Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

AMANDA DAY

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

ET MICHAEL HORTIE

les intimés

Décision RELATIVE À la requête de l'intimé EN VUE d'une ordonnance EXIGEANT que la plaignante se soumette à un examen psychologique indépendant

Décision no 4

2002/12/18

MEMBRE INSTRUCTEUR : Paul Groarke

TABLE DES MATIÈRES

I. La requête dont je suis saisi

II. La question de la compétence

III. La position de l'intimé

IV. Les pouvoirs du TRIBUNAL

V. La nature du droit de la plaignante à la vie privée

VI. Les Façons possibles de régler le litige

VII. La procédure à suivre à l'audience

VIII. La requête d'ajournement

IX. La nomination d'un nouveau psychologue

I. La requête dont je suis saisi

[1] La présente décision porte sur la requête de l'intimé en vue d'une ordonnance exigeant que la plaignante se soumette à un examen psychologique indépendant. L'avis de requête renfermait également une requête visant la production de documents en vertu de la règle 6 des Règles de procédure provisoires. Comme la requête concernant l'examen psychologique soulève des questions juridiques importantes, j'ai informé les parties que je trancherais séparément la question.

[2] Je tiens d'abord à préciser que l'intimé a mis en cause l'état psychologique de la plaignante au moment du harcèlement présumé. Au paragraphe 51 de son énoncé écrit, on peut lire ce qui suit :

[traduction]
51. Nous sommes d'avis que les dossiers médicaux de Mme Day et ses antécédents médicaux en général sont très pertinents à l'égard des questions de la responsabilité et des dommages. En ce qui concerne la responsabilité, nous estimons que l'état médical ou psychiatrique préexistant de Mme Day (y compris le diagnostic de schizophrénie et l'abus sexuel antérieur) pourrait avoir grandement influé sur son interprétation de la dynamique de sa relation personnelle avec M. Hortie et sur sa réaction à celle-ci.

Dans ses observation orales et écrites sur la requête, le ministère de la Défense nationale a nié que les circonstances alléguées [traduction] puissent équivaloir au harcèlement présumé ou à du harcèlement tout court. Il a fait valoir que les problèmes de la plaignante étaient attribuables [traduction] dans une large mesure, voire exclusivement, à l'état psychiatrique ou psychologique préexistant indiqué par ses dossiers médicaux, et peut-être notamment à la schizophrénie (1).

[3] L'intimé a exprimé l'avis que la plaignante souffrait de troubles psychologiques au moment où elle a fait les allégations de harcèlement. Par suite de ce dérèglement, elle estimait qu'elle faisait l'objet de harcèlement. L'intimé a laissé entendre qu'elle était, somme toute, en proie à des fantasmes, même si le mot peut sembler fort. Il s'ensuit qu'il existe en l'espèce un élément clinique qui distingue la présente affaire de celles qui sont habituellement soumises au Tribunal. Par conséquent, la préoccupation de la Commission selon laquelle ma décision aura un effet paralysant sur d'autres plaignantes ne semble pas justifiée.

[4] Les parties m'ont transmis des observations écrites à deux occasions; en outre, j'ai reçu deux affidavits de l'intimé. Enfin, il y a eu les plaidoiries. La plaignante, à l'instar de la Commission, s'oppose à la requête. Ses préoccupations ont trait non pas à ses antécédents psychologiques, mais plutôt aux renseignements concernant son état psychologique actuel, renseignements qu'elle ne veut pas partager avec les autres parties. M. Hortie, également intimé à l'instance, a décidé de ne pas présenter d'observations.

II. La question de la compétence

[5] La première question à trancher est la suivante : ai-je la compétence nécessaire pour rendre le genre d'ordonnance que l'intimé demande. La Commission a fait valoir que la Loi ne confère pas clairement au Tribunal le pouvoir d'ordonner un examen psychologique. Autant que je puisse voir, il n'y a dans la Loi canadienne sur les droits de la personne ou dans les Règles de procédure provisoires aucune disposition qui permet de rendre une telle ordonnance. Par conséquent, il faut se demander si le Tribunal jouit du pouvoir accessoire de le faire.

[6] Je tiens à préciser au départ que les questions soulevées dans le contexte d'un examen psychologique ne se posent pas nécessairement dans le cas d'ordonnances médicales qui revêtent un caractère moins intrusif. Par conséquent, je laisse aux autres tribunaux le soin de régler ces questions au fur et à mesure qu'elles surgissent. L'intimé a indiqué que ce Tribunal a déjà rendu une ordonnance semblable à celle demandée en l'espèce, dans l'affaire Lee c. ministère de la Défense nationale (TCDP, le 29 juin 2001); toutefois, d'après ce que je crois comprendre, il s'agissait, somme toute, d'une ordonnance sur consentement. Lorsque j'ai évoqué la possibilité d'une ordonnance sur consentement à la dernière audience, les parties n'ont pas réussi à s'entendre.

[7] Il convient de signaler, en outre, que l'intimé a informé le Tribunal que la plaignante avait accepté, à au moins deux occasions, de se soumettre à une évaluation psychologique indépendante. Aucune explication n'a été fournie quant aux raisons par lesquelles elle s'est ravisée, mais cela importe peu. La plaignante n'est pas représentée par un avocat et je dois m'en tenir à la position qu'elle a adoptée dans ses observations orales et écrites.

