Tribunal canadien des droits de la personne

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DECISION RENDUE LE 30 JUIN 1982 T. D. 6/ 82

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

LITIGE METTANT EN CAUSE

BONNIE ROBICHAUD et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNNE, plaignantes,
ET DENNIS BRENNAN et SA MAJESTE LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par
LE CONSEIL DU TRESOR défendeurs.

DECISION DU TRIBUNAL

Devant: R. D. Abbot, membre du tribunal

Avocats: Pour les plaignants: Scott McLean et Penny Bonner Pour le défendeur

Brennan: William Sangster Pour le défendeur Conseil du

Trésor: Leslie Holland Conférence préalable à l’audience tenue à Ottawa, Ontario, le 17 mars 1981, Entendue à North Bay et à Ottawa, Ontario, du 20 au 24 juillet et du 10 au 13 novembre 1981, et du 11 au 13 janvier 1982. > - 1 p.

1 DECISION

Introduction

La plainte en cette cause s’appuie sur l’alinéa 7 b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 77, c. 33, tel que modifié (ci- après citée, la plupart du temps, sous l’appellation la loi). Plus précisément, elle allègue que, du mois de novembre 1978 au mois d’octobre 1979, la plaignante individuelle fut l’objet, de la part de M. Brennan et de son employeur, de harcèlement sexuel, d’actes discriminatoires et d’intimidation. La Commission canadienne des droits de la personne a, bien sûr, déjà reçu d’autres plaintes de harcèlement sexuel mais il semble que ce soit la première fois qu’un tribunal des droits de la personne soit constitué, en vertu de l’article 39 de la loi, pour l’examen d’une plainte de ce genre. Le 16 janvier 1981, ma nomination avait pour effet de constituer le tribunal chargé d’examiner la plainte.

C’est Madame Bonnie Robichaud qui porta la première plainte le 26 janvier 1980. Elle fut représentée par des avocats au cours de toute l’instance qui s’est déroulée devant moi. Les mêmes avocats ont représenté la Commission canadienne des droits de la personne qui s’était rendue partie à l’instance, sans que cela soulève d’objection. La plainte désignait M. Dennis Brennan comme l’auteur des harcèlements sexuels à l’endroit de Madame Robichaud. Elle désignait de plus le ministère de la défense nationale, à North Bay, Ontario, comme

> - 2 l’employeur et lui imputait également les allégations de harcèlement, d’actes discriminatoires et d’intimidation. Par p. 2 la suite, il devint évident que, du point de vue juridique,

l’employeur de M. Brennan était Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le Conseil du Trésor. Les avocats de toutes les parties en cause y consentant, les modifications pertinentes furent donc apportées au titre de la cause. A remarquer que le paragraphe 63( 1) de la loi spécifie que la loi lie Sa Majesté du chef du Canada.

Les avocats de toutes les parties reconnnurent ma juridiction en la matière. Aucune objection ne fut soulevée quant au traitement de la plainte, au renvoi de la plainte pour examen par un tribunal des droits de la personne ou à ma nomination à titre de tribunal. Une conférence préalable à l’audience fut convoquée devant moi le 17 mars 1981, et, en présence des avocats de toutes les parties, certains faits furent alors admis de part et d’autre et l’on s’entendit également sur la procédure. Je crois savoir que les tribunaux antérieurs n’ont pas eu recours à la conférence préalable à l’audience et je suis en mesure de dire que, dans la présente cause, elle fut précieuse. Les audiences destinées à la présentation des éléments de preuve eurent lieu à North Bay, Ontario, pendant cinq jours en juillet 1981 puis pendant quatre jours en novembre 1981. Il en résulta des témoignages dont

> - 3 la transcription couvre près de mille six cent pages dactylographiés ainsi qu’un nombre imposant de pièces à l’appui. En conformité du paragraphe 40( 6) de la loi et avec l’accord des avocats de toutes les parties, les audiences furent tenues à huis clos, les témoins en étant également p. 3 exclus. L’audience reprit pendant trois jours en janvier 1982 afin d’entendre les plaidoiries au nom des plaignantes et du défendeur, M. Brennan. La plaidoirie écrite au nom de l’employeur et la réponse écrite à celle- ci au nom des plaignantes furent achevées le 18 février 1982. Je suis responsable du délai qui suivit dans la préparation de la présente décision mais il s’explique en partie par la complexité de la cause et l’abondance des éléments de preuve et des arguments que j’ai dû prendre en considération.

L’alinéa 7 b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne se lit comme suit:

7. Constitue un acte discriminatoire le fait ... b) de défavoriser un employé, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

L’article 3 de la loi mentionne nommément le sexe comme motif de distinction illicite. L’article 41 de la loi accorde au tribunal le pouvoir, à l’issue de l’enquête, de rejeter une plainte ou si la plainte est fondée, de rendre différentes sortes d’ordonnance. Il ressort manifestement que le tribunal doit établir si la

> - 4 pratique discriminatoire alléguée dans la plainte qui lui a été soumise a été prouvée. Les avocats des plaignantes ont admis qu’ils leur appartenaient de démontrer que la plainte était fondée. Bien que la nature de cette obligation ait fait l’objet d’une certaine contestation, je suis disposé à p. 4 soutenir que les allégations dont font état la plainte ne sont pas de nature criminelle ou quasi criminelle et qu’en conséquence, il incombait aux plaignantes de prouver leur cause suivant une prépondérance des probabilités en leur faveur. Les conséquences graves dont peut souffrir la réputation de Mme Robichaud et de M. Brennan incitent à beaucoup de circonspection et de diligence lorsque vient le moment de soupeser les éléments de preuve, mais je ne suis pas enclin à imposer aux plaignantes une charge de la preuve qui soit plus onéreuse que celle largement acceptée en matières civiles.

La version française de l’alinéa 7b) de la loi, il est bon de le souligner, omet de spécifier la référence à in the course of employment (trad.: en cours d’emploi). Il est impensable que l’objet de l’article 7 soit de prohiber la discrimination en dehors du lieu d’emploi ce que confirme d’ailleurs la note marginale Emploi accompagnant la version française de l’article 7. Cette discordance flagrante des textes français et anglais n’a toutefois pas donné lieu à une contestation. Il en fut de même pour la traduction de differentiate adversely par défavoriser. L’argumentation

> - 5 s’engagea donc sur l’hypothèse que la question fondamentale d’interprétation et d’application de l’article 7 était de savoir si le harcèlement sexuel en cours d’emploi défavorisait (ou créait une différence négative -- adverse differentiation) en raison du sexe de l’employé.

Tel que les arguments l’ont mis en lumière, la nature générale de la plainte de Mme Robichaud peut se résumer comme suit. Elle allègue qu’au cours des mois de mars, avril p. 5 et mai 1979, M. Brennan eut avec elle des conversations, des avances et une conduite d’un caractère sexuel qu’elle ressentit comme étant du harcèlement sexuel. Par la suite, certaines décisions concernant son emploi furent, selon ses allégations, motivées par le fait qu’elle est du sexe féminin. Selon moi, cette dernière allégation se résume à dire que les termes et les conditions de son emploi furent modifiés, d’une manière qui lui était défavorable, soit parce qu’elle s’était plainte du harcèlement sexuel allégué de M. Brennan, soit parce qu’elle avait refusé de poursuivre des activités sexuelles avec M. Brennan, ou encore parce qu’elle était une femme.

L’allégation d’ intimidation de Mme Robichaud est moins facile à préciser. Peut- être allègue- t- elle que la conduite de M. Brennan la plaça dans un état d’anxiété, ou serait- ce qu’elle allègue plutôt que l’ambiance de son milieu de travail lui devint effrayante à cause des actes de M. Brennan et de l’employeur. Son avocat a choisi de démontrer qu’on créa

> - 6 une ambiance qui avait des effets discriminatoires à son endroit. Mais, par un retour des choses, cette démonstration repose sur l’allégation qu’elle fut l’objet de harcèlement sexuel. Ainsi l’intimidation devient une conséquence du harcèlement sexuel allégué plutôt que d’être en soi un motif distinct de plainte, et c’est ainsi que j’en tiendrai compte.

Un nombre de faits furent admis de part et d’autre ou ne donnèrent pas lieu à contestation. Mme Robichaud p. 6 commença à travailler à la Base des Forces canadiennes à North

Bay, le 3 octobre 1977, en qualité de nettoyeuse. Elle a douze ans de scolarité, est mariée et, lors de sa comparution en juillet 1981, elle avait 36 ans. Elle a cinq enfants. M. Brennan a commencé à travailler en qualité de contremaître du Service de nettoyage, postérieurement à l’entrée en fonction de Mme Robichaud comme nettoyeuse. Il s’est remarié à la suite de la dissolution de son premier mariage. Il était âgé de 49 ans au moment de sa comparution. A l’automne de 1978, Mme Robichaud postula le poste de chef nettoyeur manuel. En plus des tâches normales d’un nettoyeur, ce poste comporte le devoir de superviser le travail d’autres nettoyeurs. Mme Robichaud était la seule femme à postuler le poste de chef nettoyeur manuel, bien qu’il y eut d’autres femmes parmi les nettoyeurs. Quoiqu’on ait laissé entendre que la présence de M. Brennan sur le jury de nomination ait eu une certaine influence, on ne me l’a

> - 7 pas démontré. Compte tenu toutefois du succès de Mme Robichaud dans le concours pour le poste de chef nettoyeur manuel, il faut en déduire que M. Brennan et l’employeur lui ont reconnu les qualifications requises. En réalité, on a dû voir en elle une personne hautement qualifiée puisqu’elle se classa deuxième parmi les candidats, le premier ne devant son rang qu’à son ancienneté.

Le 20 novembre 1978, Mme Robichaud assuma ses p. 7 fonctions de chef nettoyeuse manuelle, la seule femme à détenir pareil poste à la Base. Elle était assujettie à un stage d’essai d’une durée de six mois qu’elle compléta avec succès le 20 mai 1979.

Le Service du nettoyage compte plusieurs nettoyeurs manuels. Leur surveillance incombe à deux contremaîtres de secteur qui, à leur tour, relèvent du contremaître, M. Brennan. Il appartenait principalement au contremaître de secteur d’assigner à Mme Robichaud son lieu de travail, ses fonctions, sa charge de travail et les nettoyeurs à surveiller, sous réserve toutefois de la surveillance et, parfois, de l’intervention de M. Brennan.

En novembre 1978, Mme Robichaud devint membre du conseil de direction du local de son syndicat et, en cette qualité, suivit un cours sur le traitement des griefs. De plus, son employeur lui fit suivre un cours de formation en français et deux cours de techniques de surveillance.

