Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

HELEN OSTER

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

INTERNATIONAL LONGSHOREMEN’S & WAREHOUSEMEN’S UNION (SECTION MARITIME), LOCAL 400

l’intimé

MOTIFS DE LA DÉCISION

D.T. 4/00
2000/08/09

TRIBUNAL :

Claude Pensa, c.r.
Président

(TRADUCTION)

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. HISTORIQUE

III. PREUVE

A. L’incident

(i) La plaignante

(ii) Peter Ray Robertson

(iii) Le rapport d’enquête

IV. LA QUESTION DES QUALITÉS REQUISES

A. M. Robertson

B. Allan Leonard Engler

C. Ronald William Hilder

D. La convention collective

V. QUESTIONS

VI. ANALYSE

A. L’incident

(i) Prétention établie Prima Facie

(ii) Norme de l’expérience

VII. LE DROIT

A. La question de justification

B. L’obligation du syndicat

VIII. LA QUESTION DE LA PRESCRIPTION

A. Préjudice

IX. RÉPARATION

I. INTRODUCTION

[1] La plaignante, Helen Oster, allègue avoir des motifs raisonnables de croire que le local 400 de l’International Longshoremen’s & Warehousemen’s Union (Section maritime) (ci-après le syndicat) a fait preuve de discrimination sexuelle à son endroit en contravention de l’article 9 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (Loi). Dans les détails de la plainte, Mme Oster mentionne qu’en janvier 1992, elle a commencé à s’inscrire comme demandeuse d’emploi au bureau de placement du syndicat local 400, et ce, relativement à un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière. La plainte allègue également ce qui suit :

« Le 8 mars 1994, le président du syndicat, David Crain, a téléphoné chez Norsk Pacific pour proposer ma candidature à un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière. On l’a informé que je ne pouvais pas être une candidate à ce poste parce que le bateau en question n’avait pas de lits séparés pour les femmes. Le poste comportait des quarts de travail de six heures et, par conséquent, les membres de l’équipage ne pouvaient se trouver dans la cabine au même moment. Il n’y aurait donc pas eu de problèmes à ce que les hommes et les femmes couchent dans les mêmes lieux.»

[2] Bien que le rapport de Mme Oster avec le syndicat ait des antécédents considérables, le tribunal doit se pencher sur un incident particulier survenu à une date particulière en fonction des détails de la plainte.

II. HISTORIQUE

[3] Dans la preuve qu’elle a déposée, la plaignante a affirmé qu’elle a d’abord tenté d’obtenir un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière en janvier 1992 par l’intermédiaire du bureau de placement de l’intimé. Elle avait acquis l’expérience de ce travail sur des bateaux de pêche commerciale. C’était un poste pour lequel elle possédait les compétences, puisqu’elle avait suivi un cours de formation au Pacific Marine Training Institute. Elle détenait également un certificat de cuisinière professionnelle en art culinaire du Vancouver Community College. Son expérience sur les bateaux a commencé en 1988 et s’est poursuivie durant trois ans. Elle s’étendait aux tâches reliées aux engins de pêche, au nettoyage et à l’entreposage du poisson ainsi qu’à la timonerie.

[4] Au cours de la période d’environ deux ans et demi qu’a durée son association avec l’intimé, elle a obtenu approximativement soixante-quinze jours de travail, certains à titre de cuisinière et certains autres à titre de matelot de pont-cuisinière ou de matelot de deuxième classe. Durant cette période, elle n’était pas membre du syndicat, titre que l’on ne peut acquérir, selon les modalités de la convention collective, qu’après avoir été inscrite sur une liste de paie pour soixante jours de travail consécutifs. Du fait qu’elle n’était pas membre du syndicat, la plaignante devait se rendre au bureau de placement pour obtenir une affectation, ce qui constitue une reconnaissance que l’on accorde la priorité aux membres du syndicat, à ceux et celles qui ont le plus d’expérience et qui se sont pointés au bureau de placement pour le plus grand nombre de jours accumulés. Il existe une liste séparée que l’on appelle la liste de nuit et qui est réservée aux personnes qui ne sont pas membres du syndicat. La plaignante s’est élevée au deuxième rang de cette liste en 1994. Lorsque le bureau de placement syndical reçoit un avis téléphonique qu’il y a un poste à combler, l’on inscrit la description de ce poste sur un tableau ainsi que l’heure où il y aura appel. Pour obtenir le poste, il faut se trouver dans le bureau de placement au moment de l’appel. Les personnes qui veulent le poste lèvent leur main et le choix s’effectue conformément aux règles établies.

III. PREUVE

A. L’incident

(i) La plaignante

[5] La plaignante affirme qu’elle se trouvait dans le bureau de placement le 8 mars 1994, lorsque quelqu’un lui a demandé de se rendre au bureau de David Crain. M. Crain était le président du syndicat. Lorsqu’elle est entrée dans ce bureau, elle a remarqué que Peter Lahay, un autre employé du syndicat, s’y trouvait. David Crain était au téléphone, apparemment en conversation et répondant affirmativement à ce qu’on lui disait. Après qu’il eut raccroché le combiné, il a dit à la plaignante qu’il avait discuté avec un employeur, Norsk Pacific Marine Services (Norsk), au sujet d’un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière sur le bateau The Texada Crown, mais qu’il n’y avait pas de lits séparés pour les femmes. Peter Lahay, qui connaissait apparemment quelque peu le bateau en question, a approuvé ce que M. Crain avait dit. Cependant, il a émis le commentaire que sur ce bateau, la plaignante ne serait pas dans la cabine en même temps qu’un autre membre de l’équipage en raison des quarts de travail différents de six heures. Crain a alors dit que Norsk et lui-même avaient convenu que le bateau ne pouvait accueillir des femmes. Le poste en question devait être comblé sur un remorqueur qui devait prendre la mer durant quatorze jours consécutifs de vingt-quatre heures.

[6] Elle n’a pas compris pourquoi les lits ne convenaient pas, puisqu’elle avait travaillé sur des bateaux de pêche qui n’avaient pas de lits séparés pour les femmes et que cela ne représentait pas un problème à ses yeux. Elle avait travaillé sur des bateaux de pêche qui comportaient deux cabines dans le gaillard d’avant que les hommes de pont utilisaient. Lors de la rencontre avec David Crain, il n’y a pas eu de discussion au sujet des titres de compétence ou de l’expérience de la plaignante relativement au poste. Elle avait travaillé sur un remorqueur en tant que cuisinière lors d’un long voyage, mais pas en tant que matelot de pont-cuisinière.

[7] La plaignante affirme qu’après avoir été rejetée à titre de matelot de pont-cuisinière sur le Texada Crown, elle est revenue au bureau de placement le lendemain, le 9 mars, et qu’elle a alors été affectée chez un autre employeur, Tymac Launch Services, pour du travail à exécuter le jour même, mais que cet employeur a rejeté sa candidature parce qu’il cherchait une personne qui possédait une expérience des chalands.

[8] À ce moment-ci, il faut remarquer que le rejet de sa candidature, comme le caractérise la plaignante, qui est survenu le 8 mars, ne s’est apparemment pas effectué selon les règles qui régissent ordinairement le bureau de placement. La plaignante n’est pas retournée au bureau de placement pour être témoin de l’affectation au poste sur le Texada Crown ou pour y participer parce que, a-t-elle allégué, elle considérait que ce qui s’était déroulé dans le bureau de M. Crain lui enlevait toute possibilité d’être affectée au poste.

(ii) Peter Ray Robertson

[9] Au moment en question, Peter Robertson était un employé de Norsk, où il a travaillé de 1992 à 1999. En mars 1994, il était le directeur général et administrateur de Canada Steamship Lines, dont Norsk était une filiale. Durant la période concernée, il s’occupait de la supervision générale des activités du remorqueur. Il communiquait régulièrement avec la personne responsable de la répartition au sein du syndicat au sujet du personnel. C’est lui qui avait appelé le syndicat pour demander un matelot de pont-cuisinier/cuisinière afin de remplacer un employé blessé. À la suite de cet appel, David Crain lui a téléphoné pour lui demander à quel bateau se rapportait la demande. Robertson a répondu qu’il s’agissait du Texada Crown et il a décrit les installations du bateau. Bien qu’il ait eu de la difficulté à se rappeler des faits en raison du temps écoulé, il se rappelle que David Crain a dit :

« ... ce bateau ne conviendrait pas à une femme, n’est-ce pas, ou des mots qui voulaient dire cela…»

et qu’il a répondu

"… que non, je n’avais pas l’impression qu’il conviendrait à une femme."

[10] M. Robertson a dit que sa conclusion se fondait sur l’absence de lits appropriés. Le bateau comprenait une petite cabine de douche et une toilette. À son avis, le tout était simplement un peu trop rapproché. Pour ce qui est des modifications possibles aux installations, M. Robertson a affirmé :

Bien, on a suggéré de mettre une cloison entre les cabines, mais une cloison permanente aurait obstrué l’écoutille de secours et nous aurions eu affaire à la garde côtière…»

[11] Il a poursuivi en disant que financièrement, ç’aurait été un fardeau pour la société d’en faire autant, le coût ayant peut-être pu atteindre 10 000 $. Il a supposé qu’on aurait pu mettre un rideau entre les cabines pour pas très cher. Jamais une question de cette sorte ne s’était posée alors qu’il travaillait chez Norsk. Sur le Texada Crown, il y aurait eu deux matelots de pont-cuisiniers/cuisinières qui auraient travaillé sur des quarts différents de six heures et qui, donc, n’auraient jamais dormi durant les mêmes heures. Norsk fait partie du Council of Marine Carriers, organisation avec laquelle la convention collective avait été conclue.

(iii) Le rapport d’enquête

[12] Pour tirer une conclusion au sujet de ce qui s’est passé dans le bureau de M. Crain le 8 mars en présence de la plaignante, il est utile de comparer la preuve présentée par la plaignante à celle de M. Robertson relativement aux détails présentés dans la plainte ainsi que ce que dit le rapport d’enquête de la Commission en date du 20 juin 1997. Il faut observer que dans les détails de la plainte qu’elle a signée le 20 juin 1997, Helen Oster affirme que le 8 mars, le président du syndicat, David Crain, a téléphoné chez Norsk Pacific pour proposer ma candidature à titre de matelot de pont-cuisinière. Cela ne concorde pas avec la preuve qu’elle a présentée lors de cette audience du fait qu’elle ne maintient pas que Crain ait fait part de son intention de proposer sa candidature à un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière. Le deuxième paragraphe du rapport d’enquête mentionne ce qui suit :

« L’intimé nie avoir fait preuve de discrimination à l’égard de la plaignante, puisqu’il a soumis sa candidature à un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière. Il observe cependant que, même s’il soumet des candidatures aux sociétés qui en demandent, cela n’oblige pas ces sociétés à accepter la personne affectée. Par conséquent, comme l’intimé a rempli son obligation en soumettant la candidature de la plaignante pour le poste, il ne peut y avoir de fondement à la plainte.»

