Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

CANADA

Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

ALAIN PARISIEN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

COMMISSION DE TRANSPORT RÉGIONALE D’OTTAWA-CARLETON

l’intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

2003 TCDP 10
2003/03/06

(TRADUCTION)

TABLE DES MATIÈRES

I. LES FAITS

A. Les antécédents d’emploi du plaignant auprès de l’intimée

B. Les événements survenus au cours des mois qui ont précédé le congédiement du plaignant

C. Les événements postérieurs à la cessation d’emploi du plaignant

D. Les témoignages des experts

II. LE CADRE JURIDIQUE ET L’ANALYSE

A. Le droit

B. La preuve prima facie

C. Le critère Meiorin

i) Les premier et deuxième éléments

ii) Le troisième élément

III. LE REDRESSEMENT

A. La réintégration dans les fonctions

B. Les dommages-intérêts pour manque à gagner

C. Le préjudice moral

D. La révision de la politique

E. Le versement d’intérêts

F. Le maintien de la compétence

[1] Le plaignant travaillait pour l’intimée comme chauffeur d’autobus. Durant sa période d’emploi, il s’est absenté un grand nombre de jours, principalement pour cause de maladie. Dix-huit ans après son embauche, l’intimée l’a congédié pour absentéisme chronique . Par conséquent, le plaignant a déposé la présente plainte dans laquelle il allègue que l’intimée a exercé une discrimination à son endroit en refusant de tenir compte de ses besoins et de continuer de l’employer en raison de sa déficience, contrevenant ainsi à l’art. 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi ). La déficience en question réside dans le syndrome de stress post-traumatique (désigné également sous l’abréviation SSPT ) et les désordres qui s’y rattachent.

[2] L’employeur du plaignant au moment de la cessation de son emploi en 1996 était la Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton , qui exploitait le système de transport en commun à Ottawa (connu également sous le nom d’ OC Transpo ). La plainte a été déposée plusieurs mois après le fait, ce même organisme étant nommé à titre d’intimé. En 2001, conformément à l’art. 9 de la Loi de 1999 sur la ville d’Ottawa, l’exploitation d’OC Transpo, y compris l’ensemble de son actif et de son passif, a été transférée à la Ville d’Ottawa fusionnée[1]. Mme Lois Emburg, gestionnaire à la Ville d’Ottawa, a déclaré au cours de son témoignage que cette dernière accepte toute responsabilité qui pourrait être attribuable à l’intimée en l’espèce. Compte tenu de ses observations, la Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton doit continuer d’être considérée comme l’intimée dans cette instance. Cependant, il convient de noter que, conformément à la loi mentionnée ci‑dessus, l’organisme intimé a été dissout le 1er janvier 2001.

I. LES FAITS

[3] La plupart des faits ne sont pas contestés. Toutes les parties admettent que durant la période où il a été à l’emploi de l’intimée (environ dix-huit ans et deux mois), le plaignant s’est absenté quelque 1 664 journées complètes et 33 parties de journée. Ses absences étaient surtout imputables à la maladie. L’intimée ne conteste pas le fait que le plaignant était vraiment malade.

A. Les antécédents d’emploi du plaignant auprès de l’intimée

[4] Le plaignant a été engagé par l’intimée comme chauffeur d’autobus en novembre 1977. Il a été soumis à une période de stage. Les dossiers de l’intimée révèlent que cette dernière s’est inquiétée dès le début du degré d’absentéisme du plaignant, avec le résultat qu’elle a prolongé de trois mois sa période de probation en janvier 1979. En septembre 1979, le plaignant a même été suspendu pendant plusieurs jours pour cause d’absentéisme, conformément à la politique en vigueur à l’époque. Aucun élément de preuve n’a été produit quant à la nature des maladies ou aux causes qui ont entraîné les absences du plaignant dans les débuts. Le plaignant reconnaît qu’on l’a vite informé que l’absentéisme chronique au sein de l’effectif d’OC Transpo était un sujet permanent de préoccupation pour l’employeur.

[5] Dans son témoignage, le plaignant a évoqué certains événements de sa vie qui auraient contribué au syndrome de stress post-traumatique dont il a souffert ultérieurement. En 1979, sa relation avec une femme à laquelle il était fiancé a pris fin abruptement. Bien qu’elle ait eu sur lui un effet désastreux, cette rupture n’a pas entraîné d’absences du travail. En octobre 1980, la mère du plaignant est décédée du cancer. Il a également qualifié cette perte de désastreuse, faisant remarquer qu’il entretenait avec elle une relation très étroite. Il a alors pris les trois jours de congé de décès accordés aux termes de la convention collective.

[6] Quelques mois plus tard, en décembre 1980, le plaignant a été victime d’une violente agression alors qu’il était au volant de son autobus. Un passager en tenue de corvée militaire et coiffé d’un passe-montagne est monté dans l’autobus et lui a asséné sans avertissement un coup au côté du visage, lui faisant perdre conscience. Le plaignant a reçu des soins à l’hôpital, qui lui a donné son congé le même jour. Ce n’est qu’une semaine plus tard qu’il est retourné au travail.

[7] Aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet du dossier d’assiduité du plaignant au début des années 80; toutefois, la Commission et lui ont reconnu qu’il travaillait de façon intermittente . Les fiches de présence du plaignant pour 1984 et les années suivantes ont néanmoins été produites. En 1984, le plaignant a été absent pendant toute la période comprise entre mars et le début de septembre. La fiche de présence indique qu’il recevait des indemnités d’accident du travail durant cette période; cependant, aucune explication n’a été fournie à l’audience quant à la nature ou à la cause de sa maladie ou de sa déficience. En 1985, le plaignant s’est absenté du travail pour cause de maladie pendant treize journées complètes et quatre parties de journée. En 1986, il s’est absenté pendant trente journées complètes et une partie de journée.

[8] En 1987, le père du plaignant est décédé subitement. Le plaignant a indiqué dans son témoignage que cette perte l’avait également beaucoup affligé. Il a alors bénéficié du congé de décès de trois jours. En 1987, il s’est absenté quarante-deux journées complètes et quatre parties de journée, pour cause de maladie. En 1988, le plaignant a été absent du travail vingt-huit journées complètes et sept parties de journée.

[9] Le 7 mars 1989, la direction a rencontré le plaignant pour discuter avec lui de son degré d’absentéisme. Comme si la malchance le poursuivait, un autre incident troublant s’est produit à peine deux semaines plus tard pendant qu’il était au travail. Un passager de sexe masculin est monté à bord de son autobus et s’est mis à crier après lui. Il est finalement descendu du véhicule; cependant, un nouvel affrontement est survenu entre les deux hommes deux jours plus tard. L’individu en question s’est approché du plaignant alors que celui‑ci était debout près de son autobus au point de départ de son trajet. L’homme qui avait une main dans sa poche s’est mis à proférer au plaignant des menaces de mort. Deux autres chauffeurs ont été témoins de l’incident; l’un d’eux a appelé un superviseur qui a prié l’individu de monter à bord d’un autre autobus sans toutefois établir de rapport ni appeler la police. Le plaignant prétend que le passager lui avait vraiment fait peur et qu’il s’était senti [TRADUCTION] très vulnérable et en danger à cause de la manière dont son employeur avait traité la menace.

[10] Bien qu’il ne se soit pas absenté du travail à l’époque où ces incidents se sont produits, le plaignant a multiplié les absences dans les semaines et les mois qui ont suivi. Le 18 juillet 1989, l’employeur l’a convoqué à une entrevue pour lui parler de son absentéisme. Le plaignant se souvient qu’il a commencé à ressentir des [TRADUCTION] maux d’estomac et à se sentir [TRADUCTION] très mal à la suite des incidents de mars. Il s’est alors absenté du travail de décembre 1989 à février 1990; d’après ses certificats médicaux, il souffrait surtout de troubles gastro-intestinaux. Il a recommencé à travailler au début de mars 1990, puis s’est à nouveau absenté à compter du 21 mars 1990. À ce moment‑là, son absence a duré 199 jours. Durant cette période, il a reçu des indemnités de la Commission des accidents du travail, sa déficience étant présumément liée au traumatisme causé par les menaces de mort proférées à son endroit. Les certificats médicaux émis par son médecin de famille au cours de cette période font mention d’un état anxieux , de stress professionnel et d’une réaction d’adaptation .

[11] Alors que le plaignant était en congé en 1990, le Service d’hygiène professionnelle d’OC Transpo (le Service d’hygiène ) communiquait régulièrement avec lui pour s’enquérir de son état de santé et de la date à laquelle il prévoyait revenir au travail. Selon la preuve produite par l’intimée, le Service d’hygiène avait notamment pour rôle de recueillir des renseignements au sujet de l’état de santé des employés en congé de maladie et d’informer les divisions où ils travaillaient (les divisions employeuses ) de la date prévue de leur retour au travail. Le Service d’hygiène devait également déterminer si une allégation d’invalidité non professionnelle était fondée, compte tenu des renseignements médicaux disponibles. L’équipe du Service d’hygiène était composée de plusieurs infirmières et infirmiers à temps plein ainsi que d’un médecin qui n’était pas à l’emploi de l’intimée mais à qui on demandait parfois une opinion. Les activités du Service d’hygiène faisaient partie intégrante du programme mis en place par l’intimée pour gérer les présences de ses employés (le Programme de gestion des présences ). Le Service d’hygiène avait été mis sur pied notamment pour protéger la confidentialité des renseignements médicaux des employés. Par conséquent, il ne divulguait jamais à la direction de détails relativement à l’état de santé d’un employé. Il se contentait de fournir aux divisions employeuses des conclusions et opinions générales quant à la capacité de l’employé de reprendre le travail.

[12] Le 14 décembre 1990, le Service d’hygiène, sur la foi des renseignements médicaux recueillis auprès du plaignant et de son médecin, a déterminé que le plaignant serait en mesure de réintégrer ses fonctions habituelles à compter du 2 janvier 1991, dans la mesure où il pourrait travailler au début quatre heures par jour plutôt que huit. On qualifiait cette activité transitoire de conditionnement au travail . Le plaignant a été soumis à ce régime de travail modifié jusqu’au 25 février 1991, date à compter de laquelle il a été à nouveau en congé de maladie, souffrant de douleurs au dos et à l’abdomen, selon les certificats médicaux présentés à l’intimée à l’époque.