> - 8

Les questions en litige Mme Robichaud allègue que M. Brennan s’est livré envers elle à du harcèlement sexuel, à des actes discriminatoires et à l’intimidation. Il est aussi allégué en son nom que l’employeur est également responsable pour ces torts à son endroit, soit directement, soit par personne p. 8 déléguée ou indirectement, selon l’expression de l’alinéa 7b) de la loi. Ces allégations soulèvent un certain nombre de questions de fait, de questions mixtes de droit et de fait et de questions de droit.

Que les incidents de harcèlement sexuel imputés à M. Brennan se soient produits ou non constitue une question fondamentale de fait. Dans son témoignage, Mme Robichaud a fourni force détails au sujet de ces incidents qu’elle situe aux mois de mars, avril et mai 1979. Pour sa part, M. Brennan a nié catégoriquement qu’ils se soient produits. Il faut souligner que M. Brennan n’a pas témoigné que les incidents s’étaient produits et qu’ils s’expliquaient du fait qu’ils n’étaient pas du harcèlement caractérisé. Sa position était plutôt qu’ils n’avaient tout simplement pas eu lieu. Voilà donc, une grave question de crédibilité que je suis dans l’obligation de trancher d’une façon ou d’une autre: je dois ou conclure que les incidents ont bel et bien eu lieu ou qu’ils ne se sont pas produits, selon que j’accepte la version de Mme Robichaud

> - 9 ou celle de M. Brennan. Deuxième question de fait, Mme Robichaud a- t- elle fait l’objet d’un traitement défavorable en cours d’emploi, traitement qui était différent de celui habituellement réservé aux chefs nettoyeurs manuels. Il fut allégué en son nom qu’on l’assigna à des lieux de travail qui l’isolait des autres nettoyeurs, qui la plaçait dans un état d’isolement social, que sa charge de travail fut augmentée, qu’on lui assigna moins de nettoyeurs à surveiller et qu’on porta atteinte à son autorité de chef nettoyeuse manuelle. Ce traitement défavorable survint, allègue- t- elle, après la p. 9 divulgation, au mois de juin 1979, de ses allégations de harcèlement sexuel de la part de M. Brennan et qu’il en fut la conséquence.

Tel que je le comprends, l’employeur soutient que le traitement défavorable qui est allégué n’a pas eu cours, du moins dans la mesure alléguée par Mme Robichaud, et que tout traitement différent dont elle a pu faire l’objet était jusifié en l’occurence. Bien que ce point du litige ne comporte guère de problèmes graves de crédibilité, il exige néanmoins l’évaluation d’une foule d’éléments de preuve alambiqués et contradictoires. A partir de ces données, il me faut établir s’il y a eu traitement défavorable et, dans l’affirmative, si sa motivation était répréhensible. Qu’importe, on peut seulement établir un fait subjectif -- la motivation -- à partir de critères objectifs ce qui, en mettant les choses au mieux, est une tâche très difficile.

Les questions de droit et les questions mixtes de droit et de fait sont toutes aussi complexes. A première vue,

> - 10 il est clair que l’alinéa 7b) interdit de réserver un traitement défavorable à des employés en cours d’emploi, à cause de leur sexe (féminin ou masculin). Voir, par exemple, l’arrêt Sherry MacGillivray c. Hume’s Transport Limited (Décision du tribunal des droits de la personne du 27 janvier 1982). Toutefois, l’alinéa ne spécifie pas expressément que le harcèlement sexuel est une pratique interdite. La question juridique au coeur de la présente cause est donc de savoir si le harcèlement sexuel constitue un traitement défavorable (adverse differentiation) fondé sur le sexe.

p. 10 Si l’on soutient que le harcèlement sexuel constitue vraiment un traitement défavorable fondé sur le sexe, on est alors confronté à une autre question, cette fois une question mixte de droit et de fait: quelle est la nature du harcèlement sexuel qui est interdit et a- t- il eu lieu dans la présente cause? Comme nous le verrons dans d’autres parties de la décision, la détermination de cette question décidera en fait du sort à réserver à la plainte de harcèlement sexuel déposé par Mme Robichaud.

Si l’on conclut que ce qui s’est passé entre Mme Robichaud et M. Brennan était du harcèlement sexuel et qu’il était du genre interdit par l’alinéa 7b), alors la responsabilité de l’employeur entre en ligne de compte: l’employeur a- t- il directement ou indirectement, ou par personne déléguée, harceler Mme Robichaud, en fermant les yeux ou autrement?

> - 11 Sur le plan juridique, l’employeur est- il responsable de ce qui est arrivé?

Mme Robichaud allègue qu’elle fut l’objet d’un traitement défavorable suite à sa plainte de harcèlement sexuel. De toute évidence, si ce traitement était causé par le fait qu’elle est du sexe féminin et non par sa plainte, il serait couvert par l’alinéa 7b). S’il s’agissait d’une mesure de représailles pour sa résistance au harcèlement de M. Brennan, on peut soutenir que l’alinéa 7b) s’appliquerait également. Bien plus, si le traitement en question était une mesure de représailles parce que Mme Robichaud s’était plainte de harcèlement, il serait possible de soutenir que le traitement est une contravention soit de l’alinéa 7b) p. 11 ou de l’article 45 de la loi. Si la preuve des faits confirment ces points, il faudra sans doute en tenir compte, encore une fois du point de vue de la motivation à l’origine du traitement défavorable allégué par elle.

Enfin, comme je l’ai souligné plus tôt, Mme Robichaud a allégué l’intimidation. A mon sens, cette allégation équivaut à dire que le harcèlement sexuel allégué a eu, entre autres conséquences, l’effet de plonger Mme Robichaud dans un état de crainte. L’intimidation est liée au harcèlement allégué et ne constitue pas un motif distinct de plainte. Elle ne soulève donc pas une question distincte de droit, bien qu’il s’agisse d’une question de fait dont il faudra peut être tenir compte dans la détermination de la décision.

> - 12 -

Les incidents du harcèlement sexuel allégué Mme Robichaud et M. Brennan, je l’ai déjà indiqué, se contredisent carrément sur la question de savoir si les divers incidents du harcèlement sexuel allégué se sont véritablement produits. Aux fins de la présente décision, il est indispensable que j’expose, avec une certaine précision, les allégations avancées par Mme Robichaud dans son témoignage. Ces allégations révèlent un comportement sexuel on ne peut plus intime entre Mme Robichaud et M. Brennan. Il y aurait peu d’intérêt, dans l’optique de l’applicabilité de la présente décision à d’éventuelles plaintes concernant les droits de la personne, d’y exposer dans les menus détails le p. 12 témoignage de Mme Robichaud, car c’est un document accessible

au public. Dans ces conditions, j’ai proposé aux avocats des parties en cause de présenter mon examen de ces éléments de preuve dans un document supplémentaire à la présente décision, étant entendu qu’il serait communiqué uniquement aux avocats qui pourraient, à leur tour, user de leur discrétion pour le montrer aux parties. Selon l’impression que je garde des avocats, ils n’abuseront pas de leur discrétion. Les avocats furent d’accord avec ma proposition. En conséquence, les détails des incidents de harcèlement sexuel allégué par Mme Robichaud et nié par M. Brennan sont exposés dans un document supplémentaire à la présente décision. Il a été communiqué aux seuls avocats des parties, sous réserve des restrictions convenues par eux et

> - 13 moi quant à sa communication ultérieure.

Malheureusement, ma caractérisation de la crédibilité de Mme Robichaud s’appuie, dans des proportions considérables, sur mon évaluation de son témoignage relatif aux incidents du harcèlement sexuel allégué. Il s’ensuit donc que certaines des choses que je dois dire au sujet de la crédibilité doivent également être confinées dans le document supplémentaire dont j’ai fait état. Toutefois, pour le bénéfice de ceux qui pourraient éventuellement avoir l’occasion de se référer à la présente décision, j’expose plus loin la nature générale des allégations détaillées que Mme Robichaud a faites au sujet des incidents allégués de harcèlement sexuel. J’ajoute également mes observations sur le concours que son témoignage à cet égard me procure pour l’évaluation de sa crédibilité.

p. 13 Même si le document supplémentaire à la décision n’a d’autres fins que sa communication aux avocats et, à leur discrétion, aux parties, on doit se rendre compte que sa communication ultérieure est assujettie aux recours légaux qui pourraient s’appliquer.

Je suis en mesure de résumer le document supplémentaire à la décision dans les paragraphes qui suivent.

>-

- 14 Dans son témoignage, Mme Robichaud a relaté qu’un certain nombre de rencontres avaient eu lieu entre elle et M. Brennan au cours de la période allant de la mi- mars à la fin de mai 1979. Ces rencontres donnèrent lieu à des conversations de nature sexuelle, à une proposition de relations sexuelles de la part de M. Brennan, à la masturbation de Mme Robichaud par M. Brennan, au fellatio, au pelotage du pénis de M. Brennan par Mme Robichaud, et au début, de la part de M. Brennan, d’une relation sexuelle avec Mme Robichaud alors qu’il fut incapable de parvenir à une érection. Par son comportement, Mme Robichaud donna l’impression d’être une personne sincère. Son témoignage au sujet de ces rencontres était de nature tellement intime et embarassante, empreint de plus d’un sentiment d’humiliation provoqué sans doute par le fait de témoigner, qu’on ne pouvait raisonnablement y voir autre chose que la vérité. Sa propension à dire la vérité fut confirmée par d’autres éléments de preuve.

M. Brennan a nié que l’un quelconque de ces engagements sexuels aient eu lieu. Son comportement était celui d’une personne qui ne disait pas la vérité. Sous p. 14 d’autres rapports, son témoignage était incompatible ou il fut

contredit. A tout prendre, je conclus qu’il est préférable d’opter pour le témoignage de Mme Robichaud à l’effet que ces engagements sexuels se sont produits plutôt que pour le démenti de M. Brennan. Je conclus également que le témoignage

> - 15 de Mme Robichaud est suffisamment vraisemblable pour satisfaire à l’obligation imposée aux plaignantes d’établir que les engagements sexuels ont eu lieu.

Les questions de droit relatives au harcèlement sexuel Dans tout ce que je viens de dire au sujet des témoignages de Mme Robichaud et de M. Brennan, on aura remarqué que j’ai bien pris soin de ne pas caractériser les incidents dont faisait état le témoignage de Mme Robichaud et que j’ai reconnu s’être produit et constituer du harcèlement sexuel. J’ai agi ainsi parce que je crois avoir l’obligation de déterminer la nature des rencontres sexuelles que la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit. On se souviendra que l’alinéa 7 b) de la loi ne se réfère pas expressément au harcèlement sexuel. Néammoins, à la lumière des interprétations de termes semblables, apparaissant dans des lois semblables sur les droits de la personne, qui ont été données dans d’autres juridictions, je suis fermement convaincu que certains engagements sexuels, qu’on pourrait caractériser de harcèlement sexuel, sont réellement visés par l’alinéa 7 b).