III. La position de l'intimé

[8] L'intimé invoque le paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui dispose que le Tribunal doit donner à toutes les parties la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations. L'argument est que cette disposition confère implicitement au Tribunal le pouvoir d'ordonner un examen médical indépendant. En outre, l'intimé invoque le paragraphe 50(3), qui confère au Tribunal les pouvoirs d'une cour supérieure relativement à l'instruction. Il semble également s'appuyer sur la prescription imposée par le législateur à l'article 48.9 de la Loi, qui précise que l'instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. Enfin, l'intimé fait référence dans une certaine mesure aux Règles de procédure provisoires.

[9] Dans ses observations écrites, l'intimé cite le paragraphe 11 de la décision que j'ai rendue dans Rogers c. DeckX (2), le 17 avril 2002 :

Le raisonnement qui sous-tend la règle applicable aux tribunaux civils semble être que les parties plaignantes et les parties défenderesses sont sur un pied d'égalité eu égard aux questions médicales afférentes à une affaire. Bien que je n'exprime aucun avis sur la question de compétence, il se peut qu'un tel argument puisse être débattu aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ledit alinéa prescrit qu'un tribunal après avis conforme à la Commission, aux parties et […] à tout intéressé […] donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter […] des éléments de preuve ainsi que leurs observations. Étant donné que le critère qui prévaut en vertu du paragraphe 50(1) est celui de l'équité, l'argument avancé serait, peut-on présumer, que l'intimé ne peut participer d'une manière équitable au processus sans examen. Un intimé serait tenu d'établir que l'ordonnance est nécessaire pour que lui soit donné la possibilité pleine et entière de participer à l'instruction.

Je n'ai pas poussé plus loin le raisonnement. Comme je l'ai indiqué dans la décision, je voulais simplement reconnaître que la question pourrait être débattue.

[10] De toute évidence, la requête dont je suis saisi soulève des intérêts contradictoires. Le premier intérêt est le besoin légitime d'examiner les questions en cause. Dans ses observations écrites, l'intimé fait valoir la nécessité d'évaluer [TRADUCTION] l'état mental [de la plaignante] pendant la période pertinente et les répercussions, s'il en est, du harcèlement présumé (2). Je souscris au principe énoncé dans McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd. (TCDP, le 1er mars 2001), et ce, même si celui-ci a rapport strictement à la production de documents médicaux. Dans sa décision, Me Deschamps a statué que les renseignements médicaux doivent généralement être produits s'ils sont pertinents à l'égard d'une question à trancher. Toutefois, cela ne répond pas à la question qui nous intéresse, à savoir si le Tribunal a le pouvoir de contraindre une partie à se soumettre à un examen. Ce qui est en cause, c'est le pouvoir du Tribunal sur la plaignante.

[11] L'argument est que le pouvoir du Tribunal d'assurer une audience juste et équitable comprend le pouvoir d'ordonner un examen psychologique, si nécessaire. Il s'agit strictement d'une question de franc-jeu. Au paragraphe 33, l'intimé fait valoir que ce pouvoir :

[TRADUCTION]
… peut être exercé à bon droit dans le cadre de la compétence inhérente du Tribunal, à moins qu'il n'existe des dispositions interdisant expressément de le faire. (Voir Re University of British Columbia et al.) La LCDP ne renferme aucune disposition qui interdit formellement au Tribunal de prononcer une ordonnance en vue d'une évaluation psychologique. En fait, les dispositions indiquent que le Tribunal jouit d'une compétence inhérente lui permettant de rendre une telle ordonnance, s'il y a lieu.

L'argument voulant que le Tribunal jouisse d'une compétence inhérente est nouveau. L'idée semble être que le Tribunal soit investi de certains pouvoirs naturels auxquels il peut avoir recours pour réglementer la conduite des parties. L'idée que ces pouvoirs puissent être exercés en l'absence de toute disposition législative à l'effet contraire émane probablement des cours (3).

[12] L'intimé cite principalement la décision rendue par l'arbitre en relations de travail dans Re U.B.C. and Association of University and College Employees, Local 1 (1984), 15 L.A.C. (3e) 151. Dans cette décision, l'arbitre soutient qu'il jouit d'une compétence inhérente lui permettant d'ordonner une évaluation psychologique lorsqu'il est impossible sans cela de tenir une audience équitable. Il est important cependant d'être précis et il est faux de prétendre que l'arbitre a ordonné à l'employé s'estimant lésé de se soumettre à un tel examen. En fait, l'arbitre a ordonné à l'auteur du grief de consulter un psychiatre, à défaut de quoi il suspendrait les procédures. L'une des différences importantes entre l'affaire U.B.C. et le cas qui nous occupe est que l'arbitre a ordonné à l'employé de consulter un psychiatre dont le choix avait été approuvé par l'employeur et le syndicat. En l'espèce, l'intimé a clairement précisé qu'il désirait désigner lui-même le psychologue.

[13] L'approche adoptée par l'arbitre dans l'affaire U.B.C. tire son origine de la jurisprudence anglaise. Le jugement qui fait autorité dans la jurisprudence semble être l'arrêt Edmeades v. Thames Board Mills Ltd., [1969] 2 All E.R. 127 (C.A.), dans lequel lord Denning affirme (p. 129) qu'un tribunal peut [TRADUCTION] ordonner l'arrêt des procédures si la partie demanderesse refuse de se plier à une demande raisonnable [d'examen médical] et empêche ainsi de par son comportement un règlement équitable de la cause. Les cours anglaises ont élaboré cette règle parce qu'elles n'avaient pas, semble-t-il, les ressources législatives ou réglementaires nécessaires pour ordonner des examens médicaux. Ce n'est pas le cas au Canada, bien qu'on ait eu recours, à tout le moins occasionnellement, à la même stratégie dans des cas où la question n'est pas abordée dans la loi ou dans les règles de la cour (4).

