en vertu de la convention collective. Le premier grief a été déposé le 1er septembre 1993 aux termes de l'article 39 de la convention collective, qui portait sur le harcèlement sexuel et personnel; la question de la préparation à l'avancement y était également soulevée. J'ai déjà fait état de la lettre dans laquelle M. Hill alléguait que certains mécaniciens étaient préparés à des promotions et que d'autres étaient laissés de côté en raison de leur race. M. Hill affirmait précisément que les membres des minorités visibles ne se voyaient pas confier [TRADUCTION] de tâches ou de problèmes de nature à leur permettre d'améliorer leurs compétences pour qu'ils puissent satisfaire aux critères d'avancement . Il demandait donc qu'on fasse enquête là-dessus et qu'on mette sur pied un programme pour aider et encourager les membres des minorités à postuler des emplois comportant plus de responsabilités.

[86] À la suite du grief du plaignant, un comité formé de Hunter Rogers et de Laurie Ferguson, qui représentaient la direction et le syndicat, a examiné la situation qui régnait à l'atelier moteur. Au cours de leur enquête, M. Rogers et Mme Ferguson ont interrogé M. Hill, M. Ryan et un certain nombre de mécaniciens. Ils ont produit un rapport énonçant leurs conclusions dont ils ont terminé la rédaction en octobre 1993 et qui a été présenté à l'audience (pièce C-1.13).

[87] Le rapport énonce trois conclusions importantes. La première se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Nous croyons qu'il y a bel et bien eu du harcèlement dans ce secteur, mais il est très difficile à notre avis d'attribuer cette situation à un individu particulier.

La deuxième conclusion a trait à la répartition des tâches :

[TRADUCTION]

L'attribution des tâches à l'atelier est une autre question. Il existe une perception voulant que les tâches ne soient pas réparties également et qu'on aille même jusqu'à choisir certains individus à des fins d'avancement, mais les faits à cet égard ne sont pas concluants. Toutefois, on ne semble pas suffisamment sensible aux préoccupations des employés et on n'a pas vraiment précisé le mode de répartition des tâches.

Cela demeure un litige entre les parties.

[88] La troisième conclusion énoncée dans le rapport Ferguson-Rogers dénote la baisse de moral chez Canadien durant la période en question :

[TRADUCTION]

Il semble exister à l'atelier un malaise général qui se traduit par des comportements inacceptables. Les employés arrivent en retard au travail, prennent de longues pauses-café et rechignent lorsqu'on leur confie des tâches plutôt fastidieuses. Ils font des plaisanteries et des commentaires que certains employés trouvent offensants, mais on ne fait rien pour remédier à la situation. On préfère fermer les yeux plutôt que le régler. Une telle approche ne contribue en rien à le régler. Cela ne fait qu'empoisonner le climat.

L'idée est que les problèmes qui persistaient au sein de la compagnie étaient suffisants en soi pour empoisonner le climat de travail.

[89] Mme Ferguson et M. Rogers formulent trois recommandations à la fin du rapport :

  1. On devrait établir un système juste et équitable d'attribution des tâches.
  2. On devrait sensibiliser les employés au fait qu'on ne tolérera pas les commentaires désobligeants ou les insultes racistes dans le milieu de travail. Tout comportement de cette nature va à l'encontre de la politique de la compagnie et de la loi.
  3. On devrait rappeler aux employés du secteur qu'il existe un [programme d'aide aux employés] et des services dont ils peuvent bénéficier durant la période stressante que nous traversons.

Le rapport était adressé à John Madden, directeur, Soutien des employés.

[90] Me Fakirani a contesté le rapport Ferguson-Rogers. Il a soutenu que ce n'était pas une étude approfondie, que ses conclusions étaient trompeuses et qu'on n'y traitait pas des allégations formulées par le plaignant. En outre, les avocats du plaignant et de la Commission ont fait valoir que les auteurs du rapport n'avaient pas respecté le délai fixé par la convention collective. L'intimée [TRADUCTION] se traînait les pieds . Cependant, il est facile de trouver à redire sur les détails du rapport et de fermer les yeux sur l'essentiel. De façon générale, je crois que le rapport constituait une tentative sincère pour s'attaquer à l'essence même du grief de M. Hill.

[91] L'avocat a indiqué que les auteurs du rapport n'avaient pas compris l'obligation que la législation impose à l'employeur et qu'ils ont fait l'erreur de chercher des exemples de racisme délibéré plutôt que de racisme institutionnel. Ce sont là toutefois des questions de droit et on doit s'attacher au caractère factuel du rapport. Mme Ferguson et M. Rogers semblent s'être efforcés de donner à tous les individus concernés une occasion raisonnable de présenter leur version des faits. Comme je l'ai déjà indiqué, ils ont eu la possibilité de s'entretenir avec ces personnes avant d'avoir la chance d'examiner les conséquences de ce qu'ils avaient constaté. Je crois que le rapport Ferguson-Rogers donne une bonne idée de la situation qui régnait à l'atelier moteur.

[92] Quels que soient les lacunes dont le rapport est entaché, le constat de discrimination fait par Mme Ferguson et M. Rogers était quelque peu équivoque. Selon Me Fakirani, cela aurait dû donner l'alarme et faire prendre conscience à Canadien de la gravité de la situation. La partie adverse a fait valoir que c'est exactement ce qui s'est produit. Le 3 novembre 1993, M. Madden a écrit à M. Hill. Dans sa lettre, il énonce ses propres recommandations relativement à la mise en œuvre du rapport :

  1. Qu'un système juste et équitable d'attribution des tâches soit mis sur pied et annoncé par M. Shelford.
  2. Que M. Shelford sensibilise les dirigeants de l'atelier moteur à leur responsabilité d'assurer un milieu de travail exempt de harcèlement.
  3. Que M. Shelford sensibilise les employés au fait qu'on ne tolérera ni les commentaires désobligeants ni les insultes racistes.

À titre de directeur, M. Shelford était responsable en dernier ressort de l'ensemble des opérations de l'atelier moteur.

[93] M. Madden a transmis une copie de sa lettre à M. Shelford, qui a précisé dans son témoignage qu'il avait mis en œuvre de diverses façons les deux premières recommandations. Il a notamment abordé la question du harcèlement avec les superviseurs. Il a également discuté de ce sujet à des réunions du personnel et ordonné que la politique sur le harcèlement soit affichée au babillard. Les indicateurs quant à la sensibilisation des employés à la question étaient mixtes, mais on peut comprendre que certains témoins ne se souvenaient pas de ce genre de choses plusieurs années après le fait. J'ai été impressionné par le témoignage de M. Shelford et je conclus qu'il a abordé la question tant avec ses superviseurs qu'avec les employés en général. M. Hill a contesté cette assertion; toutefois, son dossier de présence était tel qu'il se peut qu'il ait raté les réunions et je ne vois aucune raison de ne pas croire M. Shelford.

[94] Le plaignant et la Commission ont fait valoir que la participation à toute réunion aurait dû être obligatoire, mais Canadien était dans une situation financière désespérée et la preuve a démontré qu'il n'y avait pas eu de problème de participation, étant donné que les employés étaient à l'affût de renseignements au sujet de la compagnie. Bien qu'il n'ait peut-être pas été tout à fait au courant de la situation qui régnait entre M. Hill et M. Ryan, M. Shelford a fait à mon avis des efforts consciencieux pour mettre en œuvre les recommandations de M. Madden.

[95] Reste la question à savoir si le système d'attribution des tâches à l'atelier était discriminatoire. Nous touchons ici au cœur même de la plainte de discrimination. La Commission et le plaignant ont soutenu que M. Shelford n'avait pas pris la chose au sérieux. À mon avis, ce jugement à l'égard de M. Shelford n'est pas tout à fait juste, même si j'admets volontiers que M. Shelford, M. Strohmaier et d'autres cadres ne croyaient pas que le système d'attribution des tâches était injuste ou inéquitable. À leur avis, les tâches devaient être attribués en fonction des priorités de la journée. Par conséquent, chaque superviseur ou contremaître devait tenir compte des compétences et de l'expérience des divers mécaniciens sous ses ordres et décider de façon subjective à qui devait être confiée telle ou telle tâche. Comme cette pratique était en place, ils estimaient par conséquent qu'il existait déjà une méthode juste et équitable d'attribution des tâches.