> - 16 -

Voici comment se lit la disposition appropriée du Ontario Human Rights Code 1 :

p. 15 (Traduction) 4. (1) Nul ne doit,

... (g) poser des actes discriminatoires à l’endroit d’un

employé quant aux termes ou conditions d’emploi, à cause du... sexe... de cet... employé.

A moins qu’il soit possible d’attacher quelque importance à la différence entre les mots poser des actes discriminatoires (discriminate) dans le code ontarien et défavoriser (differentiate adversely) dans l’alinéa 7 b) de la loi fédérale (pour ma part, cette importance est inexistante), j’aurais tendance à traiter comme identiques l’intention et la signification des deux dispositions. Une explication particulièrement utile de la disposition du code ontarien est présentée dans l’arrêt Bell and Korczak v. Ladas and the Flaming Steer Steak House Tavern Inc. (1980, Ontario Board of Inquiry, O. B. Shime, c. r.) aux pages 4 à 6:

(Traduction)

Sous réserve de l’exception prévue au paragraphe 1 R. S. O. 1980, c. 340; abrogé et remplacé par le Human

Rights Code, 1981, S. O. 1981, c. 53, en vigueur depuis le 15 juin 1982.

> - 17 4 (6), la discrimination fondée sur le sexe est interdite par le Code. Ainsi il est interdit de verser à un employé féminin une rénumération moindre qu’à un employé masculin pour le même travail, ou encore de renvoyer un employé à cause de son sexe. Il est manifeste qu’une personne, qui subit un désavantage à cause de son sexe, fait alors l’objet de discrimination dans son emploi lorsque la conduite de l’employeur la prive de rétributions financières à cause de son sexe ou lui soutire des faveurs sexuelles d’une forme ou d’une autre en retour de l’améliotion ou du maintien de ses avantages actuels. 1 Le tort qu’il s’agit de redresser, c’est le recours au pouvoir économique p. 16 ou à l’autorité afin de refuser à une femme l’accès

garanti et égal au marché du travail et à tous ses avantages, libre de pressions extérieures fondées sur le seul fait qu’elle est une femme. Lorsqu’on refuse à une femme l’accès égal ou lorsque les termes et conditions de son emploi sont différents en comparaison de ceux des employés masculins,

1 Il n’est pas dans mes intentions de traiter des implications de la conduite bisexuelle dans les circonstances propres à la présente cause. Nous voulons plutôt traiter du harcèlement sexuel d’employés féminins par un homme en autorité et les principes s’appliquent également au harcèlement d’un employé mâle par une femme en autorité tout comme à l’ex>

- 18 alors cette femme est l’objet de discrimination. Les formes d’activités qui, à mon sens, sont interdites couvrent toute la gamme, à partir de l’activité manifestement d’ordre sexuel, telle les relations sexuelles obtenues par la contrainte, à un comportement plus subtil, tel les reproches et les sarcasmes provocants d’ordre sexuel, des actes qui peuvent tous raisonnablement être pressentis comme créant un environnement de travail négatif sur les plans psychologique et émotif. Rien ne s’oppose à ce que la loi, qui pénètre dans le milieu de travail pour en protéger l’environnement contre la pollution physique et chimique ou contre les températures extrêmes, protège également les employés des effets négatifs, psychologiques et mentaux là où un comportement défavorable orienté sur le sexe émanant de la direction peut être interprétée comme étant une condition d’emploi.

L’interdiction de pareil comportement n’est pas sans danger. La prudence exige que la loi n’empêche pas le comportement social normal entre la direction et les employés ou les entretiens normaux entre la direction et les employés. Il

> - 19 n’y a rien d’anormal, et cela ne devrait pas être interdit, à ce qu’un surveillant ait des rapports sociaux avec un employé. Une invitation à dîner n’est pas une invitation à déposer une plainte. Le danger, ou le mal qu’il faut prévenir, c’est le contact social obligatoire ou résultant de la contrainte qui peut entraîner pour l’employé qui s’y refuse la perte de certains avantages attachés à l’emploi. Cette contrainte, cette obligation, p. 17 peut être manifeste ou subtile, mais si un aspect

donné de l’emploi devient en pratique assujetti au paiement de retour d’une relation sociale offerte par un membre de la direction, alors la proposition devient une condition d’emploi et peut être considérée comme un acte discriminatoire.

Encore une fois, il ne faut pas voir ou concevoir dans le code une restriction à la liberté de

parole. Si le sexe ne peut être un sujet de discussion entre un surveillant et un employé, les autres valeurs inscrites dans le code, comme la race, la couleur ou la religion, ne peuvent non plus être discutées. En conséquence, une différence d’opinion de la part

> - 20 d’un employé, lors d’un entretien portant sur le sexe, n’implique pas nécessairement une violation du code; c’est uniquement lorsque le langage ou les mots peuvent être raisonnablement interprétés comme constituant une condition d’emploi que le code procure un recours. Ainsi, les sarcasmes provocants, à la fois fréquents et persistants, de la part d’un surveillant à l’endroit d’un employé masculin ou féminin à cause de sa couleur, constituent un acte discriminatoire en vertu du code et, par analogie, les sarcasmes provocants, à la fois fréquents et persistants, de la part d’un surveillant à l’endroit d’un employé masculin ou féminin à cause de son sexe, constituent un acte discriminatoire en vertu du code.

Toutefois, une décision défavorable en vertu du code n’est pas conditionnelle à la fréquence de la conduite ni à sa persistance car l’interdiction s’applique également à un seul incident de déni d’égalité d’emploi à cause du sexe de l’employé.

> - 21 Sauf pour le dernier paragraphe traitant de la persistance, dans lequel une analyse raisonnée semble faire défaut et qui semble aller à contre courant des arrêts américains interprétant des dispositions semblables, je trouve cet extrait hautement persuasif. Avec un profond respect, je prendrais son raisonnement à mon compte. C’est une analyse p. 18 raisonnée qui a été adoptée dans un certain nombre d’arrêts

successifs, en Ontario et au Nouveau- Brunswick, notamment dans:

Cox and Cowell v. Jagbritte Inc. et al. (1981, Ontario Board of Inquiry, Cummings) (empoignes, baisers, attouchements, propositions, à la fois persistantes et combattues, résultant en la démission de la plaignante; décision: harcèlement sexuel constituant une violation du Code ontarien.)

Hughes and White v. Dollar Snack Bar and Jeckel (1981, Ontario Board of Inquiry, Kerr) (contact physique importun de la part du défendeur avec des endroits du corps (de la plaignante) normalement associés aux avances sexuelles, auquel la plaignante s’est objectée et qui est à l’origine du

congédiement; décision: harcèlement sexuel); > - 22 Mitchell v. Traveller Inn (Sudburry) Limited (1981,

Ontario Board of Inquiry, Kerr) (refus d’une proposition résultant en un déni d’emploi; décision: harcèlement sexuel);

Doherty and Meehan c. Lodger’s International Ltd. (1981, Commission d’enquête du Nouveau- Brunswick, Goss) (refus des plaignantes de porter des uniformes que seules les femmes étaient obligés de porter; congédiement; décision: violation confirmée consistant à la fois du refus de continuer l’emploi à cause du sexe et de discrimination fondée sur le sexe, la décision adoptant l’interprétation large de sexe dans l’arrêt Bell and Korczak).

Dans l’arrêt Coutroubis and Kekatos v. Sklavos (1981, Ontario Board of Inquiry, Ratushny) le défendeur usa de la force pour venir à bout de la résistance des plaignantes à un incident d’étreintes, d’empoignes et de baisers. Il y eut d’autres incidents d’avances sexuelles marquées de résistance mais non d’usage de la force. En définitive, les plaignantes p. 19 quittèrent leur emploi. La décision fut à l’effet qu’il

s’agissait d’un cas de discrimination interdite et une ordonnance en dommage fut émise. Cette décision était antérieure à l’arrêt Bell and Korczak.

> - 23 Enfin, on peut citer deux causes de dénigrement racial pour démontrer que la création d’un environnement discriminatoire du lieu de travail par la répétition d’insultes à connotation raciale, constitue un comportement interdit par le code ontarien, et ceci même en l’absence de conséquences défavorables précises comme le congédiement: Sims v. Ford Motor Co. of Canada (Ontario Truck Plant) (1972, Ontario Board of Inquiry, Krever); et Singh v. Douglas Limited (1980, Ontario Board of Inquiry, Kerr). En étendant la portée de ces décisions, on peut prétendre que, pour faire la preuve du harcèlement sexuel, il suffit de prouver la persistance des avances sexuelles qui crée un environnnement négatif du lieu de travail, sans entraîner nécessairement des effets sur les conditions d’emploi.

Les cours et les tribunaux américains, dans un certain nombre de causes portant sur l’interprétation et l’application de dispositions semblables à celles qui nous occupent dans la présente cause, ont adopté le même raisonnement que celui de M. Shime dans l’arrêt Bell and Korczak; la discrimination (ou le traitement défavorable par analogie) fondée sur le sexe est un concept suffisamment large pour inclure ce que l’on appelle généralement le harcèlement p. 20 sexuel. Une série de décisions américaines pertinentes sont

habilement analysées dans l’arrêt Cox and Cowell (déjà cité) et je ne peux faire mieux que de joindre, à titre d’annexe A à la présente décision, une photocopie du texte complet des pages 5 à 16 de cet arrêt. D’autres

> - 24 affaires américaines pourraient être citées, mais je pense que l’extrait de l’arrêt Cox and Cowell apparaissant à l’annexe A est suffisant pour nous permettre de tirer des leçons utiles aux fins de la présente décision.

Afin de statuer sur la présente cause, il est essentiel de comprendre la nature du comportement dont traitent l’arrêt Bell and Korczak et toutes les autres affaires auxquelles nous avons référé. Dans l’arrêt Bell and Korczak, le harcèlement sexuel allégué consistait en commentaires de l’employeur dans lesquels les plaignantes ont vu des propositions d’ordre sexuel et, dans le cas de Mme Korczak, il s’agissait d’une tape spontanée au derrière que lui avait servi l’employeur sans y être invité. Les plaintes furent rejetées parce que, suivant la balance des probabilités, on n’avait pu démontrer que les engagements sexuels étaient liées aux congédiements subséquents. On retrouve dans chacune des autres affaires un ou plusieurs des éléments suivants: propositions sexuelles repoussées, suivies p. 21 de conséquences défavorables au plan de l’emploi comme le

renvoi; propositions sexuelles assorties de promesses ou menaces expresses ou sous- entendues imposant une condition d’emploi; contact physique, non solicité ni désiré, de nature sexuelle comme des étreintes, des baisers, des attouchements, etc.; ou des conversations malvenues d’ordre sexuel qui créent un environnement négatif du lieu de travail. Pas une seule affaire présente une allégation ou la

> - 25 preuve d’un comportement, entre l’employeur ou le supérieur et l’employé, du type décrit par Mme Robichaud dans la présente cause.