[13] En avril 1991, le médecin de famille du plaignant en est venu à la conclusion que le plaignant [TRADUCTION] était hanté par la crainte d’être agressé pendant son travail au point d’être près d’un état de délire . Il a apparemment conclu que le plaignant était atteint du syndrome de stress post-traumatique et a, par conséquent, informé l’intimée que le plaignant n’était pas encore en mesure de retourner au travail. Il a alors dirigé le plaignant vers l’Hôpital Royal d’Ottawa en vue d’une évaluation psychiatrique. Le 17 mai 1991, le Dr Hamilton Sequeira, un psychiatre, a examiné le plaignant puis a posé le diagnostic provisoire suivant : [TRADUCTION] syndrome de stress post-traumatique de longue date, accompagné de symptômes anxieux, dépressifs et somatiques . Dans son rapport de diagnostic, le Dr Sequiera a fait référence à l’agression de 1980 et aux menaces de 1989 ainsi qu’aux décès subits des parents du plaignant. Le médecin de famille du plaignant a établi un nouveau certificat médical indiquant que le plaignant serait en congé de maladie pour une période indéterminée. Le plaignant a reçu des indemnités d’accident du travail durant ce congé de maladie prolongé.

[14] Le Dr Sequiera a recommandé une méthode thérapeutique faisant appel à des médicaments et à la thérapie cognitivo-comportementale afin [TRADUCTION] de le désensibiliser en dissipant les concepts et sentiments négatifs découlant du traumatisme subi . À cette fin, le Dr Sequiera a demandé l’aide du Dr David Erickson, Ph. D., psychologue agréé, qui faisait à l’époque un stage en vue de devenir psychologue clinicien, titre qu’il a obtenu en 1994. Durant son témoignage, le Dr Erickson a précisé que la thérapie cognitivo-comportementale comporte deux volets : le volet comportemental et le volet cognitif. Le volet comportemental consiste à décomposer en petites étapes la peur que ressent le sujet. On passe au volet cognitif une fois qu’on a fait certains progrès sur le plan comportemental. Le volet cognitif consiste pour l’individu à tenter d’imaginer à l’avance les activités à l’origine de son état anxieux.

[15] Le Dr Erickson a commencé à traiter le plaignant le 4 novembre 1991. Il a déterminé que le plaignant était un bon candidat à la thérapie cognitivo-comportementale. Entre novembre 1991 et août 1992, le Dr Erickson a reçu le plaignant chaque semaine. Il a tenu le Service d’hygiène au courant des progrès. Dans le rapport d’expert qu’il a déposé au moment de son témoignage dans cette instance, il a précisé qu’en juillet 1992, après huit mois de thérapie cognitivo-comportementale jumelée à la prise de médicaments, l’état du plaignant s’était [TRADUCTION] énormément amélioré et que celui‑ci [TRADUCTION] était prêt à faire un retour progressif au travail . Le Service d’hygiène et les Drs Sequeira et Erickson ont convenu que, dans le cadre de cette transition au travail à temps plein, le plaignant commencerait par conduire ce qu’on appelait le [TRADUCTION] bus-navette du CESEH . L’acronyme CESEH désignait le Comité d’examen de la situation des employés handicapés, qui était composé de représentants des employés et de la direction d’OC Transpo. Le CESEH avait été créé par l’intimée afin d’aider à la réintégration des employés handicapés au sein de l’effectif. Le bus-navette du CESEH était en fait un minibus qui servait uniquement à transporter à divers endroits les chauffeurs d’OC Transpo qui devaient prendre la relève de collègues. Les seuls passagers à bord du mini-bus étaient des employés d’OC Transpo.

[16] Le plaignant a conduit ce véhicule entre la mi‑juillet et la mi‑septembre 1992, après quoi il a été soumis à un régime de travail modifié (quatre heures par jour), conduisant les autobus ordinaires d’OC Transpo utilisés pour le transport des passagers. Selon le Dr Erickson, le plaignant était à la mi‑octobre 1992 [TRADUCTION] asymptomatique et à nouveau en mesure de fonctionner normalement . Le Service d’hygiène a donc indiqué à la division employeuse que le plaignant serait en mesure d’exercer à temps plein ses fonctions habituelles à compter du 14 octobre 1992.

[17] Entre le 7 décembre 1992 et le 14 janvier 1993, le plaignant s’est absenté pendant treize journées complètes et deux parties de journée pour cause de maladie, parce qu’il souffrait de vision trouble, d’étourdissements, d’insomnie et de gastro-entérite. Lors de son entretien du 14 décembre 1992 avec le plaignant, le Dr Erickson a constaté que son problème d’anxiété avait refait surface, en partie parce qu’il avait été affecté à certains des trajets qu’il craignait le plus avant son traitement. Le Dr Sequeira lui a alors prescrit des médicaments et le Dr Erickson lui a fixé des rendez-vous périodiques.

[18] Malheureusement, le 15 janvier 1993, l’autobus que conduisait le plaignant a été percuté à l’arrière par un autre véhicule, avec le résultat que le plaignant a subi un coup de fouet (entorse du rachis cervical). Selon son médecin de famille, le plaignant était tellement mal en point qu’il ne pourrait retourner au travail avant mai 1993. Dans son rapport d’expert, le Dr Erickson a indiqué que le plaignant était très frustré de ne pouvoir travailler à cause de cet accident tout en précisant que certains troubles gastro-intestinaux et maux de tête dont il souffrait à cette époque étaient probablement liés à cet état de détresse. Cependant, le Dr Erickson a indiqué que son patient ne présentait pas à ce moment‑là de symptômes (troubles anxieux, problèmes d’humeur ou troubles du sommeil) donnant à croire qu’il subsistait des séquelles du syndrome de stress post-traumatique.

[19] Après une absence totale de 92 jours ouvrables à la suite de l’accident de travail qu’il avait subi (coup de fouet), le plaignant a réintégré ses fonctions normales au début de juin 1993. En août 1993, il a pris au total six journées et une partie de journée en congés de maladie. Selon le certificat médical qu’il a présenté, il souffrait [TRADUCTION] d’angoisse profonde . En octobre 1993, le plaignant souffrait de troubles majeurs du sommeil et a dû prendre un autre congé qui devait durer jusqu’en juin 1994.

[20] Le plaignant ne dormait plus que deux à trois heures par nuit. Le Dr Sequeira l’a alors dirigé vers un psychiatre spécialisé dans les troubles du sommeil, qui lui a prescrit des médicaments pour l’aider à dormir et empêcher les mouvements de jambes périodiques qui le réveillaient pendant son sommeil. En mai 1994, ce psychiatre a jugé que les problèmes de sommeil étaient [TRADUCTION] maintenant réglés et il a émis l’opinion que le plaignant était prêt à retourner au travail.

[21] Le 27 mai 1994, le Service d’hygiène a transmis à la division employeuse une note indiquant que le pronostic était que le plaignant pourrait [TRADUCTION] se présenter au travail de façon assidue . Cette note précisait qu’un médecin (non nommé) qui soignait le plaignant avait déclaré que son problème médical était résolu et [TRADUCTION] ne devrait pas lui causer de problèmes à l’avenir . En outre, le plaignant a été examiné par le médecin externe du Service d’hygiène qui a déclaré dans sa note qu’il avait constaté que l’attitude du plaignant était très positive, plus positive en fait que lors des évaluations qu’il avait lui-même faites en 1992 et 1993.

[22] Le plaignant a donc repris son travail normal le 2 juin 1994. Peu après, alors qu’il conduisait son autobus, plusieurs adolescents se sont adressés à lui d’une manière qu’il a perçue comme menaçante. Il a eu peur et s’est senti vulnérable comme une personne traquée qu’on tente d’attaquer. Il a recommencé à souffrir d’insomnie et s’est alors mis à prendre de plus fortes doses de son médicament pour dormir. Il en a résulté des étourdissements qui l’ont empêché de bien faire son travail. Le 5 juin 1994, le surintendant du personnel opérationnel, M. Ron Mooney, ayant constaté que le plaignant avait les facultés affaiblies, lui a demandé de cesser de conduire son autobus. Plusieurs jours plus tard le surintendant a adressé au Service d’hygiène une note demandant qu’on réévalue l’état du plaignant afin de déterminer s’il était en mesure de reprendre le travail à temps plein.

[23] En juillet 1994, le Dr Sequeira avait réactivé tous les traitements psychiatriques. Le plaignant a également recommencé à se faire soigner par le Dr Erickson. Après quelques semaines, le Dr Sequeira a constaté que le plaignant était tellement déprimé, anxieux et privé de sommeil qu’il fallait l’admettre à l’Unité des troubles de l’humeur de l’Hôpital Royal d’Ottawa. On lui a alors diagnostiqué une dépression profonde, des troubles du sommeil et une anxiété généralisée. Il a reçu son congé de l’hôpital le 20 septembre 1994. En juin 1995, ses problèmes de dépression et de sommeil étaient réglés.

[24] Alors que ces problèmes se résorbaient, les symptômes du syndrome de stress post-traumatique ont commencé à réapparaître. Son [TRADUCTION] comportement d’évitement était une manifestation de sa peur d’être agressé et s’accompagnait de flash-backs récurrents pendant le jour. Le Dr Erickson a alors développé un autre programme de thérapie cognitivo-comportementale pour le plaignant. Selon le Dr Erickson, une partie de cette thérapie était très exigeante pour le plaignant, car elle lui faisait revivre la crainte d’être quotidiennement agressé. De l’avis du Dr Erickson, la thérapie a donné les résultats escomptés, tant et si bien que le syndrome de stress post-traumatique avait été [TRADUCTION] vaincu en février 1996 (le mois où le plaignant a été congédié).

B. Les événements survenus au cours des mois qui ont précédé le congédiement du plaignant

[25] Le 26 octobre 1995, le Service d’hygiène a rencontré le plaignant en entrevue, conformément à la politique qui exigeait de rencontrer périodiquement les employés qui recevaient des prestations d’invalidité de longue durée. Sur la foi des observations du plaignant ainsi que des renseignements obtenus auprès de ses médecins, le Service d’hygiène a déterminé que le plaignant espérait réintégrer ses fonctions normales de chauffeur d’autobus. Selon une note rédigée par le Service d’hygiène après la rencontre, l’intimée a informé le plaignant que son poste n’était protégé que pour une période de 24 mois après la date du début des prestations d’invalidité de longue durée. Cette période devait prendre fin le 2 février 1996. S’il ne réintégrait pas ses fonctions ou n’était pas affecté à d’autres tâches chez OC Transpo d’ici là, l’intimée prendrait une décision quant à son [TRADUCTION] statut permanent et [TRADUCTION] selon toute vraisemblance […] mettrait fin à son emploi pour des raisons médicales .

[26] Le 13 décembre 1995, le Dr Sequeira a rempli un formulaire destiné au ministère des Transports de l’Ontario. Le permis de conduire de classe C du plaignant, qui lui permettait de conduire des autobus, avait été déclassé en raison de son invalidité prolongée. Afin qu’il puisse obtenir à nouveau le permis requis, il fallait qu’un médecin fasse rapport de son état de santé. Le Dr Sequeira a déclaré sur le formulaire que le plaignant pouvait recouvrer son permis, car il avait [TRADUCTION] fait beaucoup de progrès par rapport à la symptomatologie de hantise-anxiété-évitement-dépression associée à son syndrome de stress post-traumatique .