[96] M. Shelford a réagi à la recommandation en demandant à la coordonnatrice de l'équité en emploi de la compagnie, Marjorie Knorr, d'enquêter sur la façon dont le travail était réparti à l'atelier moteur. Le 23 février 1994, Mme Knorr s'est donc rendue à l'atelier moteur pour s'enquérir du système d'attribution des tâches. Comme je l'ai déjà indiqué, les parties ne s'entendent pas sur la question à savoir s'il existait un système valable. Je ne crois pas qu'on ait beaucoup à gagner en ajoutant au débat des avocats quant à savoir si la pratique suivie par les contremaîtres et les superviseurs pour l'attribution des tâches temporaires répondait à la définition de système . Il est peut-être plus important de dire qu'il s'agissait d'un système officieux plutôt que d'un système en bonne et due forme et que les cadres jouissaient d'une grande latitude dans l'attribution du travail. Je suis néanmoins d'avis qu'il existait un système, une façon plus ou moins établie de faire les choses, qui laissait cependant place à l'improvisation et faisait appel au jugement personnel des contremaîtres et des superviseurs.

[97] Mme Knorr a passé à l'atelier moteur un après-midi, au cours duquel elle s'est penchée sur le système d'attribution des tâches temporaires de concert avec les superviseurs et les contremaîtres, qui lui ont apparemment montré la documentation pertinente et expliqué la façon générale d'attribuer le travail. Elle a consacré toute son attention au système et ne s'est pas entretenue avec des mécaniciens. Je ne partage pas l'opinion de M. Hill que Mme Knorr était l'otage de la direction et je ne doute pas qu'elle ait mené son enquête de façon sincère et consciencieuse. Mme Knorr a ensuite rédigé un rapport relativement impromptu à l'intention de M. Shelford (pièce C-1.20). Dans ce rapport, elle a conclu que le système n'était pas discriminatoire. Toutefois, elle a admis lors de son témoignage qu'il pouvait prêter à certains abus de la part des contremaîtres.

[98] Dans son rapport en date du 10 mars 1994, Mme Knorr a précisé que les contremaîtres attribuaient les tâches en fonction de divers critères dont les suivants :

· les employés les plus expérimentés et productifs se voient confier les tâches urgentes ;

· les employés nouveaux ou inexpérimentés sont jumelés à des employés ayant plus d'expérience;

· les employés peu motivés font équipe avec des employés motivés;

· aux fins de l'attribution des tâches les moins intéressantes, on a recours à diverses méthodes; l'équipe détermine à qui c'est le tour, on joue à pile ou face ou on attribue la tâche à l'employé qui arrive le dernier au travail.

[99] Mme Knorr a conclu que le travail était attribué surtout en fonction du rendement, tel que perçu, bien sûr, par les contremaîtres. L'opinion que les contremaîtres avaient des membres de leur équipe influait de façon déterminante sur l'attribution des tâches particulièrement techniques ou exigeantes.

[100] Mme Knorr a également examiné la façon de déterminer qui allait recevoir une formation. Elle n'a trouvé aucune preuve de discrimination. À son avis, il n'y avait pas de raison de mener une enquête plus approfondie sur la répartition du travail ou la formation. Elle a transmis son rapport à M. Shelford, qui en a fait tenir un exemplaire aux superviseurs de l'atelier moteur. Les contremaîtres de l'atelier ont été sensibilisés aux préoccupations à l'origine du rapport. Bien qu'il y ait eu des tentatives pour clarifier et améliorer le système d'attribution des tâches, il est normal que les gestionnaires aient jugé que le rapport les avait blanchis.

[101] Les avocats ont fait valoir que le rapport Knorr, à l'instar du rapport Ferguson-Rogers, était lacunaire. Selon eux, si on n'avait pas trouvé de preuve de discrimination, c'est parce que Mme Knorr n'avait pas examiné la question en profondeur. Cette réponse que semble servir le plaignant à l'égard de maintes lacunes que comporte la preuve ne nous aide strictement en rien. La vérité est que j'ai le choix entre la preuve du plaignant et celle de nombreux témoins plus fiables. J'accepte la déclaration suivante de Mme Knorr :

[TRADUCTION]

… eu égard aux changements de poste de travail ou d'équipe, à l'évincement, à la nature des emplois, aux circonstances et aux congés de maladie, ainsi qu'à la diversité des priorités, je crois qu'il serait très difficile d'user de pratiques discriminatoires dans l'attribution des tâches.

Au dire de la Commission et du plaignant, cela ne fait que prouver que le travail était attribué de façon arbitraire et, partant, discriminatoire; toutefois, il s'agit là d'une interprétation forcée de son témoignage qui ne plaide pas en faveur du plaignant.

[102] Le plaignant et la Commission ont indiqué que le système en place, qui prêtait à des abus de la part des contremaîtres et des superviseurs, [TRADUCTION] lassait trop de latitude . Toutefois, cela soulève une autre question, sur laquelle Mme Knorr ne s'est pas penchée dans le cadre de son étude et qui réduit la portée de la présente instruction. Si le système d'attribution des tâches était juste, il ne peut être à l'origine de la discrimination dont M. Hill dit avoir été victime, et la question qu'il faut se poser est la suivante : M. Ryan a-t-il abusé de son autorité? Il existait beaucoup d'hostilité entre les deux hommes, mais la preuve démontre à mon avis que M. Ryan prenait au sérieux ses responsabilités de gestion. Il n'existe pas de preuves convaincantes qu'il ait abusé de sa position.

[103] M. Hill a fait appel de la décision rendue à l'égard de son grief à la section locale de l'AIMTA, qui a soumis la question à l'arbitrage obligatoire. Vincent Ready a été nommé comme arbitre et l'appel a été entendu le 15 septembre 1994. M. Ready était prié de déterminer si les recommandations énoncées dans le rapport Ferguson-Rogers avaient été mises en œuvre de façon appropriée. Le plaignant et la Commission semblent avoir insinué que le syndicat ne s'est pas vraiment empressé de donner suite au grief de M. Hill. Il y a peut-être du vrai dans cette allégation; toutefois, on pourrait facilement interpréter cette situation comme une indication qu'elle n'était pas tout à fait convaincue du bien-fondé du grief.

[104] Le 19 octobre 1994, M. Ready a rendu sa décision, dans laquelle il passait en revue le rapport Ferguson-Rogers et concluait ce qui suit :

[TRADUCTION]

J'ai soigneusement examiné la preuve et les observations des parties. Je suis persuadé que les recommandations [formulées dans le rapport Ferguson-Rogers] constituent une réponse appropriée aux plaintes de M. Hill. Le syndicat n'a pas été en mesure de mettre le doigt sur des faits et gestes ou des omissions de la compagnie qui confirmeraient l'allégation voulant que celle-ci n'ait pas vraiment mis en œuvre les recommandations. Au contraire, je trouve que les deux parties ont appliqué les recommandations dans la mesure où cela était faisable et possible.

[105] M. Ready a fait sien le rapport de Mme Knorr sur l'attribution des tâches et la formation, puis a abordé la question du harcèlement. Bien qu'il n'ait pas reconnu qu'on ait fait la preuve qu'il y avait eu harcèlement, il a affirmé que M. Hill ou tout autre employé était libre de soulever le problème à l'avenir. M. Ready a ordonné que sa décision, les conclusions et recommandations du rapport Ferguson-Rogers et la politique de la compagnie sur le harcèlement soient affichées à l'atelier moteur.

[106] Même si le rapport Ferguson-Rogers est plutôt vague, j'estime qu'il a été une tentative réelle pour examiner les questions soulevées par M. Hill. Si la réponse de la compagnie a été vague, c'est jusqu'à un certain point à cause du ton hésitant du rapport, qui au mieux était provisoire. Le rapport ne contenait pas de recommandations précises qui auraient pu justifier la plainte de discrimination de M. Hill et semblait surtout viser à calmer le plaignant. En fait, le rapport indiquait qu'il n'y avait pas de preuve de discrimination explicite et soulignait simplement l'insensibilité des employés de l'atelier moteur.

ii) Le deuxième grief

[107] Le 29 juillet 1994, M. Hill a présenté son deuxième grief, qui portait sur le rejet de sa candidature pour le poste de planificateur III (maintenance des aéronefs). Dans ce grief, il demandait à rencontrer le jury de sélection. Ce grief a été rejeté, mais M. Clement et M. Hunter ont éventuellement rencontré M. Hill. Après avoir discuté avec eux de l'entrevue et du processus de sélection dans son ensemble, M. Hill a retiré son grief.

iii) Le troisième grief

[108] M. Hill a également soumis un troisième grief en vertu de l'article 39 de la convention collective, alléguant avoir personnellement été victime de harcèlement. Ce grief découlait de la situation qui avait atteint son paroxysme le 18 octobre 1994. Dave Park et Ted Pierre, qui représentaient respectivement le syndicat et la direction, ont tenu des enquêtes distinctes à la fin de janvier 1995. Leurs conclusions ont fait l'objet de recommandations conjointes. Bien qu'ils aient exprimé de la sympathie à l'égard de M. Hill et critiqué la façon dont la réunion avait été gérée, MM. Park et Pierre ont rejeté l'allégation de harcèlement.