[14] Dans l'affaire U.B.C., l'arbitre fait également référence à une décision non publiée - B.C. Hydro and International Brotherhood of Electrical Works, Local 258 (16 juin 1981) - dans laquelle on semble adopter un point de vue différent. Dans cette décision, l'arbitre invoque le jugement rendu dans Re Thompson and Town of Oakville (1963), 41 D.L.R. (2d) 294, H.C. Ont.), dans lequel le juge en chef McRuer affirme à la page 302 :

[TRADUCTION]
Examinons d'abord le principe de droit général énoncé dans 26 Hals., 3e éd., p. 18, par. 25 : [TRADUCTION] Un médecin qui examine une personne contre son gré sans être autorisé à le faire commet une atteinte directe. … Le médecin qui procède à l'examen médical d'un patient jouit de la confiance de celui-ci, ce qui n'est pas le cas s'il fait l'examen au nom de quelqu'un d'autre. Le droit des employeurs d'ordonner à leurs employés de se soumettre à un examen de la part d'un médecin choisi par eux est assujetti soit à des obligations contractuelles, soit à des pouvoirs que leur confèrent les lois.

Bien que l'arbitre établisse une distinction entre l'affaire U.B.C. et l'affaire Thompson, je suis moins enclin à le faire et il me semble que le raisonnement qui sous-tend ces observations est valable. La sécurité, l'intégrité et la vie privée de la personne échappent à la juridiction ordinaire d'un organisme juridictionnel. Cette conception de la personne englobe ses caractéristiques intellectuelles et psychologiques.

[15] L'intimé a également fait référence aux principes appliqués par les tribunaux civils à l'égard des requêtes en vue d'un examen médical. L'argument général veut qu'un examen médical mette les parties sur un pied d'égalité face aux questions à trancher. Les cours prônent une divulgation pleine et entière, qui favorise un règlement équitable de la cause. La différence est que ces ordonnances sont généralement octroyées aux termes de dispositions législatives ou des règles de cour. Au Canada, l'opinion contemporaine semble être que ces dispositions revêtent un caractère réparateur et devraient être interprétées de façon large (5). Dans les cas où ils ne jouissent pas d'un pouvoir explicite, les cours ont souvent pris sur eux-mêmes d'exercer leurs compétences inhérentes en faveur de telles ordonnances (6).

IV. Les pouvoirs du TRIBUNAL

[16] À mon avis, la présente instance comporte deux volets. L'un de ces volets exige d'examiner les pouvoirs du Tribunal tandis que l'autre implique de se pencher sur les droits et intérêts de la plaignante. Je ne crois pas qu'il soit possible de déterminer l'étendue des pouvoirs du Tribunal sans examiner la nature de ces intérêts.

[17] Le pouvoir du Tribunal d'ordonner une évaluation psychologique pourrait découler de sa compétence à l'égard de sa propre procédure. Le Tribunal est maître de sa propre procédure. Il a le pouvoir de superviser la divulgation de la preuve et d'ordonner sa production. Bien que les Règles de procédure provisoires ne comportent pas de dispositions en matière de divulgation, la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit une telle possibilité et, à mon avis, le Tribunal doit jouir d'une certaine compétence à cet égard. Cependant, j'hésite à dire que la demande d'examen médical indépendant relève de la procédure du Tribunal. J'estime qu'il est important, du moins dans la plupart des cas, de continuer de faire une distinction entre la procédure observée par le Tribunal et le processus subsidiaire qui consiste à recueillir des éléments de preuve.

[18] Du point de vue pratique en tout cas, je ne vois pas comment la requête en vue d'une ordonnance exigeant un examen indépendant s'inscrit, à proprement parler, dans les paramètres de la procédure que j'observe. Par conséquent, il me semble que la décision de rendre une telle ordonnance déborde le champ de compétence qui est dévolu au Tribunal à l'égard de sa propre procédure. Je ne sais pas où cette procédure prend fin et où la procédure subsidiaire commence, mais le pouvoir du Tribunal se limite à sa propre procédure. Je ne vois pas en quoi mon pouvoir de superviser l'audience m'autorise de quelque façon à contraindre la plaignante à se soumettre à un examen médical ou psychologique de la part d'une tierce partie, lequel échapperait entièrement au contrôle du Tribunal. Cet élément ne saurait être considéré comme faisant partie de l'instruction et entraîne le Tribunal au-delà des limites de la Loi.

[19] L'intimé a néanmoins fait valoir que les pouvoirs du Tribunal s'étendent à la collecte d'éléments de preuve. Il a prétendu que les [TRADUCTION] principes de justice naturelle et d'équité exigent [TRADUCTION] qu'une partie soit en mesure de s'exprimer sur les allégations dont elle fait l'objet et de recueillir des éléments de preuve qui lui permettront de présenter son argumentation (7) (les italiques sont ajoutés). Cependant, la décision U.B.C. (précitée), dans laquelle l'arbitre énonce un tel pouvoir, constitue peut-être une autre source à cet égard. Il est révélateur à mon avis d'examiner pourquoi l'arbitre a pris la position qu'il a exprimée. D'après ce que je crois comprendre, le problème réel en l'occurrence était que l'arbitre ne jouissait pas des pouvoirs formels qu'exerce normalement un décideur à l'égard de la production de documents et des questions connexes. Il n'avait donc d'autre choix que de trouver un pouvoir implicite ou accessoire l'habilitant à exiger une évaluation psychologique. Il aurait autrement été incapable d'assurer aux parties une audience juste et équitable.

