Tribunal canadien des droits de la personne

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JUGEMENT RENDU LE 18 MARS 1982

D. T. 5/ 82

EN CE QUI CONCERNE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, S. C. 1976- 1977, c. 33 version modifiée;

ET EN CE QUI CONCERNE une audience devant un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE PAUL S. CARSON, RAMON SANZ, WILLIAM NASH, BARRY JAMES, ARIE TALL PLAIGNANTS

- et

AIR CANADA DÉFENDEUR

DEVANT SIDNEY N. LEDERMAN, c. r.

JUGEMENT DU TRIBUNAL

ONT COMPARU GEORGE D. HUNTER et DAVID A. AYLEN Avocats des plaignants et de la Commission canadienne des droits de la personne
COLIN A. MORLEY et GUY DELISLE Avocats de défendeur

>DATE DES AUDITIONS: Les 18, 19, 20, 21, 22 février 1980 Les 23 et 24 avril 1980 Le 22 août 1980 Les 17 et 19 février 1981 Les 21, 22, 23 et 24 avril 1981 Les 23, 24, 25 et 26 juin 1981 Le 5 octobre 1981.

> TABLE DES MATIERES

1. Introduction

2. Les plaignants et la réponse d’Air Canada à leurs demandes d’emploi

(a) William Nash

(b) Paul Carson

(c) Barry Ashley James

(d) Arie Tall

(e) Ramon Sanz

3. Conditions d’admissibilité des pilotes d’Air Canada

4. Politique d’âge d’Air Canada

5. Exigences professionnelles normales

(a) Interprétation

(b) Fardeau de la preuve

(c) Application aux chauffeurs d’autobus et aux pilotes de la défense d’exigence professionnelle normale

(d) Etudes effectuées par Air Canada

(i) Etude des 400 pilotes

(ii) Etude des navigateurs

(iii) Etude des ingénieurs de vol

(iv) Problèmes de performance de certains pilotes expérimentes

(e) Excursion dans le domaine psychologique

(i) Dynamique de personnalité des membres de l’équipage

(ii) Le phénomène du manque de débouchés

(iii) Le système d’ancienneté

(iv) La motivation

(f) Les produits de placement

(g) Considération d’ordre médical

(h) Le facteur expérience

6. Conclusions

1. - INTRODUCTION

On s’inquiète de plus en plus, de nos jours, des problèmes posés par la discrimination pour raison d’âge sur le marché du travail, ainsi que des conséquences économiques, sociales et psychologiques que doivent subir ceux qui sont les victimes de cette discrimination. D’autre part, il est tout aussi important pour l’employeur d’assurer le maintien d’exigences et de normes d’emploi légitimes. (Voir la décision Foreman et al c. VIA Rail Canada Inc. (1980) 1 R. C. D. P. 111, 112). Lorsqu’un emploi comporte un élément de sécurité pour autrui, il faut tenir compte des intérêts du public en général tout en ne perdant pas de vue les intérêts de l’individu plus âgé et de son employeur. Il faut donc, dans de pareilles circonstances, établir un équilibre très délicat entre les intérêts de l’employé plus âgé qui désire continuer à occuper son poste et ceux du public en général, dont on doit assurer la sécurité. On rencontre habituellement ce problème lorsqu’il s’agit de retraite obligatoire à un âge donné. Voir par exemple, l’arrêt Lamont c. Air Canada (1982), 34 O. R. (2d) 195. Il faut noter cependant que dans la présente enquête la question d’âge avait été soulevée dans le contexte de l’admission à l’emploi et non pas dans le contexte de la retraite. Il s’agit ici, en partie, d’un défi juridique porté par la Commission canadienne des droits de la personne au défendeur Air Canada et à sa politique de plafonnement d’âge en ce qui concerne l’embauchage et à l’application de cette politique aux plaignants. Les cinq plaignants (un sixième, Arthur Lashbrook a retiré sa plainte au cours de l’audience) allèguent qu’ils ont été victimes d’une pratique discriminatoire par Air Canada, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et ceci, en refusant d’accepter les plaignants à son emploi comme pilotes stagiaires à cause de leur âge, ce qui constitue un motif de distinction illicite en vertu de l’article 3 de la Loi. La Commission allègue aussi qu’Air Canada a posé un acte discriminatoire en contravention de l’article 10 de la Loi et cela pour un motif de distinction illicite, en fixant ou en appliquant 2 des lignes de conduite susceptibles d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

Air Canada soutient de son côté que dans chacun des cas en question, il existait d’autres raisons que celle de l’âge du plaignant pour lesquelles l’emploi a été refusé et que, par conséquent, les agissements d’Air Canada ne constituent pas des actes discriminatoires. Dans l’alternative, Air Canada soutient que si elle a tenu compte de l’âge des plaignants en leur refusant un emploi, elle invoque à sa défense les termes de l’alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui se lit comme suit:

2. Ne constituent pas des actes discriminatoires

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales.

2. LES PLAIGNANTS ET LA RÉPONSE D’AIR CANADA A LEURS DEMANDES D’EMPLOI

Je vais considérer d’abord les plaintes de chacun des plaignants qui allèguent avoir été l’objet de discrimination par Air Canada en raison de leur âge.

Il existe quelques caractéristiques communes à tous les plaignants mais, au risque de me répéter, je vais considérer chacun des plaignants séparément.

(a) William Nash:

Pendant une période de 10 ans, de 1968 à 1978, M. Nash a postulé un emploi comme pilote auprès d’Air Canada. Lors de sa première demande en 1968, on lui a répondu qu’il n’existait pas de poste disponible et qu’on ne s’attendait pas à ce qu’il y ait des postes avant 1969. En conséquence, Air Canada ne faisait pas d’entrevue de candidats pilotes à ce moment- là. Par la suite, M. Nash a fourni à Air Canada les renseignements nécessaires pour que son dossier soit tenu à jour et on l’a informé du fait que sa candidature était toujours valide et qu’il serait considéré au même titre que les autres candidats à mesure que des postes de nouveaux pilotes deviendraient disponibles. Le 7 novembre 1973, Air Canada a écrit à M. Nash la lettre suivante:

"Nous voudrions par la présente accuser réception de votre récente demande d’emploi au sujet d’un poste comme pilote à Air Canada.

Nous avons depuis deux ans embauché des pilotes de façon régulière et nous nous attendons à ce que notre recrutement soit réduit pour l’année 1974.

Votre candidature sera par conséquent considérée avec les autres en fonction de nos exigences futures. Nous nous devons de signaler cependant qu’il y a un grand nombre de concurrents et que les candidats dûment qualifiés sont très nombreux, plusieurs appartenant à un niveau d’âge moins avancé."

M. Nash a compris, par cette lettre, qu’il était trop vieux pour se classer parmi les candidats, selon les normes d’Air Canada, et par conséquent il n’a pas continué de tenir son dossier à jour. En 1978, cependant, il a appris qu’Air Canada avait lancé une vaste campagne de recrutement et une fois de plus il a postulé un emploi. Le 27 septembre 1978, M. Nash recevait une lettre l’informant du fait qu’il n’y avait pour lui aucune possibilité d’emploi à Air Canada.

Cette lettre se lisait comme suit: > 5 3 Nous vous remercions de votre demande d’emploi comme pilote. 4 La concurrence entre les candidats est extrêmement forte étant donné le grand nombre de candidats bien qualifiés qui continuent à poser leur candidature. Plusieurs de ces candidats sont maintenant au début de la vingtaine ou au milieu de la vingtaine et, par conséquent, les postes d’officier en second leur conviennent davantage, postes qu’ils occuperont pendant longtemps.

Il nous est impossible, dans les circonstances, de vous offrir une réponse très encourageante. Sachez cependant que votre offre de services ainsi que l’intérêt que vous portez à Air Canada sont très appréciés.

Cette lettre de refus doit être comprise à la lumière des antécédents de M. Nash. M. Nash est né le 28 avril 1937 et, par conséquent, il avait 41 ans au moment où il a reçu sa dernière lettre de refus d’Air Canada. Après avoir obtenu un diplôme de 12e année vers les années 1955, il s’était engagé dans une carrière dans la Marine royale canadienne. Il avait fréquenté le Collège naval et il avait obtenu l’équivalent d’un diplôme de 13e année en 1958 qui avait été sa dernière année d’études conventionnelles. Lorsqu’il a quitté la Marine en 1969, il avait à son crédit 3,100 heures de vol dans différents avions à ailes fixes, 2,600 de ces heures comme commandant de bord. Par la suite, il devint pilote d’hélicoptère et il a piloté des hélicoptères pendant environ 1,700 heures au cours d’une période de deux ans. Pendant les deux années qui ont suivi, il a travaillé pour le gouvernement de l’Ontario et pour Kenting Aviation comme pilote d’avion à ailes fixes, ces avions étant affectés au transport des hommes d’affaires.

De décembre 1973 jusqu’au printemps de 1976, M. Nash a piloté des avions Twin Otters Dehavilland pour la compagnie Air Transit à partir de Montréal. Air Transit était une filiale d’Air Canada qui avait été établie pour la mise en oeuvre du projet ADAC (avion à décollage et atterrissage courts) entre Ottawa et Montréal. M. Nash a accumulé environ 1,100 heures de vol, toutes comme commandant de bord, au service d’Air Transit. Après avoir quitté Air Transit, il est retourné au pilotage d’hélicoptères au Labrador pour une période de six mois. En décembre 1976, M. Nash est entré au ministère des Transports comme inspecteur d’aviation civile et 5 il y est encore à ce jour. Il est présentement responsable de l’inspection de vol pour la région de l’Ontario et il est aussi responsable de l’étalonnage des aides à la navigation, des systèmes d’atterrissage aux instruments et des instruments à très haute fréquence utilisés sur les balises directionnelles pour s’assurer que toutes ces installations à l’usage du grand public sont sécuritaires.

M. Nash a obtenu sa licence de pilote commercial en 1967 et sa licence de transport aérien en 1973.

L’un des témoins d’Air Canada fut le Commandant Keith Sanderson qui a témoigné au sujet des raisons qui avaient poussé Air Canada à refuser d’embaucher les plaignants, à l’inclusion de M. Nash. Le Commandant Sanderson est la personne, à Air Canada, qui a joué le plus grand rôle dans l’établissement et la mise en oeuvre des présentes normes d’emploi de cette compagnie en ce qui concerne les pilotes. Il a été à l’emploi d’Air Canada durant plus de 28 ans et il occupe présentement le poste de directeur senior des opérations de vol. Au cours de sa carrière à Air Canada, il a été pilote surveillant ou pilote inspecteur de différents avions et il est présentement commandant d’un Lockeed 1011. Bien que le Commandant Sanderson n’ait pas eu affaire avec M. Nash personnellement ou avec la candidature de celui- ci au temps qui nous occupe, il a quand même donné, au moment de son témoignage, trois raisons pour lesquelles M. Nash ne se classait pas au nombre des candidats désirables au poste de nouveau pilote:

  1. Le Commandant Sanderson s’est inquiété du fait que M. Nash avait terminé ses études conventionnelles depuis de nombreuses années avant le moment où celui- ci a présenté sa candidature. Cela faisait 22 ou 23 ans depuis que M. Nash avait laissé l’école, et il n’avait été que jusqu’en 13e année. (Dans son formulaire de demande d’emploi, M. Nash avait indiqué de façon incorrecte qu’il avait obtenu un diplôme de 13e année à l’école secondaire de Burlington en 1956).
  2. Une autre des inquiétudes du Commandant Sanderson concernait le grand nombre d’heures de vol que M. Nash avait à son crédit. Le Commandant Sanderson a expliqué que l’aspect négatif de ces nombreuses heures de vol était la perpétuation de mauvaises habitudes qui rendaient plus difficile la tâche de réapprendre les 6 techniques fondamentales que doit connaître un pilote d’Air Canada. De plus, le Commandant Sanderson n’attachait pas beaucoup d’importance au nombre d’heures de vol que M. Nash avait accumulées comme pilote d’hélicoptère, la raison étant qu’Air Canada, comme la plupart des autres compagnies aériennes, ne considère pas ce genre d’expérience comme très valable puisqu’il s’agit d’une discipline complètement différente.
  3. En troisième lieu, le Commandant Sanderson a exprimé l’opinion que l’âge de M. Nash pouvait âtre un facteur de dissension parmi les membres de l’équipage. Il pourrait y avoir des situations où un pilote plus âgé serait un officier junior et, par conséquent, serait obligé d’accepter des ordres et des directives d’un commandant plus jeune et peut- être moins expérimenté. Il y aurait alors un danger de désaccord a affirmé le Commandant Sanderson, et peut- être une certaine répugnance à accepter de plein gré les ordres d’un commandant plus jeune.

Il est intéressant de noter qu’aucune de ces raisons ne figure dans le dossier personnel de M. Nash. Ces raisons furent toutes exprimées par le Commandant Sanderson quand il a témoigné à l’audience en février 1980. Aucune de ces raisons ne fut donnée directement à M. Nash, à l’appui du refus d’Air Canada. Ces raisons sont des généralisations gratuites et des suppositions dépourvues de fondement, qui ne peuvent être justifiées ni par le dossier de M. Nash, ni par le dossier d’Air Canada sur M. Nash pas plus que par quelque examen que ce soit de la personnalité de M. Nash.

Revenons à la première raison soumise par le Commandant Sanderson. Il n’existait aucune condition écrite figurant au nombre des critères d’admission d’Air Canada au moment qui nous occupe, ayant pour effet d’imposer une limite ou une restriction en ce qui concerne la période de temps qui séparait un postulant de la fin de ses études conventionnelles. Etant donné le fait qu’il n’y avait à ce moment- là ni exigence officielle ni directive interne à ce sujet, il est difficile d’ajouter foi à la croyance du Commandant Sanderson selon laquelle cette situation pourrait avoir été une des raisons pour lesquelles la candidature de M. Nash avait été rejetée par Air Canada.

La deuxième raison donnée par le Commandant Sanderson semble aussi assez suspecte. Il n’existait en effet, au temps qui nous occupe, aucune directive officielle ou interne selon laquelle un postulant pouvait être refusé parce qu’il avait accumulé un grand nombre d’heures de vol. Bien plus, l’aptitude que possède un individu pour réapprendre des techniques est un trait qui est très lié à l’individu lui- même et M. Nash n’a jamais passé aucun test pour déterminer son aptitude dans ce domaine. Bien au contraire, le Commandant Sanderson a même affirmé, au cours de son témoignage, que le nombre d’heures de vol de M. Nash était remarquable mais il est quand même resté ferme en assurant que cette sorte d’expérience pouvait être préjudiciable. Malgré les témoignages d’experts dans le domaine médical que nous avons entendus au cours de cette audition à l’effet que l’aptitude à apprendre de nouvelles techniques et à abandonner d’anciennes habitudes pouvait diminuer avec l’âge, nous n’avons entendu aucune preuve confirmant qu’il existe une corrélation semblable entre l’expérience et l’aptitude à apprendre. Etant donné que le Commandant Sanderson ne connaît pas personnellement M. Nash, cette généralisation ne peut pas être acceptée.

Dans le même esprit, M. Nash n’a jamais passé de test psychologique et par conséquent la conclusion du Commandant Sanderson selon laquelle certains problèmes pourraient surgir si M. Nash était au poste de pilotage avec un équipage chronologiquement plus jeune que lui, est totalement dépourvue de substance. Au contraire, la preuve a été faite au cours de l’audition à l’effet que dans l’Armée, où M. Nash avait passé plusieurs années, le commandant de bord est souvent plus jeune chronologiquement, ou même d’un rang moins élevé que certains autres membres de l’équipage. Il n’existe aucune preuve que M. Nash ait jamais rencontré le genre de problème décrit par le Commandant Sanderson. Au contraire, M. Nash a reçu de grands éloges et des recommandations sans réserve de son ancien employeur, Air Transit, une filiale d’Air Canada, pour les bons services qu’il avait rendus à cette compagnie.

Il convient de noter aussi que dans sa lettre à Air Canada en septembre 1978, dans laquelle M. Nash confirmait le fait qu’il était encore intéressé à obtenir un emploi comme pilote, il a souligné aussi qu’il était prêt à accepter un poste d’officier junior pour une certaine période de temps.

A la lumière de tous ces facteurs, il semble que la conjecture du Commandant Sanderson selon laquelle M. Nash pourrait avoir des conflits de personnalité est sans aucun fondement rationnel.

On a reconnu au cours de cette audition que M. Nash possédait, au temps qui nous occupe, les qualification requises. Sa seule caractéristique négative était son âge et il semble que son âge ait été la raison du refus d’Air Canada. A l’automne 1973 déjà, le sort de M. Nash avait été décidé comme en fait foi une note écrite à la main par un cadre d’Air Canada, note qui se trouve dans le dossier de M. Nash et qui peut se lire en partie comme suit:

"Je ne pense pas que nous puissions faire grand- chose. Il a 36 ans."

Cette raison devint évidente et fut portée à la connaissance de M. Nash le 27 septembre 1978, lorsqu’il reçut la lettre d’Air Canada lui indiquant qu’il se trouvait dans une position désavantageuse à cause de son âge, si on le comparait aux autres postulants plus jeunes. Il ne fait aucun doute qu’on a rejeté la candidature de M. Nash à cause de son âge. Tout au moins, la question d’âge a été un facteur primordial dans la décision d’Air Canada.

(b) Paul Carson:

M. Paul Carson est né le 30 janvier 1946 et c’est en novembre 1972 qu’il a, pour la première fois postulé un poste de pilote à Air Canada. Par la suite, M. Carson s’est occupé de tenir son dossier à jour à mesure que ses qualifications s’amélioraient. Par 9 exemple, il a informé Air Canada du fait qu’il avait obtenu en 1973 sa licence de pilote commercial et en 1974 son brevet de classe 1 dans le domaine du vol sur multimoteurs et aux instruments. Air Canada a répondu à M. Carson que la compagnie avait suffisamment d’élèves dans ses classes déjà établies et aussi que la compagnie avait réduit ses activités de recrutement.

En juin 1974, M. Carson a obtenu sa licence de pilote commercial senior et en 1975, il a reçu sa licence de pilote de ligne et il a informé Air Canada de ses nouvelles qualifications. Au chapitre des antécédents académiques, M. Carson avait obtenu son baccalauréat en sciences (avec honneur) de l’Université de Windsor en 1969 ainsi que sa maîtrise en mathématiques appliquées de la même université, en 1970. En 1977, il recevait sa maîtrise en génie aéronautique de l’Université Carleton. A partir du moment ou il a posé sa candidature auprès d’Air Canada jusqu’à présent, il a été à l’emploi du gouvernement fédéral, au ministère des Transports. Il occupe présentement le poste d’inspecteur d’aviation civile de classe 3 à ce même ministère. A ce titre, il est responsable de tous les renseignements du domaine de l’aéronautique ainsi que des cartes utilisées en vol par les pilotes, au Canada. En conséquence, il ne travaille pas surtout comme pilote bien qu’il maintienne son niveau de compétence en tant que pilote de l’un des trois principaux avions et il travaille dans le simulateur une ou deux fois par semaine. Vers 1975, M. Carson a travaillé comme pilote à plein temps pour une période de six mois alors qu’il dirigeait une école privée de pilotage. Toutes ses heures de vol ont été accumulées alors qu’il travaillait comme instructeur de pilotage à temps partiel ou encore comme pilote de vol nolisé.

Par une lettre datée du 6 janvier 1975, Air Canada informait M. Carson du fait que votre âge et votre expérience de vol ne vous classent pas de façon avantageuse dans la course pour l’obtention d’un emploi de pilote. Au moment ou il a reçu cette lettre, M. Carson avait tout près de 27 ans. Voyant que ses chances d’obtenir un emploi comme pilote devenaient plutôt minces, M. Carson a répondu à Air Canada que la compagnie pourrait peut- être faire bon usage de ses services soit dans les domaines techniques de vol ou dans d’autres domaines comme celui de la planification d’itinéraires.

La réponse d’Air Canada fut à l’effet que la compagnie s’occuperait de communiquer le curriculum vitae de M. Carson au département d’opérations de vol, des services techniques et de l’ingénierie.

M. Carson a continué à maintenir les communications avec Air Canada dans sa recherche d’un emploi d’abord comme pilote, mais aussi, de façon secondaire, il était prêt à assumer d’autres responsabilités dans cette compagnie. Par une lettre datée du 14 janvier 1976, Air Canada informait M. Carson que la compagnie avait trouvé son curriculum vitae intéressant en terme d’expérience et de qualifications mais qu’il n’y avait aucun poste disponible dans le moment. Enfin, par une lettre datée du 18 septembre 1978, Air Canada informait M. Carson dans des termes identiques à ceux de la lettre envoyée à M. Nash le 27 septembre 1978, qu’il y avait de nombreux postulants très qualifiés du début au milieu de la vingtaine ... auxquels des postes d’officier en second conviennent mieux. M. Carson a donc écrit une lettre de protestation adressée à M. Claude Taylor, président d’Air Canada, le 21 septembre 1978, dans laquelle il exprimait son opinion indiquant que les pratiques d’embauche d’Air Canada étaient discriminatoires.

La dernière fois où il avait postulé un poste auprès d’Air Canada en juillet 1978, M. Carson avait accumulé plus de 2,500 heures de vol et 252 de ces heures avaient été des heures de vol aux instruments.

Comme c’était le cas pour M. Nash, le Commandant Sanderson 11 n’avait été aucunement impliqué dans la candidature de M. Carson ou même dans la décision d’Air Canada de refuser un poste à M. Carson; le Commandant Sanderson a quand même expliqué comment il voyait ce rejet. Il est d’opinion que la situation peut être résumée à l’aide d’un document qui se trouve dans le dossier d’Air Canada et dans lequel on peut voir du côté droit les qualifications de M. Carson: Classification de pilote de ligne, classe 1, 32 ans et 11 mois, environ 2,600 heures, M. Sc. Génie et du côté gauche on peut apercevoir la classification bleu ce qui, d’après la nomenclature d’Air Canada signifie dossier inactif. Il y a aussi quelques notes où l’on peut lire non- compétitif, candidature tardive, 150 heures seulement sur multimoteurs. D’après Air Canada, ce serait là les vraies raisons du refus d’emploi. Une autre raison alléguée par le Commandant Sanderson a été que M. Carson était trop qualifié sur le plan académique. Le Commandant Sanderson a aussi affirmé que M. Carson avait une expérience très limitée des règles de vol aux instruments et qu’il n’avait jamais eu un poste de pilote à plein temps. D’après lui, le ratio de l’âge (de M. Carson) et de son temps de vol n’était pas assez élevé.

Air Canada n’avait que peu d’expérience avec des pilotes qui avaient des qualifications académiques comparables à celles de M. Carson. De fait, le Commandant Sanderson a admis qu’il ne connaissait personnellement que deux cas où des pilotes détenant des diplômes universitaires plus avancés que le baccalauréat n’avaient pas bien réussi à Air Canada. Il ne connaissait aucune situation où un pilote avait souffert d’insatisfaction à son travail parce qu’il détenait un diplôme universitaire plus avancé que le baccalauréat. Cette raison était de toute façon absente du dossier de M. Carson et Air Canada ne l’a jamais informé que c’était là une considération dont la compagnie tenait compte. Etant donné l’absence de test psychologique ou d’autres tests semblables, administrés à M. Carson, il est impossible de dire que le seul fait que M. Carson avait un diplôme plus avancé que le baccalauréat aurait pu créer un danger d’insatisfaction au travail, dans une carrière de pilote. En effet, il semble que ce soit le contraire puisque M. Carson, lors de son témoignage, a exprimé son amour du vol en disant:

"j’avais voulu travailler pour Air Canada depuis très longtemps; c’est notre compagnie aérienne nationale et je pense que c’est l’une des meilleures au monde. 12 C’était à la fois un but et un rêve, je crois".

Je dois dire que M. Carson ne m’a pas semblé être un homme qui deviendrait facilement insatisfait comme pilote à Air Canada seulement parce qu’il détient plusieurs diplômes universitaires.

En ce qui concerne le nombre d’heures de vol sur multimoteurs, il ressort du curriculum vitae de M. Carson qui était au dossier d’Air Canada avant septembre 1978, que celui- ci avait accumulé une expérience de vol de 215.9 heures plutôt que de 150 heures comme il a été noté précédemment. Il a été impossible au Commandant Sanderson d’expliquer de quelle façon ce nombre d’heures se comparait à celui des autres postulants dont la candidature était considérée favorablement par Air Canada au temps qui nous occupe. L’étude des dossiers d’Air Canada concernant les pilotes qui travaillent présentement pour cette compagnie aérienne et qui ont été embauchés en septembre, novembre et décembre 1978, nous permet de nous apercevoir qu’il y avait plusieurs pilotes qui avaient accumulé le même nombre d’heures de vol sur multimoteurs que M. Carson et même en certains cas, le nombre d’heures était moins considérable. Par conséquent, il est inconcevable que ce facteur ait joué un rôle important dans la décision d’Air Canada lorsque le cas de M. Carson a été décidé.

En septembre 1978, Air Canada n’avait aucune exigence officielle ou interne concernant le nombre d’heures de vol aux instruments que devait avoir accumulées un postulant à un emploi comme pilote. Malgré ce fait, le Commandant Sanderson a fait des commentaires négatifs sur le nombre d’heures de vol aux instruments qu’avait accumulées M. Carson en comparaison à son nombre total d’heures de vol. D’après le curriculum vitae de M. Carson qui se trouve dans le dossier d’Air Canada, on peut voir que le nombre total d’heures de vol aux instruments qu’il avait accumulées en septembre 1978, à l’inclusion du temps passé dans le simulateur, était de 252.4 heures. Le temps passé dans le simulateur était de 37.3 heures ce qui donne un nombre d’heures de vol aux instruments de 215.1. Donc, le rapport entre le nombre d’heures de vol aux instruments dans le cas de M. Carson (215.1 heures) et son nombre total d’heures de vol (2,612.5 heures) est de 8%. Si l’on examine 13 les dossiers des pilotes d’Air Canada, on peut voir que ce rapport n’est pas tellement différent de celui qu’avaient enregistré les postulants qui ont été acceptés, contrairement à M. Carson. A titre d’exemple, disons que le rapport entre le temps de vol aux instruments et le temps total de vol pour 50% des postulants qui ont été embauchés en septembre 1978 était équivalent ou moins grand que pour M. Carson. Quant à ce qui est des pilotes embauchés en octobre 1978, ce pourcentage est de 37%; en novembre 1978, ce pourcentage passe à 45% et en décembre 1978, il passe à 59%. On peut donc dire que M. Carson se comparait très bien aux autres postulants qui furent embauchés par Air Canada à cette époque et qu’il est difficile d’accepter l’opinion du Commandant Sanderson selon laquelle ce facteur a joué un rôle important dans le refus d’Air Canada.

Dans son témoignage, le Commandant Sanderson a fait référence au problème de motivation qui, selon lui, pourrait surgir à cause du fait que M. Carson ne travaillait pas comme pilote à plein temps en 1978. A ce moment- là, M. Carson était employé par Transports Canada comme inspecteur d’aviation civile. A ce titre, il devait, au nombre de ses responsabilités, piloter les avions du ministère et il devait aussi maintenir sa compétence de pilotage d’un certain nombre d’autres avions. On ne peut pas dire que le fait que son emploi ne l’obligeait pas à piloter un avion chaque jour puisse être l’indication d’un manque de motivation. Pendant toute cette époque, il voulait obtenir un emploi à Air Canada même s’il avait été forcé d’y travailler à un autre titre qu’à celui de pilote. De plus, le dossier d’Air Canada concernant M. Carson ne comprend aucune note ou autre preuve faisant référence au soi- disant manque de motivation de M. Carson à cette époque.

Ce n’est que pure supposition de dire, comme l’a fait le Commandant Sanderson, que M. Carson pouvait avoir été refusé à cause du ratio peu élevé de ses heures de vol à son âge, et, je le répète, comme il en a été de même pour tant d’autres raisons déjà alléguées, cette supposition est gratuite et ne peut être fondée ni sur le dossier de M. Carson ni sur les exigences officielles d’Air Canada au moment qui nous occupe. C’était bien plutôt la relation entre l’âge de M. Carson et l’âge des autres concurrents qui semble avoir affecté la décision d’Air Canada et non pas la relation entre l’âge de M. Carson et le petit nombre d’heures de vol qu’il avait à son crédit. Le Commandant Sanderson l’a même admis en contre- interrogatoire: malgré le ratio assez bas qui existait entre le nombre d’heures de vol et l’âge de M. Carson, ce simple fait n’était pas suffisant pour exclure M. Carson de la liste des postulants.

Les notes les plus révélatrices qui se trouvent dans le dossier d’Air Canada au sujet de M. Carson sont les suivantes: candidature tardive et il a 32 ans et 11 mois. Bien que M. Carson ait commencé à postuler un poste comme pilote à Air Canada au début des années 1970 et qu’il ait continué à le faire jusqu’au moment où il a été refusé en 1978, il est tout à fait clair que c’était son âge qui était l’obstacle le plus important pour l’obtention d’un emploi dans cette compagnie aérienne.