La présente cause se distingue des autres sur plusieurs points. En premier lieu, Mme Robichaud a indiqué à quelques reprises à M. Brennan que ses avances sexuelles étaient malvenues. C’est arrivé une fois en mars et au moins deux fois en avril 1979. A chaque occasion, le refus ou la protestation fut suivi d’un engagement sexuel auquel il faut présumer qu’elle a participé volontairement. Il faut se méfier de la sincérité de ses protestations ou, du moins, déduire que M. Brennan pouvait sentir l’insincérité de ses protestations. Chaque fois qu’il faisait une avance d’ordre sexuel, il ne risquait rien de plus que de se voir opposer un autre refus, peut- être définitif. La protestation du 25 mai 1979 fut, semble- t- il, largement efficace. Il est vrai que plus tard, le 18 juin, M. Brennan engagea une conversation de nature sexuelle, mais dans cette conversation M. Brennan

sembre s’être limité à poser des questions sur la vie p. 22 personnelle et sexuelle de Mme Robichaud. Son refus des

questions semble avoir été perçu à cette occasion par M. Brennan comme définitif puisqu’il n’y eut plus d’engagements sexuels. Je ne peux donc que conclure que le refus et les protestations de Mme Robichaud étaient incompatibles avec son comportement, sauf pour ses protestations du 25 mai 1979, et n’étaient pas de nature à avertir

> - 26 M. Brennan que sa conduite constituait du harcèlement sexuel aux yeux de Mme Robichaud.

En deuxième lieu, le comportement de M. Brennan, allégué par Mme Robichaud et que j’ai reconnu s’être produit, était d’une nature telle que je peux seulement supposer, objectivement, en me fondant sur son témoignage, qu’il n’était pas malvenu. Etre masturbée, se livrer au fellatio, peloter le pénis de l’autre, et attendre le retour de quelqu’un qui n’a pas réussi à parvenir à l’érection sont des manifestations compatibles uniquement avec un très haut degré de participation volontaire. Par contraste, être étreinte, embrassée, tapée au derrière ou soumise à des conversations non solicitées et malvenues et à des comportements de ce genre, sont des manifestations qui ne comportent aucune connotation d’acceptation volontaire. Je suis porté à croire que si on démontre de façon prima facie qu’un comportement de ce dernier genre a réellement eu lieu, on ne peut alors présumer la participation volontaire, contrairement au cas qui nous occupe, et il appartiendrait alors au défendeur de faire la preuve de la participation volontaire.

p. 23 En troisième lieu, et ce point se rapproche du deuxième, Mme Robichaud a témoigné que M. Brennan a, en deux occasions seulement, fait allusion à ce qui pourrait être une menace afin d’obtenir son acquiescement. Mme Robichaud a témoigné

> - 27 qu’en une occasion, au mois d’avril 1979, M. Brennan a réagit à son affirmation à l’effet qu’elle quitterait son bureau en lui disant qu’il était le patron et que si elle partait, il l’accuserait de désobéissance. A une autre occasion, au début de mai, M. Brennan lui a dit:

"Sans mon soutien, tu te retrouverais devant rien".

Comme je l’ai indiqué dans le document supplémentaire à ma décision, j’en conclus que la preuve est insuffisante pour me permettre de conclure qu’à l’une ou l’autre de ces occasions, M. Brennan a réellement proféré des menaces dans le but d’obtenir son acquiescement à ses exigences sexuelles. Je suis par contre disposé à décider qu’à la première occasion, Mme Robichaud aurait été suffisamment au fait des questions de discipline qui régissent l’emploi pour réaliser qu’une accusation de désobéissance n’aurait pas eu gain de cause si, en réalité,

il s’agissait d’une accusation de défaut d’acquiescement à une exigence d’ordre sexuel. A la deuxième occasion, la déclaration de M. Brennan est, à sa face même, une déclaration exacte et la preuve circonstancielle ne démontre pas que sa déclaration était réellement une menace comportant des conséquences liées à l’emploi, en guise de représailles, si elle avait l’intention de s’opposer à ses exigences sexuelles.

p. 24 Mme Robichaud a témoigné qu’au début d’avril, on l’affecta à un secteur plus petit pour y surveiller le nettoyage et l’on confia à sa surveillance un plus grand nombre

> - 28 de nettoyeurs pour entretenir ce secteur. Je ne peux en déduire que cet accroissement de ses responsabilités et, par voie de conséquence, de son statut, constituait un présent voilé pour s’assurer ses faveurs sexuelles. La réduction subséquente de son personnel et son affectation à d’autres secteurs de la Base, qui intervinrent à la suite de sa plainte de harcèlement sexuel faite à d’autres personnes, y compris au supérieur de M. Brennan, pourrait bien être une forme de représailles. Cet aspect sera analysé plus loin dans la présente décision.

Ces trois facteurs différents peuvent se résumer comme suit. Premièrement, l’opposition ou les protestations de Mme Robichaud aux avances sexuelles de M. Brennan, au sujet desquelles elle a témoigné, furent annulées par sa participation subséquente à un comportement sexuel pire, sauf pour la dernière protestation qui a atteint son but. Ses protestations n’étaient pas du genre à bien faire comprendre à M. Brennan qu’à ses yeux, son comportement était persistant et malvenu. Deuxièmement, la nature des engagements sexuels dont fait état le témoignage de Mme Robichaud entraîne nécessairement la conclusion qu’elle y a participé volontairement. Troisièmement, la preuve est insuffisante pour tirer la conclusion que la participation de Mme Robichaud fut obtenue par des menaces ou des promesses liées à son emploi.

> - 29 p. 25 Selon mon opinion, dérivée en bonne part d’une étude

des arrêts cités plus tôt dans la présente décision, les caractéristiques particulières pertinentes des engagements sexuels que l’on doit considérer comme interdites par l’alinéa 7 b) de la loi sont, en premier lieu, qu’ils ne soient pas sollicités par la plaignante, qu’ils soient tenus pour malvenus par la plaignante et reconnus comme tel par le défendeur, de façon expresse ou implicite. (Ce sont là les facteurs qui séparent cette situation de l’échange social normal, du flirt ou même du comportement sexuel intime que le Parlement ne peut avoir eu l’intention d’interdire aux surveillants et aux gens qu’ils surveillent dans le lieu de

travail). En deuxième lieu, le comportement qui est l’objet de la plainte doit être de nature persistante face aux protestations de la personne soumises aux avances sexuelles, ou, dans l’alternative, même si le comportement n’était pas de nature persistante, l’opposition au comportement a entrainé des conséquences défavorables sur le plan de l’emploi. En troisième lieu, si la plaignante coopère avec le tourmenteur allégué, on peut encore conclure au harcèlement sexuel s’il est démontré que l’acquiescement a été obtenu par des menaces, ou peut- être des promesses, ayant trait à l’emploi. On aura remarqué que je diffère d’opinion quant à un aspect de la décision de M. Shime dans l’affaire Bell and Korczak; plus précisément, je pense qu’en plusieurs circonstances, mais non tout le temps, la persistance est une caractéristique essentielle du comportement interdit. Je suis certain, par ailleurs, que je serais d’accord avec M. Shime pour dire

> - 30 qu’un seul cas de refus d’une demande d’ordre sexuel, suivi d’un acte défavorable sur le plan de l’emploi comme le congédiement, lequel aurait été motivé par le refus tel que p. 26 démontré de façon satisfaisante, répondrait aux exigences tant

du code ontarien que de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En fait, cette analyse raisonnée est le fondement du rejet de la plainte dans l’affaire Bell and Korczak. Je suis également d’avis toutefois que le refus d’une avance sexuelle doit être suivi soit de demandes répétées et de refus répétés soit de conséquences défavorables bien établies sur le plan de l’emploi, pour être reconnu comme du harcèlement sexuel. En d’autres mots, un comportement persistant peut être une alternative aux conséquences défavorables sur le plan de l’emploi lorsque le comportement consiste en des avances sexuelles qui sont rufusées.

Dans la présente cause, je conclus que, même si les avances sexuelles de M. Brennan à l’endroit de Mme Robichaud n’avaient pas été sollicitées par cette dernière, elles ne furent pas refusées d’une manière telle que M. Brennan pouvait clairement comprendre qu’elles étaient malvenues. Sans doute, les avances de M. Brennan étaient- elles persistantes; sans doute, furent- elles refusées, dans l’incident du coup de queue, et en termes généraux en plusieurs autres occasions. Le fait est qu’on ne peut conclure que M. Brennan savait que ses avances étaient malvenues avant la protestation finale

> - 31 du 25 mai 1979. S’il y avait eu deux refus ou protestations consécutifs, sans qu’en l’intervalle la plaignante participe p. 27 volontairement à un comportement sexuel, j’aurais probablement

été convaincu qu’il y avait eu persistance et, donc, harcèlement. Ce n’est toutefois pas le cas ici, si l’on s’en tient à la preuve. Ce n’est pas avant le 18 juin 1979 que M. Brennan, ayant alors essayé d’entraîner Mme Robichaud dans une conversation aux allusions sexuelles, ceci après sa

protestation du 25 mai et sans qu’intervienne un incident de participation volontaire de la part de Mme Robichaud, que M. Brennan, donc, a dû savoir que ses avances étaient malvenues et non sollicitées et qu’il était alors dans l’obligation de s’abstenir d’en faire d’autres. Le témoignage de Mme Robichaud révèle clairement que cette obligation fut, de fait, respectée. Aucune autre avance d’ordre sexuel ne s’est produite par la suite.

Bien plus, je l’ai déjà mentionné, je ne peux tirer la conclusion que la participation de Mme Robichaud au comportement sexuel de M. Brennan fut obtenu par les menaces ou les promesses de ce dernier sur le plan de l’emploi. Ce comportement dénué de contrainte assure l’annulation de l’effet que son refus et ses protestations auraient dû avoir.

En d’autres mots, par sa participation volontaire au comportement sexuel de M. Brennan, cette participation n’ayant pas été obtenue incorrectement, Mme Robichaud perdit l’avantage

> - 32 que lui aurait autrement procuré son refus initial et ses protestations subséquentes. Seuls sa protestation du 25 mai 1979 et son refus non équivoque du 18 juin de s’engager dans une conversation aux allusions sexuelles peuvent être considérés comme significatifs. Compte tenu, toutefois, de sa conduite avant ces dates- là, je ne peux trouver à redire contre M. Brennan au sujet de ses dernières avances, celles du 18 juin: je ne peux, dans ces circonstances, caractériser cela p. 28 de persistance deplacée. D’ailleurs lorsque ses avances

furent repoussées ce jour- là, il a agit correctement en s’abstenant de faire d’autres avances. Il s’ensuit que le comportement de M. Brennan lors des engagements sexuels avec Mme Robichaud de peuvent pas, en soi être tenu pour un comportement interdit par l’alinéa 7 b) de la loi.