[20] En agissant ainsi, l'arbitre a étendu la doctrine des pouvoirs nécessaires plutôt que de défendre la thèse de la compétence inhérente. Je crois sincèrement qu'un terme comme compétence accessoire ou compétence subsidiaire serait plus exact et moins sujet à controverse que celui de compétence inhérente. Dans ce contexte restreint, je crois que les prétentions de l'intimé quant à la compétence du Tribunal sont fondées. Je dis cela parce que la compétence du Tribunal découle à mon avis du mandat que lui confère la Loi canadienne sur les droits de la personne, plutôt que du libellé de la Loi. Il s'agit d'un mandat qui est vaste, quasi constitutionnel et réparateur. À mon avis, le Tribunal jouit de tous les pouvoirs subsidiaires dont il a besoin pour s'acquitter du rôle qui lui est attribué par la Loi.

[21] De ce point de vue, l'aspect important de la compétence du Tribunal réside peut-être dans son obligation d'instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive aux termes de l'art. 48.9 de la Loi. L'article 50 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui confère au Tribunal certains pouvoirs d'une cour supérieure, semble constituer une autre source de pouvoir. Cet article donne également au Tribunal le pouvoir de trancher toute question de procédure ou de preuve. Ces pouvoirs semblent se limiter à l'audience proprement dite; cependant, je ne vois dans cet article aucune disposition qui étend la compétence du Tribunal au cabinet de consultation d'un psychologue. Je ne crois pas que le Tribunal des droits de la personne jouisse d'une compétence inhérente, et les décisions des cours supérieures ne sont guère utiles à cet égard. À mon avis, les pouvoirs accordés visent à aider le Tribunal à s'acquitter de son mandat et ne modifient pas la nature de l'institution.

[22] L'intimé a également cité les Règles de procédure provisoires, mais le mot provisoire est éloquent en soi et j'ai émis ailleurs le commentaire que les règles actuelles n'ont pas force exécutoire (8). Il se peut qu'une fois adoptées, ces règles aient pour effet d'élargir le champ d'application de la procédure du Tribunal. Cependant, la réalité pour l'instant est qu'il s'agit davantage de lignes directrices que de règles. Cela soulève néanmoins dans le contexte actuel une question lourde de sous-entendus : si l'on s'interroge quant à la source du pouvoir actuel du Tribunal d'ordonner la production de documents ou de trancher une foule d'autres questions de procédure, on ne peut trouver la réponse dans les règles puisque celles-ci n'ont pas encore été adoptées. Par conséquent, d'où le Tribunal tient-il son pouvoir provisoire de trancher de telles questions? À mon avis, la réponse réside dans la compétence accessoire ou subsidiaire du Tribunal, sans laquelle un organisme officieux ne peut s'acquitter de son mandat.

[23] Employé dans ce contexte, le terme compétence accessoire signifie simplement qu'un organisme doté d'un mandat officieux a le pouvoir de faire ce qui est nécessaire pour assurer une audience équitable conformément aux dispositions de la Loi. Ce pouvoir est inhérent à la procédure relevant de la Loi plutôt qu'à la nature du Tribunal, ce qui n'est pas le cas des cours, qui tirent leurs pouvoirs de leur compétence inhérente. Le rôle fondamental que la Loi confère au Tribunal est énoncé à l'article 50(1), qui exige que le Tribunal donne aux parties la possibilité pleine et entière de présenter leur preuve. Cet article délimite la portée naturelle de la compétence du Tribunal. Il faut s'interroger sur l'équité de la procédure observée par le Tribunal pour déterminer si celui-ci est habilité à rendre une ordonnance qui, à proprement parler, déborde le cadre de la procédure. Il s'agit là d'un critère pragmatique qui ne se limite pas à l'application de règles rigides.

[24] Il faut se garder de pousser trop loin tous ces arguments. La compétence accessoire du Tribunal comporte de nombreuses limites et ne confère pas à ce dernier les pouvoirs plus généraux dont jouissent les cours. Toutefois, il est évident que le législateur n'a pas voulu priver le Tribunal des pouvoirs essentiels dont il a besoin pour s'acquitter de son mandat et appliquer la Loi. Cette opinion est conforme à la nature quasi constitutionnelle de la Loi, qui doit être interprétée de façon large et libérale. À mon avis, la question que je dois me poser est la suivante : ces pouvoirs s'étendent-ils à l'ordonnance demandée. Afin de répondre à cette question, il est nécessaire selon moi d'examiner la nature des intérêts qui seraient compromis par une telle ordonnance.

V. La nature du droit de la plaignante à la vie privée

[25] À mon avis, la détermination de la portée des pouvoirs du Tribunal en l'espèce passe par l'examen des droits constitutionnels. La Cour suprême du Canada a clairement précisé qu'une entité juridique devrait être réticente à ordonner la divulgation de renseignements personnels ayant trait aux antécédents médicaux ou psychologiques d'une partie. Cela soulève de sérieuses questions, et je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt de la justice ou de l'équité d'ordonner à la plaignante de faire une telle divulgation, à moins que cela ne devienne nécessaire. Un Tribunal devrait naturellement agir avec prudence dans une affaire où peuvent être en cause des droits consacrés par la Charte.