(c) Barry Ashley James:

M. James est né le 28 juillet 1939. Il est diplômé de l’Université de Otago en Nouvelle- Zélande, où il a reçu un baccalauréat en sciences en 1961. Son expérience dans le domaine de l’aviation est la suivante. Il a reçu sa licence de pilote de ligne en 1974. Il a acquis de l’expérience dans plusieurs différents types d’avion et il a accumulé un nombre considérable d’heures de vol aux instruments. Il a une vaste expérience de vol dans les Territoires du Nord- Ouest où il a accumulé environ 3,000 heures de vol, 2,000 de ces heures étant à titre de commandant de bord. Il a ensuite travaillé comme commandant pour une compagnie privée de vols nolisés et à ce titre il a accumulé 500 heures de vol. En mars 1976, il est entré au service du ministère des Transports comme inspecteur d’aviation 15 civile dans la division des voies aériennes. A ce titre, il s’occupe de la vérification en vol, ce qui comporte la vérification en vol des installations de navigation de l’Ontario aussi bien que des systèmes d’atterrissage aux instruments. La description des tâches relatives à son poste inclut aussi le dessin des voies de circulation aérienne, des routes aériennes, des procédures d’approche aux instruments et de la mise en oeuvre de ces procédures. Au nombre de ses responsabilités figure le pilotage du Beech King Air, avion bi- moteur qui pèse 10,500 livres. Il pilote cet avion à titre de commandant de bord et il accumule approximativement 300 heures de vol par année dans cet avion. De plus, il fait du pilotage à titre privé et il donne des cours de vol aux instruments dans un Cessna 310, dans un Piper Aztecs et dans un multimoteur léger. C’est en 1973 que M. James fit sa première demande d’emploi comme pilote à Air Canada. Avant de présenter sa candidature, M. James avait eu une entrevue avec le Commandant Chowan d’Air Canada qui s’occupait de l’embauchage des candidats à cette époque. Le but de cette entrevue pour M. James était de se renseigner sur les exigences d’Air Canada concernant l’emploi des pilotes. Le Commandant Chowan a donc informé M. James qu’il lui était nécessaire d’avoir une licence de pilote commercial, un brevet de vol aux instruments, un brevet de vol sur multimoteurs et une expérience de 200 à 300 heures de vol. Au moment où il a présenté sa candidature pour un poste de pilote, M. James possédait sa licence de pilote commercial senior, un brevet de vol aux instruments de classe 1, son attestation de vol sur multimoteurs et une expérience de vol de 1,000 heures, 800 de ces heures à titre de commandant de bord et 200 de ces heures au cours de vols de nuit. Par une lettre datée du 5 juillet 1973, Air Canada a accusé réception de la demande d’emploi de M. James. Et la lettre se lisait ainsi:

"Nous avons revu votre dossier et notre principale inquiétude concerne votre âge qui est de 34 ans (28 juillet 1973) et aussi le fait que vous avez accumulé moins de 1,000 heures de vol principalement avec de l’équipement léger. Etant donné ces circonstances, vous n’êtes pas en position très favorable par rapport aux autres postulants. Vous êtes probablement au courant du fait que la concurrence pour les emplois de pilote est extrêmement forte. Nous allons quand même garder votre demande d’emploi et nous vous prions de nous tenir au courant de votre progrès."

M. James a compris en lisant cette lettre que son âge pouvait être un facteur négatif dans les circonstances mais il a cru que s’il pouvait accumuler encore plus d’heures de vol, Air Canada pourrait peut- être considérer sa demande d’un oeil plus favorable. Par conséquent, M. James a décidé de tenir à jour son dossier et il a continué d’envoyer les renseignements nécessaires au département du personnel d’Air Canada.

Le 12 décembre 1973, M. James recevait d’Air Canada une lettre faisant référence à une autre lettre datée du 9 novembre de la même année qui pouvait se lire comme suit:

"Nous désirons par la présente accuser réception de votre récente demande d’emploi comme pilote à Air Canada.

Depuis 2 ans, nous avons embauché de nombreux pilotes et nous nous attendons à une diminution de notre rythme d’embauchage pour 1974.

Votre candidature sera donc considérée en fonction de nos exigences futures, au même titre que celle des autres postulants. Nous nous devons cependant de vous faire remarquer que la concurrence est extrêmement forte: notre liste comprend de nombreux candidats bien qualifiés et appartenant à un groupe d’âge moins avancé. Auriez- vous l’obligeance de remplir la demande d’emploi supplémentaire (ci- incluse) et de nous la retourner afin que nous puissions compléter votre dossier."

En 1974, M. James a obtenu sa licence de pilote de ligne et en a informé Air Canada. Le 31 mai 1974, Air Canada écrivait à M. James les lignes suivantes:

"Nous vous écrivons au sujet de votre demande d’emploi comme pilote.

Nous sommes forcés de réduire notre plan d’opération pour 1974 à cause d’un certain nombre de facteurs qui ont surgi et qui affectent la compagnie. En conséquence, nous avons été forcés de modifier nos prévisions quant au nombre de pilotes dont nous aurons besoin.

Nous avons en ce moment un nombre suffisant de candidats approuvés pour les cours qui sont déjà sur pied. Etant donné que nos plans ne sont pas encore définis en ce qui concerne les cours futurs, nous nous voyons dans l’obligation de diminuer nos activités de recrutement. La concurrence entre les candidats est extrêmement forte étant donné le grand nombre de candidats bien qualifiés qui continuent à poser leur candidature. Plusieurs de ces candidats sont maintenant au début de la vingtaine ou au milieu de la vingtaine et, par conséquent, les postes d’officier en second leur conviennent davantage, postes qu’ils occuperont pendant longtemps.

Il nous est impossible, dans les circonstances, de vous offrir une réponse très encourageante. Sachez cependant que votre offre de services ainsi que l’intérêt que vous portez à Air Canada sont très appréciés."

A partir de ce moment jusqu’au milieu de l’année 1978, M. James a poursuivi ses contacts avec Air Canada par un de ses amis, le Commandant Bill Martyn qui était alors pilote à Air Canada. Le Commandant Martyn lui a dit que d’après les renseignements qu’il avait reçus du Commandant Sanderson et d’autres personnes à Air Canada, la compagnie n’allait pas embaucher de nouveaux pilotes si la situation demeurait stationnaire.

En août 1978, cependant, M. James apprit qu’Air Canada avait augmenté considérablement son programme d’embauchage et que de fait, la compagnie était en train d’embaucher de nombreux pilotes. Par conséquent, dans une lettre datée du 8 août 1978, il demandait au Département d’emploi de la compagnie de raviver sa candidature. Dans sa lettre, il exprimait une inquiétude: Air Canada n’embauchait que des candidats qui avaient posé leur candidature récemment et qui avaient moins d’expérience de vol que lui- même. Le 22 août 1978, il recevait la même lettre 18 type qu’avaient reçue les autres plaignants. Cette lettre contenait les phrases qui nous sont maintenant familières:

"Nous désirons vous remercier d’avoir posé votre candidature pour un emploi de pilote.

La concurrence entre les candidats est extrêmement forte étant donné le grand nombre de candidats bien qualifiés qui continuent à poser leur candidature. Plusieurs de ces candidats sont maintenant au début de la vingtaine ou au milieu de la vingtaine et, par conséquent, les postes d’officier en second leur conviennent davantage, postes qu’ils occuperont pendant longtemps.

Il nous est impossible, dans les circonstances de vous offrir une réponse très encourageante. Sachez cependant que votre offre de services ainsi que l’intérêt que vous portez à Air Canada sont très appréciés."

Par la suite, M. James a appelé le Commandant Sanderson afin de pouvoir discuter la situation. Dans son témoignage, M. James a déclaré que le Commandant Sanderson m’a dit franchement: vous êtes trop vieux, c’est à peu près la fin de toute cette histoire. Après cette conversation téléphonique, M. James a écrit une lettre au Commandant Sanderson, lettre datée du 14 septembre 1978, dans laquelle il demandait à Air Canada de reconsidérer sa candidature et dans laquelle il donnait aussi les raisons pour lesquelles il pensait qu’il était un bon candidat. Vers la fin de sa lettre, M. James résumait ainsi ce qu’il pensait:

"J’ai essayé de vous faire comprendre que j’ai fait beaucoup de sacrifices et que j’ai consacré beaucoup d’efforts et de temps pour pouvoir répondre aux exigences que vous imposez aux candidats qui veulent devenir pilotes.

Je n’ai jamais fait tant d’efforts pour atteindre un but. Il est très décourageant pour moi de penser que pendant six ans j’ai travaillé vers un but qui maintenant m’échappe parce qu’à l’âge de 39 ans, je suis considéré comme étant trop vieux."

Lors de son témoignage, le Commandant Sanderson a fait deux critiques principales de M. James, l’une sur un point technique, l’autre sur un point personnel; ces critiques auraient été selon lui suffisantes pour motiver le refus d’Air Canada. En ce qui concerne le point technique, M. James a écrit une lettre à Air Canada datée du 31 octobre 1973 dans le but de tenir son dossier à jour et par laquelle il informait Air Canada qu’il était à l’emploi de la compagnie Bradley Air Services et qu’il pilotait un avion Twin Otter à partir de Resolute Bay dans les Territoires du Nord- Ouest. Dans sa lettre, M. James donnait quelques commentaires, entre autres choses, au sujet de son expérience de vol dans l’Arctique:

"Etant donné que mon présent travail comporte de longues heures de vol, souvent par mauvaise température, et nécessitant les règles de vol aux instruments, on m’a suggéré de vous écrire afin de mettre mon dossier à jour dans le domaine de mon expérience de vol et des heures de vol que j’accumule.

Je suis maintenant très expérimenté dans l’opération des moteurs à réaction, du radar météorologique, du radar altimètre, de l’astro- compas et du système de navigation de type Omega appelé le G. N. S. 200 qui devient de plus en plus populaire dans la région arctique.

La plupart des vols se font aux instruments principalement à cause des lieux très reculés où il faut se rendre et aussi à cause du brouillard continuel et de l’ennuagement dû aux stratus de basse altitude.

J’ai plusieurs fois réussi à atterrir dans des poudreries très denses, dans des vents violents et dans des circonstances où la visibilité était de moins de 100 pieds et où le plafond n’était pas meilleur."

D’après le Commandant Sanderson, ce dernier commentaire était une fanfaronnade inacceptable sur le fait de dépasser les limites opérationnelles de vol dans les régions reculées de l’Arctique. Ce trait de personnalité n’était pas considéré par le Commandant Sanderson comme une caractéristique désirable chez un pilote. Comme il l’exprimait lui- même dans son témoignage:

"Je suis bien forcé de dire qu’une telle conduite ne cadre pas du tout avec une carrière dans une compagnie aérienne. Bien sûr, je peux comprendre qu’un pilote puisse être surpris une fois ou deux par le mauvais temps mais, d’autre part, je connais les obligations légales d’un pilote et je connais aussi quelles sont ses obligations envers ses passagers qui ont payé pour leur voyage: le pilote doit planifier son vol et il doit étudier les conditions météorologiques des autres routes disponibles, quelles que soient les conditions 20 météorologiques, et il doit utiliser ses connaissances des routes alternatives; si les rapports météorologiques ou les prévisions du temps sont déficients, il doit faire montre de jugement; il doit, selon le cas, prendre une autre route ou simplement ne pas partir." (Transcription, p. 600).

Et il ajouta: Je pense que ces caractéristiques, surtout quand on les considère du point de vue de la déontologie professionnelle, me sont suffisantes, en ce qui me concerne, pour que je n’inclus pas M. James dans la liste des postulants. (Transcription, p. 603).

En ce qui concerne maintenant l’aspect personnel de sa critique, le Commandant Sanderson était d’opinion que M. James s’était adressé au personnel d’Air Canada d’une manière qui n’était pas professionnelle, et cela parce que M. James avait utilisé les prénoms des gens en s’adressant à eux. Selon le témoignage du Commandant Sanderson:

"Il est bien possible que M. James ait pensé que par son approche particulière et sa façon d’utiliser le prénom des gens, il pouvait exercer quelque influence sur eux mais, à notre avis, cette attitude était plutôt non professionnelle et ce n’est certainement pas quelque chose que nous rencontrons très souvent; cette attitude révèle une sorte de familiarité qu’Air Canada n’approuve pas." (Transcription, pp. 599- 600)

Le Commandant Sanderson a aussi souligné que cela faisait très longtemps que M. James avait terminé ses études académiques, c’est- à- dire 17 ans.

Le premier commentaire que je dois faire au sujet de ces critiques, c’est qu’elles n’ont jamais été portées à l’attention de M. James au temps qui nous occupe; elles n’apparaissent pas non plus dans le dossier de M. James comme étant des raisons valides de ne pas le considérer comme un bon candidat.

Pour ce qui est du bien- fondé de chacune de ces critiques, je dois dire que le fait que M. James se soit adressé au personnel d’Air Canada en utilisant le prénom des personnes, n’a absolument rien à faire de quelque façon que ce soit avec sa capacité de piloter un avion de façon professionnelle et compétente. Comme le Commandant Sanderson l’a admis lui- même en contre- interrogatoire, lorsqu’une personne qui cherche un emploi s’adresse aux individus qu’il rencontre en utilisant leur prénom, cela peut vouloir dire tout simplement que cette personne est amicale. A un autre moment de son témoignage, le Commandant Sanderson a admis que cette critique, considérée en elle- même, était plutôt sans importance. Le Commandant Sanderson a aussi avoué qu’il considère l’usage des prénoms comme non professionnelle et que c’est une question de goût personnel. On peut penser que cette histoire de prénoms est plutôt l’affaire du Commandant Sanderson lui- même plutôt que l’affaire d’Air Canada puisqu’il n’y a rien dans le dossier de M. James qui puisse indiquer que celui- ci ait eu une attitude non professionnelle, de quelque façon que ce soit. Il faut donc dire que cette critique est dépourvue de tout fondement.

Il est évident que le Commandant Sanderson n’a pas aimé le commentaire que M. James a fait dans sa lettre au sujet de son expérience de vol dans les régions reculées de l’Arctique.

Ce commentaire a porté le Commandant Sanderson à croire que M. James avait délibérément choisi de piloter son avion dans des conditions qu’il savait (ou qu’il aurait dû savoir) qu’elles étaient dangereuses, ou enfin dans des conditions telles qu’il ne pouvait pas faire atterrir son avion en toute sécurité; et le Commandant Sanderson a interprété ces faits comme résultant d’une bravade inacceptable. Au moment où M. James a subi son entrevue cependant, personne n’a fait de critique à ce sujet, non plus qu’au moment où M. James a fait affaire avec d’autres membres du personnel d’Air Canada au sujet de sa candidature.

Si l’on tient compte de l’ensemble de la lettre de M. James datée du 31 octobre 1973, on voit bien que M. James essayait seulement de décrire, pour informer Air Canada et afin de mettre à jour son dossier, les expériences récentes qu’il avait eues avec l’équipement de pilotage et dans les conditions météorologiques adverses de la région arctique. On ne peut pas conclure à partir de cette lettre que M. James ait eu tendance à prendre des risques inutiles ou qu’il ait eu tendance à s’éloigner des normes d’opération établies. M. James décrivait seulement les conditions dans lesquelles il avait piloté dans la région arctique, comme faisant partie de son expérience. En outre, il n’y a aucune preuve à l’effet que d’autres membres du personnel d’Air Canada aient interprété cette lettre de la même façon que ne l’a fait le Commandant Sanderson au temps qui nous occupe. De plus, lors d’un témoignage subséquent qu’il a fait devant la Commission d’enquête sur la sécurité aérienne, le Commandant Sanderson a fait allusion à certaines circonstances dans lesquelles un pilote ne peut pas faire de plan d’atterrissage dans un autre aéroport lorsque certaines conditions sont remplies. Si l’on considère les distances et les conditions météorologiques variables des régions arctiques, il est tout à fait plausible qu’un pilote soit forcé d’atterrir son avion en cas de difficultés imprévues qui se présentent lorsqu’il arrive à destination et dans ce cas, le pilote ne peut pas choisir un autre aéroport.

En ce qui concerne le temps qui s’était écoulé entre le moment où M. James a terminé ses études académiques et le temps de sa demande d’emploi comme pilote à Air Canada, je le répète encore une fois, il n’existait alors aucune restriction à ce sujet dans les conditions minimales relatives à l’acceptation par Air Canada des candidatures des pilotes. Si l’on considère aussi le fait que le dossier de M. James ne contient aucune preuve du fait que ce facteur ait pu devenir négatif de quelque façon que ce soit, on est forcé de conclure que la critique du Commandant Sanderson est dénuée de tout fondement.

La question de l’âge de M. James a fait surface de temps à autre comme un trait négatif influençant le résultat final, et cela à partir du premier moment où il a d’abord soumis sa candidature à Air Canada jusqu’au moment du refus final du 22 août 1978. Déjà le 16 décembre 1974, alors qu’un commentaire négatif 23 avait été fait au sujet de l’âge de M. James dans un mémo interne ( je ne suis pas sûr que son âge ne soit pas un facteur adverse et la réponse oui, 35 ans) jusqu’au moment de la lettre finale d’Air Canada en 1978, il est évident que l’âge de M. James l’a empêché d’entrer à Air Canada.

(d) Arie Tall:

M. Tall est né le 11 novembre 1944 à Bucharest en Roumanie et il a obtenu son diplôme d’école secondaire en Europe. En 1967, il a reçu son diplôme de l’Académie d’aviation militaire d’Israël. En 1973, il a obtenu son brevet de pilote de ligne qui est l’équivalent du brevet canadien; il a aussi obtenu son brevet de classe 1 israélien pour vol aux instruments qui est l’équivalent du brevet de classe 1 au Canada.

Après son départ de l’Aviation militaire israélienne, il n’a pas pu se trouver un emploi à la Compagnie aérienne nationale d’Israël parce qu’il était trop jeune et qu’il avait besoin d’acquérir plus d’expérience. Il est intéressant de noter que l’âge minimum pour les pilotes en Israël était de 30 ans et que ce pays avait besoin de pilotes de plus d’expérience. A ce moment- là, M. Tall avait 25 ans et il avait l’impression qu’il n’avait que peu de chance d’obtenir un emploi à la compagnie d’aviation El Al.

Entre 1970 et 1974, il a été pilote pour une petite compagnie aérienne domestique en Israël, connue sous le nom de United Airline, et il a piloté de petis Cessna 337 de même que des avions Islanders. Ces avions pesaient environ 6,300 à 6,500 livres et ils étaient des avions multimoteurs.

Au moment où M. Tall a émigré au Canada, il avait accumulé environ de 4,000 à 4,500 heures de vol.

Lors d’une visite au Canada en 1971, M. Tall a présenté sa candidature à Air Canada pour un emploi de pilote mais on lui a répondu qu’il devrait d’abord obtenir le statut d’immigrant reçu avant de pouvoir être considéré. En février 1974, il revenait au Canada à titre d’immigrant reçu et il faisait de nouveau une demande d’emploi à Air Canada. Par la suite, il est devenu citoyen canadien. En mars 1974 approximativement, il avait satisfait à toutes les exigences et il avait obtenu son brevet canadien de pilote de ligne de même que sa licence canadienne en radiotéléphonie.

En attendant les résultats de sa demande d’emploi à Air Canada, M. Tall devint pilote en chef pour la compagnie Atlantic Central Airways; ensuite, en juillet 1975, il a travaillé comme co- pilote sur un DC- 3 de la compagnie Eastern Provincial Airways puis il a été commandant de bord pour la compagnie Interflight Florida; enfin, en 1976, il a piloté un avion monomoteur pour la compagnie Forest Protection Limited lors d’un programme de vaporisation des épinettes au Nouveau- Brunswick et il devint ensuite pilote en chef pour la compagnie Air Bathurst au Nouveau- Brunswick. Il a même commencé sa propre compagnie, Tall Air Limited of Moncton au Nouveau- Brunswick lorsqu’il s’est rendu compte que ses chances d’emploi à la compagnie Air Canada étaient de plus en plus minces.

En 1974, lorsqu’il présenta de nouveau sa candidature pour un emploi de pilote à Air Canada, il avait obtenu sa licence de pilote de ligne et il avait accumulé 4,000 heures de vol, dont 3,000 à titre de commandant de bord. Il en avait discuté alors avec le Commandant Bill Irvine d’Air Canada qui lui avait dit qu’il était trop vieux puisqu’il avait 29 ans à ce moment- là, bien qu’Irvine ait été satisfait des qualifications de M. Tall. Par la suite, le Commandant Irvine a offert à M. Tall un poste de formation pour le pilotage du DC- 9.

On a alors demandé à M. Tall de se soumettre à un examen médical ce qu’il fit. L’examen a révélé que M. Tall avait un problème de sinus qui venait des suites d’une opération qu’il avait subie en 1963. Par la suite, il fut démontré que ce problème n’avait aucune importance et aucun effet sur sa capacité de pilote.

M. Tall répondait à toutes les exigences d’Air Canada sur le plan médical. De plus, on administra à M. Tall un test d’intelligence connu sous le nom du test Otis. Bien que M. Tall croit qu’il ne se soit pas bien comporté à ce test (on ne lui a jamais donné les résultats), il a été informé par le Commandant E. Irvine que les résultats du test Otis ne comptaient pas de toute façon. L’optimisme de M. Tall grandissait.

Par la suite, il a reçu un rapport favorable d’un officier d’Air Canada qui l’avait reçu en entrevue le 12 juillet 1974. Les remarques de l’interviewer pouvaient se lire comme suit:

"Il s’agit d’un candidat exceptionnel qui possède des antécédents de vol excellents. J’ai été impressionné par sa détermination sûre. Il a vécu six guerres depuis son enfance et il est nettement déterminé à s’établir comme pilote au Canada. Il parle bien anglais même s’il le parle avec un accent. Je suis intéressé de savoir quels seront ses résultats au test d’intelligence car il pourrait avoir un certain problème de compréhension verbale. En l’absence d’un tel problème, je considérerais cet homme comme un excellent candidat."

La recommandation de cet interviewer était à l’effet que M. Tall devrait être embauché comme co- pilote ou comme officier en second.

Par la suite, M. Tall fut informé par le Commandant Irvine qu’il serait accepté pour le cours de pilotage du DC- 9 avant la fin de 1974. Mais cela ne s’est pas réalisé ainsi qu’on a pu le voir par la suite.

En octobre 1974, on informait M. Tall du fait que le cours de pilotage du DC- 9 avait été contremandé à cause de certaines conditions économiques touchant la compagnie aérienne. Plus tard, le Commandant Irvine lui a dit qu’Air Canada avait l’intention de recruter des navigateurs de DC- 6 afin de les entraîner comme pilotes. Par conséquent, à cause de ce programme d’embauchage de navigateurs, Air Canada aurait un surplus de candidats. Le Commandant Irvine expliqua alors à M. Tall qu’il y avait d’autres postes disponibles pour des officiers en second mais que M. Tall était trop vieux.

Dans une lettre adressée à M. Tall et datée du 21 octobre 1974, le Commandant Irvine confirmait le fait que M. Tall répondait à toutes les conditions requises par Air Canada sur le plan médical et continuait:

"En ce qui concerne vos résultats au test Otis, vous vous êtes classé en dessous de la norme minimum acceptable ce qui signifie que vous devrez passer un test pratique que nous sommes en train de préparer. Cependant, le facteur le plus important dans votre cas est le fait que nos cours d’admission aux DC- 9 ont été contremandés et, étant donné le fait que nous dotons les postes d’officiers senior en ce qui concerne les différents types d’équipement avec des candidats plus jeunes, je dois vous informer, à regret, que je ne peux vous offrir aucun encouragement en ce qui concerne un emploi."

Cependant, M. Tall ne s’est pas découragé et il a continué à faire des demandes d’emploi à Air Canada. Le 20 juillet 1976, il recevait la même lettre type que celle que les autres plaignants ont reçue, lui faisant savoir que les autres candidats bien qualifies n’avaient que de 20 à 25 ans et qu’ils étaient par conséquent des candidats plus désirables que ne l’était M. Tall pour les postes d’officier en second qu’ils allaient détenir pour une longue période. A ce point, M. Tall avait 31 ans.

M. Tall a fait alors une autre demande d’emploi mais fut dissuadé de poursuivre ses efforts par une lettre d’Air Canada datée du 9 janvier 1979 dans laquelle on disait que la concurrence était acharnée et dans laquelle on indiquait implicitement que M. Tall n’aurait pas de succès dans sa demande. Il est intéressant de noter ici que bien que cette lettre ait été semblable aux lettres précédentes, elle ne contenait pas la phrase plusieurs candidats ont maintenant entre 20 et 25 ans et ils sont par conséquent de meilleurs candidats pour les postes d’officier en second qu’ils détiendront pour une longue période. Il est bien possible qu’à qu’à ce moment- là le problème d’âge ait déjà été soulevé et qu’une plainte ait été portée devant la Commission canadienne des droits de la personne, ce qui fait qu’Air Canada faisait davantage attention au contenu de ses lettres types.

On peut avoir une idée combien M. Tall était désappointé en lisant la lettre qu’il écrivit au Commandant Bob Coneen, du Département des opérations de vol d’Air Canada, le 9 janvier 1979:

"Je suis persuadé que depuis 1974 Air Canada a embauché des centaines de nouveaux pilotes dont la plupart n’ont pas autant d’expérience que moi et sont plus jeunes que moi. Je suis sûr que l’âge d’un candidat est un facteur très important lorsque l’on considère tout l’investissement nécessaire pour la formation des pilotes dans le système. Cependant, les actes discriminatoires fondés sur l’âge vont à l’encontre des droits élémentaires de la personne dans ce pays. On pourrait facilement prouver en repassant mon dossier que l’on ne m’a pas embauché alors que d’autres plus jeunes et avec beaucoup moins de formation et d’expérience ont été embauchés.

Je ne vous écrirais pas et je ne présenterai pas de demande d’emploi à ce moment- ci si c’était mon premier essai. En ce qui me concerne, vous pouvez vous apercevoir combien je suis intéressé d’obtenir ce poste à Air Canada et comment, d’abord à cause des circonstances et ensuite à cause de distinction illicite, je n’ai pas pu être embauché. Je suis persuadé qu’il existe assez de justice élémentaire dans le système et chez les gens eux- mêmes pour que l’on s’aperçoive que j’ai été traité de façon injuste en n’étant pas embauché comme pilote.

Si l’on décidait de corriger cette situation en me donnant une chance d’avancer et de passer à travers cette procédure d’embauchage, cela me récompenserait complètement pour toutes ces années pendant lesquelles j’ai essayé d’avancer et cela prouverait aussi qu’il n’existe pas de discrimination fondée sur l’âge à Air Canada, la compagnie aérienne nationale du Canada".

M. Tall n’a reçu aucune réponse à cette lettre. Il avait à ce moment- là 34 ans.

Comme il l’avait fait pour les autres, le Commandant Sanderson qui n’avait cependant été aucunement engagé de façon personnelle dans cette affaire, a fait des suppositions quant aux raisons qui auraient pu motiver le refus de la candidature de M. Tall. Toutes 28 ces suppositions sont basées sur des facteurs autres que l’âge. Le Commandant Sanderson a donné les raisons suivantes qui ont été ainsi résumées par son avocat:

  1. M. Tall avait l’équivalent d’une 11e année de la province de Québec ce qui constitue un strict minimum accepté par Air Canada;
  2. M. Tall avait terminé ses études scolaires depuis déjà 17 ans avant le moment où il a soumis sa candidature;
  3. On s’inquiétait de sa grande expérience de vol à cause des difficultés qui existent à désapprendre et à réapprendre les techniques;
  4. M. Tall s’était présenté à une entrevue d’emploi dans un costume sport ce qui démontrait une attitude non professionnelle.

Il faut noter ici que même le Commandant Sanderson a concédé le fait que le niveau d’instruction de M. Tall était acceptable à Air Canada bien que ce fut le strict minimum. En plus d’avoir complété son école secondaire, M. Tall avait poursuivi ses études à l’Académie d’aviation militaire d’Israël en 1967 comme nous l’avons mentionné précédemment et, par la suite, il avait fréquenté l’Université de Tel Aviv en juillet 1973 où il avait reçu son certificat de pilote de ligne d’Israël. Puisque M. Tall avait satisfait aux normes éducationnelles d’Air Canada à ce moment- là, il est difficile de donner crédit aux commentaires du Commandant Sanderson à l’effet que M. Tall n’avait que le strict minimum.

J’ai déjà considéré lorsque j’ai parlé des autres plaignants le facteur de la période de temps qui séparait la fin des études du moment de la demande d’emploi et je crois que les mêmes commentaires s’appliquent dans le cas de M. Tall. Bien plus, cette période de 17 ans alléguée par le Commandant Sanderson dans le cas de M. Tall est réduite considérablement lorsque l’on considère le fait que M. Tall avait été à l’Université aussi récemment qu’en 29 juillet 1973. De plus, soulignons le fait que M. Tall avait suivi un cours de gestion de petites entreprises au Collège de Moncton au Nouveau- Brunswick de 1977 à 1978.

De façon encore plus significative, les éléments de preuve présentés à l’audience ont démontré qu’il existe présentement de nombreux pilotes à l’emploi d’Air Canada qui, au moment de leur emploi, avaient déjà terminé leurs études pour une période beaucoup plus longue que dans le cas de M. Tall. Qui plus est, cette supposée déficience n’est appuyée par aucune directive interne d’Air Canada au moment qui nous occupe; cette prétendue déficience n’a jamais été mentionnée directement à M. Tall; il n’existe aucun indice au dossier de M. Tall permettant de penser que ce facteur constituait un problème. Par conséquent, l’opinion du Commandant Sanderson selon laquelle ce fait pouvait avoir été un facteur dans le refus qu’a opposé Air Canada à M. Tall est dépourvu de tout fondement.

Lorsque M. Tall est venu au Canada comme immigrant > 44 29 au printemps de 1974 et qu’il a fait une demande d’emploi à Air Canada, il avait accumulé approximativement 4,000 heures de vol. En mai 1979, ce nombre était rendu à 6,200 heures dont 5,000 à titre de commandant de bord. D’après le Commandant Sanderson, toute cette expérience a été considérée de façon essentiellement négative:

"Bien, le nombre d’heures de vol est très élevé. Je ne voudrais pas impliquer ici que c’est une situation sans issue... mais, je le répète, lorsque nous nous basons sur nos propres études internes, nous avons l’impression qu’une expérience de vol très étendue influence ou tend à influencer la performance. Je le répète encore une fois, est- ce que c’est le fait de désapprendre et de réapprendre ou bien est- ce que c’est relié à l’âge, je ne le sais pas mais, d’après notre expérience, les individus qui sont entrés chez nous avec une grande expérience de vol semblent avoir eu plus de problèmes."

Les études internes dont il est question dans le passage qui précède n’ont pas été disponibles avant décembre 1979 et il est évident que M. Tall a été rejeté sans qu’on fasse aucune référence 30 à son expérience de vol à une époque où Air Canada n’avait aucune donnée statistique indiquant qu’une grande expérience de vol pouvait occasionner des problèmes. En effet, dans ses directives internes qui sont entrées en vigueur à l’été de 1978 et qui sont en vigueur dans le moment, Air Canada exigeait des qualifications supplémentaires pour les candidats de plus de 26 ans même s’ils avaient une grande expérience de vol. Il est évident, par conséquent, que le refus opposé à M. Tall par Air Canada n’a pas été motivé par le fait que M. Tall avait accumulé un grand nombre d’heures de vol.