[109] Le 10 mars 1995, la compagnie a convoqué à une réunion, dite plénière, les personnes qui avaient été mêlées aux événements du 18 octobre afin de discuter du rapport de MM. Park et Pierre. Y ont assisté MM. Hill, Shelford, Strohmaier, Jureidin, Ryan, Lawrence, Abbing, Cavasin, Park et Pierre. M. Hill a été informé qu'il était libre de revenir à l'atelier moteur. M. Ryan avait été muté à une usine à Tilbury, où se trouvait désormais la ligne des Dash-80. M. Hill a informé les participants qu'il ne reviendrait pas au travail tant que les litiges qui l'opposaient à la compagnie n'auraient pas été résolus. Il a dit que la situation des minorités à l'atelier moteur continuait de le préoccuper et qu'il s'inscrivait en faux contre le rapport Knorr, tout en émettant des doutes à l'égard des programmes offerts aux minorités.

[110] M. Hill a reçu par la suite deux lettres de Canadien l'informant que la compagnie mettrait fin à son emploi si elle ne recevait pas de ses nouvelles. D'après son témoignage, M. Beaudin, de la Human Rights Coalition de la C.-B., a répondu à ces lettres le 17 mai 1996; il aurait alors informé la compagnie que M. Hill ne voulait pas retourner au travail tant que la question ne serait pas réglée. Canadien a éventuellement mis fin à l'emploi de M. Hill en lui faisant parvenir une lettre recommandée en date du 9 octobre 1996. Dans cette lettre, l'intimée affirmait qu'elle avait fermé le dossier et réclamait le remboursement d'une somme d'environ 4 000 $ versée au titre de la rémunération et des avantages sociaux. L'intimée n'a pas accusé réception de la lettre de M. Beaudin.

III. ANALYSE

A. Preuve prima facie

[111] La présente instance ne soulève pas de questions de droit complexes. À la fin de l'audience, j'ai néanmoins abordé la question à savoir s'il était nécessaire de déterminer si le plaignant et la Commission avaient établi l'existence d'une preuve prima facie. Cet aspect exige quelques explications.

[112] Selon la jurisprudence pertinente, le fardeau de la preuve incombe d'abord à la partie plaignante, qui doit établir l'existence d'une preuve prima facie de discrimination. Le cas échéant, on dit habituellement que la partie intimée doit fournir une explication. On a traditionnellement invoquée à l'appui de cette thèse l'affaire O'Malley c. Simpson Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, dans laquelle il s'agissait de déterminer si l'on était en présence d'une exigence professionnelle justifiée. Certains précédents plus récents indiquent qu'il appartient ensuite à la partie plaignante de prouver que l'explication fournie par la partie intimée pour justifier le comportement discriminatoire n'est qu'un prétexte.

[113] Divers problèmes se posent ici. La jurisprudence ne semble pas avoir tenu compte des origines du critère de la preuve prima facie, sur lequel on se fonde pour déterminer si la preuve est suffisante par elle-même. La question qu'il faut se poser est donc la suivante : la partie intimée doit-elle présenter une preuve? Cette question se pose plus naturellement après la présentation de la preuve de la partie plaignante et de la Commission plutôt qu'à la fin des débats. Si la partie plaignante et la Commission n'ont pas établi l'existence d'une preuve prima facie à ce stade-là des procédures, la partie intimée n'a pas à expliquer sa conduite et a droit à un non-lieu. Se pose également la question connexe à savoir si la partie intimée doit décider s'il est opportun de présenter une preuve avant de demander un non-lieu.

[114] La difficulté se pose lorsqu'on a recours au critère de la preuve prima facie à la fin de l'instruction d'une plainte relative aux droits de la personne. Cela peut sembler possible dans une affaire (p. ex., O'Malley) où la partie intimée n'a pas présenté de preuve. Toutefois, il semble qu'on en soit alors à un stade plutôt avancé du processus si l'application du critère vise à déterminer si la preuve est suffisante par elle-même. Cela devient évident si la partie intimée a présenté une preuve, étant donné qu'il est superflu de lui demander d'en produire une si elle l'a déjà fait.

[115] On trouve une analyse de la notion de preuve prima facie dans l'ouvrage The Law of Evidence in Canada. Les auteurs commencent par préciser que cette notion est notoirement vague et peut signifier un certain nombre de choses. Ils établissent également une distinction entre le fardeau de présentation et le fardeau ultime , c'est-à-dire entre soulever une question de droit et prouver un fait. Toute la notion de fardeau est quelque peu trompeuse ici; cependant, je dois dire que l'analyse présentée ne fait que compliquer les choses.

[116] Ils ont précisé dans les observations incidentes formulées dans O'Malley qu'il n'est pas nécessaire que le plaignant et la Commission établissent l'existence d'une preuve prima facie au vrai sens du terme. Ce principe est conforme à la pratique que suivent les cours, qui demandent simplement si une affaire donnée doit être soumise au jury et recevoir leur attention. Le passage original suivant prélevé au paragraphe 28 - très conditionnel - de l'arrêt O'Malley (précité) fait clairement ressortir cet élément :

La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de l'intimé. (les italiques sont ajoutés)

Selon mon interprétation de cet extrait, le Tribunal n'a pas à déterminer à ce moment-ci s'il ajoute foi aux allégations. La décision à savoir si l'existence d'une preuve prima facie a été démontrée implique simplement, du moins selon l'arrêt O'Malley, de déterminer si les éléments essentiels de la preuve ont été établis.

[117] Compte tenu de cette interprétation, on pourrait penser que le Tribunal peut encore parfaitement rejeter la preuve présentée par la partie plaignante et classer l'affaire. Je dis cela parce que le critère ordinaire de la preuve prima facie n'exige pas d'apprécier la preuve, du moins dans le cours normal de l'instruction. Si le Tribunal passe simplement à l'examen de la preuve de la partie intimée, une des étapes normales du processus habituel d'appréciation de la preuve est annulée et la preuve présentée par la Commission et la partie plaignante n'est pas sujette à une analyse selon la prépondérance des probabilités. C'est un résultat de la décision d'appliquer le critère de la preuve prima facie à la fin de l'audience plutôt qu'après la présentation de la preuve par la partie plaignante et la Commission.

[118] Il semble y avoir deux possibilités. La première est qu'il en résulte simplement un transfert de la partie plaignante à la partie intimée du fardeau de prouver les allégations selon la prépondérance des probabilités. Comme l'a affirmé sans ambage le juge McIntyre au par. 28 de l'arrêt O'Malley, la commission d'enquête a commis une erreur en attribuant à la Commission le fardeau de la preuve. . L'autre possibilité est qu'il y ait déplacement du fardeau; cela signifierait que le critère de la preuve prima facie appliqué à la fin de l'instruction d'une plainte déposée auprès de la Commission est un critère de fond et exige que la partie plaignante prouve ses allégations selon la prépondérance des probabilités. Je ne suis pas certain que la question ait été tranchée, même si la notion de déplacement du fardeau de la preuve ait été un sujet d'inquiétude au sein des cours du fait qu'elle embrouille la question à savoir où réside le fardeau ultime, qui incombe normalement à la partie qui engage l'action.

[119] Je suis conscient du fait que la cour, dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, déclare que le fardeau se déplace mais elle ne traite pas directement de la question. Je suis enclin à croire que, selon l'arrêt O'Malley à tout le moins, le fardeau de la preuve dans la plupart des cas de discrimination incombe à la partie intimée. S'il en est ainsi, c'est parce que c'est l'employeur qui est le mieux placé pour prouver l'existence d'une contrainte excessive. J'hésite néanmoins à admettre que la Cour suprême avait l'intention de modifier le fardeau de la preuve dans un cas où le Tribunal n'est pas saisi de ce genre de question. Cela m'amène à l'affaire qui nous occupe, dans laquelle le litige entre les parties était remarquablement simple.

[120] Le plaignant et la Commission ont prétendu qu'il y avait eu discrimination et harcèlement. L'intimée s'est inscrite en faux contre cette prétention. Si le critère de la preuve prima facie a été appliqué dans des cas où la partie plaignante n'a pas obtenu le poste convoité, c'est parce que l'employeur était responsable de superviser le concours et était partie intéressée au processus décisionnel. Cela n'est pas une considération importante dans le cas qui nous occupe, où il s'agit pour moi, en réalité, de déterminer si le plaignant et la Commission ont établi le caractère crédible de leurs prétentions. Pour ce faire, je dois apprécier la preuve.