Traitement défavorable: conséquences sur l’emploi L’alinéa 7 b) de la loi a pour but évident d’interdire l’imposition de conditions défavorables d’emploi fondées sur le sexe de la personne. De même, comme je l’ai soutenu plutôt dans le cadre de la présente décision, l’imposition de conditions défavorables d’emploi en guise de représailles pour refus des avances sexuelles d’un employeur ou d’un surveillant, serait contraire à l’objet de l’alinéa 7 b). Il devient donc nécessaire d’évaluer les éléments de preuve dans la présente cause afin de déterminer si l’un ou l’autre des types de traitement défavorable a été prouvé.

> - 33 L’imposition de conditions défavorables d’emploi peut également constituer des représailles contre la plainte

de la victime du harcèlement sexuel allégué, soit à ses supérieurs, soit à la Commission canadienne des droits de la personne. Je ne peux interpréter l’alinéa 7 b) de la loi dans le sens d’une interdiction de mesures de représailles motivées par la plainte, car elle ne serait pas, en soi, fondée sur le sexe. Mon opinion est renforcée par la présence, dans la loi, de l’article 45 qui crée une infraction pour toute menace, intimidation ou discrimination à l’endroit d’un p. 29 individu qui a déposé une plainte. Il est très improbable que

le Parlement avait l’intention d’interdire le même genre de comportement en vertu de deux articles différents de la loi. Ainsi, même si l’on avait fait la preuve de l’allégation d’intimidation de Mme Robichaud, cela ne constituerait pas un motif de plainte en vertu de l’alinéa 7 b) de la loi. De la même façon, je ne peux conclure que l’intimidation à son endroit soit la cause du refus opposé à M. Brennan et qu’elle constitue une conséquence sur le plan de l’emploi.

Il n’y a pas de preuve de conditions défavorables d’emploi avant la protestation opposée à M. Brennan le 25 mai 1979. En fait, bien qu’elle était la seule femme à postuler le poste de chef nettoyeur manuel, elle a reçu une haute note lors de son entrevue relative à la promotion et elle devint la première et seule femme à occuper un poste de chef nettoyeur manuel à la Base. En plusieurs occasions, au cours de la période

> - 34 antérieure à la fin de son stage d’essai, elle semble avoir eu des difficultés à surveiller les nettoyeurs de sexe masculin, mais ceci est plus le résultat de la nouveauté d’avoir une femme en charge des nettoyeurs masculins et, peut- être, d’un certain ressentiment à cet égard. Toutefois, ce n’est pas là une preuve de traitement défavorable à son endroit sur le plan de ses conditions d’emploi. Durant la même période, il semble également qu’elle a bénéficié d’un soutien satisfaisant de la part de ses supérieurs. Il est bon de remarquer qu’elle fut inscrite à un cours sur la sécurité et la surveillance et à un autre sur les techniques de surveillance, l’une des rares p. 30 personnes à bénéficier de cet avantage. Elle fut également

inscrite à un cours de langue au cours de l’été 1979. Si un traitement défavorable fondé sur le sexe ou des représailles s’est produit à cause du refus opposé aux avances de M. Brennan, il a fallu que cela se produise après la protestation de Mme Robichaud à M. Brennan le 25 mai ou, plus vraisemblablement, après son refus définitif le 18 juin 1979 ou après sa plainte à l’officier adjoint d’administration de la Base, le 28 juin 1979.

Le 24 mai 1979, Mme Robichaud rapporta à son médecin et à son mari les exigences sexuelles de M. Brennan à son égard. Elle témoigna (page 491 de la transcription) que c’était la première fois qu’elle parlait de la chose à quelqu’un. Toutefois, à un autre moment de son témoignage (pages 502 et 606 de la transcription), elle déclara avoir d’abord confié à M. Castello,

> - 35 le président du local du syndicat, que M. Brennan la harcelait sexuellement. Cette conversation eut lieu soit à la fin de mai, soit au début de juin. C’est mon avis qu’elle était quelque peu confuse à ce sujet. Si l’on considère la répugnance (elle en a témoigné) à chercher l’aide d’une tierce personne, l’absence de réaction de la part de M. Castello et la nature extrêmement intime et embarrassante de ce qu’elle avait à dire, je pense qu’il est plus probable que sa première plainte à une tierce personne fut celle du 24 mai à son médecin et à son mari.

Le 25 mai, comme nous l’avons rapporté plutôt, Mme Robichaud assura M. Brennan qu’elle ne supporterait pas p. 31 davantage ses exigences d’ordre sexuel. Mon évaluation de son

témoignage et des circonstances m’amène à déduire qu’à ce point- là, elle avait décidé qu’il lui fallait en finir avec les relations entre elle et M. Brennan, encouragée, en partie, par le fait qu’elle avait maintenant mêlé à l’affaire deux autres personnes, son médecin et son mari. Bien que ce fut fortement insinué au cours du contre- interrogatoire et de la plaidoirie, je trouve bien peu de choses pour conclure qu’elle a pris ces mesures afin de protéger sa position de chef nettoyeuse manuelle. La preuve est insuffisante pour établir qu’elle considérait son rendement, ou pensait que les autres le considérait, en deçà de la norme et qu’ainsi sa position se trouverait compromise. Je crois plutôt qu’elle voulait simplement se débarrasser d’un fardeau qui la troublait depuis un certain temps.

> - 36 Que la ferme protestation servie par Mme Robichaud à M. Brennan le 25 mai 1979 ait eu des conséquences immédiates sur le plan de l’emploi n’est pas clair, mais je suis porté à conclure qu’il y en a pas eu. Le 18 juin, comme je l’ai déjà exposé dans la présente décision, M. Brennan essaya d’entraîner Mme Robichaud dans une conversation aux allusions sexuelles mais elle lui servit une rebuffade. Le 28 juin, elle fut convoquée à une réunion au bureau du capitaine Adlard, l’officier adjoint d’administration de la Base. Le capitaine Adlard et M. Brennan y étaient. On l’informa de la p. 32 réception de lettres de plaintes et d’une pétition s’en

prenant à son rendement en qualité de chef nettoyeuse manuelle. Lors de cette réunion, elle signala que M. Brennan la soumettait à un harcèlement sexuel depuis deux mois, bien qu’elle espérait que maintenant cela avait pris fin et pensait qu’il en était probablement ainsi (page 505 de la transcription). Ces commentaires de sa part sont manifestement en accord avec son témoignage que, le 18 juin, elle avait fermement averti M. Brennan de la laisser tranquille (comme elle l’avait fait le 25 mai) et qu’il cessa ses avances. La réaction du capitaine Adlard à l’accusation de Mme Robichaud à l’endroit de M. Brennan fut, en fait, de dire que peu importe le genre de relations qui avaient existé,

elles devaient prendre fin et qu’il ne désirait pas intervenir davantage ou voir la chose aller plus loin. Bien entendu, M. Brennan était troublé. Il nia l’allégation et menaça d’intenter un procès civil en diffamation.

> - 37 Très manifestement, c’était la première occasion pour quiconque supérieur à Mme Robichaud dans la ligne hiérarchique, autre que M. Brennan, de savoir qu’elle alléguait contre M. Brennan le harcèlement sexuel. Elle n’a pas fourni, à ce moment- là, de détails au capitaine Adlard sur la nature des incidents qu’elle considérait être du harcèlement. A la lumière de ce que j’ai déjà établi, les engagements entre Mme Robichaud et M. Brennan ne constituaient pas, à ce moment- là, en fait ou en droit, une violation de p. 33 l’alinéa 7 b) de la loi. Dès lors, même si elle avait fourni

au capitaine Adlard tous les détails qui ont fait l’objet de son témoignage devant moi, le capitaine Adlard aurait en raison d’adopter la position qu’il a prise; encore plus, si l’on considère la généralité de l’accusation de Mme Robichaud et son aveu que les engagements avec M. Brennan avaient probablement pris fin. Le capitaine Adlard avait raison d’essayer de glisser sur la chose, tout en les avertissant tous les deux de mettre fin aux relations qui avaient existé. Je ne peux maintenant, rétrospectivement, lui imposer une plus grande obligation d’enquête ou d’action. Il semble également que, par la suite, le capitaine Adlard et d’autres appartenant à la direction de la Base ont pris des mesures pour éloigner l’un de l’autre Mme Robichaud et M. Brennan. Plus tard, ils ont également fait en sorte que la voie hiérarchique à laquelle était rattachée Mme Robichaud passe de son contremaître de secteur directement à l’officier adjoint d’administration de la Base, en contournant M. Brennan. Ces mesures étaient raisonnables dans les circonstances. En

> - 38 présence de ces faits et d’autres circonstances que j’ai déduits des éléments de preuve, je ne suis pas disposé à conclure qu’il faille estimer que l’employeur a fermé les yeux sur le harcèlement sexuel allégué (qui n’en était pas selon mes conclusions) ou, par voie de conséquence, qu’il soit responsable pour sa conduite de toute autre façon, soit par personne déléguée ou indirectement.

Il reste à considérer un certain nombre de changements qui se sont produits au sujet de l’emploi de Mme p. 34 Robichaud. En premier lieu, étrangement à la suite de son

refus définitif opposé à M. Brennan le 18 juin 1979, des lettres de plaintes furent écrites par divers nettoyeurs et une pétition se plaignant d’elle circula parmi les nettoyeurs. Puis une deuxième pétition, en date du 29 juillet, circula. Les circonstances entourant ces lettres et ces pétitions sont de nature à créer un fort soupçon qu’elles étaient le résultat de l’instigation de M. Brennan. Toutefois et bien que

plusieurs des signataires des lettres et des pétitions furent appelés à témoigner, aucun n’a pu fournir des éléments de preuve permettant de confirmer ce soupçon. Sur la foi des éléments de preuve dont je dispose, il m’est impossible de conclure que M. Brennan a dû en être l’instigateur et, en conséquence, qu’il usait probablement de représailles parce que Mme Robichaud l’avait repoussé et s’était plainte au capitaine Adlard. Je dois dire que j’entretiens un doute très

> - 39 sérieux à ce sujet. Cette partie de la cause des plaignantes n’a pas été assise sur une prépondérance des probabilités, en dépit du fort soupçon que j’entretiens au sujet du rôle que M. Brennan peut avoir joué.