Enfin, l’une des conjectures faites par le Commandant Sanderson à la lecture des notes d’entrevue de M. Tall faite en juillet 1974 était à l’effet que la tenue vestimentaire détendue de M. Tall pouvait avoir mené Air Canada à la conclusion que celui- ci n’avait pas une attitude professionnelle et que cela pouvait avoir compté à son désavantage. Après l’entrevue du 12 juillet 1974, l’un des interviewers avait inscrit sous le titre apparence les notes suivantes:

"tenue détendue, chemise à col ouvert et pantalon sport; propre; bonne apparence physique; allure martiale; 6’1, 170 livres. Le temps était lourd."

Après l’entrevue du 5 août 1974, un autre interviewer avait commenté la question d’apparence de la façon suivante:

"vêtu proprement, chemise à col ouvert, pas de veston ni de cravate. Lorsque je l’ai interrogé au sujet de sa tenue détendue il m’a dit qu’il n’était pas au courant des habitudes canadiennes puisqu’il était au Canada depuis six mois seulement. Apparence soignée, moustache bien taillée. Homme de belle apparence".

Si l’on prend la peine de lire les résumés d’entrevue au complet, on peut s’apercevoir que les deux interviewers ont eu une impression favorable de M. Tall. Même le Commandant Sanderson le concède. Bien que les interviewers aient senti le besoin de faire des commentaires sur la tenue vestimentaire de M. Tall, ils ont reçu des explications satisfaisantes; d’une part, M. Tall étant récemment arrivé au Canada, il n’était pas au courant de la coutume canadienne qui consiste à porter une chemise et une cravate et, 31 d’autre part, ce jour- là le temps était étouffant.

L’interprétation du Commandant Sanderson selon laquelle une tenue vestimentaire détendue est le signe d’une attitude non professionnelle n’a certainement jamais été une raison pour laquelle la candidature de M. Tall a été refusée par Air Canada et il nous est impossible de prendre au sérieux les suppositions de Commandant Sanderson dans ce domaine.

L’examen minutieux du dossier d’Air Canada révèle que ce fut l’âge de M. Tall qui a été la raison de son échec. A l’appui de cette conclusion, on peut citer la lettre d’Air Canada datée du 21 octobre 1974, les commentaires du Commandant Irvine, la lettre du 20 juillet 1976, la lettre du 9 janvier 1979 dans laquelle M. Tall alléguait qu’il avait été victime de discrimination au motif de son âge, lettre a laquelle il n’a pas reçu de réponse et aussi la lettre d’Air Canada datée du même jour qui fait simplement écho au fait qu’il existe une concurrence très grande pour les postes de pilote et qui omet délibérément de faire référence au facteur d’âge. Par conséquent, je suis forcé de conclure qu’après le 1er mars 1978, Air Canada a refusé d’accorder un poste de pilote à M. Tall directement ou indirectement à cause de son âge.

(e) Ramon Sanz:

M. Sanz est né aux Philippines le 29 août 1942. Après avoir terminé l’école secondaire, il a complété deux des quatre années requises pour le diplôme de baccalauréat en sciences de l’Université des Philippines. Pendant la troisième année de ce programme, il quitta l’université. Il entra en 1965 au cours de formation des pilotes de la Compagnie aérienne des Philippines où il reçut une mention pour avoir obtenu les plus hauts résultats de sa classe. Il a obtenu par la suite sa licence de pilote commercial des Philippines, son brevet de vol aux instruments des Philippines, lequel, d’après M. Sanz est équivalent au brevet de classe 1 du Canada, sa licence d’ingénieur de vol des Philippines 32 ainsi que sa licence de radio des Philippines. Après avoir terminé sa formation, M. Sanz a travaillé comme pilote à la Compagnie aérienne des Philippines jusqu’en 1974. Pendant ce temps, il suivit un cours avancé pour la licence commerciale, un cours de brevet de vol aux instruments, le cours de pilote de ligne à l’Ecole d’aviation de la Compagnie aérienne des Philippines et aussi il suivit un cours d’ingénieur de vol de DC- 8 offert par la Compagnie K. L. M., la compagnie néérlandaise royale de la Hollande. Au moment où il a quitté son emploi à la compagnie aérienne des Philippines, il avait accumulé au cours de son travail avec cette compagnie, plus de 3,600 heures de vol comme pilote de multimoteurs, sur des appareils pesant plus de 12,500 livres; il avait accumulé aussi plus de 1,000 heures de vol sur un DC- 8 comme ingénieur de vol et il avait passé beaucoup plus de 1,200 heures au simulateur.

En 1974, M. Sanz a émigré au Canada et il est devenu citoyen canadien en 1977.

En 1975, il obtenait sa licence canadienne de pilote commercial ainsi que sa licence canadienne de radio. Il n’a pas obtenu son brevet canadien de vol aux instruments; comme il l’a expliqué, il croyait qu’il avait les qualifications et la compétence nécessaires pour obtenir ce brevet dans le cas où il aurait trouvé un emploi dans une compagnie aérienne canadienne, mais à ce moment- là, il n’avait pas les ressources financières nécessaires pour obtenir ce brevet et se tenir à jour, vu qu’il n’avait pas de perspective d’emploi.

M. Sanz fit sa première demande d’emploi à Air Canada au printemps de 1974. Dans une lettre datée du 16 avril 1974, Air Canada répondit que, dans les circonstances présentes, le recrutement des pilotes serait moins actif en 1974 et que, par conséquent, on informait M. Sanz que sa demande d’emploi serait gardée sur la liste et qu’on la considérerait à nouveau si des cours supplémentaires de formation de pilote étaient approuvés. Cette lettre ne fait aucune mention des qualifications de M. Sanz ou de l’absence de celles- ci. Au contraire, cette lettre eut pour effet d’encourager M. Sanz à continuer à tenir à jour son dossier d’Air Canada. Et c’est justement ce qu’il fit le 30 septembre 1975.

D’autre part, ce que M. Sanz n’a pas su, c’est qu’une note de service avait été préparée à Air Canada concernant la demande d’emploi récente faite par lui. Cette note de service provenait du directeur des opérations de vol à Vancouver et elle était adressée à un certain M. Mortimer qui était alors surveillant d’emploi à Air Canada. D’après la marche à suivre alors en vigueur, la demande d’emploi de M. Sanz était d’abord considérée par le directeur des opérations de vol à Vancouver, cette personne étant un pilote exerçant un rôle de surveillant. Cette note de service pouvait se lire comme suit:

"A: M. G. V. Mortimer, Surveillant d’emploi De: Le directeur des opérations de vol

Vancouver Date: Le 6 octobre 1975 Objet: Le candidat pilote Ramon Katindoy Sanz Etant donné l’âge de ce candidat, voulez- vous s’il vous plaît vous arranger pour répondre. Merci."

Le Commandant Sanderson a admis, lors de son témoignage, qu’il était raisonnable de penser que le directeur des opérations de vol, ayant parcouru la demande d’emploi de M. Sanz, l’a trouvée inacceptable à cause de l’âge du candidat. Après que cette note de service eut été échangée, Air Canada envoya à M. Sanz une lettre type datée du 16 octobre 1975 dans laquelle la compagnie rappelait le fait que plusieurs des candidats étaient très qualifiés et qu’ils avaient entre 20 et 25 ans et que, par conséquent, ils étaient de meilleurs candidats que M. Sanz pour les postes d’officier en second qu’ils détiendraient pour une longue période. Encore ici, cette lettre ne faisait aucune mention de quelque déficience que ce soit dans les qualifications de M. Sanz, exception faite de la question d’âge.

De toute façon, M. Sanz a continué à tenir son dossier à jour et le 10 mai 1978, il recevait d’Air Canada des nouvelles peu encourageantes:

"Notre programme de formation des pilotes est pour le moment à un point mort bien que nous ayons embauché quelques candidats un peu plus tôt cette année. Tous ces candidats possédaient des qualifications de vol meilleures que la moyenne et tous appartenaient à un groupe d’âge moins élevé. Par conséquent, nous ne pouvons rien ajouter à notre lettre du 16 octobre 1975 dans laquelle nous vous avons déjà dit que nous serions malheureusement incapables de vous donner de l’encouragement en ce qui concerne votre demande d’emploi." A la lecture de cette lettre, on peut s’apercevoir de façon évidente qu’Air Canada entretenait une préférence pour les candidats plus jeunes que M. Sanz. Il n’existe aucune indication dans la correspondance que les qualifications de vol de M. Sanz étaient inadéquates de quelque façon que ce soit.

Sans se laisser décourager, M. Sanz présenta de nouveau une demande d’emploi le 27 avril 1978 et encore une fois le 25 septembre 1978. La réponse d’Air Canada par lettre datée du 16 octobre 1978 fut identique en tous points à la lettre envoyée à M. Sanz exactement trois ans plus tôt le 16 octobre 1975. Même après trois ans, il était évident qu’Air Canada entretenait encore une préférence pour des candidats plus jeunes que M. Sanz, à compétence égale. Comme auparavant, le seul aspect négatif des qualifications de M. Sanz semble avoir été son âge lequel, au moment de ce dernier refus, était de 36 ans.

Au début de l’année 1979, M. Sanz fit une demande à son député pour obtenir l’aide de celui- ci dans cette affaire puisqu’il était persuadé qu’il avait été l’objet de discrimination à cause de son âge. Après enquête, il semble qu’Air Canada répondit à ce député, en février 1979, que M. Sanz ne répondait pas aux normes d’Air Canada en ce sens qu’il ne possédait pas toutes les licences requises.

Lors de son témoignage, le Commandant Sanderson qui n’avait pas été personnellement impliqué dans le cas de M. Sanz a tenté d’expliquer l’échec de la façon suivante:

"M. Sanz n’a jamais satisfait nos normes minimales de brevet de vol aux instruments, et encore moins de brevet de classe 1. Je pense que l’étude de son dossier montrera qu’il n’avait eu aucun brevet de vol aux instruments depuis son arrivée au Canada.

D’après tout ce qui précède, il est très clair que M. Sanz n’a jamais été rejeté pour la raison spécifique d’une déficience dans son classement de vol aux instruments. Il est vrai que M. Sanz n’a jamais obtenu le brevet canadien de classe 1 de vol aux instruments mais il a expliqué que la seule raison pour laquelle il ne s’est pas occupé de l’obtenir était qu’à ce moment- là il ne pouvait pas se permettre d’engager les ressources financières nécessaires pour obtenir ce brevet et pour se maintenir à ce niveau. En outre, M. Sanz pensait que s’il obtenait un emploi, il n’aurait eu aucune difficulté à obtenir les certificats nécessaires reliés à l’avion en question, à cause précisément de l’expérience très considérable de vol aux instruments qu’il avait acquise comme pilote à la Compagnie aérienne des Philippines.

Encore plus probant, bien sûr, est le fait que jamais aucune mention ou aucune référence à cette déficience n’ait jamais été faite à M. Sanz pendant toutes les années durant lesquelles il a fait ses demandes d’emploi à Air Canada. Les difficultés relatives à la question du vol aux instruments sont apparues pour la première fois après seulement que le député ait fait enquête auprès d’Air Canada. On ne peut donc pas dire que ce fut la raison pour laquelle M. Sanz a été rejeté. La raison la plus importante était son âge. De toute façon, même si le fait que M. Sanz n’avait pas de brevet canadien de classe 1 pour vol aux instruments ait pu jouer un rôle dans le refus d’Air Canada, ce facteur perd son importance à côté de l’exigence d’âge que M. Sanz n’a pas pu satisfaire.

Dans sa plaidoirie, Air Canada a exposé le fait que d’après elle, M. Sanz représentait l’exemple classique du candidat pilote qui a négligé d’améliorer ses qualifications et que cela illustrait un manque de détermination et de motivation. Il est difficile de comprendre comment le fait de n’avoir pas obtenu un brevet canadien 36 de classe 1 pour vol aux instruments pourrait démontrer une chose pareille alors que pendant tout ce temps, Air Canada n’a jamais indiqué que cela pourrait devenir un problème. De toute façon, la persistance à devenir pilote d’Air Canada que M. Sanz a démontrée pendant ces années serait suffisante pour réfuter facilement pareille inférence.

La deuxième critique du Commandant Sanderson portait sur le grand nombre d’années qui s’étaient écoulées depuis que M. Sanz avait terminé ses études académiques. D’après lui, cela faisait 14 ans. Cette période de temps me paraît un peu exagérée si l’on considère le fait qu’après son expérience à l’Université des Philippines, M. Sanz a pris plusieurs cours alors qu’il travaillait pour la Compagnie aérienne des Philippines et que plusieurs de ces cours étaient semblables à ceux qu’il aurait pris s’il avait été employé par Air Canada. Par exemple, le 14 février 1967, M. Sanz avait complété le cours de pilote commercial ainsi que le cours de co- pilote alors qu’il travaillait à la Compagnie aérienne des Philippines et même, pendant sa formation de pilotage, il avait reçu une mention d’excellence pour avoir obtenu les plus hauts résultats de pilotage. En dépit du fait qu’il était seulement co- pilote, la performance de M. Sanz a été notée comme satisfaisante au poste de pilote ou comme commandant en mars 1970 alors qu’il était à l’emploi de la Compagnie aérienne des Philippines. En avril 1971, il avait passé avec succès l’examen écrit de la licence de pilote de ligne. Il a aussi passé avec succès le programme de formation périodique au DC- 8 donné par la compagnie aérienne K. L. M. Par conséquent, pendant ces années, il avait reçu une formation considérable relative à toutes sortes d’aspects pertinents au pilotage, jusqu’au moment où il est venu au Canada en 1974. Il faut donc conclure, pour ces raisons et pour les raisons déjà discutées au sujet des autres plaignants, que cette critique du Commandant Sanderson ne peut pas non plus être retenue comme étant une raison valable de refuser la candidature de M. Sanz.

Nous sommes donc forcés de conclure que l’âge de M. Sanz a été la raison la plus importante pour laquelle sa demande d’emploi a été refusée par Air Canada.

3. QUALIFICATIONS ESSENTIELLES DES PILOTES D’AIR CANADA

Les normes selon lesquelles tous les plaignants semblent avoir été évalués sont les normes utilisées par Air Canada pour choisir les pilotes qui devront se présenter à des entrevues. Bien que ces normes aient changé au cours des années, les normes en vigueur à partir d’août 1978 jusqu’à présent apparaissent à la pièce R- 3 de l’Appendice 3 comme suit:

"POUR POUVOIR ETRE INTERVIEWÉ PAR LE CONSEIL *Le candidat doit avoir reçu une recommandation à cet effet à la suite de l’entrevue initiale.

*La préférence est donnée aux postulants:

  1. Qui possèdent un diplôme de formation en aviation ou qui ont reçu une formation militaire.
  2. Qui possèdent un diplôme universitaire.
  3. Qui peuvent justifier d’un autre niveau d’instruction (au moins égal à celui exigé pour l’entrée à l’université).

POUR POUVOIR ETRE CONVOQUÉ A UNE ENTREVUE INITIALE *Le candidat doit avoir tenu son dossier à jour depuis la dernière étude de son dossier.

*Le candidat doit travailler présentement comme pilote. *Le candidat doit avoir une acuité visuelle de 20/ 20. Il faut noter qu’un candidat dont l’acuité visuelle est de moins de 20/ 20 peut être considéré s’il est possible de ramener son acuité visuelle à 20/ 20 à l’aide de verres correcteurs et si les médecins spécialistes du personnel navigant d’Air Canada approuvent la candidature en question, ce qui doit être fait avant l’entrevue initiale.

*Le candidat doit être citoyen canadien ou s’être établi au Canada avec le statut d’immigrant reçu.

EXPÉRIENCE Age: Si le candidat est âgé de plus de 27 ans il doit posséder une mention de qualification de transport aérien en plus de qualifications spéciales, comme l’expérience dans le domaine militaire ou dans le domaine de l’aviation, être diplômé d’aviation ou détenir un diplôme universitaire, etc.

Si le candidat est âgé de 25 à 27 ans, il doit posséder une mention de qualification de transport aérien ou détenir un brevet de pilote senior commercial canadien et il doit posséder une mention de qualification de vol aux instruments de classe normale

1. La préférence est donnée:

  1. Aux diplômés d’aviation ou à ceux qui ont reçu une formation militaire.
  2. A ceux qui détiennent un diplôme universitaire.
  3. A ceux qui peuvent justifier d’un autre niveau d’éducation (au moins égal à celui exigé pour l’entrée à l’université).

Les candidats âgés de 20 à 25 ans doivent être titulaires du brevet de pilote commercial ou d’un brevet plus élevé; ils doivent avoir obtenu la mention de qualification de vol aux instruments de classe normale 1 et doivent avoir effectué un minimum de 700 heures de vol.

La préférence est donnée:

  1. Aux diplômés d’aviation ou à ceux qui ont reçu une formation militaire.
  2. A ceux qui détiennent un diplôme universitaire.
  3. A ceux qui peuvent justifier d’un autre niveau d’éducation (au moins égal à celui exigé pour l’entrée à l’université).

POUR QUE SON DOSSIER SOIT CONSIDÉRÉ COMME UN DOSSIER ACTIF

*Le candidat ne doit pas être âgé de plus de 27 ans à moins qu’il ait reçu la mention de qualification de transport aérien, et

*Il ne doit pas avoir dépassé l’âge de 29 ans à moins d’avoir reçu la mention de qualification de transport aérien et d’avoir des qualifications spéciales, comme par exemple un grand nombre d’heures de vol, un diplôme universitaire, un diplôme d’aviation, une formation militaire, etc.

*Son acuité visuelle doit être de 20/ 20 Il faut noter que les candidats ayant une acuité visuelle de moins de 20/ 20 pourront être considérés s’il est possible de ramener cette acuité visuelle à 20/ 20 à l’aide de verres correcteurs et que la candidature soit approuvée par les médecins spécialistes du personnel navigant d’Air Canada, et cela avant qu’une entrevue initiale ne soit accordée. La norme d’acuité visuelle ne peut pas être moins que 20/ 50.

*Le candiat doit être citoyen canadien ou s’être établi au Canada avec le statut d’immigrant reçu.

*Le dossier doit avoir été tenu à jour depuis les deux dernières années.

*Le candidat doit être présentement engagé dans des activités de pilotage. *Le candidat doit avoir un niveau d’instruction au moins égal à celui exigé pour l’entrée à l’université.

*Le candidat ne doit pas avoir dépassé l’âge de 31 ans, à moins qu’il puisse justifier de qualifications spéciales.

DANS LES AUTRES CAS, LE DOSSIER NE SERA PAS CONSIDÉRÉ COMME DOSSIER ACTIF

(suite à la page suivante) On peut voir à partir de ce qui précède que déjà, en juillet 1977, (la pièce R- 3 de l’Appendice 1 en fait la preuve) il existait une norme d’âge qui était appliquée à tous les candidats au poste de pilote à Air Canada et que cette norme est encore en vigueur présentement. Donc, pour que son dossier soit considéré, un candidat ne peut pas être âgé de plus de 27 ans à moins qu’il ait des qualifications meilleures que celles qui sont requises de candidats plus jeunes, par exemple, ce candidat doit posséder une licence de transport aérien. Un candidat de plus de 29 ans devrait faire preuve de qualifications encore plus grandes. En plus de sa licence de transport aérien, il devrait posséder d’autres qualifications spéciales comme par exemple un grand nombre d’heures de vol, un diplôme universitaire ou encore il devrait être diplômé d’un collège d’aviation ou encore avoir reçu une formation militaire. Un candidat de plus de 31 ans ne serait pas considéré à moins qu’il possède des qualifications spéciales. Par conséquent, on peut dire qu’Air Canada impose à ses candidats des exigences d’entrée qui sont en relation directe avec leur âge.

Il est évident que d’après Air Canada, le candidat plus âgé doit posséder des qualifications supplémentaires avant de pouvoir être considéré comme un candidat valable.

Lorsque le dossier d’un candidat retient l’attention et que le Comité de sélection décide d’accorder une entrevue préliminaire à ce candidat, le dossier est envoyé à la base des opérations de vol la plus proche de l’endroit où habite le candidat. C’est alors qu’un pilote surveillant senior, expérimenté en techniques d’entrevue, rencontre personnellement le candidat pour une entrevue. Cette entrevue dure approximativement une heure à la suite de laquelle l’interviewer prépare une évaluation écrite basée sur les qualifications du candidat. Si l’évaluation est favorable, le dossier est alors transmis aux quartiers généraux des opérations de vol avec une recommandation à l’effet qu’on doive 40 accorder à ce candidat une autre entrevue. A ce moment- là, on donne au candidat une mention de priorité qui indique si le candidat en question est considéré comme un candidat exceptionnel ou comme un candidat moyen.

Si l’interviewer de la base ne considère pas la candidature satisfaisante, le dossier est renvoyé au bureau d’emploi. Une candidature pourrait aussi ne pas être considérée comme acceptable à ce moment- là mais on pourrait vouloir la conserver sur la liste active pour qu’elle soit réévaluée par le Comité de sélection à une date ultérieure. Lorsqu’une candidature est considérée comme insatisfaisante ou ne se plaçant pas dans la catégorie la plus élevée, l’interviewer de la base en avise le candidat concerné.

La deuxième entrevue, connue sous le nom d’entrevue par le Conseil, est accordée aux candidats qui ont passé avec succès l’entrevue initiale (ou entrevue à la base).

Le Conseil de sélection est composé de quatre ou cinq membres du personnel cadre des opérations de vol et si possible d’un membre du département de médecine. Cette entrevue dure de 45 à 60 minutes et elle suit à peu près le même modèle que l’entrevue initiale. On utilise une grille d’évaluation et chaque candidat reçoit du Conseil une cote de priorité. Les candidats que l’on considère pour un emploi sont alors soumis à un examen médical et s’ils sont déclarés en bonne santé par le département de médecine, ils sont embauchés dans l’ordre de priorité qui leur avait été donné par le Conseil de sélection.

A ce moment- là, les candidats dont le dossier n’est pas considéré comme satisfaisant ou qui ne peuvent pas affronter la concurrence en sont avisés et leur dossier est renvoyé au bureau d’emploi.

4. POLITIQUE D’AGE A AIR CANADA

Les éléments de preuve sont clairs à ce sujet, et Air Canada l’admet: la compagnie a établi au cours des années une pratique d’embauchage des pilotes qui a pour effet de donner préférence, à compétence égale, aux pilotes plus jeunes. A titre d’illustration, on peut se référer au fait qu’un candidat pilote qui est chronologiquement plus âgé qu’un autre doit satisfaire à des normes internes d’Air Canada qui sont plus exigentes que celles que doivent > 63 41 satisfaire les candidats plus jeunes (Pièce R- 3, Appendice 3).

Cette politique fut exprimée de la façon suivante par le Commandant Sanderson (se référer à la Pièce R- 3, p. 40):

"C’est en grande partie à cause des normes beaucoup plus exigeantes, à l’entrée et en cours de carrière, que doivent satisfaire les pilotes d’une grande compagnie aérienne à vols réguliers, où il existe un système hiérarchique d’âge et d’ancienneté, qu’Air Canada ainsi que d’autres compagnies aériennes ont toujours préféré embaucher des pilotes âgés de 21 à 27 ans.

Comme n’importe quel autre employeur, Air Canada cherchera à embaucher les meilleurs candidats disponibles parmi des groupes très hétérogènes de candidats. En ce qui nous concerne, l’âge maximum n’est pas une raison de ne pas embaucher, mais plutôt l’un des éléments sur lesquels joue la préférence dans l’ensemble des facteurs selon lesquels la priorité est établie.

... En somme, Air Canada n’a pas refusé d’embaucher des pilotes plus âgés mais la compagnie a plutôt montré une préférence pour les pilotes plus jeunes bien qualifiés, lorsque ceux- ci étaient disponibles. D’après notre expérience avec tous les niveaux d’âge, nous pouvons conclure sans équivoque que, grâce à cette philosophie, nos opérations demeurent des plus sécuritaires."

L’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne se lit comme suit: Constitue un acte discriminatoire le fait, pour l’employeur ou l’association d’employés,

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, 42 les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

Si l’on considère la politique d’Air Canada dont il est question ici, comme elle a existé et comme elle continue d’exister à présent, et que l’on considère l’application qui en est faite à tous les candidats pilotes, comme il a été concédé lors de l’audience, on doit conclure sans hésitation que cette politique a pour effet d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, et dans le cas présent, les individus de plus de 27 ans sont privés de leurs chances d’emploi comme pilote car cette politique les place dans une position relativement désavantageuse par rapport aux candidats plus jeunes en ce qui concerne les chances d’emploi dans cette compagnie aérienne. Par conséquent, il s’agit d’une politique qui, selon les termes de l’article 10 de la Loi constitue un acte discriminatoire.

5. LES EXIGENCES PROFESSIONNELLES NORMALES

(a) Interprétation

Air Canada invoque les termes de l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour justifier le fait que sa politique d’embauchage devrait tomber sous le coup de l’exception prévue à cet article et du même coup ne serait pas soumise à l’interdiction générale empêchant de recourir à des pratiques discriminatoires. L’alinéa 14a) se lit comme suit:

"Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales."

Etant donné que nous avons maintenant conclu qu’il existe assez de faits tendant à prouver, prima facie, que la politique d’Air Canada constitue un acte discriminatoire, à l’encontre des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le point central de cette enquête est maintenant l’interprétation de l’alinéa 14a) ainsi que l’application des termes de cet alinéa à la politique d’Air Canada.

Dans l’affaire The Ontario Human Rights Commission et al v. The Borough of Etobicoke (9 février 1982, décision non rapportée), la Cour Suprême du Canada a eu l’occasion de se pencher sur la question des exigences professionnelles normales et de la défense qui s’y rapporte, en relation avec l’alinéa 6 de l’article 4 du Code ontarien des droits de la personne où l’on trouve une défense semblable à celle invoquée par Air Canada en vertu des dispositions de la loi fédérale. La Cour faisait l’interprétation dudit article en relation avec le cas d’un pompier d’Etobicoke qui avait été forcé de prendre sa retraite à l’âge de 60 ans tel que prévu aux termes d’une convention collective entre la municipalité et le syndicat des pompiers. Le juge McIntyre, au nom de la Cour, a dit aux pages 6 et 7 de cet arrêt:

"( Traduction) Pour être une exigence professionnelle normale, une restriction telle que la retraite obligatoire à un âge donné, doit être imposée de façon honnête, de bonne foi, et avec la croyance sincère qu’une telle restriction est imposé afin d’assurer la performance adéquate du travail en question afin que celui- ci soit exécuté d’une façon efficace, sécuritaire et économique, dans les limites de la raison, et non pas pour des motifs étrangers à la situation ou encore à cause d’arrières- pensées qui n’auraient pour effet que de faire échec à l’intention du Code. De plus, cette restriction doit être reliée de façon objective à la performance même de l’emploi en question en ce sens que cette restriction est raisonnablement nécessaire pour assurer la performance efficace et économique des tâches inhérentes à l’emploi en question, et cela sans mettre en danger l’employé lui- même, ses pairs et le grand public.

La réponse à cette deuxième question va dépendre dans l’affaire présente comme dans tous les cas, de l’étude de la preuve elle- même et de la nature de l’emploi en question."

La Cour Suprême du Canada a donc confirmé dans ce jugement que la défense comporte à la fois un test subjectif et un test objectif.

En ce qui concerne le test subjectif, l’employeur doit pouvoir faire la preuve que lorsqu’il impose une politique discriminatoire fondée sur l’âge, il le fait honnêtement et sincèrement parce qu’il croit qu’une limitation de cette nature lui permet de conduire ses affaires d’une façon expéditive, sécuritaire et économique et non pas parce qu’il désire faire échec aux buts que se propose la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Pour ce qui est de l’élément objectif de la défense, la Cour Suprême du Canada a utilisé les mots raisonnablement nécessaire ce qui suppose l’application d’un test de nécessité d’affaires et non pas d’un test de convenance d’affaires. Ainsi donc, il incombe à l’employeur de montrer que c’est la nature même de son entreprise qui serait ébranlée (et non pas simplement incommodée) si on ne lui permettait pas de mettre en pratique cette politique discriminatoire.

(b) Le fardeau de la preuve:

L’alinéa 14a) de la loi fédérale a récemment fait l’objet d’un commentaire d’un autre tribunal canadien des droits de la personne qui décrivait de la façon suivante l’obligation faite à l’employeur de montrer que les termes de cette disposition d’exception s’appliquent à lui:

(Traduction)

"Les actes qui seraient normalement jugés discriminatoires ne sont pas illicites s’ils se fondent sur des exigences professionnelles normales... Il incombe maintenant aux mis en cause d’établir que le renvoi de (l’employé) était justifié étant donné les circonstances. L’alinéa 14a) stipule clairement (... l’employeur qui démontre...) qu’il revient à l’employeur de prouver que son action constitue un cas d’exception.

En pareils cas, il est normal que l’employeur soit chargé 45 de prouver que l’acte discriminnatoire a été exécuté de bonne foi pour assurer la bonne marche de son entreprise, car c’est lui qui connaît le mieux celle- ci et les exigences à imposer aux employés.

Si les employés avaient la responsabilité de prouver que les règles imposées par l’employeur ne constituent pas des exigences professionnelles normales, ils seraient peu nombreux à oser porter plainte, et encore moins nombreux à obtenir gain de cause.

Il est généralement reconnu que les lois sur les droits de la personne sont récursoires et qu’il convient d’en donner une interprétation large pour atteindre les buts poursuivis par le législateur. Le contraire est également vrai: les exceptions aux termes de ces lois doivent être interprétées strictement. La Loi ne doit faire l’objet d’aucun compromis ni d’aucune réduction, sauf si son libellé le permet explicitement. Ainsi, non seulement le mis en cause est- il chargé de prouver qu’une condition de travail représente une exigence professionnelle normale et une exception à l’interdiction générale des actes discriminatoires, mais la définition de cette exception doit également être interprétée d’une manière stricte.

Bien des décisions ont déjà été rendues qui avaient trait à la question des exigences professionnelles normales. En effet, presque chaque province a eu sa part de causes relatives à cette question. Il s’agissait la plupart du temps de discrimination fondée sur l’âge ou le sexe...

Il va sans dire que chaque type particulier d’emploi comporte ses propres exigences. C’est pourquoi il faut examiner chaque cas individuellement pour déterminer ce qu’est une exigence professionnelle normale."