[27] Le 31 janvier 1996, les Drs Sequeira et Erickson ont signé une lettre qu’ils avaient rédigée conjointement et qui était destinée au Service d’hygiène d’OC Transpo. Dans cette lettre, ils déclaraient ce qui suit :

[TRADUCTION]

Alain est actuellement dans les dernières phases de son traitement. Dans quelques semaines, la [thérapie cognitivo-comportementale] visant à dissiper son état anxieux post-traumatique sera suffisamment avancée pour lui permettre de retourner au travail en toute sécurité. Les stimuli anxiogènes (c.‑à‑d., vêtements portés par son agresseur) ne susciteront plus d’anxiété incapacitante. Alain ne sera alors en proie qu’à de légers tremblements.

De même, ses troubles du sommeil sont bien contrôlés. Il continue de faire des cauchemars attribuables à son état anxieux, mais ceux‑ci ne sont pas graves au point de l’empêcher de dormir. Cependant, il éprouve encore de la difficulté à se réveiller le matin : une fois qu’il aura pu s’adapter graduellement à une routine quotidienne structurée, la situation redeviendra normale.

Enfin, Alain n’a plus de baisses d’humeur. Au cours du mois écoulé, il a eu deux ou trois épisodes de dysphorie légère d’une à deux heures chacun par semaine. Il n’a pas eu de baisse d’humeur soutenue au cours du mois écoulé. Par conséquent, l’humeur d’Alain se situe nettement à l’intérieur des limites normales.

Les Drs Sequiera et Erickson ont ensuite décrit les médicaments prescrits au plaignant, faisant remarquer qu’ils n’entraveraient pas sa capacité de conduire un autobus d’OC Transpo. Ils ont également fait observer que le plaignant continuerait de consulter l’un et l’autre spécialiste au cours des mois à venir, ne serait‑ce que pour surmonter tout reliquat d’anxiété et vérifier l’efficacité des médicaments. Vers la fin de la lettre, ils ont formulé les conclusions suivantes :

[TRADUCTION]

À ce moment‑ci, il serait préférable pour la santé d’Alain qu’il puisse d’abord exercer ses fonctions à temps partiel afin qu’il puisse se conditionner progressivement au travail à temps plein. Au cours de cette période de réadaptation, il serait contre-indiqué de lui faire faire de longues journées de travail, car cela risquerait de perturber son sommeil. Nous vous saurions gré de bien vouloir nous consulter lorsqu’il s’agira d’accroître graduellement les fonctions d’Alain, car l’expérience dans son cas démontre qu’il ne faut pas précipiter les choses.

En somme, le pronostic est très bon. Alain a travaillé fort pour surmonter ses troubles de l’humeur et adopter une attitude positive et constructive, avec le résultat qu’il se situe actuellement à l’intérieur des limites normales. Son état anxieux lié au SSPT s’est beaucoup dissipé et ne nuira pas à son rendement comme chauffeur.

(C’est moi qui souligne)

[28] Plusieurs jours avant la date limite du 2 février 1996 que l’intimée avait fixée, le plaignant a communiqué avec l’infirmière chef du Service d’hygiène pour discuter de son retour au travail. L’infirmière chef lui a alors simplement dit de se présenter au travail le jour en question et de voir M. Mooney, le surintendant du personnel opérationnel. Le plaignant s’est donc présenté à M. Mooney. Il lui a expliqué qu’il était prêt à reprendre le travail tout en précisant qu’il devait bénéficier de certaines mesures d’adaptation pour faciliter sa transition, conformément aux recommandations de son psychiatre et de son psychologue. M. Mooney a informé le plaignant qu’on ne prendrait pas à son endroit de mesures d’adaptation de ce genre pour permettre un conditionnement au travail. Lorsque le plaignant a demandé s’il pourrait être affecté à un autre emploi chez OC Transpo, M. Mooney lui a répondu qu’il n’y avait rien pour lui. En fait, M. Mooney a dit au plaignant que son dossier faisait l’objet d’une enquête et qu’il serait informé du résultat deux semaines plus tard. Le témoignage du plaignant au sujet de ces rencontres n’a pas été contredit. Ni l’infirmière chef ni M. Mooney n’a témoigné en l’espèce.

[29] Le 6 février 1996, M. Mooney a écrit au Service d’hygiène pour demander si les affections dont souffrait le plaignant et pour lesquelles il venait de recevoir des soins étaient les mêmes que celles pour lesquelles un pronostic d’assiduité avait été fourni en mai 1994. Il a également demandé si le Service d’hygiène était persuadé, sur la foi des renseignements médicaux, que le plaignant devrait réintégrer son poste de chauffeur d’autobus, une fois son permis renouvelé. Dans sa réponse en date du 9 février 1996, le Service d’hygiène a fait référence aux avis récents obtenus des Drs Sequiera et Erickson selon lesquels le plaignant pouvait recommencer à travailler, mais ce à temps partiel de façon à se préparer graduellement à pouvoir exercer ses fonctions à temps plein. Toutefois, la note du Service d’hygiène se terminait par l’énoncé suivant :

[TRADUCTION]

Eu égard aux renseignements médicaux qui figurent actuellement au dossier, du fait que M. Parisien ne détient pas à l’heure actuelle de permis de classe C et de son dossier d’assiduité, le Service d’hygiène n’est pas entièrement persuadé à ce moment‑ci qu’il sera en mesure d’exercer de façon assidue ses fonctions de chauffeur d’autobus.

Si la Division du transport [la division employeuse du plaignant] est en mesure d’offrir à M. Parisien un autre emploi ou est disposée à le faire, nous communiquerons avec ses conseillers médicaux afin de quantifier ses restrictions et d’obtenir un pronostic plus complet. Veuillez nous informer de votre décision.

(C’est moi qui souligne)

[30] Le 15 février 1996, soit à peu près une semaine plus tard, M. Mooney a rencontré le plaignant pour l’informer qu’on mettait fin à son emploi. Dans une lettre de suivi adressée au plaignant le 19 février 1996, M. Mooney a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

La présente fait suite à notre rencontre du 15 février 1996 visant à clarifier votre situation d’emploi au sein de la Commission.

Compte tenu de l’information présentée à cette occasion, nous estimons nécessaire de mettre fin à votre emploi auprès de la Commission, pour cause d’absentéisme involontaire chronique, à compter du 15 février 1996.

[31] Le plaignant a dit avoir demandé à M. Mooney de lui permettre de revenir au travail chez OC Transpo, mais que celui‑ci lui a affirmé que la décision de mettre fin à son emploi serait maintenue. Selon ses dires, il se sentait [TRADUCTION] très bien au moment de la cessation d’emploi et désirait réintégrer ses fonctions habituelles de chauffeur d’autobus. Il a admis qu’il n’était pas encore [TRADUCTION] totalement rétabli et qu’il n’aurait pas été en mesure de remplir sur‑le-champ ses fonctions habituelles de chauffeur d’autobus. Toutefois, il aurait été capable d’exercer des fonctions modifiées pendant une période de transition, conformément à la recommandation des Drs Sequiera et Erickson.

C. Les événements postérieurs à la cessation d’emploi du plaignant

[32] Quelques jours plus tard, le plaignant a déposé un grief afin de contester son congédiement. Une fois franchies les diverses étapes du processus de règlement des griefs, l’affaire a finalement été soumise à la procédure accélérée d’arbitrage le 4 décembre 1998. L’arbitre du travail a décidé que le plaignant avait été congédié à juste titre et a rejeté le grief. Il a conclu que l’intimée [TRADUCTION] avait raisonnablement conclu au regard de la preuve devant elle que le plaignant [TRADUCTION] ne serait pas en mesure de remplir ses fonctions de chauffeur d’autobus de façon assidue .

[33] Dans une requête préliminaire présentée au Tribunal avant l’audience sur le fond de la présente affaire, l’intimée a soutenu que l’objet de la plainte déposée par le plaignant devant la Commission relevait de la compétence exclusive de l’arbitre du travail et que les principes de lachose jugée et de l’irrecevabilité fondée sur l’identité de la cause d’action empêchaient le Tribunal de pouvoir instruire la plainte. La présidente du Tribunal, Anne L. Mactavish, a rejeté la requête le 15 juillet 2002[2]. Dans sa décision, elle a conclu que l’arbitre devait déterminer si la cessation d’emploi était injustifiée, et non pas si le plaignant avait été victime d’un acte discriminatoire au sens de la Loi.

D. Les témoignages des experts

[34] La Commission a fait comparaître à l’audience, à titre d’experts les Drs Erickson et Sequeira. L’un et l’autre ont été reconnus comme des personnes ayant acquis, grâce à des études ou par suite de leurs contacts avec le plaignant, des connaissances spéciales ou particulières qui pourraient éclairer le Tribunal au sujet de leurs rapports avec lui et de leur domaine respectif de spécialisation (la psychologie dans le cas du Dr Erickson et la psychiatrie dans celui du Dr Sequeira).

[35] De l’avis du Dr Erickson, le plaignant a été affligé du syndrome de stress post-traumatique deux fois entre 1989 et 1996, inclusivement : la première fois, au début de cette période (entre le moment où il a été l’objet de menaces de mort en 1989 et son retour au travail en septembre 1992) et la deuxième fois, vers la fin de la même période (c.‑à‑d., entre juin 1994 et février 1996). Entre ces intervalles , le plaignant a également traversé une période où il a souffert de [TRADUCTION] troubles profonds du sommeil et de l’humeur et d’angoisse généralisée (entre octobre 1993 et juin 1995), laquelle a chevauché l’épisode finale du SSPT. Selon le Dr Erickson, les troubles dont le plaignant a souffert dans ce laps de temps étaient [TRADUCTION] vraisemblablement liés – de manière indirecte au premier épisode du SSPT.

[36] Selon le Dr Erickson, le plaignant présentait tous les symptômes classiques du syndrome de stress post-traumatique, notamment :

· événement traumatique;

· reviviscence de l’événement (souvenirs envahissants le jour), cauchemars à répétition;

· conduite d’évitement vis‑à‑vis de choses qui lui plaisaient dans le passé;

· état persistant d’hypervigilance.

[37] Pour sa part, le Dr Sequeira a reconnu que le diagnostic initial de SSPT était [TRADUCTION] bien étayé et que le plaignant était pleinement affligé de cette maladie en 1989. À son avis, le deuxième épisode (1994‑1995) n’en était pas un à proprement parler; il s’agissait plutôt d’une rechute. En ce qui concerne certaines des autres maladies ayant entraîné des absences, le Dr Sequeira a souligné qu’il n’est pas rare que des personnes atteintes du SSPT souffrent également d’anxiété généralisée, de phobie, de dépression profonde et de troubles du sommeil. Selon le Dr Sequeira, il se peut même qu’il existe un lien entre le SSPT et certains autres malaises dont le plaignant a souffert, notamment la diarrhée et les spasmes musculaires. Il se peut également que ces symptômes n’aient pas été liés au SSPT.

