Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

AMANDA DAY

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

ET MICHAEL HORTIE

les intimés

DÉCISION RELATIVE À LA PRODUCTION DE DOCUMENTS

Décision no 3

2002/12/06

MEMBRE INSTRUCTEUR : Paul Groarke

TABLE DES MATIÈRES

I. L'AVIS DE REQUÊTE

A. Les documents relatifs au redressement

B. La demande relative aux coordonnées

II. LA PRODUCTION DE DOCUMENTS

A. Les dossiers de la CAT

B. Les dossiers médicaux courants

C. Les documents des Alcooliques anonymes et du ministère

D. Les dossiers relatifs aux autres plaintes

E. Les antécédents psychologiques de la plaignante

F. Les dossiers de la Commission

I. L'AVIS DE REQUÊTE

[1] Les motifs de décision énoncés ci-après portent sur l'avis de requête de l'intimé visant la production de documents. En plus d'avoir entendu les plaidoiries, j'ai reçu des observations écrites des parties.

A. Les documents relatifs au redressement

[2] Comme les parties le savent, j'ai déjà ordonné que l'audience se déroule en deux étapes. Au cours de la première étape, nous nous pencherons sur la question de la responsabilité. Par conséquent, il n'y a aucune raison d'examiner pour l'instant la requête visant la production de documents relatifs au redressement ou aux dommages. Il est préférable, en l'espèce à tout le moins, de mettre de côté cette requête pour l'instant.

[3] Il n'est donc pas nécessaire de se pencher sur les documents énumérés dans les rangées 3, 4, 10, 11 et 12 du tableau inclus dans les observations écrites de l'intimé.

B. La demande relative aux coordonnées

[4] L'intimé a également demandé des adresses et des numéros de téléphone (rangées 8 et 13 du même tableau). Il souhaite apparemment communiquer avec la mère et l'ex-conjoint de fait de la plaignante. À mon avis, cette requête déborde le cadre naturel de divulgation et exigerait que la plaignante joue un rôle actif dans la préparation de la défense de l'intimé.

[5] La question de la dignité entre en ligne de compte. La plaignante a droit à l'autonomie dont jouit une partie à un litige et elle devra décider elle-même si elle souhaite aider l'intimé. À mon avis, mon rôle se limite à superviser la procédure et ne s'étend pas aux rapports entre les parties. Je ne crois pas qu'il serait opportun de rendre une telle ordonnance, à moins qu'on ait des raisons de croire que la plaignante entrave délibérément la procédure.

II. LA PRODUCTION DE DOCUMENTS

[6] Passons maintenant à la question de la production de documents. Je tiens à préciser à ce propos qu'un tribunal doit d'abord reconnaître que son premier devoir consiste à protéger l'équité et l'intégrité de la procédure judiciaire. En règle générale, cela suppose une divulgation pleine et entière. Toute exception devrait être considérée comme une restriction découlant de la règle générale.

[7] La Commission a exprimé l'avis que le Tribunal devrait suivre un processus en quatre étapes. Je ne suis pas à l'aise face à l'idée d'adopter le processus que suivent les cours criminelles, qui servent un différent ensemble d'intérêts; en fait, j'estime qu'il est plus pratique de m'en tenir à un processus en trois étapes simples. Les trois étapes fondamentales du processus en question, que j'ai modifié quelque peu, sont les suivantes :

  1. Le Tribunal doit déterminer si les renseignements sont d'une pertinence probable (1). Il doit s'agir de documents probants qui pourraient être pertinents à l'égard d'une question à trancher. Le but est d'empêcher qu'on se lance dans des demandes de production qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires (2).
  2. Le Tribunal doit ensuite appliquer les critères Wigmore et se pencher sur toute autre question susceptible d'influer sur la divulgation, sans examiner les documents. S'il n'existe pas de raisons impérieuses de préserver le caractère confidentiel des documents, ceux-ci doivent être divulgués. À mon avis, il n'est pas nécessaire que le Tribunal examine les documents dans chaque cas.
  3. Si le Tribunal n'est pas en mesure de résoudre la question sans examiner les documents, il y a alors lieu de le faire, j'en conviens. À cette fin, il devrait encore une fois appliquer les critères Wigmore, examiner tout autre aspect juridique ou constitutionnel, puis décider si les documents doivent être produits.