(K. S. Bhinder c. la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada - 22 septembre 1981 aux pp 67- 68)

Dans l’arrêt The Ontario Human Rights Commission et al v. The Borough of Etobicoke, supra, le juge McIntyre réaffirmait l’obligation faite à l’employeur par le Code ontarien des droits de la personne d’établir cette défense même si l’obligation ne lui en est pas faite de façon expresse en vertu des termes du Code ontarien comme c’est le cas aux termes de la loi fédérale correspondante. A la page 6 de son jugement, le juge McIntyre décrivait ainsi les critères auxquels doit répondre la preuve faite par l’employeur:

"Si un plaignant peut faire la preuve devant une Commission d’enquête qu’il a été prima facie victime de discrimination, dans le cas présent, l’obligation de prendre sa retraite à l’âge de 60 ans comme condition d’emploi, il a droit à un recours lorsque l’employeur ne peut faire valoir de justification. La seule justification dont peut se prévaloir l’employeur dans la présente affaire, est que cette retraite obligatoire est une exigence professionnelle normale pour l’emploi en question et c’est à lui qu’il incombe d’en faire la preuve. A mon avis, la preuve doit être faite selon la norme généralement acceptée en matières civiles, c’est- à- dire selon la balance des probabilités."

Bien que la Cour Suprême du Canada n’ait pas dit que l’obligation de faire la preuve était moins grande lorsqu’il s’agissait d’établir la défense relative aux exigences professionnelles normales dans un cas de sécurité publique, la cour a tout de même souligné, à la p. 8, que dans de telles circonstances la commission d’enquête et la cour doivent se demander si la preuve qui a été fournie peut fonder la conclusion selon laquelle les risques d’échec chez les employés qui ont dépassé l’âge de la retraite obligatoire sont suffisamment grands pour justifier la retraite précoce d’un employé au nom de la sécurité de cet employé, de ses pairs et du grand public. Pour certains tribunaux canadiens des droits de la personne, le fardeau de la preuve imposé à l’employeur est plus léger dans de pareilles circonstances. Par exemple, dans l’affaire K. S. Bhinder c. les Chemins de fer nationaux du Canada, supra, le tribunal s’exprimait ainsi (à la p. 82):

"Bien des principes relatifs à la question des exigences professionnelles normales ont été énoncés dans le cadre d’affaires où l’employeur s’inquiétait de la sécurité des autres employés ou du grand public. Lorsque l’employeur peut démontrer que la sécurité de personnes autres que l’employé lui- même est mise en cause, le fardeau de la preuve que doit faire l’employeur pour justifier une exigence professionnelle est beaucoup plus léger. Les commissions d’enquête se montrent disposées a s’en remettre au jugement de l’employeur lorsque c’est nécessaire de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour assurer l’exécution du travail d’une manière sécuritaire pour les autres employés ou pour le grand public.

Dans l’affaire La Commission canadienne des droits de la personne c. Voyageur Colonial Ltée (10 décembre 1980), le juge du tribunal des droits de la personne, M. R. D. Abbott a conclu (à la p. 31) que la politique du défendeur d’imposer une limite d’âge a l’embauchage à 40 ans visait honnêtement à assurer la sécurité du public et que le fardeau de la preuve relative au caractère normal des exigences professionnelles du défendeur est d’autant plus léger. Dans le même sens, voir l’affaire Little v. St. John Building & Dry Dock Company Limited (1980, 1 C. H. R. R. 1, 8).

C’est aux Etats- Unis que pour la première fois les cours ont parlé de l’allègement du fardeau de la preuve. On peut citer par exemple, l’affaire de Spurlock v. United Airlines Incorporated 475 F. 2d 216, 5 F. E. P. Cases 17, (Cour d’appel des Etats- Unis, 10e Circuit, 1973). Dans cette affaire, il n’était pas question de discrimination fondée sur l’âge mais sur la race, et la cour a exprimé dans les termes suivants l’obligation imposée à la compagnie aérienne de justifier sa politique d’embauchage des pilotes (F. E. P. Cases, p. 19):

"Lorsqu’un emploi suppose peu de compétence et de formation et que les conséquences inhérentes à l’embauchage d’un candidat non qualifié sont négligeables, les cours doivent faire un examen minutieux de toute norme ou critère imposé avant l’embauchage qui pourrait avoir un effet discriminatoire sur les minorités. En pareil cas, l’employeur se verrait imposer le fardeau très exigeant de réussir à prouver à la cour que ses normes d’emploi sont reliées à l’emploi en question. D’autre part, lorsqu’il est clair que l’emploi suppose un haut niveau de compétence et que les répercussions, tant sur le plan économique que sur le plan humain, sont grandes si l’on embauchait un candidat non qualifié, l’obligation faite à l’employeur de démontrer que ses normes d’emploi sont reliées au poste en question est proportionnellement moins stricte. Il est clair que le poste de pilote de ligne appartient à cette dernière catégorie. Les pilotes de vol de la compagnie United pilotent des avions dont la valeur peut atteindre 20 millions de dollars et ils transportent jusqu’à 300 passagers par vol.

Les risques inhérents à l’embauchage de candidats non qualifiés sont renversants. C’est un fait indiscutable que l’intérêt public exige que les pilotes d’avion soient les personnes les plus hautement qualifiées. Par conséquent, les cours doivent faire preuve de beaucoup de prudence avant d’obliger un employeur à diminuer ses exigences de pré- emploi pour un tel travail."

Il est indéniable que la compagnie Air Canada a un devoir public d’administrer son entreprise de la façon la plus sécuritaire possible. Par conséquent, il appartient à cette compagnie d’évaluer les facteurs de risques et de mettre en oeuvre des méthodes destinées à éliminer ou à réduire de tels risques. Tout le monde est en mesure de comprendre l’énormité des conséquences des erreurs faites dans la cabine de pilotage.

(c) L’application de la défense de l’ exigence professionnelle normale aux chauffeurs d’autobus et aux pilotes

C’est dans l’importante décision de Hodgson v. Greyhound Lines Inc. 499 F. 2d 859 (Cour d’appel des Etats- Unis, 7e Circuit (1974) bref de certiorari refusé, 95, S. Ct., 805 (1975)), que fut d’abord considéré le problème de la discrimination fondée sur l’âge et la défense d’ exigence professionnelle normale. Dans cette affaire, le problème en question était la politique de Greyhound de refuser d’embaucher qui que ce soit après l’âge de 35 ans pour le poste de conducteur d’autobus. Les éléments de preuve présentés au procès ont montré qu’il existait deux types de trajets d’autobus, les trajets réguliers et les trajets spéciaux. Pour les trajets spéciaux, les chauffeurs travaillaient sur appel pendant 24 heures sans horaire bien défini et souvent devaient se plier à des horaires encore plus exigeants. On a démontré au procès qu’il y avait plus d’accidents sur ces trajets que que sur les trajets réguliers. Les chauffeurs plus âgés, grâce à leur ancienneté, pouvaient s’arranger pour éviter les trajets spéciaux, plus exigeants, en choisissant un trajet régulier. On a démontré aussi que les chauffeurs plus âgés qui faisaient encore les trajets spéciaux pouvaient, grâce à leur expérience, faire face aux exigences de ce genre de trajets, très éprouvantes pour la résistance physique. Greyhound prétendait donc que si l’on embauchait de nouveaux chauffeurs âgés de plus de 35 ans, ceux- ci n’auraient pas l’expérience nécessaire pour compenser et il y aurait par conséquent un plus grand risque d’accident pour les passagers.

Le point central de la décision de la Cour d’appel fut la sécurité publique. La cour a constaté que l’essence de l’entreprise Greyhound était le transport sécuritaire des passagers et que Greyhound devait seulement prouver que l’essence de cette entreprise serait minée par l’embauchage de chauffeurs de plus de 40 ans. A cause des exigences très strictes de sécurité imposées à cette compagnie, la cour a décidé que Greyhound pouvait se contenter de prouver par des faits, de façon raisonnable, qu’elle croyait que l’annulation de la politique d’embauchage contestée pourrait augmenter les risques de danger pour ses passagers. En outre, la cour a décidé que Greyhound pourrait se décharger du fardeau de la preuve qui lui incombait si la compagnie pouvait démontrer seulement une augmentation négligeable des risques; par conséquent, il serait suffisant pour Greyhound de démontrer que l’annulation de la politique d’embauchage en question pourrait mettre en danger la vie d’une personne de plus que dans le cas où cette politique demeurerait en vigueur. Il fut démontré à la satisfaction de la cour que le vieillissement avait un effet néfaste sur les compétences de conduite et que les changements dûs au vieillissement ne sont pas décelables par l’examen physique et que de tels examens ne seraient pas réalisables de façon régulière. Pour ces raisons, la cour a décidé que la politique d’âge à l’embauchage de Greyhound était une exigence professionnelle normale attachée au poste de chauffeur d’autobus.

La loi pertinente que la cour a dû considérer dans l’affaire Hodgson était The Age Discrimination in Employment Act (1967) aux termes de laquelle une exigence professionnelle normale devait être raisonnablement nécessaire aux opérations ordinaires de l’entreprise en question. Bien que ces mots n’apparaissent pas dans l’alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’élément objectif du test proposé par la Cour Suprême du Canada dans l’affaire The Ontario Human Rights Commission v. The Borough of Etobicoke, supra, a pour effet de rendre applicables au contexte canadien les mots de la American Age Discrimination in Employment Act et de l’affaire Hodgson. Bien plus, le principe Hodgson a récemment été adopté par un tribunal canadien des droits de la personne comme étant applicable à l’interprétation de l’alinéa 14a) de la loi canadienne: voir La Commission canadienne des droits de la personne c. Voyageur Colonial Ltée, supra, aux pp. 31- 32.

Encore une fois, dans l’affaire Usery v. Tamiami Trail Tours Incorporated, 531 F. 2d 224 (Cour d’appel des Etats- Unis, 5e Circuit, 1976), la Cour d’appel des Etats- Unis a décidé que la politique d’une compagnie d’autobus visant à refuser de considérer pour un emploi de chauffeur d’autobus sur les trajets de longues distances, les candidats âgés de 40 à 65 ans était une exigence professionnelle normale, raisonnablement nécessaire à l’exploitation normale de cette entreprise. La Cour a reconnu que la loi fédérale favorisait l’emploi de personnes plus âgées sur la foi de leurs compétences plutôt que de leur âge et déclara que ce but était digne de louanges mais décida cependant de peser cet intérêt par rapport à ceux de l’industrie du transport par autobus à travers la nation, pour enfin conclure que la sécurité du public voyageur qui voyage entre les villes par autobus était une raison suffisante pour justifier le refus d’embaucher des chauffeurs d’autobus de plus de 40 ans. Dans cet arrêt, la cour a considéré la discrimination d’emploi fondée sur l’âge comme un moyen nécessaire de préserver le dossier de sécurité déjà bien établi du transport par autobus.

Cet arrêt présente un autre point d’intérêt à savoir l’interprétation encore plus poussée qu’on y fait du test de nécessité d’affaires déjà proposé dans l’arrêt Hodgson. Selon la cour, un employeur doit pouvoir démontrer d’abord que l’exigence d’emploi choisie est raisonnablement nécessaire a l’essence de son entreprise. Une fois qu’on a déterminé l’essence de l’entreprise, les mots raisonnablement nécessaire permettent à l’employeur dont l’essence de l’entreprise est la sécurité, d’imposer des exigences d’emploi extrêmement strictes aussi longtemps que ces exigences visent à assurer la sécurité du public.

Ceci démontré, l’employeur doit cependant faire la preuve de deux choses l’une: soit qu’il existe des faits concrets permettant de croire que tous les candidats ou presque tous les candidats qui ont dépassé un certain âge sont incapables d’effectuer leur travail de façon sûre et efficace, soit qu’il n’est pas possible ou pratique d’administrer, de façon individuelle, aux candidats qui ont dépassé un certain âge des tests visant à déterminer s’ils satisfont aux exigences strictes de l’emploi, exigences requises pour des raisons sécuritaires.

La Cour d’appel des Etats- Unis (5e Circuit) a conclu que dans l’espèce, l’employeur avait réussi les deux tests, en ce sens que le transport sécuritaire des passagers était l’essence même de son entreprise et qu’il n’existait pas de procédure d’évaluation individualisée et efficace qui pouvait satisfaire de façon fiable, les exigences spéciales de la compagnie concernant la sécurité. Par conséquent, la cour décida que les restrictions d’âge maximum imposées par la compagnie devaient être maintenues.

Une décision semblable a été rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l’arrêt Voyageur Colonial Ltée, supra; dans cet arrêt, le tribunal a décidé que l’exclusion par la compagnie des candidats de plus de 40 ans pour un emploi comme chauffeur d’autobus était une exigence professionnelle normale et non pas un acte discriminatoire illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Dans tous ces arrêts, les cours avaient dû considérer les exigences du système de réserve ou spécial auquel étaient confrontés les chauffeurs d’autobus nouvellement embauchés. Les éléments de preuve portaient sur la capacité des individus plus âgés de faire affaire avec des situations de stress supplémentaire qu’ils devraient affronter en tant que chauffeurs débutants avec peu d’ancienneté dans le système de réserve, et ce stress, ils devraient pouvoir l’endurer pendant environ dix ans. Puisque les chauffeurs d’autobus de réserve travaillent sur appel et qu’ils doivent être prêts à faire n’importe quel trajet, à n’importe quel moment, avec des périodes de préavis très court, leur travail est imprévisible et physiquement épuisant. C’était en effet ce stress supplémentaire qui inquiétait les cours et le tribunal lorsqu’il s’agissait des candidats plus âgés. Il n’existait dans ces cas, aucune façon de prévoir la capacité d’une personne plus âgée de s’adapter à ce stress. Par conséquent, c’est l’âge qui a été considéré par les cours et le tribunal comme le baromètre le plus fidèle dans ce domaine. Il a donc été conclu que si l’on éliminait cette exigence, les risques de danger pour le public voyageur seraient augmentés.

Ces arrêts n’ont que peu de pertinence à l’affaire dont ce tribunal a été saisi puisqu’il n’existe pas de stress supplémentaire pour une personne plus âgée qui commence comme pilote à Air Canada, pas plus que pour un candidat plus jeune. Il n’existe pas dans l’industrie de l’aviation de système semblable au système de réserve ou système spécial qui existe dans l’industrie du transport par autobus. Les promotions vers un avion plus grand et à des postes plus élevés à la compagnie Air Canada se font graduellement et supposent une formation considérable. De plus, contrairement aux affaires impliquant des chauffeurs d’autobus, il est pratique et même obligatoire pour Air Canada d’assurer la tenue d’examens médicaux réguliers chez ses pilotes. Ceux- ci doivent se soumettre à un examen médical à tous les six mois et ils doivent, tous les deux ans, se soumettre à un autre test préventif. Lorsqu’ils ont dépassé l’âge de 40 ans, les pilotes d’Air Canada doivent se soumettre à des électrocardiogrammes plus fréquents de façon à répondre à des normes gouvernementales plus exigeantes.

Dans l’affaire Houghton v. McDonnell Douglas Corp. 553 F. 2d 561 (Cour d’appel des Etats- Unis, 8e Circuit, 1977, bref de certiorari refusé, 98, S. Ct. 506, 1977), un pilote d’essai de 51 ans qui se trouvait à être le pilote le plus âgé à l’emploi de la compagnie s’est vu transféré d’un poste de pilotage à un poste au sol. La compagnie a prétendu, sans succès, que l’âge était une exigence professionnelle normale aux termes d’un article de la loi The Age Discrimination in Employment Act qui prévoit qu’un employeur peut invoquer un motif de discrimination fondé sur l’âge lorsque cela est raisonnablement nécessaire à l’exploitation normale de l’entreprise en question.

La Cour d’appel des Etats- Unis (8e Circuit) s’est dissociée de l’interprétation donnée par les cours dans les affaires Hodgson et Tamiami, supra à partir des éléments de preuve portant sur le processus du vieillissement qui avaient été présentés.

Contrairement aux autres cours qui avaient considéré le processus de vieillissement du chauffeur d’autobus dans le contexte du vieillissement du public en général, dans l’affaire Houghton la cour a conclu que les pilotes professionnels appartiennent à une catégorie spéciale et que la détérioration inhérente au vieillissement se produit beaucoup plus lentement chez le pilote d’essai que dans le reste de la population. La cour a aussi reconnu davantage l’importance de la technologie médicale comme un moyen de déterminer l’âge fonctionnel, c’est- à- dire l’âge auquel une personne jouit de la capacité mentale et physique de faire un travail. La cour était d’avis que les sciences médicales pouvaient prédire une maladie physique incapacitante chez les pilotes d’essai avec une précision pratiquement à toute épreuve (p. 564). Par conséquent, la cour a décidé qu’il n’existait pas de justification basée sur les exigences professionnelles normales pour imposer une restriction d’âge chronologique aux pilotes d’essai.

Plus tard, la cour a modifié son jugement de façon à modifier la dernière phrase que nous venons de citer et elle a renvoyé l’affaire à la Cour de district afin que celle- ci détermine si le plaignant était encore physiquement capable d’effectuer les tâches de pilote d’essai de façon efficace et sûre, et si c’était le cas, il serait réintégré dans ses fonctions. La Cour de district a décidé qu’elle ne pouvait pas faire pareille conclusion en faveur du plaignant principalement parce qu’il n’existait pas de méthode d’évaluation sûre pour déterminer l’âge fonctionnel ou psycho- physiologique; la cour préférait pécher par excès de prudence au nom de la sécurité, considérant la dégénérescence qui s’inscrit dans l’organisme lors du vieillissement: (1970) 29 F. E. P. Cases 915. Par cette décision, il semble que la Cour de district entre en contradiction avec les principes mêmes sur lesquels s’était basée la Cour d’appel dans sa décision.

Une affaire récente, digne d’intérêt, est l’affaire Criswell et al v. Western Airlines Inc. (la Cour de district des Etats- Unis, District central de Californie, 12 mai 1981, décision non rapportée). Il s’agissait dans cette affaire d’une action intentée en vertu des dispositions de la loi The Age Discrimination in Employment Act, par deux anciens commandants (entre autres) contre la compagnie Western Airlines Inc. Ces deux commandants ayant atteint l’âge de 60 ans, furent requis de se soumettre aux règlements de la Federal Aviation Administration et d’abandonner leur poste de commandant dans la compagnie. Cependant, ces deux pilotes ont voulu offrir leurs services pour un poste moins élevé et continuer à piloter comme officiers en second puisqu’il n’y avait pas d’exigence équivalente imposée par la Federal Aviation Administration concernant la retraite à l’âge de 60 ans pour les officiers en second. Leur demande fut refusée par le défendeur qui allégua une défense d’ exigence professionnelle normale fondée sur le fait que d’après le défendeur le début des maladies et des autres problèmes de détérioration de l’organisme était relié à l’âge et qu’il n’existait pas de façon pratique de pouvoir prédire, chez les pilotes de plus de 60 ans, de façon individuelle, si ces maladies pourraient poser un risque à la sécurité. De nombreux éléments de preuve furent présentés sur ce problème par les deux plaignants et par la compagnie d’aviation. De fait, les deux principaux témoins qui ont fait une déposition dans cette affaire ont aussi rendu témoignage dans la présente affaire: ce sont le Dr Busby pour Air Canada et le Dr Mohler pour les plaignants. La cour s’est trouvée d’accord avec la décision du jury qui a conclu qu’il n’était pas raisonnablement nécessaire à l’essence de l’entreprise du défendeur d’imposer la règle de 60 ans aux officiers en second aussi bien qu’aux pilotes occupant un poste actif; le jury a aussi conclu que la compagnie Western ne possédait pas une base factuelle suffisante pour fonder sa croyance que les officiers en second de plus de 60 ans sont incapables d’exécuter leurs tâches de façon efficace et sûre et qu’il n’était pas totalement impraticable de considérer le cas des officiers en second de plus de 60 ans, de façon individuelle. La cour a conclu que la compagnie Western n’avait pas satisfait l’obligation qui lui incombait d’établir la défense d’ exigence professionnelle normale et il est important de souligner que la cour a fait une distinction entre les tâches d’un ingénieur de vol ou d’un officier en second d’une part, et les tâches d’un commandant et d’un co- pilote d’autre part, dans le sens que les tâches normales des premiers sont moins importantes pour la sécurité en vol que celles des seconds. Bien plus, la règle de l’âge de 60 ans imposée aux pilotes par la Federal Aviation Administration n’avait jamais été imposée par cet organisme aux ingénieurs de vol ou aux officiers en second. Par conséquent, la cour a exprimé l’opinion que l’obligation faite aux officiers en second de plus de 60 ans de prendre leur retraite n’était pas une exigence professionnelle normale raisonnablement nécessaire à l’exploitation normale et sécuritaire de l’entreprise de la compagnie Western.

Une seconde décision récente qui s’apparente à la précédente est celle de Smallwood v. United Airlines (Cour d’appel des Etats- Unis, 4e Circuit, 17 septembre 1981, décision non rapportée). Dans cette affaire, où il était question du même problème que celui qui se pose présentement au tribunal, il s’agissait du refus de la compagnie United Airlines d’embaucher un candidat de 48 ans qui avait 10 ans d’expérience de vol antérieure. La politique de la compagnie était de ne pas embaucher des candidats de plus de 35 ans et aux yeux de cette compagnie, cette politique était fondée sur une exigence professionnelle normale. Le principal élément de preuve était qu’il y aurait des effets néfastes pour la sécurité de cette compagnie aérienne si elle était forcée d’embaucher des pilotes de plus de 35 ans. Ces allégations étaient d’abord à l’effet que l’embauchage de pilotes plus âgés pourrait porter préjudice à l’esprit d’équipage; en d’autres mots, cela nuirait aux opérations sûres et efficaces de ces équipages bien coordonnés de trois personnes, et ensuite, le fait d’embaucher des pilotes de plus de 35 ans, en augmentant considérablement l’âge moyen du groupe des pilotes, ferait augmenter, de façon disproportionnée, les risques de danger dûs à des urgences d’ordre médical durant les vols. Ces deux allégations furent rejetées par la Cour d’appel. Celle- ci conclut qu’il n’y avait pas de preuve solide démontrant que l’esprit d’équipage serait miné par l’embauchage d’officiers en second de plus de 35 ans. Ce fut l’avis de la cour que le soi- disant tort causé à l’esprit d’équipage était davantage relié à l’expérience antérieure et non pas à l’âge à l’embauchage.

Les arguments touchant les questions médicales ont aussi été rejetés par la Cour d’appel qui a conclu que le programme d’examens médicaux de la compagnie aérienne pouvaient avec succès déceler les maladies ou affections qui pouvaient être incapacitantes et que par conséquent la compagnie n’avait pas réussi à démontrer qu’il n’était pas possible ou pratique de considérer un par un les candidats plus âgés.

Le dernier de cette trilogie de récentes décisions américaines est l’arrêt Murname v. American Airlines Inc. (Cour d’appel des Etats- Unis pour le district de Columbia, 1er octobre 1981, décision non rapportée). Dans cet arrêt, la cour en est arrivée à une décision contraire à celle de l’arrêt Smallwood mais cette décision a tenu compte d’un facteur qui n’avait pas été considéré auparavant par les autre cours. Dans cette affaire, un ancien pilote des forces navales de 43 ans avait intenté une action contre la compagnie American Airlines parce que celle- ci avait mis en vigueur la règle de 30 ans selon laquelle la compagnie Americain Airlines refusait d’embaucher toute personne de plus de 30 ans pour le poste d’officier de vol même si par ailleurs cette personne était qualifiée. American Airlines avait comme politique d’embaucher ses officiers de vol en prenant pour acquis que ces personnes seraient éventuellement promues au poste de co- pilote et ensuite de commandant de leurs propres avions. Ce cheminement prenait habituellement de 14 à 20 ans, et en moyenne 16 ans. Aux termes des règlements de la Federal Aviation Administration, les commandants devaient prendre leur retraite à l’âge de 60 ans.

La cour fut forcée de considérer les effets discriminatoires de la règle de 30 ans en autant que cette règle s’appliquait aux personnes de plus de 40 ans, étant donné le champ d’application de la loi The Age Discrimination in Employment Act qui ne s’appliquait qu’aux employés entre l’âge de 40 et de 65 ans. La comparaison s’est donc faite entre un candidat au poste d’officier de vol âgé de 30 ans ou plus jeune d’une part, et un candidat qui avait plus de 40 ans d’autre part. L’officier de vol de 30 ans, pouvait en général avoir accédé au poste de commandant à l’âge de 46 ans et pouvait continuer d’exercer les fonctions de commandant pendant encore 14 ans jusqu’au moment de sa retraite. D’autre part, un candidat de 40 ans qui commençait au poste d’officier de vol, n’était en général capable d’acquérir que quatre ans d’expérience comme commandant avant de devoir prendre sa retraite à l’âge de 60 ans, en vertu des règlements de la Federal Aviation Administration.

A l’étude de ces faits, la cour a constaté qu’en appliquant la règle de 30 ans, la compagnie American Airlines avait à son service des commandants qui avaient accumulé un plus grand nombre d’années d’expérience à cause de cette règle, et que la situation serait différente en l’absence d’une telle règle. La cour a conclu que la sécurité était l’essence même de l’industrie de l’aviation et que les compagnies aériennes avaient le devoir de réduire tous les risques possibles pour ses passagers. Par conséquent, la cour a conclu aussi que la restriction d’âge imposée par la compagnie American Airlines était raisonnablement nécessaire pour préserver cette sécurité puisque la règle de 30 ans avait pour effet de former des commandants jouissant d’une plus longue expérience de vol, ce qui, d’après la cour, favoriserait une sécurité accrue pour les passagers.

Nous en dirons plus au sujet de ces trois décisions un peu plus tard quand nous parlerons des éléments de preuve qui ont été présentés dans la présente affaire, en faveur et à l’encontre de la défense d’ exigence professionnelle normale. La compagnie Air Canada a exposé dans la Pièce R- 3 quelques observations générales au sujet des raisons qui la portent à considérer l’âge comme un facteur important pour le choix des pilotes. A l’appui de son allégation selon laquelle l’âge est un facteur légitime et nécessaire dans le domaine de l’emploi des pilotes, Air Canada a présenté des éléments de preuve qu’il serait pratique de diviser sous les chefs suivants:

Etudes entreprises par Air Canada La dynamique de personnalité de l’équipage et le phénomène du travail sans débouché Le système d’ancienneté La motivation Les revenus de placement Les considérations d’ordre médical Le facteur expérience (d) Etudes effectuées par Air Canada

Air Canada a soutenu jusqu’ici que d’après son expérience passée, il est préférable d’embaucher un pilote bien qualifié mais plus jeune; cela permet d’offrir au candidat en question de meilleures chances pour une carrière de pilotage réussie tout en diminuant les problèmes de compétence et en réalisant par là l’objectif premier de la compagnie aérienne qui est de fournir au grand public un moyen de transport aérien qui soit sécuritaire. A cet effet, plusieurs études ont été effectuées par Air Canada pour examiner l’influence de l’âge sur ces divers facteurs.

(i) L’Etude des 400 pilotes

Dès 1976, le Commandant Sanderson avait proposé une étude de la performance des pilotes dans le but de vérifier la valeur de certains critères d’emploi utilisés pour la sélection des pilotes jusqu’à ce moment- là. Cette étude dont le but principal était l’évaluation de la performance des pilotes avait été rendue nécessaire à cause de la préoccupation d’Air Canada d’atteindre le plus haut niveau possible de sécurité aérienne. Cette étude s’est appelée l’Etude des 400 pilotes (Pièce C- 89). La première partie de l’Etude des 400 pilotes avait comme objectif d’évaluer et de prouver la justesse des critères de sélection qui avaient été utilisés dans le choix d’environ 500 pilotes, de façon à identifier et à modifier selon le cas les forces et les faiblesses des systèmes. La première partie de l’étude portait sur la performance observée pendant la formation initiale au sol, la formation des milles, la formation au simulateur et en vol et une période limitée de service comme pilote de ligne; cette partie de l’étude portait sur les pilotes employés par Air Canada entre février 1978 et juin 1979. La deuxième partie de cette étude le ne devait être entreprise qu’après qu’un groupe contrôle d’environ 400 pilotes eurent complété un minimum de deux ans de service comme pilote de ligne ou encore à l’été 1981; cette deuxième partie devait tenter de mesurer la performance des pilotes de ligne et de faire ressortir les caractéristiques des employés.

L’objectif était de favoriser l’identification de candidats qui non seulement compléteraient avec succès leur formation initiale au sol mais aussi l’identification de ceux qui posséderaient les caractéristiques qui sont vues comme essentielles à ceux qui travaillent dans la cabine de pilotage et enfin les caractéristiques que l’on retrouve chez les employés d’Air Canada qui sont bien motivés, loyaux et dévoués. (Voir la Pièce C- 89, p. 2).

On voulait par cette étude établir des dénominateurs communs aux groupes de succès et d’échec et pouvoir ainsi faire des comparaisons entre les deux pilotes dont la performance était la meilleure dans chaque classe durant cette période, et les membres de ces classes qui avaient failli. Le Commandant Sanderson a expliqué le fait qu’on ait choisi seulement les deux pilotes dont la performance était la meilleure dans le groupe qui avait réussi, comme étant conforme au désir d’Air Canada d’embaucher seulement les meilleurs candidats: c’est pourquoi les efforts de la compagnie portaient sur l’identification des caractéristiques communes à ceux qui rempliraient le mieux cet objectif et réciproquement, à l’identification des caractéristiques observées chez les candidats qui se classaient dans le groupe d’échec.

Les résultats de cette étude tels que soumis par Air Canada sont les suivants:

  1. Le groupe qui a réussi le mieux pendant la phase initiale de la formation fut celui des diplômés des collèges d’aviation et de ceux qui avaient fait deux années d’études post- secondaires. D’autre part, la performance la moins bonne fut celle de ceux qui avaient terminé leurs études secondaires seulement.
  2. On a constaté que plus le nombre d’années écoulées depuis que les pilotes avaient quitté les études traditionnelles était élevé, moins la performance des pilotes était bonne.
  3. On a constaté aussi que le pilote qui avait la plus grande chance de réussir était celui qui avait à son crédit un temps de vol entre 2,000 et 2,499 heures. Au contraire, les pilotes qui avaient la moins grande chance de succès étaient ceux qui avaient accumulé moins de 1,500 heures de vol et ceux qui avaient plus que 5,000 heures de vol.
  4. Cette étude a aussi révélé que les pilotes dont l’expérience antérieure était dans le domaine militaire ou dans le domaine des vols nolisés pour les gens d’affaires avaient une meilleure performance que ceux qui avaient acquis leur expérience comme instructeur de vol.
  5. La majorité des pilotes qui ont réussi sont dans le groupe d’âge de 20 à 26 ans; le taux de succès diminue à mesure que l’âge d’entrée augmente jusqu’au point où aucun pilote âgé de 30 ans ou plus n’a pu se classer en première ou deuxième place dans le groupe de formation au sol.
  6. Le taux d’échec parmi tous les pilotes d’un groupe d’âge donné augmente avec l’âge des pilotes.