[121] Il s'agit en fin de compte de déterminer si le fardeau de la preuve devrait incomber au plaignant ou à l'intimée, et si le critère de la preuve prima facie devrait être appliqué dans une affaire où il ne semble pas y avoir de raison de le faire. En dernière analyse, je ne crois pas qu'il soit possible de déroger aux règles de preuve habituelles, en l'absence de directives plus claires des cours. L'arrêt O'Malley étaie dans une certaine mesure cette prise de position. Au paragraphe 28, le juge McIntyre déclare :

Par conséquent, je suis d'accord avec la commission d'enquête pour dire que chaque cas se ramène à une question de preuve et donc que, dans ces affaires comme dans toute autre instance civile, il doit y avoir reconnaissance et attribution claires et nettes du fardeau de la preuve. À quoi doit-il incomber? Suivant la règle bien définie en matière civile, ce fardeau incombe au demandeur. Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Je ne puis dire si la règle habituelle a été adoptée initialement pour décourager les litiges. Cependant, ce n'est pas notre rôle ici de traiter des justifications; au surplus, la règle fondamentale est trop enracinée dans notre système juridique pour qu'on puisse l'écarter facilement.

[122] Je suis conscient du fait que cela semble créer différents fardeaux dans différents cas. Dans le cas d'une allégation de discrimination simple et d'un rejet simple, le fardeau de la preuve continue d'incomber à la partie plaignante et à la Commission. Si, en revanche, l'employeur invoque la contrainte excessive, le fardeau semble appartenir à la partie intimée. À mon avis, je n'ai d'autre choix, cependant, que de m'en tenir à l'affaire dont je suis saisi. En l'espèce, il ne s'agit pas de déterminer si l'existence d'une preuve prima facie a été établie et si, le cas échéant, une réplique s'impose. Il s'agit de déterminer si le plaignant et la Commission ont prouvé leurs allégations. S'il y a vraiment déplacement du fardeau de la preuve dans le cas d'une instruction relative aux droits de la personne, on semble ici être en présence d'une affaire où la preuve présentée par la partie intimée a rapport au premier fardeau plutôt qu'au second.

[123] Je crois que ma première obligation est de préciser la méthode que j'ai suivie pour évaluer la preuve qui m'a été présentée. À mon avis, la question fondamentale que pose la preuve en l'espèce consiste à déterminer si le plaignant et la Commission ont établi, au regard de l'ensemble de la preuve, s'il y a eu discrimination ou harcèlement. D'après ce que je comprends, la preuve présentée par l'intimée visait à nier une telle conclusion et non à prouver un ensemble distinct d'affirmations. La seule question en ce qui touche l'intimée consiste à déterminer s'il a présenté une preuve suffisante pour compenser toute prépondérance de preuve du côté de la partie adverse. La plupart des questions à examiner en l'espèce ont trait à la crédibilité des témoins ordinaires.

[124] Dans les circonstances, je ne vois pas à quoi il servirait de déterminer si le plaignant et la Commission ont établi l'existence d'une preuve prima facie. Il n'est tout simplement pas nécessaire de se livrer à un tel examen : les litiges entre les parties résident dans le fond de la plainte et la question liminaire ne se pose simplement pas. Cela n'empêche pas pour autant l'intimée de prétendre, du moins pour la forme, que le plaignant et la Commission n'ont pas établi l'existence d'une preuve prima facie. Par ailleurs, cela n'ajoute ni n'enlève rien à la tâche qui m'incombe, soit déterminer si le plaignant et la Commission ont prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu discrimination ou harcèlement.

B. Discrimination

[125] Je suis saisi de deux plaintes. Dans la première, le plaignant allègue l'existence d'une tendance à la discrimination contre M. Hill. On peut voir cette tendance dans l'attribution des tâches sur la ligne des Dash-80, dans la répartition des tâches temporaires, dans la décision d'attribuer le poste de planificateur III à quelqu'un d'autre et dans la façon générale de traiter les minorités à l'atelier.

i) La preuve générale

[126] Il y avait une allégation générale de discrimination. Me Ash a prétendu que les meilleures affectations étaient attribuées à la crème , c'est-à-dire aux employés qu'on préparait à des promotions. Les mécaniciens qui faisaient partie d'une minorité visible étaient exclus de ce processus, présumément en raison de leur race. Le plaignant et la Commission ont fait appel aux témoignages d'autres témoins, qui ont présenté une preuve circonstancielle de discrimination et de harcèlement dans le milieu de travail. Les avocats ont qualifié ces témoignages de preuve de faits similaires . Par exemple, Carl Hibbert a affirmé dans son témoignage qu'il avait été victime de discrimination lorsqu'il avait postulé des postes de rang plus élevé.

[127] À mon avis, le terme preuve de faits similaires ne convient pas tout à fait en l'espèce; en effet, je ne suis pas persuadé que les expériences vécues par M. Hill ressemblaient vraiment à celles d'autres employés. Il n'existe pas, par exemple, de preuves indiquant que M. Ryan faisait montre de la même hostilité envers d'autres mécaniciens. Les installations de motopropulsion étaient un vaste lieu de travail, et il est dangereux de généraliser de cette façon, du moins en l'espèce. La ligne des 737 était un milieu très différent de celui de la ligne des Dash-80 ou des secteurs à forte concentration de membres des minorités visibles.

[128] Néanmoins, selon la jurisprudence, la preuve circonstancielle peut aider à déterminer s'il y a eu discrimination. Cette situation découle du fait qu'il est souvent difficile de présenter des preuves directes de discrimination. Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Chopra, [1998] C.F. no 432, par exemple, le juge Richard a soutenu qu'on pouvait s'appuyer sur la preuve statistique concernant la répartition des membres des minorités au sein du lieu de travail pour conclure que la partie plaignante avait été l'objet de discrimination (1). Bien que certains témoignages aient été présentés quant à la répartition des membres des minorités visibles chez Canadien, Mme Knorr a indiqué dans sa déposition qu'il n'existait pas de données fiables du fait que le syndicat décourageait les employés de remplir les formulaires pertinents.

[129] La décision Chopra est néanmoins utile pour établir l'importance de la preuve contextuelle. Au paragraphe 22, le juge Richard soutient que des éléments de preuve à caractère général d'un problème systémique peuvent être admis comme preuve circonstancielle de discrimination. Cela va bien au-delà de l'admissibilité de preuves statistiques et comprend le témoignage personnel d'autres employés qui peuvent avoir souffert de la même tendance à la discrimination. Il s'ensuit que la preuve générale de discrimination au sein du milieu de travail peut être utile pour déterminer s'il existe une preuve dans un cas particulier.

[130] Le problème est que la majeure partie de cette preuve, en l'espèce, était vague et fondée sur des impressions. Il s'agissait surtout d'opinions personnelles. De plus, elle était sélective, comme l'a clairement indiqué la preuve concernant la formation qui était donnée aux mécaniciens de Canadien. La formation en question semble avoir été donnée avant 1992, soit il y a plus de dix ans, et les témoignages étaient vagues. Bien qu'il puisse y avoir eu favoritisme dans le choix des employés qui recevaient cette formation, il est très difficile de déterminer aussi longtemps après le fait si les allégations étaient un tant soit peu fondées. Je peux comprendre les soupçons du plaignant et de la Commission, mais le doute n'est pas une preuve.

[131] Le plaignant et la Commission peuvent naturellement estimer que Canadien a profité du fait qu'elle n'a pas déterminé le nombre de membres des minorités visibles au sein de son effectif. Je suis néanmoins disposé à admettre la preuve fondée sur des impressions que la représentation des minorités visibles aux échelons supérieurs était nettement faible vers la fin des années 80 et le début des années 90. Toutefois, je ne suis pas prêt à conclure à partir de cela que M. Hill a été l'objet de discrimination dans ses propres tentatives pour obtenir de l'avancement. Si je dis cela, c'est parce que l'ensemble de la preuve démontre que les difficultés auxquelles M. Hill a fait face étaient attribuables à ses propres faits et gestes.

[132] La Commission a aussi cité Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. 5029 (T.C.D.P.) et Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. 12 (C.A.F.) comme sources à l'appui du principe qu'il est suffisant que la question raciale ait été un des facteurs ayant contribué à la situation déplorée par M. Hill. J'admets ce principe qui, toutefois, n'est pas utile en l'espèce. À mon avis, le conflit de personnalité qui s'est développé entre M. Hill et M. Ryan n'était pas attribuable à la race du plaignant, quelles que soient les opinions racistes que M. Ryan pouvait avoir. Il était plutôt le résultat de l'attitude de M. Hill à l'égard de son travail, de son ressentiment à l'égard de l'autorité et de sa tendance à blâmer les autres pour ses problèmes.

[133] Dans les circonstances, je ne suis pas prêt à assimiler les expériences d'autres mécaniciens à celles de M. Hill. Comme le Tribunal l'a déclaré dans Swan c. Canada (Forces armées canadiennes) (1994) 25 C.H.R.R. 312 (par. 30), il doit y avoir un lien entre la preuve contextuelle et la question dont il est saisi. Je me retrouve à peu près dans la situation où était le Tribunal dans cette instance-là, où on a soutenu que les témoignages concernant les allégations d'autres personnes n'ajoutent pas à la preuve présentée par le plaignant. En outre, il faut également faire preuve de circonspection lorsqu'on s'appuie sur une preuve circonstancielle, particulièrement dans les cas où d'autres facteurs peuvent expliquer ce qui s'est produit.