[26] J'ai déjà indiqué que la principale préoccupation de la plaignante à l'égard de la présente requête ne concerne pas ses antécédents psychologiques, qui sont pertinents à l'égard de la question de la responsabilité. Son inquiétude a trait aux renseignements relatifs à son état psychologique actuel, qui n'est pas en cause dans la présente instance. Il y a peut-être lieu de préciser qu'il n'est pas possible à mon avis de demander à un psychologue ou à un psychiatre de s'abstenir d'évaluer l'état actuel de la plaignante aux fins de l'examen de son état au moment où les allégations ont été faites. Point n'est besoin d'être expert dans le domaine pour savoir que ce n'est pas là une façon normale de procéder.

[27] Il n'est pas suffisant à mon avis d'examiner les dispositions expresses de la Loi. Comme l'avocat de la Commission l'a indiqué dans sa plaidoirie, il faut s'interroger sur les valeurs sous-jacentes de la Loi. La législation relative aux droits de la personne, de l'avis de la Commission, est fondée sur la dignité et la valeur de la personne. Les tribunaux des droits de la personne doivent donc respecter l'autonomie de l'individu et protéger la dignité de la personne, ce qui implique une certaine protection de la vie privée. Un tribunal qui est confronté à une requête d'une des parties en vue d'une ordonnance devrait se demander si celle-ci permettrait de promouvoir ces valeurs.

[28] Je souscris à cet argument. Bien qu'elle régisse les rapports entre individus, voire leur attribue des obligations, notre loi reconnaît la liberté fondamentale dont chacun doit jouir. Cela est important dans le contexte actuel, étant donné que l'acte consistant à contraindre une personne à subir un examen médical revêt en soi un caractère coercitif. L'intégrité physique et psychologique d'un individu est un aspect essentiel de la personne. Les cours ont toujours été très sensibles aux éléments qui remettent en question cette intégrité, que ce soit relativement à la compétence parens patriae, aux ordonnances qui impliquent une intervention médicale ou à d'autres questions.

[29] Les questions de cette nature sont devenues beaucoup plus urgentes depuis l'avénement de la Charte canadienne des droits et libertés. Je n'ai point l'intention d'examiner le lien entre la Charte et la Loi canadienne sur les droits de la personne; toutefois, je suis d'avis que les valeurs sous-jacentes de la Charte, dans un système juridique comme le nôtre, doivent influencer l'approche adoptée dans d'autres domaines du droit. Cela est particulièrement vrai dans le cas des droits de la personne, qui visent à protéger, à préserver et à promouvoir la dignité de l'individu. En l'espèce, je crois qu'il est évident que les préoccupations énoncées par les cours au regard des articles 7 et 8 de la Charte s'appliquent dans le contexte d'une ordonnance en vue d'un examen psychologique. Bien que la Commission ait également invoqué l'article 15, la question des droits à l'égalité peut être examinée dans une autre instance.

[30] L'arrêt qui fait autorité à cet égard est celui rendu par la Cour suprême dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307. Dans ce jugement, la Cour suprême reconnaît que le droit à la sécurité de la personne consacré par l'article 7 de la Charte protège l'intégrité psychologique de l'individu. Le jugement de la majorité souscrit à la prémisse que la Charte s'applique aux instances relatives aux droits de la personne. Par conséquent, la Cour a dû se prononcer sur la question à savoir si l'atteinte à l'intégrité psychologique de la personne mise en cause était suffisante pour donner naissance à un tel droit. Même s'il n'est pas nécessaire à mon avis de trancher cette question en l'espèce, il n'en est pas moins évident que la présente affaire soulève des questions quant au droit à la liberté.

[31] D'après ce que je crois comprendre, la majorité dans Blencoe a fait, par le fait même, intervenir dans la procédure relative aux droits de la personne, les considérations liées à l'article 7 de la Charte. Au paragraphe 84, le juge Bastarache, faisant référence à l'arrêt R. c. O'Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, a soutenu qu'une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée constitue une de ces considérations :

Dans cet arrêt, au par. 110, le juge L'Heureux-Dubé a énuméré les affaires dans lesquelles notre Cour a favorisé l'idée que l'art. 7 garantit notamment un droit à la vie privée. Elle a cependant conclu que les gens n'ont qu'une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée (soulignement omis), car la protection de la vie privée doit être pondérée en tenant compte des besoins légitimes de la société (par. 117).

Ceci étant dit, la question demeure. À mon avis, ce passage signifie simplement que la Charte ne garantit pas expressément le droit à la vie privée, même si elle protège considérablement la vie privée de l'individu.

[32] Dans Blencoe, la majorité a invoqué l'arrêt R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, faisant valoir que la divulgation des dossiers thérapeutiques porterait atteinte à tel point à l'intégrité psychologique de la victime que les droits garantis par l'article 7 s'appliqueraient. Au paragraphe 85, le juge Bastarache écrit :

Notre Cour a récemment statué que la sécurité de la personne est en cause lorsque la relation thérapeutique entre l'auteur d'une plainte d'agression sexuelle et son médecin est compromise par la communication de dossiers privés… Il en est cependant ainsi parce que la relation thérapeutique entre le médecin et le patient est essentielle à l'intégrité psychologique de ce dernier. Cette relation doit être protégée afin de préserver l'intégrité mentale des patients et d'aider ainsi les victimes à se remettre de leur traumatisme.

