Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

MICHELE LARONDE

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

WARREN GIBSON LIMITED

l'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

2003 TCDP 38
2003/11/07

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

TRADUCTION

I. INTRODUCTION

II.LES FAITS

A.RÈGLES ET PROCÉDURES DICIPLINAIRES DE GIBSON

B.APPELS DEVANT LE COMITÉ DE GESTION

C.LES TROIS ÉLÉMENTS DE LA PLAINTE

(i)Traitement différentiel défavorable - par. 7b) de la Loi

a) Présumés incidents de traitement différentiel défavorable

1. Le 12 juin 1995, retour à la maison avec son camion - sanction : perte de la moitié de sa prime de rendement exemplaire

2. Le 15 août 1995 - Itinéraire non suivi - manquement non sanctionné

3. Le 9 mai 1996 - Hisan - plainte du client - note au dossier et excuses

4. Le 6 juin 1996 - s'est levée tardivement - livraison en retard - faute grave

5. Le 18 juin 1996 - livraison tardive chez Honda - manquement grave

6. Le 28 juin 1996 - Dernier avertissement

7. Le 25 juillet 1996 - livraison en retard - pas d'infraction disciplinaire

8. Le 2 août 1996 - impolie envers le répartiteur - infraction légère et excuses

9. Le 18 septembre 1996 - mauvaise attitude - pas d'infraction disciplinaire

10. Le 27 septembre 1996 - omission de vérifier un chargement - infraction grave

b) Conclusion au sujet du traitement différentiel défavorable

(ii) Harcèlement sexuel - art. 14 de la Loi

a) Présumés incidents de harcèlement sexuel

1. L'enveloppe des voyages - As-tu fait du café pour Steve?

2. Les ébats sexuels sur le réservoir de carburant

3. Le racolage dans le parc de stationnement - message transmis par radiomessagerie satellite

4. Le message de Chris Reid

5. Bob Watt - partage de sa couchette avec Chris Reid

6. John Hepburn - rester chez elle couchée sur le dos avec les jambes ouvertes

7. Gary Kitchener - renvoyez cette chienne

8. Surveillance par satellite

b) Le droit - Harcèlement sexuel

c) Analyse et conclusion

(iii) Non-accession au rang de propriétaire-exploitant

a) Analyse et conclusion

III. MESURES DE REDRESSEMENT

A. PERTES SALARIALES

B. INDEMNITÉ SPÉCIALE

C. INTÉRÊTS

D. FRAIS REMBOURSABLES

I. INTRODUCTION

[1] Michèle Laronde est la plaignante dans cette affaire. La compagnie intimée, Warren Gibson Limited, est une grande entreprise de camionnage d'Alliston, en Ontario. Mme Laronde a été embauchée comme conductrice de camions-tracteurs; elle a été affectée à la section États-Unis, c'est-à-dire aux trajets aller-retour Canada-États-Unis. Elle a débuté comme employée à temps plein en stage probationnaire le 4 mai 1994 et a acquis sa permanence le 12 avril 1995. Les camions-tracteurs sont de gros véhicules dont la cabine est dotée d'une couchette à l'arrière. Mme Laronde a travaillé chez Gibson jusqu'au 2 octobre 1996, date où l'entreprise a mis fin à son emploi.

[2] Avant sa cessation d'emploi, Mme Laronde avait déposé une plainte en date du 23 août 1996 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans sa plainte, Mme Laronde alléguait que Gibson avait, durant la période où elle a été à son emploi, appliqué à son endroit des mesures disciplinaires plus sévères que celles prises à l'égard de conducteurs de sexe masculin pour des incidents similaires et avait refusé de lui accorder de l'avancement, contrevenant ainsi à l'art. 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Elle alléguait également que Gibson avait exercé envers elle une discrimination en ne lui offrant pas un milieu de travail exempt de harcèlement, ce qui va à l'encontre de l'art. 14 de la Loi.

II. LES FAITS

[3] Le siège de Gibson se trouve à Alliston, en Ontario. Aux fins de ses activités de camionnage, la compagnie a créé quatre sections : la section États-Unis, la section Windsor, la section locale et la section des suppléants. Les conducteurs de la section États-Unis font des trajets aller-retour entre Alliston et les États-Unis. Ceux de la section Windsor sont affectés aux allers-retours entre Alliston et Windsor. Les conducteurs de la section locale font des trajets au Canada - habituellement dans un rayon de 100 milles. Enfin, ceux de la section des suppléants qui ne sont assignés à aucune des sections.

[4] Au début, Gibson comptait environ cinq camions qui transportaient surtout du tabac, du maïs fourrager et d'autres produits agricoles. Lorsque Honda Canada a construit son usine d'assemblage près d'Alliston, Gibson est devenue son principal transporteur de pièces d'automobile. Honda représente actuellement environ 75 % du chiffre d'affaires de Gibson. Aujourd'hui, Gibson a un effectif d'environ 700 employés. À l'époque où Mme Laronde a travaillé pour la compagnie, Gibson comptait quelque 250 conducteurs.

[5] Les activités de Honda sont axées sur la livraison juste à temps. L'usine d'assemblage de Honda n'est dotée d'aucun entrepôt de pièces d'automobile. Les pièces sont transportées à l'usine dans des camions semi-remorque. Les remorques sont regroupées dans une zone désignée. Lorsqu'on a besoin de pièces sur la chaîne de montage, on recule une remorque au quai de déchargement. Les paniers de pièces sont descendus de la remorque et roulés jusqu'à la chaîne de montage.

[6] La livraison juste à temps implique l'acheminement d'une remorque au client dans un intervalle de temps défini avec précision qu'on appelle fenêtre. Compte tenu de l'importance du concept de livraison juste à temps pour ses clients, Gibson a adopté la devise à temps, tout le temps, qu'elle répète constamment, avec insistance, à tous ses conducteurs. La réussite de Gibson est fondée sur le respect de cette devise.

A. RÈGLES ET PROCÉDURES DICIPLINAIRES DE GIBSON

[7] Lorsque Mme Laronde est entrée au service de Gibson en 1994, l'entreprise possédait un manuel de règles et règlements qui énonçait les normes et les attentes de la compagnie à l'endroit de ses employés. Le manuel en question était remis à chaque conducteur au moment de son embauche; de plus, un exemplaire se trouvait dans la salle des conducteurs. En juin 1995, Gibson a embauché Marilyn Lawrence comme gestionnaire, Ressources humaines. Peu après son entrée en fonctions, Mme Lawrence a modifié et mis à jour le manuel de règles et de règlements en y incorporant une procédure disciplinaire progressive, qui est entrée en vigueur vers août 1995.

[8] En vertu de la procédure disciplinaire adoptée, l'entreprise distingue trois catégories de manquements à la discipline - inexcusables, graves et légers. À chacune des catégories sont associés différents types de comportement.

[9] Les règles prévoient également une gradation dans les sanctions. Pour une faute inexcusable, la sanction est la suspension immédiate sans solde, avec intention de mettre fin à l'emploi. Dans le cas d'une première faute grave, la sanction consiste en un avertissement écrit. Si l'employé fautif commet un deuxième manquement grave, il reçoit un dernier avertissement. Dans le cas d'une troisième infraction, la compagnie congédie l'intéressé. Les employés qui commettent des fautes légères reçoivent un avertissement préliminaire, puis un avertissement écrit, un dernier avertissement écrit et un avis de cessation d'emploi.

[10] Dans tous les cas, le répartiteur et le gestionnaire, Ressources humaines, examinent le dossier de l'employé avant que la compagnie envoie un dernier avertissement écrit. Avant le congédiement d'un employé, les mêmes cadres procèdent aussi à un examen du dossier de celui-ci, mais ils doivent inclure un autre membre de la direction. Les circonstances atténuantes sont prises en compte.

[11] Outre ces catégories disciplinaires, il existe une classification des infractions concernant le carnet de route. Ces infractions sont considérées comme graves. Il n'est point nécessaire ici d'entrer dans toutes les complexités entourant le carnet de route. Qu'il suffise de préciser que la réglementation gouvernementale, tant au Canada qu'aux États-Unis, exige que chaque conducteur tienne pour chaque trajet un carnet de route. L'heure de départ, les périodes d'activité et d'inactivité, la distance parcourue dans la journée ainsi que la date et l'heure du début du trajet sont autant de détails qui doivent être consignés dans le carnet de route. Le temps de conduite de même que le temps de chargement et de déchargement sont considérés comme des périodes d'activité. Le déjeuner, le souper, les heures de sommeil et les autres périodes où le conducteur n'est pas dans son camion, sauf le temps de chargement et de déchargement, sont considérés comme des périodes d'inactivité.

[12] En vertu de la réglementation canadienne, un conducteur peut demeurer au volant pendant 13 heures consécutives. Son temps de conduite et d'activité ne peut dépasser 15 heures. La réglementation comporte une certaine souplesse en cas de congestion de la circulation ou de conditions météorologiques particulièrement mauvaises. Lorsqu'un conducteur a travaillé durant 15 heures, il doit ensuite être inactif pendant huit heures avant d'entreprendre un nouveau cycle de 15 heures. La réglementation américaine prévoit un maximum de 10 heures de conduite consécutives et une période maximale d'activité de 15 heures.

[13] À la fin de chaque trajet, le conducteur remet son carnet de route au service de sécurité de Gibson qui produit pour chaque conducteur un relevé informatique mensuel. Si le relevé indique que le conducteur a dépassé le nombre d'heures admissibles, la compagnie l'en avise et le convoque à une rencontre avec le directeur de la sécurité. Si le conducteur ne peut fournir une explication raisonnable, il fait alors l'objet de mesures disciplinaires pour dépassement des heures admissibles ou infraction relative aux heures de service.

[14] Par ailleurs, tout accident, évitable ou non, est consigné au dossier disciplinaire du conducteur. Les accidents évitables ne sont pas considérés comme des infractions à proprement parler en vertu des règles. Leur traitement aux fins de la procédure disciplinaire n'est pas clair.

[15] Après un an, les manquements à la discipline au dossier d'un employé sont annulés et ne peuvent être pris en compte à des fins disciplinaires. Après six mois, les infractions concernant le carnet de route sont annulées.

B. APPELS DEVANT LE COMITÉ DE GESTION

[16] Si un conducteur ne respecte pas les règles et règlements, son répartiteur établit normalement un rapport d'incident (RI). Toutefois, n'importe quel employé qui occupe un poste de supervision ou de gestion chez Gibson peut rédiger un RI. Un tel rapport précise la date et les détails de l'incident, le nom du conducteur, le nom de l'auteur du rapport, la nature du problème, la norme de la compagnie et le règlement envisagé. Le conducteur peut répondre par écrit au RI ou fournir oralement sa version des faits. Le cas est soumis à Mme Lawrence. Si le conducteur ne conteste pas le RI, Mme Lawrence classe l'incident dans la catégorie de manquements appropriée, puis le consigne au dossier disciplinaire du conducteur.

[17] Si le conducteur conteste le rapport, Mme Lawrence discute du contenu de celui-ci avec son auteur de façon à bien comprendre la nature de l'incident. Si le RI se révèle sans fondement, l'incident n'est pas consigné au dossier de l'employé et n'entraîne pas de conséquences négatives.

[18] Si Mme Lawrence en décide autrement, le conducteur est informé de la situation et peut faire appel devant le comité de gestion, qui se compose de représentants de la direction et de représentants des conducteurs - nommés par leurs pairs. Cependant, n'importe quel employé de la compagnie peut assister aux réunions du comité de gestion et participer à l'examen d'un incident ainsi qu'aux délibérations portant sur les mesures à prendre. Le comité de gestion se réunit une fois par mois pour discuter d'affaires intéressant la compagnie, y compris les appels. À cette occasion, le comité peut, après discussion, confirmer l'incident ou la sanction, renverser la décision prise ou substituer à celle-ci une autre décision. La direction peut annuler une décision du comité; toutefois, selon Mme Lawrence, elle ne le fait que rarement. Chaque réunion du comité de gestion donne lieu à la rédaction d'un compte rendu.

C. LES TROIS ÉLÉMENTS DE LA PLAINTE

(i) Traitement différentiel défavorable - par. 7b) de la Loi

[19] La Commission allègue que Mme Laronde a été défavorisée en cours d'emploi, précisant qu'elle a fait l'objet de mesures disciplinaires plus sévères que celles imposées par Gibson à des conducteurs de sexe masculin pour des incidents similaires. La Commission a présenté des preuves concernant dix incidents qui, à son avis, confirment sa prétention.

a) Présumés incidents de traitement différentiel défavorable

1. Le 12 juin 1995, retour à la maison avec son camion - sanction : perte de la moitié de sa prime de rendement exemplaire

[20] Le 12 juin 1995, Mme Laronde a fait l'objet d'un RI parce qu'elle était revenue à la maison au volant de son camion, ce qui impliquait un trajet de 25 milles en dehors de l'itinéraire assigné. Au cours de son témoignage, Mme Laronde a expliqué qu'elle revenait de l'Ohio où elle avait reçu une contravention pour excès de vitesse. Elle était d'avis qu'une condamnation entacherait son dossier de conducteur et croyait avoir une bonne défense.