[13] Le quatrième paragraphe du rapport énonce ce qui suit :

À la suite de la demande d’un matelot de pont-cuisinier/cuisinière, le président de l’intimé a téléphoné à la société pour soumettre la candidature de la plaignante au poste; toutefois, avant qu’il ne puisse le faire, les deux ont convenu que le poste ne conviendrait pas à une femme parce que le bateau ne disposait pas de lits séparés. La plaignante était présente durant la conversation. Elle affirme que le président n’a mentionné ni son nom ni ses qualités ni son expérience et qu’il n’a pas non plus dit à la société qu’il pensait à soumettre la candidature d’une femme à ce poste; peu après la conversation, un homme a été affecté à ce poste. Le représentant de la société l’a confirmé. Il a aussi dit qu’il n’avait pas eu de discussion avec l’intimé sur la façon dont le bateau pourrait être modifié pour répondre aux besoins d’une matelot de pont-cuisinière. Le président de l’intimé n’a pas documenté cette conversation. Il a eu un accident cérébrovasculaire et est mort avant qu’on puisse l’interroger.»

[14] Comme le montreront ces motifs, je n’ai pas trouvé que les incohérences entre la plainte et le rapport d’enquête étaient problématiques en rapport avec une conclusion de fait au sujet de l’incident du 8 mars.

IV. LA QUESTION DES QUALITÉS REQUISES

[15] Des questions sont soulevées au sujet des qualités de la plaignante relativement au poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière comblé le 8 mars. L’intimé prétend qu’inévitablement, la plaignante n’aurait pu être affectée à ce poste en raison de son manque d’expérience et de capacité physique. L’avocate de la Commission admet qu’il s’agit d’un dossier qui a trait au moins à l’expérience, mais je n’accepte pas nécessairement cette admission comme reflétant la position de la plaignante dans son témoignage devant ce tribunal. De toute façon, cette question touche également celle de l’hébergement.

A. M. Robertson

[16] M. Robertson a affirmé que le personnel affecté par le syndicat fait l’objet d’une évaluation de la part des capitaines et lieutenants du bateau sur lequel il doit servir. En vertu de la convention collective, il existe une période de quatre-vingt-dix jours pour évaluer une personne. Si cette personne ne répond pas aux normes de l’employeur, celui-ci peut la renvoyer ou demander un remplaçant ou une remplaçante. Dans le cours normal de ses activités, M. Robertson parlait habituellement à M. Crain qui, a-t-il dit, se battait toujours pour ses membres s’il pensait qu’on les traitait inéquitablement. Le voyage du Texada Crown comportait des chalands de remorquage, ce qui, normalement, comportait un voyage entre Campbell River et Seattle. Les tâches de matelot de pont-cuisinier/cuisinière comprenaient du travail à l’extérieur, l’accrochage de chalands, le décrochage, les tâches générales de matelot de pont, le nettoyage du bateau et la cuisine pour un équipage de cinq personnes. Pour une traversée de quatorze jours, l’équipage manipulait entre quatorze et dix-huit chalands et, parfois, jusqu’à vingt-quatre. Le chargement et le déchargement sur le cours d’eau est un travail difficile. Les lignes de flottaison doivent arriver à égalité avec le remorqueur qui retient le chaland dans le bassin tandis que le matelot de pont décroche les cordages et les dépose sur la grève. Alors, le matelot de pont, avec une gaffe, tire les câbles pour les relier aux bollards. Les câbles ont une longueur de soixante-cinq pieds et comprennent un œil de trois pieds fait d’un câble d’acier d’un pouce et un quart. Cette manipulation exige une bonne dose de force. Les tâches peuvent être plus difficiles selon le temps qui, en mars, peut être rude. Norsk exigeait un certificat de salubrité pour qu’une personne soit embauchée sur une base permanente. La société demande aussi que le personnel ait de l’expérience en matière de chalands parce que le travail peut être dangereux.

[17] La personne doit correspondre physiquement aux exigences et être forte physiquement. Il s’agit d’un secteur à risque élevé où des accidents surviennent, comme se faire écraser entre les chalands, glisser et tomber, tomber lorsque le chaland est en route. Norsk n’aimait pas avoir du personnel inexpérimenté parce que celui-ci ne connaît pas les dangers que comportent l’accrochage et le décrochage d’un chaland. Le 8 mars, Norsk recherchait une personne ayant l’expérience des chalands. Une personne qui ne posséderait qu’une expérience d’un bateau-taxi Tymac n’aurait pas les qualités voulues. Le 8 mars, M. Robertson a dit à la personne responsable de la répartition qu’il voulait une personne ayant l’expérience des chalands. La personne affectée a été Bruce Herd, au sujet duquel Norsk n’avait aucune plainte du fait qu’il avait des antécédents de travail au sein du secteur. Robertson avait téléphoné au syndicat entre 8 heures et 9 heures du matin et avait demandé une personne expérimentée pour combler le poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière. Le bateau se trouvait près de Campbell River et le remplacement devait se faire le jour même.

[18] Sur le Texada Crown, les cabines se trouvent dans le gaillard d’avant, là où il y a rétrécissement vers la proue. Les lits se touchent presque. En vertu de la convention collective, les syndicats ont négocié la taille des cabines, la taille de la chambre d’ordinaire, la taille des lits, et ce, particulièrement en ce qui concerne les nouveaux bateaux, et la société doit se conformer à ces exigences. M. Robertson ne connaissait aucun employeur de ce secteur qui exigeait d’un employé qu’il partage son lit avec un membre d’équipage de l’autre sexe. Il n’avait pas entendu parler des matelots de pont féminins.

B. Allan Leonard Engler

[19] Le président du syndicat local 400, Allan Leonard Engler, occupe ce poste depuis 1996. Il possède une longue expérience du secteur de l’expédition, ayant commencé à travailler à titre de matelot de pont, travail qu’il a quitté parce que c’était trop dangereux pour lui à cause d’un handicap visuel. Le travail exige une force considérable du haut du corps ainsi que des mains et des bras puissants. La plus grande part de l’emploi au sein du secteur est stable, les gens qui ont plusieurs années d’expérience travaillant pour une société et possédant les qualités requises pour être membres du syndicat. L’objectif du bureau de placement est d’offrir de l’emploi aux membres qui, pour une raison ou pour une autre, quittent ou perdent leur emploi. Les employées et les employés permanents à temps plein ne vont pas au bureau de placement. Ceux et celles qui y vont sont des membres qui, en raison d’un manque d’ancienneté, ne peuvent conserver un emploi, ont été mis à pied et cherchent un autre emploi. Également, il y a des personnes qui ne sont pas des membres et qui tentent de faire leur entrée dans le secteur. Les non-membres qui veulent devenir membres doivent d’abord être affectés à des travaux. Habituellement, au début, ces personnes sont affectées à des bateaux-taxis Tymac parce ce sont des emplois qui n’ont qu’un seul quart qui dure de quatre à douze heures. Le syndicat obtient les commentaires des employeurs au sujet de leur rendement ou de problèmes, le cas échéant. Il s’agit donc de postes qui permettent la formation. Les tâches sont plutôt limitées, car il s’agit de remorqueurs et de chalands beaucoup plus petits. De là, le syndicat peut avoir une idée quant à savoir si les personnes peuvent exécuter le travail. Voici la procédure relative aux postes à combler : les employeurs téléphonent au syndicat pour demander un personne pouvant combler un poste particulier au sein de l’équipage. Ce poste est affiché sur un tableau et la demande par téléphone est enregistrée. Une personne intéressée à ce travail se rend au bureau de placement au moment indiqué. La personne dont le nom apparaît en premier sur le tableau, si elle est membre du syndicat, se verra accorder l’emploi. S’il n’y a pas de membres disponibles, le ou la non-membre qui possède de l’expérience et qui est au premier rang sur la liste de nuit se verra accorder l’emploi. À strictement parler, il ne s’agit pas d’un système d’ancienneté; ce système est fondé sur la période de temps au cours de laquelle la personne a été inscrite pour l’obtention d’un emploi plutôt que sur la période de temps au cours de laquelle elle a fait partie du secteur. Une personne ne peut s’inscrire pour obtenir du travail si elle n’est pas disponible.

[20] La plaignante était la deuxième sur la liste de nuit. Le système de répartition est très ouvert et transparent. Il fonctionne délibérément en présence des membres et des non-membres. En tout temps, les personnes expérimentées passent devant les personnes inexpérimentées. Lorsqu’une personne a manifesté son intérêt pour un poste, le répartiteur ou la répartitrice retire sa carte du tableau, rédige sa fiche de répartition et communique par téléphone avec l’employeur. Dans le cas d’une personne qui n’est pas membre, on demandera à celle-ci de se rendre au bureau du répartiteur ou de la répartitrice où l’on rédigera une fiche de répartition et communiquera avec l’employeur. Dans le cas d’un refus, un différend peut survenir entre l’employeur et le syndicat. Cela se produit occasionnellement. Il y aurait violation du système de répartition si l’on appelait l’employeur à l’avance, c’est-à-dire avant que la procédure de répartition ait été terminée. Il y a deux raisons pour mettre l’accent sur l’expérience : la première est qu’il s’agit d’une obligation contractuelle à l’égard de l’employeur de lui envoyer des personnes qui sont en mesure de faire le travail; la deuxième est qu’il s’agit d’une obligation morale ou relevant du sens commun à l’égard des membres et du secteur, celui-ci exigeant la formation d’équipages dans des délais très serrés. Il n’y a pas d’employés de relève sur un bateau. Si une personne ne peut pas accomplir le travail, elle se place elle-même et place les autres membres de l’équipage en situation de danger. C’est particulièrement le cas dans un système de deux quarts de travail. Le bateau est extrêmement bruyant, les vibrations sont fortes et il y a beaucoup de fracas et de claquements. Les quatorze jours sont difficiles. Le fait d’affecter des personnes inexpérimentées est contraire aux obligations prévues dans la convention collective.