Après étude des résultats de la Phase 1 de l’Etude, Air Canada soutient qu’il existe certains attributs communs à chacun des groupes qui ont le mieux réussi d’une part et à ceux qui ont le moins bien réussi d’autre part. En conséquence, on a compilé ces attributs de façon à dessiner un profil idéal dont se servirait le Comité de sélection des pilotes d’Air Canada pour tenter de déterminer lesquels de tous les candidats ont les meilleures chances de succès. D’après Air Canada, ce profil- type est en accord avec les critères adoptés par la compagnie et appliqués pendant les années de 1977 à 1980. C’est en 1980 que ce profil- type a été établi et la Pièce R- 7 en fait état de la façon suivante:

"Profil de 1980 (Profil- type)

PLUS INDIFFÉRENT MOINS LICENCE Licence de transport Licence aérien/ licence commerciale commerciale avancée

NIVEAU 2 années d’études DIPLOME DIPLOME D’INSTRUCTION post- secondaires UNIVERSITAIRE D’ÉTUDES ou diplôme du SECONDAIRES Collège d’aviation

AGE De 20 à 26 ans - Plus de 27 ans

EXPÉRIENCE Expérience militaire Pilote de Instructeur ou expérience des de brousse d’école de vols nolisés pour pilotage gens d’affaires

HEURES De 2,000 à 2,500 1,500/ 3,000 Moins de 1,500 DE VOL heures heures/ plus de 5,000 heures NOMBRE PAS plus que 5 ans - Plus de 7 ans D’ANNÉES ÉCOULÉES DEPUIS LA FIN DES ÉTUDES

La Phase 2 de l’Etude des 400 pilotes fut entreprise non pas après la deuxième année d’emploi des pilotes comme pilotes de ligne comme on se l’était proposé au début mais, pendant la première année; ce changement de méthode répondait à un changement d’objectif: on voulait maintenant mesurer la performance des pilotes durant la première année de pilotage pour pouvoir établir une relation entre les résultats ainsi obtenus et les nouveaux critères de recrutement. Tout le reste des pilotes qui avaient été inclus dans la Phase 1 de l’Etude des 400 pilotes a été inclus dans le groupe contrôle qu’on se proposait d’étudier pendant la Phase 2 de l’Etude. De fait, les 400 pilotes du groupe de départ sont tous demeurés à l’emploi de la compagnie à l’exception de trois. Ceux qui ont quitté étaient âgés de 28 ans ou plus; deux des trois pilotes ont reçu leur congé à cause de leur piètre performance et l’autre a donné sa démission.

Air Canada soutient que les résultats de la Phase 2 de l’Etude des 400 pilotes ont été les suivants:

    Il existe un plus grand pourcentage de pilotes plus jeunes dont la performance se maintient à un niveau satisfaisant ou plus haut que la normale.

    Un plus grand pourcentage de pilotes plus jeunes placés dans des postes moins exigeants (par exemple officiers en second dans un DC- 8 ou officiers en second dans un B- 727 se sont classés à un niveau satisfaisant ou plus élevé que le groupe dans son ensemble. Un pourcentage beaucoup plus petit de pilotes plus âgés affectés aux mêmes postes se sont classés à un niveau satisfaisant ou plus élevé que le groupe dans son ensemble.

    On a pu constater que le niveau de motivation des pilotes plus jeunes demeurait beaucoup plus élevé lorsqu’ils étaient assignés à des postes moins exigeants. On a aussi pu constater que les pilotes plus âgés et plus expérimentés qui étaient assignés à des postes plus exigeants supposant une plus grande motivation, se maintenaient à un plus haut niveau de performance. L’importance de cette observation est la suivante: les effets combinés du système d’ancienneté et des exigences changeantes concernant les pilotes rendaient impossible pour Air Canada la tâche de prédire ou de contrôler l’assignation des pilotes nouvellement embauchés à un avion en particulier. Par conséquent, étant donné le fait qu’Air Canada est persuadé qu’il existe une relation entre la motivation et la performance et de là la sécurité, elle s’inquiétait des problèmes de motivation qui pourraient surgir si un pilote expérimenté était assigné à un poste moins exigeant.

Air Canada soutient donc que les résultats de la Phase 2 de l’Etude confirment encore davantage la validité du profil- type de 1980 qui avait été établi lors de la Phase 1 de l’Etude et qui avait été constitué à partir de directives antérieures d’embauchage contenues dans la Pièce R- 3. De plus, Air Canada a soutenu dans sa plaidoirie que si l’on applique, de façon rétroactive, le profil- type à ceux des pilotes qui n’ont pas réussi leur formation durant les années 1965 à 1976, l’étude des dossiers révèle que 91 p. 100 de ceux qui n’ont pas réussi ne répondaient pas aux normes établies par le profil- type pour un groupe d’âge donné. Air Canada soutient donc que le profil- type peut être utilisé de façon avantageuse pour prévenir des échecs possibles.

L’avocat de la Commission recommande avec insistance que les deux phases de cette étude soient considérées dans leur véritable contexte. Cette étude a eu comme point de départ un document intitulé Propositions pour une politique d’embauchage à Air Canada (Pièce C- 91) qui avait été préparé par le Commandant Sanderson en février 1977; à cette époque, le commandant avait la responsabilité de l’embauchage des pilotes pour toute la compagnie.

Le but de ce document était décrit de la façon suivante:

"Il s’agit ici simplement de rendre plus officielle des pratiques déjà établies dans le passé par des individus et des comités chargés de la sélection des pilotes. On doit rendre hommage à ces hommes qui ont assumé les responsabilités de l’embauchage avec tant de compétence sans pouvoir s’appuyer sur des directives officielles."

L’avocat de la Commission soutient que cette citation illustre bien le fait que le projet du Commandant Sanderson qui fut par la suite intégré dans l’Etude des 400 pilotes n’avait pas pour but un examen entièrement objectif de la situation mais simplement de rendre officielles les pratiques existantes.

Bien plus, lorsque ce projet a été proposé, on n’était pas sans se rendre compte du climat de pression sociale grandissante visant à éliminer la discrimination dans le domaine de l’emploi. On peut en effet lire à la rubrique But les lignes suivantes:

"En plus de cet aspect mathématique, il faut tenir compte des complications sociales, culturelles et politiques qui se font jour alors que les individus, forts de leur conscience sociale accrue, tentent par divers moyens d’exercer leur droit d’être embauchés."

Ce passage est immédiatement suivi par une déclaration selon laquelle l’objectif du département des opérations de vol devrait encore être de préserver l’autonomie de celui- ci dans le domaine de la sélection des pilotes. D’après le département, les pilotes qu’il choisit sont les meilleurs pilotes ou employés possibles, disponibles à n’importe quelle période d’embauchage. Aussi, sous la rubrique Qualifications dans le même document, on trouve les commentaires suivants au sujet de savoir si l’exigence médicale d’acuité visuelle de 20 sur 20 doit être assouplie:

"On pourrait peut- être assouplir cette exigence si l’application stricte de celle- ci avait pour effet d’exclure des candidats autrement exceptionnels ou encore si l’on croyait que des pressions sociales du genre chances égales rendaient cet assouplissement nécessaire...".

Même à ce moment- là, alors que le projet n’était qu’à l’état embryonnaire, le Commandant Sanderson a inclus dans sa liste de qualifications la limite d’âge suivante:

"Age: un minimum de 20 ans, un maximum de 29 ans. Des exceptions pourront être faites si le Comité de sélection des pilotes s’entend à l’unanimité sur le fait qu’il existe chez un candidat donné des qualifications suffisantes pour compenser le désavantage créé par l’âge."

En ce qui concerne les questions de fond relatives à l’Etude des 400 pilotes, on doit noter d’abord que le Commandant Sanderson a préparé cette étude sans recourir à l’aide de la spécialiste en statistiques d’Air Canada. Ce n’est qu’après que l’information eut été recueillie que cette spécialiste a été consultée. Sa seule participation spécifique a consisté à faire des suggestions au sujet de la charte que l’on peut voir à la page 5 de l’Appendice 7 de la Pièce R- 3. La statisticienne n’a pas participé à la préparation de la Phase 2 de l’étude.

Le nombre total des pilotes qui furent embauchés durant la période correspondant à la Phase 1 de l’Etude a été de 388. Cependant, seulement 70 de ce nombre ont été inclus dans l’Etude, ce qui fait que seulement deux des pilotes qui avaient réussi dans chaque classe (ce groupe de 36 pilotes a été appelé le groupe du succès) furent comparés avec tous les membres du groupe qui avaient subi des échecs (34 au total). Il s’ensuit que 318 pilotes qui avaient réussi leur formation pendant cette période (c’est- à- dire 80 p. 100) ne furent d’aucune façon inclus dans l’étude.

La Phase 1 de l’Etude fut préparée et présentée au mois de décembre 1979 à un séminaire sur la sélection des pilotes, séminaire qui fut tenu plus d’un an après que les plaintes qui nous occupent eurent été reçues par Air Canada. L’avocat de la Commission soutient que la véritable raison pour laquelle la Phase 1 de l’Etude a été mise sur pied était l’existence même de ces plaintes. A preuve, la rubrique de l’ordre du jour de la réunion du Comité de sélection des pilotes de 1979 au cours de laquelle la Phase 1 de l’Etude a été présentée, se lisait Rapport sur la question de la discrimination fondée sur l’âge; comme le Commandant Sanderson l’a admis durant son témoignage, ce rapport est pertinent à l’objet de la présente audience.

L’avocat de la Commission souligne aussi certains points relatifs à la Phase 2 de l’Etude, lesquels, selon lui, affectent la crédibilité de l’Etude. Comme nous l’avons mentionné, la Phase 2 se proposait d’abord d’évaluer le groupe de 388 pilotes après deux années de service comme pilotes de ligne. Après coup, cela fut changé et l’on a étudié la performance des pilotes au moment où ceux- ci complétaient leur période de probation bien que le nouvel objectif de la Phase 2 de l’Etude ait été d’évaluer la performance des pilotes pendant leur première année de vol comme pilotes de ligne. L’avocat de la Commission souligne le fait qu’il n’y avait pas d’examen de probation jusqu’au printemps de 1980 et que le facteur d’âge était le seul élément du profil- type décrit dans la Phase 1 de l’Etude qui était maintenant évalué en détail dans la Phase 2 de l’Etude. Par conséquent, l’avocat de la Commission soutient que les deux phases de l’Etude ont été le résultat d’efforts tendancieux de fournir des preuves spécifiques pour la défense d’Air Canada durant cette audience bien plus qu’une véritable analyse objective du processus de sélection et d’embauchage des pilotes. L’avocat de la Commission a fait témoigner un statisticien de façon à ébranler les bases de l’Etude des 400 pilotes de même que les conclusions qui en dérivent. Cet expert M. Terry James Cheney, a fait un certain nombre de critiques dont la plus importante a trait au fait que l’étude n’a pas été préparée de façon adéquate et aussi au fait que les données qui ont servi de base à cette étude étaient beaucoup trop limitées pour permettre de faire des conclusions significatives.

M. Cheney a aussi critiqué le fait qu’il n’y a pas eu pour cette étude d’étape de préparation comme telle. De plus, aucun critère de contrôle de la qualité ne fut établi au sujet de la façon de résoudre les problèmes créés par les données brutes. Bien plus, la base des données était si restreinte dans plusieurs cas, qu’une seule personne de plus ou de moins pouvait faire une grande différence dans les résultats obtenus.

Cet expert en statistiques a aussi témoigné du fait que si l’on voulait faire une étude significative pour pouvoir déterminer si des conclusions spécifiques peuvent être tirées du facteur âge d’un candidat, il serait important de constituer un groupe représentatif dans lequel on aurait éliminé un certain nombre de facteurs pouvant influencer les taux de succès ou d’échec. D’après cet expert, une telle étude pourrait s’étendre sur une période aussi longue que 20 ans parce qu’il est fort possible qu’un individu âgé de 25 ans ou de 45 ans en 1950 puisse avoir fait preuve d’une performance tout à fait différente de celle de quelqu’un d’âge comparable embauché aujourd’hui. Il faudrait aussi trouver une façon d’assurer une représentation adéquate pour les groupes spéciaux. Il déclara à cet effet:

"... Si vous essayez de faire certaines inférences concernant les personnes de plus de 30 ans, il faudrait que vous ayez assez de personnes de plus de 30 ans qui ont été embauchées pendant les périodes maximums d’embauchage et aussi qui ont été embauchées durant les périodes minimums d’embauchage, qui répondraient à certains types de statut marital, certaines origines ethniques, tout un ensemble de choses, pour qu’on soit capable-- ce qu’on essaie de faire c’est de trouver un moyen d’isoler le facteur âge de façon à pouvoir dire: si nous trouvons un effet et que nous avons contrôlé tous les autres facteurs, la seule chose qui peut nous causer des problèmes ici ce serait l’âge. Par conséquent, l’âge doit être le facteur qui est déterminant." (Transcription, p. 2031)

Au sujet des graphiques placés en appendice de la Pièce R- 3, il déclara:

"Selon moi, si l’on considère ces différents graphiques et tableaux, l’élément le plus constant qui ressort à l’observation, c’est que la base des données est très restreinte et elle l’est particulièrement pour certains des facteurs, et aussi, plus l’âge avance plus le nombre des représentants de chaque groupe devient petit. De fait, en ce qui concerne les personnes de plus de 30 ans, les nombres sont si petits que cela n’a pas de sens." (Transcription, p. 2033)

En ce qui concerne la Phase 1 de l’Etude des 400 pilotes, M. Cheney déclara que puisque cette phase de l’Etude avait porté sur seulement 66 pilotes, tout ce que l’on pouvait faire avec la Phase 1 était de décrire les caractéristiques de 66 pilotes. D’après lui, nul ne peut tirer aucune conclusion au sujet des chances de succès d’un candidat engagé dans le programme de formation, à partir des résultats de la Phase 1 de l’Etude.

M. Cheney s’en est pris aux graphiques et à la façon dont ils étaient présentés à l’Appendice 7 de la Pièce R- 3. L’une de ses critiques portait sur le fait qu’il pouvait être trompeur de décrire les données en terme de pourcentage. Le nombre de personnes qui avaient fait l’objet de l’enquête était insuffisant pour justifier la compilation des données en pourcentages. Seulement 66 pilotes au total avaient été inclus dans les groupes de succès et d’échec de la Phase 1 de l’Etude et l’utilisation des pourcentages pour de si petits nombres peut conduire à une sorte de distorsion visuelle de la situation réelle. En ce qui concerne le premier graphique qui présente les heures de vol des candidats au moment où ils sont embauchés, et en termes de succès et d’échec, M. Cheney a trouvé que la réaction visuelle immédiate de l’observateur à la première catégorie, c’est- à- dire celle des candidats ayant accumulé de 1,000 à 1,499 heures de vol, est qu’il existe deux fois et demie plus de risques d’échec que de succès pour un candidat de cette catégorie. De fait, ces graphiques ne présentent pas le pourcentage relatif de succès ou d’échec des candidats mais bien le pourcentage de succès ou d’échec du groupe d’échec qui avait accumulé ces nombres d’heures de vol.

De plus, on retrouve sur l’axe horizontal des divisions d’environ 500 heures. Etant donné le fait qu’il y a seulement 33 personnes dans chacun des groupes de succès et d’échec, Air Canada a donc décidé de diviser encore ces 33 personnes en huit catégories distinctes de nombre d’heures de vol accumulées au moment de l’emploi. Selon M. Cheney, il n’y a pas assez de données de base permettant cette division en huit catégories distinctes pour avoir assez de cas dans chaque catégorie de façon à pouvoir faire des interprétations statistiques valables. D’après M. Cheney, puisqu’il n’y avait que 33 candidats dans chaque groupe, c’eut été préférable de les diviser en seulement trois ou quatre catégories. A l’étude de ce graphique, M. Cheney était d’avis qu’un observateur pourrait facilement avoir l’impression que les candidats avec le moins grand nombre d’heures de vol ont de plus grands risques d’échec; mais d’autre part, si l’on regarde les groupes qui ont accumulé plus de 2,500 heures de vol, il n’y a pas beaucoup de différence entre le succès et l’échec en terme du nombre d’heures de vol. En fait, d’après M. Cheney, ce que le graphique représente vraiment c’est que dans le groupe d’échec, 20 p. 100 des candidats avaient de 1,000 à 1,499 heures de vol, 35 p. 100 avaient de 1,500 à 1,999 heures de vol et ainsi de suite. Dans son état actuel, le graphique ne dit rien de la probabilité de succès ou d’échec pour le candidat moyen. Si l’on tient compte de ces limites, M. Cheney est d’avis que tout ce que l’on peut conclure en interprétant ces données est que le temps de vol n’a que peu d’effet sur la probabilité d’un candidat de se placer dans le groupe qui a failli ou dans celui qui a réussi.

Le graphique 2 que l’on retrouve à l’Appendice 7 de la Pièce R- 3 prétend décrire l’expérience de vol des groupes qui ont réussi et qui ont échoué, expérience accumulée avant leur entrée à Air Canada. M. Cheney a déclaré dans son témoignage qu’un premier coup d’oeil sur ce graphique laisse supposer que ceux qui étaient auparavant instructeurs de pilotage ont deux fois plus de risques d’échec que de chances de succès et que ceux qui avaient travaillé comme pilotes de brousse semblent avoir des chances égales de succès ou d’échec et que ceux qui avaient une expérience dans le domaine militaire ont la meilleure chance de réussir et que ceux qui ont piloté des avions nolisés ou des vols destinés au transport des gens d’affaires ont environ six fois plus de chances d’échouer et que les pilotes de vols réguliers ont autant de chances de succès que de risques d’échec bien que les chances de succès soient un peu plus grandes. De fait, selon M. Cheney une étude de ce graphique révèle qu’en réalité, le groupe qui a échoué était composé à 54 p. 100 d’instructeurs, à 30 p. 100 de pilotes de brousse, aucun n’avait d’expérience militaire, trois avaient piloté des vols pour gens d’affaires et 12 p. 100 étaient pilotes de vols réguliers. Cependant, le graphique ne dit rien des chances de succès que pourrait avoir un individu dont l’expérience de vol est dans un domaine donné.

M. Cheney a souligné encore la difficulté qui surgit lorsqu’on utilise une base de données très restreinte comme ce fut le cas dans la catégorie militaire. Il a souligné que dans cette étude la catégorie militaire ne représentait que deux personnes. Quand on dispose d’une base de données si restreinte, il faudrait normalement, selon les procédures statistiques, établir un marge de confiance i. e. une marge d’erreur. Si cette marge de confiance correspondait, dans les circonstances, à une personne, plus ou moins, la catégorie militaire pourrait changer de telle façon que la représentation visuelle des chances de succès serait précisément égale aux risques d’échec en prenant pour acquis qu’une personne pourrait se déplacer à partir du groupe qui a réussi jusqu’au groupe qui a échoué, ce qui indique en fin de compte qu’une différence d’une personne plus ou moins représente une différence énorme dans la façon dont les choses sont interprétées.

Dans le même esprit, M. Cheney a critiqué le troisième graphique où l’on peut voir les niveaux d’instruction et les catégories d’âge, en disant que ce graphique ne pourrait pas permettre à un observateur de connaître les chances de succès d’un candidat moyen en se basant sur le niveau d’instruction de celui- ci. Le témoin observait encore:

"... ce que l’on constate encore ici c’est qu’il y a trop peu de cas pour couvrir toutes les situations de façon complète. La raison de ceci n’est pas le fait qu’il n’existe pas de gens de 27 ans et plus ayant complété une ou deux années d’études post- secondaires ou munis d’un diplôme collégial, non ce n’est pas parce qu’il n’existe pas de gens de 27 ans et plus dans la population canadienne qui n’ont pas ces caractéristiques. C’est plutôt parce que la base de données n’est pas assez large pour pouvoir contenir des représentants de ces catégories de gens et il est certainement impossible que nous fassions des conclusions absolues dans les cas où ces gens ne sont pas représentés. Ce fait souligne encore davantage les limites inhérentes aux données que vous avez ici..." (Transcription, p. 2057)

Un premier coup d’oeil jeté sur le Graphique 4 de l’Appendice 7, intitulé Age à l’entrée, laisse penser que les candidats âgés de 20 à 23 ans semblent avoir deux fois plus de chances de succès que de risques d’échec, les candidats âgés de 24 à 26 ans ont à peu près autant de chances de réussir que de risques d’échouer et les candidats qui appartiennent à la catégorie des 27- 29 ont probablement plus de risques d’échec que de chances de succès tandis que les candidats âgés de 30 ans et plus semblent n’avoir à peu près aucune chance de réussir. En fait, ce qu’on peut voir sur ce graphique, c’est la description par catégorie du groupe qui a échoué et des deux candidats qui se sont classés premiers dans le groupe qui a réussi. Le graphique permet de voir que 21 p. 100 des candidats du groupe qui a échoué étaient âgés de 20 à 23 ans, 36 p. 100 des candidats étaient âgés de 24 à 26 ans, 30 p. 100 étaient âgés de 27 à 29 ans et 12 p. 100 étaient âgés de 30 à 32 ans. Ce graphique ne permet pas de connaître la probabilité d’échec d’un candidat moyen.

M. Cheney a aussi passé en revue les conclusions de la Phase 1 de l’Etude des 400 pilotes, portant sur les candidats qui ont le mieux réussi et aussi sur les caractéristiques de ceux qui ont échoué. En ce qui concerne le facteur âge, l’expert a constaté que la corrélation n’est pas très forte entre le facteur âge et l’échec en autant qu’une analyse des données brutes permet de le dire. De toute façon, les graphiques de l’Appendice R- 3 tendent à montrer que c’est plutôt dans la catégorie des 24- 26 que l’on retrouve les échecs.

Au sujet du profil- type de 1980, M. Cheney a constaté que les données disponibles permettent de dire que le facteur âge est un facteur positif dans le groupe des 20- 23. Ce facteur est neutre pour le groupe des candidats âgés de 27 ans et plus tandis que l’âge est un facteur négatif pour ceux qui se trouvent dans la catégorie des 24- 26.

En ce qui concerne la rubrique Expérience dans le profil- type, l’expert a déclaré qu’aucun crédit ne devrait être donné à une expérience militaire antérieure dans le contexte de cette étude parce qu’on ne pouvait pas faire confiance au très petit nombre de données qui étaient disponibles.

Quant au nombre d’heures de vol du profil- type, aucune donnée n’a été recueillie, qui serait applicable au candidat moyen. Au contraire, la comparaison qui a été faite a mis en regard le candidat très idéal et le candidat qui a subi un échec ce qui ne nous renseigne pas sur le candidat moyen. De toute façon, le facteur du nombre d’heures de vol ne s’est pas révélé significatif. L’expert a aussi souligné le fait qu’on avait donné à chaque facteur du profil- type un poids égal et l’analyse d’une candidature se faisait en enlevant un ou deux facteurs du profil- type. D’après M. Cheney, et c’est là une autre des observations qu’il a faites au sujet du caractère inadéquat des données de l’étude, on ne doit pas donner à tous ces facteurs une valeur égale.

Le témoignage de M. Cheney a aussi porté sur la Phase 2 de l’Etude des 400 pilotes; l’expert a fait remarquer que seulement le facteur âge du profil- type de 1980 avait fait l’objet d’une étude en profondeur tout au cours de la Phase 2. D’après lui, le fait de considérer l’âge en lui- même sans prendre soin de l’insérer dans un contexte, peut conduire à des conclusions trompeuses. Dans la Phase 2 de l’étude, il n’y a eu aucune évaluation systématique ou complète de tous les autres facteurs qui peuvent affecter la performance d’un candidat. Lors de la Phase 2, on a encore une fois tenté de faire des comparaisons en se servant de pourcentages: étant donné les nombres restreints dont on dispose, ces pourcentages sont sujets à des fluctuations rapides lorsqu’une personne de plus ou de moins est considérée comme ayant réussi ou comme ayant échoué. Après avoir constaté les limites inhérentes à la base de données, M. Cheney ne pouvait pas affirmer que les conclusions étaient valides sur le plan statistique. De plus, on doit noter que les examens de probation ont commencé à être imposés au printemps 1980 et, par conséquent, l’obligation de passer des examens pour terminer la période de probation n’a pas été imposée à tous les pilotes. M. Cheney a donc fait remarquer qu’il était apparent que ce n’était pas tous les pilotes de l’étude qui avaient les mêmes caractéristiques ou qui avaient fait les mêmes expériences puisqu’ils n’avaient pas tous été soumis aux examens de probation.

M. Cheney a aussi fait d’autres critiques par rapport à la Phase 2 de l’étude et il a émis l’opinion que les chiffres disponibles ne pouvaient pas nous permettre de conclure qu’un plus grand pourcentage de pilotes plus jeunes avaient de meilleurs résultats. Au sujet des deux phases de l’Etude des 400 pilotes, M. Cheney a donné l’opinion suivante en ce qui concerne l’aspect statistique de la méthodologie utilisée:

"Comme je l’ai dit presque au début de nos conversations, quand on prépare ce genre de projet de recherche c’est- à- dire un projet qui ne comporte pas de rigueur statistique ou à partir duquel on peut faire des inférences statistiques... ce projet décrit plutôt des données de base très statiques. Donc, de ce point de vue, ce projet est assez gravement limité quant au genre d’inférences que l’on peut faire à partir des résultats obtenus. Je pense que ceci devrait être considéré comme une limite importante de l’étude. En plus de cela, et à cause de tous les facteurs que nous avons déjà énumérés, dans le domaine du contrôle de la qualité des données, de la façon dont les données ont été traitées, la sorte d’analyse qui en a été tirée, il faudrait faire plusieurs réserves avant de pouvoir faire quelque conclusion que ce soit à partir de l’étude et peut- être même avant de pouvoir faire des décisions ou des recommandations à partir des données de l’étude.

... Si nous voulons essayer d’utiliser les données et je pense que c’est ce qu’il faut faire dans la vie réelle, nous n’avons pas l’environnement idéal propre à la recherche, mais bien un environnement concret et cela n’est peut- être pas la peine de le dire mais je pense que dans le monde réel des affaires où l’on fait des décisions de gestion, que ceci est un rapport type de recherche en gestion. Il n’y a aucune raison de penser que ceci est particulièrement mauvais ou artificiel ou quoi que ce soit d’autre. Je pense que c’est le genre de documentation avec laquelle un gestionnaire doit travailler et le problème est de savoir quelle est la meilleure décision qu’il peut faire en connaissance de cause et à la lumière de ces données.

... Je pense qu’en ce qui concerne la décision des cadres supérieurs de donner une suite concrète à ces résultats, vous vous devez de reconnaître qu’il existe d’autres façons d’assurer le contrôle de la qualité des données. La façon dont les données sont représentées peut vous induire en erreur et vous pourriez vouloir parler avec les chercheurs afin de découvrir ce qu’ils voulaient dire vraiment ou encore comment vous devriez utiliser les résultats de façon prudente, et alors vous devez reconnaître qu’a cause de la façon dont l’étude avait été préparée, les résultats ne vous disent vraiment pas grand- chose au sujet de tous les 400 candidats. Les résultats ne vous disent pas grand- chose au sujet du groupe qui sera recruté l’année prochaine. Vous ne savez pas grand- chose non plus au sujet des candidats de plus de 30 ans." (Transcription, pp. 2094- 2096)

A cause de ces insuffisances, la Commission soutient qu’on ne peut tirer aucune conclusion valable sur la probabilité de succès des candidats plus jeunes par opposition aux candidats plus âgés. La Commission soutient aussi que cette étude pourrait avoir été faite avec beaucoup plus de précision et d’une façon qui aurait été beaucoup plus utile, si l’on considère qu’Air Canada dispose d’une banque de données et de ressources professionnelles considérables dans le domaine des statistiques. De plus, comme nous l’avons mentionné plus haut, on peut se poser de sérieuses questions au sujet de l’objectivité qui a été à l’origine de cette étude puisque celle- ci a été entreprise à la suite des plaintes déposées devant le présent tribunal. L’avocat du défendeur a répondu que M. Cheney ne possédait pas l’expérience immédiate nécessaire pour analyser et évaluer de façon adéquate le matériel de recherche en question. M. Cheney a reconnu qu’il n’avait que très peu d’expérience dans le domaine de la gestion du personnel, qu’il n’avait pas d’expérience dans le recrutement, qu’il n’avait pas joué de rôle dans l’évaluation de la performance des employés, qu’il n’avait jamais été engagé dans aucun aspect des opérations d’une compagnie aérienne et qu’il n’avait jamais non plus travaillé dans le domaine de l’analyse de la performance des pilotes. M. Cheney a aussi concédé le fait qu’il ne connaissait aucune autre étude au sujet du recrutement des pilotes, plus digne de foi que celle des 400 pilotes et qu’au meilleur de sa connaissance, il n’existait de fait aucun autre rapport sur le sujet. D’après l’avocat du défendeur, à quelques reprises durant son témoignage, M. Cheney a fait preuve d’un manque de compréhension du point de départ de ces études. De plus, et ceci est encore plus important, l’avocat du défendeur soutient que M. Cheney a en fait reconnu que l’attitude d’Air Canada dans l’Etude des 400 pilotes était une attitude très normale de la part de gestionnaires.