[21] Mme Laronde devait retourner en Ohio afin de comparaître en cour à 11 h le lendemain. Elle n'avait pas le temps de se rendre à Alliston pour y garer le camion, de revenir à la maison, d'y prendre des vêtements convenables pour sa comparution et de retourner en Ohio. Elle a donc décidé de se rendre jusque chez elle dans son camion. Après un arrêt d'au plus cinq minutes à la maison, elle a repris le volant et ramené le camion dans la cour chez Gibson, est montée dans sa voiture et a conduit pendant huit heures jusqu'en Ohio afin de se présenter en cour. Sa contravention pour excès de vitesse a été annulée.

[22] Selon les règles, le fait pour un conducteur de conduire un camion jusqu'à sa résidence est considéré comme une utilisation non autorisée d'un véhicule de la compagnie et comme un manquement inexcusable. Mme Laronde a interjeté appel au comité de gestion, devant lequel elle a expliqué la situation. Le comité de gestion a recommandé à sa réunion du 28 juillet 1995 qu'elle ne soit pas sanctionnée. Cependant, la direction a renversé la décision du comité et décidé de la priver de la prime de rendement exemplaire de 400 $ quelle devait recevoir en décembre. À sa réunion du 11 août 1995, le comité de gestion a réduit la sanction à 200 $. La prime de rendement exemplaire (400 $) est remise deux fois l'an (en juillet et en décembre) aux conducteurs afin de souligner le bon travail qu'ils ont fait pour la compagnie.

Cas comparables

[23] La Commission a comparé cette sanction à celles imposées à des conducteurs de sexe masculin de Gibson pour le même manquement. Le compte rendu de la réunion du 8 mars 1994 du comité de gestion indique que Jim Barnes s'est rendu chez lui dans son camion, et ce, même après avoir été averti plusieurs fois qu'il ne pouvait faire cela. Il s'est vu imposer une amende de 50 $ (coût du survoltage de la batterie du camion), montant qui a été déduit de sa prime de rendement exemplaire. Dans le compte rendu de la réunion, on a insisté par ailleurs sur le fait que la politique de la compagnie interdisait d'amener un camion à la maison et que cette politique ne permettait aucune exception.

[24] Bob Watt, qui a été conducteur et directeur de la sécurité chez Gibson, a témoigné à l'audience. Il a affirmé que M. Barnes utilisait régulièrement son camion pour revenir chez lui, qu'il continuait d'agir ainsi et qu'il n'a été sanctionné qu'une seule fois. M. Watt a indiqué qu'il avait fait la même chose à quelques reprises, sans jamais faire l'objet de mesures disciplinaires.

[25] Charlie Ward a fait l'objet d'un RI en date du 21 mars 1996 pour avoir dérogé à son itinéraire et fait un arrêt chez lui. Il a alors été privé de sa prime de rendement exemplaire de juin 1996 et a reçu un dernier avertissement précisant que toute récidive donnerait lieu à un renvoi immédiat.

[26] Don Smalley a régulièrement conduit son camion pour revenir à la maison et n'a jamais été sanctionné. La compagnie a expliqué que M. Smalley résidait sur la route 89, soit celle que les conducteurs de Gibson doivent prendre lorsqu'ils commencent leurs trajets. Il semble que cette conduite était acceptable dans le cas de M. Smalley, étant donné que celui-ci ne dérogeait pas à son itinéraire, et ce, même s'il n'y avait aucune exception possible selon les règles.

2. Le 15 août 1995 - Itinéraire non suivi - manquement non sanctionné

[27] Le 15 août 1995, Mme Laronde roulait en direction nord sur la route 50 au volant d'un camion-remorque de 53 pieds de longueur. On lui a dit qu'un accident était survenu dans le village de Loretto et qu'il y avait là un bouchon de circulation. Pour contourner l'endroit, elle a pris le chemin du cinquième rang. En cours de route, elle a rencontré Bing Gibson, qui roulait en direction sud. Ils se sont tous deux arrêtés. Mme Laronde a expliqué la situation et a poursuivi sa route. Bing Gibson a rédigé un RI à propos de l'incident. Mme Laronde a fourni une explication. Aucune mesure disciplinaire n'a été prise.

3. Le 9 mai 1996 - Hisan - plainte du client - note au dossier et excuses

[28] Mme Laronde a expliqué à propos de cet incident qu'elle était arrivée chez Hisan, un fabricant de pièces de Mt. Vernon, en Ohio, vers neuf heures. Elle a approché son camion du quai de chargement, est allée voir Scott, l'expéditeur-destinataire, pour obtenir les détails concernant son chargement ainsi que la documentation pertinente. Elle le connaissait, car elle s'était rendue à Mt. Vernon à plusieurs reprises. Scott était en train de parler à une autre employée (qui se trouvait à être sa femme). Après quelques minutes d'attente, Mme Laronde, voulant attirer son attention, a pris le peigne qui sortait de la poche arrière de son pantalon. Ayant remarqué qu'il avait deux égratignures sur le bras, elle a dit beau travail en touchant celui-ci. Peu après, Mme Laronde s'est rendue à la dînette pour remplir sa documentation. La femme de Scott est entrée dans la dînette elle aussi; elle l'aurait engueulée à cause de ce qu'elle avait fait. Mme Laronde estimait n'avoir rien fait de répréhensible et ne comprenait pas pourquoi cette employée de Hisan était aussi énervée. Elle a rempli la documentation, quitté l'entreprise et téléphoné à Mme Lawrence pour signaler la chose.

[29] Mme Lawrence a également reçu un appel téléphonique de la part du gestionnaire, Ressources humaines, chez Hisan. Ce dernier lui a dit qu'un de ses chefs d'équipe l'avait informé que Mme Laronde avait pris un peigne dans la poche arrière du pantalon d'un employé de sexe masculin et lui avait caressé le bras. L'incident avait été signalé au gérant de l'usine qui avait demandé que Mme Laronde ne revienne plus chez Hisan. Mme Lawrence a fourni à son interlocuteur l'assurance que Gibson acquiescerait à sa requête et qu'elle recommanderait que Mme Laronde présente des excuses à toutes les parties en cause. Après s'être entretenue avec Mme Laronde, Mme Lawrence a rappelé le gestionnaire, Ressources humaines, pour lui dire qu'elle avait parlé à l'intéressée.

[30] Mme Lawrence a classé l'incident comme une faute grave. Étant fortement en désaccord avec cette décision, Mme Laronde en a appelé devant le comité de gestion. Mme Laronde a raconté sa version des faits au comité de gestion à sa réunion du 28 juin 1996. Le comité a décidé qu'il ne s'agissait pas d'une faute grave et qu'une note au dossier suffisait. Il a exigé que Mme Laronde envoie une lettre d'excuses à Hisan, ce qu'elle a fait.

Cas comparables

[31] La Commission a demandé que les mesures disciplinaires prises relativement à l'incident Hisan soient comparées à celles imposées à des conducteurs de sexe masculin de Gibson pour des incidents similaires. Le 25 avril 1996, Brenda Mckee, de la société Honda, a téléphoné à Mme Lawrence pour lui indiquer qu'une employée s'était plainte du fait que chaque fois que David Cleary, l'un des conducteurs de Gibson, venait chez Honda, il se donnait du mal pour la trouver et la regardait fixement. Il ne lui parlait pas et n'avait aucun contact physique avec elle. Cependant, sa façon d'agir la mettait très mal à l'aise. Aussi a-t-elle décidé de signaler la chose à son chef d'équipe, qui avait lui-même observé le comportement de M. Cleary. Honda n'a pas demandé que M. Cleary fasse l'objet de mesures disciplinaires ou ne retourne pas à son usine, se contentant de signaler qu'un tel comportement était inacceptable.

[32] Mme Lawrence a parlé de la plainte à M. Cleary qui lui a répondu qu'il n'avait pas à son avis causé de problème et qu'il avait tout simplement regardé la chaîne de montage. Mme Lawrence lui a dit que toute nouvelle plainte donnerait lieu à des mesures disciplinaires. Il a convenu de cesser son manège. Il n'a pas eu à présenter des excuses.

[33] Le deuxième incident cité par la Commission est le cas de HW, l'un des conducteurs de Gibson. HW a fait l'objet d'un RI en date du 20 janvier 1997 par suite d'une plainte écrite présentée par une employée de la division des outils de Hillsdale. L'employée en question a dit qu'elle était offensée par les remarques désobligeantes faites à son endroit par HW. HW n'a pas nié avoir fait les remarques en question, précisant que celles-ci avaient été formulées au cours d'une conversation entre lui-même, la plaignante et sa collègue. Les remarques avaient été faites à la blague et ne se voulaient pas offensantes. Le RI indique que HW avait été mêlé à cinq incidents antérieurs, dont les circonstances ne sont pas précisées dans la preuve. HW a dû faire parvenir à la plaignante une lettre d'excuses et a reçu un dernier avertissement dans lequel il était précisé que toute récidive donnerait lieu à un renvoi immédiat.

[34] Le troisième incident mettait en cause RM, un autre conducteur de Gibson. Selon le RI en date du 14 juin 1995, Gibson a reçu une plainte de Harry, de Meiko Transport. La direction de MEI avait indiqué que RM s'était entretenu avec un garde de sécurité d'une voix tonitruante et qu'il s'était montré grossier et insolent. MEI a indiqué que Meiko devrait cesser de recourir aux services de camionnage de Gibson. Cette dernière a jugé que RM avait été impoli à l'égard d'un client. Mme Lawrence a rencontré RM, qui a perdu sa prime de rendement exemplaire.

[35] Enfin, Scott McWilliams a fait l'objet d'un RI en date du 2 octobre 1996. Le RI ne décrit pas les circonstances entourant l'incident. La preuve révèle que M. McWilliams manifestait des problèmes de comportement. En outre, il avait été mêlé à trois incidents antérieurement. M. McWilliams a fait l'objet d'une suspension sans solde de deux semaines et a été mis en probation pour une période de six mois au cours de laquelle il n'a pas touché la prime de rendement exemplaire. On lui a aussi servi un dernier avertissement.

4. Le 6 juin 1996 - s'est levée tardivement - livraison en retard - faute grave

[36] Le RI en date du 6 juin 1996 indique que Mme Laronde s'est réveillée tardivement et est arrivée en retard à Windsor pour un échange de remorques prévue à sept heures. À cause du retard, il avait fallu rémunérer le conducteur qui l'attendait à Windsor pour son temps d'attente. Mme Laronde a expliqué qu'elle revenait de l'Ohio avec un chargement destiné à Honda. Mme Laronde avait été retardée par le mauvais temps à l'aller. Malgré cela, elle avait fait le trajet dans les délais. Toutefois, lorsqu'elle a entrepris le trajet de retour, elle avait atteint le nombre maximal d'heures. Elle a décidé de s'arrêter pour dormir durant deux heures. À son réveil, elle a constaté qu'elle serait en retard pour l'échange des remorques à Windsor. Elle a alors communiqué avec son répartiteur pour lui indiquer qu'elle serait environ une heure en retard. L'échange s'est fait vers huit heures. Dans les faits, la remorque en provenance de l'Ohio a été livrée chez Honda dans la fenêtre de temps prévue.

[37] L'incident a été classé comme un manquement grave. Selon les règles, le manquement à la discipline consistait à avoir dépassé une fenêtre de temps sans avoir fourni d'explication raisonnable. Mme Laronde a porté l'affaire en appel devant le comité de gestion. Elle a fait valoir qu'elle avait respecté la fenêtre de temps puisque la remorque avait été livrée à temps chez Honda. Si le manquement avait trait à la nécessité de payer au conducteur son temps d'attente, sa réponse était que le temps d'attente dans le cas des trajets aux États-Unis n'était rémunéré qu'après la première heure.

[38] À sa réunion du 28 juin 1996, le comité de gestion a rejeté son explication et confirmé qu'il s'agissait d'une infraction grave. Au dire de la compagnie, les règles n'établissaient pas de distinction dans le cas d'un échange de remorques. Selon Mme Lawrence, si Mme Laronde a fait l'objet de mesures disciplinaires, ce n'est pas parce que le conducteur a été rémunéré pour du temps d'attente. C'est plutôt parce que l'échange s'est fait en retard. Un retard est un retard.

Cas comparables

[39] Selon la Commission, l'incident en question peut être comparé avec le cas de Mike Rumble, qui a fait l'objet d'un RI en date du 27 juin 1996. M. Rumble était parti trop tard dans la soirée et n'avait pu respecter l'heure d'arrivée, soit sept heures du matin. Aucune mesure disciplinaire ne lui avait alors été imposée. Le répartiteur a souligné dans son RI que c'était la première fois que M. Rumble était mêlé à un tel incident. Comme il ne s'agissait pas d'une plainte d'un client, l'incident devrait donner lieu simplement à une note au dossier. Mme Lawrence a indiqué dans son témoignage qu'elle ne s'est pas penchée sur ce cas du fait que c'est le répartiteur qui s'en est occupé. Aucun élément de preuve et aucune explication n'a été présentée quant aux raisons pour lesquelles M. Rumble a quitté en retard et n'a pu respecter sa fenêtre de temps.