En outre, les affaires touchant la divulgation de dossiers thérapeutiques sont avivées, pour reprendre le terme employé par le juge Bastarache, par les principes protégés par l'art. 8 de la Charte.

[33] Dans Mills (par. 80), la Cour souscrit à l'opinion exprimée par le juge La Forest dans R. c. Duarte, [1995] 1 R.C.S. 30 (pp. 53 et 54) : la liberté de ne pas être obligé de partager nos confidences avec autrui est la marque certaine d'une société libre. La Cour poursuit en faisant siennes les observations formulées par le juge Sopinka dans R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281 (p. 293) :

Étant donné les valeurs sous-jacentes de dignité, d'intégrité et d'autonomie qu'il consacre, il est normal que l'art. 8 de la Charte protège un ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l'État.

Il me semble que le Tribunal des droits de la personne devrait respecter le même ensemble de renseignements biographiques que la Cour suprême a cherché à protéger dans ces arrêts.

[34] Il va sans dire que les préoccupations exprimées par la Cour suprême à l'égard des articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés s'appliquent en l'espèce. Selon l'arrêt Mills, l'ordonnance d'une cour visant la production de dossiers thérapeutiques aux termes des articles 278.1 et 278.91 du Code criminel constitue une saisie au sens de l'article 8 de la Charte. Si les dossiers thérapeutiques sont visés par les garanties que comporte la Charte, il en est de même de la procédure sous-jacente. Je ne vois aucune distinction significative entre la procédure dont il s'agit et un examen psychologique, et ce, même si l'examen a strictement pour but d'établir un diagnostic. L'arrêt rendu par la Cour suprême dans Hunter et autres c. Southam, [1984] 2 R.C.S. 145, a tôt fait de confirmer que l'article 8 doit être interprété de façon large et libérale. L'examen revêt un caractère exploratoire, et je crois que le sens juridique du mot perquisition pourrait être suffisamment large pour inclure l'extraction de renseignements personnels auprès d'un patient réticent.

[35] Il est évident qu'un examen psychologique présente des difficultés qui ne se posent pas dans le contexte d'un simple examen physique. Une telle entrevue ne peut être menée sans la confiance de la plaignante. Cela soulève d'autres préoccupations. Il serait naïf de croire qu'un psychologue qui agirait en l'espèce au nom des adversaires juridiques de la plaignante ne serait pas en position d'autorité vis-à-vis de cette dernière. Le psychologue demandera à la plaignante de lui divulguer les renseignements les plus délicats et personnels et de partager avec lui ses sentiments intimes. Je m'inquiète de sa vulnérabilité dans une telle situation, d'autant plus qu'elle n'accepte pas l'idée d'être ainsi exposée. Quelle que soit la nature exacte des droits ou des attentes de la plaignante aux termes des articles 7 et 8 de la Charte, ceux-ci s'appliquent certes aux renseignements en question et je ne suis pas disposé à donner à l'intimé l'autorisation de scruter cette information.

[36] Les renseignements concernant l'état psychologique actuel de la plaignante revêtent un caractère des plus personnels et font certes partie de la catégorie de renseignements personnels ou biographiques qui méritent une protection constitutionnelle. Dans les circonstances, je crois qu'il serait imprudent qu'un organisme comme le Tribunal présume qu'il jouit de tels pouvoirs d'intrusion dans la vie privée. Le Tribunal est un organisme créé par une loi; bien qu'elle revête un caractère quasi constitutionnel, la loi qui le régit doit être interprétée conformément aux valeurs garanties par la Constitution. Même si elle ne comporte pas de préambule, la Loi canadienne sur les droits de la personne est fondée sur les principes de la dignité humaine et du respect d'autrui, quelle que soit la situation de l'individu. À mon avis, ces principes englobent le respect de la vie privée et les valeurs constitutionnelles qui protègent la vie privée de la personne.

[37] Ce sont là autant de considérations pour lesquelles le droit de la plaignante à la vie privée entre en jeu, et ce, quelle que soit l'origine de ce droit. Il convient de noter que le droit international traduit certaines de ces mêmes préoccupations. Dans Stanley c. G.R.C. (1987), 8 C.H.R.R. D/3799 (T.C.D.P.), le Tribunal précise, au par. 30166, par exemple, que la décision du Canada de ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (2200A XXI) confirme la grande importance qu'on doit accorder à la liberté de l'individu. Le paragraphe 17.1 du Pacte précise que nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance…. Ce genre de disposition fournit un élément contextuel fondé sur l'objet visé qui semble particulièrement pertinent lorsqu'il s'agit d'interpréter la législation relative aux droits de la personne. Un tribunal devrait être sensible à ces valeurs universelles.

[38] Je crois que la Loi canadienne sur les droits de la personne doit être interprétée conformément aux valeurs de la personne. Je ne puis dire si la situation serait différente si la Loi comportait une disposition expresse permettant de prononcer une ordonnance en vue d'un examen. Dans l'affaire Vancouver School District No. 39 c. B.C.T.F (2001), 98 L.A.C. (4th) 385, l'arbitre a statué qu'aucun droit garanti par l'article 7 n'était applicable du fait de l'application de l'article 92 de la School Act de la Colombie-Britannique, qui contenait effectivement une disposition autorisant un conseil scolaire à congédier un employé ayant refusé de se soumettre à un examen psychiatrique. Toutefois, l'intimé n'est pas l'employeur de la plaignante, et je ne puis voir en quoi les préoccupations soulevées dans cette affaire s'applique en l'espèce. Je n'ai été saisi d'aucune disposition législative expresse, cependant, et j'ai aucune raison de croire que le législateur ait eu l'intention d'accorder au Tribunal un tel pouvoir.