II. LE CADRE JURIDIQUE ET L’ANALYSE

A. Le droit

[38] Aux termes de l’article 7 de la Loi, le fait de refuser de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. La déficience figure parmi les motifs de distinction illicites énumérés à l’article 3 de la Loi. Selon l’article 25, déficience , au sens de la Loi, désigne la déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue .

[39] Selon le paragraphe 15a) de la version antérieure de la Loi, c’est‑à‑dire celle qui existait avant les modifications de 1998[3], le fait pour un employeur de traiter différemment un employé ne constituait pas un acte discriminatoire s’il découlait d’exigences professionnelles justifiées ( EPJ ). En 1999, la Cour suprême du Canada, dans des affaires qu’on appelle généralement Meiorin[4] et Grismer[5], a eu l’occasion de redéfinir la méthode à suivre lorsqu’un tel moyen de défense est invoqué. La Cour a réaffirmé qu’il incombe d’abord à la partie plaignante de prouver que la norme ou la politique adoptée par l’employeur-intimé est à première vue discriminatoire.

[40] Une fois que l’existence d’une preuve prima facie a été établie, l’employeur-intimé peut justifier la norme contestée en démontrant, selon la prépondérance des probabilités,

  1. qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à la fonction exécutée;
  2. qu’il a adopté la norme en question en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail;
  3. que la norme contestée est raisonnablement nécessaire pour atteindre le but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, l’employeur doit démontrer qu’il ne pouvait composer avec les employés présentant les mêmes caractéristiques que le demandeur sans subir une contrainte excessive[6].

B. La preuve prima facie

[41] Selon la Commission, il suffit de se reporter à l’exposé des précisions de l’intimée, qui a été établi avant l’audience conformément aux Règles de procédure provisoires du Tribunal, pour conclure à l’existence d’une preuve prima facie. Le document précise, entre autres, les faits matériels que l’intimée cherche à prouver à l’appui de ses prétentions (alinéa 6(1)a) des Règles de procédure provisoires). L’un des faits matériels mentionnés par l’intimée est que les absences du plaignant étaient le résultat de maladies, notamment du SSPT et de troubles chroniques du sommeil. Après avoir précisé le nombre de jours d’absence du plaignant, l’intimée déclare que le plaignant a été renvoyé le 15 février 1996 pour absentéisme chronique, [TRADUCTION] car on n’avait pas espoir qu’il puisse faire montre d’assiduité au travail .

[42] Dans une lettre que l’avocat de l’intimée a adressée ultérieurement à la Commission, il est précisé qu’au moment du congédiement, l’intimée estimait que le plaignant était apte à exercer pleinement et assidûment ses fonctions de chauffeur d’autobus. Cependant, l’intimée n’a pas accepté la thèse voulant que le rapport médical du 31 janvier 1996 des Drs Sequeira et Erickson fournissait un pronostic d’assiduité dans l’exercice de ces fonctions et a, par conséquent, congédié le plaignant.

[43] Deux anciens gestionnaires d’OC Transpo, MM. Ron Marcotte et Gerald Timlin, ont précisé dans leur témoignage que l’un des éléments examinés par le Service d’hygiène pour déterminer s’il existait un pronostic d’assiduité était le dossier de présence. Il ne fait aucun doute que le dossier d’assiduité du plaignant était piètre; toutefois, la Commission a fait remarquer que cette situation était attribuable aux maladies du plaignant, principalement le SSPT, une déficience mentale qui répond à la définition de déficience énoncée à l’article 25 de la Loi.

[44] Par conséquent, toutes les conditions à remplir pour prouver l’existence d’une preuve prima facie sont réunies, a‑t‑on soutenu. Le plaignant, qui était atteint d’une déficience, a été renvoyé par l’intimée, en raison notamment de son dossier d’absentéisme. La principale cause de son absentéisme était sa déficience. Par conséquent, un des facteurs qui ont joué dans la décision de l’intimée de congédier le plaignant était la déficience, qui constitue un des motifs de discrimination illicites aux termes de la Loi. Pour qu’une plainte soit jugée fondée, il suffit que la discrimination soit l’un des facteurs expliquant la conduite de l’intimée[7]. Par conséquent, l’intimée en l’espèce a contrevenu à première vue à la Loi, au dire de la Commission.

[45] L’intimée a indiqué son désaccord, soutenant que le plaignant, pour prouver l’existence d’une preuve prima facie, doit établir qu’il a vraiment fait l’objet d’une discrimination. Il ne suffit pas de prétendre qu’il y a eu discrimination du seul fait qu’une personne handicapée a été congédiée. Il faut prouver que cette personne a été congédiée en raison de la déficience. L’intimée a fait valoir qu’elle ne contestait pas l’avis des experts médicaux selon lequel le plaignant était en mesure de retourner au travail comme chauffeur d’autobus. L’avocat de l’intimée a réitéré, dans sa plaidoirie, la position qu’il avait adoptée dans la correspondance échangée avec la Commission avant l’audience, à savoir qu’au moment où le plaignant a été congédié en février 1996, l’intimée le jugeait apte à exercer intégralement et assidûment ses fonctions de chauffeur d’autobus. L’intimée a fait valoir que, par conséquent, la décision de renvoyer le plaignant n’était pas fondée sur l’hypothèse qu’il était atteint d’une déficience. En l’absence de cet élément, la Commission ne peut prétendre que le plaignant a fait l’objet d’un traitement discriminatoire en raison d’une déficience. Le plaignant a été congédié uniquement en raison du mauvais pronostic d’assiduité, et non à cause de sa capacité d’exercer ses fonctions lorsqu’il se présenterait au travail. La façon dont l’intimée a traité le plaignant, conformément à sa politique sur l’absentéisme involontaire, n’était pas différente de sa façon de traiter n’importe quel travailleur, atteint ou non d’une déficience, qui n’avait pas un bon dossier d’assiduité et dont le pronostic d’assiduité était lui aussi insatisfaisant.

[46] À mon avis, cet argument n’est pas corroboré par les faits. De toute évidence, la décision de l’intimée de congédier le plaignant a été influencée par l’état de santé du plaignant, comme semble l’indiquer le témoignage de M. Timlin, qui était à l’époque directeur de l’Hygiène au travail, de la sécurité et des avantages à OC Transpo. M. Timlin a participé au processus de gestion qui a mené à la décision de congédier le plaignant. Dans son témoignage, il a indiqué que la décision d’OC Transpo de congédier le plaignant a été fondée dans une large mesure sur l’opinion du Service d’hygiène. Dans la note qu’il a envoyée à la direction au sujet du pronostic d’assiduité concernant le plaignant, le Service d’hygiène n’aurait pu être plus clair, précisant que sa conclusion était fondée sur les [TRADUCTION] renseignements médicaux figurant au dossier et le [TRADUCTION] dossier d’assiduité du plaignant. L’intimée ne peut maintenant prétendre que l’état de santé du plaignant n’était pas un des facteurs qui l’ont amenée à conclure qu’il devait être congédié. Comme je l’ai indiqué précédemment, il n’est pas nécessaire, pour conclure à la discrimination, que la seule explication de la conduite de l’intimée réside dans un motif de distinction illicite. J’ajouterai que M. Timlin a affirmé dans son témoignage que la décision d’OC Transpo de mettre fin à l’emploi du plaignant n’a pas du tout été influencée par l’autre élément mentionné dans la note du Service d’hygiène, à savoir qu’il ne détenait pas de permis de classe C. M. Timlin a expliqué que l’intimée aide régulièrement les employés dont le permis a été déclassé en leur absence à recouvrer le type de permis qu’ils détenaient auparavant.

[47] À l’appui de son allégation voulant que sa décision de congédier le plaignant n’ait pas été influencée par son état de santé, l’intimée évoque le mauvais dossier d’assiduité du plaignant, qui remonte aux années 1970 et bien avant qu’il soit affligé du SSPT. L’intimée prétend donc que le plaignant était simplement quelqu’un qui ne pouvait se présenter assidûment au travail. L’employeur qui subit les conséquences du manquement de l’employé à ses obligations professionnelles devrait être fondé à un moment donné à considérer que le contrat d’emploi a pris fin. Toutefois, cet argument ne tient pas vraiment compte des faits en l’espèce. Comme je l’ai déjà mentionné, le Service d’hygiène, dans sa note à l’origine de la décision de l’intimée de congédier le plaignant, exprime indubitablement des inquiétudes à l’égard de l’état de santé de ce dernier. En outre, même si certaines absences du plaignant n’étaient pas attribuables au SSPT, la majeure partie d’entre elles l’étaient; de surcroît, j’accepte le témoignage des experts de la Commission selon lequel certaines de ses autres maladies étaient peut-être liées au SSPT. En tout état de cause, en supposant que l’absentéisme antérieur au SSPT ait été le seul élément qui a joué dans son congédiement, pourquoi alors le plaignant n’a‑t‑il pas été congédié avant le début de la déficience? Il convient de mentionner qu’au cours de la période qui a précédé son congédiement, la plus longue absence ininterrompue du plaignant est survenue alors qu’il se remettait du SSPT et d’autres maladies qui étaient peut-être reliées à cette affection.

[48] Je n’accepte pas l’autre prétention de l’intimée selon laquelle on ne devrait pas comparer la façon dont le plaignant a été traité avec la manière dont l’ont été d’autres employés d’OC Transpo présentant un mauvais dossier d’absentéisme involontaire. Le dossier d’assiduité du plaignant était inextricablement lié à sa déficience. L’intimée admet qu’à la date de son congédiement, le plaignant était jugé apte à retourner au travail. Cependant, l’employeur s’attendait à ce qu’il produise une preuve, médicale ou autre, démontrant qu’il serait en mesure de se présenter régulièrement au travail et de faire preuve de fiabilité à long terme, sur une période pouvant atteindre une vingtaine d’années, selon M. Timlin. D’autres employés d’OC Transpo qui étaient en meilleure santé que le plaignant ont été en mesure de conserver un bon dossier d’assiduité parce qu’ils ne présentaient pas la caractéristique qui le distinguait, c’est‑à-dire une déficience. On n’a pas laissé entendre qu’on s’attendait à ce que ces employés fournissent des preuves démontrant une probabilité d’assiduité sur une vingtaine d’années. Dans ce sens‑là, le plaignant, qui avait été atteint d’une déficience, a été traité différemment des employés qui ne présentaient pas cette caractéristique.