5. Le 18 juin 1996 - livraison tardive chez Honda - manquement grave

[40] Le RI en date du 18 juin 1996 fait état d'une livraison tardive faite le 17 juin 1996 par Mme Laronde chez MEI aux États-Unis. La livraison était attendue avant neuf heures le lundi, mais Mme Laronde ne l'a faite qu'à midi. Elle a expliqué qu'elle avait informé le répartiteur le vendredi précédent qu'elle s'était blessée au dos et désirait avoir le week-end pour récupérer. Normalement, elle quittait en milieu de journée le dimanche pour entreprendre son prochain trajet. Son répartiteur lui avait dit qu'il tenterait de lui trouver un chargement qui lui permettrait de partir plus tard le dimanche soir ou tôt le lundi matin. Cependant, lorsqu'elle s'est présentée au travail, on l'a affectée à un chargement multiple, c'est-à-dire un chargement destiné à trois clients ou plus. Le conducteur doit traiter avec un courtier en douane pour les marchandises de chaque client. Il faut alors plus de temps pour établir la documentation et dédouaner les marchandises. Mme Laronde a été retardée durant environ deux heures à la frontière, ce qui l'a empêchée de respecter sa fenêtre de temps.

[41] Mme Laronde n'en n'a pas appelé au moment de cet incident, invoquant le fait qu'elle n'avait pas eu gain de cause lorsqu'elle avait la fois d'avant porté en appel une décision concernant une livraison tardive.

6. Le 28 juin 1996 - Dernier avertissement

[42] Le 3 juillet 1996, Mme Laronde a reçu de la part de Mme Lawrence un dernier avertissement écrit en date du 28 juin 1996. Mme Lawrence a expliqué dans son témoignage que cette mesure avait été prise par suite d'une accumulation d'incidents entre janvier et juin 1996 qui faisaient en sorte que le rendement global de Mme Laronde n'était pas à la hauteur. Le 20 juin 1996, il y avait eu une rencontre entre Mme Laronde, Mme Lawrence et Willie Teigesser, son répartiteur. Cette réunion avait pour but de souligner à Mme Laronde qu'elle avait accumulé durant une courte période un certain nombre de manquements graves et qu'elle risquait de perdre son emploi. Mme Lawrence a perçu cette réunion comme une tentative pour aider Mme Laronde.

[43] Mme Lawrence a décrit les résultats de la réunion dans une note de service en date du 20 juin 1996. Dans cette note, elle précise que le dossier disciplinaire de Mme Laronde fait état de quatre manquements graves et d'un accident évitable. Elle fait également remarquer que la politique de la compagnie prévoit qu'un employé peut être renvoyé après trois accidents graves; toutefois, avant de prendre une telle mesure, Mme Lawrence s'est sentie obligée de faire prendre conscience à Mme Laronde de l'état de son dossier.

[44] Lors de la rencontre du 20 juin, Mme Laronde a dit à Mme Lawrence qu'elle contestait deux des infractions, soit celle du 9 mai 1996 chez Hisan et celle du 6 juin 1996 (livraison tardive parce qu'elle s'était levée en retard) et qu'elle avait porté les deux cas en appel devant le comité de gestion dont la réunion était prévue le 28 juin 1996.

[45] Tel qu'indiqué antérieurement, le comité de gestion, à sa réunion, a minimisé la gravité de l'incident Hisan. Selon le comité, il ne s'agissait pas d'un incident grave et une note au dossier suffisait. Cependant, le comité a confirmé que l'autre incident (celui de la livraison tardive du 6 juin 1996) était grave. Par conséquent, lorsque la lettre tenant lieu de dernier avertissement lui a été communiquée le 28 juin 1996, Mme Lawrence avait à son dossier trois infractions et un accident évitable. L'un des manquements graves - l'infraction du 31 janvier 1996 concernant les heures de service pour laquelle aucune explication ni preuve n'a été fournie) a été retiré du dossier disciplinaire de Mme Laronde deux jours plus tard, soit le 30 juin 1996. Par conséquent, si je ne m'abuse, Mme Laronde, au moment où elle a vraiment reçu le dernier avertissement le 3 juillet 1996, avait à son dossier deux infractions graves et un accident évitable.

Cas comparables

[46] Selon la Commission, le dernier avertissement reçu par Mme Laronde, comparativement aux mesures disciplinaires dont a fait l'objet Steve Semple, l'un des conducteurs de Gibson, est un autre exemple qui démontre le traitement différentiel défavorable auquel elle a été soumise de la part de Gibson.

[47] Le 13 avril 1996, M. Semple et Bill Grange, un autre conducteur de Gibson, voyageaient en tandem, chacun au volant d'un camion de Gibson. Ils sont arrêtés pour le repas du midi, au cours duquel ils ont consommé de l'alcool. Selon les règles, le fait pour un conducteur d'être sous l'influence de l'alcool ou de consommer de l'alcool dans les huit heures qui précèdent la conduite d'un véhicule à moteur constitue une faute inexcusable. M. Grange a eu un accident; les dommages à son camion se sont élevés à environ 100 000 $.

[48] Les deux conducteurs ont d'abord nié avoir bu. Toutefois, un autre employé de Gibson a signalé ultérieurement à la compagnie que l'un des camions avait été vu garé près d'un bar, et non près d'un restaurant Kentucky Fried Chicken, comme l'avaient prétendu les deux conducteurs.

[49] À la réunion du 26 avril 1996 du comité de gestion, M. Semple a admis qu'il a avait bu et qu'il avait menti au sujet de l'incident. M. Semple avait déjà fait l'objet d'une suspension sans solde de deux semaines et le comité de gestion lui a infligé une autre suspension sans solde d'une semaine. La compagnie lui a également servi un dernier avertissement précisant que toute nouvelle infraction grave entraînerait aussitôt son renvoi.

[50] Mme Lawrence a indiqué dans son témoignage que si M. Semple n'avait pas été renvoyé, c'était parce qu'il n'avait pas été impliqué dans l'accident. Bien qu'il ait d'abord menti, il a ensuite changé d'attitude et admis qu'il avait dérogé à la règle des huit heures concernant la consommation d'alcool. Selon Mme Lawrence, c'est la seule règle de la compagnie qu'il avait transgressée.

[51] Outre l'incident de consommation d'alcool - une faute inexcusable, le dossier disciplinaire de M. Semple fait état d'une contravention pour excès de vitesse (96/80) délivrée le 6 juin 1995 - une infraction grave. Il fait également état d'une infraction relative aux heures de service survenue le 31 janvier 1996 (infraction grave) ainsi que d'une infraction concernant une expédition sous douane en date du 11 mars 1996. Les règles de la compagnie n'indiquent pas clairement dans quelle catégorie cette dernière infraction doit être classée.

[52] Le 23 juillet 1996, Mme Laronde a reçu deux avis d'infraction portant sur les heures de service. Cependant, ces avis font référence à des incidents survenus les 13 mai 1996 et 6 juin 1996. Comme le service de sécurité était en retard dans son travail, ces avis d'infraction n'ont été émis que vers la fin de juillet.

[53] Par conséquent, le 23 juillet 1996, Mme Laronde avait accumulé quatre infractions graves. Les règles prévoient dans un tel cas le renvoi de l'intéressé. Toutefois, Mme Laronde n'a pas été renvoyée à ce moment-là. Selon Mme Lawrence, les avis ne pouvaient être considérés comme faisant partie du dernier avertissement du fait qu'ils avaient été émis en retard.

[54] Aucun élément de preuve n'a été présenté quant aux circonstances entourant les infractions des 13 mai 1996 et 6 juin 1996 concernant le dépassement des heures admissibles. Mme Laronde aurait pu faire appel dans ces cas-là, mais elle ne l'a pas fait. Elle a par ailleurs refusé d'accuser réception des avis.

7. Le 25 juillet 1996 - livraison en retard - pas d'infraction disciplinaire

[55] Le répartiteur de Mme Laronde a demandé à cette dernière d'aller chercher un conteneur pour transport en chemin de fer à Welland, de le livrer à destination et de se présenter chez JCI, un client de Gibson, à 8 h. JCI a téléphoné au répartiteur à 8 h 45 pour l'informer que Mme Laronde n'était pas encore arrivée. Un RI a été établi à propos du retard; Mme Laronde a expliqué qu'en raison des heures à son carnet de route, elle ne pouvait quitter suffisamment tôt pour prendre livraison du conteneur à Welland et se présenter chez JCI dès 8 h. Son explication a été acceptée. Aucune sanction disciplinaire ne lui a été imposée.

8. Le 2 août 1996 - impolie envers le répartiteur - infraction légère et excuses

[56] L'incident suivant a trait au RI du 2 août 1996 établi par Willie Teigesser, le répartiteur de Mme Laronde. D'après les détails consignés au RI, Mme Laronde était de mauvaise humeur ce jour-là à son arrivée dans la cour chez Gibson. Elle aurait alors crié et pesté contre M. Teigesser et n'aurait pas fait une livraison chez Honda.

[57] Mme Laronde a expliqué qu'on l'avait dépêchée chez JCI à Mississauga. Elle est arrivée dans la cour chez Gibson vers 5 h 30, a quitté peu de temps après et s'est présentée chez JCI vers 7 h. Elle s'attendait de passer la journée à transporter des remorques destinées à l'entrepôt de JCI; toutefois, il avait été question qu'elle doive se rendre à Welland pour aller chercher un conteneur à livrer chez Honda. Il faut cinq heures pour se rendre de Mississauga à Welland puis à Alliston. Comme il s'agissait d'un long week-end, il lui faudrait probablement plus de temps.

[58] Mme Laronde a effectivement été dépêchée à Welland plus tard au cours de la journée. Après avoir protesté à toutes les personnes qui auraient pu intervenir chez Gibson, elle a finalement fait le trajet, craignant d'être congédiée pour refus de prendre un chargement si elle ne le faisait pas.

[59] Au moment où elle est finalement arrivée avec le conteneur dans la cour chez Gibson, elle avait effectué environ dix-sept heures de travail depuis qu'elle avait commencé sa journée le matin chez JCI. Le conteneur devait être livré à Honda, dont l'usine se trouvait à trois kilomètres. Il lui fallait livrer le conteneur, puis aller faire le plein et laver le camion avant de le garer à sa place. Mme Laronde a garé le camion avec le conteneur toujours attaché à la remorque, puis est entrée dans le bureau où se trouvait M. Teigesser, a lancé la documentation sur son pupitre devant lui et lui a dit [TRADUCTION] Le maudit conteneur auquel tu tiens tant est au bout de la cour, puis a quitté.

[60] Mme Laronde a écrit une lettre à la compagnie ce jour-là pour expliquer ce qu'elle avait fait et a porté l'affaire en appel devant le comité de gestion. À sa réunion du 30 août 1995, le comité de gestion a décidé de considérer l'incident comme une infraction légère, mais que Mme Laronde devait présenter des excuses à son répartiteur, ce qu'elle a fait. L'accusation selon laquelle elle n'avait pas achevé une tâche qui lui avait été assignée, ce qui aurait constitué une infraction grave, a été annulée.

9. Le 18 septembre 1996 - mauvaise attitude - pas d'infraction disciplinaire

[61] Mme Laronde a été dépêchée à London où elle devait livrer une remorque à destination des États-Unis et en prendre une autre en provenance de là-bas. Lorsqu'elle est arrivée à London, le chauffeur qui venait des États-Unis avait décroché la remorque et s'était endormi. Selon Mme Laronde, il existe entre les conducteurs une convention tacite voulant qu'on ne réveille pas un collègue qui dort; par conséquent, elle n'a pas eu l'occasion de parler à celui-ci. Elle s'est rendue jusque dans la cour à Alliston, y a déposé la remorque et a laissé une note au bureau demandant au répartiteur d'indiquer à l'autre conducteur où elle avait laissé la documentation concernant la remorque tout en lui rappelant de vérifier le poids de celle-ci. Jugeant qu'il appartenait au conducteur, et non à lui, de s'occuper de ces choses-là, le répartiteur a décidé d'établir un RI. Mme Laronde a fourni une explication. L'incident n'a pas eu de suite.

10. Le 27 septembre 1996 - omission de vérifier un chargement - infraction grave

[62] Cette infraction a été décrite comme l'incident culminant qui a entraîné le renvoi de Mme Laronde. Le 27 septembre 1996, Mme Laronde a fait l'objet d'un RI pour avoir omis de vérifier un chargement (infraction grave). Le RI précisait qu'elle n'avait pas vérifié si la remorque était vide ou contenait des paniers vides.

[63] Selon la version de Mme Laronde, on l'avait envoyée chez SPS pour aller chercher une remorque et la livrer chez Manchester Plastics. À son arrivée chez SPS, il pleuvait et ventait beaucoup et le sol était très boueux. Elle n'avait pas envie d'ouvrir la porte arrière de la remorque en raison des conditions climatiques particulièrement dangereuses. Le répartiteur lui avait demandé d'aller chercher la remorque no 554 - vide ou chargée de paniers vides. Il lui avait également dit que si le numéro de la remorque ne correspondait pas à celui indiqué ou si celle-ci ne contenait pas de paniers, elle devait voir l'expéditionnaire chez SPS et lui téléphoner pour obtenir de plus amples instructions.

[64] Mme Laronde n'a pas ouvert la porte de la remorque pour voir ce qu'elle contenait. Elle est plutôt entrée dans le bureau de SPS et parlé au superviseur, qui lui a dit que la remorque no 554 était vide, qu'il n'y avait pas de documentation indiquant qu'elle contenait un chargement et qu'elle était destinée à Manchester Plastics. Par conséquent, Mme Laronde a livré la remorque à Manchester Plastics.

[65] Lorsqu'elle est arrivée chez Manchester Plastics et a ouvert la porte de la remorque, Mme Laronde a constaté que celle-ci n'était pas vide mais renfermait des conteneurs vides. Elle a signalé la chose au superviseur chez Manchester Plastics qui s'attendait à recevoir une remorque vide. Après discussion avec Gibson, il a été décidé qu'elle ramènerait la remorque chez SPS et qu'un autre chauffeur livrerait une remorque vide à Manchester Plastics.