[134] En l'espèce, la règle énoncée dans l'affaire Hodge (affaire criminelle) semble pertinente. En vertu de cette règle, un individu ne peut être condamné sur la foi d'une preuve circonstancielle, à moins que cette preuve soit en contradiction avec toute autre explication rationnelle . Le plaignant et la Commission ont produit un extrait de la page 141 de l'ouvrage Proving Discrimination in Canada, dont l'auteur s'inscrit en faux contre une décision ontarienne et prétend que la règle n'est pas pertinente dans une affaire où la norme civile de preuve s'applique (2). Toutefois, j'oserais prétendre que l'origine du critère est liée davantage à la fragilité inhérente de la preuve circonstancielle qu'au fardeau de la preuve.

[135] À mon avis, il est suffisant en l'espèce de dire qu'un tribunal devrait hésiter à se prononcer contre l'intimée sur la foi d'une preuve circonstancielle, alors qu'il existe une autre explication possible et raisonnable à la théorie voulant que le plaignant ait été l'objet de discrimination ou de harcèlement. L'effet général préjudiciable d'une preuve de faits similaires est bien reconnu : bien que les règles de preuve aient été assouplies dans le contexte des droits de la personne, la jurisprudence soutient qu'une telle preuve est admissible uniquement lorsque la valeur probante excède le préjudice qu'elle est susceptible de causer. Voir Mehta c. MacKay (1990), 15 C.H.R.R. 232 (Division d'appel de la N.-É.) et Hewstan c. Auchinlek (1997), 29 C.H.R.R. 309 (T.C.D.P.), p. 313.

[136] Une autre question se pose dans le contexte de la preuve générale de discrimination. Les avocats ont soutenu que les questions systémiques entourant le milieu de travail ont été portées à l'attention de la compagnie lorsque M. Hill a présenté son premier grief, créant ainsi une obligation générale de corriger la situation. Bien qu'il y ait eu un certain nombre d'enquêtes, le plaignant et la Commission ont prétendu que l'intimée n'a pas accordé à cette question l'importance qu'elle méritait et n'y a pas donné suite de façon diligente. Pour reprendre la formule employée par Me Fakirani, on [TRADUCTION] laissait constamment passer l'occasion .

[137] Je conviens que la question de la discrimination et celle du harcèlement ont été portées à l'attention de l'employeur et qu'il en a résulté une obligation de faire enquête et de remédier aux problèmes qui existaient dans le milieu de travail. Cependant, je ne suis pas d'accord pour dire que l'employeur a manqué à son devoir de diligence raisonnable. J'admets que les tentatives de la compagnie pour régler ces questions n'ont peut-être pas reçu autant d'attention que d'autres problèmes. Des efforts réels et importants ont toutefois été déployés. J'accepte les conclusions du rapport Ferguson-Rogers, la décision de l'arbitre Ready et le bref rapport de Mme Knorr sur les tâches temporaires. En outre, je crois que le plaignant et la Commission n'ont pas tenu compte des tentatives sincères de la direction pour composer avec M. Hill après l'incident du 18 octobre 1994.

[138] J'ajouterais que l'employeur a l'obligation d'assurer un milieu de travail exempt de discrimination et de harcèlement et que ce devoir de diligence raisonnable s'étendait aux vastes problèmes que comportait le milieu de travail. Cependant, les seules plaintes dont je suis saisi sont les plaintes personnelles de M. Hill, qui ont pris initialement la forme de griefs. Le résultat de ces griefs a été loin d'être parfait; toutefois, il a été plus que suffisant à mon avis pour satisfaire au devoir de diligence raisonnable de l'employeur. Je ne crois pas qu'il y ait des raisons de soulever le principe de la responsabilité du fait d'autrui, qui n'est pas un élément important en l'espèce.

ii) L'emploi du terme Nig Nog

[139] Il est également allégué que M. Ryan a qualifié M. Hill de Nig Nog . Le Oxford English Dictionary et le Oxford Dictionary of Modern Slang donnent pour ce terme deux acceptions, qui confirment les positions présentées par les parties. Selon M. Ryan, ce terme est utilisé dans le Lancashire et signifie sot . Il semble que c'était là, à l'origine, le sens du terme qui est peut-être apparenté au mot noggin (ciboulot). La connotation raciste semble résulter d'une déformation du sens initial du terme, qui désigne les nouveaux arrivants ou les immigrants qui ne sont pas de race blanche; il ne fait aucun doute que l'effet créé par ce terme tient en partie à sa ressemblance avec le terme anglais nigger . Si M. Ryan tentait de trouver une façon subtile de provoquer M. Hill, il a certainement réussi.

[140] J'accepte l'affirmation de M. Hill voulant qu'il se soit offusqué de l'emploi de ce terme par M. Ryan. Toutefois, il n'existe pas vraiment de preuve, hormis le témoignage du plaignant, que M. Ryan a utilisé ce mot après que M. Hill eut trouvé à redire sur son emploi. Je suis disposé à accepter la parole de M. Ryan qu'il a cessé d'utiliser ce terme. Bien qu'on puisse avoir de sérieux doutes, il serait exagéré à mon avis de conclure, au regard de la preuve, que M. Ryan a employé le terme comme épithète raciste. Tout compte fait, M. Ryan était un homme prudent dans ses rapports avec ses supérieurs et les mécaniciens de son équipe. Il n'était pas dans ses habitudes d'utiliser des termes ayant une connotation nettement raciste lorsqu'il s'adressait à ses employés.

iii) Les tâches temporaires

[141] Voyons maintenant ce qui en est de l'allégation selon laquelle M. Hill faisait l'objet d'une discrimination dans l'attribution des tâches temporaires. À cet égard, je me sens obligé de dire que ce n'est pas mon rôle que de décider comment doit être géré un lieu de travail. C'est la prérogative de la direction. Il ne fait aucun doute que l'attribution des tâches dans les ateliers d'usinage était laissée à la discrétion de chaque contremaître et n'était pas fondée sur un système très structuré. L'intimée a fait valoir que c'était un aspect inévitable des nécessités du service dans les ateliers. De toute évidence, les superviseurs étaient appelés dans maintes situations à user de leur jugement dans l'établissement des priorités et l'attribution des tâches.

[142] Le plaignant et la Commission se sont arrêtés à la méthode utilisée par M. Ryan pour affecter les mécaniciens au secteur H. Dans son témoignage, M. Ryan a indiqué qu'il était souvent appelé à envoyer des employés à l'atelier d'usinage des pales. Il s'agit là à mon avis d'une tentative pour s'absoudre de toute responsabilité, car il ne fait aucun doute qu'il avait un gros mot à dire dans ces décisions. Lorsqu'il lui fallait exercer son jugement, il dépêchait les mécaniciens qui travaillaient à des tâches peu urgentes. Il est évident, par ailleurs, qu'il n'avait pas une haute opinion des compétences de M. Hill en tant que mécanicien et qu'il estimait que ce dernier n'était pas en mesure d'accomplir les tâches importantes.

[143] La Commission et le plaignant ont prétendu qu'on aurait dû tenir un registre des tâches temporaires. Dans leur plaidoyer écrit, ils ont formulé la remarque suivante :

[TRADUCTION]

La Commission et le plaignant soutiennent que le système ne peut être géré de façon adéquate en l'absence de politiques et de procédures écrites décrivant le fonctionnement du système, et sans des dossiers permettant de tenir à jour les renseignements au sujet du système. Un système non documenté n'est guère de nature à rassurer les employés, qui n'ont d'autre choix que de s'en remettre au bon vouloir et à la mémoire de leurs superviseurs. Ce genre de système est arbitraire et rend le suivi difficile. La Commission et le plaignant estiment qu'un tel système entrave sérieusement tout effort visant à assurer une attribution de façon juste et équitable des tâches.

J'admets qu'on aurait dû tenir un registre des tâches temporaires, du moins dans un cas comme celui-ci où l'attribution du travail était un sujet de controverse.

[144] Cependant, je rejette la thèse selon laquelle tous les mécaniciens auraient dû être traités sur un pied d'égalité du point de vue de l'affectation des tâches les moins intéressantes. Cela aurait miné le rôle des contremaîtres et des superviseurs, qui avaient le droit, voire le devoir, de gérer l'atelier au meilleur de leur jugement. Un contremaître a le droit de confier à ses meilleurs mécaniciens les tâches les plus importantes ou les plus difficiles et d'affecter les mécaniciens moins expérimentés et compétents à des tâches comme l'équilibrage, l'inspection et le réusinage des pales. Il y va de la sécurité du transport aérien. L'employeur a le droit de s'en remettre à l'évaluation subjective d'un contremaître pour déterminer la meilleure façon d'attribuer les tâches aux mécaniciens. Il n'appartient pas au Tribunal de préciser ce genre de détails; il n'a pas les connaissances nécessaires pour ce faire.