[21] M. Engler a décrit la prévalence des blessures telle que reflétée dans les dossiers relatifs aux indemnités d’accident du travail. On y trouve des blessures au dos, des bras brisés, des jambes brisées, des chutes d’échelles et des glissades sur la surface d’un chaland. Les câbles d’acier pèsent entre soixante-dix et quatre-vingt-dix livres. Il est possible d’acquérir de l’expérience à l’extérieur du syndicat et dans d’autres secteurs, comme dans les emplois dans les chantiers forestiers, les moulins à scie et la construction. Il est également nécessaire de posséder une expérience et une formation dans l’utilisation des gilets de sauvetage et du matériel d’extinction des incendies. Bruce Herd a été affecté à la place de Helen Oster parce qu’il avait trois années d’expérience sur les remorqueurs à titre de matelot de pont-cuisinier et de matelot de pont.

[22] M. Engler a affirmé que David Crain était un exceptionnel défenseur du syndicat. À titre de président, ce n’était pas sa responsabilité d’affecter les personnes, mais celle du secrétaire-trésorier ou de la secrétaire-trésorière qui conserve les dossiers du syndicat, y compris les dossiers des affectations. Selon la charge de travail, il passait une bonne partie de son temps à s’occuper des questions d’affectation, ce qui comprend non seulement le fait d’affecter des personnes mais aussi de conserver les dossiers. Les dossiers de la plaignante n’indiquent pas qu’elle ait jamais été une matelot de pont-cuisinière sur un pousseur-remorqueur. Elle ne possédait aucun dossier démontrant qu’elle avait obtenu une affectation à titre de matelot de pont-cuisinière ou de matelot de pont sur un pousseur-remorqueur. La société Tymac lui a refusé une affectation le 9 mars en raison d’une expérience négative qu’elle avait connue avec elle antérieurement. Le travail est beaucoup plus léger sur le genre de bateau que possède cette société. Un autre employeur, Seaspan, lui a refusé une affectation en mai 1994 en raison de son inexpérience. M. Engler a laissé entendre que si elle s’était plainte parce qu’elle n’avait pas été affectée le 8 mars, le syndicat aurait pu téléphoner chez Norsk pour informer cette société des conséquences possibles qu’un refus d’accorder un emploi à une femme comportait. Le syndicat n’a jamais eu à faire face à une situation où une femme s’est inscrite pour obtenir un poste qui exige qu’elle partage son lit avec un homme.

C. Ronald William Hilder

[23] M. Hilder a affirmé qu’il est dans le secteur maritime depuis l’âge de douze ans. Il possédait un chalutier commercial alors qu’il fréquentait l’université, puis il s’est joint à Tymac Launch Services, d’abord à titre de capitaine de vedette, puis d’opérateur de bateau-taxi et de capitaine remorqueur. Il détient un poste de répartiteur, et ce, depuis1982. Ses tâches comprennent la responsabilité des ressources humaines, des relations de travail, des relations avec la clientèle et des activités générales de la société. Il a lui aussi décrit de façon assez détaillée les tâches de matelot de pont et les risques qui y sont associés. En vertu de la convention collective conclue entre le syndicat local 400 et Tymac, le syndicat a l’obligation de fournir à Tymac du personnel qualifié.

[24] La seule façon d’évaluer les qualités d’une personne est de l’observer dans l’accomplissement de ses tâches. Durant la période allant environ jusqu’au 8 mars 1994, il obtenait des personnes dont il était satisfait. Le capitaine rapportait tous les cas d’insatisfaction. Les employées et les employés qualifiés sont importants tant pour la sécurité que pour les aspects économiques de l’exploitation.

[25] La plaignante a travaillé périodiquement pour Tymac en 1992, 1993 et 1994. Elle a travaillé principalement sur des bateaux-taxis, mais a également travaillé sur des remorqueurs. M. Hilder a reçu des plaintes de trois capitaines remorqueurs selon lesquels elle ne possédait pas les qualités requises pour effectuer le travail et ne connaissait pas ses responsabilités. Elle ne connaissait ni la terminologie ni la façon de manipuler les câblages ou d’accrocher les chalands. Elle ne savait pas non plus comment faire les nœuds marins de base. Ces plaintes sont survenues durant sa première période de travail chez Tymac. Il a lui-même observé en 1993 la façon dont elle manipulait un câble. Il lui a dit qu’elle devrait apprendre à faire des nœuds, auquel cas il continuerait de l’employer sur des bateaux-taxis et des vedettes plutôt que sur des remorqueurs. Le 9 mars 1994, il a téléphoné à environ 12 h 30 pour demander une personne possédant une expérience des chalands pour combler un poste de matelot de pont. La plaignante s’est rendue dans le bureau de répartition et il lui a dit qu’il n’était pas satisfait de son expérience en matière de remorqueurs. Il a parlé à David Crain et une personne a été envoyée pour la remplacer. Les tâches de matelot de pont-cuisinier/cuisinière sur le Texada Crown seraient plus lourdes. À son avis, en mars 1994, la plaignante n’était pas en mesure d’effectuer le travail de matelot de pont-cuisinière sur un remorqueur.

D. La convention collective

[26] Les modalités d’une convention collective portent sur les questions du rapport entre l’intimé et les employeurs, sur les qualités requises et sur les questions qui ont trait au devoir de répondre aux besoins.

[27] La convention collective conclue entre le Council of Marine Carriers (dont Norsk fait partie) et le syndicat local 400 (le syndicat) de la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers pour la période de 1991 à 1994 reconnaît le syndicat comme l’agent négociateur accrédité de tout le personnel non breveté dans les nombreux postes décrits qui, il va de soi, comprend celui que voulait obtenir la plaignante. L’article 1.02 traite de la disponibilité du personnel et prévoit partiellement que la société accepte que le personnel non breveté à embaucher doive être demandé par l’intermédiaire du bureau de placement du syndicat; lorsque la société n’accepte pas les personnes dont elle est insatisfaite, elle doit en infomer le syndicat en donnant par écrit ses raisons; le refus ne doit pas être arbitraire ni reposer sur des motifs non valides; si le syndicat n’est pas en mesure de proposer des employées et des employés capables de faire le travail, compétents et satisfaisants, la société, pour éviter des retards de navigation, peut les remplacer en faisant appel à d’autres sources sur une base temporaire.

[28] L’article 1.07, intitulé Discrimination prévoit ce qui suit :

« La société convient de ne faire preuve d’aucune discrimination à l’égard d’une personne pour des raisons d’activité syndicale ou ayant trait au sexe, à la race, à la croyance, à l’apparence, à l’âge ou à l’origine ethnique. [sic]

[29] L’article 1.22, qui traite de la constitution des équipages, prévoit entre autres ce qui suit :

«(b) Dans la constitution des équipages des nouveaux bâtiments et bateaux et dans la constitution des effectifs de travail reliés à l’équipement, les parties conviennent que le facteur décisif doit être d’offrir des effectifs dont la taille et la qualité répondent efficacement aux exigences de l’exploitation, et ce, de façon sûre et conformément aux termes de cette convention.

(c) Les règles qui suivent doivent s’appliquer pour décider de l’équipage d’un remorqueur relativement au maintien d’une exploitation sûre et efficace en tout temps;

(i) l’équipage de tout remorqueur exploité sur une base commerciale doit être d’au moins deux (2) hommes;

(ii) la constitution de l’équipage d’un remorqueur doit prévoir que deux (2) hommes soient disponibles à la timonerie en tout temps lorsque le bateau est en route… (C’est nous qui soulignons.)

[30] L’article 2.10 prévoit que sur les bateaux où se trouvent des matelots de pont-cuisiniers/cuisinières, le capitaine doit leur assigner leurs tâches.

[31] L’article 4.02 traite de l’éducation et de la formation en plus d’établir un comité de l’éducation et de la formation qui vise à … favoriser l’éducation et la formation des membres d’équipage non brevetés. L’article définit un mécanisme relatif à l’éducation et à la formation et donne la responsabilité particulière à l’employeur de supporter les frais des cours de perfectionnement, y compris les salaires. Plus particulièrement, relativement aux matelots de pont-cuisiniers/cuisinières, il prévoit que pour améliorer leurs compétences culinaires, la société a l’obligation de prendre les dispositions pour les envoyer de temps à autre suivre des cours parrainés par Main-d’œuvre Canada et que l’employeur doit alors en supporter les frais. De plus, l’employeur est obligé d’offrir une aide salariale aux employées et employés éligibles qui suivent des cours conduisant à l’obtention de certificats.

[32] Je suis frappé de constater que ces dispositions constituent, pour le syndicat, un moyen efficace d’améliorer l’éducation et la formation de ses membres. À cet égard, l’intimé a fourni certaines lettres pour démontrer les efforts qu’il a faits au nom de la plaignante en vue de lui offrir de l’éducation et de la formation, probablement en vertu dudit article 4.02 de la convention collective. La première lettre porte la date du 7 avril 1994 et est adressée au directeur des ressources humaines de Seaspan International Limited. Elle se lit comme suit :

« Pour donner suite à notre conversation téléphonique du 5 avril 1994 au sujet de la formation d’une femme surnuméraire, vous trouverez, ci-joint, son curriculum vitae.

Dans l’esprit de l’équité en matière d’emploi, je crois que nous devrions examiner cette question, ce qui pourrait entraîner l’offre d’un emploi dans le secteur à cette demandeuse qui a besoin de formation pratique.»

[33] La lettre est signée par David Crain, à titre de président. Il faut remarquer que le nom de la personne qui fait l’objet de la lettre n’est pas indiqué, mais il a été dit que la lettre a été écrite à la demande de la plaignante.

[34] Il n’y a aucun dossier démontrant qu’il y aurait eu une réponse à cette lettre. Une deuxième lettre en date du 5 mai 1994, adressée au directeur des opérations de Tymac Launch Services, se lit comme suit :

« J’ai discuté précédemment de la question d’une certaine formation pratique pour Helen Oster en ce qui concerne le travail relié aux chalands. Vous avez indiqué que des personnes s’objectaient à cette proposition sans donner de raisons.

N’est-il pas possible que Helen ait l’occasion de se perfectionner lorsqu’elle travaille chez Tymac ?»