[66] Mme Laronde a convenu que, compte tenu du message du répartiteur, elle aurait dû vérifier le chargement pour voir si la remorque était vide ou renfermait des paniers. Toutefois, elle s'est fiée à l'information fournie par le superviseur chez SPS, qui lui a dit que la remorque était vide et qu'il n'y avait pas de connaissement. Mme Laronde a admis que si le superviseur lui avait remis un connaissement indiquant que la remorque contenait des paniers vides, elle aurait vérifié le chargement; compte tenu des mauvaises conditions climatiques et de ses craintes en matière de sécurité, elle aurait demandé à quelqu'un d'autre au bureau de SPS de l'aider. Cet incident a été considéré comme une infraction grave.

Cas comparable

[67] Le cas comparable cité par la Commission est celui décrit par Steve Holt qui, dans son témoignage, a dit se rappeler qu'il y avait eu en 1992-1993 un incident mettant en cause Billy Cain, qui n'avait pas vérifié un chargement avant de se rendre à Windsor pour le livrer et en ramener un autre. La remorque ne devait contenir que des paniers vides; cependant, lorsque le conducteur qui arrivait des États-Unis a ouvert la remorque pour en vérifier le contenu, il a constaté que les paniers étaient remplis de pièces. M. Cain n'a pas été payé pour son trajet et a dû rembourser le coût du carburant. Aucun élément de preuve documenté n'a été produit à propos de cet incident.

b) Conclusion au sujet du traitement différentiel défavorable

[68] La Commission et l'intimée, Gibson, ont affirmé qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un congédiement injustifié. Il s'agit plutôt de déterminer si Gibson a exercé une discrimination à l'endroit de Mme Laronde dans l'application de sa procédure disciplinaire, et, le cas échéant, si la discrimination a influé sur la cessation d'emploi.

[69] Parmi les dix incidents présentés par la Commission, trois (ceux des 15 août 1995, 25 juillet 1996 et 18 septembre 1996) n'ont pas menés à des sanctions disciplinaires. Les raisons pour lesquelles ces incidents ont été invoqués me paraissent quelque peu mystérieuses. Je ne puis que conclure qu'on voulait montrer que Mme Laronde avait dû se défendre pour éviter de faire l'objet de mesures disciplinaires. Cependant, aucune preuve similaire n'a été présenté pour démontrer que les conducteurs de sexe masculin de Gibson n'étaient pas assujettis au même traitement.

[70] Ayant été rayé, l'incident du 12 juin 1995 au dossier disciplinaire de Mme Laronde n'a pas joué dans la décision de mettre fin à son emploi. Celui du 2 août 1996 a été considéré comme une infraction légère et ne semble pas avoir eu d'influence sur la cessation d'emploi.

[71] En ce qui concerne l'incident culminant du 27 septembre 1996, il ne m'appartient pas de déterminer si Gibson était fondée à prendre des mesures disciplinaires à l'endroit de Mme Laronde. Il s'agit plutôt pour moi de déterminer s'il y a eu discrimination. Le cas analogue est l'incident mettant en cause Billy Cain qui est survenu en 1992-1993. La preuve à cet égard repose sur un souvenir plutôt vague de M. Holt et n'est assortie d'aucune documentation à l'appui. En outre, il s'agit d'un incident qui remonte bien avant l'entrée en vigueur de la nouvelle procédure disciplinaire de Gibson. J'attache peu de poids à cet élément.

[72] Il reste les incidents des 9 mai 1996 (incident Hisan), 6 juin 1996 et 18 juin 1996 (livraisons en retard) ainsi que du 28 juin 1996 (dernier avertissement), pour lesquels il existe des cas comparables.

[73] En ce qui concerne l'incident Hisan, les cas comparables sont ceux de David Cleary, de HW, de RM et de Scott McWilliams. À mon avis, il s'agit de comparaisons valables en ce qui concerne l'époque où les incidents sont survenus et la nature de ceux-ci. Dans les deux premiers cas (Hisan et Cleary), il s'agissait de plaintes du client. Cleary n'a pas eu de contact physique ni d'engueulade et l'entreprise plaignante n'a pas demandé qu'il ne retourne pas à son usine. L'entreprise a demandé de ne pas sanctionner l'employé fautif, mais plutôt de lui parler.

[74] Cleary a reçu un avertissement verbal. Au bout du compte, le manquement de Mme Laronde a fait l'objet d'une note à classer et on a exigé qu'elle présente des excuses. À mon avis, l'inconduite de Mme Laronde était beaucoup plus grave que celle de David Cleary. Si les mesures disciplinaires prises à son endroit étaient plus sévères, conclusion que je ne partage pas nécessairement, elles n'en étaient pas moins justifiées.

[75] Dans les cas de Hisan et de RM, il s'agissait de plaintes du client. En ce qui concerne RM, il n'y a pas eu de contact physique, mais on a craint que le client n'ait plus recours aux services de camionnage de Gibson. RM a crié après le garde de sécurité du client envers lequel il s'est montré grossier. Il a reçu un avertissement verbal et a perdu sa prime de rendement exemplaire du fait qu'il s'agissait d'un cas de récidive.

[76] À mon avis, le manquement de Mme Laronde était plus grave que celui commis par RM. Toutefois, la seule mesure disciplinaire dont elle a fait l'objet a été une note au dossier. RM, pour sa part, a reçu un avertissement oral et a subi une perte financière.

[77] En ce qui concerne HW, il s'agissait d'une plainte du client concernant des remarques inacceptables qu'il avait faites à l'endroit d'une de ses employées. Il n'y a pas eu de contact physique et le client n'a pas demandé que le conducteur ne revienne plus chez lui. À l'époque, HW avait à son dossier cinq incidents (aucun détail fourni). Il a reçu un dernier avertissement et a dû présenter des excuses par écrit. Compte tenu de ces faits, Mme Laronde n'a pas selon moi fait l'objet de mesures disciplinaires plus sévères.

[78] Le cas de Scott McWilliams est difficile à évaluer du fait que je n'ai été saisi d'aucun élément de preuve au sujet de sa conduite, Je sais seulement qu'il manifestait des problèmes de comportement. Il a reçu un dernier avertissement, a été suspendu sans solde pendant trois semaines et a été soumis à une période de probation de six mois au cours de laquelle on l'a privé de sa prime de rendement exemplaire. Il serait très difficile de conclure à partir de ces faits que Mme Laronde a été traitée plus sévèrement que Scott McWilliams.

[79] J'en suis finalement venu à la conclusion que l'incident Hisan, comparativement aux cas analogues, ne permet pas de conclure que Mme Laronde ait fait l'objet d'un traitement différentiel défavorable.

[80] La Commission a fait valoir que Mme Laronde et Steve Semple ont tous deux reçu un dernier avertissement; cependant, les manquements commis par M. Semple étaient beaucoup plus flagrants. Il n'y a pas de comparaison possible entre les deux situations de fait. Les événements qui ont amené la compagnie à servir un dernier avertissement sont tout à fait différents. Il aurait fallu, pour conclure à un traitement plus rigoureux à l'endroit de Mme Laronde, que celle-ci fasse l'objet de sanctions plus sévères qu'un dernier avertissement et trois semaines de suspension sans solde.

[81] Il reste à examiner les incidents (livraisons en retard) des 6 juin 1996 et 18 juin 1996. Le cas comparable est celui de Mike Rumble. À mon avis, l'affaire Rumble est embarrassante pour Gibson. Les faits entourant les manquements reprochés sont très similaires. Il s'agit dans les deux cas de livraisons en retard; tous les incidents sont survenus en juin 1996. Dans le cas de l'incident du 6 juin 1996, Mme Laronde est arrivée en retard pour un échange de remorques. Le chargement destiné à Honda n'a pas été livré en retard. Son explication paraît raisonnable. Cependant, on lui a imputé une faute grave pour le motif qu'un retard est un retard. Le 18 juin 1996, Mme Laronde n'a pas respecté sa fenêtre de temps. Elle n'a pas fait appel, estimant qu'un retard est un retard.

[82] Pour sa part, M. Rumble n'a pas respecté sa fenêtre de temps parce qu'il était parti en retard. Aucune explication n'a été fournie quant aux raisons de ce retard. Pourtant, l'incident n'a donné lieu qu'au versement d'une note au dossier. Il incombe à Gibson de fournir une explication à cet égard. La seule explication fournie a été celle de Mme Lawrence qui a dit que c'est le répartiteur qui a réglé l'affaire.

[83] À mon avis, cette explication ne satisfait pas le fardeau de la preuve. Mme Laronde a été traitée plus sévèrement que M. Rumble dans le cas de ses deux livraisons en retard. Elle a été défavorisée en cours d'emploi. Par conséquent, je conclus que Gibson a exercé une discrimination à son endroit, contrevenant ainsi au paragraphe 7b) de la Loi.

[84] Le fait que ces deux manquements à la discipline ait beaucoup joué dans la décision de mettre fin à l'emploi est tout aussi important. Si Mme Laronde avait fait l'objet de mesures disciplinaires équivalentes à celles auxquelles M. Rumble a été soumis, son dossier au 28 juin 1996 aurait fait état d'un seul manquement grave, soit l'infraction relative aux heures de service, laquelle aurait été mise aux oubliettes le 30 juin 1996, avec le résultat qu'elle n'aurait plus eu d'infractions graves à son dossier et que Gibson n'aurait pas eu à donner un dernier avertissement. Le manquement grave du 27 septembre 1996 n'aurait pas été considéré comme un incident culminant et n'aurait pas, par conséquent, mené à la cessation de son emploi.

(ii) Harcèlement sexuel - art. 14 de la Loi

[85] Lorsqu'elle a reçu son dernier avertissement le 3 juillet 1996, Mme Laronde a écrit à Gibson le jour même pour dire qu'elle était très préoccupée par le fait qu'elle avait trois infractions à son dossier et qu'elle risquait d'être renvoyée. Elle a demandé d'être mutée de la section États-Unis à l'une des trois autres. Gibson a acquiescé à sa demande et l'a affectée à la section des suppléants.

[86] Au cours de son témoignage, Mme Laronde a indiqué qu'elle ne voulait plus faire partie de la section États-Unis parce qu'elle croyait être constamment surveillée au moyen du système satellite et que c'est à cause de cette situation qu'elle avait récemment accumulé un certain nombre de manquements à la discipline qui compromettaient son maintien en poste. Étant donné que les camions affectés aux itinéraires américains étaient les seuls dotés d'un système satellite, elle pensait qu'elle n'aurait plus de problème une fois qu'elle ne ferait plus partie de la section États-Unis.

[87] Le service de répartition de la section États-Unis et les conducteurs peuvent communiquer entre eux grâce à la radiomessagerie par satellite. Les messages transmis par le répartiteur apparaissent sur l'écran LDS installé à bord du camion et peuvent être lus uniquement sur cet écran. Le conducteur peut répondre aux messages au moyen du clavier dont il dispose. L'appareil de radiomessagerie par satellite qu'utilise le répartiteur de la section États-Unis se trouve dans une salle réservée au répartiteur dans les bureaux de Gibson.

[88] La radiomessagerie par satellite peut servir à déterminer où se trouve chaque camion de Gibson qui circule aux États-Unis, la distance qu'il a parcourue, le temps qu'il a mis à franchir cette distance, si le camion est garé, si le moteur est en marche, etc. Il est possible d'imprimer tous les messages transmis et reçus par radiomessagerie. Cependant, en règle générale, on ne le fait que si cela est justifié.

[89] Mme Laronde et la Commission ont toutes deux reconnu que les allégations de harcèlement sexuel ne visent que Steve Holt et personne d'autre chez Gibson. Lorsque Mme Laronde est entrée au service de Gibson, M. Holt était l'un des conducteurs de la section États-Unis. En septembre 1994, M. Holt est devenu surveillant de nuit. À ce titre, M. Holt n'agissait pas comme répartiteur et n'exerçait sur les conducteurs aucune surveillance ni aucun contrôle du point de vue disciplinaire. Sa principale tâche consistait à préparer les factures et à tenir la feuille de paye dont l'équipe de la comptabilité allait avoir besoin le lendemain matin. Ses autres fonctions consistaient à régler des problèmes auxquels les conducteurs étaient confrontés durant le poste de nuit et à répondre aux demandes de renseignements des clients. Il arrivait que M. Holt donne des instructions à un conducteur en cas de réelle nécessité, mais ses pouvoirs s'arrêtaient là.

[90] Le fait que M. Holt ait démissionné de son poste de surveillant de nuit vers la fin de septembre 1995 et soit redevenu conducteur à temps plein au sein de la section États-Unis n'a pas été contesté. Il a quitté Gibson le 19 avril 1996 pour devenir conducteur d'autocar. Il n'y a pas eu de contacts entre Mme Laronde et M. Holt après cette date.

a) Présumés incidents de harcèlement sexuel

1. L'enveloppe des voyages - As-tu fait du café pour Steve?

[91] À l'intérieur des bureaux de Gibson, il y a une salle réservée aux conducteurs où l'on trouve une grande table et des chaises. Les conducteurs vont à cet endroit pour boire du café, raconter des histoires et bavarder entre collègues. Il y a également dans cette salle un pigeonnier dans lequel on met le courrier des conducteurs.