Lors de la dernière étape du processus, il serait peut-être utile que la partie qui désire que les documents soient protégés attire l'attention du Tribunal sur les passages ou les documents particuliers qui suscitent de l'inquiétude.

[8] Il n'y a aucune raison de suivre une telle procédure d'une façon trop rigide ou mécanique. Si un document est de toute évidence privilégié, point n'est besoin de s'attarder à d'autres considérations. Par ailleurs, le tribunal ne sera pas en mesure dans certains cas de déterminer, sans examiner les documents litigieux, si ceux-ci pourraient être pertinents.

[9] En outre, il est nécessaire à mon avis de préciser qu'il serait imprudent d'examiner des documents s'il n'existe pas de raisons impérieuses de le faire. En règle générale, je crois qu'un tribunal devrait éviter de se pencher sur des documents dont il n'est pas susceptible d'être saisi dans le cours de l'audience. Il est préférable, s'il s'avère possible, de trancher une question, par exemple une question de privilège, sans examiner les documents.

[10] Je tiens à rejeter toute allégation voulant qu'il y ait atteinte au privilège lorsqu'un organisme comme le Tribunal examine de tels documents. Je reconnais qu'un tribunal doit toujours être sensible au désir compréhensible des parties de préserver la confidentialité des documents qu'il a en sa possession, mais il s'agit là d'une interprétation très stricte de la règle du privilège de non-divulgation. Il me semble que les préoccupations concernant le privilège de non-divulgation ne s'appliquent pas au Tribunal et à ses membres. À mon avis, les alinéas 50(3)a) et 50(3)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne confèrent au Tribunal, à tout le moins implicitement, le pouvoir d'examiner des documents. Toute autre prise de position saperait la confiance dont un tribunal doit jouir pour bien s'acquitter de ses obligations publiques. En outre, toute prise de position du genre irait directement à l'encontre de l'intérêt public, qui exige qu'un tribunal ait carte blanche dans ce domaine.

A. Les dossiers de la CAT

[11] Examinons maintenant ce qui en est des documents restants. L'intimé a déjà en main tous les éléments d'information pertinents provenant des dossiers de la CAT dont il peut avoir besoin. Je ne vois pas en quoi le reste des dossiers influe sur la question de la responsabilité. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les dossiers demandés dans la rangée 1 du tableau de l'intimé soient d'une pertinence probable à l'égard de l'audience.

B. Les dossiers médicaux courants

[12] Le même raisonnement s'applique à la demande concernant les documents de la rangée 13 du tableau, qui vise la production des [TRADUCTION] dossiers à jour de tous les praticiens [médecins ou psychologues] depuis avril 2002. La Commission a uni sa voix à celle de l'intimé, prétendant que la plaignante devrait divulguer ces documents dans le cadre de son devoir permanent de divulgation.

[13] Je ne suis pas d'accord. Il s'agit de renseignements des plus personnels, et la plaignante a exprimé de réelles préoccupations quant à l'utilisation de ces documents. Elle est fermement convaincue que les renseignements médicaux qu'elle a déjà divulgués ont été utilisés, sans sa permission, relativement à une demande de tutelle. Je n'ai pas examiné la correspondance au dossier qui se rapporte à cette question et je préférerais m'abstenir de le faire. Néanmoins, j'en sais déjà suffisamment au sujet de la situation pour partager son sentiment de trahison.

[14] Le point le plus important est peut-être que le droit de la plaignante à la vie privée s'applique à l'utilisation de tout renseignement qui est divulgué. Il ressort clairement du paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne que la divulgation devant le Tribunal vise à donner aux parties la possibilité pleine et entière de présenter sa preuve. Si les parties souhaitent obtenir de tels renseignements pour d'autres raisons, l'intégrité du système de justice dans son ensemble exige que la question soit examinée ouvertement et formellement au sein de la tribune appropriée. Il peut y avoir des exceptions, mais la règle fondamentale est que les renseignements d'ordre médical ou psychologique obtenus par suite d'une ordonnance du Tribunal ne doivent pas servir à d'autres fins.