[35] La plaignante, dans l’exposé de sa preuve, a exprimé qu’elle doutait de la sincérité des efforts de l’intimé. Elle questionne l’intention réelle de la voir perfectionner ses habiletés. Sans doute peut-on observer à ce moment-ci que, premièrement, les deux lettres fournies sont postérieures à l’incident du 8 mars 1994 et qu’il n’y a aucun dossier démontrant les efforts déployés par l’intimé pour la période débutant en janvier 1992, lorsque la plaignante a tenté une première fois d’obtenir un poste de matelot de pont-cuisinière, et se terminant le 8 mars 1994; deuxièmement, lorsqu’on compare l’importance de l’obligation contractuelle définie à l’article 4.02 et l’effort démontré par les deux lettres mentionnées ci-dessus, il est difficile de ne pas en venir à la conclusion que l’effort semble quelque peu timide.

(V) QUESTIONS

[36] (a) Quelle est la caractérisation pertinente de l’incident qui est survenu le 8 mars 1994 dans le bureau de M. Crain ?

  1. La plaignante s’est-elle bien déchargée du fardeau de démontrer que la norme qui découle de l’incident devrait être retenue comme une preuve prima facie de discrimination ?
  2. En présumant qu’on a bien démontré qu’il s’agissait d’un cas de discrimination prima facie, l’intimé a-t-il prouvé que la norme de discrimination est une exigence professionnelle justifiée (EPJ) ou qu’il a agi de bonne foi en ayant des motifs raisonnables ?
  3. La plaignante possédait-elle les qualités requises pour le poste ?
  4. En présumant que la preuve a été faite, quel est le meilleur moyen de réparation ?

(VI) ANALYSE

A. L’incident

[37] La caractérisation de ce qui s’est passé dans le bureau de M. Crain le 8 mars précède l’application de tout principe de droit. Il est clair que l’intimé est une organisation syndicale au sens de l’article 9 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et qu’il est lié par l’alinéa c) de la Loi, selon lequel constitue un acte discriminatoire le fait, pour une organisation syndicale :

« d’établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une convention collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'organisation, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles soit de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, soit de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation.»

[38] Je suis enclin à conclure, essentiellement, que j’accepte ce qui a été dit dans le bureau de M. Crain le 8 mars, selon la preuve présentée par la plaignante, et que M. Robertson a été franc dans sa démonstration de ce dont il se rappelle. Je peux en arriver à cette conclusion nonobstant certaines ambiguités qui découlent du libellé de la plainte et du rapport de la Commission relativement à cette plainte. Je ne crois pas que la plaignante se soit faite dire expressément que M. Crain avait téléphoné chez Norsk pour proposer que la plaignante occupe un poste de matelot de pont-cuisinière, bien qu’elle ait fort bien pu présumer que c’était la raison pour laquelle elle avait été convoquée dans le bureau. Je ne vois aucune divergence essentielle entre les preuves présentées par la plaignante et par M. Robertson, qui, toutes les deux, m’amènent à la conclusion que ce qui a été dit dans le bureau de M. Crain avait trait à une conclusion à laquelle M. Crain et M. Robertson en étaient venus ensemble, c’est-à-dire que l’affectation de la plaignante sur le Texada Crown le jour en question à titre de matelot de pont-cuisinière ne devait pas se faire parce que le bateau ne disposait pas de lits séparés pour les femmes.

[39] C’est sur cette plate-forme factuelle plutôt étroite que le cas de la plaignante repose, ce qui soulève la question qui suit : ce qui s’est produit le 8 mars établit-t-il une prétention établie prima facie et a-t-il pour effet d’enclencher les dispositions de l’article 9 de la Loi ? Ici, à mon avis, un examen du contexte dans lequel la rencontre du 8 mars a eu lieu s’impose. La conseillère de la Commission soutient que ce qui est survenu dans le bureau de M. Crain revêtait l’autorité du président de l’intimé. M. Crain a convoqué la plaignante dans son bureau et, en effet, lui a dit qu’elle ne pouvait pas être affectée parce qu’il n’y avait pas de lits pour les femmes, interdisant ou rendant ainsi futile toute possibilité de se rendre au bureau de placement, ce qui lui aurait permis de lever la main pour manifester son intention de poser sa candidature. De plus, l’on allègue que même si on l’avait retenue pour poser sa candidature, le fait qu’elle n’aurait peut-être pas obtenu le poste en suivant la procédure du bureau de placement parce que quelqu’un ayant plus d’expérience aurait eu préséance ou, d’une autre façon, parce qu’elle n’aurait pu être affectée en raison de son manque d’expérience, n’est pas pertinent parce qu’un acte discriminatoire avait déjà été posé. La conseillère de la Commission admet que la plaignante manquait d’expérience. Cependant, lors de la rencontre dans le bureau de M. Crain, cette question n’a jamais été soulevée. Alors, ce qui s’est passé dans le bureau de M. Crain, allègue-t-on, était un acte de l’intimé qui, tout compte fait, jetait un froid.

[40] L’avocate de l’intimé a insisté sur le fait qu’un examen du contexte de l’incident survenu le 8 mars doit amener à conclure qu’il n’y a pas de démonstration de prétention établie prima facie et que l’article 9 n’est pas mis en cause. La plaignante n’a pas fait le nécessaire pour obtenir une affectation sur le Texada et ce qui s’est passé dans le bureau de M. Crain n’avait rien à voir avec les procédures établies de répartition auxquelles les parties avaient l’obligation de se conformer. De plus, il n’appartenait pas au président d’accorder ou de tenter d’accorder l’affectation, ce qui aurait constitué une interférence dans les procédures ordonnées et obligatoires du bureau de placement. L’avocate de l’intimé a étayé son allégation au sujet du contexte en mentionnant l’attitude apparemment passive de la plaignante au cours de la rencontre avec M. Crain, puisqu’elle n’a pas mentionné, dans sa preuve, qu’elle avait l’intention de poser sa candidature pour cette affectation particulière ni qu’elle s’objectait à ce qui s’était passé dans le bureau de M. Crain. Il y a eu référence à la preuve de la plaignante relativement à une réponse donnée à une question au sujet de ses attentes par rapport à l’intimé en ce qui concernait l’affectation. Elle a répondu qu’elle n’était pas certaine que le syndicat pouvait faire quoi que ce soit pour un ou une non-membre, mais qu’il lui semblait qu’il aurait dû chercher à lui trouver du travail compte tenu qu’elle était intéressée et qu’elle se rendait au bureau de placement depuis deux ans à cette époque. Si la plaignante avait été sérieuse, prétend l’intimé, elle aurait pu retourner au bureau de placement après la rencontre dans le bureau de M. Crain et lever la main lorsque l’appel a eu lieu pour ce poste. Encore une fois, on a allégué que si elle avait agi ainsi, elle n’aurait pas été affectée de toute façon en raison de son inexpérience et, plus certainement encore, parce que Bruce Herd, celui qui a été affecté, possédait l’expérience et les titres de compétence nécessaires.

[41] Il semble donc que les arguments de l’intimé reposent sur la notion que ce qui s’est passé dans le bureau de M. Crain, lorsqu’on l’examine dans son contexte, avait peu ou pas d’importance. M. Crain, simplement, faisait des demandes et transmettait des renseignements, et ce, complètement en dehors de la procédure de répartition du syndicat.

(i) Prétention établie Prima Facie

[42] Bien que l’on ne connaîtra jamais entièrement pourquoi la plaignante a été convoquée dans le bureau de M. Crain, il est possible de glaner ce qui s’est passé dans ce bureau, comme je l’ai dit, à partir de la preuve. M. Crain était le président de l’intimé et, bien que ce n’était pas sa responsabilité de gérer les affaires quotidiennes du bureau de placement, ce qui est le travail du répartiteur ou de la répartitrice, il avait sans aucun doute un pouvoir et une responsabilité de supervision générale. À mon avis, la conversation qu’il a eue avec M. Robertson, de chez Norsk, avait trait clairement au poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière affiché pour le Texada Crown. À la fin de cette conversation, personne n’aurait pu arriver à une autre conclusion que celle où l’on allait décourager la plaignante de proposer sa candidature parce que les lits ne lui convenaient pas parce qu’elle était une femme. Cela a été la raison et la seule raison mentionnée à ce moment. Dans la mesure où l’on peut discerner une norme ou un objectif de ce qui s’est passé durant l’incident du 8 mars, il faut partir de là pour établir si la norme ou le but est discriminatoire.

[43] Je ne constate aucune preuve d’une norme fondamentale visant un objectif de longue portée; plutôt, l’on peut mieux décrire le tout comme une pratique qui décourage les femmes de poser leur candidature à des postes sur des remorqueurs où les lits sont un peu trop rapprochés, comme M. Robertson l’a dit. La preuve présentée par l’intimé était qu’il n’y avait jamais eu de demande pour le partage des lits. Cette norme était présente dans les détails de cette affaire, quoique les hommes et les femmes n’auraient pas eu à se trouver dans les mêmes lieux en même temps en raison de leurs quarts de travail respectifs de six heures, qui étaient en alternance.

[44] Ce qui s’est passé dans le bureau de M. Crain, à mon avis, constitue une preuve prima facie de pratique discriminatoire fondée sur le sexe en contravention de l’alinéa 9(1)c) de la Loi. L’intimé a agi d’une manière qui a privé la plaignante d’une possibilité d’emploi en s’appuyant sur un fondement discriminatoire qui est interdit. Il n’y a aucune question, à mon avis, que la démarche entière prévue par la procédure de répartition n’a pas été épuisée jusqu’à une conclusion formelle. Ce qui est survenu a découragé la plaignante de participer plus avant à la démarche relativement à cette affectation particulière. La plaignante s’est acquittée du fardeau de la preuve à ma satisfaction. (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202)

[45] Le fardeau se reporte sur l’intimé, qui doit prouver, selon la prépondérance des probalités, que la norme est une EPJ et qu’elle repose sur un motif justifiable. La norme se justifie-t-elle sur les plans de la sécurité, de l’efficacité ou d’une autre raison légitime ?