[49] À mon avis, la prédiction de l’intimée voulant que la probabilité d’assiduité du plaignant soit mauvaise était fondée sur le risque qu’il fasse une rechute. Lorsque M. Mooney, le surintendant du personnel opérationnel, a demandé l’opinion du Service d’hygiène avant de congédier le plaignant, il était intéressé à savoir si l’état de santé du plaignant, à l’époque, était différent de ce qu’il était au moment où on avait émis un pronostic d’assiduité, en 1994, après qu’il eut surmonté ses troubles du sommeil. Selon le témoignage de M. Timlin, l’employeur cherchait en fait à obtenir une garantie supplémentaire que le dossier d’assiduité du plaignant s’améliorerait.

[50] Je suis persuadé que l’hypothèse que le plaignant ferait vraisemblablement une rechute, qui entraînerait d’autres absences, a été à la base de la décision de l’intimée de congédier le plaignant. Une conduite motivée par la possibilité, réelle ou perçue, qu’un individu puisse être atteint d’une déficience dans l’avenir constitue une discrimination fondée sur la déficience, selon la Cour suprême du Canada – Québec (C.D.P.D.J.) c. Montréal (Ville) ( Montréal )[8]. Même si cette affaire relevait de la Charte des droits et libertés de la personne[9], qui interdit la discrimination fondée sur le handicap d’une personne, par opposition à une déficience , la Cour a souligné qu’il ne faut pas se réfugier derrière des différences de terminologie pour conclure à des divergences entre les objectifs poursuivis par les lois sur les droits de la personne au Canada[10].

[51] L’intimée a fait valoir que son intention a en tout temps été de gérer les présences au sein de son effectif. Le droit du travail reconnaît à l’employeur le droit de congédier un employé pour absentéisme involontaire marqué, dans la mesure où l’employeur réussit à démontrer que l’employé a affiché par le passé un dossier d’absentéisme chronique et sera incapable de se présenter assidûment au travail à l’avenir[11]. Toutefois, toute analyse des motifs de l’intimée n’est pas pertinente en l’espèce. Il est bien établi en droit qu’il n’est pas nécessaire de démontrer l’intention d’exercer une discrimination pour prouver qu’il y a eu discrimination en vertu de la législation canadienne sur les droits de la personne[12]. Si l’application d’une politique en matière de relations du travail a un effet non intentionnel, qui consiste à traiter de manière différente et préjudiciable une personne sur la base d’un motif de distinction illicite, l’employeur qui met en œuvre la politique en question peut faire l’objet d’un verdict de discrimination.

[52] L’intimée craint que si l’on se fonde sur cette approche, le résultat logique sera que l’employeur ne pourra jamais congédier un employé dont le degré d’absentéisme lié à une déficience est beaucoup trop élevé. En effet, l’employeur sera contraint de garder à son service un employé qui n’est pas en mesure de remplir l’obligation qui lui incombe en vertu du contrat de travail, c’est‑à‑dire accomplir ses tâches. L’avocat de l’intimée a cité la décision de l’arbitre du travail dans Re: Air B.C. Ltd. and Canadian Airline Dispatchers Assn.[13], où l’arbitre rejette pareille prétention en faisant remarquer que le fait qu’il existe une législation sur les droits de la personne n’élimine pas pour autant le principe de l’absentéisme involontaire en relations du travail.

[53] Les conclusions de l’arbitre du travail dans cette affaire servent cependant à démontrer que les préoccupations de l’intimée sont en fait injustifiées. Comme l’a indiqué l’arbitre dans sa décision, il y a deux choses à examiner en pareil cas : premièrement, l’employeur a‑t‑il réussi à démontrer, comme le veut la jurisprudence en droit du travail, qu’il s’agit d’un cas d’absentéisme involontaire? Deuxièmement, la conduite de l’employeur contrevient‑elle à la législation applicable en matière de droits de la personne. Pour répondre à cette dernière question, il faut se livrer à une analyse portant sur les EPJ en suivant la méthode décrite très récemment dans l’arrêt Meiorin. C’est le troisième élément du critère Meiorin qui préserve le droit de l’employeur de congédier un employé dans un cas semblable, dans la mesure où il réussit à établir qu’il ne peut composer avec l’intéressé sans s’imposer une contrainte excessive. Si l’employeur est en mesure de démontrer ces éléments, sa décision de congédier l’employé pour son absentéisme involontaire sera justifiée.

[54] Évalué au regard du critère des relations du travail, le dossier d’absentéisme involontaire du plaignant est certes très mauvais. Le pronostic d’assiduité n’est peut-être pas clair. Dans leur lettre du 31 janvier 1996, les experts médicaux ont déclaré que le pronostic était [TRADUCTION] très bon ; toutefois, dans leur témoignage respectif, ils ont tous deux expliqué que cette prédiction se limitait au court terme. Il aurait été irresponsable de leur part de tenter de prédire, sur un horizon plus lointain, l’état de santé du plaignant. Selon l’avocat de l’intimée, je suis lié d’une certaine façon par les conclusions de fait de l’arbitre du travail qui, dans sa décision concernant le grief du plaignant, a déclaré que le pronostic d’assiduité était à vrai dire mauvais. Cependant, il n’est pas nécessaire à mon avis de suivre cette approche, étant donné que la preuve médicale présentée par les experts de la Commission ne contredit pas la position de l’intimée voulant qu’à l’époque du congédiement, le pronostic au‑delà du court terme était à tout le moins incertain.

[55] Il convient de souligner ici que même si l’intimée a bien évalué l’état de santé du plaignant et si sa décision satisfait au critère de l’absentéisme involontaire énoncé dans la jurisprudence relevant du droit du travail, la question dont ce tribunal des droits de la personne est saisi demeure entière. Il faut quand même se livrer à l’analyse concernant les EPJ décrite par la Cour suprême du Canada dans Meiorin.

[56] En résumé, j’estime que l’existence d’une preuve prima facie de discrimination a été établie. La décision de l’intimée de congédier le plaignant, dans le cadre de son programme visant à gérer et favoriser l’assiduité au sein de son effectif, était fondée, du moins en partie, sur la déficience du plaignant. Par conséquent, il incombe maintenant à l’intimée de démontrer que sa décision était basée sur une exigence professionnelle justifiée.

C. Le critère Meiorin

i) Les premier et deuxième éléments

[57] Le premier élément du critère Meiorin exige que l’employeur démontre que la norme en cause a été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution des fonctions. Un document décrivant le Programme de gestion des présences d’OC Transpo a été déposé en preuve. M. Marcotte a affirmé dans son témoignage que les principes qui y sont énoncés sont le reflet de la politique qui existait à l’époque où le plaignant a été congédié en 1996, bien que le document proprement dit ait sans doute été rédigé quelques mois plus tard. Selon ce document, l’objectif déclaré du Programme de gestion des présences était le suivant :

[TRADUCTION]

[...] réduire le coût élevé de l’absentéisme de façon cohérente et équitable pour tous les employés. Les employés ont l’obligation de se présenter assidûment au travail; OC Transpo a l’obligation de; [sic] créer des conditions de travail qui favorisent l’assiduité, de surveiller les présences et de se concerter avec les employés qui affichent un taux d’absentéisme hors de l’ordinaire.

Conformément à la conclusion que le Tribunal canadien des droits de la personne a énoncée dans Eyerley c. Seaspan International Ltd.[14], il y a un lien rationnel évident entre une règle visant à assurer un niveau d’assiduité raisonnable au travail et les exigences propres au travail. En tout état de cause, la Commission n’a pas prétendu que le premier élément n’a pas été satisfait en l’espèce.

[58] De même, on n’a pas contesté le fait que l’intimée a adopté le Programme de gestion des présences en toute bonne foi, en croyant sincèrement qu’il était nécessaire pour atteindre le but visé.

ii) Le troisième élément

[59] Pour démontrer que son programme visant à pallier l’absentéisme involontaire était raisonnablement nécessaire pour atteindre son but visé, c’est‑à-dire assurer un niveau d’assiduité raisonnable, l’intimée doit prouver qu’il lui était impossible de composer avec le plaignant ou d’autres employés présentant les mêmes caractéristiques, sans qu’il en résulte pour elle une contrainte excessive.

[60] Lorsque la Loi a été modifiée en 1998, le paragraphe 15(2) a été ajouté. Selon ce paragraphe, les coûts, la santé et la sécurité sont des facteurs dont l’employeur peut tenir compte pour déterminer si composer avec une personne lui imposerait une contrainte excessive. Cependant, les faits qui ont donné lieu à la présente plainte sont survenus avant l’adoption de cette modification; comme on l’a fait remarquer dans Desormeaux c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton[15], je dois examiner la question de l’accommodement au regard des principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Central Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission)[16] et plusieurs décisions subséquentes. Certains de ces principes ont été résumés dans Eyerley[17] :

Dans Central Okanagan School District no 23 c. Renaud[18], le juge Sopinka a fait observer que l’utilisation du mot excessive laisse supposer qu’une certaine contrainte est acceptable, mais qu’il faut absolument, pour satisfaire à la norme, que la contrainte imposée soit excessive . Dans Central Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission)[19], la Cour suprême s’est penchée sur d’autres facteurs pertinents, notamment le coût financier, l’interchangeabilité des effectifs et des installations, les dispositions de la convention collective, l’atteinte réelle aux droits et au moral des collègues de travail et la sécurité des employés. Le coût excessif peut justifier le refus de composer avec les personnes atteintes d’une déficience; toutefois, il faut se garder de ne pas accorder suffisamment d’importance à l’accommodement de la personne handicapée. Il est beaucoup trop facile d’invoquer l’augmentation des coûts pour justifier le refus d’accorder un traitement égal aux personnes handicapées[20]. Bien que les dispositions d’une convention collective ne puissent dégager l’employeur de son obligation d’accommodement, une dérogation importante aux conditions d’emploi qui y sont énoncées est un élément à examiner pour déterminer si la contrainte imposée est excessive[21].

[61] Selon l’intimée, l’aspect accommodement de l’analyse n’est peut-être pas nécessaire dans les cas de congédiement pour absentéisme involontaire. Lorsqu’il évalue le pronostic d’assiduité, l’employeur tient compte implicitement de la possibilité de tenir compte de ses besoins sans subir une contrainte excessive. Comme l’avocat de l’intimée l’a fait remarquer, il n’y a [TRADUCTION] rien d’incompatible à ce que les considérations relatives aux congédiements pour absentéisme involontaire et celles liées aux droits de la personne soient interdépendantes . Dans de tels cas, par conséquent, il n’est plus nécessaire d’examiner le troisième élément du critère Meiorin.