[145] Cela ne signifie pas que l'employeur peut exercer une discrimination à l'égard des mécaniciens moins expérimentés, qui ont le droit de jouir des possibilités nécessaires pour progresser dans leur carrière. Il faut atteindre un équilibre entre les divers intérêts. On doit se demander s'il existe des preuves concrètes qu'un contremaître a profité de la situation pour favoriser certains mécaniciens et en punir d'autres. L'existence d'un registre peut aider à déterminer cela mais n'est pas déterminante à cet égard. On n'a pas vraiment contesté le nombre de fois que M. Hill a été affecté au secteur H; comme sa situation était unique, je ne vois pas comment un registre pourrait faire une différence dans mon évaluation des faits.

[146] Les choses éphémères de la vie quotidienne prennent un sens ou un autre, selon le côté où l'on est. Un grand nombre d'activités courantes de la vie quotidienne revêtent un aspect sinistre, si l'on a tendance à les voir sous cet angle. Ainsi, M. Hill a indiqué dans son témoignage qu'on lui confiait toujours les [TRADUCTION] sales besognes, celles qui exigeaient l'emploi de lubrifiants et d'autres produits dangereux pour la santé. En revanche, M. Radominski a affirmé lors de son témoignage que M. Hill n'aimait pas se salir les mains. Aussi utilisait-il les lubrifiants avec tellement de parcimonie qu'il était presque impossible de séparer certaines pièces qu'il avait assemblées. Cette situation posait problème lorsqu'il fallait refaire le travail. La question qui se pose est la suivante : la prétention de M. Hill était-elle le reflet d'une perception ou de la réalité?

[147] Je ne suis pas persuadé au regard de l'ensemble de la preuve que M. Hill ait fait l'objet d'une discrimination du point de vue de la répartition des tâches temporaires. Par rapport au reste de la preuve, les témoignages à cet égard relevaient davantage de la spéculation. Entraient en ligne de compte dans le processus décisionnel beaucoup d'éléments, dont certains peuvent être attribués à M. Hill. J'accepte, par exemple, le témoignage d'un certain nombre de témoins qui ont indiqué que M. Hill ne faisait pas preuve d'autant d'initiative que certains autres mécaniciens. Plutôt que de travailler, il attendait qu'on lui confie des tâches. Cela le rendait plus vulnérable, car il était plus à la merci du contremaître et risquait davantage être affecté à des secteurs périphériques.

[148] Bien que l'un des objectifs du processus des droits de la personne soit d'éduquer les employeurs et les employés, notre Constitution protège la liberté de conscience et il ne m'appartient pas de réglementer les opinions personnelles des individus. L'aveu de M. Ryan qu'il n'a pas de points de vue racistes ne me convainc pas. Néanmoins, la preuve qui m'a été présentée indique qu'il a réussi à les garder suffisamment pour lui afin de préserver l'intégrité de ses décisions concernant l'affectation des tâches. Je ne puis aller au-delà de cela. À mon avis, il est clair que M. Ryan était conscient de l'autorité et savait que ses supérieurs étaient sensibles à la question de la discrimination.

[149] L'intimée a fait valoir que la méthode d'attribution des tâches temporaires était bien adaptée aux nécessités du service. M. Shelford était d'avis qu'il avait sincèrement examiné la question en demandant à Mme Knorr de produire un rapport; il en est venu à la conclusion que le système d'attribution des tâches était juste et équitable. M. Strohmaier a abondé dans le même sens. Je ne puis dire que ces conclusions étaient déraisonnables. Il aurait été impossible de faire fonctionner efficacement l'atelier moteur sans l'attribution de tâches temporaires. Il est évident que les règles habituelles d'attribution du travail devaient parfois faire place à des méthodes ad hoc.

C. Le poste de planificateur III

[150] Passons maintenant à la candidature de M. Hill au poste de planificateur III. Les conditions fondamentales à remplir pour prouver qu'un employeur a exercé une discrimination dans l'attribution d'un poste sont énoncées dans Shakes c. Rex Park (1982), 3 C.H.R.R. D/1001 (Comm. d'enq. de l'Ont.), à la p. D/1002 :

Dans une plainte relative à un emploi, la Commission établit habituellement qu'il s'agit d'une preuve suffisante à première vue, en prouvant :

  1. que le plaignant avait les qualifications pour l'emploi en cause,
  2. que le plaignant n'a pas été embauché, et
  3. qu'une personne qui n'était pas mieux qualifiée, mais qui n'avait pas le trait distinctif à l'origine de la plainte auprès de la Commission des droits de la personne (race, couleur, etc.) a obtenu le poste. Si la Commission réussit à prouver ce qui précède, il incombe alors au mis en cause de fournir une explication …

Il ne sert à rien de débattre ce genre de questions en l'espèce. Je ne suis pas persuadé que le plaignant avait les qualifications nécessaires pour le poste de planificateur III. J'admets qu'il répondait aux critères d'admissibilité; toutefois, selon les témoignages de MM. Clement et Hunter en particulier, il s'est montré un candidat piètre et inexpérimenté.

[151] Le fait que la personne qui a obtenu le poste ne semblait pas posséder les qualifications nécessaires vient compliquer les choses. M. Hunter a reconnu le problème, mais cela ne signifie pas pour autant, compte tenu des circonstances entourant cette plainte, que M. Hill ait été victime de discrimination raciale. La preuve prouve qu'il en est autrement : abstraction faite du fait qu'il n'avait pas les connaissances voulues pour le poste de planificateur III, je dois dire que l'attitude de M. Hill au travail, aspect qui est ressorti lors de son entrevue, l'aurait probablement empêché d'obtenir des postes plus élevés. Je suis conscient du fait qu'il voit peut-être cela comme le prix à payer pour contester une direction passive, mais c'est là une opinion partiale et je ne puis qu'affirmer que son attitude générale à l'égard du travail lassait vraiment à désirer.

D. Le harcèlement

[152] Il n'est point nécessaire d'analyser en profondeur la législation sur le harcèlement. L'intimée a cité la décision Dhanjal c. Air Canada (1996) 28 C.H.R.R. 367 (TCDP), (1996), confirmée par [1997] A.C.F. no 1599 (C.A.F.), qui indique que le harcèlement doit être persistant et fréquent. Le harcèlement réside essentiellement dans la création d'un climat de travail hostile qui porte atteinte à la dignité personnelle du plaignant. Il empoisonne le milieu de travail, le prive de sa neutralité et humilie la personne harcelée. Quiconque harcèle un plaignant manque à son obligation de respecter la dignité fondamentale de la personne.

[153] Le droit établit une distinction entre le fondement subjectif et le fondement objectif du harcèlement. Ainsi qu'il est précisé au paragraphe 210 de la décision Dhanjal, il faut appréhender la gravité d'une conduite contestée sous l'angle de la victime . Par ailleurs, le Tribunal doit se fonder sur le point de vue d'une victime raisonnable. Au paragraphe 213, le Tribunal déclare ce qui suit :

Plusieurs facteurs peuvent entrer en ligne de compte dans l'évaluation de la raisonnabilité du comportement reproché. À cet égard, nous partageons l'avis de Me Pentney lorsqu'il affirme dans son ouvrage Tarnopolsky et Pentney, Discrimination and the Law, (Toronto, De Boo, 1985 et suppl. cumulatifs), p. 8-31 et 8-32, ceci :

Les limites normales de l'interaction sociale dans les circonstances constituent l'élément fondamental dont il faut tenir compte lorsque nous appliquons ce critère […]

Plusieurs facteurs sont pertinents aux fins de l'évaluation des limites de l'interaction sociale raisonnable , notamment la nature de la conduite en cause, le milieu de travail, le type d'interaction personnelle entre les parties dans le passé et l'existence d'une objection ou d'une plainte.

L'affaire dont je suis saisi déborde ce cadre, car il ne fait aucun doute dans mon esprit que le plaignant a dépassé les limites de l'interaction raisonnable. Cela semble être l'élément déterminant en l'espèce.

[154] Il existait chez Canadien une politique sur le harcèlement en milieu de travail, qui était relativement générale et qui précisait que les insultes et commentaires racistes [TRADUCTION] portant atteinte à la dignité d'une personne ou d'un groupe seraient considérés comme du harcèlement. Cela ne signifie pas que l'employeur devait assurer un milieu de travail parfait. Il était inévitable, compte tenu des antécédents, du niveau d'éducation et de la nature de l'effectif, que les échanges quotidiens entre employés comportent certains commentaires crus ou grivois. Le témoignage de M. Cavasin, bien que livré dans l'auguste enceinte d'un tribunal, illustre bien ce point. Ce n'était pas une partie de plaisir.