(ii) Norme de l’expérience

[46] L’intimé allègue que la norme de l’expérience est neutre et n’a rien à voir avec le sexe. Si l’on se fie à la preuve présentée par M. Robertson, M. Engler et M. Hilder, la conclusion inévitable, peut-on alléguer, est que l’expérience dans les qualités requises pour travailler sur un bateau est fondamentale à une exploitation sécuritaire. Ces normes se reflètent dans la convention collective, qui oblige le syndicat à affecter du personnel qualifié. M. Engler, dans la preuve qu’il a présentée, a mis l’accent sur l’obligation contractuelle de l’intimé à l’égard de l’employeur d’envoyer à celui-ci des personnes qui ont de l’expérience, ce qui a un effet sur l’ensemble du rapport que l’intimé entretient avec les différents employeurs. Il a référé à l’obligation morale et fondée sur le sens commun à l’égard des membres du syndicat et du secteur, celui-ci devant fonctionner dans des délais très serrés pour la constitution des équipages. Le poste comporte des risques, notamment de blessures. La sécurité de l’ensemble des membres de l’équipage est reliée à l’expérience et à la compétence de chacun et chacune.

[47] L’ensemble de la preuve selon laquelle la plaignante n’avait pas assez d’expérience pour se qualifier pour l’affectation sur le Texada Crown et qu’en définitive, elle n’aurait pas été choisie pour cette raison, me satisfait.

[48] En présumant de cette conclusion, l’intimé dit que cela dispose de la plainte du fait qu’il y a absence de prétention établie prima facie.

[49] Je conviens que cela dispose de la cause de la plaignante en ce qui concerne l’attribution d’un effet discriminatoire prima facie de la norme de l’expérience. Cependant, cela ne dispose pas tout à fait de la plainte, parce qu’il y a un fondement selon lequel il suffit que la discrimination soit un fondement de la conduite de l’intimé.

[50] Relativement au droit des droits de la personne au Canada, dans Zinn and Brethour, il est établi, à la page 10-4 :

[notre traduction] La discrimination dans l’emploi fondée sur le sexe est interdite dans toutes les juridictions canadiennes. Fondamentalement, la discrimination fondée sur le sexe est interdite chaque fois qu’un homme ou une femme est traité ou traitée différemment en matière d’embauche, de renvoi, de licenciement, d’avantages, de salaires, d’avancement et de formation. Cependant, tel que mentionné dans les chapitres précédents, la législation sur les droits de la personne prévoit également qu’il est permis de faire de la discrimination fondée sur le sexe dans l’emploi, là où il est possible de démontrer que le traitement différent est une exigence professionnelle justifiée. Les tribunaux et les cours ont subi de fortes pressions pour accepter le sexe en tant qu’exigence professionnelle justifiée.»

Et, à la page 10-7 :

[notre traduction] Il faut cependant remarquer qu’il y a des cas où un employeur a été trouvé coupable de discrimination fondée sur le sexe même si le plaignant ou la plaignante ne possédait pas les compétences requises, ou n’était pas le bon candidat ou la bonne candidate. Dans Clayton c. Wheels for the Handicapped Society (1989) 10 C.H.R.R. D/5864 (B.C.C.H.R.), une femme a posé sa candidature à un poste de conductrice d’autobus à temps plein, mais on lui a dit que le poste était accordé à un homme parce que celui-ci avait une famille à sa charge. Lors de l’audience, le conseil a accepté la preuve selon laquelle la véritable raison pour laquelle l’intimé avait accordé le poste à un homme était qu’il possédait une plus grande expérience que la plaignante. Il a été décidé que la plaignante avait néanmoins été victime de discrimination de la part de l’intimé lorsqu’il lui avait donné une raison discriminatoire pour appuyer sa décision.»

[51] Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux (1990), 14 C.H.R.R. D/12, une décision de la Cour d’appel fédérale, concernait une plainte de discrimination fondée sur l’âge. La cour a conclu que le tribunal d’appel avait erré en établissant la norme d’une prétention établie prima facie et la plaignante s’est appuyée sur cette décision en proposant qu’il suffit que la discrimination soit une des raisons qui a motivé le refus. Le juge d’appel MacGuigan a déclaré ce qui suit au paragraphe 8 :

« Comme l’indique la jurisprudence, il suffit que la discrimination constitue un fondement de la décision de l'employeur : Sheehan c. Upper Lakes Shipping Ltd., [1978] 1 C.F. 836 à la p. 844 (A.C.F.), décision infirmée pour d’autres motifs par la Cour suprême du Canada dans [1979] 1 R.C.S. 902.»

[52] Par conséquent, je suis d’opinion que la cause de la plaignante demeure justifiée et exige l’analyse de la preuve relativement au fardeau qui repose sur les épaules de l’intimé de présenter une justification raisonnable de la norme.

(VII) LE DROIT

[53] Le tout commence avec Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (B.C.G.S.E.U.) [1999] 3 R.C.S. 3 (arrêt Meiorin), arrêt dans lequel la Cour suprême du Canada a redéfini le droit au sujet de l’exigence professionnelle justifiée et a énoncé une méthode en trois étapes pour déterminer si la norme établie par un employeur est une exigence profesionnelle justifiée. 1) Le but doit être rationnellement lié à l'exécution du travail en cause; 2) l'employeur doit établir qu'il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail; et 3) l'employeur doit établir que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. La question en jeu dans cette cause était de savoir si le gouvernement de la Colombie-Britannique avait congédié à tort Mme Meiorin de son poste de pompière forestière.

[54] Dans Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights) [1999] A.C.S. no 73 (arrêt Grismer), la cour a réexaminé l’arrêt Meiorin. Il s’agissait d’une cause ayant trait à l’application du critère de l’arrêt Meiorin à un fournisseur de services publics.

[55] Avant d’appliquer les principes de ces causes, il serait utile d’examiner la jurisprudence relative à l’article 9 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[56] Dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud [1992] 2 R.C.S. 970 (l’arrêt Renaud), l’appelant était un adventiste du septième jour qui occupait un poste de gardien syndiqué. L’horaire de travail faisait partie d’une convention collective. Il comprenait un quart de travail le vendredi soir, ce qui allait à l’encontre de la religion de l’appelant. De vaines tentatives de règlement ont entraîné la cessation de l’emploi. L’appelant a déposé une plainte contre l’employeur et le syndicat en vertu de la législation de la Colombie-Britannique. Il s’agissait de déterminer si un employeur est dégagé de son obligation de tenir compte des croyances religieuses d’un employé ou d’une employée lorsque cela exige une modification de la convention collective à laquelle les employées et les employés syndiqués s’opposent; également, si un syndicat, dans ces conditions, déroge à son obligation d’accommodement.

[57] La cour a statué qu’un employeur doit prendre des mesures raisonnables sans contraintes excessives d’accommodement pour tenir compte des croyances et des pratiques religieuses d’un employé ou d’une empoloyée et qu’en conséquence, les dispositions contractuelles privées ou les conventions collectives doivent permettre de répondre aux exigences de la Loi. La conséquence de la convention collective est pertinente pour évaluer le degré de préjudice que cause l’obstruction à l’application de son libellé. L’examen de la conséquence sur le moral de l’employé ou de l’employée, bien qu’étant un facteur dont il faut tenir compte au moment de décider si les mesures d’accommodement constitueraient une contrainte excessive, doit s’appliquer avec prudence.

Le juge Sopinka, à la page 984 :

« La crainte de l'effet sur d'autres employés qui, dans l'arrêt Hardison, a incité le tribunal à adopter le critère de minimis, est un facteur à considérer pour déterminer si l'ingérence dans l'exploitation de l'entreprise de l'employeur serait excessive. Toutefois, il faut établir l'existence de plus qu'un inconvénient négligeable pour pouvoir contrecarrer le droit de l'employé à un accommodement. L'employeur doit démontrer que l'adoption de mesures d'accommodement entraînera une atteinte réelle, non pas anodine mais importante, aux droits d'autres employés. L'atteinte ou l'inconvénient minimes sont le prix à payer pour la liberté de religion dans une société multiculturelle.»

Et à la page 989, au sujet de l’obligation d’accommodement du syndicat :

« De plus, quiconque fait preuve de discrimination s'expose aux peines que la Loi prévoit. Par définition, le syndicat est une personne (art. 1). En conséquence, le syndicat qui est à l'origine de l'effet discriminatoire ou qui y contribue encourt une responsabilité. Pour éviter une responsabilité absolue, le syndicat doit posséder le même droit qu'un employeur de justifier la discrimination. Pour ce faire, il doit s'acquitter de son obligation d'accommodement.»

[58] Et en conséquence, l’obligation d’accommodement s’applique si le syndicat est l’une des parties à la discrimination, qui peut survenir de deux façons. Le juge Sopinka, à la page 990 :

« En premier lieu, il peut causer la discrimination ou y contribuer en participant à la formulation de la règle de travail qui a un effet discriminatoire sur le plaignant, notamment si la règle fait partie de la convention collective. En deuxième lieu, un syndicat peut voir sa responsabilité engagée s'il gêne les efforts raisonnables que l'employeur déploie pour s'entendre avec l'employé. Si une entente raisonnable n'est possible qu'avec la collaboration du syndicat et que celui-ci bloque les efforts de l'employeur pour supprimer ou atténuer l'effet discriminatoire, le syndicat devient partie à la discrimination.»

Et, à la page 992 :

« Un syndicat responsable à titre de coauteur, avec l'employeur, d'une discrimination, est tenu, conjointement avec celui-ci, de chercher à s'entendre avec l'employé et, si rien n'est fait, ils sont tous deux également responsables.»

[59] Dans Starzynski c. Canada Safeway Ltd. (1999), 35 C.H.R.R. D/478 (Alta. H.R.P.), un tribunal a trouvé l’employeur et le syndicat conjointement responsables de discrimination, les plaignants qui étaient en congé pour incapacité n’ayant pas eu accès à une proposition de rachat. Le tribunal a fait référence et a adopté le raisonnement de l’arrêt O.P.E.I.U. Local 267 c. Domtar Inc. (1992), 16 C.H.R.R. D/479 (Cour divisionnaire de l’Ontario) à la page D/483, paragraphe 23 :

[notre traduction] La discrimination en milieu de travail est l’affaire de tous. Il ne peut pas y avoir une hiérarchie des responsabilités. Il n’y a pas des obligations principales et secondaires lorsqu’il s’agit d’éviter la discrimination et ses effets; les sociétés, le syndicat et les personnes sont tous dans une position principale et égale, sur une seule ligne de défense, contre tous les types de discrimination. Arriver à une autre conclusion empêcherait le Code des droits de la personne d’atteindre l’objectif qui lui a été donné intentionnellement. Toute interprétation plus limitative serait, à mon avis, incohérente avec la philosophie et la politique énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt O’Malley c. Simpsons-Sears

[60] Ces décisions avaient trait à la responsabilité et à l’obligation conjointes de l’employeur et du syndicat. Elles soulèvent la question de savoir si le syndicat seul peut être responsable dans une procédure engagée contre lui et dont l’employeur n’est pas partie. En guise de toile de fond, mentionnons que la plaignante, le 11 novembre 1994, a déposé une plainte contre Norsk à l’égard du même incident survenu le 8 mars 1994. Elle y affirmait qu’elle avait des motifs raisonnables de croire que Norsk avait fait preuve de discrimination fondée sur le sexe à son endroit en refusant de l’embaucher, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans les détails de la plainte, elle reprend ce que David Crain lui a dit, qu’il a téléphoné chez Norsk Pacific pour la référer relativement à un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière et qu’on l’a informée que sa candidature n’était pas acceptable parce que le bateau en question ne comportait pas de lits séparés pour les femmes. La Commission a choisi de ne pas traiter cette plainte.