[62] Avec respect, je ne puis accepter cette conclusion. Comme l’arbitre l’indique dans la décision rendue dans Air B.C., l’examen des congédiements pour absentéisme involontaire comporte deux volets. Le premier est régi par le droit du travail et la deuxième, par la législation sur les droits de la personne. Je ne vois pas comment on peut présumer qu’une fois qu’il a conclu à juste titre que le pronostic d’assiduité de l’employé est mauvais, l’employeur s’est acquitté de l’obligation d’accommodement que lui impose la législation sur les droits de la personne. L’examen de la décision arbitrale rendue à l’égard du grief du plaignant corrobore ce point. La décision d’OC Transpo de congédier le plaignant a été considérée comme justifiée, même si l’arbitre n’a pas examiné la question à savoir si l’employeur avait composé avec l’employé jusqu’à la contrainte excessive, conformément aux principes relatifs aux droits de la personne mentionnés ci‑dessus. Les observations de l’arbitre à cet égard se sont limitées à une déclaration générale voulant que le plaignant ait [TRADUCTION] amplement fait l’objet de mesures d’adaptation par le passé sans que cela ne donne de résultats et qu’il ne s’agissait pas, par conséquent, [TRADUCTION] d’un cas où l’employeur n’avait pas composé avec la déficience . La notion de contrainte excessive n’a même jamais été abordée.

[63] Cependant, l’intimée a invoqué un deuxième motif à l’appui de sa décision de ne pas procéder à l’analyse de l’aspect accommodement. Forte de l’avis médical des Drs Sequeira et Erickson, OC Transpo a jugé que le plaignant était apte à travailler comme chauffeur d’autobus au moment de son congédiement. Par conséquent, la question de l’accommodement ne se posait pas aux yeux de l’employeur. Comme il en était venu à la conclusion que le pronostic d’assiduité à long terme du plaignant était mauvais, la seule forme d’accommodement possible pour OC Transpo aurait été de tolérer le niveau d’absentéisme élevé prévu. Au dire de l’intimée, ce n’est pas là une forme d’accommodement acceptable.

[64] L’avocat de l’intimée a attiré mon attention sur une affaire instruite en 1992 par une commission d’enquête de l’Ontario, à savoir l’affaire Bonner v. Ontario (Minister of Health)[22]. Le plaignant était périodiquement en proie à la dépression. La commission d’enquête a mentionné dans sa décision [TRADUCTION] qu’une personne qui, en raison d’un handicap, ne peut faire son travail de façon compétente et assidue est incapable de satisfaire aux exigences du poste, peu importe le rendement qu’elle pourrait fournir en l’absence de ce handicap [23]. La commission d’enquête a poursuivi son raisonnement en rejetant la prémisse voulant qu’une personne atteinte d’une telle déficience doive faire l’objet de mesures d’adaptation, dans le sens où la situation doit être tolérée.

[65] À mon avis, cette décision n’est guère pertinente en l’espèce. D’abord, il s’agit de remarques incidentes, la commission d’enquête ayant principalement conclu que le plaignant n’aurait pas fourni un rendement satisfaisant, handicap ou non. Par ailleurs, la commission d’enquête n’avait pas à déterminer si le fait de traiter de manière différente une personne susceptible d’être atteinte d’une déficience à l’avenir constituait une forme de discrimination. La conclusion de la commission d’enquête est incompatible avec le jugement rendu subséquemment par la Cour suprême dans l’affaire Montréal. De façon générale, la commission d’enquête a interprété de façon restrictive les principes de l’accommodement et de la contrainte excessive. Elle a affirmé que le principe de la contrainte excessive n’exige pas que l’employeur embauche ou garde à son service des employés qui, en raison d’un handicap, sont en tout temps ou à l’occasion incapables de faire leur travail, simplement parce que les ressources dont il dispose lui permettent de tolérer un [TRADUCTION] travail qui est, en fait, vraiment insatisfaisant [24]. Le droit est allé bien au‑delà de cette interprétation, comme en fait foi la déclaration de la Cour suprême du Canada dans Meiorin, à savoir que l’employeur doit démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans qu’il subisse une contrainte excessive[25].

[66] Par ailleurs, je ne vois pas comment une attitude tolérante à l’égard de l’absentéisme ne peut constituer une forme d’accommodement acceptable. Certes, tous les employeurs doivent être prêts à accepter un certain degré d’absentéisme au sein de leur personnel, étant donné qu’il est inévitable que des employés ne soient pas en mesure de temps à autre de se présenter au travail. La question à trancher est la suivante : cette tolérance à l’égard d’un certain degré d’absentéisme imposerait-elle une contrainte excessive à l’employeur, compte tenu de tous les facteurs pertinents. Dans une affaire récente (UNA c. Calgary Health Authority[26]), la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a eu à déterminer notamment si l’employeur est tenu d’embaucher à un poste à durée déterminée une femme qualifiée qui est enceinte, sachant au départ qu’elle ne pourra, en raison de son accouchement imminent, travailler pendant toute la période visée. La Cour a jugé que ce serait une erreur de présumer que ce genre de problème de disponibilité se traduirait inévitablement par une contrainte excessive. La Cour n’a pas fait de distinction entre l’obligation de composer avec cette forme d’absentéisme et celle décrite dans des causes comme Central Alberta Dairy Pool et Simpsons-Sears[27], où il s’agissait pour l’employeur de composer jusqu’au point de la contrainte excessive avec des employés qui se seraient absentés régulièrement. Je ne partage donc pas l’opinion de l’intimée selon laquelle le troisième élément du critère Meiorin ne s’applique pas en l’espèce.

[67] Si l’intimée a jugé que la seule forme d’accommodement possible serait de tolérer l’absentéisme, c’est notamment parce qu’elle a présumé que le plaignant pouvait travailler uniquement comme chauffeur d’autobus. Cependant, la preuve indique qu’il en était autrement. D’abord, le Service d’hygiène, dans la note (deuxième paragraphe) sur laquelle la direction d’OC Transpo s’est fondée pour décider de mettre fin à l’emploi du plaignant, a indiqué qu’il était prêt à communiquer avec les conseillers médicaux de celui‑ci pour déterminer s’il pourrait exercer un [TRADUCTION] autre emploi , dans la mesure où sa division employeuse était [TRADUCTION] capable et désireuse de lui offrir une telle solution de rechange . Par conséquent, le Service d’hygiène n’a pas écarté la possibilité que le plaignant puisse remplir de façon satisfaisante d’autres fonctions.

[68] En outre, le plaignant a indiqué dans son témoignage que lorsqu’on lui a dit qu’on ne lui permettrait pas de réintégrer ses fonctions, il avait demandé à M. Mooney de lui confier d’autrestâches au sein d’OC Transpo. M. Mooney lui a opposé une fin de non-recevoir, l’informant qu’aucune forme de [TRADUCTION] réadaptation ne serait offerte. À mon avis, l’ensemble du témoignage du plaignant est limpide et crédible et aucun élément de preuve n’a été présenté pour contredire ce dont il se rappelait de cette conversation. Même si les gestionnaires d’OC Transpo qui ont décidé de congédier le plaignant (y compris MM. Mooney et Timlin) estimaient que le seul choix possible en l’occurrence était de le garder comme chauffeur d’autobus, il existait de toute évidence, compte tenu de l’information dont ils disposaient, des solutions de rechange qu’ils auraient dû examiner.

[69] Ce point nous amène à soulever une autre lacune importante dans le traitement du cas du plaignant. Dans Meiorin, la Cour suprême a fait état de l’opportunité, aux fins de l’analyse de l’aspect accommodement, d’examiner séparément :

  1. le caractère approprié de la procédure que l’employeur a adoptée pour étudier la question de l’accommodement; et
  2. la teneur réelle d’une norme plus conciliante qui a été offerte à l’employé, le cas échéant[28].

De l’avis de la Commission, l’intimée n’a pas, dans le cas de la déficience du plaignant, suivi les lignes de conduite décrites dans son propre programme de gestion des présences et, par conséquent, a omis de composer avec lui du point de vue de la procédure. Par exemple, le Programme de gestion des présences prévoyait que tous les efforts raisonnables devaient être déployés pour tenter de réadapter l’employé ou de composer avec lui dans un cas d’absentéisme involontaire découlant d’une déficience, dans la mesure où cela pouvait être fait sans subir une contrainte excessive. Ces mécanismes d’adaptation comprenaient les options offertes par le CESEH, telles que le bus-navette auquel le plaignant avait été affecté en 1992.

[70] On précise également dans la description du Programme de gestion des présences qu’on peut [TRADUCTION] congédier quelqu’un pour des raisons médicales uniquement si l’on a fait tous les efforts raisonnables pour composer avec l’employé au sein du milieu de travail . Selon la Commission, on a congédié l’employé avant de déployer de tels efforts. En fait, j’estime que l’intimée, à qui incombe le fardeau de démontrer qu’il était impossible de composer avec l’employé, n’a pas présenté de preuves démontrant qu’elle avait fait de tels efforts. Au contraire, il semble que l’intiée, ayant conclu que le plaignant était apte à exercer ses fonctions, a procédé à son congédiement sans examiner d’autres solutions. Cependant, comme je l’ai déjà expliqué, la décision d’OC Transpo a été viciée par la présomption que le plaignant ne serait pas en mesure de faire montre d’assiduité au travail parce qu’on craignait qu’il devienne malade à l’avenir.

[71] Dans leur lettre, les experts médicaux font allusion au fait qu’un processus de conditionnement au travail serait de nature à aider à la réadaptation du plaignant. En outre, les antécédents du plaignant démontraient que les situations stressantes (p. ex., refaire le trajet où il avait été agressé auparavant) nuisaient à sa guérison. En veillant à ce que le plaignant ne soit pas confronté à de telles situations, on aurait pu aider à prévenir une rechute. Selon l’intimée, les conseillers médicaux du plaignant n’ont jamais indiqué qu’il fallait confier à celui‑ci un autre travail; ils ont plutôt dit qu’il était prêt à réintégrer ses fonctions de chauffeur d’autobus. Je ne trouve pas cet argument convaincant. Rien n’indique qu’on se soit enquis auprès des experts de la possibilité que le plaignant fasse un autre travail. Les Drs Sequeira et Erickson étaient certes disposés, ainsi qu’ils l’ont précisé dans leur lettre du 31 janvier 1996, à prodiguer des conseils à l’employeur au sujet des tâches qui pourraient lui être confiées, présumément à titre de chauffeur d’autobus. Eu égard à la crainte que le plaignant ne soit pas en mesure de se présenter assidûment au travail en tant que chauffeur d’autobus, rien n’empêchait l’intimée, à ce moment‑là, de demander aux experts leur opinion au sujet de la possibilité que leur patient exécute un autre travail. Rien n’indique qu’une telle démarche ait été faite.