[155] On a beaucoup fait état du fait que le poste de coordonnateur de la politique sur le harcèlement n'a jamais été officiellement doté et que la compagnie n'avait pas d'agents qui s'occupaient de cette politique. Les employés de l'atelier moteur n'étaient pas conscients de l'existence du poste en question et j'admets que la politique sur le harcèlement n'a jamais été appliquée comme elle aurait dû l'être. Cela ne veut par dire pour autant, toutefois, que Canadien a manqué à son obligation de prévenir le harcèlement en milieu de travail. Il serait plus exact à mon avis de dire que Canadien avait de la difficulté à faire face à toutes ses obligations, dont la plupart avaient rapport à la survie même de l'entreprise. Dans son témoignage, Mme Knorr a affirmé qu'elle avait joué le rôle de coordonnatrice de la politique et s'était occupée de certaines questions à régler. Bien que la compagnie ait été loin d'avoir une conduite exemplaire, je suis persuadé qu'elle a fait une tentative sérieuse, bien que limitée, pour lutter contre le racisme en milieu de travail, ainsi qu'en attestent les efforts qu'elle a faits en réaction aux plaintes de M. Hill. Quels que soient les problèmes auxquels elle s'est heurtée, la compagnie a fait à mon sens un effort sincère pour examiner le bien-fondé de ses plaintes.

[156] Je n'ai point l'intention de tenter de déterminer dans quelle mesure les graffitis dans les salles de bains étaient de nature raciste. Il est suffisant de dire que le racisme était l'un des thèmes illustrés. Rien n'indique qu'il y avait ailleurs un sérieux problème de graffitis; par ailleurs, certains éléments de preuve indiquent que la direction a pris des mesures pour enrayer le problème. Je ne vois pas non plus de raison d'analyser la fréquence à laquelle les salles de bains étaient repeintes. Il est vrai que M. Shelford n'a pas été capable de le faire aussi souvent qu'il l'aurait voulu en raison des restrictions budgétaires. Il reste cependant que la direction a tenté de régler le problème. Dans son témoignage, M. Shelford a également indiqué qu'il avait abordé celui-ci lors d'une réunion avec les employés et d'entretiens avec les superviseurs et les contremaîtres. Les gestes posés par l'employeur étaient sérieux et sincères.

[157] En tout état de cause, la preuve à cet égard porte sur des problèmes plus systémiques qui semblent être davantage au cœur de la plainte. Elle fournit un important contexte, qui est utile pour examiner les origines de la plainte de M. Hill; cependant, je dois dire qu'elle ne permet pas d'expliquer la série d'événements qui a finalement entraîné la cessation de son emploi. Voilà qui nous ramène à la question du lien. La preuve est accablante : M Hill a créé lui-même les problèmes auxquels il a fait face. L'intimée a insisté sur le fait que le plaignant ne s'était pas plaint des graffitis ou des insultes racistes avant son départ de chez Canadien et avant que la compagnie établisse un dossier contre lui. Je soupçonne que le recul a joué un rôle dans toute cette affaire, mais je ne suis pas persuadé que le plaignant était particulièrement la cible d'inconvenances racistes.

[158] La quasi-totalité de la preuve de harcèlement personnel a été présentée par le plaignant. M. Hill a indiqué dans son témoignage que Gordy White, Bill Davidson, Herb Pierce et M. Ryan utilisaient tous un langage raciste ou des épithètes racistes à son endroit. Je n'admets pas que M. Ryan ait fait cela; en ce qui concerne les autres individus, à l'exception de Herb Pierce, les éléments de preuve étaient fragmentés et n'ont pas été corroborés. Le seul individu qui, selon les allégations, aurait proféré des commentaires racistes méprisants à l'endroit de M. Hill sur la ligne des Dash-80 était M. Pierce. Rien n'indique qu'il existait une telle tendance générale chez les autres mécaniciens. J'ai déclaré qu'il est clair dans mon esprit que les employés sont devenus beaucoup plus sensibles au problème au fil du temps.

[159] Bien que je soupçonne que les minorités ne soient pas traitées avec le respect et la dignité qu'elles méritent, je crois que le problème était plus général. La preuve démontre que de nombreux mécaniciens n'étaient pas respectueux à l'égard des autres employés. Cette remarque s'applique également à M. Hill. Je suis convaincu, en outre, que le problème était plus aigu si on remonte dans le temps. Il ne fait aucun doute qu'il était courant à l'atelier de proférer des commentaires offensants. Certains de ces commentaires revêtaient un caractère sexuel; d'autres étaient de nature raciste. Maints commentaires étaient scatologiques. C'est peut-être de la naïveté de ma part, mais le manque général de respect mutuel chez les mécaniciens m'étonne. Les témoignages d'un certain nombre de mécaniciens ont fait ressortir qu'il y avait beaucoup de harcèlement à l'atelier. Ce genre de comportement aide beaucoup à expliquer certaines formes d'humour plutôt offensantes qui avaient cours à l'atelier, qui étaient manifestement humiliantes pour ceux qui en étaient la cible.

[160] Cette situation était peut-être jusqu'à un certain point inévitable, compte tenu des antécédents, du niveau d'éducation et de la nature de l'effectif. Bien qu'on ait affirmé lors de témoignages que les ateliers d'usinage demeuraient productifs, on ne peut guère douter que l'incertitude qui existait au sujet de l'avenir de la compagnie exacerbait cet aspect. Mme Knorr a affirmé dans son témoignage que cette situation créait d'énormes pressions chez tous les employés. Cela n'excuse pas les comportements déplacés mais permet de les situer en contexte. Au paragraphe 80 de la décision Dhami c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) (1989), 11 C.H.R.R. 253 (TCDP), on peut lire que des facteurs comme le malaise résultant des pressions exercées au moment d'une réorganisation et d'une intégration peuvent être pertinents lorsqu'il s'agit d'évaluer si un plaignant a été la cible d'un comportement motivé par une attitude raciste.

[161] Il est évident que les mécaniciens truffaient leurs échanges de tout ce qui semblait offensant, comme le font les adolescents qui défient les normes habituelles de courtoisie. La preuve démontre, par exemple, qu'un mécanicien d'origine chinoise se qualifiait lui-même de chinetoque . C'est comme si on cherchait à repousser le plus loin possible les limites du civisme, au profit d'une forme de sport plutôt douteuse. M. Hill a participé, avec un certain plaisir, semble-t-il, à ce jeu auquel on s'adonnait. Je me rends bien compte que le mécanicien qui a été décrit comme un fourreur de chiens sur le formulaire d'évaluation de rendement était sans doute l'un de ceux qui ont formulé des commentaires racistes. Par ailleurs, il est vrai que les commentaires inscrits sur le formulaire n'ont rien de raciste. Toutefois, ces considérations ne semblent pas pertinentes; M. Hill ne peut se conduire de cette façon et espérer pouvoir, comme d'autres, recourir aux bons offices du Tribunal.

[162] Franchement, le plaignant ne peut s'inscrire en faux contre un comportement dans lequel il semblait se complaire. Il faut regarder les choses en face. S'il était offensé par des commentaires racistes mais se plaisait à affubler les gens de sobriquets sexistes tels que vieille paire de tétons et pelote débile , M. Hill se montrait simplement sélectif quant à la forme de dénigrement. Il importe de noter qu'il y avait des femmes au sein de l'effectif. J'accepte le témoignage de M. Ghuman selon lequel M. Hill se plaisait à employer ce genre de termes en présence des individus auxquels il s'adressait. Il s'agit là en soi d'une forme de harcèlement qui mine la dignité de la personne. La situation en l'espèce diffère de celle décrite dans Swan c. Canada (Forces armées) - précitée - où le plaignant a admis qu'il ne trouvait pas offensants certains commentaires racistes qui lui étaient adressés sur un ton moqueur.

[163] Dans Swan, le Tribunal a conclu que le fait que le plaignant participe lui-même au comportement raciste ne justifie pas pour autant ce comportement. Je conviens que ce genre de comportement est inacceptable et, partant, injustifiable, quel que soit le degré de consentement. Il faut établir une distinction entre les situations où l'on se sent obligé de participer à ce genre de comportement même si cela est contre sa nature, et celles où l'on y participe volontairement. L'obligation de respecter la valeur et la dignité de la personne est réciproque; à mon avis, il faut appliquer en quelque sorte dans le domaine des droits de la personne une doctrine exigeant une conduite irréprochable, du moins pour ce qui est des plaintes personnelles. Une politique qui récompenserait les plaignants qui portent atteinte aux droits fondamentaux d'autres employés nuirait à la réputation du système des droits de la personne. Dans le cas des plaintes de discrimination systémique, l'ensemble d'éléments à considérer est différent.