[61] Dans Goyette et Tourville c. Voyageur Colonial Ltd., [1997] 30 C.H.R.R. D/175, le tribunal s’est penché sur une plainte logée contre le syndicat au sujet du système d’ancienneté qui, selon l’allégation, causait de la discrimination contre les femmes téléphonistes. Le tribunal a conclu qu’en acceptant et en exécutant la convention collective, le syndicat a commis un acte de discrimination systémique envers une classe d’employés et d’employées, nommément les téléphonistes (dont les femmes forment la majorité) et les a, par conséquent, privés de possibilités d’emploi ou d’avancement au sein de la société.

À la page D/180, paragraphe 22 :

« La jurisprudence établit également que le syndicat a en tout temps l'obligation de trouver une solution raisonnable pour accommoder tous les employés membres du syndicat, principe élaboré clairement par le Juge Sopinka dans l'arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud [1992] 2 R.C.S. p. 970.»

[62] En Cour d’appel fédérale ([1999] A.F.C. no 1678), le juge Pinard déclare, à la page 5, paragraphe 7 :

[notre traduction] En ce qui concerne le droit, je suis d’avis qu’il n’y a aucun fondement à l’argument du requérant selon lequel un syndicat ne peut ni être tenu exclusivement responsable, sans l’employeur, de discrimination systémique envers une classe d’employés ni avoir seul l’obligation d’accommodement. Je ne constate aucun fondement à cette proposition dans la décision Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud de la Cour suprême du Canada...»

[63] Par conséquent, il ne semble y avoir aucun empêchement sur le plan de la procédure à ce qu’une plainte soit portée seulement contre un syndicat. Une déclaration du juge Pinard porte à croire qu’une démarche contre un syndicat ne peut survenir que dans des circonstances extraordinaires. À mon avis, le fait que l’employeur ne soit pas partie à cette cause ne devrait pas priver la plaignante d’une audience et de toute mesure de réparation qui pourrait en découler.

A. La question de justification

[64] En vertu de cette conception unifiée, il faut d’abord procéder à l’identification de la norme à laquelle j’ai fait référence plus tôt dans ces motifs. La plaignante allègue que la conduite discriminatoire survenue le 8 mars reflète une norme selon laquelle les femmes ne sont pas affectées à des bateaux où il faut partager les lits avec les hommes. À mon avis, cela est, dans toute la mesure du possible, une représentation juste de l’intention de la norme de pratique. L’intimé a le fardeau de fournir une justification raisonnable à cette norme. Comme l’a établi la juge McLaughlin dans l’arrêt Grismer, page 8, paragraphe 21 :

« Ce critère permet à l'employeur ou au fournisseur de services de choisir son but ou objectif, à la condition que ce choix soit effectué de bonne foi ou "d'une manière légitime". Une fois qu'il a choisi et défini son but ou objectif -- qu'il s'agisse de sécurité, d'efficacité ou de tout autre objet valide --, l'employeur ou le fournisseur de services se concentre ensuite sur les moyens par lesquels il va tenter de le réaliser. Ces moyens doivent être adaptés aux fins visées.»

Cette déclaration semble intégrer les deux premières étapes du mécanisme qui en comprend trois.

[65] L’intimé allègue que la caractérisation de la norme telle que proposée, suivie des conclusions relatives à son inacceptabilité a de sérieuses conséquences parce qu’essentiellement, une telle conclusion constituerait une décision voulant qu’il soit acceptable pour un employeur d’exiger le partage des lits avec une personne de l’autre sexe comme condition d’emploi, ce qui constituerait un écart par rapport aux normes sociales. L’avocate de l’intimé affirme qu’il n’y a aucune loi au Canada qui imposerait cette sorte de fardeau à un employeur ou, par voie de conséquence, à un syndicat.

[66] Il existe une certaine jurisprudence dans de domaine.

[67] Dans Gauthier c. Canada (Forces armées canadiennes), [1989] C.H.R.D. no 3, les plaintes ont été portées par des personnes à qui l’on a refusé un poste de combat ou d’appui au combat dans les Forces canadiennes parce qu’elles étaient des femmes. L’intimé a admis que ces pratiques et ces politiques étaient discriminatoires, mais constituaient une EPJ, reliée à une efficacité opérationnelle exigée par la législation. Comme la décision l’établit, le matériel déposé en preuve était riche en détails et d’une grande variété. Pour les buts que nous poursuivons ici, je me concentre sur les éléments de la décision qui portent sur le rôle des femmes en mer, sur différents bateaux, particulièrement en rapport avec la question de la vie privée. La décision porte plus largement sur l’emploi mixte dans la Force régulière et sur la pertinence d’une exigence professionnelle justifiée qui justifierait l’exclusion des femmes des unités et des postes reliés au combat en tant que membres des Forces canadiennes. Le principe de l’efficacité opérationnelle en temps de guerre ou d’urgence nationale était sous-jacent à cette analyse.

[68] Dans sa discussion des conditions environnementales des différents modèles, le tribunal a conclu qu’il y avait une exception à sa conclusion que l’environnement n’était pas un facteur dans l’évaluation du risque, cette exception étant le service dans les sous-marins. La preuve était considérable au sujet de cet environnement unique et spécial dans un tel bâtiment et le tribunal a donc appuyé la prétention des Forces canadiennes voulant que la vie privée constituait un facteur important dans l’efficacité opérationnelle et que l’exclusion des femmes des postes reliés exclusivement aux sous-marins était une exigence professionnelle justifiée.

[69] Le Tribunal a fait référence à McKale c. Lamont Auxiliary Hospital and Nursing Home District No. 23 (1986), 8 C.H.R.R. D/3659 et à Stanley c. Gendarmerie royale du Canada (1987), 8 C.H.R.R. D/3799 et a déclaré, à la page 22 :

« Toutefois, le tribunal fait la distinction entre ces affaires et la question actuelle en ce sens que, à bord d’un sous-marin, le facteur intimité affecte tous les membres d’équipage en tout temps, qu’ils travaillent ou non. La question ne se limite pas à un quart de travail de huit heures par exemple, où une personne est chargée de superviser le comportement intime privé de personnes du sexe opposé. Dans un sous-marin, il existe une certaine intimité, mais dans le sens usuel du mot, il n’y a d’intimité pour personne, quel que soit le sexe ou le grade.»

[70] Dans la cause portée devant moi, bien qu’on ait fait allusion à la question de la vie privée dans l’argumentation comme étant un élément possible de la norme, je ne trouve pas que la preuve présentée par l’intimé me persuade que la vie privée constitue un facteur important de l’efficacité opérationnelle dans le cas du Texada Crown. En réalité, la preuve fait pencher la balance dans l’autre direction, lorsqu’on pense à l’organisation des quarts de travail et des lieux pour dormir.

[71] Dans Stanley c. Gendarmerie royale du Canada, la question en jeu avait trait à l’exigence que les gardiens de prison soient du même sexe que les prisonniers sous surveillance. Le tribunal a arrêté qu’il s’agissait d’une EPJ parce que la vue des détenus dévêtus et alors qu’ils utilisaient les toilettes ne pouvait être évitée et, même si cela se produisait peu fréquemment, elle violait les droits des détenus à la vie privée.

[72] Dans Re Lornex Mining Corporation Limited, [1976] 5 W.W.R. 545, la Cour suprême de la Colombie-Britannique s’est penchée sur une question de procédure portant sur le droit d’une commission des droits de la personne d’entendre une nouvelle preuve une fois la décision rendue. Les faits étaient qu’une chimiste de recherche employée par Lornex avait porté plainte auprès de la commission en alléguant que son employeur avait dérogé à la Loi. La substance de sa plainte était que ses collègues masculins avaient droit à l’hébergement et à une pension dans un camp sur le site d’une mine alors que cet hébergement et cette pension ne lui étaient pas accessibles parce qu’elle était une femme. La commission avait conclu qu’à son avis, la plainte n’était pas fondée et elle l’avait rejetée. La plaignante a interjeté appel en se fondant sur le fait qu’elle souhaitait présenter d’autres éléments de preuve, requête à laquelle la commission a répondu en ordonnant une nouvelle audience. À l’issue de celle-ci, la commission a ordonné à Lornex de donner accès à l’hébergement à ses employées selon les mêmes modalités que celles offertes aux hommes.

[73] L’on peut comprendre de cette décision au raisonnement concis qu’il appartenait à l’employeur d’offrir des installations pour les toilettes et le sommeil adaptées à une femme, pour tout dire, qu’il s’agissait d’une question d’hébergement.

[74] Dans Sharon Curtis c. Coastal Shipping Limited, [1984] 5 C.H.R.R. D/1998, une commission d’enquête instituée en vertu du Newfoundland Human Rights Code s’est penchée sur l’assertion de la plaignante selon laquelle on lui avait refusé un poste sur un bateau en raison de son sexe. Ses compétences étaient indiscutables, mais l’intimé a allégué qu’il n’y avait pas d’installation d’hébergement adaptée aux femmes dans le bâtiment, ce qui était une exigence professionnelle justifiable qui permettait une défense du refus. La commission a rejeté cet argument et a conclu qu’il aurait été possible d’offrir une installation d’hébergement adaptée. La commission était d’avis que l’acte discriminatoire était motivé davantage par la crainte de la réaction négative de l’équipage que par la préoccupation d’offrir de telles installations ou par l’incapacité d’en offrir.