[72] Les employeurs ont‑ils l’obligation de faire une telle démarche? L’intimée a répondu à cette question par la négative, citant le jugement récent de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Oak Bay Marina Ltd. (c.o.b. Painter’s Lodge) v. British Columbia (Human Rights Commission) ( Oak Bay )[29]. Dans cette cause, la Cour a jugé que l’employeur était autorisé à s’en remettre à sa propre connaissance du plaignant pour évaluer sa capacité de faire le travail et qu’il n’était pas tenu de faire des démarches pour vérifier ce qu’il en était de sa déficience mentale, par exemple, en demandant d’autres avis d’expert. Toutefois, les conclusions dans cette affaire sont de toute évidence fondées sur des faits particuliers. L’employé en question travaillait comme guide à bord de petits bateaux de pêche qui naviguaient dans des eaux reconnues comme étant les plus dangereuses en Colombie-Britannique. La vie des clients de l’employeur était entre les mains du guide; il est évident que la Cour a jugé que, dans l’intérêt de la sécurité des clients, l’employeur était fondé à se fier à sa connaissance empirique de la capacité du plaignant de fonctionner dans de telles circonstances. En l’espèce, l’intimée ne conteste pas la capacité du plaignant de bien exécuter ses fonctions lorsqu’il travaille. Le problème aux yeux de l’intimée est le niveau d’absentéisme du plaignant.

[73] La Cour a également indiqué que l’étendue de l’obligation de faire la démarche pouvait varier en fonction de la nature et de la taille de l’employeur. Elle a établi une distinction entre la petite entreprise de l’employeur et, par exemple, les activités d’un gouvernement qui a à sa disposition [TRADUCTION] des ministères entiers et de grandes quantités d’information [30]. OC Transpo relève certes davantage de cette dernière catégorie. Enfin, en ce qui touche cette question de l’obligation de faire une démarche, je suis à nouveau guidé par les conclusions formulées dans l’arrêt Meiorin. La Cour énonce certaines questions importantes qu’il faut se poser dans le cadre de l’analyse du troisième élément. Il faut notamment se demander si l’employeur a examiné d’autres options qui n’avaient pas un effet discriminatoire. Cette conclusion implique l’obligation pour l’employeur de se livrer à un tel examen. Il ne fait aucun doute que l’employé doit collaborer avec l’employeur dans le cadre d’un tel processus; cependant, comme je l’ai mentionné précédemment, je suis persuadé que le plaignant et ses conseillers médicaux étaient disposés à aider à trouver une façon d’assurer sa réadaptation et sa pleine réintégration au sein du personnel d’OC Transpo.

[74] En supposant que, comme l’a indiqué l’intimée, la seule forme d’accommodement possible ait été de tolérer l’absentéisme du plaignant à l’avenir, quels éléments de preuve ont été présentés pour démontrer qu’il en aurait résulté pour l’employeur une contrainte excessive?

[75] Le calendrier de travail des chauffeurs d’autobus était de façon générale établi en fonction de quatre ou cinq périodes d’affectation par année. Avant chaque période, les chauffeurs étaient autorisés à choisir leurs trajets et les dates où ils travailleraient, selon leur ancienneté. Une des options qui s’offraient à eux était de faire inscrire leur nom sur la liste des suppléants . Cette liste comprenait un certain nombre de chauffeurs (entre 30 et 50 selon la preuve présentée) qui étaient appelés à remplacer des collègues absents. De façon générale, il s’agissait d’absences imprévues (réveil à une heure tardive, tempête de neige, maladie, etc.). Les chauffeurs dont les noms figuraient sur la liste des suppléants recevaient leur plein salaire, que l’on fasse appel ou non à eux pour remplacer des chauffeurs absents.

[76] Lorsque le nombre d’absents dépassait le nombre de chauffeurs sur la liste des suppléants, OC Transpo était contrainte de demander à d’autres chauffeurs de suppléer aux absences et de rémunérer leurs heures supplémentaires. À l’occasion, OC Transpo n’arrivait pas à trouver suffisamment de chauffeurs désireux d’effectuer des heures supplémentaires; dans ces cas‑là, les autobus ne quittaient pas le dépôt, ce qui occasionnait des inconvénients pour le public. Les usagers mécontents du service de transport en commun avaient l’habitude de se plaindre des interruptions de service aux élus locaux qui, à leur tour, saisissaient la direction d’OC Transpo de leurs préoccupations.

[77] M. Marcotte a occupé le poste de gestionnaire des relations avec les employés chez OC Transpo. Lors de son témoignage, il a évoqué la difficulté de tenter de prédire combien de personnes s’absenteraient un jour donné et, partant, d’estimer le nombre de chauffeurs que devait compter la liste des suppléants.

[78] Dans le cas d’une absence de longue durée, où on savait avant la période d’affectation que l’employé ne serait pas disponible pendant toute la période, le chauffeur n’était pas autorisé à réserver des postes de travail. Je crois comprendre, d’après la preuve plutôt sommaire présentée à cet égard, qu’étant donné que ces absents n’avaient pas de postes de travail normalement prévus, ils n’étaient pas remplacés par des chauffeurs inscrits sur la liste des suppléants. En revanche, s’il était incertain que l’absence durerait toute la période d’affectation, l’employé était autorisé à réserver des dates de travail. Lorsqu’il ne se présentait pas finalement au travail ces jours‑là, il fallait faire appel à un chauffeur dont le nom figurait sur la liste des suppléants.

[79] En résumé, l’absentéisme éventuel du plaignant aurait pu causer les difficultés décrites ci‑après.

· Il aurait fallu faire appel, pour le remplacer, à un chauffeur suppléant qui, le cas échéant, aurait été rémunéré, qu’il travaille ou non.

· La liste des suppléants comptait un jour donné entre 30 et 50 noms de chauffeurs. Dans les cas où le nombre de chauffeurs suppléants disponibles n’aurait pas été suffisant, il aurait fallu payer des heures supplémentaires pour le remplacer.

· Dans les cas où il aurait été impossible de trouver un chauffeur désireux d’effectuer du temps supplémentaire, le service d’autobus aurait été interrompu sur un trajet donné.

· Des usagers lésés du service de transport en commun auraient pu se plaindre à leurs élus locaux qui auraient à leur tour porté plainte à la direction d’OC Transpo.

[80] À mon avis, cette preuve ne démontre pas que l’intimée aurait subi une contrainte excessive si elle avait eu à composer avec l’absentéisme éventuel du plaignant.

[81] D’abord, cette preuve, présentée dans le cadre des témoignages de MM. Timlin et Marcotte, était essentiellement anecdotique. Avant de formuler ses commentaires, M. Timlin a pris soin de préciser qu’il était un spécialiste de la rémunération et des avantages des employés et non de l’établissement des calendriers de travail. Ni lui ni M. Marcotte n’a fourni de détails quant à ce qu’il en coûtait pour tenir la liste des suppléants ou rémunérer le temps supplémentaire lorsque la liste des suppléants était épuisée, particulièrement par rapport aux dépenses totales d’OC Transpo. Aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de la fréquence à laquelle on constatait que la liste des suppléants était épuisée ou de la fréquence à laquelle le service au public devait être interrompu en raison de l’absentéisme des employés.

[82] Le plaignant a reçu des prestations d’invalidité durant un grand nombre de ses absences. Aucun élément de preuve n’a été présenté par l’intimée à propos des coûts que cela pouvait occasionner ou des difficultés que cette situation lui causait.

[83] M. Marcotte a confirmé que l’absence d’un chauffeur d’autobus ne mettait pas en danger la santé de qui que ce soit. Il a également admis qu’il serait exagéré de prétendre que le fait de faire trop d’heures supplémentaires causerait tellement de stress aux employés suppléants qu’il en résulterait des préoccupations au plan de la sécurité. En fait, l’intimée n’a pas démontré les difficultés qui en résulteraient pour le personnel en général. La plupart des présumées difficultés avaient trait à la tenue de la liste des suppléants. Cependant, la preuve concernant le plaignant a révélé que ce dernier était en congé d’invalidité de longue durée au cours d’un bon nombre de ses absences, particulièrement lorsqu’il se faisait soigner pour le SSPT. Par conséquent, le plaignant n’avait pas réservé de postes de travail durant son absence de neuf mois en 1992 et au cours des onze mois qui ont précédé son congédiement. Il n’avait donc pas été nécessaire de faire appel à des employés dont les noms figuraient sur la liste des suppléants pour le remplacer durant ces périodes. Si, comme l’intimée l’avait prévu, le plaignant avait été contraint de s’absenter involontairement, ces absences auraient fort vraisemblablement ressemblé aux incidents antérieurs et auraient été de longue durée. Par conséquent, elles n’auraient pas eu d’effets sur la liste des suppléants.

[84] L’avocat de l’intimée a cité le récent jugement de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans Ontario (Human Rights Commission) v. Roosma[31]. Dans cette affaire, la Cour a confirmé la décision rendue par une commission d’enquête de l’Ontario. Deux employés de l’usine d’automobiles de Ford à Oakville ne pouvaient, pour des motifs religieux, travailler entre le coucher du soleil le vendredi et le coucher du soleil le samedi. Ils ont demandé d’être excusés en permanence les vendredis soirs. La Commission ontarienne des droits de la personne a produit une preuve démontrant que le coût du remplacement par Ford des employés affectés à ces postes de travail était négligeable. La commission d’enquête a contesté cette évaluation. Selon elle, il fallait inclure dans la notion de coût le coût réel de la baisse de qualité et de production que cette situation entraînerait. Bien que difficile à mesurer, ce coût n’en n’était pas moins réel à son avis. La commission d’enquête a conclu qu’en adoptant des mesures d’adaptation à l’égard de ces employés, Ford subirait une contrainte excessive car il lui faudrait permuter des postes de travail ou embaucher des travailleurs à temps partiel ou des étudiants.

[85] Les circonstances entourant l’affaire Roosma diffèrent sensiblement de celles de l’espèce. D’abord, la Cour n’a pas nécessairement fait siens les motifs de la commission d’enquête; elle a simplement conclu que les conclusions de la commission d’enquête répondaient à la norme de contrôle judiciaire fondée sur la raisonnabilité . La Cour a fait remarquer que Ford avait présenté à la commission d’enquête une preuve vaste, détaillée et non contredite relativement aux conséquences que comporterait l’adoption de mesures d’adaptation à l’égard des plaignants. En outre, parmi les facteurs qui ont influencé les conclusions de la commission d’enquête figuraient non seulement le coût financier pour Ford, mais aussi l’interchangeabilité de ses opérations, l’importance que chaque opérateur soit à son poste habituel, les conséquences liées à la convention collective, les considérations en matière de sécurité et l’effet important de mesures d’adaptation sur les autres travailleurs[32].