[92] Dans la case du pigeonnier réservée à chaque conducteur se trouve une grande enveloppe en papier manille, l'enveloppe des voyages, sur laquelle figurent son nom et son numéro d'employé. Après chaque trajet effectué, le conducteur met la documentation y afférente dans l'enveloppe des voyages, puis dépose celle-ci dans un grand bac à l'usage de tous les conducteurs qui se trouve dans la pièce. Après avoir reçu, pour traitement, la documentation qui lui est destinée, le service de la comptabilité remet les enveloppes des conducteurs dans le pigeonnier.

[93] Steve Holt avait inscrit sur l'enveloppe de Mme Laronde deux questions : [TRADUCTION] As-tu signé tes connaissements?, Ai-je fait du café pour Steve?. Durant son témoignage, Mme Laronde a indiqué que M. Holt se targuait d'être un homme au vrai sens du terme et soutenait que la femme était à son service. Chaque fois qu'elle lui remettait une documentation, M. Holt lui rappelait son état de servilité. Mme Laronde n'a pas précisé quand ces faits se sont produits.

[94] M. Holt a admis avoir inscrit ces choses-là. Il a toutefois expliqué que les conducteurs venaient dans la salle qui leur était réservée pour remplir leur thermos de café. S'il n'y avait pas de café, ils se plaignaient à lui. Il a dit qu'il préparait probablement entre 50 et 60 cafetières par semaine. D'après ce dont il se souvenait, Mme Laronde s'était probablement plainte qu'il n'y avait pas de café dans la salle. Il lui aurait alors servi la réponse en question.

[95] Au cours de son témoignage, M. Holt a également affirmé que tout le monde avait accès aux enveloppes des voyages et que les conducteurs inscrivaient souvent des commentaires sur les enveloppes de leurs collègues. Certains commentaires étaient grossiers ou vulgaires. D'autres commentaires avaient trait au fait que l'intéressé avait omis de faire le plein ou de laver son camion. Souvent, ils inscrivaient le surnom du conducteur -Eddy le tripode humain, Billy long dong, le Vieux raseur, Newfie, etc. Tout le monde avait accès au pigeonnier des conducteurs. Il n'était pas rare de trouver là des dessous féminins, des supports athlétiques, du fromage ou des outils. Il a également indiqué qu'il arrivait qu'un conducteur use une enveloppe par semaine, tout dépendant de la quantité de documentation qu'il y mettait. Les conducteurs dont l'enveloppe était déchirée pouvaient en obtenir une autre en s'adressant à n'importe lequel des employés travaillant dans le bureau.

[96] M. Holt a expliqué que Mme Laronde ne s'était jamais plainte à lui des choses qu'il avait inscrites sur son enveloppe et qu'elle aurait pu facilement remplacer celle-ci par une nouvelle enveloppe. Mme Lawrence a elle aussi précisé que Mme Laronde aurait pu demander une nouvelle enveloppe n'importe quand. Mme Laronde a reconnu qu'elle aurait pu le faire, mais qu'elle ne l'avait pas fait, et ce, même après que M. Holt eut quitté Gibson.

2. Les ébats sexuels sur le réservoir de carburant

[97] Mme Laronde a indiqué dans son témoignage que M. Holt se vantait souvent dans la salle des conducteurs de ses exploits sur la route. Il aimait raconter des histoires. Mme Laronde a dit que, peu après son entrée en fonctions chez Gibson, elle s'était rendue dans la salle des conducteurs au moment où M. Holt racontait un de ses exploits à des collègues. Il était camionneur chez Zavitz Transport. Il s'est arrêté dans un bar où il a rencontré une femme. Ils sont ensuite sortis tous les deux dehors et ont fait l'amour sur le réservoir de carburant de son camion. Il a raconté que le mari de la femme en question était sorti du bar et qu'il s'était battu avec lui dans le parc de stationnement.

[98] M. Holt a donné sa version. À sa sortie d'un bar, il a fait une rencontre pour le moins inusitée, expliquant qu'une femme se trouvait là. Il a expliqué que celle-ci se trouvait sur le réservoir de carburant de son camion et qu'elle et lui étaient en train de folâtrer lorsque, soudainement, une voiture est arrivée et que la portière du passager s'est ouverte brusquement. Le petit vieillard qui se trouvait à l'intérieur a dit à la dame d'entrer dans la voiture et ils ont déguerpi.

[99] M. Holt a dit ne pas se rappeler s'il avait raconté cette histoire dans la salle des conducteurs ou sur la radio BP. Il n'a pu non plus se rappeler s'il l'avait racontée en présence de Mme Laronde. Elle ne s'est jamais plainte à lui que l'histoire était déplacée ou inopportune.

[100] M. Holt a comparé la salle des conducteurs à un vestiaire pour hommes. Il s'y racontait beaucoup de plaisanteries. On se bidonnait, on hurlait, on disait des obscénités, etc. Les conducteurs racontaient des choses qu'ils avaient vues sur la route. Selon M. Holt, les scènes qu'un conducteur peut voir du haut de son perchoir à dix pieds du sol sont parfois comiques, parfois loufoques. Il leur arrive même de voir des couples en train de forniquer sur la banquette avant de leur voiture. Souvent, les conducteurs ne se lassent pas de raconter ces choses-là. À son avis, son histoire ressemblait à beaucoup d'histoires qui se racontent dans la salle des conducteurs.

[101] M. Holt a dit que les conducteurs de camions sont des conteurs d'histoires. [TRADUCTION] Quatre-vingt-dix pour cent des histoires qu'ils racontent sont de la foutaise et l'autre dix pour cent, des choses à prendre avec un grain de sel. Il n'y a pas moyen de distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l'est pas. Par conséquent, il ne faut jamais prendre quelque chose au pied de la lettre.

3. Le racolage dans le parc de stationnement - message transmis par radiomessagerie satellite

[102] Mme Laronde a raconté que, lors d'un trajet aux États-Unis, elle s'était arrêtée à l'endroit habituel pour dormir et avait reçu un message par radiomessagerie satellite de la part de M. Holt qui lui demandait : Que fais-tu? Tu racoles dans le parc de stationnement?. À son avis, M. Holt voulait insinuer qu'elle tentait d'arrondir ses fins de mois en travaillant comme prostituée dans le parc de stationnement. D'après son témoignage, ce fait remontait à novembre ou décembre 1995. Mme Laronde a déclaré que ces allusions l'avaient vraiment bouleversée. Elle n'a pas répondu au message et n'en n'a pas parlé à M. Holt. Pour sa part, M. Holt a dit ne pas se souvenir d'avoir envoyé le message.

4. Le message de Chris Reid

[103] Chris Reid était l'un des propriétaires-exploitants de Gibson et un ami de Mme Laronde. Dans son témoignage, Mme Laronde a indiqué que M. Reid avait communiqué avec M. Holt alors qu'il revenait des États-Unis pour s'enquérir de la présence de collègues dans la région où il se trouvait. Les conducteurs aiment voyager ensemble. Ils ont l'impression que le temps passe plus vite ainsi et que cela les aide à demeurer vigilants. M. Holt a transmis à Mme Laronde le message suivant : [TRADUCTION] Chris Reid t'attend à Tilbury. Dépêche-toi, il t'attend pour te faire la passe.. Lorsqu'elle est arrivée à Tilbury, M. Reid était dans son camion. Elle a frappé sur la portière, lui disant qu'elle avait reçu un message lui demandant de venir le retrouver là. Elle est allée chez Tim acheter deux cafés, après quoi ils sont rentrés à Alliston dans leur camion.

[104] Sur le chemin du retour, M. Reid a dit à Mme Laronde sur la radio BP qu'il avait vérifié le message dans son camion pendant qu'elle achetait les cafés. Il lui a dit avoir fait cela parce qu'au moment où il avait demandé à M. Holt s'il y avait des collègues dans les parages, celui-ci avait insinué qu'il voulait que Mme Laronde vienne le retrouver pour faire l'amour avec lui. M. Reid lui a dit avoir nié la chose avec véhémence auprès de M. Holt. Il a voulu vérifier le message envoyé par M. Holt par radiomessagerie satellite pour déterminer exactement ce qui y était dit. Selon Mme Laronde, cet incident se serait produit en septembre 1995.

[105] M. Holt a dit se souvenir d'avoir transmis ce message, mais a donné une version quelque peu différente des faits. Selon lui, M. Reid, qui était dans la salle du répartiteur de la section États-Unis, lui a dit qu'ils tractaient des remorques à échanger. Il a demandé où se trouvait Mme Laronde et a prié M. Holt de lui dire qu'il la rencontrerait là-bas pour lui faire la passe.

[106] Selon la version de M. Holt, Mme Laronde et M. Reid étaient de bons amis et ce commentaire se voulait une plaisanterie. M. Reid désirait simplement qu'ils se rencontrent afin de pouvoir faire route ensemble.

5. Bob Watt - partage de sa couchette avec Chris Reid

[107] Bob Watt a affirmé que Mme Laronde s'était plainte à lui qu'elle avait reçu de la part de M. Holt une nuit des messages par radiomessagerie satellite qu'elle jugeait grossiers. M. Watt s'est rendu au bureau du répartiteur de la section États-Unis où il a lu l'imprimé des messages. Le message qui a retenu son attention parlait de Mme Laronde partageant une couchette avec Chris Reid. Selon M. Watt, le message avait forcément été transmis par Steve Holt puisque c'était lui qui agissait comme surveillant de nuit. M. Watt a dit ne pas se souvenir si le nom du destinataire était précisé dans le message; toutefois, il a dit qu'il savait à qui le message était destiné puisque le numéro du camion était inscrit.

[108] M. Watt a dit se souvenir qu'il avait vu ce message en janvier, février ou mars 1995. En contre-interrogatoire, M. Watt a affirmé qu'il ne pouvait se souvenir de la date exacte, mais que ce devait être au milieu des années 90. Plus précisément, c'était dans l'année ayant précédé celle où Gibson a mis fin à son emploi. En fait, son emploi a pris fin le 22 mai 1996. Il a convenu que ces messages auraient pu être envoyés entre mai 1995 et mai 1996.

6. John Hepburn - rester chez elle couchée sur le dos avec les jambes ouvertes

[109] John Hepburn était un ami de Mme Laronde chez Gibson, où il a travaillé comme conducteur entre 1993 et 1999. Au cours de son témoignage, il a indiqué que Mme Laronde lui avait dit être parfois choquée par les messages que M. Holt lui transmettait par radiomessagerie, ainsi que par les remarques désobligeantes qu'il lui faisait. Il a également affirmé que M. Holt lui disait toujours que Mme Laronde [TRADUCTION] devrait demeurer chez elle couchée sur le dos avec les jambes ouvertes plutôt que de conduire sur les routes et qu'elle avait un [TRADUCTION] beau cul. Lorsque M. Holt lui a dit ces choses, il y avait d'autres personnes dans la salle des conducteurs. M. Hepburn n'a pu se rappeler si Mme Laronde était là au moment où M. Holt a soi-disant formulé ces commentaires. Il n'a pas dit non plus s'il avait fait part de ces commentaires à Mme Laronde. Mme Laronde n'a fourni aucune précision quant à savoir si elle avait elle-même entendu ces paroles ou si celles-ci lui avaient été rapportées. M. Hepburn n'a pas dit à quelle époque les remarques avaient été formulées. Il n'a vu aucun des messages transmis par radiomessagerie satellite.

[110] M. Holt a nié avoir fait les remarques en question. Il a affirmé que c'est le genre de remarques que M. Hepburn aurait été plus susceptible que lui de faire et auxquelles il aurait peut-être souscrit. Il ne s'agissait pas de choses que lui aurait pu dire.

7. Gary Kitchener - renvoyez cette chienne

[111] Gary Kitchener était lui aussi un ami de Mme Laronde chez Gibson, où il a travaillé comme conducteur de 1994 à novembre 1995, date où l'entreprise a mis fin à son emploi. Durant son témoignage, M. Kitchener a affirmé que Mme Laronde lui avait dit, à l'été 1995, que Steve Holt lui avait transmis par radiomessagerie satellite des messages de harcèlement et à connotation sexuelle. Il s'est également souvenu qu'il était dans la salle de conducteurs à un moment donné avec des collègues lorsque M. Holt y est entré en vociférant contre Mme Laronde. Il aurait déclaré : [TRADUCTION] Je vais faire congédier cette chienne. Je ne peux plus l'endurer. Mme Laronde n'était pas dans la salle des conducteurs à ce moment-là.

[112] De l'avis de M. Kitchener, M. Holt n'aurait pas dû affirmer cela, d'autant plus qu'il se trouvait en présence d'autres conducteurs. Il a noté la date et l'heure. Lorsqu'il a rencontré Mme Laronde environ un mois plus tard, il lui a raconté ce qui s'était passé. S'il l'a fait, c'est parce qu'il craignait pour la sécurité de Mme Laronde et son emploi. À l'audience, M. Kitchener a dit qu'il ne se rappelait pas de la date exacte, mais que cela devait être en juillet ou août 1995.

[113] M. Holt a nié avoir fait cette remarque. À titre de surveillant de nuit, il n'avait aucunement le pouvoir d'imposer des mesures disciplinaires à un conducteur et n'était certes pas autorisé à congédier des employés de Gibson.