[15] L'autre élément qui me préoccupe est la question pure et simple de la pertinence. Je ne vois pas en quoi ces documents sont nécessaires pour établir ce qui s'est produit, principalement entre 1994 et 1996, alors que la plaignante travaillait au ministère de la Défense nationale. Je reconnais que l'intimé a adopté la position que la plaignante souffrait à l'époque d'un quelconque dérèglement d'ordre psychologique. Toutefois, les autres parties ont déjà en main beaucoup de renseignements médicaux, qui portent sur la période allant jusqu'à avril de cette année, et je n'admets pas qu'une partie soit grandement désavantagée du fait qu'elle n'a pas obtenu les renseignements récents.

[16] Même si c'était le cas, cependant, il est clair que le droit de la plaignante de préserver le caractère confidentiel de ces renseignements personnels l'emporte sur tout intérêt que les autres parties peuvent avoir à l'égard de la divulgation. À mon avis, la demande d'obtention des dossiers médicaux courants de la plaignante revêt un caractère beaucoup plus intrusif que la demande concernant ses antécédents médicaux et soulève des questions juridiques et constitutionnelles plus pressantes.

C. Les documents des Alcooliques Anonymes et du ministère

[17] Cela m'amène aux documents visés par des questions de privilège. Sans énoncer de façon détaillée les critères Wigmore, je n'accepte pas que l'intimé a droit aux renseignements des Alcooliques Anonymes, qui sont demandés au paragraphe 9. Je souscris à l'opinion de la Commission selon laquelle il est nettement dans l'intérêt public de protéger le caractère confidentiel de ces renseignements. La plaignante était tout à fait en droit de protester en faisant remarquer que tout renseignement que les Alcooliques Anonymes ont en leur possession a été obtenu sous le couvert de la confidence.

[18] En outre, je crains que l'intimé ne cherche qu'à miner la crédibilité de la plaignante. Il est peut-être nécessaire d'examiner les antécédents psychologiques de la plaignante, mais sa réputation n'est pas en cause, et l'intimé n'a pas établi que ces documents pourraient être pertinents. J'ajouterai qu'il conviendrait davantage de demander ce genre de renseignements à l'audience par voie de subpoena duces tecum, car cela donnerait également aux Alcooliques Anonymes la chance de traiter de la question.

[19] Même s'il n'est pas nécessaire d'examiner les documents demandés aux paragraphes 10 et 11 du tableau, étant donné qu'ils portent sur le redressement, je partage l'opinion de la Commission selon laquelle le public a nettement intérêt à protéger la confidentialité des documents du ministère du Développement de l'enfance et de la famille. Cet intérêt public existe indépendamment de l'intérêt de la plaignante à préserver le caractère confidentiel de ces documents. L'un et l'autre intérêt l'emporte sur tout intérêt que l'intimé a fait valoir à l'égard de leur divulgation.

D. Les dossiers relatifs aux autres plaintes

[20] Ensuite, il y a les documents qui doivent être divulgués. Je reconnais que les dossiers du syndicat, énumérés dans la deuxième rangée du tableau, sont pertinents dans le contexte de la responsabilité. J'emploie le mot pertinent en connaissance de cause, car je crois comprendre que ces documents traitent précisément des allégations dont j'ai été saisi. La même observation s'applique également aux dossiers de la B.C. Human Rights Commission et du service de police de Saanich, qui sont énumérés dans les rangées 5 et 6. Tous ces dossiers ont rapport, d'une façon ou d'une autre, aux allégations de harcèlement sexuel que la plaignante a formulées au cours de la période en question. Il ne suffit pas de dire qu'ils pourraient être pertinents à l'égard des plaintes. Ils sont très pertinents.

E. Les antécédents psychologiques de la plaignante

[21] L'intimé met en cause au paragraphe 51 de son énoncé écrit l'état psychologique de la plaignante au moment où elle travaillait au ministère de la Défense. Bien que ce point soit litigieux, j'admets également que les antécédents psychologiques de la plaignante pourraient être pertinents. Il ne s'agit pas d'un cas où l'intimé empiète de façon gratuite sur la vie privée et les antécédents personnels d'une victime dont l'état psychologique n'est pas en cause.