[86] Comme je l’ai déjà indiqué, je n’ai été saisi d’aucun élément de preuve quant au coût financier réel de mesures d’adaptation pour l’intimée ou de la tolérance de l’absentéisme. La sécurité n’est pas un élément qui entre en ligne de compte, et on n’a pas présenté de preuves au sujet des conséquences liées à la convention collective. Mis à part le fait qu’on ait fait état du stress supplémentaire qui pourrait en résulter pour les employés qui auraient à faire du temps supplémentaire, conséquence peu plausible, on ne m’a pas indiqué comment des mesures d’adaptation à l’égard de l’absentéisme éventuel du plaignant pourraient influer sur d’autres employés. En outre, contrairement à la preuve présentée dans Roosma relativement aux travailleurs affectés à la ligne de montage chez Ford, la preuve dont j’ai été saisi indique que les tâches des chauffeurs d’autobus étaient très interchangeables. À mon avis, l’affaire Roosma se distingue de celle qui nous occupe.

[87] L’intimée n’a pas prouvé qu’OC Transpo aurait subi une contrainte excessive si elle avait composé avec l’absentéisme involontaire éventuel du plaignant, après son retour au travail en février 1996.

[88] La plainte est donc fondée.

III. LE REDRESSEMENT

A. La réintégration dans les fonctions

[89] Dans les cas où il juge qu’une plainte de discrimination est fondée, le Tribunal doit tenter de remettre la partie plaignante dans la position où elle aurait été, n’eût été de l’acte discriminatoire[33]. Par conséquent, la Commission soutient que le plaignant devrait être réintégré dans le poste de chauffeur d’autobus ou se voir confier un autre travail qui lui conviendrait selon le Tribunal.

[90] Selon l’avocat de l’intimée, il ne conviendrait pas en l’espèce de réintégrer l’employé. Au cours des sept années qui se sont écoulées depuis son congédiement, le pronostic d’assiduité du plaignant est demeuré inchangé. Une fois qu’il aurait été réintégré, les parties, si les prédictions de l’employeur devaient se concrétiser, se retrouverait à nouveau dans la situation difficile d’avoir à composer avec le grand nombre d’absences du plaignant. À mon avis, cet argument repose sur une hypothèse qui est elle-même liée à la déficience du plaignant. J’ai déjà soutenu qu’une telle hypothèse est discriminatoire et qu’elle ne doit pas, par conséquent, influencer l’élaboration des mesures de redressement.

[91] Je suis persuadé que la mesure de redressement appropriée consisterait à reprendre le plaignant comme chauffeur d’autobus. J’ordonne donc que l’intimée réintègre le plaignant dans le poste de chauffeur d’autobus tout en lui accordant les avantages d’un employé permanent à temps plein, notamment au chapitre de l’ancienneté, le tout avec effet rétroactif à la date de son congédiement.

[92] Selon la preuve, l’intimée aide habituellement à assurer la réintégration au sein de l’effectif des employés qui reviennent d’un long congé. Elle offre notamment à l’employé une formation et l’aide dans ses démarches auprès des autorités pour obtenir le renouvellement du permis de conduire requis. L’intimée doit fournir cette aide au plaignant.

B. Les dommages-intérêts pour manque à gagner

[93] J’ordonne à l’intimée d’indemniser le plaignant des pertes salariales qu’il a subies entre le 2 février 1996 et la date de son retour au travail à temps plein, en tenant compte de ses autres revenus et des retenues obligatoires et en majorant l’indemnité aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu. J’ordonne également que soient faits les rajustements nécessaires au titre des avantages.

[94] Je ne partage pas l’opinion de l’intimée voulant que l’indemnité au titre des pertes salariales devrait être calculée uniquement à partir de la date de la décision de l’arbitre du travail selon laquelle le congédiement du plaignant était justifié. La responsabilité de l’intimée découle de sa décision de mettre fin à l’emploi du plaignant, qui était fondée en partie sur un motif discriminatoire – que le congédiement juste ait été jugé justifié ou non par l’arbitre du travail.

[95] Plutôt que de présenter à l’audience une preuve ou des observations au sujet du calcul de ces dommages-intérêts, les parties ont convenu de travailler ensemble à déterminer ceux‑ci. Comme je l’explique ci‑dessous, je conserve ma compétence pour le cas où leurs discussions ne seraient pas fructueuses.

C. Le préjudice moral

[96] Les faits qui ont donné lieu à la plainte sont survenus avant les modifications dont la Loi a fait l’objet en 1998. À l’époque, le paragraphe 53(3) prévoyait que le Tribunal ne pouvait ordonner le versement d’une indemnité de plus de 5 000 $ pour compenser le préjudice moral subi par la victime d’un acte discriminatoire. Je fais miennes les conclusions du Tribunal dans les affaires Premakumar c. Air Canada[34] et Desormeaux[35], à savoir que l’indemnité maximale de 5 000 $ doit être réservée aux pires cas parmi ceux pour lesquels une telle indemnité est justifiée.

[97] Dans son témoignage, le plaignant a évoqué les incidences de son congédiement sur sa vie. Il a été blessé dans sa dignité et a craint pour le bien-être économique de sa famille. Les conséquences financières ont été telles qu’il a eu de la difficulté à acheter de la nourriture convenable pour sa famille. Par ailleurs, la preuve n’indique pas que le congédiement a fait réapparaître le SSPT. Au contraire, le Dr Erickson a précisé que le plaignant [TRADUCTION] se porte extrêmement bien .

[98] Compte tenu de ces considérations et de toutes les autres circonstances entourant cette affaire, j’ordonne que l’intimée verse au plaignant la somme de 3 500 $ en guise d’indemnité spéciale.

D. La révision de la politique

[99] La Commission demande au Tribunal d’ordonner que la politique de l’intimée concernant les mesures d’adaptation à l’égard des employés atteints de déficience soit examinée et révisée. Plus de sept années se sont écoulées depuis le congédiement du plaignant. La preuve indique que, depuis ce temps, l’employeur n’est plus le même (Ville d’Ottawa maintenant) et que les politiques sur les mesures d’adaptation et les programmes de gestion des présences ont fait l’objet de plusieurs modifications et mises à jour. Le nouveau programme de gestion des présences s’applique à l’ensemble des employés de la Ville d’Ottawa, et non pas seulement à ceux qui travaillent chez OC Transpo. En outre, la responsabilité en l’espèce découle en partie du fait que l’intimée n’a pas appliqué le programme qui était en place au moment du congédiement du plaignant et n’est pas nécessairement le résultat d’une lacune particulière dans le programme proprement dit. Par conséquent, la requête de la Commission est rejetée.

E. Le versement d’intérêts

[100] Des intérêts doivent être payés à l’égard de toutes les indemnités accordées dans le cadre de cette décision. Ces intérêts simples doivent être calculés sur une base annuelle selon un taux équivalant au taux d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle). En ce qui concerne l’indemnité au titre du préjudice moral, les intérêts doivent courir à compter de la date du congédiement, et ce, jusqu’à la date du versement final de l’indemnité. Les intérêts sur les pertes salariales doivent également être calculés à compter de la date du congédiement jusqu’à celle du versement final de l’indemnité; toutefois, le calcul doit tenir compte des dates auxquelles le plaignant aurait reçu son salaire.

F. Le maintien de la compétence

[101] Pour le cas où la mise en œuvre de ces mesures de redressement poserait des difficultés, notamment si les parties ne peuvent s’entendre sur les dommages-intérêts pour le manque à gagner, je me réserve le droit de recevoir des témoignages, d’entendre d’autres observations et de rendre d’autres ordonnances.


Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)

Le 6 mars 2003

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T699/0402

INTITULÉ DE LA CAUSE : Alain Parisien c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton

LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

(Du 22 au 24 juillet 2002;

les 4 et 5 septembre 2002;

le 15 novembre 2002.)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 6 mars 2003

ONT COMPARU :

Alain Parisien en son propre nom (plaignant)

Patrick O’Rourke au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Stephen Bird au nom de l’intimée


[1] L.O. 1999, ch. 14.

[2] Parisien c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton, [2002] D.C.D.P. no 23 (T.C.D.P.)(QL).

[3] Cette disposition se retrouve actuellement à l’alinéa 15(1)a). Voir la Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d’autres matières, et modifiant d’autres lois en conséquence; L.C. 1998, ch. 9, art. 10.

[4] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3 ( Meiorin ).

[5] Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 ( Grismer ).

[6] Précitée, note 4, aux pages 32 et 33.

[7] Singh c. Canada (Statistique Canada) (1998), 34 C.H.R.R. D/203 ( T.C.D.P.), au par. 174, confirmée par Canada (P.G.) c. Singh (14 avril 2000) T-2116-98 (C.F., 1re inst.); McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd., [2001] D.C.D.P. no 36 (T.C.D.P.)(QL), au par. 102; Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), au par. 7; Pitawanakwat c. Canada (Secrétariat d’État) (1992), 19 C.H.R.R. D/10 (T .C.D.P.), au par. 85.

[8] [2000] 1 R.C.S. 665, à la page 700.

[9] R.S.Q., ch. C-12.

[10] Précitée, note 8, à la page 689.

[11] Voir Re: Air B.C. Ltd. and Canadian Airline Dispatchers Assn., (1995), 50 L.A.C. (4th) 93.

[12] Ontario (Commission des droits de la personne) C. Simpson-Sears Limited [1985] 2 R.C.S. 536., à la p. 547; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor) [1987] 2 R.C.S. 84, au par. 10.

[13] Précitée, note 11.

[14] [2001] D.C.D.P. no 45 (T.C.D.P.)(QL), au par. 139.

[15] 2003 TCDP 2.

[16] [1990] 2 R.C.S. 489, aux pages 520 et 521.

[17]Précitée, note 14, au par. 141.

[18] [1992] 2 R.C.S. 970, à la page 984.

[19] [1990] 2 R.C.S. 489, aux pages 520 et 521.

[20] Grismer, précitée, note 4 au par. 41; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, aux par. 87 à 94.

[21] Renaud, précitée, note 18, à la page 587.

[22] (1992), 16 (C.H.R.R.) D/485 (comm. d’enq. de l’Ont.).

[23] Ibid., au par. 82.

[24] Ibid., au par. 83.

[25] Précitée, note 4, à la page 40.

[26] 2002 C.B.R. (Alb.) 859.

[27] Précitée, note 12.

[28] Précitée, note 4, à la page 37.

[29] 2002 C.A C.-B. 495.

[30] Ibid., au par. 26.

[31] [2002] O.J. no 3688 (C.S.J. Ont. ‑ C. div.) (QL), autorisation d’en appeler à la C.A.F. refusée.

[32] Ibid., au par. 158.

[33] McAvinn, précitée, note 7, au par. 189; Canada c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401, aux pages 414 et 415 (C.A.).

[34](2002), 42 C.H.R.R. D/63, au par. 107.

[35] Précitée, note 15, au par. 128.

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