8. Surveillance par satellite

[114] Mme Laronde a affirmé qu'elle avait l'impression que M. Holt passait beaucoup de temps à la surveiller chaque nuit au moyen du satellite. Elle a donné trois exemples à l'appui de cette assertion. La première situation remontait au début de 1996, alors qu'elle revenait des États-Unis dans une grosse tempête. Elle a reçu à ce moment-là un message par radiomessagerie satellite de la part de M. Holt : [TRADUCTION] Sais-tu qu'il t'a fallu neuf heures pour parcourir 235 milles? Au cours de son témoignage, Mme Laronde a déclaré que cela l'avait profondément bouleversée, car elle faisait des pieds et des mains pour arriver à bon port en toute sécurité. M. Holt avait à son avis mis en doute son professionnalisme en faisant référence à l'endroit où elle se trouvait et en signalant le fait qu'elle était encore sur la route, en dépit des conditions extrêmement mauvaises et glacées. Interrogé à ce sujet, M. Holt a dit qu'il était probable qu'il ait transmis ce message, mais ce non pas en 1996 mais plutôt un an auparavant.

[115] Mme Laronde a également fait référence aux imprimés des messages transmis par radiomessagerie satellite démontrant que M. Holt l'avait surveillée le 15 juin 1995, la nuit où elle était revenue chez elle dans son camion, incident qui lui avait fait perdre la moitié de sa prime de rendement exemplaire.

[116] À une autre occasion, alors qu'elle était engagée dans la dernière étape d'un trajet en sol américain amorcé depuis Vincennes, Mme Laronde a décidé de s'arrêter pour dormir durant quatre heures à Orangeville. Elle a alors reçu par radiomessagerie satellite un message de la part de M. Holt lui demandant de ramener le camion dans la cour à Alliston où elle devait, selon son horaire, arriver beaucoup plus tard, soit entre 18 h 30 et 19 h; malgré son intention de dormir quatre heures, elle aurait été de retour bien à temps. Elle a répondu qu'elle avait dépassé le nombre d'heures selon son carnet de route; cependant, M. Holt lui a envoyé un autre message indiquant que le camion devait être ramené sans tarder. Mme Laronde a garé son camion à Orangeville entre deux autres poids lourds et a dormi durant quatre heures.

[117] M. Holt se souvenait bien de cet incident. Gibson avait besoin du camion de Mme Laronde et il lui avait donné plusieurs options. En fin de compte, il a pris des dispositions pour qu'un conducteur de relève aille chercher le camion de Mme Laronde afin de permettre à celle-ci de dormir et de ne pas dépasser le maximum d'heures admissibles. Il a également fait le nécessaire pour qu'elle puisse revenir jusque dans la cour chez Gibson en matinée dans un camion-tracteur à cabine courte et pour que quelqu'un d'autre passe prendre ses effets qui n'avaient pu être mis dans le véhicule, faute de place.

[118] Pour ce qui est des allégations de Mme Laronde, M. Holt a indiqué qu'il ne surveillait les conducteurs par satellite qu'en cas de nécessité. Il surveillait les camions, et non les conducteurs, durant la période où il a agi comme surveillant de nuit, et il n'a pas suivi Mme Laronde au moyen du système satellite plus que n'importe quel autre conducteur circulant aux États-Unis. Il a affirmé que tout conducteur qui conduit un camion muni d'un système de radiomessagerie satellite a l'impression d'être surveillé.

[119] Mme Laronde a affirmé que M. Holt l'intimidait et qu'elle faisait tout pour l'éviter. Lorsqu'elle revenait au bureau la nuit, elle n'allait pas dans la salle des conducteurs pour y remplir sa documentation. Elle la remplissait dans le camion et n'allait dans la salle que pour remettre la clé du camion et la documentation. Elle quittait ensuite les lieux le plus rapidement possible.

[120] Au cours de son témoignage, Mme Laronde a indiqué qu'elle s'était plainte à un certain nombre de personnes chez Gibson de ce qu'elle considérait être du harcèlement de la part de M. Holt. En plus de parler à ses amis chez Gibson (Gary Kitchener, John Hepburn, Chris Reid, etc.), elle s'est plainte aux personnes qui, pensait-elle, exerçaient des fonctions de surveillance et pouvaient faire cesser le comportement de M. Holt. À l'époque, la compagnie n'avait pas de politique ni de procédures qu'elle aurait pu à sa connaissance invoquer.

[121] La première personne qu'elle est allée trouver - vers janvier 1996 - était Mike Morton, le surveillant de M. Holt. M. Morton lui a dit qu'il n'y avait pas à son avis grand-chose à faire, étant donné les rapports étroits qu'entretenaient M. Holt et les Gibson.

[122] Mme Laronde a ensuite parlé à Willie Teigesser, son répartiteur. Elle lui a demandé s'il avait vu les messages qu'elle avait reçus par radiomessagerie satellite. Il a répondu par l'affirmative. Aucune preuve n'a été présentée quant aux messages précis qu'il avait vus. Cette conversation a eu lieu environ une semaine après celle avec Mike Morton. Mme Laronde a demandé qu'on dise à M. Holt de cesser de lui transmettre par radiomessagerie satellite des messages qui n'avaient pas trait au travail. La réponse de M. Teigesser a été la même que celle fournie par M. Morton.

[123] Mme Laronde est ensuite allée trouver Bob Watt, le directeur de la sécurité chez Gibson, au début de 1996. Elle lui a dit qu'elle recevait de la part de M. Holt par radiomessagerie satellite des messages inopportuns qui l'effrayaient. Elle ne savait que faire et était en quête de conseils. M. Watt a dit qu'il ne pouvait rien faire parce qu'il n'était pas le surveillant de M. Holt. Il lui a dit que Stacey Beckstead, qui travaillait dans le bureau, avait eu elle aussi des difficultés avec M. Holt et il lui a suggéré de lui parler. Mme Laronde a abordé la question avec Stacey Beckstead, qui s'est montrée plutôt discrète, mais qui lui a suggéré de parler de la chose à son père, Rick Beckstead, le vice-président (exploitation) chez Gibson.

[124] Mme Laronde a dit qu'elle avait rencontré M. Beckstead dans son bureau en mars 1996. Elle lui a expliqué qu'elle avait l'impression que M. Holt la harcelait au moyen de la radiomessagerie satellite et lui a donné comme exemple le message concernant les 235 milles parcourus en neuf heures. Elle a dit à M. Beckstead qu'elle voulait s'acquitter au mieux de ses tâches, mais que les agissements de M. Holt commençaient à lui peser. M. Beckstead n'a rien dit ni laissé paraître quoi que ce soit lors de cette rencontre. Selon le témoignage de Mme Laronde, le comportement de M. Holt a changé par la suite. Il ne s'adressait plus à elle directement et il y avait beaucoup d'animosité.

[125] Mme Laronde a également parlé de M. Holt à Mme Lawrence après l'arrivée de celle-ci chez Gibson. Selon son témoignage, la conversation a eu lieu en avril ou mai 1996. Mme Lawrence a confirmé que Mme Laronde l'avait saisie de la question, non pas en 1996 mais plutôt en août 1995, peu après sa nomination au poste de gestionnaire, Ressources humaines. Mme Laronde lui a raconté que M. Holt lui envoyait des messages inopportuns par radiomessagerie satellite et formulait des remarques vulgaires à son sujet dans la salle des conducteurs. Mme Lawrence a dit qu'elle parlerait à M. Holt, ce qu'elle a fait. Elle a fait part à M. Holt des préoccupations de Mme Laronde. Il a nié que des choses comme cela se soient produites. Ils ont discuté de la question du harcèlement et du fait que le harcèlement n'était pas toléré par la compagnie. S'il y avait des actes de harcèlement, ceux-ci devaient cesser. Mme Lawrence a également dit à M. Holt que si un incident du genre survenait, il devait la saisir, elle, de la chose plutôt que de traiter directement avec Mme Laronde.

[126] Mme Lawrence a fait part à Mme Laronde peu de temps après des résultats de sa conversation avec M. Holt, précisant que celui-ci avait nié les choses qu'elle lui reprochait et qu'il avait accepté de communiquer avec elle uniquement si les nécessités du service l'exigeaient. Selon Mme Lawrence, Mme Laronde a semblé accepter cela et l'affaire a été close. Elle n'a jamais par la suite entendu Mme Lawrence ou M. Holt parler de harcèlement. À sa connaissance, il n'y a pas eu d'autres contacts entre Mme Laronde et M. Holt.

b) Le droit - Harcèlement sexuel

[127] Aux termes de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le fait de harceler un individu constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. En vertu du paragraphe 14(2) de la Loi, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite. La Loi ne définit pas ce qu'est le harcèlement sexuel, mais les cours ont rendu un certain nombre de décisions à ce sujet. L'arrêt clé est celui rendu par la Cour suprême du Canada dans Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252. Dans cette affaire, la Cour suprême a défini le harcèlement sexuel comme une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes de harcèlement (p. 1284). La Cour a également décrit le harcèlement sexuel comme une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir (p. 1284).

[128] Des décisions judiciaires ultérieures ont précisé les genres de comportement qui peuvent être considérés comme du harcèlement sexuel. À cet égard, la Cour fédérale, dans l'arrêt Commission canadienne des droits de la personne c. Forces armées canadiennes et Kimberley Franke, [1999] 3 C.F. 653 (C.F., 1re inst.), fait référence au livre du professeur Aggarwal intitulé Sexual Harassment in the Workplace, 2e éd. (1992), dans lequel l'auteur indique qu'il y a trois genres de harcèlement sexuel (verbal, physique et psychologique). Sur le plan verbal, le harcèlement sexuel peut comprendre les remarques importunes, les plaisanteries qui causent un malaise ou de l'embarras, les insultes d'ordre sexuel, les conversations téléphoniques ou autres types de conversation ou de message ayant un ton d'ordre sexuel. Sur le plan physique, l'employée en cause peut être victime des actes suivants : étreintes, agressions, tapes, effleurements, etc. Le harcèlement psychologique peut comporter les actes suivants : incessante sollicitation d'intimité physique, sollicitations, propositions de faveurs sexuelles.

[129] Dans l'arrêt Franke, la Cour fait aussi mention d'autres facteurs à prendre en compte. Une fois qu'on a constaté que la conduite est de nature sexuelle et non sollicitée, il doit y avoir un élément de persistance ou de répétition, sauf s'il s'agit d'un incident unique grave, pour qu'elle soit considérée comme du harcèlement sexuel. Plus la conduite est grave et ses conséquences manifestes, moins la répétition sera importante; à l'inverse, moins la conduite est grave et ses conséquences manifestes, plus la persistance doit être démontrée.

c) Analyse et conclusion

[130] C'est dans ce cadre juridique que je dois maintenant examiner les incidents qui, selon les allégations de la Commission et de la plaignante, constituent du harcèlement sexuel.

[131] Des questions de crédibilité se posent tant en ce qui concerne certains des incidents de présumé harcèlement qu'à propos des dates des démarches faites par Mme Laronde pour que la direction s'occupe de ses plaintes au sujet de M. Holt.

[132] Penchons-nous d'abord sur les incidents. Il y en a trois. Le premier a trait au message transmis par radiomessagerie satellite concernant le racolage dans le parc de stationnement que M. Holt, selon les allégations de Mme Laronde, aurait transmis en novembre ou décembre 1995. M. Holt n'agissait pas comme surveillant de nuit durant cette période. Lorsque ce fait a été porté à la connaissance de Mme Laronde, elle a émis l'hypothèse que M. Holt, qui était conducteur à l'époque, aurait pu se rendre une nuit au bureau du répartiteur de la section États-Unis durant ses temps libres pour lui envoyer ce message. Mme Laronde n'a pas voulu réviser son estimation quant à la date de la réception du message (contrairement à ce qu'elle a fait pour d'autres incidents pour lesquels elle avait initialement fourni de mauvaises dates).

[133] Au regard de ces faits, il y a trois conclusions possibles : Mme Laronde n'a pas reçu le message; elle l'a reçu, mais il ne provenait pas de M. Holt; elle l'a reçu, mais s'est trompée de date et n'a pas voulu l'admettre. À mon avis, son hypothèse quant à la façon dont M. Holt lui aurait transmis le message par radiomessagerie satellite n'est tout simplement pas crédible. Il incombe à la Commission et à la plaignante de démontrer que ce message a été envoyé par M. Holt. À mon avis, la preuve ne démontre pas la chose et je ne puis tenir compte de cet incident pour déterminer s'il y a eu harcèlement sexuel.

[134] Quant à l'affirmation de John Hepburn selon laquelle M. Holt aurait dit que Mme Laronde devrait [TRADUCTION] rester chez elle sur le dos avec ses jambes ouvertes, les preuves sont contradictoires. M. Holt a nié avoir fait cette remarque. M. Hepburn n'a donné aucune indication quant à la date où la présumée remarque aurait été formulée. Il ne se souvient pas si la remarque a été faite en présence de Mme Laronde. Il ne se souvient pas non plus s'il a fait part de cette remarque à Mme Laronde alors qu'elle était à l'emploi de Gibson. C'était un ami de Mme Laronde chez Gibson. Il a donc intérêt à appuyer ses prétentions.

[135] D'autre part, M. Holt, dans son témoignage, a admis avoir transmis par radiomessagerie satellite certains messages à Mme Laronde. Il a aussi reconnu avoir raconté l'histoire de la dame sur le réservoir de carburant. Il a également convenu qu'il avait envoyé par radiomessagerie satellite le message concernant les 235 milles parcourus en neuf heures et a même fourni une date qui rend la chose plausible, contrairement à celle fournie par Mme Laronde. À propos de la question de crédibilité, je préfère le témoignage de M. Holt à celui de M. Hepburn.