Il m’est impossible de conclure que les soi- disant faiblesses du témoignage de M. Cheney rendent moins valable sa conclusion fondamentale selon laquelle il est suspect de la part d’Air Canada de tirer des inférences à partir des données relatives à l’âge des pilotes. La conclusion de M. Cheney, que j’accepte, est que l’Etude des 400 pilotes, phases 1 et 2 n’est pas valide sur le plan statistique et n’est pas non plus utile dans la mesure où on pourrait se servir des résultats obtenus comme base des conclusions soumises par le Commandant Sanderson. De plus, lorsque M. Cheney a dit, dans son témoignage, que l’Etude des 400 pilotes reflétait une attitude normale de la part de gestionnaires, il ne disait pas que l’Etude était acceptable mais seulement normale dans le sens qu’il arrive souvent que des études pareillement inadéquates soient faites par les gestionnaires d’une compagnie ce qui occasionne des interprétations incorrectes. D’après les mots mêmes de M. Cheney:

"Ceci est probablement la sorte de document dont se servent les gestionnaires et qui est basé sur les meilleures données disponibles, d’un point de vue statistique, et dont les données sont rassemblées dans une assez courte période de temps et qui se propose un but très limité. Et si je peux tenter d’illustrer-- et ceci n’est pas du tout pour être plus précis- j’imaginerais que quelqu’un a dit: donnez- moi quelques renseignements sur certains facteurs. Un individu du groupe C- 90 a déjà recueilli un tas de renseignements sur certains facteurs et quelqu’un dit: très bien, je suis intéressé à celui- ci, je suis intéressé à cet autre, je suis intéressé à celui- là, et il rassemble toute cette information. Le résultat en est un document très spécialisé, un genre d’étude destinée aux gestionnaires ou une étude des ressources et vous avez devant vous la sorte d’imprécision et d’inconséquence aussi bien que de renseignements qui peuvent induire en erreur et c’est le risque que vous courez en faisant ce genre de chose. Et dans une telle situation de recherche, si quelqu’un doit prendre une décision où il désire tenir compte de l’information recueillie auparavant et qu’il en tiendra compte disons à 5 p. 100, ceci peut être aussi utile que n’importe quoi d’autre. D’autre part, s’il s’agit d’un facteur qui va influencer beaucoup la décision, alors vous voudrez probablement que plus de temps soit consacré à la recherche. Si cette étude fait partie d’un ensemble de 27 autres études qui reposent sur les tablettes, c’est peut- être là son rôle." (Transcription, pp. 2181- 2182)

Bien que les preuves statistiques n’aient pas été utilisées très souvent dans les affaires de discrimination au Canada, on utilise ce genre de preuve de façon régulière aux Etats- Unis dans les cas de discrimination d’emploi, les statistiques en disent souvent beaucoup et les cours tendent l’oreille. (Voir State of Alabama v. U. S. 304, F. 2d 583, 586 (5e Circuit, 1962), confirmé per curiam, 371 U. S. 37 (1962)). La Cour Suprême des Etats- Unis a souligné récemment que les analyses statistiques ont joué un rôle important et continuent de le faire dans les cas où l’existence de discrimination est un problème en litige. (Voir Teamsters v. U. S., 431 U. S. 324 (1977)). Cependant, tout en reconnaissant l’importance des statistiques, la Cour Suprême des Etats- Unis dans l’affaire Teamsters a aussi fait remarquer que les statistiques ne sont pas irréfutables; elles se présentent en une infinie variété et comme toute autre preuve, elles peuvent être réfutées. En bref, leur utilité dépend de tous les faits et circonstances qui les entourent. (Voir à la p. 418). Le Commandant Sanderson lui- même a reconnu ce principe quand il a dit:

"Il existe un vieux dicton qui dit que le Lac Erié ne mesure en moyenne que 4 pieds et demi de profondeur mais je ne me hasarderai pas à le traverser à pied parce qu’il existe des trous plus profonds que cela. Et j’aimerais dire, d’accord avec vous, que nous ne serions jamais en désaccord et j’espère avoir fait comprendre clairement tout au long de mon témoignage que nous ne considérons pas ce que nous avons dit comme étant des vérités inflexibles. Ce que nous voulons c’est seulement le plus grand nombre, le plus grand nombre de traits dans le but d’identifier des dénominateurs communs qui nous aideraient à constituer un profil." (Transcription, p. 1174)

Je reconnais volontiers qu’il est très important de pouvoir déterminer quelles sont les caractéristiques qui contribuent à faire les meilleurs pilotes qui conduisent leurs avions de la façon la plus sécuritaire possible et que, bien sûr, la compilation de données est utile dans ce but. Le fait que l’Etude des 400 pilotes soit inacceptable n’est pas dû à la nature des données qu’elle contient. Bien plutôt, c’est la représentation des données ainsi que les conclusions qu’Air Canada tente d’en tirer qui font la fragilité de cette étude.

(ii) L’Etude des navigateurs:

La deuxième étude entreprise par Air Canada porte sur la performance de 51 navigateurs à qui la compagnie a donné la chance de se qualifier pour devenir pilotes. En 1972, Air Canada s’est sentie responsable de ses navigateurs lorsque le poste de navigateur est devenu superflu à la suite de l’introduction d’un nouvel équipement. Aux termes d’un contrat ratifié par la suite par Air Canada, par l’Association canadienne des pilotes de ligne et par l’Association canadienne des navigateurs de ligne, il a été convenu que des numéros d’ancienneté seraient réservés pour tous les navigateurs qui pourraient se qualifier comme pilotes i. e. pilotes avec licence commerciale, de classe 1 et pilotes avec mention de qualification de vol aux instruments avant le 1er janvier 1972.

De façon à pouvoir aider ces employés qui faisaient face au chômage au milieu de leur carrière ou qui faisaient face à une retraite prématurée, Air Canada a consenti aux navigateurs des prêts allant jusqu’à $1,000 pour qu’ils puissent acquérir leur mention de qualification de vol aux instruments (de classe normale 1).

Pour Air Canada, c’était une occasion unique dans l’industrie du transport aérien d’étudier un groupe contrôle de pilotes plus âgés qui se retrouvaient au stade de formation des débutants.

Bien que tous les anciens navigateurs soient encore à ce jour des employés d’Air Canada, la compagnie soutient que, dans l’ensemble, ces navigateurs n’ont pas réussi. D’après Air Canada, le succès d’un pilote se mesure à la capacité de celui- ci de pouvoir assumer avec compétence le poste de pilote, soit comme commandant ou comme co- pilote. Les données d’Air Canada révèlent que l’un des navigateurs n’a pas essayé de se classer comme officier en second et que parmi les 51 autres qui l’ont fait, 19 d’entre eux (ou 37 p. 100) ont accédé au statut de co- pilote et ils se sont maintenus à ce niveau. Ainsi, 32 d’entre eux (63 p. 100) sont considérés par Air Canada comme des échecs dans le contexte du succès en pilotage puisque ces personnes ne peuvent se classer qu’au rang d’officier en second sans avoir un rôle actif.

Par contraste, Air Canada soutient que la compagnie a embauché, lors des années précédentes, plusieurs pilotes plus jeunes possédant des qualifications semblables à celles des navigateurs mais dont le taux de succès a été considérablement plus élevé.

A cause du fait que les navigateurs de ce groupe avaient déjà eu l’expérience de la cabine de pilotage avec Air Canada et que leur formation comme pilotes devait se faire dans la même sorte d’avion, Air Canada a pris pour acquis que cette expérience antérieure remplacerait de façon satisfaisante les qualifications qui manquaient à ces navigateurs pour devenir pilotes. Etant donné le fait que d’après les critères appliqués par Air Canada ce groupe n’a eu qu’un succès mitigé, Air Canada a conclu que l’expérience antérieure de ces personnes dans la cabine de pilotage ne pouvait compenser pour le fait que ces navigateurs appartenaient à un groupe d’âge plus élevé. Air Canada conclut donc que cette étude démontre que les pilotes plus âgés doivent avoir plus de qualifications s’ils veulent réussir. D’après Air Canada, les résultats de cette étude confirment encore davantage le bien- fondé de ses politiques d’embauchage, telles qu’elles apparaissent à la Pièce R- 3.

L’avocat de la Commission soutient pour sa part que c’est une erreur de considérer le groupe des navigateurs comme représentatif d’un groupe de pilotes plus âgés. En effet, la plupart des navigateurs n’avaient aucune qualification comme pilotes, quelle qu’elle soit, jusqu’au moment où cette chance de recyclage leur a été fournie et jusqu’au moment où on leur a demandé d’obtenir leur licence.

Bien que les navigateurs, comme groupe, aient déjà été témoins des opérations de la cabine de pilotage, on les utilisait seulement lors des vols trans- océaniques et c’était pendant que l’avion volait au- dessus des eaux qu’ils exerçaient leurs responsabilités, et cela seulement lors du point de passage de la côte jusqu’à l’autre point de passage de la côte. Ils n’avaient aucun devoir ou responsabilité durant les décollages ou les atterrissages. Par conséquent, ils n’étaient pas des pilotes dans le vrai sens du mot et, bien sûr, la plupart d’entre eux n’avaient aucun désir de devenir pilotes avant que leur soit offerte cette occasion de recyclage où ils pouvaient devenir pilotes dans des postes actifs. Ils ont donc commencé leur emploi comme pilotes à Air Canada munis d’une expérience antérieure d’observateurs plutôt que de vrais pilotes. Plusieurs d’entre eux n’auraient pas obtenu leur licence s’ils n’avaient pas eu l’occasion de se recycler pour devenir pilotes et peut- être si Air Canada ne leur avait pas fourni d’aide financière. Ils ont tout simplement agi par nécessité puisque leur poste de navigateur devait être graduellement supprimé. Parmi les 52 navigateurs dont les dossiers ont été évalués, 37 d’entre eux (ou 71 p. 100) n’avaient aucune expérience comme pilotes avant cette occasion de recyclage. On peut donc dire que la classe des navigateurs représente, sous plusieurs aspects, une aberration et que cette classe comme telle ne peut pas être l’objet d’une étude valable à partir de laquelle Air Canada peut tirer quelque conclusion que ce soit au sujet des pilotes plus âgés. Bien plus, si l’on revoit le dossier N des navigateurs, on s’aperçoit que 19 d’entre eux ou bien n’ont pas eu l’occasion de se recycler pour obtenir un poste actif ou bien n’ont pas essayé de se recycler. Plusieurs navigateurs qui n’avaient aucune expérience antérieure de vol, et dont les âges allaient de 37 à 46 ans, et en dépit de leur formation incomplète dans ce domaine, ont réussi à obtenir des postes actifs à Air Canada et ces personnes sont actuellement employées comme pilotes dans la compagnie. On s’aperçoit donc que certains de ces navigateurs ont eu un certain succès même s’ils se sont recyclés pour obtenir un poste de pilote lorsqu’ils étaient relativement plus âgés.

L’embauchage de ces navigateurs prouve aussi le fait que la compagnie Air Canada était prête à embaucher des personnes plus âgées qui n’avaient aucune expérience antérieure de pilotage et à leur réserver des postes selon une liste d’ancienneté. Il est bien évident que d’après Air Canada, l’emploi de ces individus comme pilotes n’est pas contraire à la sécurité. S’il est vrai que le facteur sécurité compte parmi l’une des considérations les plus importantes pour Air Canada en ce qui concerne l’embauchage des pilotes, on peut croire sans faire erreur qu’à ce moment- là, le recyclage des navigateurs plus âgés n’était pas considéré par la compagnie comme une source de risques pour la sécurité publique.

(iii) L’Etude des ingénieurs de vol:

Une troisième étude, semblable à celle qui portait sur les navigateurs, fut aussi entreprise par Air Canada et portait sur les ingénieurs de vol. La compagnie a aussi accordé à ces personnes des privilèges d’ancienneté lorsque leurs postes furent devenus superflus. Ils étaient assurés de privilèges d’ancienneté s’ils obtenaient leur licence de pilote commercial du ministère des Transports et s’ils passaient avec succès les épreuves imposées par Air Canada à ses pilotes. Tous les ingénieurs de vol engagés dans ce recyclage reçurent leur licence du ministère des Transports avant de commencer la formation au sol et la formation de vol.

Vingt- quatre de ces ingénieurs de vol ont fait l’objet d’une évaluation pour cette étude et les résultats démontrent que trois d’entre eux travaillent présentement avec succès comme pilotes dans des postes actifs. Trois de ces ingénieurs de vol sont relégués à des postes d’officier en second permanents et, d’après Air Canada, ils n’ont pas eu de succès; cinq d’entre eux sont partis en permission tout de suite après avoir terminé leur formation et ceux- là ont choisi de ne pas revenir comme pilotes lorsqu’ils ont été rappelés.

Parmi les trois qui sont considérés comme ayant réussi, l’un d’entre eux travaille à un niveau de performance qui est coté de passable à satisfaisante, d’après Air Canada. Pour les ingénieurs de vol comme ce fut le cas pour les navigateurs, on avait pensé au début que leur expérience antérieure dans la cabine de pilotage aurait en quelque sorte compensé pour leur manque dans d’autres domaines. Air Canada soutient que le taux de succès très bas obtenu dans ce groupe, c’est- à- dire trois sur vingt- quatre, confirme une fois de plus la nécessité pour les candidats plus âgés de pouvoir faire preuve de compétences supplémentaires.

Comme ce fut le cas pour le groupe des navigateurs, l’avocat de la Commission a soutenu que la classe des ingénieurs de vol transformés en pilotes représente une aberration et qu’il serait 85 fautif de faire des généralisations à partir de l’expérience de ce groupe chez Air Canada, généralisations qu’on voudrait appliquer à la performance des pilotes plus âgés. Ils avaient eux aussi négocié les termes d’un contrat avec Air Canada, selon lequel on leur donnerait, comme classe, l’occasion de se recycler et de devenir pilotes pourvu qu’ils satisfassent certaines exigences. Il est bien évident aussi que la plupart de ces ingénieurs de vol n’étaient pas de vrais pilotes. Ils n’avaient pas de licence comme pilotes et ils n’avaient pas non plus les qualifications requises pour être pilotes avant qu’on leur ait donné cette occasion de se recycler. Il est tout à fait plausible qu’ils aient saisi cette occasion de se recycler seulement pour éviter la perspective du chômage. La Pièce C- 87 donne un aperçu des dossiers des 24 anciens ingénieurs de vol, et on y trouve l’âge au moment du recyclage, l’expérience de vol avant le recyclage et la performance après le recyclage. Ces dossiers font état d’une classe de gens qui étaient voués à l’échec dès le début parce qu’ils n’avaient jamais été pilotes dans le vrai sens du mot et qu’ils n’avaient jamais été intéressés au pilotage.

Il faut dire aussi que, même si Air Canada soutient que ces ingénieurs de vols avaient été en contact avec les aspects opérationnels de la cabine de pilotage et que cela devait être à leur avantage, de fait, la seule responsabilité des ingénieurs était le domaine mécanique. Ils étaient en réalité des mécaniciens ou encore des machinistes au sol et ils n’étaient pas du tout des pilotes. Ils n’avaient pas non plus beaucoup d’expérience dans les domaines connexes au pilotage. Par conséquent, il faut conclure que le groupe des ingénieurs de vol ne peut pas être considéré comme ayant donné lieu à une expérience valide sur laquelle Air Canada peut se baser pour appuyer son argument sur les exigences professionnelles normales reliées à l’âge.

(iv) Problèmes de peformance de certains pilotes expérimentés:

Une quatrième étude menée par Air Canada porte sur les cas des pilotes expérimentés qui ont des problèmes de performance, lesquels, selon Air Canada, sont attribuables à l’âge des pilotes. Faisant partie de cette étude, il y a le groupe R auquel a fait référence le Commandant Sanderson; dans ce groupe ont été placés les pilotes dont le niveau de compétence a diminué jusqu’à un point inacceptable ce qui fait qu’ils ont été forcés de prendre leur retraite avant l’âge de 60 ans; un second groupe, le groupe C, regroupe les pilotes qui n’ont jamais dépassé le minimum acceptable des standards de performance. Le Commandant Sanderson a cité des cas spécifiques appartenant à ces deux groupes à l’appui de sa conclusion que plusieurs des pilotes à l’emploi d’Air Canada ont eu des problèmes de compétence à mesure qu’ils avançaient en âge et que, dans certains cas extrêmes, la gravité de ces problèmes les a forcés à prendre une retraite prématurée. Air Canada conclut aussi, à partir de ces études, que les pilotes, à mesure qu’ils avancent en âge, ont des difficultés grandissantes à apprendre de nouvelles procédures de pilotage.

A l’étude des dossiers des pilotes des groupes R et C qui a été faite pendant l’audition, on s’aperçoit qu’il existe des facteurs autres que l’âge qui rendent compte de l’échec des pilotes lors de leur formation de recyclage.

Il semble bien que le Commandant Sanderson, lorsqu’il a présenté son résumé des séries R et C qui se trouve à la Pièce R- 3, Appendice 9, a négligé de mentionner les autres facteurs importants qui ont affecté les échecs des pilotes. Plusieurs de ces pilotes 87 en effet semblaient avoir soit des problèmes d’alcool, des problèmes médicaux et des problèmes de motivation ou encore de compétence tout au long de leur carrière et ces problèmes qui n’étaient pas tous reliés à l’âge paraissent avoir joué un rôle important dans l’échec final. Par conséquent, l’étude des groupes R et C de même qu’une étude des dossiers individuels des pilotes qu’on retrouve à la Pièce C- 87 ne peut pas servir d’appui à la théorie soumise par Air Canada selon laquelle l’âge constituait une limite au processus d’apprentissage et était la source d’une plus grande proportion d’échecs.

L’avocat du défendeur a tenté d’expliquer la raison pour laquelle le Commandant Sanderson avait omis de souligner les autres problèmes qui semblaient assaillir les pilotes comme en fait état la Pièce C- 87; l’avocat du défendeur attribue cette omission à la difficulté qu’avait le Commandant Sanderson à résumer des dossiers très considérables. C’est seulement après avoir fait une analyse complète des dossiers que l’on s’aperçoit que les résumés du Commandant Sanderson laissent de côté, de façon sélective, des faits importants et que, par conséquent, on ne peut accorder à ces résumés que peu de foi.

(e) Excursion dans le domaine psychologique 87

(i) La dynamique de personnalité des membres de l’équipage

Le Commandant Sanderson s’est attardé assez longuement sur ce sujet et il a fait remarquer que si, au moment de l’embauchage, on ne faisait pas attention à l’âge, il arriverait que certains individus plus âgés et plus expérimentés mais d’un rang moins élevé, seraient obligés quelquefois de faire partie d’un équipage dirigé par un commandant plus jeune d’âge. Le Commandant Sanderson a déclaré lors de son témoignage que ce genre de déséquilibre d’âge dans le poste de pilotage pouvait causer des problèmes, et que d’après son expérience, cela avait déjà causé des mésententes et des défis à l’autorité qui auraient pu nuire à la sécurité des opérations aériennes. Confinés dans l’espace étroit de la cabine de pilotage pour des périodes pouvant aller jusqu’à 12 et 14 heures, il faut qu’un commandant puisse être proche des autres membres de son équipage selon des normes sociales acceptables mais, en même temps, qu’il soit aussi capable de commander leur respect et leur support vu sa position de leader de l’équipage. De plus, cette relation devient d’une extrême importance lorsqu’on doit faire une décision critique en une fraction de seconde comme le refus de décoller ou d’atterrir. D’après Air Canada, un facteur qui affecterait l’équilibre de ces relations de l’équipage serait une raison de grande inquiétude. Le Commandant Sanderson a raconté, dans le même esprit, une expérience personnelle d’une situation dans laquelle il y avait une relation inverse entre l’âge et la position des personnes impliquées et au cours de laquelle son autorité de commandant avait été mise au défi. Le Dr Antoine St- Pierre, médecin senior de la Division aérienne d’Air Canada (nous parlerons davantage de son témoignage un peu plus loin dans ce jugement) a raconté une expérience personnelle qu’il avait vécue alors qu’il faisait son service militaire, et que l’autorité du commandant fut mise au défi par un pilote plus âgé durant une situation d’urgence.

La position d’Air Canada dans ce domaine a aussi été supportée par le témoignage du Dr Douglas E. Busby, un expert dans le domaine médical qui avait été convoqué par Air Canada. Il a expliqué que lorsque l’échelle d’âge n’est pas respectée. des problèmes peuvent surgir surtout dans les situations de gestion relative au pilotage. Il a déclaré précisément que ce genre de conflit devait être évité à tout prix dans la cabine de pilotage.

A l’exception de ces incidents isolés auxquels ont référé le Commandant Sanderson et le Dr St- Pierre, aucune allusion n’a été faite au sujet de dossiers d’Air Canada où il serait question de ce problème. Au fait, il existe une preuve du contraire, c’est- à- dire que nul ne peut faire de généralisation à partir de cette relation inversée; bien plutôt, toute la question de l’interaction de l’équipage dépend des personnalités individuelles des membres de la cabine de pilotage et cela n’est pas du tout relié à l’âge.

En réplique, la Commission a fait témoigner le Commandant Roderick R. Stevenson. Le Commandant Stevenson est un pilote d’Air Canada qui jouit d’une grande ancienneté et d’une expérience considérable. On dit qu’il a eu lui- même maille à partir avec Air Canada parce qu’il a entrepris de s’attaquer, de façon juridique et politique, à la règle de la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans, ce qui l’a obligé à abandonner son titre de commandant. Par conséquent, l’avocat d’Air Canada soutient qu’on doit être prudent avant d’accepter son témoignage. De toute façon, le Commandant Stevenson a décrit l’atmosphère d’un poste de pilotage en temps normal comme étant calme, posé et pondére... et s’il y a des urgences, on prend le temps de bien évaluer la situation et de prendre les mesures qui s’imposent. (Transcription, p. 2394)

D’après le Commandant Stevenson, la dynamique qui s’établit dans la cabine de pilotage en est une de coopération et non pas une situation dans laquelle le commandant dicte des ordres et n’accepte que difficilement l’aide de ses collègues. Il a affirmé lors de son témoignage que de fait, on encourage la participation de l’officier en second et du co- pilote et on leur demande d’attirer l’attention de l’un ou l’autre des autres membres de l’équipage sur les écarts de procédure qui pourraient advenir dans les opérations. De cette façon, le commandant a l’avantage de pouvoir profiter des observations et de l’expérience de ses camarades. En effet, le commandant qui remplit bien son rôle demande de l’aide et accepte toutes les suggestions qui lui sont faites, et on peut dire que ce système fonctionne bien à ce moment- ci dans la compagnie. Le Commandant Stevenson a même noté qu’au cours de ses 36 années de vol dans la compagnie, il a partagé son temps de vol, dans des conditions normales, à 50 p. 100 avec le co- pilote, permettant ainsi à celui- ci d’acquérir de l’expérience. Même dans les situations d’urgence où le co- pilote avait été désigné comme le pilote qui vole, celui- ci continuait à assurer le contrôle de l’avion alors que le commandant était le pilote qui ne vole pas et à ce titre restait sujet aux directives du co- pilote.

D’après l’expérience du Commandant Stevenson, ce genre d’atmosphère n’a pas occasionné de mésentente ou de défi à l’autorité.

Bien plus, il est de pratique assez courante dans l’Armée de placer une personne qui est chronologiquement plus jeune au poste de commandant dans la cabine de pilotage alors que les co- pilotes sont plus âgés. A l’exception de l’expérience relatée par le Dr St- Pierre, il semble que cette façon de faire soit bien reconnue dans le monde militaire et ne semble pas causer des conflits de personnalité qui soient connus.

Il ne fait aucun doute que les traits de personnalité sont des facteurs importants et qu’ils doivent faire l’objet d’une investigation au stade de la sélection des pilotes. Cependant, il faut conclure que la tendance à la mésentente dépend de l’individu lui- même et que le seul fait d’un renversement d’âge dans la cabine de pilotage ne peut pas en lui- même être le catalyseur de ce problème.

Dans l’affaire Smallwood v. United Airlines Inc., supra, la Cour d’appel des Etats- Unis (4e Circuit) a dit, à la p. 10:

"En bref, il n’existe pas de preuve digne de confiance à l’effet que l’esprit d’équipage de la compagnie United serait diminué par le seul fait d’embaucher du personnel navigant, à commencer par les officiers en second, qui auraient dépassé l’âge de 35 ans. Ce supposé tort causé à l’esprit d’équipage dépend de l’expérience antérieure et non pas de l’âge au moment de l’embauchage."

On peut certainement découvrir ce genre de problèmes de personnalité soit par une évaluation adéquate des candidats lors de la sélection des pilotes ou encore au moyen de tests psychologiques administrés aux candidats.

La possibilité de conflits de personnalité qui pourraient donner lieu à des confrontations dans la cabine de pilotage n’a pas été ignorée par Air Canada: en effet, durant l’entrevue initiale, on tient compte des traits de personnalité du candidat et on procède à l’évaluation de ces traits. Bien plus, le facteur personnalité se trouve aussi à la base de l’Offre Twitchell, processus par lequel les co- pilotes d’Air Canada ne peuvent choisir leur mission qu’après que les commandants aient choisi la leur et que ce choix ait été porté à la connaissance des officiers de rang inférieur. Ce processus permet d’éviter les conflits de personnalité en fournissant à un co- pilote l’occasion d’éviter un commandant avec qui il aurait certains problèmes de compatibilité. Je dois donc conclure qu’il n’y a pas de preuve solide à l’appui de l’assertion selon laquelle la suppression de la politique d’âge à l’embauchage d’Air Canada pourrait être une source de conflit parmi les membres d’un équipage.

(ii) Le phénomène du manque de débouchés

A Air Canada, un nouveau pilote peut occuper un poste d’officier en second (passif) pour une période de temps allant jusqu’à 13 ans; d’après le Commandant Sanderson, cet état de choses peut être une source de frustration, de manque de motivation et de stress chez un individu plus âgé. Toujours d’après le Commandant Sanderson, on peut s’attendre à ce qu’un pilote plus âgé qui occupe un poste de cadet en éprouve quelque réaction contraire, parce qu’il se voit empêché de réaliser les attentes propres à son âge. A titre d’exemple extrême, on a cité le cas d’un pilote plus âgé qui aurait occupé un poste d’officier en second dans un B- 727 ou dans un DC- 8. Cette situation a été décrite par le Dr Busby comme le phénomène du travail sans débouché. Cette situation peut causer au pilote plus âgé des tensions qui, à leur tour, peuvent être la source de problèmes de santé, qu’ils soient physiques ou psychologiques, comme par exemple les ulcères, l’hypertension, la léthargie et la dépression et ces problèmes sont finalement la cause d’une diminution du niveau de la performance. Le Commandant Sanderson a donné de ce phénomène la description suivante à la Pièce R- 3, p. 3:

"A Air Canada, le rôle de l’officier en second en tant que membre junior de l’équipage est davantage un rôle de contrôle, de gestion des systèmes et d’apprentissage, plutôt qu’un rôle de pilote comme tel. On ne lui permet pas de manoeuvrer les commandes de vol; plutôt, il surveille les systèmes de l’avion et il observe les opérations des deux pilotes responsables. Ce rôle peut être une source de frustration pour un pilote expérimenté étant donné que c’est le désir de tous les pilotes de pouvoir de fait piloter un avion. Par conséquent, on a constaté qu’il était difficile pour plusieurs officiers en second de maintenir leur niveau de motivation même pour les tâches routinières lorsqu’ils étaient relégués par contrat à un poste d’officier en second pour une période prolongée. On peut dire, de façon générale, que plus un candidat est âgé, plus vaste est son expérience à la fois en terme d’heures de vol et en terme de genre de pilotage. Cela rend donc la tâche plus difficile à un candidat plus âgé d’attendre jusqu’à 13 ans comme officier en second (travaillant quelquefois avec un co- pilote qui est plus jeune que lui), que pour un candidat plus jeune qui a une plus longue carrière devant lui et qui est mieux disposé à attendre son tour. Nous avons aussi constaté par expérience que le poste même d’officier en second comporte des difficultés inhérentes de motivation; il sera plus difficile pour un pilote plus âgé et plus expérimenté de demeurer motivé dans son travail que cela ne le sera pour un pilote plus jeune.

Nous résumerons ainsi la situation d’un pilote expérimenté, plus âgé, qui est assigné à un rôle junior: par exemple, il arrive souvent que ce pilote plus âgé soit subordonné à un co- pilote qui a moins d’expérience de pilotage, générale ou militaire; nous avons constaté de façon répétée qu’une telle situation causait des problèmes de motivation pour l’officier en second, par rapport aux tâches de routine qu’il doit assumer, et par rapport à ses responsabilités de surveillance non directement reliées au pilotage (reconnues à travers presque toute l’industrie comme étant propres aux apprentis). Ce problème n’est pas sans avoir de répercussions sur la sécurité des opérations. Par conséquent, cette situation a été le point central d’un grand nombre de problèmes de compétence qui ont souvent causé une diminution du niveau de performance et dans certains cas extrêmes, le renvoi.

S’il arrivait qu’un officier se soit mérité des mesures de discipline, et qu’on lui offre un poste d’officier en second au lieu de le renvoyer, il est facile de prévoir que ce candidat recevrait un salaire beaucoup plus bas, qu’il souffrirait d’une perte d’estime de soi, perdrait la confiance de ses pairs et éprouverait d’autres difficultés à conserver un niveau de performance acceptable; de telles circonstances causeraient assurément un manque de motivation dont la source se trouverait dans ce poste rétrograde et dans une carrière sans débouché.

Air Canada soutient donc qu’un pilote plus âgé qui est embauché et assigné à un poste d’officier en second (junior) aura une réaction différente de celle d’un candidat plus jeune et que cette réaction, si elle se poursuit sur une longue période de temps, peut conduire à l’ennui et à un manque de motivation par rapport aux tâches plus routinières. Un candidat plus jeune assigné au même poste sait qu’il a une plus longue carrière devant lui, il est mieux disposé à attendre son tour et à travailler pour une plus longue période de temps comme officier en second. Air Canada s’inquiète du fait qu’un officier en second plus âgé pourrait avoir une moins bonne performance.

Cependant, l’insatisfaction dans une carrière n’est pas un produit de l’âge. Cela dépend de la personnalité de chaque individu. Il n’y a aucune preuve qui permette de dire qu’un pilote plus jeune, assigné pour une longue période de temps au poste d’officier en second, réagirait mieux qu’un individu plus âgé. Le Dr Stanley Mohler, un témoin expert appelé à témoigner pour la Commission, n’était pas du même avis que le Dr Busby dans ce domaine. Le Dr Mohler a expliqué qu’on peut retrouver les symptômes du phénomène d’emploi sans débouché chez des individus de n’importe quel âge et que cela dépend de la façon dont un individu perçoit ses chances d’emploi. Le Dr Mohler l’expliquait ainsi:

"Selon moi, une personne qui se trouve au début de sa carrière et qui est motivée pour travailler dans cette carrière, cette personne, si elle a de la maturité, si elle comprend qu’il peut y avoir des hauts et des bas sur le plan économique qui touchent la compagnie pour laquelle cet individu travaille et que, par conséquent, il peut ne pas pouvoir avancer aussi rapidement qu’il l’aurait désiré; cependant, on peut avoir devant pareille situation une réponse qui reflète de la maturité: on ne devient pas frustré, on ne s’en va pas boire pour se saouler, on ne se met pas à injurier la compagnie ou les autres; au contraire, on est motivé et on fait un travail de qualité. Par conséquent, je ne crois pas que pour des individus matures et responsables, le phénomène du travail sans débouché soit un problème critique." (Transcription, p. 2250)

Je dois conclure que la restriction imposée par Air Canada quant à l’âge maximum à l’embauchage ne contribue pas à réduire le risque de frustration dans la carrière et ses effets secondaires dans le domaine émotif. Ces problèmes ne sont pas reliés à l’âge.