[164] L'intimée a fait valoir qu'il existe certaines similitudes entre la présente instance et l'affaire Dhanjal c. Air Canada - précitée - où il existait un conflit de personnalité entre le plaignant et son superviseur. Tout comme dans le cas présent, des témoins avaient affirmé que le superviseur trouvait vraiment à redire sur le travail du plaignant. Le superviseur était décrit comme un gestionnaire autoritaire qui traitait avec désinvolture les employés relevant de lui. Je ne sais pas si M. Ryan correspond à cette description; cependant, il n'y a aucun doute dans mon esprit que l'autorité était au cœur du bras-de-fer entre MM. Hill et Ryan. Je ne suis pas disposé à dire qu'on n'a pas établi en l'espèce l'existence d'une preuve prima facie, comme l'a fait le Tribunal dans Dhanjal. Toutefois, la preuve présentée par le plaignant relève davantage de la spéculation que de toute autre chose et est mince au regard des normes juridiques.

[165] L'intimée a également cité l'affaire Baptiste c. Canada (Service correctionnel), [2001] (T.C.D.P.), où le Tribunal s'est estimé incapable de conclure que les piètres évaluations faites par la superviseure de la plaignante étaient motivées par des considérations racistes. Il existait un conflit de personnalité entre la plaignante et sa superviseure, qui est devenue de plus en plus frustrée au fil du temps. Dans ce genre de situation, on en arrive à un point où la perception à l'égard d'un employé devient empreinte d'animosité, voire d'hostilité pure et simple. Lorsque les choses en sont à ce point, l'employé se sent victimisé et acquiert la ferme conviction que c'est son superviseur qui est le problème. Dans un tel cas, il est tout à fait naturel d'imputer à autrui ses propres difficultés.

[166] Je ne mets pas en doute la sincérité des sentiments de M. Hill. Étant donné que la race était l'un des traits définitoires à l'atelier moteur, avec toutes les connotations négatives que cela comportait, il n'est pas étonnant qu'il se soit rabattu là-dessus pour expliquer ce qui s'est produit. Il n'est pas utile en l'espèce de se demander si une personne raisonnable qui aurait été à la place de M. Hill se serait sentie harcelée. La position dans laquelle se trouvait M. Hill était unique, et je suis obligé de dire que je ne crois pas qu'une personne ayant une attitude plus raisonnable aurait pu se retrouver dans le même genre de situation. M. Hill a connu sa part de malchance dans sa vie et la situation au travail est peut-être devenue le point de convergence de problèmes plus généraux. Il n'y a rien que je puisse rétorquer à cela; toutefois, la malchance n'est pas du harcèlement.

[167] Le plaignant et la Commission ont indiqué que les circonstances en l'espèce sont dans une certaine mesure similaires à celles décrites ans les affaires McKinnon v. Ontario (Ministry of Correctional Services) (No. 3) (1988), 32 C.H.R.R. 1 (comm. d'enq. de l'Ont.) et Hinds c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) (1989), 10 C.H.R.R. 5683. Je ne suis tout simplement pas d'accord : les problèmes en l'espèce sont imputables en fin de compte au plaignant plutôt qu'à l'employeur. N'importe quel gestionnaire raisonnable en serait éventuellement venu à la conclusion que M. Hill et M. Ryan devaient être séparés, peu importe où se situait le blâme dans leurs relations conflictuelles. En fait, Canadien a fait ce constat lors de la réunion plénière tenue dans la foulée de l'incident du 18 octobre 1994 et a offert à M. Hill une autre affectation. À mon avis, il n'est pas raisonnable que M. Hill exige de retirer M. Ryan de la ligne des Dash-80.

E. La nature fondamentale des droits de la personne

[168] Il est maintenant reconnu, au Canada comme ailleurs, que la législation sur les droits de la personne revêt un caractère fondamental. Toutefois, il est important à mon avis de préciser que cette législation s'applique au domaine civil. La Loi canadienne sur les droits de la personne ne vise pas simplement le gouvernement; elle régit également les rapports entre individus, qui ont traditionnellement échappé à un tel examen. Elle s'applique naturellement au milieu de travail : les employés ont droit à un milieu de travail où l'on reconnaît leur dignité et leur valeur intrinsèques, et l'employeur a le devoir de prévenir la discrimination et le harcèlement. Ce droit est considéré dans la jurisprudence comme une condition d'emploi.

[169] Il s'ensuit qu'un grand nombre de plaintes dont sont saisis les tribunaux des droits de la personne originent du milieu de travail. Cela est normal. La Loi canadienne sur les droits de la personne traite néanmoins de droits plus fondamentaux et ne doit pas être vue simplement comme un autre palier d'appel ou de révision dans le domaine des relations du travail. Je reconnais que les plaintes dont je suis saisi semblent mettre en cause de tels droits. Toutefois, lorsqu'on y regarde de plus près, on constate que le litige en l'espèce réside d'abord et avant tout dans un conflit de personnalité entre l'employé et le personnel cadre. Ce litige soulève de sérieux problèmes liés au milieu de travail qui relèvent davantage du domaine des relations du travail que de celui des droits de la personne.

[170] La législation sur le harcèlement tient compte dans une certaine mesure de ces préoccupations. Dans Rampersandsingh c. Wignall, D.T. 13/02; 2002/11/26, on peut lire au paragraphe 45 que ce Tribunal a soutenu qu'un certain sérieux était nécessaire pour établir que le harcèlement est à l'origine de la plainte. Dans ce cas-là, le membre instructeur a fait référence à l'affaire Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, [1999] R.J.Q. 2522, R.E.J.B. 1999-14361, [1999] J.Q. no 4269 (Q.L.) (C.A.Q.), où la Cour d'appel du Québec a soutenu que la notion juridique de harcèlement ne devrait pas être banalisée en faisant en sorte que des différends courants en matière de relations du travail puissent être soumis à l'examen des tribunaux des droits de la personne. Il faut quelque chose de plus pour pouvoir invoquer de tels droits fondamentaux.

[171] Le même genre de préoccupations existent en l'espèce. Une plainte relative aux droits de la personne met en jeu des intérêts publics qui vont au-delà des intérêts privés des parties. L'ironie est peut-être que M. Hill a formulé une plainte générale, dont je ne suis pas saisi. Je ne puis dire quel traitement aurait reçu cette plainte ni si elle aurait été jugée fondée, mais elle aurait certes débordé le cadre d'un litige privé. Je n'entends pas, par ailleurs, minimiser l'importance de ce qui est survenu aux participants. Cependant, je ne crois pas que les rapports personnels entre M. Hill et M. Ryan soulèvent le genre de question fondamentale qui doit être examinée à la présente tribune. L'expertise du Tribunal réside dans le domaine des droits de la personne et non dans celui des relations du travail.

[172] En l'espèce, l'allégation de discrimination a rapport en fait à l'attribution des tâches aux équipes. On trouve ce genre de plaintes dans tout milieu de travail et il est facile de les exagérer. Il est impossible de scruter chaque aspect du travail confié à un employé, particulièrement lorsque les événements pertinents sont survenus il y a plus de dix ans. Une certaine masse critique, pour ainsi dire, est nécessaire pour justifier une plainte. Je ne vois rien de tel en l'espèce. Je ne vois pas le genre de question d'intérêt public qu'on s'attendrait de voir dans une plainte déposée devant un tribunal des droits de la personne.

IV. ORDONNANCE

[173] Dans les circonstances, le plaignant et la Commission n'ont pas établi selon la prépondérance des probabilités que M. Hill avait été l'objet de discrimination ou de harcèlement chez Canadien durant la période pertinente. Les plaintes sont donc rejetées.

[174] Je voudrais ajouter une dernière remarque. À la fin de l'audience, j'avais indiqué aux parties que je m'efforcerais de rendre ma décision dans les meilleurs délais. Je tiens à leur présenter mes excuses, car d'autres questions ont exigé mon attention.

Original signé par


Paul Groarke

OTTAWA (Ontario)

Le 18 février 2003

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T677/6501

INTITULÉ DE LA CAUSE : Yul F. Hill c. Air Canada

LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)

(du 14 au 17 mai 2002; du 3 au 7 juin 2002; du 10 au 14 juin 2002; du 6 au 9 août 2002; les 7, 8 et 10 octobre 2002; du 15 au 18 octobre 2002)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 18 février 2003

ONT COMPARU :

Cecil F. Ash au nom du plaignant

Salim Fakirani au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Paul Fairweather et Lisa Steiman au nom de l'intimée

1. 1 Confirmée par [1999] A.C.F. no 40 (C.A.F.).

2. 2 Béatrice Vizkelety, Proving Discrimination in Canada (Carswell: Calgary, 1987).

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