[136] Enfin, il y a l'affirmation de M. Watt voulant qu'il ait lu l'imprimé d'un message que M. Holt aurait envoyé par radiomessagerie satellite à Mme Laronde et selon lequel elle partageait la couchette avec Chris Reid. M. Watt a d'abord dit avoir vu ce message entre janvier et mars 1995. En contre-interrogatoire, il s'est ravisé, affirmant qu'il l'avait vu à un moment donné au milieu des années 90, peut-être entre mai 1995 et mai 1996. De toute évidence, l'intervalle de temps indiqué pose problème puisque M. Holt n'occupait plus le poste de surveillant de nuit après septembre 1995. De plus, Mme Laronde, celle qui aurait reçu ledit message et qui se souvenait très bien des messages transmis par M. Holt par radiomessagerie satellite, n'en a pas fait mention dans son témoignage. Enfin, ce message ne s'inscrit dans aucun contexte et on ne sait pas quelles circonstances auraient pu amener M. Holt à l'envoyer entre janvier et mars 1995 ou entre mai 1995 et mai 1996.

[137] À mon avis, la conclusion qui s'impose est qu'il n'y a pas eu deux messages concernant Chris Reid. M. Watt, dans ses souvenirs, a confondu ce message avec celui concernant Chris Reid auquel Mme Laronde a fait référence dans son témoignage. Cet élément de preuve n'est pas crédible et ne doit pas être pris en compte pour déterminer s'il y a eu harcèlement sexuel.

[138] En ce qui concerne le message concernant le trajet depuis Vincennes, Mme Laronde a dit l'avoir reçu en février 1996. Elle s'est par la suite ravisée, affirmant l'avoir reçu en février 1995. Toutefois, elle a maintenu avoir reçu au début de 1996 le message concernant les 235 milles parcourus en neuf heures.

[139] Les souvenirs de Mme Laronde étaient également confus quant à l'époque où elle a parlé à la direction. Au début, elle a prétendu avoir parlé à toutes les personnes mentionnées entre le début de janvier 1996 (Mike Morton) et avril ou mai 1996 (Mme Lawrence). Toutefois, en contre-interrogatoire, elle a lié ses conversations à la date du dépôt de sa plainte auprès de la Commission, soit en août 1996. Elle s'est alors ravisée, affirmant qu'elle avait rencontré M. Beckstead en juillet ou août 1996, M. Teisegger en mars 1996 et M. Morton, deux ou trois semaines plus tard.

[140] Il est difficile de voir clair à travers les contradictions dans cette preuve. Si ces conversations ont eu lieu en 1996, cela faisait belle lurette que M. Holt n'était plus surveillant de nuit. M. Holt a quitté Gibson en avril 1996. Si je fais mienne l'affirmation de Mme Lawrence, à savoir que les actes de harcèlement ont cessé en août 1995, comment peut-on expliquer le message concernant Chris Reid envoyé par radiomessagerie satellite en septembre 1995.

[141] Malgré ces contradictions, je crois que la preuve confirme la conclusion que Mme Laronde a effectivement parlé aux cadres mentionnés ci-dessus. Gibson n'a pas vraiment contesté la chose. J'ai conclu que ces discussions ont eu lieu à un moment donné en 1995 ou 1996, ou au cours de ces deux années-là.

[142] Il reste quatre incidents à examiner en ce qui concerne le harcèlement sexuel. Le premier a trait aux inscriptions que M. Holt aurait faites sur l'enveloppe des voyages de Mme Laronde - [TRADUCTION] Ai-je fait du café frais pour Steve?. Mme Laronde considérait ce message comme un rappel constant de son état de servilité. Il ne fait aucun doute que cette remarque peut être interprétée comme dégradante, comme indiquant la place de la femme. Elle pourrait être considérée comme sexiste plutôt que comme de nature sexuelle. Cependant, aux fins de la présente analyse, je supposerai qu'il s'agit d'une conduite ayant des connotations sexuelles.

[143] Le message concernant Chris Neil qui attendait Mme Laronde pour lui faire la passe revêt certes un caractère sexuel. M. Holt a reconnu avoir envoyé ce message, mais ce à la demande de M. Reid, un bon ami de Mme Laronde. La version de Mme Laronde est toute autre. Je n'ai point à choisir entre les deux versions. C'est M. Holt qui contrôlait le système de radiomessagerie par satellite et c'est lui qui a pris la décision d'envoyer le message. Si elle avait voulu établir qu'il ne s'agissait pas d'un message inopportun mais plutôt d'une plaisanterie entre amis, Gibson aurait pu citer M. Reid comme témoin.

[144] Le troisième incident est celui du réservoir de carburant. Mme Laronde a affirmé qu'elle se trouvait dans la salle des conducteurs lorsque M. Holt a raconté l'histoire. Elle a été offensée par cette histoire. D'après la description que M. Holt a faite de la salle des conducteurs, on pourrait croire qu'il y régnait une atmosphère quelque peu grivoise. Cela ne veut pas dire pour autant que Mme Laronde approuvait ce qui s'y passait; cependant, la preuve révèle que, de temps à autre, elle n'était pas à l'abri des agissements grivois.

[145] Je ferai ici référence à deux événements cités en preuve, soit l'après-party de Noël de 1995 chez Gibson et les célébrations en marge de l'anniversaire de Bob Gauley au Crossroads. Après le party de Noël, un certain nombre de conducteurs, dont Mme Laronde, ont loué des chambres au Red Pines Inn, à Alliston. Le groupe s'est rassemblé dans la chambre de Mme Laronde et a réussi à convaincre à un moment donné un Bob Gauley très éméché de revêtir la robe que portait lors du party Mme Laronde (qui avait changé de tenue depuis), laquelle était ornée d'un bouquet de corsage et de guirlandes de Noël. Des photographies de la scène ont été prises. Mme Laronde et d'autres personnes ont montré ces photographies dans la cour à Alliston, au grand dam de M. Gauley, mais au plus grand plaisir (M. Gauley était un homme de forte taille) des autres conducteurs.

[146] À une autre occasion, un certain nombre de conducteurs, dont Mme Laronde, ont célébré l'anniversaire de Bob Gauley dans un restaurant puis au Crossroads, un club de danseuses nues situé à Barrie. Mme Laronde a dit que le divertissement consistait en grande partie à payer des danses-contacts à M. Gauley. Elle a reconnu que des femmes presque nues s'assoyaient sur les genoux de M. Gauley. Mme Laronde a cotisé à la réserve constituée pour payer les danses-contacts.

[147] Si je cite ces éléments, ce n'est pas pour laisser croire que Mme Laronde acceptait les comportements de nature sexuelle dans son milieu de travail ou fermait les yeux sur ceux-ci. Par ailleurs, au regard de ces éléments de preuve, il semble que Mme Laronde tolérait jusqu'à un certain point les comportements ayant des connotations sexuelles.

[148] Comme l'a affirmé M. Holt, les camionneurs sont des conteurs d'histoires. Il a raconté une histoire dans laquelle il se vantait de ses prouesses sexuelles. Ce fait comporte une connotation sexuelle. Cependant, le récit n'a pas été fait à l'intention de Mme Laronde et celle-ci n'en faisait pas l'objet.

[149] Les propos rapportés par Gary Kitchener au sujet de ce que M. Holt disait de Mme Laronde, c'est-à-dire qu'il allait faire congédier cette chienne, sont offensants et blessants pour les femmes. Les commentaires n'ont pas été faits directement à Mme Laronde, mais lui ont été rapportés par M. Kitchener environ un mois plus tard.

[150] Mme Laronde s'est également plainte de ce que M. Holt la surveillait au moyen du satellite. Elle a cité trois incidents, soit la fois où elle est revenue à la maison dans le camion en juin 1995, le trajet de retour depuis Vincennes et le message concernant les 235 milles parcourus en neuf heures. Je ne vois ni de connotations sexuelles ni de lien de nature sexuelle entre ces trois incidents. M. Holt a affirmé qu'il surveillait le camion et non le conducteur. Il ne surveillait les conducteurs au moyen du satellite qu'en cas de nécessité. Les messages transmis lors du trajet à partir de Vincennes constituent un bon exemple. M. Holt a envoyé ces messages parce que Gibson avait besoin du camion de Mme Laronde et qu'il fallait le ramener bien avant l'heure de retour prévue.

[151] Aucun élément de preuve n'a été présenté quant aux raisons pour lesquelles M. Holt a envoyé le message au sujet du temps pris pour franchir la distance de 235 milles, ou aux raisons pour lesquelles Mme Laronde avait fait l'objet d'une surveillance par satellite lorsqu'elle s'est rendue chez elle dans son camion. En revanche, aucun élément de preuve n'a été produit pour démontrer que Mme Laronde avait fait l'objet d'une surveillance par satellite plus étroite que tout autre conducteur de Gibson. À mon avis, aucun de ces trois incidents ne peut être considéré comme étant de nature sexuelle.

[152] Suite à cette analyse, il reste quatre incidents qui peuvent être considérés comme étant de nature sexuelle : l'enveloppe des voyages; l'incident du réservoir de carburant; l'incident Chris Reid; l'incident du congédiement de la chienne. Tel qu'indiqué précédemment, à moins qu'il ne s'agisse d'une conduite très grave, un incident unique ou isolé au cours duquel des remarques sexuelles offensantes sont formulées, ne suffit généralement pas à créer un milieu de travail hostile ou préjudiciable. À mon avis, aucune de ces remarques, considérées individuellement, n'était grave au point d'avoir un tel effet. En outre, ces remarques, prises collectivement, ne laissent entrevoir aucun schème de comportement dénotant une conduite offensante. La preuve a démontré que ces incidents se sont échelonnés sur une période d'au moins 18 mois comprise entre mars 1994 et septembre 1995.

[153] Pour ces motifs, j'ai conclu que la Commission et la plaignante n'ont pas fait la preuve que l'art. 14 de la Loi a été enfreint.

(iii) Non-accession au rang de propriétaire-exploitant

[154] Le dernier élément de la plainte de Mme Laronde est qu'elle n'a pas été sélectionnée pour devenir l'un des propriétaires-exploitants. Les propriétaires-exploitants sont une catégorie de conducteurs particulière chez Gibson. Ce sont des titulaires de permis de conduire de catégorie AZ qui possèdent leur propre camion-tracteur et qui assument le coût de leur carburant, de leur plaque d'immatriculation et des assurances ainsi que leur part des primes de la CSPAAT et du régime d'avantages sociaux.

[155] En règle générale, Gibson passe avec chaque propriétaire-exploitant un contrat d'un an, qui est automatiquement reconduit, à moins qu'un préavis de deux semaines ne soit donné avant la date d'expiration. Cependant, l'une ou l'autre partie peut mettre fin au contrat en tout temps moyennant un préavis de deux semaines. En vertu du contrat, le propriétaire-exploitant s'engage à travailler exclusivement pour Gibson. Le propriétaire-exploitant est le conducteur principal du véhicule, sauf lorsqu'il est en vacances ou malade ou lorsque des imprévus surviennent, auquel cas des conducteurs de relève prennent le volant. Les propriétaires-exploitants sont affectés uniquement aux trajets américains (section États-Unis).

[156] Vers janvier 1996, Mme Laronde a dit à Mme Lawrence qu'elle était intéressée à devenir propriétaire-exploitant. On lui a dit d'inscrire son nom sur la liste afin que la direction sache qu'elle était intéressée et d'attendre.

[157] Selon Mme Laronde, Rick Beckstead lui a téléphoné le 28 mars 1996 pour lui demander si elle était encore intéressée à devenir propriétaire-exploitante. Il lui a dit que Gibson allait recruter à même son bassin de conducteurs et que sa candidature était examinée. Mme Laronde a compris qu'elle serait choisie si elle répondait aux critères. Elle s'était entretenue avec un concessionnaire de camions au début de janvier 1996 en prévision de son accession au rang de propriétaire-exploitant.

[158] Toutefois, le 29 mars, soit le jour suivant, M. Beckstead lui a dit qu'il n'était pas nécessaire qu'elle aille acheter un camion. Elle a appris que Gibson avait sélectionné quatre conducteurs comme propriétaires-exploitants, soit Scott Armstrong, Chad Horan, Ken Johnson et Warren Snell.

[159] Durant son témoignage, elle a également affirmé que Gibson avait choisi, en août 1996, trois autres conducteurs comme propriétaires-exploitants. Norrie Sarcen était du nombre; toutefois, elle n'a pu se rappeler des autres noms. Le cas de Mme Laronde n'a même pas été examiné. Selon Mme Lawrence, sa candidature n'a pas été prise en compte parce que son rendement général ne répondait pas aux normes de l'entreprise. En outre, elle ne faisait pas partie de la section États-Unis. Les propriétaires-exploitants sont affectés exclusivement aux trajets américains.

[160] Il y avait toujours chez Gibson un certain nombre de conducteurs désireux de posséder leur propre véhicule. Avant 1996, il n'existait aucun document que les conducteurs pouvaient consulter au sujet des exigences à satisfaire pour devenir un propriétaire-exploitant au sein de la compagnie. En 1996, après plusieurs rencontres avec les propriétaires, Mme Lawrence a rédigé un document intitulé Broker Requirements. Ce document énonce un certain nombre de critères auxquels un conducteur doit répondre pour que sa candidature puisse être examinée. Parmi ces critères figurent ceux qui sont énumérés ci-après : faire partie de la section États-Unis; avoir une bonne attitude; être capable de financer l'achat d'un nouveau camion d'une certaine taille et couleur; travailler à temps plein chez Gibson depuis au moins deux ans.