[75] Trois décisions rendues aux États-Unis sont dignes d’intérêt.

[76] Miller v. Drennon, [1992] CA4-QL 1967, une décision de la cour d’appel des États-Unis pour le Fourth Circuit.

[77] Cette cause avait trait à un travailleur paramédical qui a présenté une plainte selon laquelle son employeur avait violé son droit d’observer ses croyances religieuses. La plainte de cet homme se fondait sur le fait que le comté avait organisé un système horaire en vertu duquel un employé du sexe masculin pouvait être forcé de passer un quart de travail de vingt-quatre heures avec une employée dans une sous-station ne comportant qu’une chambre à coucher. Cela allait à l’encontre de la croyance religieuse du plaignant de partager une chambre avec une femme qui n’était pas la sienne alors qu’il n’y avait pas de supervision.

[78] Le plaignant a présenté deux plaintes : 1) la discrimination religieuse en vertu de la loi sur les droits de la personne; 2) la dérogation à la clause portant sur le libre exercice du premier amendement.

[79] Les deux plaintes ont été rejetées. Il n’y a pas eu de discrimination fondée sur la religion parce que le comté avait fourni un hébergement raisonnable. Le comté a accordé un système de troc des quarts de travail et a permis au plaignant de prendre un congé pour raisons personnelles pour accommoder ses croyances religieuses. Également, le comté a dépensé 5 000 $ pour l’installation de cloisons extensibles afin de permettre une vie privée. La cour a conclu qu’il n’y avait pas eu dérogation au premier amendement en se fondant sur une décision de la cour suprême, qui a arrêté qu’une disposition neutre, généralement applicable et autrement valide qui n’a pas pour objet d’interdire l’exercice de la religion, ne violait pas cet amendement.

[80] Canedy v. Officer Peggy Boardman, [1994] CA7-QL 160.

[81] Cette décision avait trait à un détenu de l’établissement de correction Columbia, à Portage, Wisconsin, qui a interjeté appel d’une décision de la cour de district qui avait rejeté l’action qu’il avait intentée. Le plaignant a allégué que les agentes pouvaient régulièrement observer les hommes détenus dans différents lieux normalement considérés comme étant privés. Comme le droit à la vie privée était un enjeu primordial, la cour a examiné l’idée générale qu’il y avait généralement une plus grande invasion dans la vie privée lorsqu’une personne de l’autre sexe était concernée.

[82] La cour a examiné plusieurs décisions selon lesquelles l’État devait équilibrer le besoin d’offrir des possibilités d’emploi égales aux gardiennes et le droit des détenus à la vie privée. La vue involontaire des détenus dans leurs cellules ou dans les douches communes ne contrevient pas au droit à la vie privée. Lorsque cela se répète plus régulièrement ou lorsque les intrusions sont plus envahissantes, il y a violation de la vie privée.

[83] Le rejet a été renversé et la question a été renvoyée à procès. Le juge a présenté une opinion en fin de texte. Cette opinion déclarait que le plaignant devrait porter une plainte fondée sur la religion en relation avec la clause de libre exercice prévue dans le premier amendement. Le plaignant était musulman et la nudité était un grand tabou. Le juge a aussi déclaré que la nouvelle loi sur la restauration de la liberté de religion pourrait être invoquée. La législation stipulait qu’une règle d’application générale ne devait pas entraver l’exercice de la religion d’une personne à moins qu’elle soit subséquente à un intérêt gouvernemental contraignant.

[84] McAlindin v. County of San Diego, [1999] CA9-QL 766.

[85] Cette cause avait trait à une personne qui souffrait d’une série de désordres psychologiques et d’anxiété. Le plaignant avait déposé une plainte en vertu de l’Americans with Disabilities Act. La cour cherchait à établir si M. McAlindin était handicapé. Pour être reconnu handicapé, il devait présenter une déficience physique ou mentale qui limite considérablement une ou plusieurs des principales activités de la vie. L’une des questions soumises à la cour était de savoir si le sommeil était ou non une des activités principales de la vie. La cour a cité trois autres décisions pour arrêter que le sommeil est une des activités principales de la vie.

B. L’obligation du syndicat

[86] Rien dans ces motifs ne devrait conduire à l’interprétation formulée par l’avocate de l’intimé. Cette cause ne consiste pas à imposer une norme en vertu de laquelle les personnes, hommes ou femmes, qui jouissent de la protection du syndicat soient forcées d’accepter de partager des lits avec des membres de l’autre sexe en guise de condition d’embauche. Elle porte plutôt sur la question de savoir si, dans les circonstances données, une norme discriminatoire est justifiable. Ce qui est également en jeu, c’est la conduite du syndicat par rapport à son obligation de défendre la plaignante. Je suis d’avis que l’intimé n’a pas présenté de preuve convaincante que la norme, comme il est convenu de l’appeler, a été adoptée pour un objectif ou un but relié directement à l’activité exécutée ni adoptée de bonne foi avec la conviction qu’elle était nécessaire pour l’atteinte de l’objectif ou du but. De plus, aucune preuve ne soutient la conclusion qu’il était impossible d’accommoder la plaignante sans imposer une contrainte excessive. Il n’y a pas de preuve que le fait de permettre à une femme de participer à un autre quart de travail en adoptant des mesures d’accommodement brime les droits des autres employés. L’intimé n’a même pas fait un effort significatif pour contester la proposition soumise à M. Crain par M. Robertson au sujet de l’inaptitude de la plaignante à combler le poste affiché.

[87] L’intimé allègue, dans sa tentative de se dégager de la responsabilité de ce qui s’est passé le 8 mars dans le bureau de M. Crain, qu’il n’y avait aucune obligation de répliquer à la position adoptée par M. Robertson au nom de Norsk, parce qu’aucune femme n’aurait pu être affectée ce jour-là. La plaignante n’a pas cherché à obtenir le poste et n’avait pas les compétences nécessaires. Selon ce qui a été dit, l’intimé compose avec les problèmes de cette nature à mesure qu’ils se présentent ainsi que dans la démarche de négociation qui conduit à une convention collective. Le manquement à affecter la plaignante dans ces circonstances n’était donc pas de la discrimination et n’a pas entaché la répartition. Il n’y avait pas obligation de s’opposer à ce que M. Robertson avait dit et, comme l’a exprimé l’avocate de l’intimé, l’intimé n’a pas la responsabilité d’être le chien de garde des droits de la personne pour l’employeur.

[88] Je ne suis pas d’accord. L’intimé avait une obligation tant en vertu de la loi que de la convention collective de ne pas être partie à un acte discriminatoire. Il avait l’obligation de réagir d’une façon cohérente avec ses obligations d’accommoder la plaignante. Sans doute cela aurait-il pu se faire de plusieurs façons. Premièrement, en n’acceptant pas la teneur de la discussion entre M. Crain et M. Robertson de telle manière que cela paraisse la sanctionner. M. Crain aurait pu s’objecter à la proposition qui lui était présentée et la contester en annonçant son intention de faire en sorte que la plaignante puisse poser sa candidature en suivant la procédure du bureau de placement. Cela aurait pu laisser la possibilité d’appliquer la procédure prévue dans la convention collective, plus particulièrement à l’article 1.02, même si Mme Oster ne devait pas être choisie ultimement. Cela n’a pas été fait.

[89] Je reporte encore une fois à la preuve présentée par le président du syndicat, M. Engler, qui a déclaré que dans l’éventualité où Mme Oster porterait plainte, le syndicat aurait pu téléphoner chez Norsk pour informer la société des conséquences possibles d’un refus d’accorder un emploi à cette femme. Plutôt que d’agir ainsi, le syndicat a acccepté la raison inadmissible pour refuser l’affectation. Je suis également amené à en arriver à cette conclusion par le fait que le syndicat a apparemment fait peu de cas de l’article 1.07 de la convention collective qui interdit la discrimination fondée sur le sexe à l’égard de toute personne (de la façon dont je le comprends). L’article 1.07, plutôt ironiquement, n’a aucun lien avec l’article 1.22 qui établit que la constitution de l’équipage d’un remorqueur doit être au minimum de deux (2) hommes.

[90] Dans l’arrêt Renaud, le juge Sopinka a déclaré que l'atteinte ou l'inconvénient minimes sont le prix à payer pour la liberté de religion dans une société multiculturelle. Il est possible de paraphraser ce sentiment dans le contexte de cette cause en disant qu’une telle atteinte ou qu’un tel inconvénient sont le prix à payer pour accorder l’égalité des droits aux femmes. Cela est le cas plus particulièrement parce que l’accommodement était possible pour l’intimé d’une manière relativement simple et directe.

[91] L’intimé ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve en ne fournissant pas une justification raisonnable de la norme.

(VIII) LA QUESTION DE LA PRESCRIPTION

[92] Dans les motifs émis le 10 février 2000, j’ai réservé ma décision relativement à la requête de l’intimé de rejeter la plainte pour les quatre motifs qui y sont mentionnés. La prétention principale de l’intimé au sujet du délai pour le dépôt de la plainte était que sa capacité de réagir aux allégations avait été compromise par ce retard de la part de la plaignante.

[93] Je ne répéterai pas mon examen de la preuve contenu dans les motifs provisoires. L’argument de l’intimé est soutenu par le retard de trente-neuf mois entre l’acte qui fait l’objet de la plainte et le moment où la plainte a été soumise à la Commission. Il repose sur l’alinéa 41e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui se lit comme suit :

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

[94] Il semble clair qu’un tribunal des droits de la personne n’a pas la compétence de revoir par voie judiciaire une décision de la Commission d’exercer sa discrétion en vertu de l’alinéa 41e) de la Loi [Commission canadienne des droits de la personne c. Société Radio-Canada et al. (1996), 120 F.T.R. 81 (Vermette)]. Ceci étant dit, la véritable question est de savoir si l’alinéa 41e) bien compris confère à l’intimé le bénéfice de la période de prescripton qu’il prévoit. Dans l’arrêt Vermette, le juge Muldoon a été d’avis, en confirmant la décision du Tribunal canadien des droits de la personne, qu’un intimé ne jouit pas du bénéfice de l’alinéa 41e) dans sa défense relative à une plainte. La distinction a été faite entre, d’une part, les pouvoirs accordés à la Commission en vertu de l’alinéa 41e), qui sont un pouvoir préliminaire en matière de procédure de déroger à la période de prescription de base qui est d’un an et de l’étendre à ce que la Commission estime indiqué dans les circonstances et, d’autre part, les pouvoirs du tribunal prévus par la loi, à l’alinéa 50(2)a), d’accorder une possibilité pleine et entière de comparaître. À cet égard, le juge Muldoon émet le commentaire qui suit :

« Pourquoi devrait-il s’agir là de la manière dont la Cour doit interpréter l’alinéa 41e) ? Parce que le législateur a adopté le délai d’un an comme un droit de fond dont bénéficient les personnes contre qui une plainte est déposée, mais la Commission ne statue pas sur les plaintes en examinant les droits absolus de chacun. Toutefois, les tribunaux déterminent effectivement des droits de fond en procédant à des examens complets en vertu des pouvoirs prévus à l’article 50, et en concluant si une plainte est fondée, ou non, à l’encontre des intimés, en vertu de l’article 53.