Vraiment, je ne peux blâmer l’employeur. Il est évident qu’à part M. Brennan, aucun membre de la direction de la Base est soupçonné d’avoir été l’instigateur des lettres et des pétitions contre Mme Robichaud. A vrai dire, la direction de la Base s’est placée hors cause au sujet de ces lettres et de ces pétitions lorsqu’en août 1979, au cours de la procédure p. 35 de grief à laquelle Mme Robichaud a eu recours, les lettres et

les pétitions ainsi que le mémoire des points faibles à son sujet furent déchirés en sa présence et celle du représentant du syndicat. (Comment les lettres et les pétitions, bien que froissés, ont pu être disponibles pour les fins de la présente instance, demeure l’un des mystères non éclaircis de la présente cause.)

En deuxième lieu, d’autres conséquences sur le plan de l’emploi découlèrent du refus de Mme Robichaud opposé à M. Brennan et de sa plainte au capitaine Adlard. Pendant un certain temps, elle fut frappée d’ostracisme par ses compagnons et compagnes de travail. Deux jours après sa plainte au capitaine Adlard, on lui ordonne de nettoyer une piscine pendant les deux jours de la fin de semaine, une tâche partagée

> - 40 à tour de rôle par les employés alors que ce n’était pas à son tour de s’en charger. Elle reçut l’ordre de vider les poubelles dans un plus grand nombre d’endroits qu’à l’habitude. Le lendemain de sa plainte au capitaine Adlard, M. Brennan refusa d’acquiescer à ses demandes de quitter son travail plus tôt ce jour- là et de reporter son congé annuel. Suite à son congé de trois semaines qui commença quelques jours après sa plainte, elle fut affectée à nouveau au nettoyage de la caserne numéro 13, qu’elle a désignée du nom d’ affectation punitive. Son témoignage précisait qu’auparavant ce lieu de travail était confié à deux p. 36 nettoyeurs mais qu’elle devait y voir seule avec un autre

nettoyeur pour l’aider à temps partiel, ce dernier étant le seul nettoyeur qu’elle aurait à surveiller. Ses possibilités d’accès auprès de ce nettoyeur, qui avaient aussi des tâches

à remplir ailleurs, étaient expressément limitées. Tous ces changements à l’emploi de Mme Robichaud se produisirent très tôt après sa plainte au capitaine Adlard, le 28 juin 1979. Ils couvrent une période de plusieurs semaines et ils firent l’objet, à la fin de juillet 1979, d’un certain nombre de griefs déposés par Mme Robichaud conformément à l’article 90 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Grâce à la procédure de grief, Mme Robichaud obtint réparation de la plupart de ces griefs. Je ne peux discerner aucun élément de preuve démontrant que les changements à l’origine des plaintes furent motivés par l’intention de l’employeur,

> - 41 mis à part M. Brennan, de défavoriser Mme Robichaud parce qu’elle était une femme ou parce qu’elle s’était plainte au sujet de M. Brennan. Les circonstances entourant les changements ne permettent pas non plus de conclure que l’employeur avait fermé les yeux sur l’allégation de harcèlement sexuel imputé à M. Brennan. Des mesures furent prises pour corriger la situation lorsque le mécontentement de Mme Robichaud parvint à la connaissance de la direction supérieure et pour ce qui est de l’employeur, la chose doit être considéré close.

Je passe outre, également, aux plaintes de Mme Robichaud au sujet du traitement dont elle fut l’objet sur le p. 37 plan de l’emploi, après le mois d’août 1979. Je réfère, plus

particulièrement aux circonstances qui ont entouré son affectation, suivi de sa désaffectation, au nettoyage de l’école élémentaire de la Base à l’automne de 1980 (pages 688 et suivantes de la transcription). Je ne puis déceler aucun indice de discrimination à son endroit fondée sur son sexe et certainement pas de discrimination à cause de son rejet des avances de M. Brennan. Peut- être, semble- t- elle avoir subi un traitement différent et défavorable, parce qu’à ce point, elle avait déposé sa plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Toutefois, le témoignage de la directrice de l’école, Mme Wardlaw (absolument digne de foi, selon moi) permet avec raiaon de tirer la conclusion que Mme Robichaud était préoccupée de la nature de sa plainte contre M. Brennan, qu’elle vociférait

> - 42 à ce sujet, et que c’est ce qui a précipité son traitement défavorable si de fait il en fut ainsi.

Ce qui importe, c’est la motivation à l’origine de son traitement ultérieur et je ne peux conclure que cette motivation fut viciée.

Tout bien considéré, donc, je ne peux tenir l’employeur (en excluant M. Brennan) responsable du traitement

défavorable infligé à Mme Robichaud après que ses plaintes au sujet de M. Brennan furent connues de la direction de la Base. La motivation à l’origine des changements apportés à son emploi était juste et ces changements n’étaient pas des représailles ni une preuve d’indulgence envers la conduite de p. 38 M. Brennan. Lorsque ses plaintes étaient légitimes, au sujet

des lettres et des pétitions se plaignant d’elle, par exemple, ou encore au sujet de la nature de son travail et de sa surveillance, des mesures acceptables furent prises pour corriger la situation. Je ne me laisserai pas prendre au sophisme après cela, donc à cause de cela, c’est- à- dire de déduire que les changements survenus à l’emploi de Mme Robichaud, dans la mesure où la direction de la Base en a la responsabilité, doivent trouver leur cause dans son rejet des avances de M. Brennan et dans sa plainte au capitaine Adlard et à la Commission. Le lien causal n’a pas été démontré. Elle n’a pas fait l’objet de discrimination à cause de son

> - 43 sexe. En conséquence, sa plainte contre l’employeur doit être rejetée.

La direction de la Base ignorait certains des changements apportés à l’emploi de Mme Robichaud peu après sa plainte au capitaine Adlard. Les ordres à l’intention de Mme Robichaud lui étaient communiqués, en certains cas, directement par M. Brennan et, en d’autres cas, par le contremaître de secteur. J’ai évalué minutieusement la multitude d’éléments de preuve à ce sujet et, à l’instar des lettres et des pétitions de plaintes, je me retrouve dans le doute. Si l’on avait démontré que M. Brennan était à l’origine de tous les changements visant l’emploi de Mme p. 39 Robichaud, ou de la plupart d’entre eux, j’aurais pu conclure

que la balance des probabilités penchaient contre M. Brennan. Toutefois on n’a pas établi le lien causal entre le rejet des avances sexuelles de M. Brennan par Mme Robichaud et le traitement subséquent qu’elle a ressenti comme défavorable. J’entretiens un soupçon sérieux à l’effet que M. Brennan a jouer un rôle déterminant dans tous ces changements. Mais ce soupçon est insuffisant pour en tirer la conclusion qu’il est responsable et que son action était en guise de représailles contre Mme Robichaud. A contre- coeur, je suis obligé de décider que la plainte de Mme Robichaud contre M. Brennan, à l’effet qu’elle fut défavorisée à cause de son rejet de ses avances sexuelles, n’a pas été démontrée suivant une balance des probabilités. Cet aspect de ses plaintes contre M. Brennan doit également

> - 44 être refusé.

Conclusion

J’ai établi, sur le plan des faits, que des engagements sexuels se sont produits entre Mme Robichaud et M. Brennan. Je ne crois pas son démenti qu’ils ont eu lieu. Sur le plan du droit, j’ai pris à mon compte l’interprétation de l’alinéa 4 (1) (g) du Code des droits de la personne en Ontario exposé dans la décision de la Commission d’enquête dans l’affaire Bell and Korczak, la trouvant également applicable à l’alinéa 7 b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En conséquence, j’ai décidé que certains engagements sexuels, entre employeurs ou surveillants et des p. 40 employés, constituent un harcèlement sexuel et sont

interdits. Je me suis efforcé d’établir les caractéristiques des engagements sexuels interdits. En soi, les engagements entre Mme Robichaud et M. Brennan, ne montraient pas ces caractéristiques et n’étaient pas une violation de l’alinéa 7 b) de la part de M. Brennan.

J’ai décidé que les avances sexuelles persistantes d’un employeur ou d’un surveillant, face aux refus et aux protestations fermes et répétés d’un employé, sans interruption causée par la participation volontaire de l’employé à un comportement sexuel, constitueraient un harcèlement sexuel interdit. Il n’en est pas ainsi dans la présente cause. J’ai décidé que les avances sexuelles repoussées, lorsqu’elles sont la

> - 45 cause de conséquences défavorables sur le plan de l’emploi, constitueraient également un harcèlement sexuel interdit. Même ai je conserve un fort doute, je ne peux conclure qu’on a démontré l’existence d’un lien causal avec un acte quelconque de M. Brennan.

Quant à la responsabilité de l’employeur, en l’occurence la direction de la Base des Forces canadiennes à North Bay, sauf M. Brennan, j’ai établi que la motivation des mesures prises au sujet des conditions d’emploi de Mme Robichaud, en autant que la direction de la Base en était responsable, n’était pas viciée. En autant que ces mesures pouvaient avoir été du ressort de M. Brennan, elles ne sont pas des mesures pour lesquelles la direction de la Base, donc p. 41 l’employeur, peut être tenu responsable. Je ne peux pas

conclure que M. Brennan ou l’employeur ont défavorisé Mme Robichaud à cause de son sexe, mis à part le harcèlement sexuel allégué de la part de M. Brennan.

Finalement, toutes les plaintes de violation de l’alinéa 7 b) de la Loi canadienne des droits de la personne portées par Mme Robichaud et la Commission canadienne des droits de la personne contre M. Brennan et Sa Majesté du chef du Canada, représentée par le Conseil du trésor en qualité d’employeur, doivent être tenues comme n’ayant pas été prouvées suivant une balance de probabilités. En conséquence, les plaintes doivent être rejetées.

>-

- 46 Appréciation

En terminant, je désire exprimer mon appréciation aux avocats des parties. Au cours de la longue et difficile présentation des éléments de preuve en cette cause, ils ont fait montre de patience, d’énergie, de compétence et de déférence à l’égard de la sensibilité de toutes les personnes en cause. Cette décision ne peut faire valoir l’étendue de l’attention consciencieuse que les avocats ont donnée aux détails; il m’était tout simplement impossible de résumer la multitude d’aspects de la cause qu’ils ont soigneusement tirer de la preuve. Je ne peux non plus exprimer adéquatement mon appréciation pour l’analyse poussée que les avocats ont faite des questions en litige et de la jurisprudence pertinente à la p. 42 présente cause. Je regrette que mon manque de vigueur

judiciaire m’ait empêché de présenter un résume complet de leurs plaidoiries, préparés si soigneusement. Je prie maintenant les avocats de faire preuve une fois de plus de leur déférence, en expliquant avec gentillesse la présente décision à la plaignante individuelle et au défendeur individuel.