[161] Les propriétaires estimaient que le document décrivant les exigences à satisfaire constituaient un point de départ et se réservaient le droit de prendre la décision définitive quant aux candidats à sélectionner et au moment de faire les nominations.

[162] Mme Lawrence avait l'habitude de dresser une liste des conducteurs intéressés à devenir propriétaire-exploitant. En temps utile, elle remettait la liste aux conducteurs chargés de faire la sélection. Dans le cas des conducteurs sélectionnés en mars et août 1996, c'est Bing Gibson qui a pris les décisions.

[163] Mme Lawrence a admis qu'il n'était pas précisé dans le document Brokers Requirements qu'on tiendrait compte des incidents mettant en cause les conducteurs. Toutefois, elle a affirmé que tout propriétaire-exploitant doit avoir une fiche irréprochable du point de vue opérationnel. Il doit être un conducteur fiable qui connaît les politiques et les procédures de l'entreprise et qui s'y conforme. Les candidats qui n'ont pas un bon dossier ne peuvent être admis comme propriétaires-exploitants parce qu'ils n'ont pas fait leurs preuves comme conducteurs de la compagnie.

[164] Bing Gibson a expliqué lors de son témoignage comment il prenait les décisions. À son avis, pour devenir un propriétaire-exploitant, il faut avoir une belle personnalité. Il faut être à l'heure tout le temps. Il faut être capable de financer l'achat du camion et de faire les versements. Il faut avoir un penchant pour la mécanique et être capable de réparer son camion. C'est là un facteur important qui influe sur les coûts d'exploitation et qui joue un rôle déterminant dans la réussite de l'entrepreneur.

[165] En ce qui concerne les quatre propriétaires-exploitants choisis, Chad Horan était au service de l'entreprise depuis le 10 novembre 1994. Bing Gibson avait connu son grand-père et son père et il connaissait Chad personnellement. De plus, Chad est le neveu de Leonard Gibson, l'un des propriétaires de la compagnie. Selon Bing Gibson, il a grandi avec l'entreprise et constituait un choix incontournable.

[166] Warren Snell a été embauché par Gibson en septembre 1988. Bing Gibson a dit qu'il avait été sélectionné comme propriétaire-exploitant parce qu'il aimait l'endroit dont M. Snell était originaire - Mona. M. Snell est aussi un opérateur de machines lourdes et connaît la machinerie lourde. Il n'a pas causé de problèmes à l'entreprise. Il jouissait de l'appui de son père et sa maison était payée. Il était toujours à l'heure, élément auquel Gibson attache beaucoup d'importance.

[167] Scott Armstrong a débuté comme conducteur chez Gibson le 29 avril 1994. Bing Gibson connaissait son père, avec lequel il avait fait des affaires. Il connaissait depuis 15 ans la famille de Scott Armstrong au moment où celui-ci s'est joint à l'entreprise. Les Armstrong sont des agriculteurs. Ce sont de bonnes gens et il n'y avait, selon Bing Gibson, aucune raison de ne pas le choisir comme propriétaire-exploitant.

[168] Ken Johnson est entré au service de Gibson en 1992. Bing Gibson a fait remarquer qu'il avait souvent vu M. Johnson en train de laver et de frotter son camion lorsqu'il était chez lui. Il passait beaucoup de temps à s'assurer que son véhicule était immaculé. Cela impressionnait Bing Gibson. M. Johnson était toujours à l'heure. Il jouissait d'appuis financiers.

a) Analyse et conclusion

[169] La Commission a fait valoir que, compte tenu des exigences à satisfaire pour devenir propriétaire-exploitant, Mme Laronde était aussi compétente que n'importe laquelle des quatre autres personnes sélectionnées. Le seul trait distinctif était le sexe, les autres personnes étant des hommes.

[170] La Commission a soutenu que le sexe de Mme Laronde était l'explication logique pour laquelle elle n'avait pas été choisie comme propriétaire-exploitant. À l'appui de cet argument, la Commission a cité deux affaires - Basi c. CNR (1988), 9 C.H.R.R. D/5029, et Stakes c. Rex Pak Limited, (1982) 3 C.H.R.R. D/1001.

[171] Le principe découlant de ces affaires veut que si la partie plaignante avait les qualifications pour le poste en cause et qu'une autre personne qui n'était pas mieux qualifiée, mais qui n'avait pas le trait qui la distingue, a été embauchée, il incombe à l'employeur de fournir une explication crédible pour justifier sa décision en matière d'embauche.

[172] Le fait est que ni Mme Laronde ni M. Horan ni M. Armstrong ni M. Johnson ne satisfaisaient à toutes les exigences à remplir pour devenir propriétaires-exploitants. En mars 1996, Mme Laronde, M. Horan et M. Armstrong ne justifiaient pas de deux années d'expérience à titre d'employés à temps plein de l'entreprise. Selon Mme Laronde, MM. Horan et Johnson n'étaient pas affectés aux trajets aux États-Unis à ce moment-là. Quant à M. Snell, ses qualifications n'ont pas été contestées.

[173] En supposant que les exigences énoncées dans le document Broker Requirements aient été plus que de simples lignes directrices, la question qu'il faut se poser est la suivante : Gibson a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de façon discriminatoire en sélectionnant ces trois personnes, et non Mme Laronde, alors qu'aucune d'elles ne satisfaisait à tous les critères définis dans le document Broker Requirements.

[174] Bing Gibson a indiqué dans son témoignage que Chad Horan était un des neveux du propriétaire, qu'il faisait partie de la famille et qu'il avait grandi avec l'entreprise. C'était un choix incontournable. Bing Gibson connaissait la famille de Scott Armstrong. Il avait fait des affaires avec son père et son grand-père. C'était de bonnes gens. Ken Johnson prenait un soin jaloux de son camion, ce qui impressionnait Bing Gibson. Il était toujours à l'heure. Il jouissait d'appuis financiers.

[175] Ces facteurs ne sont peut-être pas ceux sur lesquels d'autres personnes s'appuieraient pour prendre leurs décisions. Toutefois, aux yeux de Bing Gibson, ces considérations étaient importantes du point de vue commercial. À mon avis, rien dans la preuve présentée ne peut être interprété comme un prétexte pour ne pas avoir choisi Mme Laronde en raison de son sexe. Par conséquent, je conclus que Gibson n'a pas exercé de discrimination à l'endroit de Mme Laronde et n'a pas contrevenu à l'art. 14 de la Loi.

III. MESURES DE REDRESSEMENT

A. PERTES SALARIALES

[176] Lorsqu'il en vient à la conclusion qu'il y a eu discrimination, le tribunal doit faire en sorte de remettre la victime dans la position où elle aurait été, n'eût été de l'acte discriminatoire, en tenant compte des principes de l'atténuation des pertes, de la prévisibilité raisonnable et du caractère lointain du dommage - Canada c. Morgan, [1989] 2 C.F. 401 (C.A.) et Canada c. McAlpine, [1989] 3 C.F. 530 (C.A.).

[177] En ce qui concerne les pertes salariales, la Commission a soutenu que si Gibson n'avait pas exercé une discrimination à l'endroit de Mme Laronde, celle-ci n'aurait pas reçu de dernier avertissement et l'entreprise n'aurait pas été fondée à mettre fin à son emploi le 2 octobre 1996. La Commission a demandé au tribunal de l'indemniser de ses pertes salariales. Selon elle, la période indemnisable est d'une durée de 29 mois, soit la période durant laquelle Mme Laronde a travaillé chez Gibson.

[178] L'entreprise intimée, Gibson, s'appuyant sur le principe du préavis raisonnable découlant de la jurisprudence relative aux congédiements injustes, a indiqué qu'une période de deux mois et demi serait convenable.

[179] Dans Morgan, la Cour d'appel a fait remarquer qu'on ne devrait pas appliquer les principes liés aux congédiements injustes dans les affaires relatives aux droits de la personne lorsqu'il s'agit de déterminer le dédommagement. C'est parce que la responsabilité de l'employeur en cas de congédiement injuste découle du fait qu'il n'a pas donné un préavis suffisant, et non du traitement discriminatoire. La source de la responsabilité étant différente, les conséquences doivent l'être également.

[180] Quant à l'argument de la Commission, il ne tient pas compte des faits pertinents survenus entre les deux. La preuve a permis d'établir que Mme Laronde a terminé avec succès son année de probation et qu'elle avait présumément un dossier sans tache. Comme l'a fait remarquer l'avocat de Gibson, il en a été de même pour la période comprise entre juin 1995 et mai 1996. Cependant, entre mai et septembre 1996, il y a eu une augmentation notable du nombre de manquements à la discipline. Mme Laronde était en train de se constituer un dossier disciplinaire qui compromettait son emploi.

[181] Le 2 octobre 1996, Mme Laronde avait dans son dossier trois incidents graves, deux infractions relatives au non-respect des heures de service et une omission d'inspecter un chargement. Selon les règles de la compagnie, elle s'exposait à voir celle-ci mettre fin à son emploi. Toutefois, la preuve a démontré que Gibson n'appliquait pas rigoureusement les règles, particulièrement celles concernant la cessation d'emploi. Le fait que les deux infractions relatives aux heures de service seraient disparues du dossier disciplinaire de Mme Laronde dans les semaines qui allaient suivre est un autre facteur à prendre en compte. Par ailleurs, la preuve indique que les infractions relatives aux heures de service n'étaient pas considérées comme aussi graves que d'autres genres d'infractions aux règles d'exploitation.

[182] Au regard de l'ensemble de ces facteurs, je suis d'avis qu'il convient de calculer les pertes salariales en se fondant sur une période de neuf mois. Mme Laronde doit être entièrement indemnisée des pertes salariales qu'elle a subies au cours des neuf mois qui ont suivi la date de son renvoi. Il y a lieu de déduire du total ses revenus provenant d'autres sources.

[183] Mme Laronde a droit à une indemnité forfaitaire au titre des pertes salariales. Il se peut que le versement de cette indemnité entraîne des conséquences fiscales négatives. Il serait injuste de la pénaliser en lui imposant un fardeau fiscal plus lourd par suite du paiement d'une somme forfaitaire en lieu et place des versements salariaux qu'elle aurait reçus entre octobre 1996 et la date du paiement. Par conséquent, Gibson doit verser à Mme Laronde une somme supplémentaire suffisante pour compenser l'impôt additionnel qu'elle aura à payer du fait qu'elle recevra un paiement forfaitaire.

B. INDEMNITÉ SPÉCIALE

[184] Le paragraphe 53 (3) de la Loi, tel que libellé en octobre 1996, permettait d'accorder une indemnité maximale de 5 000 $ en cas de conduite délibérée et inconsidérée, de préjudice moral ou d'atteinte à la dignité personnelle. Il n'y a pas d'allégations de conduite délibérée ou inconsidérée de la part de Gibson.

[185] La preuve a révélé que Mme Laronde a été confrontée à de très grandes difficultés après que Gibson eut mis fin à son emploi. Elle n'avait pas de gagne-pain. Elle était chef de famille monoparentale et avait trois enfants à charge. Sa mère, qui était dans l'incapacité de gagner sa vie, faisait elle aussi partie du ménage de Mme Laronde à titre de personne à charge. Le stress qu'elle a subi par suite de la perte de son emploi a été amplifié par les pressions financières auxquelles elle était soumise.

[186] Mme Laronde a déclaré qu'elle s'était aussitôt mise à la recherche d'un emploi de conducteur de camions. Elle a été incapable de trouver un emploi à temps plein qui lui aurait procuré un salaire similaire à celui qu'elle touchait chez Gibson. L'emploi à temps plein qu'elle a déniché était de courte durée.

[187] Au regard de l'ensemble des circonstances, j'accorde à Mme Laronde une indemnité spéciale de 5 000 $.

C. INTÉRÊTS

[188] Selon la règle 9(12) des Règles de procédure provisoires du Tribunal canadien des droits de la personne, l'indemnité accordée pour compenser des pertes salariales donne droit à des intérêts. Le calcul des intérêts doit porter sur la période allant du 2 octobre 1996 à la date du paiement et être fondé sur les versements salariaux qui auraient été faits à Mme Laronde.

D. FRAIS REMBOURSABLES

[189] Mme Laronde doit être indemnisée des frais remboursables qu'elle a subis par suite de l'acte discriminatoire, y compris les frais engagés pour assister à l'audience dans cette affaire.

[190] Je conserve ma compétence pour le cas où les parties ne seraient pas en mesure de s'entendre dans les 30 jours suivant la date de cette décision sur l'une des quelconques mesures de redressement et notamment sur le calcul des indemnités accordées.

Signée par
J. Grant Sinclair

OTTAWA (Ontario)
Le 7 novembre 2003

PARTIES NOMMÉES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T712/1702

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Michèle Laronde c. Warren Gibson Limited

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)
les 21, 23 et 24 janvier 2003
les 6 et 7 février 2003
le 11 février 2003

Barrie (Ontario)
du 17 au 19 juin 2003
le 23 juin 2003

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

le 7 novembre 2003

ONT COMPARU :

Michèle Laronde

en son propre nom

Patrick O'Rourke

au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

John Saunders

au nom de l'intimée

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