Un examen équitable et complet est un processus dans le cadre duquel les personnes visées par une plainte bénéficient chacune de la possibilité d’opposer une défense pleine et entière aux arguments de la partie plaignante. À l’évidence, dans une défense pleine et entière, le fait d’être privé du bénéfice du délai d’un an peut être invoqué. (paragraphes 28, 29 - page 97)

[95] L’arrêt Société canadienne des postes c. Barrette (1998), 43 C.H.R.R. D/353 (C.F.S.P.I.), semble aborder différemment l’alinéa 41e). Cette cause comportait une requête en révision judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne d’enquêter relativement à des plaintes de discrimination portées contre Barrette. L’intimé a soulevé les questions du délai pour déposer la plainte et la préclusion en raison des griefs rejetés antérieurement. En réponse à l’argument de l’intimé selon lequel les exceptions à l’obligation de la Commission de traiter une plainte en vertu de l’article 41 devraient être considérées comme ayant été adoptées pour le bénéfice des employeurs et d’autres contre qui des plaintes sont déposées et que la Cour devrait faire preuve de vigilance pour assurer que la Commission n’érode pas ces droits prévus par la loi, le juge Evans a déclaré qu’il ne pouvait pas l’accepter comme une façon pertinente d’interpréter l’article 41. À la page D/360, paragraphe 30, il écrivait :

« D’abord, comme je l’ai mentionné, la rédaction de cette disposition est telle que de nombreuses questions sont laissées à la discrétion de la Commission : cette faculté est incompatible avec l’idée qu’on devrait interpréter cette disposition comme si elle accordait le droit de ne pas faire l’objet d’une enquête dans des circonstances précises. La Commission peut quand même instruire la plainte si elle le veut…

De plus, comme ce texte législatif a pour objet de réduire les inégalités, d’où sa qualification de texte quasi constitutionnel, une cour de justice devrait hésiter à conclure que la Commission a commis une erreur en interprétant trop étroitement les exceptions à l’obligation que lui impose la loi d’instruire les plaintes de discrimination. Par contre, il est discutable qu’un examen judiciaire attentif soit justifié lorsque la Commission décide de ne pas examiner une plainte, puisqu’il s’agit normalement d’une décision définitive. (Paragraphe 31)

[96] Le 20 avril 2000, la Cour d’appel fédérale a accordé un appel de l’arrêt Barrette et a annulé la décision du juge de première instance. Il n’y a pas de référence particulière aux questions du retard de la plainte et de la préclusion comme en a discuté le juge Evans. L’approche générale de la Cour d’appel va cependant davantage dans le sens de la pensée du juge Muldoon.

[97] La réconciliation de ces deux points de vue se trouve peut-être dans le raisonnement de l’arrêt Vermette. Dans ce cas, le tribunal a été saisi de la plainte et est venu à une conclusion après une audience en bonne et due forme dans le cours de laquelle il y a eu adjudication sur la question du retard, alors que dans l’arrêt Barrette, il s’agissait d’une requête en révision judiciaire traitant directement de la compétence de la Commission telle que décrite à l’article 41.

[98] Dans la présente délibération, c’est donc le principe exprimé dans l’arrêt Vermette qui me guide, principe retenu tant par le tribunal que par la Cour fédérale et selon lequel une cour peut décider, en se fondant sur la preuve qui lui est présentée, si l’intimé a été privé du bénéfice que le législateur lui a accordé relativement à la période de prescription prévue à l’article 41 de la Loi. Une telle preuve peut ne pas faire partie des éléments à considérer par la Commission lorsqu’elle prend sa décision de donner suite à la plainte.

[99] Revenons à la chronologie. La plaignante a attendu trente-neuf mois avant de déposer sa plainte le 20 juin 1997. La Commission a été raisonnablement prompte à informer le syndicat de la plainte, ce qui fut fait le 31 juin 1997. La Commission a pu terminer son enquête le 9 octobre 1998. C’est le 1er septembre 1999 que la Commission a décidé de demander au Tribunal canadien des droits de la personne de procéder à une investigation relativement à la plainte. Bien que la responsabilité principale du retard et, éventuellement, d’excéder la période de prescription prévue à l’alinéa 41e), soit celle de la plaignante, la Commission, en tant que gardienne de l’affaire et vu le retard déjà occasionné, a pris environ vingt-sept mois pour enquêter et, en définitive, référer l’affaire au tribunal.

[100] Parmi les facteurs dont il faut tenir compte, notons les suivants :

  1. la période de temps écoulée entre l’acte ou l’omission qui est l’objet de la plainte et le moment où la plainte a été déposée ou reçue à la Commission;
  2. la période de temps écoulée entre l’acte ou l’omission qui est l’objet de la plainte et le moment où l’intimé a été informé de la plainte;
  3. les raisons du retard à déposer la plainte ou à informer le répondant de la plainte;
  4. les raisons pour lesquelles la Commission a décidé, en vertu de l’article 41 de la Loi, de donner suite à la plainte, nonobstant le fait que la plainte porte sur des actes ou des omissions survenus plus d’un an avant la réception de la plainte;
  5. le préjudice causé à l’intimé en raison du retard.

A. Préjudice

[101] À mon avis, les préoccupations au sujet du préjudice découlant du décès de M. Crain ont été dissipées compte tenu de la preuve complète obtenue à cette audience. J’ai été en mesure de tirer des conclusions au sujet de l’incident du 8 mars en me fondant sur la preuve présentée par la plaignante et par M. Robertson.

[102] Dans Belloni c. Lignes aériennes Canadien International Ltée [1996] 192 N.R. 74, une décision de la Cour d’appel fédérale, il y avait eu une ordonnance interdisant à la CCDP de donner suite à une plainte pour les raisons qu’un délai de cinquante mois entre le dépôt de la plainte et à la constitution du tribunal était déraisonnable et portait préjudice à l’intimé. La Cour d’appel n’était pas d’accord et le juge d’appel Décary a déclaré, à la page 642 :

« Le préjudice allégué est, selon nous, bien en-deçà du seuil élevé que Canadien a à franchir.

La moindre acuité des souvenirs des témoins est un préjudice inhérent à notre système, et l’on n’en tient même pas compte dans la plupart des affaires criminelles où, par exemple, une cour d’appel ou la Cour suprême du Canada ordonne un nouveau procès. Nous parlons ici d’une période d’environ cinquante mois : c’est regrettablement long, mais nullement exceptionnel. De plus, comme la question dont le tribunal sera saisi tournera autour de la question de l’exigence professionnelle justifiée, il est probable que Canadien aura recours au témoignage d’experts et que les circonstances particulières de la plainte seront reléguées au second plan.»

[103] Je ne suis pas convaincu que la requête de l’intimé devrait être accueillie sur la foi qu’un préjudice a été causé par le retard.

[104] L’intimé a invoqué la chose jugée comme moyen de défense en se fondant sur la décision de la Commission de ne pas poursuivre l’employeur, ce qui, à mon avis, n’était pas une adjudication finale. Quoi qu’il en soit, il manque deux éléments, à savoir que la Commission n’est pas un organisme d’adjudication et qu’il n’y a pas identité d’action ou de question.

[105] Par conséquent, la requête de l’intimé est rejetée.

(IX) RÉPARATION

[106] J’ai conclu de la preuve présentée que la plaignante n’aurait pas réussi à être affectée sur le Texada Crown si la procédure du bureau de placement avait été suivie. Elle manquait d’expérience et une personne compétente a obtenu le poste. La plaignante a dit qu’elle s’est sentie humiliée par le déroulement de l’incident, mais j’accepte l’argument de l’avocate de l’intimé selon lequel ces sentiments d’humiliation décrits par la plaignante se rapportaient davantage à l’ensemble de l’historique de son association avec le syndicat qu’à l’incident du 8 mars. En réalité, Mme Oster n’a pas déposé de plainte contre le syndicat avant trente-neuf mois passés l’incident et elle n’a décidé de le faire que lorsque la Commission le lui a conseillé. Je ne doute pas qu’elle se soit sentie humiliée par l’ensemble de son expérience avec le syndicat, mais je dois me concentrer principalement sur la plainte en soi pour délibérer sur la question de la réparation.

[107] Il ne s’agit pas d’un cas où un montant pour manque à gagner devrait être accordé parce que la preuve n’en n’a démontré aucun. Toutefois, en vertu du paragraphe 53(3), il est pertinent d’accorder un dédommagement spécial qui, compte tenu de la disposition applicable le 8 mars 1994, se limite à une somme n’excédant pas 5 000 $. Compte tenu des circonstances, j’ordonne que le montant soit de 3 000 $ plus l’intérêt simple calculé depuis le 8 mars 1994 au taux de cinq pour cent par année, ce montant ne devant en aucun moment excéder 5 000 $.

[108] Il y a également une suggestion que l’intimé envoie une lettre pour exprimer ses regrets à la plaignante. À mon avis, l’obligation d’exprimer des regrets n’a pas vraiment d’importance dans les circonstances de cette affaire et je rejette cette idée.


Claude Pensa, président

OTTAWA, Ontario

Le 9 août 2000

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER

NO DE DOSSIER DU TRIBUNAL : T529/2499

INTITULÉ : Helen Oster c. International Longshoremen’s and Warehousemen’s Union (Section maritime), local 400

LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver, C.-B. (27 janvier 2000 au 17 avril 2000)

DÉCISION DU TRIBUNAL RENDUE LE : 2 août 2000

ONT COMPARU :

Helen Oster En son nom

Odette Lalumière Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sam Black Pour l’International Longshoremen’s and Warehousemen’s Union (Section maritime), local 400

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