Décision rendue à Ottawa, Ontario, le 26 juin 1982. R. D. Abbott Tribunal des droits de la personne

>Annexe A à la décision du Tribunal des droits de la personne dans l’affaire Robichaud et C. C. D. P. c. Brennan et S. M. la Reine (Canada).

Le Code des droits de la personne en Ontario, S. R. Q. 1970, c. 318, tel que modifié

DANS L’AFFAIRE DES: Plaintes de Teresa Fay Cox et Debbie Cowell, toutes deux de Guelph, Ontario, à l’effet qu’elles furent l’objet d’actes discriminatoires en cours d’emploi à cause de leur sexe, en ce qu’elles furent congédiées, qu’on leur refusa un emploi ou qu’on refusa de maintenir leur emploi et/ ou en ce qui a trait aux termes ou aux conditions d’emploi, de la part de Jagbritte Inc., et Super Great Submarine and Good Eats and Jagjit Singh Gadhoke, et leurs employés et agents, du 298 Victoria Road North, à Guelph, Ontario.

AUDIENCE DEVANT: Peter A. Cummings, en qualité de Commission d’enquête constituée en vertu du Code des droits de la personne en Ontario par l’honorable Robert G. Elgie le 8ème jour de mai 1980.

> - 2 p. 5 Extrait de l’arrêt Cox and Cowell v. Jagbritte Inc. et al.

(1981, Ontario Board of Inquiry, Cummings) [Traduction]

C’est seulement lorsque le language ou les mots peuvent raisonnablement s’interpréter dans le sens d’une condition d’emploi que le code donne droit à un recours. Ainsi, les sarcasmes provoquants, à la fois fréquents et persistants, d’un surveillant à l’endroit d’un employé ou d’une employée à cause de sa couleur est un acte discriminatoire en vertu du code et, de la même manière, les sarcasmes provocants, à la fois fréquents et persistants, d’un surveillant à l’égard d’un employé à cause de son sexe féminin ou masculin est un acte discriminatoire en vertu du code. (p. D/ 156)

Ainsi, quoique que la Commission oblige de façon stricte la plaignante à démontrer que la soumission sexuelle était une condition d’emploi, elle semble également disposée à accorder un sens large à ces mots:

Les formes d’activités qui, à mon sens, sont interdites couvrent toute la gamme, à partir de l’activité manifestement d’ordre sexuel, telle les relations sexuelles obtenues par la contrainte, à un comportement plus subtil, tel les reproches et les sarcasmes provocants d’ordre sexuel, des actes qui peuvent tous raisonnablement être pressentis comme créant un environnement de travail négatif sur les plans psychologique et émotif. Rien ne s’oppose à ce que la loi, qui pénetre dans le milieu de travail pour en protéger l’environnement contre

> - 3 la pollution physique et chimique ou contre les températures extrêmes, protège également les employés des effets négatifs, psychologiques et mentaux là où un comportement défavorable orienté sur le sexe émanant de la direction peut être interprétée comme étant une condition d’emploi. (p. D/ 156).

Que les victimes de harcèlement sexuel puissent ou non avoir recours aux lois sur les droits de la personne est une question qui a été traitée dans une série de décision américaines récentes. La loi pertinente aux U. S. A. est The Civil Rights Act of 1964, modifié par le Equal Employment Opportunities Act of 1972, 42 U. S. C. s. s. 2000 et seq. L’alinéa 2 (a) de cette dernière loi prescrit:

2( a) Employeurs. Constitue une pratique illicite d’emploi pour un employeurp.

6 (1) de faire défaut d’embaucher une personne ou de la congédier ou, de toutes autres façons, de poser des actes discriminatoires à l’endroit d’une personne quant à sa rémunération, ses termes, conditions ou privilèmes d’emploi, à cause du... sexe... de cette personne.

La première affaire qui traitait de l’applicabilité de cette loi à une situation de harcèlement sexuel fut Corne v. Baurch and Lomb, Inc. 390 F. Supp 161 (1975), (U. S. D. C. Ariz). Les deux

> - 4 plaignantes dans cette affaire avaient été l’objet d’avances sexuelles répétées de la part de leur surveillant. Le juge de district Frey a conclu que les plaignantes n’avaient pas réussi à faire valoir une matière à poursuite en vertu du Civil Rights Act.

La cour déclara que les affaires de discrimination sexuelle avaient toujours été fondées sur les politiques de la compagnie et non sur l’inclination personnelle d’un surveillant. De plus, la cour était d’avis qu’il n’y avait pas de discrimination sexuelle per se car, si des hommes avaient eux aussi été victimes de harcèlement, il n’y aurait pas eu matière à poursuite. Le juge de district Frey ajoutait:

Tenir pareils actes comme matière à poursuite en vertu du titre VII (du Civil Rights Act) entraînerait également la conséquence naturelle d’une poursuite fédérale chaque fois qu’un employé ferait des avances amoureuses ou de nature sexuelle à un autre employé. Un employeur ne pourrait éviter pareilles accusations d’une façon certaine qu’en ayant à son service seulement des employés asexués. (p. 163).

Toutefois, cette interprétation n’a pas duré longtemps. Un jugement contradictoire fut prononcé l’année p. 7 suivante dans l’affaire Williams v. Saxbe 413 F. Supp. 654

(1976), > - 5 (U. S. D. C. D. C.). La plaignante dans cette cause avait été

congédiée pour n’avoir pas accepté les offres sexuelles de son surveillant. Le juge de district Richey décide que le harcèlement sexuel était un acte discriminatoire interdit en vertu du Civil Rights Act:

Il suffisait et il suffit pour alléguer une violation du titre VII (du Civil Rights Act) de faire valoir que la règle créant une barrière artificielle contre l’emploi fut imposée à une personne de tel sexe et non à l’autre. (p. 659).

Dans l’affaire Barnes v. Costle 561 F. 2nd 983 (1977), (U. S. C. A. D. C. CIr.), on avait promis à la plaignante qu’elle aurait une promotion en deçà de 90 jours du début de son emploi. Très tôt, son patron commença à faire des avances sexuelles en suggérant des rencontres après le travail, en tenant des propos d’ordre sexuel et en remarquant que le statut d’employé de la plaignante prendrait de l’importance si elle se soumettait à ses demandes. La plaignante résista à toutes ces avanaces. Le surveillant commença alors à la harceler et, éventuellement, il a aboli sa position.

Le juge en chef Robinson décida que le patron de la plaignante avait fait montre de représailles. Dans ces conditions, la soumission sexuelle exigée de la part de la plaignante était devenue, en fait, une condition de son emploi:

> - 6 Conserver son emploi était conditionnel à sa soumission à des relations sexuelles -- une exaction que le surveillant n’aurait pas chercher à obtenir d’un homme. (p. 989).

La cour a vu dans le Civil Rights Act une interdiction générale de toute discrimination fondée sur le sexe. En conséquence, on a conclu en faveur d’une interprétation libérale lorsque la loi s’appliquait à des circonstances singulières d’emploi.

p. 8 La même interprétation fut retenue dans l’affaire Garber v. Saxon Business Produtcts 552 F. 2nd 1033 (1977), (U. S. C. A. 4th Cir.). Dans un jugement per curiam, la cour déclara que le harcèlement sexuel, lorsque les employés sont obligés de se soumettre à des avances sexuelles qui font partie de la politique de l’employeur et que l’employeur y acquiesce, constitue une matière à poursuite contre l’employeur.

Les cours étaient donc disposées dans ces affaires à interpréter au sens large les mots pose des actes discriminatoires contre une personne... à cause du sexe de cette personne dans l’article 2 du Civil Rights Act. Puisque dans ces affaires, on attendait plus des employés féminins, elles avaient été l’objet de discrimination fondée sur le sexe.

> - 7 -

Toutefois, les mots termes, conditions ou privilèges d’emploi dans l’article 2 de la loi connurent une interprétation plus stricte. Pour que la plaignante ait gain de cause, elle doit démontrer que la continuation de son emploi était conditionnelle à son acceptation des avances sexuelles de son surveillant. Pour soutenir que son employeur est responsable dans une situation particulière, il peut également être nécessaire de démontrer que le harcèlement fait partie de la politique de l’employeur, soit de façon explicite ou implicite (Garber).

Le surveillant, dans l’affaire Munford v. James T. Barnes Co. 441 F. Supp. 459 (1977), (U. S. D. C. Mich.), avait dit à la plaignante que son emploi pourrait dépendre de sa soumission à ses avances sexuelles. En réalité, le p. 9 surveillant avait dit à la plaignante qu’elle devait

l’accompagner lors d’un voyage d’affaires, demeurer avec lui au motel et avoir des relations sexuelles avec lui ou être congédiée. Elle fut congédiée. La plaignante s’en plaignit à un surveillant supérieur mais ce dernier refusa d’agir.

Après l’examen des affaires citées plus tôt, la cour déclara:

A la lecture de la jurisprudence dans son ensemble, il faut déduire que deux questions distinctes, mais sans rapport, forment la question centrale de savoir si le harcèlement sexuel est un acte de discrimination fondée sur le sexe en vertu du titre VII. Premièrement, la cour doit décider

> - 8 si le harcèlement sexuel est le genre d’activité prévu par les prescriptions de la loi et, deuxièmement, la cour doit établir quelles sont les composantes d’une pratique d’emploi pour laquelle l’employeur peut être responsable. (p. 465).

La cour décida ensuite que le Civil Rights Act interdit toute entrave à l’emploi qui touche une personne de l’un des deux sexes mais non de l’autre. (p. 465). De plus, l’employeur ayant refusé d’agir suite à la plainte de la plaignante, il avait de la sorte appuyé tacitement le harcèlement sexuel et était donc responsable.

Dans l’affaire Tomkins v. Public Service Electric And Gas Co. 568F. 2nd 1044 (1977), (U. S. C. A. 3rd Cir.), la plaignante avait été engagée par la compagnie défenderesse et elle commença à progresser dans sa position de secrétaire. Son surveillant l’invita alors à déjeûner, prétendument pour discuter de l’évaluation du rendement de la plaignante. En cette occasion, le surveillant fit des avances sexuelles et conseilla la soumission afin de garantir des relations de travail satisfaisantes. Devant le rejet des avances par la plaignante, le surveillant la menaça de récriminations si elle s’aventurait à porter plainte et usa de contrainte physique pour l’empêcher de quitter le restaurant.

p. 10 Suite à cet incident, la plaignante fut transférée à

> - 9 un poste inférieur et reçut de mauvaises évaluations. Elle fut l’objet de mesures disciplinaires (suspensions) et menacée de rétrogradation, puis, plus tard, congédiée.