VI. Les Façons possibles de régler le litige

[39] Le Tribunal pourrait être appelé dans certains cas d'incapacité physique à réexaminer la question de l'examen indépendant. Je soupçonne qu'il y aura des cas où il sera difficile, voire impossible, de déterminer des dommages, par exemple, sans un rapport médical. Cependant, je ne suis pas convaincu que le Tribunal ait le pouvoir de contraindre une partie à se soumettre à un examen médical indépendant. Le Tribunal n'est pas pour autant dépourvu de ressources dans le cas qui nous occupe.

[40] Il peut y avoir des cas où il est suffisant de tirer une conclusion défavorable à un plaignant qui est réticent à se soumettre à un examen. La jurisprudence, particulièrement celle en matière pénale, regorge de précédents illustrant la façon de procéder. Il y a également la possibilité énoncée dans l'affaire Lee, où M. Sinclair a statué que la Commission et la partie plaignante ne seraient pas autorisées à produire une preuve psychologique si cette dernière refusait de consulter un psychiatre. Chaque cas doit être examiné à la lumière des faits qui s'y rattachent. Je ne crois pas qu'il soit possible en l'espèce de rendre une ordonnance comme celle qui a été prononcée dans l'affaire Lee puisque l'argumentation de l'intimé semble reposer principalement sur une preuve psychologique. Cette question ne concerne pas la plaignante.

[41] Il y aura peut-être des cas où l'intimé ne sera pas en mesure de préparer sa preuve et de la présenter sans un examen médical. Si la plaignante refuse de se soumettre à un tel examen, je crois que le Tribunal aurait le pouvoir de suspendre les procédures, conformément à la compétence inhérente - j'emploie le terme compétence inhérente en connaissance de cause - de tout organisme juridictionnel à l'égard de la protection de l'intégrité et de l'équité de sa propre procédure. Je crois que le Tribunal, sur ce plan en tout cas, est dans la même position que d'autres organismes juridictionnels. Je ne vois pas comment un membre peut procéder en toute bonne foi à l'instruction d'une plainte, sachant que l'audience est inéquitable.

[42] Je ne crois pas qu'il y ait lieu en l'espèce de recourir à des mesures aussi draconiennes. À mon avis, le critère énoncé par lord Denning dans l'affaire précitée est suffisant pour trancher la question. Est-il possible de disposer des points soulevés par les parties sans un examen médical indépendant? Je crois que oui.

VII. La procédure à suivre à l'audience

[43] La plaignante ne veut pas que les autres parties aient accès à ses dossiers médicaux courants, et je vois aucune raison de la contraindre à fournir un tel accès. Aucune des parties n'a laissé entendre qu'un problème de compétence se pose; un tel problème soulèverait d'autres préoccupations. J'ai déjà statué que les autres parties peuvent avoir accès à ses antécédents médicaux à la condition que ceux-ci rendent compte de son état psychologique au moment où les allégations ont été faites. Elles disposent des dossiers médicaux de la plaignante pour la période en question, pour la période antérieure et pour un laps de temps considérable depuis. Je ne vois pas pourquoi elles ont besoin d'en avoir plus.

[44] Le problème procédural consiste à faire en sorte qu'on continue au cours de l'instruction de la plainte de se concentrer sur l'état psychologique de la plaignante au moment où les allégations de harcèlement ont été faites, et qu'on évite d'examiner sa situation actuelle. Rien n'empêche le système des droits de la personne de s'inspirer de ce qui se fait dans d'autres domaines du droit où il existe une façon commode et pratique de résoudre ce genre de question. Je suis confronté à une situation semblable à celle à laquelle une cour criminelle fait face lorsque la défense fait valoir que le prévenu était dans un certain état psychologique lorsque les événements pertinents sont survenus. La seule différence en l'espèce est que c'est la partie adverse qui adopte cette position.

[45] Bien que le droit pénal se soit aventuré en eau trouble dans ce domaine, la règle générale a toujours été que la preuve quant à la situation du prévenu à l'époque doit être présentée à la cour. Pour ce faire, on fait habituellement témoigner le prévenu. Un psychologue ou un psychiatre assiste à l'audience devant la cour, puis se présente à la barre pour témoigner à titre d'expert au sujet de l'état psychologique du prévenu au moment où les événements se sont produits. On se fonde habituellement sur une question hypothétique. Compte tenu des expériences vécues et des antécédents du prévenu, a-t-on des raisons de croire qu'il manifestait un dérèglement psychologique à l'époque pertinente?

[46] À mon avis, rien n'empêche de suivre cette procédure en l'espèce. L'expert dont l'intimé retiendra les services aura pleinement accès aux antécédents médicaux et psychologiques de la plaignante. Il aura également l'occasion d'entendre le témoignage de la plaignante et de poser, par l'entremise de l'avocat, les questions nécessaires pour poser un diagnostic. Je suis soucieux de protéger le caractère confidentiel des renseignements courants, mais j'admets qu'il faudra peut-être obtenir des éclaircissements quant à l'affection dont la plaignante pourrait être atteinte. Tout est une question de degré.