(iii) Le système d’ancienneté:

L’avocat du défendeur souligne le fait que le problème de la dynamique des personnalités de l’équipage est aggravé dans une certaine mesure par le système d’ancienneté imposé en vertu de la convention collective intervenue entre Air Canada et l’Association canadienne des pilotes de ligne. Le Commandant Sanderson décrit ce système d’ancienneté de la façon suivante à la Pièce R- 3, p. 1:

"Toutes les principales compagnies aériennes de l’Amérique du Nord ont été régies, historiquement, en ce qui concerne le processus de promotion, par un système contractuel d’ancienneté. Ce système qui semble être dérivé d’une tradition empruntée des chemins de fer, impose à tous les nouveaux employés- pilotes un numéro d’ancienneté au bas de la liste; cette position numérique ne s’améliore que lorsque des pilotes de plus grande ancienneté laissent le début de la liste ou lorsque de nouveaux pilotes juniors sont ajoutés en fin de liste. Les promotions quant au statut de pilote (rang) sont contrôlées de façon stricte par l’ancienneté, qui régit aussi le type d’avion, le salaire, les avantages sociaux, etc.; contrairement à la croyance populaire, les compagnies aériennes doivent respecter les termes des conventions collectives et ne peuvent pas assigner des pilotes plus âgés ou plus expérimentés à des postes qui paraîtraient bien leur convenir."

L’un des arguments du défendeur était qu’un pilote plus âgé qui entre dans le système et à qui on assigne un numéro d’ancienneté relativement bas se trouve affecté de façon négative lorsqu’il se rend compte de l’inversion des âges dans la cabine de pilotage. Il est donc susceptible aux pressions négatives, sociales et psychologiques, qui ont été mentionnées plus haut.

Je suis d’avis qu’il ne s’agit pas ici d’un problème propre aux personnes plus âgées. Au contraire, ce problème dépend entièrement des caractéristiques personnelles de l’individu en question et on ne peut pas faire de généralisation au sujet des effets de ce problème sur des personnes plus âgées, en tant que classe. De toute façon, le système d’ancienneté prend sa source dans une entente contractuelle entre deux parties; d’autre part, il est clair que le Parlement n’avait pas comme intention que les politiques sociales contenues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne soient ébranlées si facilement par les termes d’un contrat privé: The Ontario Human Rights Commission v. The Borough of Etobicoke, supra. Une exigence professionnelle normale qui serait basée sur le désir d’éviter les conflits de personnalité dans le poste de pilotage devrait pouvoir se justifier par elle- même sans avoir recours à un système d’ancienneté établi par contrat privé. J’ai déjà déclare qu’à mon avis, il n’y a pas ici d’élément de preuve suffisant pour appuyer l’assertion d’Air Canada selon laquelle une politique d’âge à l’embauchage contribue à réduire le risque de tels problèmes d’interaction.

(iv) La motivation:

Le Commandant Sanderson était d’avis que le problème du manque de débouchés au travail était relié au fait que les pilotes plus expérimentés et plus âgés trouvent cela de plus en plus difficile de rester motivés. Il est donc important de connaître les réalisations de vol d’un candidat plus âgé, avant le moment où il a posé sa candidature à Air Canada, pour pouvoir déterminer si sa motivation de devenir pilote est suffisamment grande. Son expérience antérieure est plus importante que les déclarations vides qu’il fait de son désir de devenir pilote. Le Commandant Sanderson l’expliquait de cette façon:

"Notre raisonnement était en partie le suivant: nous nous attendions à ce qu’un pilote plus âgé ait fait la preuve d’une motivation continue pour le pilotage au point où il aurait accumulé un plus grand nombre d’heures de vol ainsi que des qualifications supplémentaires. Par exemple, dans plusieurs cas, nous avons eu des candidats qui avaient accumulé les heures de vol nécessaires mais qui ne s’étaient pas occupés de passer les examens requis pour obtenir des mentions de qualifications plus élevés. Nous ne pensions pas que cela révélait une motivation réelle d’obtenir un emploi et d’obtenir les accréditations nécessaires..." (Transcription, p. 671)

A titre d’exemple, le Commandant Sanderson a cité le cas de M. Sanz. Celui- ci n’avait pas piloté d’avion depuis qu’il avait laissé son emploi à la Compagnie aérienne des Philippines en 1974. De plus, il ne possédait pas de mention canadienne de qualification de vol aux instruments et il a reconnu qu’il n’avait fait aucun effort pour l’obtenir. Le Commandant Sanderson a déclaré qu’on se serait attendu à ce qu’un candidat motivé ait au moins pris connaissance des exigences minimales d’emploi à Air Canada. D’après le Commandant Sanderson, si un pilote manque de motivation, cela peut avoir des conséquences graves sur la façon dont il s’adonne à ses tâches de routine, de surveillance, non reliées au pilotage qu’il doit exécuter de la façon la plus sécuritaire possible.

Par contraste, le Commandant Sanderson a mentionné le fait que les pilotes plus jeunes semblent plus motivés à se servir des simulateurs très tôt le matin pour développer leurs compétences alors que les pilotes qui sont rendus à mi- chemin dans leur carrière semblent moins engagés à travailler au simulateur à des heures qui leur conviennent moins.

Aucun élément de preuve ne peut appuyer cette assertion. La motivation est une caractéristique de la psychologie humaine au même titre que la maturité, la stabilité, l’intégrité et l’initiative, qui sont toutes des qualités personnelles importantes pour un pilote (Voir la pièce R- 3, p. 6). On doit évaluer et tester la motivation d’un pilote de façon individuelle lors du processus de sélection et cela, en même temps que toutes les autres qualités personnelles.

De fait, on peut dire que toute une myriade de traits de personnalité sont évalués et classés de façon subjective par Air Canada lors de l’entrevue d’emploi initiale. Les éléments suivants doivent être évalués par l’interviewer et figurent de façon spécifique dans le résumé d’entrevue: l’impulsivité, la maîtrise de soi, les émotions, l’agressivité, l’attitude amicale, le caractère plaisant, l’introversion, l’extroversion, la bienveillance, la sensibilité, les intérêt et la faculté d’adaptation. (Voir la Pièce R- 3, Appendice 4, p. 7).

Lorsque le candidat est interviewé par le conseil, on l’évalue, entre autres choses, selon les critères de maturité, de motivation, de confiance en soi, de conscience sociale et d’attitude, de possibilité d’apprentissage (croissance) et de traits généraux de caractère (Voir la Pièce R- 3, Appendice 4, p. 9).

Au sujet des candidats qui manquent de motivation, le Commandant Sanderson a admis en contre- interrogatoire, qu’il pensait particulièrement aux officiers en second, de carrière, qui n’avaient rien fait pour obtenir des qualifications plus élevées et qui étaient ainsi devenus des officiers en second à titre permanent, sans espoir d’avancement dans la compagnie. Il semble cependant que ce groupe de pilotes constituent une catégorie complètement différente de celle des candidats pilotes chronologiquement plus âgés qui postulent un emploi à Air Canada. La première catégorie est composée de cas d’échecs qui ont été démontrés alors que la deuxième est composée de gens qui n’ont pas encore subi les tests et qui sont tout juste sur le point d’entreprendre leur nouvelle carrière.

Il existe d’autres facteurs qui n’ont rien à voir avec l’âge et qui peuvent faire diminuer la motivation d’un pilote. L’un de ces facteurs est le climat économique dans la compagnie aérienne elle- même. Si la compagnie aérienne ne prend pas d’expansion dans le domaine commercial, il s’ensuit qu’un pilote récemment embauché devra passer plus de temps et s’attendre à passer plus de temps au poste d’officier en second. Il s’agit d’un problème qui affecte tous les pilotes également, et indépendamment de l’âge auquel ils ont commencé leur emploi. Bien plus, la motivation d’un individu est un facteur qui n’est pas exclusivement relié à ses perspectives de carrière. La motivation est en effet très affectée par des facteurs externes tels que la vie familiale d’une personne et sa situation financière. On ne peut pas faire de généralisation sur la façon dont les gens sont affectés par les hauts et les bas des cycles de la vie. La capacité de conserver un niveau de motivation approprié malgré certains obstacles dans sa carrière est une chose très personnelle qui dépend de chaque individu. Cette capacité ne semble pas être un produit de l’âge.

(f) Produits de placements:

C’est aussi pour des raisons économiques qu’Air Canada préfère des candidats pilotes plus jeunes. Cette attitude est basée sur une philosophie de produits de placements qui prend pour acquis qu’il en coûte approximativement $328,000 (en dollars de 1979) à une grande compagnie aérienne pour son investissement concernant un pilote, sur une période de 35 ans. Cette somme de $328,000 pour un pilote, prévue pour une période de 35 ans, en plus des dépenses qui augmentent de 8 p. par année, représente un déboursé réel de plus de 1.5 million de dollars. Par conséquent, Air Canada cherche à embaucher de futurs commandants de façon à ce que son investissement soit le plus profitable possible. Air Canada déclare que si la compagnie devait embaucher un candidat de 45 ans, ce candidat pourrait ne jamais obtenir les qualifications nécessaires pour devenir commandant; aussi, un candidat pilote de 50 ans peut ne jamais pouvoir atteindre le niveau de co- pilote et dans ce cas l’investissement monétaire considérable consenti par la compagnie aérienne pour la formation de ce candidat n’est pas compensé par le nombre des années de service de ce même candidat. Le désir d’Air Canada est par conséquent de tirer le plus grand avantage possible de son investissement dans la formation en embauchant de jeunes pilotes qui ont devant eux de longues années de service comme commandant.

Les coûts de formation des nouvelles recrues pour 1981, pour les postes d’officier en second varient de $10,700 à $15,300 approximativement, selon le genre d’avion en question. Les coûts de formation pour les nouvelles recrues pour les postes de co- pilote sur un DC- 9 sont approximativement de $24,300. L’avocat de la Commission soutient que, malgré que ces dépenses initiales de formation soient fixes et qu’elles devront de toute façon être encourues, les coûts de formation qui sont périodiques et renouvelables seraient diminués si l’on embauchait un candidat plus âgé, puisque la durée de sa carrière serait plus courte que celle d’un individu plus jeune. De plus, étant donné le fait qu’un individu plus âgé pourrait ne pas entreprendre de recyclage sur différentes sortes d’avions ou tenter d’obtenir des promotions à des grades plus élevés dans la même mesure que le pourrait une personne plus jeune (puisque les occasions seront moins nombreuses pour le pilote plus âgé) les coûts seront donc considérablement moindres.

De toute façon, c’est un fait bien établi que de façon générale les considérations économiques ne sauraient constituer une défense d’ exigence professionnelle normale. C’est précisément pour faire face à ce genre d’excuse que des lois interdisant des actes discriminatoires fondés sur l’âge ont été adoptées. Autrement, on pourrait dire que dans tous les cas ou un employeur doit assumer des coûts initials de formation, le fait d’embaucher un personnel plus âgé aurait des conséquences économiques néfastes pour cet employeur qui ne pourrait pas exiger de cette personne une période de service aussi longue que dans le cas d’une personne plus jeune. Par conséquent, on ne peut pas normalement, dans de telles circonstances, invoquer une défense de justification des coûts voir Smallwood v. United Airlines Inc. (Cour d’appel des Etats- Unis, 4e Circuit, 17 septembre 1981, décision non rapportée, p. 9); City of Los Angeles v. Manhart, 435 U. S. 702, 716 (1978).

Dans l’affaire The Ontario Human Rights Commission v. The Borough of Etobicoke, supra, la Cour Suprême du Canada a cependant déclaré à la p. 7 qu’une exigence professionnelle normale doit être reliée à l’emploi en question de façon objective en ce sens qu’une telle exigence doit être raisonnablement nécessaire pour assurer une performance efficace et économique du travail en question... (nous soulignons). Un employeur pourrait être justifié d’invoquer comme défense des raisons économiques dans une situation extrême où, par exemple, une personne de 58 ou 59 ans, bien qualifiée, postulerait un poste de pilote et où la compagnie aérienne devrait faire face à des dépenses de milliers de dollars pour la formation initiale de cette personne et ensuite ne recevoir en retour qu’une année de service avant la retraite obligatoire à 60 ans. Dans le cas présent cependant, si l’on considère l’âge des plaignants, il faut conclure que la politique sociale sur laquelle est fondée la législation a beaucoup plus de poids que n’importe quels coûts supplémentaires que doit assumer l’employeur. Vu les circonstances présentes, un âge maximum de 27 ans à l’embauche n’est pas un critère raisonnablement nécessaire pour assurer la performance efficace et économique des tâches d’un pilote.

(g) Considérations d’ordre médical:

A l’appui de la défense d’ exigence professionnelle normale, un autre sujet fut porté à l’attention du tribunal, celui des effets d’ordre médical du vieillissement. On a présenté les dépositions de trois médecins ainsi que certaines preuves documentaires et principalement une étude faite sous l’égide de l’American Institute of Medicine intitulée: L’âge des pilotes de ligne, leur santé et leur performance: considérations d’ordre scientifique et médical et aussi le rapport d’une étude du National Institute on Aging portant sur un groupe de pilotes expérimentés. Ces études avaient été requises à la suite de la promulgation par le Congrès américain de la Loi publique no 96- 171, le 29 décembre 1979 qui ordonnait une étude sur la désirabilité d’un âge obligatoire de retraite pour certains pilotes et dans d’autres cas. On voulait savoir si les procédures d’accréditation médicale et les examens étaient suffisants en ce qui concerne les pilotes de ligne et les pilotes de vols commerciaux; on voulait examiner, en particulier, la règle de 60 ans qui interdit aux transporteurs aériens des Etats- Unis d’assigner des tâches de pilotage à une personne de 60 ans, que ce soit comme commandant ou comme co- pilote. Aux termes de cette loi, le directeur des National Institutes of Health en collaboration avec le secrétaire aux Transports devait faire une étude qui permettrait de déterminer entre autres choses s’il est justifiable, sur le plan médical, d’imposer une limite d’âge empêchant les personnes de 60 ans et plus de travailler comme pilotes. Pour mener à bonne fin la mission qui lui avait été confiée aux termes de la Loi publique no 96- 171, le directeur des National Institutes of Health a assigné au National Institute on Aging la responsabilité première de mettre en oeuvre les dispositions de la loi. Dans un premier temps, le National Institute on Aging a constitué un comité dont les membres faisaient partie des différents instituts de médecine; ce comité, à son tour, a confié à l’Institute of Medicine of the National Academy of Sciences la tâche d’étudier à l’aide d’un comité d’experts les données scientifiques existantes reliées au sujet en question et d’en fournir une évaluation et un résumé objectifs. Le rapport fut remis à l’Institut le 31 mars 1981 et il a été versé au dossier de la présente affaire. Le panel du National Institute on Aging dont les recherches portaient sur les pilotes expérimentés, a été constitué dans le but de porter assistance au National Institute of Health et aussi dans le but de revoir et d’examiner soigneusement le rapport de l’Institute of Medicine. C’est le rapport de l’Institute of Medecine qui a servi de point de départ à celui du National Institute on Aging, par son panel, rapport qui fut complété en août 1981 et qui a été versé au dossier dans la présente affaire. L’étude commencée par le Congrès américain se continue et elle est loin d’être terminée.

La plus grande partie des dépositions des témoins experts faites devant le présent tribunal a porté sur les effets physiques et mentaux du vieillissement. Le défendeur a appelé comme témoin le Dr Antoine F. J. St- Pierre qui détient le poste de médecin senior (Air) à Air Canada et qui jouit d’une expérience pratique considérable dans le domaine des équipes de pilotage. En plus de faire régulièrement des examens médicaux, il est un membre permanent du Comité de sélection des pilotes d’Air Canada et il est responsable de façon générale d’assurer la santé des pilotes de la compagnie. Le Dr Douglas E. Busby a aussi été appelé comme témoin expert au nom d’Air Canada. Il a travaillé dans différents domaines de la médecine aérospatiale et il a acquis une expérience pratique comme chirurgien fédéral adjoint (Air) aux Etats- Unis et comme directeur médical à Continental Airlines. Le Dr Busby a aussi détenu de nombreux postes académiques et il est l’auteur de nombreuses publications sur des sujets qui sont cependant, pour la plupart, non reliés à la question du vieillissement des pilotes.

Dans son témoignage, le Dr St- Pierre a affirmé que le corps humain est soumis, avec l’âge, à une détérioration physique et mentale progressive. Il a souligné en particulier les problèmes reliés à la vision, à l’audition, aux fonctions musculaires et à celles des os, à la mémoire, aux traits de personnalité, à l’endurance et à la susceptibilité aux maladies.

En ce qui concerne la vision, il a souligné que le vieillissement peut occasionner une perte de l’accommodation visuelle connue sous le nom de presbytie et une tendance à l’augmentation de la pression intra- oculaire connue sous le nom de glaucome.

De plus, dans le domaine de l’audition, on remarque une diminution de la perception auditive reliée aux hautes fréquences, de même qu’une diminution de la perception sélective de la voix humaine, particulièrement lorsqu’il y a des bruits de fond.

Le témoin expert a aussi expliqué que l’élasticité et la force du tissu musculaire des ligaments diminuent avec l’âge de sorte que les individus plus âgés ne sont pas aussi agiles ou rapides dans leurs mouvements et que leur coordination est moins précise.

A mesure que l’individu avance en âge, les fonctions reliées à la mémoire immédiate lui posent plus de problèmes; il a plus de difficulté à emmagasiner des données nouvelles qui devraient lui être immédiatement disponibles et cela affecte ses capacités générales d’apprentissage. C’est la mémoire à long terme qui devient dominante, ce qui fait que l’individu a non seulement de la difficulté à acquérir de nouvelles connaissances mais il a aussi de la difficulté à éliminer les connaissances préalablement acquises qui doivent être remplacées par de nouvelles. Comme l’a déclaré le Dr St- Pierre:

"il devient plus difficile de désapprendre comme d’acquérir de nouvelles connaissances. (Transcription, pp. 1591- 1592)

Le Commandant Ross, un ancien commandant à Air Canada qui a pris sa retraite en 1980 après 40 années d’expérience de pilotage, a déclaré qu’il n’avait jamais eu tant à travailler que lorsqu’il a eu à se recycler, à un âge plus avancé, pour devenir commandant d’un 747. Pour sa part, le Commandant Ball qui a maintenant pris sa retraite comme pilote à la Compagnie aérienne Delta a aussi déclaré qu’il avait eu beaucoup plus de difficultés pour obtenir les mentions de qualifications nécessaires pour devenir commandant d’un 747 bien que cet avion soit aussi simple à piloter que le DC- 8. Le Commandant Ball avait obtenu sa mention de qualification pour le 747 dans les six mois qui avaient précédé sa retraite. Le Commandant Stevenson qui, au moment où il a rendu son témoignage, était le plus âgé des commandants de bord à Air Canada, a déclaré pour sa part qu’à l’âge de 59 ans, il n’avait eu aucun problème à réussir l’étape de recyclage pour passer des commandes du 747 à celles du L- 1011. L’avocat de la Commission a fait remarquer que cet élément de preuve fait ressortir encore davantage à quel point ce problème est relié aux caractéristiques propres à chaque individu.

Lors de son témoignage, le Dr St- Pierre a souligné certains effets de cette détérioration de la mémoire:

"On remarque un ralentissement, une difficulté grandissante à classifier l’information et un risque de surcharge qui, bien entendu, peut provoquer une réponse erronée à un stimulus donne." (Transcription, p. 1595)

Les changements physiologiques reliés à l’âge ne sont pas toujours perçus ou même perceptibles à cause de la nature subtile de la détérioration, particulièrement dans les domaines du temps de réaction, de la mémoire, de la capacité à s’adapter à des situations nouvelles, des fonctions psychomotrices, de la capacité de traiter l’information et des autres fonctions cognitives et de la personnalité, toutes ces fonctions pouvant être à l’origine d’erreurs de jugement.

Le Dr St- Pierre a aussi fait référence au dicton bien connu selon lequel on ne peut pas enseigner de nouveaux trucs à un vieux chien; il a déclaré que d’après son expérience personnelle, les individus offrent plus de résistance au changement à mesure qu’ils avancent en âge et ils tiennent davantage à leur façon de faire. Ils se créent à eux- mêmes des habitudes et ils ont des patrons de conduite et de fonctionnement bien établis, desquels ils ne veulent pas s’écarter. Voilà une des raisons, a- t- il expliqué, pour lesquelles Air Canada préfère commencer tôt à enseigner à un pilote à faire attention à sa santé et à vivre une vie saine. Il est plus facile d’influencer des individus plus jeunes et ceux- ci sont plus ouverts aux idées nouvelles.

Le Dr St- Pierre a aussi observé chez l’individu, à mesure qu’il avance en âge, une diminution générale de la résistance à la fatigue et une propension à la maladie, particulièrement aux maladies cardio- vasculaires.

Le Dr St- Pierre a donc témoigné à l’effet que d’un point de vue médical Air Canada recherche non seulement les individus qui jouissent d’une santé normale mais ceux qui pourront maintenir leur état de santé à l’abri des maladies tout au long d’une carrière productive de 33 à 35 ans.

Le témoignage du Dr St- Pierre a été confirmé, de façon générale, par celui du Dr Busby. Le Dr Busby est d’avis qu’il est justifiable d’imposer un critère d’âge pour l’embauchage des pilotes de ligne et cela, pour les deux raisons suivantes:

  1. il est nécessaire de réduire au maximum les possibilités pour un pilote de contracter des maladies qui le rendraient inapte et qui pourraient avoir des répercussions sur la sécurité des opérations aériennes ou même sur sa carrière de pilote;
  2. il est nécessaire de porter au maximum les capacités psychophysiologiques d’un pilote d’exécuter les tâches de pilotage de façon sécuritaire tout au long de sa carrière.

En ce qui concerne le premier point, le Dr Busby a affirmé qu’il est préférable de choisir des candidats qui sont le moins capables de dissimuler les problèmes médicaux normalement reliés à l’âge. Par conséquent, une politique qui consisterait à embaucher des personnes jeunes serait utile car elle permettrait de découvrir de façon précoce, à l’aide d’évaluations logitudinales, des facteurs qui pourraient être néfastes à la santé. On pourrait aussi se servir de cette période d’évaluation pour inculquer aux pilotes de bons principes d’hygiène et de vie saine. Aussi, un groupe de pilotes plus jeunes fait baisser l’âge moyen des personnes qui travaillent dans les cabines de pilotage ce qui a pour effet de réduire le risque de pertes de fonctionnement.

L’avocat de la Commission a appelé le Dr Stanley R. Mohler comme témoin expert. Le Dr Mohler est professeur à l’Ecole de médecine de l’Université d’État Wright de l’Ohio et il occupe aussi les postes de vice- président du Département de médecine communautaire et de directeur de médecine aérospatiale à cette même université. Il avait occupé auparavant le poste de directeur de la Division des applications aéromédicales au Bureau de la médecine d’aviation de l’Administration fédérale d’aviation à Washington. Il occupe plusieurs postes universitaires il est l’auteur d’un grand nombre de publications et il a fait de nombreuses communications sur les aspects médicaux du vieillissement des pilotes.

Ses opinions diffèrent de façon marquée de celles du Dr Busby et ce n’est pas la première fois que ces deux experts se font face l’un à l’autre au sujet de leurs vues opposées. Ils ont fait des dépositions l’un contre l’autre lors d’audiences et de litiges relatifs à des questions d’âge aux Etats- Unis. Voir par exemple,

Criswell v. Western Airlines Inc., supra. Le Dr Mohler s’est éloigné considérablement de l’opinion qu’il soutenait auparavant selon laquelle il devrait y avoir une limite d’âge pour l’embauchage des pilotes. Il est vrai que le Dr Mohler a déclaré dans des travaux déjà publiés que le vieillissement a pour effet de diminuer les capacités biologiques de l’individu et que, par conséquent, l’âge constitue un facteur significatif de la performance d’un pilote; cependant, il a affirmé dans son témoignage que son opinion à ce sujet avait changé et qu’elle tient maintenant compte de l’évolution de la science médicale et de sa complexité accrue. Il est d’avis qu’aucune limite d’âge ne devrait être imposée dans le domaine de l’emploi des pilotes et que la retraite à 60 ans ne devrait pas être obligatoire. Il croit que grâce aux développements de la technologie, nous en sommes parvenus au point où il est possible de mesurer de façon sûre les facteurs de risque qui rendent un pilote incapable de travailler. Le Dr Mohler croit que ces risques peuvent être identifiés chez un individu avant l’apparition de quelque problème que ce soit. Bien plus, dans plusieurs cas, des pilotes qui ont éprouvé des difficultés d’ordre médical peuvent se réadapter de façon complète et retourner à la cabine de pilotage. Il croit que l’âge ne devrait pas être un facteur dans la détermination de la capacité d’un pilote à travailler de façon efficace. Il a exprimé son opinion dans les termes suivants:

"Le vieillissement est un processus normal, un processus de développement continu qui commence à la conception et qui se poursuit durant la vie humaine jusqu’à un âge maximum d’environ 100 ans, et peut- être plus, si l’individu a un style de vie approprié. Ce n’est pas une maladie. Le vieillissement ne cause pas nécessairement des diminutions marquées dans les fonctions principales du corps humain jusqu’à un âge avancé, et je parle ici de quelqu’un qui aurait amplement dépassé l’âge de 70 ans ou de 80 ans." (Transcription, p. 2221)

Le Dr Mohler a affirmé que l’âge chronologique n’est pas une façon sûre d’évaluer les individus. Il existe, dans le domaine du vieillissement physiologique, des variations très marquées parmi 109 les individus adultes. C’était dans le même esprit que le juge McIntyre avait fait le commentaire suivant dans l’affaire The Ontario Human Rights Commission v. Borough of Etobicoke, supra, à la p. 7:

"D’un point de vue chronologique, nous vieillissons tous au même rythme mais le vieillissement au sens fonctionnel, comme il a été appelé, se poursuit à des rythmes très différents et il est presque impossible de le prédire..."

Bien plutôt, selon l’avis du Dr Mohler, ce sont les facteurs de risque qui peuvent causer des problèmes de santé chez un individu donné et non pas le processus normal du vieillissement. Les compagnies aériennes ont beaucoup de compétence pour faire l’examen des candidats et des pilotes tout au long de leur carrière de façon à pouvoir déceler de façon précoce les signes de détérioration mentale et physique qui ne seraient pas acceptables et de façon aussi à les prévenir. A Air Canada, les examens médicaux des membres du personnel ont pour but de recueillir de l’information sur ces détériorations possibles et sur l’état de santé de chacun des pilotes. D’après le Dr Mohler, tous les problèmes cités par le Dr St- Pierre ne sont pas du tout reliés à l’âge mais plutôt constituent des problèmes individuels qui peuvent être décelés et reconnus avant leur début et peuvent même, après coup, faire l’objet de surveillance et être effectivement corrigés.

Dans l’affaire Smallwood v. United Airlines, supra, la Cour d’appel des Etats- Unis (4e Circuit) avait entendu la déposition du Dr Mohler et avait accepté son point de vue; à ce sujet, la Cour avait dit aux pp. 11- 12:

"Il a été démontré de façon probante durant le procès que le programme d’examens médicaux de la Compagnie United pouvait effectivement aider à déceler des maladies pouvant rendre invalide, et que les problèmes cardio- vasculaires futurs pouvaient être décelés de façon hautement prévisible. Ces examens médicaux à but préventif doivent pouvoir prévoir avec le même degré de précision les problèmes médicaux futurs des pilotes de 48 ans venant d’autres compagnies aériennes et nouvellement embauchés, que pour les pilotes de carrière de la compagnie United. En bref, bien que les éléments de preuve fournis au procès par la compagnie United aient été probants en ce qui concerne l’incidence des problèmes médicaux chez les pilotes d’un âge plus avancé et en ce qui concerne l’efficacité de son propre système d’examen, la compagnie n’a pas réussi à démontrer qu’il existe une relation entre une limite d’âge à l’embauchage d’une part et la sécurité aérienne d’autre part. Aussi, la compagnie n’a pas pu satisfaire le tribunal en démontrant qu’il était impossible ou irréalisable de faire affaire avec chacun des candidats individuellement."

Il convient de noter cependant, que la thèse du Dr Mohler a été contestée par au moins une cour; dans l’affaire Houghton v. McDonnell Douglas Corp. Inc. (1979) 20 F. E. P. Cases 915, 921, le juge de la Cour de district a fait remarquer:

"En faveur du plaignant, le Dr Mohler a témoigné à l’effet que les habiletés psychomotrices pouvaient être mesurées. Pourtant, on peut constater que l’ensemble de la preuve dans le cas présent démontre clairement que les idées du Dr Mohler ne reçoivent pas l’approbation générale."

Pour sa part, le rapport de l’Institute of Medicine s’est aussi penché sur les effets du vieillissement sur la performance des pilotes et déclara que les deux sources de problèmes étaient l’incapacité aiguë et l’incapacité légère.

En ce qui concerne l’incapacité aiguë, le rapport a conclu que le risque moyen d’incapacité aiguë augmente avec l’âge mais cependant, il a souligné qu’il existe entre les individus plus âgés une grande variabilité. Le problème le plus important dans ce contexte est celui des maladies cardio- vasculaires. Dans un certain sens, le rapport de l’Institute of Medicine a appuyé les idées du Dr Mohler car le comité était d’avis que les profils du facteur risque ainsi qu’une évaluation plus complète des individus présentant des risques élevés, représentaient des mesures adéquates d’identification des pilotes dont l’état de santé représenterait une menace à la sécurité à cause d’une incapacité aiguë possible.