Le juge en chef Aldisert a déclaré que, pour avoir gain de cause, la plaignante doit faire la preuve

... que les actes reprochés constituaient une condition d’emploi, et que cette condition était imposée par l’employeur en fonction du sexe. (p. 1046)

Il a ajouté que d’après les faits, ces deux éléments étaient présents dans le cas. en examinant la jurisprudence pertinente, le juge en chef Aldisert a conclu:

Les tribunaux font une distinction entre les plaintes relatives à des avances sexuelles de nature personnelle et les plaintes relatives aux conséquences directes sur l’emploi des avances sexuelles, les violations du Titre VII entrant dans la dernière catégorie. Avec cette distinction, deux éléments sont nécessaires pour qu’il y ait violation du Titre VII (du Civil Rights Act) : il faut, d’une part, qu’une condition d’emploi ait été imposée et, d’autre part, qu’elle ait été imposée par l’employeur, que ce soit directement ou indirectement, avec des distinctions fondées sur le sexe. (p. 1048)

> - 10 Un fond d’inquiétude filtre dans ces arrêts au sujet de la possibilité d’une intervention de la loi en ce qui peut ne bien être avant tout que des relations personnelles, même si ces relations se produisent dans le lieu de travail. Dans l’affaire Heelan v. Johns- Manville Corp. 451 F. Supp. 1382 (1978), le juge de district Finesilver déclarait:

L’interprétation du titre VII ne devrait pas s’étendre à des relations d’ordre sexuel qui p. 11 peuvent survenir en cours d’emploi, mais qui n’ont

pas d’incidences substantielles sur l’emploi. (p. 1388).

La plaignante, dans cette affaire, bénéficia d’excellents états de service jusqu’au moment où elle se retrouva dans la situation de devoir opposer un refus aux avances romantiques de son surveillant. On lui a dit explicitement que son avancement, voire la continuation de son

emploi, était lié au fait d’avoir une aventure galante avec son surveillant. En fin de compte, elle fut congédiée.

La cour a exposé la position juridique de la plaignante en ces termes:

Ainsi, afin de bien établir au départ une cause de discrimination sexuelle fondée sur le harcèlement sexuel, la plaignante doit plaider et prouver (1) que la soumission aux avances sexuelles constituait un terme ou une condition d’emploi, (2) que cette condition a modifié l’emploi de la plaignante d’une manière

> - 11 substantielle et (3) que les employés de l’autre sexe n’étaient pas touchés de la même façon par ces actes. (p. 1389)

A partir des faits mis en preuve par la plaignante, la cour a conclu que sa plainte avait en effet été prouvée.

Un lien causal est, bien sûr, nécessaire entre le harcèlement et les conséquences défavorables sur le plan de l’emploi. Dans certains arrêts, on a établi que c’était inhérent dans la signification de l’expression termes ou conditions d’emploi. (Barnes; Tomkins). Dans l’affaire Heelan, toutefois, le fardeau de prouver le lien causal fut considérer comme une question distincte du fardeau de prouver que le harcèlement était un terme ou une condition d’emploi. Ceci impose la nécessité de prouver encore plus clairement le lien causal.

p. 12 Dans l’affaire Fisher v. Flynn 958 F. 2nd 663 (1979), (V. S. C. A. 1st Cir.), une assistante professeur de psychologie fut congédié suite à son refus des avances sexuelles de son chef de département. Le juge en chef Campbell refusa, toutefois, d’accueillir la prétention de la plaignante car elle avait été incapable de prouver le lien causal entre son refus de se plier aux propositions sexuelles et son congédiement. La cour déclara que l’incident, plutôt que d’être matière à poursuite, était tout simplement un engagement personnel déplaisant sans répercussion sur le plan de l’emploi. (p. 666).

> - 12 L’affaire Clark v. World Airways Inc. 24 E. P. D. P. 31,385 (1980) a abouti à un résultat semblable. Dans ce cas- là, la plaignante a rencontré le président de la société défenderesse au cours de la première semaine de son emploi. Il lui fit des remarques déplacées et lui fit des attouchements qui l’offensa. La plaignante repoussa des avances sexuelles plus explicites et finalement démissionna à cause du harcèlement sexuel dont elle était l’objet.

La cour déclara que même lorsqu’une plaignante démissionne, plutôt que d’être congédiée, une poursuite peut être intentée en vertu du Civil Rights Act. Dans pareil cas, toutefois, la plaignante aura plus de mal à prouver le lien causal.

De toute manière, le juge de district Greene conclua que la plaignante n’avait pas réussi à démontrer que sa soumission aux exigences sexuelles du président était une condition d’emploi. Il déclara que le Civil Rights Act ne s’applique pas aux relations d’ordre sexuels survenant en cours d’emploi si elles n’ont pas d’effets substantiels sur cet emploi. (p. 18. 289).

p. 13 En d’autres mots, la plaignante fait face à un fardeau de la preuve qui est lourd. Elle doit démontrer que son refus des avances sexuelles a provoqué son congédiement ou crée une situation trop intolérable pour qu’elle puisse garder son emploi. Dans cette dernière situation, il sera particulièrement difficile à la plaignante d’établir que sa réaction au harcèlement était légitime dans les circonstances.

> - 13 Dans la plus récente décision américaine, toutefois, la cour s’est montrée disposée à assouplir le fardeau de la preuve de la plaignante dans les affaires de harcèlement sexuel (Bundy v. Delbert Jackson 641 F. 2nd 934 (1981), (U. S. C. A. D. C. Cir.). La plaignante en cette cause avait refusé les propositions que lui avaient faites ses surveillants. Lorsqu’elle se plaignit à un cadre supérieur de l’organisme, ce dernier lui fit également une proposition. Dès lors elle fut l’objet des critiques de ses supérieurs et elle jugea que ses chances de promotion avaient été compromises.

La thèse de la plaignante reposait sur l’idée qu’il ne lui était pas nécessaire de démontrer qu’il y avait eu des conséquences tangibles sur le plan de l’emploi, au sens qu’elle fut privé d’avantages par suite de son refus des propositions sexuelles. Elle soutint qu’au contraire il lui suffisait de démontrer que l’état de son emploi fut empoisonné par le harcèlement.

La cour accepta ce raisonnement et décida d’étendre la portée du principe établi dans l’arrêt Barnes, supra:

p. 14 Ainsi, à moins d’étendre la portée de la décision Barnes, un employeur pourrait harceler sexuellement une employée avec impunité en prenant soin de ne pas aller jusqu’à congédier l’employée ou de ne pas prendre d’autres mesures tangibles

> - 14 -

contre elle en réaction à sa résistance, créant ainsi l’impression... que l’employeur n’a pas pris au sérieux le rituel du harcèlement et de la résistance. (p. 945).

En adoptant cette décision, la cour s’est reféré à des arrêts dans lesquels il avait été établi que des insultes racistes constituaient une violation du Civil Rights Act. Lorsque seul le milieu de travail s’en trouve modifié, on y a reconnu une infraction à la loi. La cour déclara qu’il y avait analogie entre ces cas et les cas de harcèlement sexuel:

Comment alors ne pas trouver illégal le harcèlement sexuel qui injecte les stéréotypes les plus avilissants dans le milieu de travail et qui représente toujours un assaut intentionnel contre les aspects les plus intimes de la vie d’un individu? (p. 945).

La cour s’appuya également sur les Guidelines on Sexual Harrassment (Lignes directrices relatives au harcèlement sexuel) publiées par Equal Employment Opportunities Commission (Commission de l’égalité des chances dans l’emploi) 29 C. F. R. s. 1604.11:

(a) Le harcèlement fondé sur le sexe est une violation de l’article 703 du titre VII. Les avances sexuelles malvenues, les demandes de faveurs sexuelles et les autres comportements oraux ou physiques de nature sexuelle constituent un harcèlement

> - 15 sexuel lorsque 1) l’on fait de cette soumission à pareil comportement, explicitement ou implicitement, un terme ou une condition de l’emploi de la personne visée, 2) la soumission à pareil comportement ou le refus opposé à celui- ci, de la part d’une personne, devient le fondement de décisions touchant l’emploi de cette personne ou 3) pareil comportement est tenu dans le but, ou en a l’effet, d’intervenir d’une façon inacceptable dans le rendement du travail de la personne ou de créer un milieu de travail intimidant, hostile ou blessant.

p. 15 L’évaluation de ces arrêts montre la façon dont les cours ont essayé, en certains cas, d’interpréter largement le Civil Rights Act afin d’inclure dans ses dispositions le harcèlement sexuel. La question en est donc devenue une de déterminer ce qui est un harcèlement interdit et ce qui est simplement une affaire personnelle. La cour, dans l’affaire Bundy, a élargi le sens de terme ou condition d’emploi afin d’englober tous les types de harcèlement dans le lieu de travail, sans égard à la présence ou à l’absence de conséquences tangibles sur le plan de l’emploi. Il est certain que cette interprétation est un pas de géant vers la

correction d’une forme insidieuse de discrimination sexuelle. Elle souligne également, en même temps, la nécessité d’un texte législatif spécifique en ce domaine.

Il est intéressant de constater que la décision dans > - 16 l’affaire Bundy est très similaire à l’affaire Bell de

l’Ontario, supra. Dans cet arrêt, M. O. B. Shime, c. r., déclara que les sarcasmes provocants à l’endroit d’employés féminins pourraient constituer une violation du Code des droits de la personne en Ontario. Ainsi, les prises de position américaine et ontarienne semblent également larges et elles semblent, également, nécessiter un apport législatif spécifique.

Il y a en Ontario un projet de loi qui désignera spécifiquement le harcèlement sexuel comme pratique interdite sur le plan de l’emploi (Bill 7, An Act to revise and extend Protection of Human Rights in Ontario (2ième lecture: 25 may, 1981). L’article 6 du bill déclare:

6. Toute personne a le droit d’être protégée contre

a) les solicitations ou les avances sexuelles de nature persistante de la part d’une personne en position d’autorité qui soit ou devrait savoir raisonnablement qu’elles sont malvenues, ou

p. 16 b) les représailles ou les menaces d’une personne en position d’autorité à cause du refus opposé à des solicitations ou avances sexuelles.

Cette disposition indique clairement que le harcèlement n’a pas à causer des conséquences sur le plan de l’emploi pour être une pratique interdite (alinéa 6 a). En soi, la solicitation malvenue constituera une violation du code. Un acte de représailles d’un surveillant, par exemple, relèverait d’une interdiction distincte (alinéa 6 b)).

> - 17 Le harcèlement sexuel dans le lieu de travail est un problème important et réel pour la femme au travail. 1

1. Voir, par exemple, Sexual Harassment: A Hidden Issue, le projet sur le statut et l’éducation de la femme, Association of American Colleges, 1818 R Street, N. W. Washington, D. C., Catherine A. MacKinnon; Sexual Harassment of Working Women: A Case of Sex Discrimination, New Haven, Yale University Press, 1979.

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