[22] La plaignante s'est montrée très honnête à cet égard. Même si elle estime qu'elle devrait avoir le droit d'examiner tout document avant sa divulgation, Mme Day a affirmé que le Tribunal devrait être mis au courant de toute l'histoire. Je partage son sentiment. Elle croit néanmoins qu'elle devrait avoir le droit d'examiner les documents avant leur divulgation. Cette suggestion ne me pose pas de difficulté. À mon avis, un examen soigneux des documents demandés permettra de veiller à ce que chaque document qui pourrait être pertinent réponde aux critères Wigmore.

[23] Je crois comprendre que Mme Day a déjà signé les autorisations nécessaires à la divulgation des dossiers de la B.C. Human Rights Commission et du service de police de Saanich, ainsi que de ses antécédents médicaux. Ces autorisations permettent aux autorités compétentes de divulguer les dossiers au Tribunal. Lorsque nous recevrons les dossiers, nous en transmettrons des exemplaires à Mme Day. Je lui ai demandé de s'abstenir d'écrire sur les documents, mais rien ne l'empêche de surligner les passages qui ne devraient pas à son avis être divulgués. J'examinerai ensuite moi-même les documents et j'autoriserai la divulgation des documents auxquels l'intimé a droit.

F. Les dossiers de la Commission

[24] Je traiterai maintenent des dossiers de la Commission. Je suis perplexe face à la position de la Commission, à savoir que l'intimé n'a pas établi que les renseignements contenus dans les deux dossiers pourraient être pertinents. Cette remarque ne concerne pas Mme Chapman, qui a comparu à titre de mandataire de la Commission, et qui a fourni une aide utile au Tribunal.

[25] Il s'avère qu'une des plaintes dont j'ai été saisi porte précisément sur ces dossiers. Je souscris à l'opinion de l'avocat de l'intimé, qui a fait valoir qu'il s'agit, par conséquent, de faits substantiels. Je me sens néanmoins obligé de dire que la position prise par la Commission était sans raison valable accusatoire. La Commission ne peut simplement prétendre que les documents ne sont pas d'une pertinence probable et insister pour que l'intimé prouve le contraire, alors qu'elle sait fort bien qu'il adopterait à cet égard une position différente. Dans un tel cas, le Tribunal a le droit de s'attendre à une certaine candeur de la part de l'avocat, qui est professionnellement tenu de préserver l'intégrité de la procédure.

[26] J'ai déjà enjoint la Commission de fournir les deux dossiers à l'intimé. Si ces dossiers renferment des documents que la Commission n'est pas disposée à dévoiler pour une raison ou une autre, je l'invite à présenter au Tribunal les éléments qu'elle désire retrancher. Je les examinerai et je déciderai s'il y a lieu de les divulguer à l'intimé. S'il devait s'avérer nécessaire de présenter des observations, ce qui est peu probable, les parties peuvent présenter une requête en ce sens.

[27] Comme je l'ai indiqué aux avocats à la dernière audience, je ne veux pas que la présente instance dégénère en une bataille par correspondance, comme par le passé. S'il s'avère nécessaire de se pencher sur d'autres questions, j'ai demandé aux parties de réserver une journée de plus, avant le début de l'audience sur le fond. Dans la mesure du possible, j'examinerai toute question pendante le premier jour de l'audience sur le fond. J'ai clairement précisé que je ne suis pas disposé à ajourner l'audience, à laquelle toutes les parties sont formellement tenues de se présenter.

Originale signée par

Paul Groarke

OTTAWA (Ontario)

Le 6 décembre 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS DU TRIBUNAL Nos : T627/1501 et T628/1601

INTITULÉ DE LA CAUSE : Amanda Day c. ministère de la Défense nationale et Michael Hortie

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 6 décembre 2002

ONT COMPARU :

Amanda Day en son propre nom

Leslie Reaume au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Michael Gianacopoulos et Sharan Sangha au nom du ministère de la Défense nationale

Michael Hortie en son propre nom

1. 1 R c. O'Connor [1995] 4 R.C.S. 411, par. 19.

2. 2 Ibid., par 24.

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