D’après le comité, l’incapacité légère devient une plus grande possibilité à mesure qu’un individu avance en âge; cette incapacité légère est produite par des diminutions de la perception auditive, visuelle, par des diminutions des compétences intellectuelles et de la mémoire, de la précision et de la rapidité de l’attention et peut- être aussi par la prédisposition à la fatigue et aux troubles dûs aux décalages horaires. Le rapport a aussi ajouté qu’il existe une grande variabilité entre les individus et qu’il est raisonnable de croire que des compétences régulièrement exercées ne devraient subir aucune diminution reliée à l’âge ou sinon, très légère. Le comité a quand même fait une mise en garde à l’effet que ceci n’avait pas été démontré par des recherches appropriées.

Bien que le comité ait reconnu que les diminutions de l’état de santé les plus faciles à identifier pouvaient être testées et évaluées, il a exprimé des réserves au sujet de la possibilité de déceler les problèmes moins apparents. Le comité s’est exprimé à ce sujet de la façon suivante

Est- il possible d’évaluer le niveau de fonctionnement d’un individu? Un certain nombre de détériorations de l’état de santé ou du niveau de fonctionnement qui sont reliées à l’âge ont été identifiées, pour la population en général. Ces changements qui sont présents parmi les pilotes, qui ont pu être observés et qui sont reliés à la sécurité du poste de pilote et des tâches qu’il doit accomplir, peuvent être évalués de façon adéquate par des tests individuels. Il existe cependant d’autres changements possibles au sujet desquels beaucoup de questions demeurent sans réponse. Certains changements reliés à l’âge dans le domaine de la rapidité ou de la précision d’un certain nombre de fonctions intellectuelles, psychomotrices et perceptuelles ont déjà été observés mais il n’a pas été possible encore d’établir quelle est la relation particulière de ces changements aux pilotes eux- mêmes et aux exigences de leurs postes. Les tests portant sur ces fonctions chez un individu ne sont pas encore validés de façon à pouvoir prédire le niveau de fonctionnement d’un pilote. (Pièce C- 98, p. 151)

Le rapport de l’Institute on Aging a adopté une approche beaucoup plus traditionnelle que l’Institute of Medicine; il a fait ressortir les effets néfastes du vieillissement sur le pilote ainsi que l’incapacité de la médecine moderne non seulement de déceler avec quelque assurance les diminutions subtiles des fonctions cognitives mais aussi de prédire les maladies cardio- vasculaires pouvant causer l’incapacité.

Par conséquent, les opinions exprimées par le Dr St- Pierre et par le Dr Busby se trouvent en quelque sorte confirmées par le rapport de l’Intitute on Aging, particulièrement en ce qui concerne les passages suivants où l’on parle de la baisse de fonctionnement reliée à l’âge ainsi que du fait qu’il n’existe pas à présent des systèmes d’évaluation médicale fidèles permettant d’identifier les pilotes qui présentent des risques au- delà de l’âge de 60 ans:

"Le panel n’attache pas de signification médicale particulière à l’âge de 60 ans comme étant l’âge obligatoire de la retraite pour les pilotes de ligne. Cependant, le panel a constaté que les changements de l’état de santé et de la performance qui sont reliés à l’âge influencent de façon négative la capacité d’un nombre grandissant d’individus de travailler comme pilotes avec un niveau de sécurité optimum ce qui, par conséquent, compromet la sécurité de tout le système d’aviation. De plus, le panel n’a pas pu trouver un système d’évaluation de performance ou un système médical, présentement en existence, qui permettrait d’identifier ces pilotes qui présentent les plus grands risques à cause d’une détérioration précoce ou imminente de leur état de santé ou de leur performance." (p. 1)

... Les tests psychologiques élaborés dans le but d’identifier les changements légers du fonctionnement cognitif n’ont pas été administrés aux pilotes de façon systématique. Par conséquent, on ne connaît pas le rapport qu’ils pourraient avoir avec des compétences si essentielles que la prise de décision, la gestion des ressources et la capacité de vigilance dans des situations de stress. (p. 4).

... Malheureusement, même les examens les plus complets ne peuvent pas encore fournir une évaluation quantitative des fonctions intellectuelles ou une prédiction fidèle, chez des individus donnés, des probabilités de maladies cardio- vasculaires causant l’incapacité. Dans ce domaine, il est important de bien tenir compte du manque de fiabilité grandissante des tests de dépistage visant à prédire les accidents de nature cardio- vasculaire chez des individus de 60 ans et plus. (p. 7)

... D’ailleurs, il n’existe pas encore de critère permettant de faire une évaluation adéquate des autres fonctions complexes qui sont susceptibles de se détériorer avec l’âge. Par exemple, comme nous l’avons noté ailleurs dans ce rapport, la performance de manoeuvres complexes dans des situations de stress ou dans des situations nouvelles est plus susceptible d’être affectée par le vieillissement que ne l’est la performance de tâches familières et régulièrement exercées. (p. 10)

... Néanmoins, si l’on se permet de faire une interpolation à partir des données recueillies auprès de populations vieillissantes, on s’aperçoit que les risques d’accident augmentent pour un pilote plus âgé et qu’en toute probabilité, de tels risques augmentent avec l’âge.

Parmi les fonctions des pilotes, on compte non seulement les compétences portant sur les manoeuvres mais aussi la prise de décision, la coordination de l’équipage et la gestion des ressources. A mesure que l’âge avance, on constate une diminution de la performance cognitive et psychomotrice de même que de la performance physiologique et ceci n’est pas sans affecter la manière dont ces fonctions sont remplies. L’état de santé d’un pilote ne peut pas ne pas affecter sa performance de vol. Sous cet aspect, on peut dire que des changements subtils de la performance causés par le vieillissement ou encore les déficiences fonctionnelles qui échappent à l’examen clinique sont plus susceptibles de causer des problèmes que ne l’est l’échec complet de la performance dû à une incapacité soudaine. Il faut reconnaître cependant que même si une déficience qui avait échappé à l’examen clinique peut être identifiée chez le commandant par d’autres membres de l’équipage, le co- pilote pourrait très bien être peu disposé à en faire rapport ou à prendre le commandement de l’avion. Une telle incertitude qui se produirait lors d’un moment critique, par exemple lors de l’approche finale pour l’atterrissage, pourrait être la cause d’un accident grave.

Il peut sembler, à première vue, que chacun des éléments de la tâche du pilote (v. g. contrôle visuo- moteur, traitement de l’information visuelle, détection des signaux auditifs, prises de décisions) pourrait être testé et que les déficits de performance pourraient être utilisés aux fins de cette évaluation, mais en réalité, cette possibilité n’est pas prouvée. Le rapport de l’Institute of Medicine et particulièrement le chapitre 10 de ce rapport, fait ressortir les différentes baisses de performance reliées à l’âge dans des tâches behaviorales simples mais ce rapport évite soigneusement de définir avec précision la corrélation de ces tâches avec le pilotage. Le ralentissement du traitement de l’information, la difficulté à résister à des stimuli qui sont source de distraction et la diminution de la mémoire à court terme et à long terme, voilà des facteurs reliés à l’âge qui sont tous pertinents à la question de la performance du pilote. Le peu d’informations dont nous disposons au sujet des effets du décalage horaire et de la fatigue permet quand même de penser que ces deux facteurs puissent aussi être reliés à l’âge. (p. 19)

... Alors qu’on peut s’attendre à ce que la performance de pilotage subisse une diminution avec l’âge, il n’est pas possible à présent d’identifier les personnes qui manifesteront dans le futur des diminutions particulières de la performance. De plus, notre capacité de déceler les baisses légères de performance qui peuvent affecter sérieusement les fonctions de pilotage dans une situation nouvelle ou dans une situation critique, est extrêmement limitée. (p. 21)

On voit que tous les éléments de preuve présentés jusqu’ici démontrent la controverse scientifique qui existe présentement parmi les experts du monde médical et de l’aéronautique au sujet des effets du vieillissement chez les pilotes plus âgés. Ces éléments de preuve seront particulièrement pertinents pour les tribunaux et les cours ou le Parlement qui auront à décider la question de la retraite à l’âge de 60 ans. Ces éléments de preuve n’ont que peu de pertinence cependant pour le problème central dans l’affaire dont ce tribunal a été saisi; en effet, les pilotes qui sont dans la cinquantaine sont ceux qui sont choisis par les compagnies aériennes pour commander les avions à large carlingue, les DC- 10, les B- 747 et les L- 1011. Cette situation peut être le fait du système d’ancienneté mais on peut être sûr qu’Air Canada, en permettant à ses pilotes à cheveux gris d’être commandants de bord, n’aurait de quelque façon que ce soit compromis la sécurité de ses passagers seulement pour respecter quelque contrat privé avec l’Association canadienne des pilotes de ligne. Par conséquent, bien que plusieurs des éléments de preuve tirés de la médecine soient pertinents à la question de la baisse de fonctionnement chez les pilotes d’un âge avancé, au- delà de 60 ans, et pertinents aussi à la question de l’efficacité du système d’examen d’Air Canada qui a pour but de déceler les problèmes médicaux naissants à ce stade de la vie, je conclus que ces éléments de preuve ne me sont d’aucun secours en ce qui concerne une relation possible entre la limite d’âge à l’embauchage et la sécurité aérienne. Je constate en effet qu’aucun des experts n’a témoigné à l’effet que les risques médicaux associés au vieillissement jusqu’à l’âge de 60 ans devraient empêcher ceux qui ont moins de 60 ans de continuer à piloter.

La raison en est que pour le groupe d’âge des moins de 60 ans, au moins, la technologie médicale est suffisamment avancée pour pouvoir déceler les problèmes qui pourraient surgir chez les pilotes. Transports Canada a établi des standards médicaux minimums auxquels un pilote doit se conformer à chaque échelon de qualification. L’examen médical initial d’Air Canada est beaucoup plus exigeant que celui de Transports Canada en ceci qu’elle désire que la santé de ses employés soit au- dessus des standards minimums de licence. Des examens médicaux réguliers des pilotes permettent d’exercer une surveillance constante sur leur état de santé. A Air Canada, les pilotes doivent se soumettre à un examen médical à tous les six mois. Tous les deux ans, ils subissent des tests supplémentaires de nature préventive. Après avoir atteint l’âge de 40 ans, les pilotes sont soumis à des électrocardiogrammes plus fréquents. Ainsi, la surveillance de la santé des pilotes jusqu’à l’âge de 60 ans ne comporte pas la même incertitude que celle qui existe, si l’on en croit certains experts, à essayer de déceler les changements légers qui se font jour dans la performance des pilotes lorsqu’ils ont dépassé l’âge de 60 ans. Il est bien possible que les tests utilisés pour mesurer la performance chez les pilotes de moins de 60 ans ne soient pas appropriés pour les pilotes de plus de 60 ans. Mais tant et aussi longtemps que les évaluations de la santé des pilotes de moins de 60 ans sont suffisamment fiables et que les pilotes peuvent être examinés individuellement, il n’y a aucune raison qui puisse justifier une limite d’âge à l’embauchage.

De fait, on s’aperçoit que la compagnie Air Canada a souvent elle- même ignoré ses propres directives et qu’elle a embauché des pilotes qui avaient dépassé l’âge de 27 ans lorsqu’elle traversait des périodes d’expansion pendant lesquelles les pilotes étaient en demande. Ainsi, pour des raisons de nécessité économique, la compagnie Air Canada s’est montrée tout à fait disposée à embaucher des individus comparativement plus âgés. Cela, la compagnie l’a fait aussi lorsqu’elle a absorbé les anciens navigateurs et les ingénieurs de vol. Il est bien évident que dans ces situations, la compagnie Air Canada n’a pas pense qu’elle compromettait ainsi la sécurité de son public voyageur.

(h) Le facteur expérience:

Certes, quel que soit le risque de baisse de fonctionnement qui peut surgir alors qu’un pilote approche de l’âge de 60 ans, la maturité, l’expérience et le jugement servent à contrebalancer ce risque. Il peut exister en effet une alliance optimale de l’âge et de l’expérience à un âge donné qui permet d’atteindre le plus haut degré de sécurité possible pour le grand public.

Surgit ici la question de savoir s’il est dans l’intérêt de la sécurité publique qu’une compagnie aérienne adopte une politique de limite d’âge afin que ses commandants puissent accumuler un plus grand nombre d’années d’expérience. Un arrêt intéressant dans l’espèce est celui de Murname v. American Airlines Inc., supra. Comme nous l’avons mentionné plus haut dans ce jugement, la Cour d’appel des Etats- Unis pour le district de Columbia devait considérer dans cette affaire le problème posé par une directive générale de la compagnie American Airlines selon laquelle les personnes de plus de 30 ans ne pouvaient pas être embauchées pour un poste de débutant comme officier en second. C’est un fait que l’une des politiques d’American Airlines exige que tous les officiers en second deviennent éventuellement commandants. Nul n’est embauché par la compagnie sans avoir ce but en tête. Cette politique est appelée communément avance ou va- t- en. Cette politique exige d’un officier en second ou d’un co- pilote qui a reçu toute la formation qu’il pouvait recevoir pour son poste et qui, à ce point, n’est pas qualifié pour pouvoir être promu à un poste d’un cran plus élevé, qu’il quitte son emploi. Par cette politique, American Airlines ne permet pas à un pilote de faire carrière comme officier en second ou comme co- pilote. Il faut généralement une moyenne de 14 à 20 ans pour passer du poste d’officier en second à celui de commandant, selon les normes de formation approfondie que reçoivent les pilotes aux Etats- Unis. Il faut noter cependant que certaines personnes peuvent parvenir au poste de commandant en aussi peu d’années que 10 ans.

Dans cette affaire, la cour a conclu que le plaignant n’aurait pas été embauché sur la foi de ses propres qualifications, son âge mis à part, puisqu’il n’était pas aussi qualifié que ses concurrents pour le poste d’officier en second: la cour a aussi conclu que de toute façon cette directive américaine d’âge à l’embauchage était une exigence professionnelle normale pour le poste en question. Bien que la politique adoptée et mise en vigueur par la compagnie American Airlines ait été de 30 ans, la cour a choisi de l’interpréter comme étant de 40 ans pour qu’elle puisse être conforme à la définition de l’âge de la loi américaine.

La compagnie American Airlines a soutenu devant la Cour de district que sa défense d’ exigence professionnelle normale était justifiée pour les motifs suivants:

  1. La compagnie American Airlines a un devoir qui lui est imposé par la loi d’administrer ses affaires avec le plus grand soin de façon à assurer la sécurité de ses passagers.
  2. De façon à assurer le maximum de sécurité et à diminuer le plus possible les risques d’accident ou de mort, le commandant de la compagnie American Airlines doit se soumettre à un programme de formation longue et intense.
  3. Etant donné qu’il faut en moyenne 16 années pour passer du poste d’officier de vol à celui de commandant, un candidat dont l’âge à l’embauchage serait de plus de 40 ans n’aurait pas le temps d’acquérir l’expérience nécessaire requise pour assurer le maximum de sécurité, avant de devoir prendre sa retraite à l’âge de 60 ans, en conformité avec les normes de la Federal Aviation Administration.
  4. En conséquence, si l’on élimine cette politique d’âge à l’embauchage de moins de 40 ans, on augmenterait la possibilité de risques d’accident pour les passagers et l’équipage. (( 1980, 21 F. E. P. Cases, 284, 291)

La Cour de district a trouvé cet argument convaincant de même que la Cour d’appel des Etats- Unis dont il est utile de citer ici la décision en détail:

"Les éléments de preuve présentés au procès démontrent que les erreurs de pilote sont la cause de 90 p. 100 de tous les accidents d’aviation mais aussi que ce taux diminue plus le pilote est expérimenté. La Cour de district a aussi trouvé crédibles et convaincants les éléments de preuve selon lesquels la meilleure expérience qu’un commandant de la compagnie American Airlines peut acquérir est celle qu’il acquiert en pilotant des avions de la compagnie American Airlines aux trois postes du poste de pilotage... Donc, le commandant qui sera en mesure d’assurer le plus haut niveau de sécurité sera celui qui aura acquis de l’expérience et en autant que cela est possible, cette expérience aura été acquise à l’emploi de la compagnie American Airlines.

Cependant, puisqu’il faut au moins de 10 à 15 ans pour passer du poste d’officier de vol à celui de co- pilote et à celui de commandant, si l’appelant avait été embauché comme officier de vol alors qu’il était dans la quarantaine, il ne serait probablement pas devenu commandant avant la fin de la cinquantaine. Etant donné que la Federal Aviation Administration exige qu’un pilote prenne sa retraite à l’âge de 60 ans, l’appelant n’aurait pu occuper le poste de commandant que pour une brève période avant le moment de sa retraite. Il aurait alors fallu remplacer l’appelant par un autre pilote, nouveau au poste de commandant. Donc, par sa politique d’embauchage de pilotes relativement jeunes, la compagnie s’assure que l’expérience de ses commandants actifs sera plus grande. Cela, comme nous l’avons mentionné plus haut, assure une plus grande sécurité.

L’appelant soutient que les éléments de preuve présentés à la Cour de district n’indiquent qu’une augmentation négligeable dans le niveau de sécurité des passagers dans un avion de la compagnie American Airlines et que cette différence négligeable n’est pas suffisante pour justifier une politique d’âge globale. Il soutient qu’il est impossible de fonder une exigence professionnelle normale sur une augmentation négligeable de la sécurité alors que d’autre part plusieurs candidats possibles ne pourront pas, à cause de cela, s’engager dans la carrière de leur choix. Nous ne sommes pas d’accord.

Au contraire, nous pensons qu’une augmentation de la sécurité est raisonnablement nécesssaire aux opérations normales de la compagnie American Airlines... Par conséquent, à notre avis, on doit laisser à l’industrie de l’aviation une grande liberté d’action et une grande discrétion pour décider de quelle manière son fonctionnement sera le plus sécuritaire: Usery v. Tamiami Trail Tours Inc. 531 F. 2d, 224, 236 n30 (5e Cir. 1976). Ceci est conforme au point de vue de la compagnie American Airlines selon lequel être sûr n’est pas suffisant. Au contraire, le but ultime est d’assurer un transport aérien qui soit le plus sûr possible. A notre avis, les cours ne possèdent pas l’expérience qui leur permettrait, dans une affaire où la sécurité joue un rôle critique, de remplacer par leurs propres opinions celles de l’employeur.

Nous n’avons pas été convaincus non plus par l’argument de l’appelant alléguant ce fait indisputé que tous les commandants, sans égard à leur âge, doivent commencer à un point où ils n’ont aucune expérience comme commandant. Comme nous l’avons indiqué plus haut, il reste que le but poursuivi par la compagnie American Airlines de pouvoir compter sur un groupe de commandants qui ont accumulé la plus longue expérience possible dans les postes de pilotage de la compagnie, est d’après nous, complètement justifié. Nous croyons que la détermination des faits qui a été faite par la Cour de district et qui a été, en grande partie, approuvée par les parties, appuie la conclusion que les politiques d’embauchage de la compagnie American Airlines, a l’inclusion de la directive concernant l’âge de 40 ans, pourrait faire qu’une personne de moins mourrait contrairement au cas où la compagnie aurait été sommée d’abandonner ou de modifier ces politiques. Voir Hodgson v. Greyhound Lines, Inc. 499 F. 2d 859, 863 (7e Cir. 1974), bref de certiorari refusé sub nom. Brennan v. Greyhound Lines Inc. 419, U. S. 1122 (1975).

En somme, les éléments de preuve factuels de même que les précédents juridiques sont nombreux à l’appui des constatations faites par la Cour de district. Nous devons conclure que la directive de la compagnie American Airlines (âge de 40 ans) est une exigence professionnelle normale raisonnablement nécessaire aux opérations normales de la compagnie American Airlines.

Dans l’affaire dont nous sommes saisis, le Commandant Sanderson a témoigné du fait que tous les candidats embauchés par Air Canada désirent éventuellement devenir commandants de bord. Il n’y a cependant pas ici de règle équivalente à la règle avance ou va- t- en de la compagnie American Airlines. Au contraire, il est possible à Air Canada, et cela se produit en effet, d’entreprendre une carrière permanente comme officier en second ou comme co- pilote.

Il existe en effet une anomalie assez étrange a Air Canada en ce qui concerne la promotion du poste de co- pilote à celui de commandant. Un co- pilote peut tenter d’être promu lorsqu’il a acquis l’ancienneté nécessaire et qu’un poste devient vacant. Dans le cas où ses efforts de recyclage ne sont pas couronnés de succès (il peut faire deux tentatives en six mois), il ne peut pas retourner à son poste de co- pilote. Il doit plutôt obtenir les qualifications nécessaires pour un poste d’officier en second. Il existe donc un certain risque à tenter le recyclage pour devenir commandant. D’autre part, un co- pilote qui refuse d’entreprendre les test de recyclage par peur de l’échec ou parce qu’il ne veut pas changer de domicile ou faire déménager sa famille, ce co- pilote peut rester à son poste de façon permanente. Voici l’échange que nous avons eu avec le Commandant Sanderson sur ce point:

"Le Président: Si je comprends bien, quelqu’un qui occupe le poste de co- pilote peut choisir de faire carrière comme co- pilote.

Le Témoin: Oui. Le Président: Il n’est donc pas obligé d’obtenir les qualifications nécessaires pour devenir commandant lorsqu’un poste devient vacant?

Le Témoin: Non, il n’est pas obligé. C’était le cas autrefois mais plus maintenant et ces cas ne sont pas en très grand nombre.

Le Président: D’une certaine façon, il prend un certain risque. Je suppose que c’est là l’idée qui sous- tend les questions de M. Hunter; le pilote prend un risque parce que s’il ne réussit pas, il perdra alors son emploi?

Le Témoin: Ce risque existe, oui. (Transcription, p. 1069) Il semble de plus, qu’il faut jusqu’à 23 ans pour qu’un individu puisse se rendre du poste d’officier en second à celui de commandant. L’individu en question conserve généralement le poste d’officier en second pour une période de 2 à 10 ans et ensuite il occupera le poste de co- pilote peut- être de 6 à 23 ans tandis que pour le reste de sa carrière, il occupera le poste de commandant. Ces laps de temps varient donc selon les facteurs économiques, le taux d’expansion de la compagnie aérienne et selon le désir de chaque pilote individuellement de se recycler pour atteindre un statut plus élevé.

Air Canada désire porter à son maximum le nombre d’années pendant lesquelles un pilote occupe le poste de commandant de façon à récolter les meilleurs résultats possibles de la formation coûteuse qui a été donnée au pilote. Il n’existe cependant ici aucun élément de preuve présenté au tribunal permettant de croire que la politique d’embauchage d’Air Canada a pour but spécifique, comme c’était le cas dans l’affaire Murname, de favoriser le plus possible l’acquisition d’expérience par les commandants dans un but de plus grande sécurité. Il est évident que cela n’est pas le cas à Air Canada puisque la compagnie permet à certains individus de croupir dans des postes d’officier en second ou de co- pilote, sans leur imposer l’obligation de se qualifier pour obtenir un poste plus élevé. La promotion à un poste d’un cran plus élevé dépend des circonstances économiques d’Air Canada et du désir de chaque pilote individuellement de monter en grade lorsqu’il en a l’occasion. S’il arrive qu’en pareille occasion, le pilote désire demeurer à son poste d’officier en second par exemple, et refuse de monter en grade, ou par exemple s’il choisit d’être promu plus tard à un temps qui lui convient mieux, il contrecarre par là le principe de l’augmentation maximum du nombre d’années de service comme commandant auxquelles il devrait se plier s’il devait respecter la règle du avance ou va- t- en. Puisque cette règle n’existe pas par conséquent, on ne peut pas dire que la politique d’âge à l’embauchage d’Air Canada a pour but l’augmentation du niveau de sécurité par l’augmentation de l’expérience de son groupe de commandants. Si ce tribunal voulait appliquer le principe de l’affaire Murname aux circonstances de l’affaire dont nous sommes saisis, il devrait agir sur la foi de pures suppositions ou il devrait se baser sur des éléments de preuve qui seraient plus impressionnistes que réels. (Voir The Ontario Human Rights Commission v. The Borough of Etobicoke, supra, aux pp. 8- 9). La seule affirmation du Commandant Sanderson à l’effet que la compagnie considère chaque candidat, d’un point de vue économique, comme un futur commandant, ne peut pas fonder une conclusion qui serait justifiée par des preuves solides, selon laquelle la politique d’embauchage d’Air Canada est raisonnablement nécessaire pour favoriser la sécurité du public. Même si l’obligation qui incombait à Air Canada de faire la preuve d’une exigence professionnelle normale est moins grande à cause du fait que l’occupation de pilote comporte en soi des dangers, nous croyons que la compagnie a quand même l’obligation de présenter des éléments de preuve crédibles sur l’importance d’accroître le plus possible l’expérience de ses commandants dans un but de sécurité. Par conséquent, la décision dans l’affaire Murname n’est pas vraiment utile aux éléments de preuve présentés dans la présente affaire.

De toute façon, il serait difficile de concilier le principe Murname avec l’habitude qu’a Air Canada d’ignorer de temps à autre sa propre politique et d’embaucher des pilotes plus âgés lorsque les conditions économiques le rendent nécessaire. S’il était vrai que la sécurité publique était la raison suprême de respecter la limite d’âge à l’embauchage de façon à augmenter le nombre d’années pendant lesquelles un pilote occuperait le poste de commandant de bord, il faudrait donc conclure que l’attitude d’Air Canada qui consiste à embaucher des pilotes plus âgés quand cela joue en sa faveur pour des raisons économiques, que cette attitude, dis- je, semblerait démentir le raisonnement que je viens d’énoncer.

6. CONCLUSIONS

Les plaignants avaient tous les qualifications nécessaires pour le poste qu’ils postulaient; mis à part leur âge, ils possédaient toutes les qualifications requises normalement par Air Canada au stade auquel les plaignants furent rejetés. Les plaignants ont pu prouver que leurs demandes d’emploi comme pilotes à Air Canada ont été rejetées de façon directe ou indirecte pour un motif de distinction illicite, soit l’âge, avant et après le 1er mars 1978, date d’entrée en vigueur de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et par conséquent il y a eu une violation de cet article.

A cause de la limite d’âge à l’embauchage imposée par Air Canada, un candidat pilote qui est chronologiquement plus âgé doit faire preuve de qualifications plus grandes qu’un candidat plus jeune. Cette politique prive ou tend à priver un groupe d’individus âgés de plus de 27 ans de chances d’emploi pour un motif de distinction illicite, soit l’âge. Cela constitue un acte discriminatoire aux termes de l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

En ce qui concerne la défense d’ exigence professionnelle normale invoquée par Air Canada, on doit se souvenir du test en deux parties proposé par la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt The Ontario Human Rights Commission v. The Borough of Etobicoke, supra. Il n’y a aucun doute que la première partie de ce test a été satisfaite par Air Canada car elle a imposé cette politique d’âge à l’embauchage de bonne foi et avec la croyance sincère qu’une telle restriction est imposée afin d’assurer la performance adéquate du travail en question afin que celui- ci soit exécuté d’une façon efficace, sécuritaire et économique, dans les limites de la raison, et non pas pour des motifs étrangers ou encore à cause d’arrière- pensées qui n’auraient pour effet que de faire échec à l’intention du législateur. C’est par rapport à la seconde partie du test qu’Air Canada doit pour ainsi dire faire face à de forts vents contraires. On doit appliquer ici le test de nécessité d’affaires établi par la Cour Suprême du Canada et ce n’est pas superflu de le répéter: une exigence professionnelle normale doit être reliée de façon objective à la performance de l’emploi en question en ceci que cette exigence est raisonnablement nécessaire pour assurer la performance efficace et économique de l’emploi sans mettre en danger l’employé lui- même, ses pairs et le grand public.

Il est clair que l’essentiel des affaires d’Air Canada sont orientées vers le transport sécuritaire de ses passagers. Par conséquent, à cause de l’intérêt que professe la compagnie pour la sécurité publique, le fardeau de la preuve qui incombe à Air Canada en établissant la défense d’ exigence professionnelle normale selon le jeu des probabilités doit être souple et ce tribunal est disposé à rendre son fardeau plus léger sous cet aspect. Cependant, je dois tenir compte de ce que le tribunal a dit dans l’affaire Bhinder v. C. N. R., supra, à la p. 84:

(Traduction) Lorsque l’âge de l’employé est une exigence, (comme dans les cas où il existe des implications de sécurité pour le public), l’intimé doit démontrer qu’il n’est ni possible ni pratique de mettre à l’épreuve l’attitude réelle de l’employé concerné. Donc, même si le fardeau de la preuve de l’employeur est plus léger quand il s’agit d’emplois comportant des risques, il est clair que l’exception relative aux exigences professionnelles normales doit être interprétée d’une manière stricte et, par conséquent, que les actes discriminatoires doivent toujours faire l’objet d’un examen minutieux."

Cet examen minutieux a comme base le principe qui forme la pierre angulaire de la Loi canadienne sur les droits de la personne, tel qu’exprimé à l’article 2 a) de la loi:

"tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur... l’âge...".

Après avoir examiné avec soin chacun des fondements de la défense d’ exigence professionnelle normale invoquée par Air Canada, je suis forcé de conclure que la compagnie n’a pas satisfait à l’obligation qui lui incombait de faire la preuve, d’un point de vue de nécessité d’affaires qu’il existe un fondement réel à la croyance selon laquelle tous les pilotes ou presque tous les pilotes de plus de 27 ans qui possèdent des qualifications semblables à celles de candidats plus jeunes sont incapables d’une performance de travail sûre et efficace; ou qu’il n’est ni possible ni pratique de mettre à l’épreuve ces individus qui ont dépassé un certain âge, de façon individuelle, avant le moment de la retraite obligatoire, en vue de s’assurer qu’ils répondent aux exigences rigoureuses rendues nécessaires pour assurer la sécurité. Les éléments de preuve qui ont été présentés ne peuvent pas fonder la conclusion qu’il existe un risque suffisant causé par les déficiences des pilotes, chez les individus de plus de 27 ans pour justifier la limite d’âge à l’embauchage imposée par Air Canada.

Par conséquent, je dois conclure que les plaintes présentées devant ce tribunal sont justifiées.

Il me reste à exprimer ma reconnaissance aux deux avocats Mes Hunter et Morley pour leurs recherches et discussions approfondies.

Les parties se sont entendues sur le fait que l’enquête supplémentaire sur la question de réparation et sur l’adjudication qui devra être faite aux termes de l’article 41( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne devra être tenue plus tard. Les avocats des parties devront donc s’entendre sur une date d’audition convenant aux intéressés.

Toronto, le 9 mars 1982.

(signé) Sidney N. Lederman

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