[47] L'un des avantages de cette façon de procéder est que le psychologue ne s'en remettra pas à des preuves extrinsèques qui n'ont pas été présentées au Tribunal. Le dossier médical est plus que suffisant pour servir de base à un rapport d'expert, qui devra peut-être revêtir un caractère quelque peu provisoire dans les circonstances. Cela suffira dans la mesure où ce rapport exposera les préoccupations du psychologue quant à l'état psychologique de la plaignante à l'époque en question. Comme je l'ai dit, il incombe à l'avocat d'examiner en contre-interrogatoire toute préoccupation ou doute que le psychologue peut avoir.

[48] Cette façon de procéder permettra au Tribunal de protéger les droits de la plaignante tout au long des procédures. Elle permettra également au Tribunal de veiller à bien examiner les questions légitimes.

VIII. La requête d'ajournement

[49] Enfin, il y a lieu d'émettre des commentaires sur deux autres questions. Premièrement, j'ai reçu de l'intimé une demande très tardive visant à différer la décision sur cet aspect de sa requête. Cette demande m'a été faite alors que j'avais décidé de rejeter la requête et au moment où je rédigeais la version finale de ma décision. La lettre me donne à croire que l'avocat a apparemment conclu, à la lecture des observations écrites de la plaignante, qu'il y avait place à un certain compromis. Je ne connais pas les raisons qui l'ont amenée à croire cela, mais j'estime que la position de la plaignante est claire et cohérente. Bien que les observations écrites de la plaignante puissent susciter certaines préoccupations quant à son bien-être, elle insiste sur le point fondamental. Elle n'est pas disposée à se soumettre à un examen contre son gré.

[50] La plaignante peut toujours se raviser et faire les arrangements qu'elle veut bien avec l'intimé. Je ne vois pas en quoi cela influencerait ma décision. Il serait néanmoins inopportun de rouvrir le débat, alors que j'ai, à toutes fins utiles, pris ma décision. Il y a eu jusqu'à maintenant deux, voire trois, séries d'argumentation sur le litige actuel, sans parler de la demande de l'intimé qui arrive trop tard dans le processus. Je ne suis pas disposé à suspendre ma décision dans le vague espoir qu'elle ne sera peut-être pas nécessaire.

[51] À ce stade-ci des procédures, la demande est du ressort du Tribunal. Les parties sont libres de négocier la démarche tout au cours du processus, mais celui-ci a constamment eu des ratés. Dans ses observations écrites, l'intimé se plaint que la plaignante a changé d'idée à deux reprises et que rien ne l'empêche de le faire à nouveau. Je crois fermement que le présent litige doit être réglé, si ce n'est que pour clarifier la question avant l'audience. Par conséquent, ma décision est maintenue.

IX. La nomination d'un nouveau psychologue

[52] L'intimé a également fait parvenir au Tribunal une lettre accompagnée d'un curriculum vitae indiquant qu'elle désire nommer un autre psychologue. Je ne crois pas que cette démarche était justifiée. Une fois que l'argumentation portant sur une requête est terminée, le débat ne devrait être rouvert que dans des circonstances exceptionnelles, une fois que les autres parties ont eu l'occasion de se demander s'il y a lieu de le rouvrir. Il faudrait pour cela qu'une des parties présente une requête, ce qui n'a jamais été fait dans les formes.

[53] L'adoption de cette approche est d'autant plus justifiée que les autres parties auraient pu faire valoir que l'identité du psychologue influait sur la requête. À mon avis, il aurait été plus opportun, du moins en l'espèce, de présenter une requête en vue de la nomination d'un autre psychologue, une fois la décision rendue. Je m'en suis donc tenu à la requête initiale. Je demanderais aux avocats et aux parties de faire montre d'une plus grande prudence à l'avenir.

Original signée par

Paul Groarke

OTTAWA (Ontario)

Le 18 décembre 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS DU TRIBUNAL NOS : T627/1501 et T628/1601

INTITULÉ DE LA CAUSE : Amanda Day c. ministère de la Défense nationale et Michael Hortie

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 18 décembre 2002

ONT COMPARU :

Amanda Day en son propre nom

Leslie Reaume au nom de la Commission canadienne des droits

Kathryn Chapman de la personne

Michael Gianacopoulos et Sharan Sangha au nom du ministère de la Défense nationale

Anita Mekkunnel, Joyce Thayer et J. David Houston au nom de Michael Hortie

1. 1 Ces citations sont tirées des paragraphes 7 et 8 des observations écrites du ministère de la Défense nationale.

2. 2 Ibid., par. 23.

3. 3 Voir Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick c. Association of Parents for Fairness in Education, [1986] 1 R.C.S. 549, aux pp. 191 et 192.

4. 4 Voir Blackburn c. Kochs Trucking Inc., [1988] 4 W.W.R. 272 (C.B.R.).

5. 5 Voir, par exemple, Cars c. Huk [1992] 1 W.W.R. 86 (CA de l'Alberta) et Tat c. Ellis, (1994) 21 Alta. L.R. (3d) 7 (CA de l'Alberta).

6. 6 Voir McCuaig c. Halverson [1993] S.J. No. 477 (Q.L.) (C.B.R. de la Saskatchewan).

7. 7 Ibid., paragraphe 27.

8. 8 Voir AFPC c. GTNO (ministre du Personnel), (9) (25 juillet 2001).

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