Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Fiona Ann Johnstone

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

l’Agence des services frontaliers du Canada

l'intimée

Décision

Membre : Kerry-Lynne D. Findlay, c.r.
Date : Le 6 août 2010
Référence : 2010 TCDP 20

Table des matières

I La plainte.

II Le contexte factuel

III Les opérations de l’intimée.

IV Les antécédents du tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP) et de la CCDP.

V Le dossier de la plaignante.

A. Le témoignage de Fiona Johnstone.

B. Le témoignage de Murray Star

C. Le témoignage d’expert de Mme Linda Duxbury.

D. Le témoignage d’expert de Martha Friendly.

E. La preuve prima facie.

VI Le dossier de l’intimée.

A. Le témoignage de Norm Sheridan.

B. Le témoignage de Rhonda Raby.

C. Le témoignage d’expert de M. Moore‑Ede.

VII Conclusions/Analyse.

VIII Décision.

IX Le redressement

A. Mesure de redressement systémique.

B. Indemnités générales pour préjudice moral

C. Indemnité spéciale.

D. Intérêt

E. Dépens avocat-client

F. Maintien de la compétence.

I. La plainte

[1] La présente plainte a été déposée le 23 avril 2004 et a été présentée en vertu des alinéas 7b) et 10a) et b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

[2] La plaignante (Mme Johnstone) soutient que l’intimée (l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC)) a usé de pratiques discriminatoires fondées sur la situation de famille en cours d’emploi. Le paragraphe 3(1) de la LCDP établit la situation de famille comme motif de distinction illicite.

[3] L’alinéa 7b) de la LCDP est ainsi rédigé :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

b) de [...] défavoriser [un individu] en cours d’emploi [1976-77, ch. 33, art. 7.]

[4] Les alinéas 10a) et b) de la LCDP sont ainsi rédigés :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

  1. de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;
  2. de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel. [L.R. (1985), ch. H‑6, art. 10; 1998, ch. 9, art. 13(E).]

[5] Les pratiques énoncées dans la plainte sont le défaut de prendre des mesures d’adaptation ainsi que la différence préjudiciable de traitement fondée sur la situation de famille, soit en l’espèce le fait d’élever deux jeunes enfants. Selon les conclusions de la décision Moore c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 31, au paragraphe 86 le défaut de prendre une mesure d’adaptation n’est pas une pratique discriminatoire au sens de la LCDP, parce que [e]n vertu de cette dernière, il n’existe pas de droit d’adaptation distinct.

[6] La pratique discriminatoire contre la plaignante aurait débuté en 2004. Bien que les exposés des précisions des deux parties traitent principalement de la période allant jusqu’à 2007 inclusivement, la plainte en l’espèce mentionne que la discrimination est [Traduction] continue. Mme Johnstone a soutenu à l’audience que la discrimination dont elle se plaint était une [Traduction] une pratique continue et qu’elle se poursuivait toujours. La Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) a appuyé cette approche.

[7] L’intimée s’oppose à la présentation de preuves portant sur la période suivant 2007, parce qu’il s’agit d’allégations [Traduction] postérieures à la plainte, et que de tels éléments de preuve seraient trop éloignés dans le temps en ce qui a trait à la pertinence. La plainte en l’espèce a été déposée le 23 avril 2004.

[8] Le Tribunal a accepté le point de vue de la plaignante et de la CCDP au sujet du fait que la plainte est continue et a noté que la plainte écrite présentait déjà cet argument. Les allégations soulevées en vertu de l’article 10 de la LCDP traitent aussi du fait que le comportement contesté était de nature systémique et les réparations demandées reflètent cette position.

[9] Toutes les parties ont présenté des preuves au sujet des pratiques de l’ASFC, des politiques écrites et non écrites et l’ASFC, de la convention collective pertinente modifiée au cours de la période visée par la plainte, de l’Entente sur les postes à horaires variables (l’EPHV) en place à l’époque de la plainte et modifiée par la suite, ainsi que des conséquences, tant passées que présentes, de l’application de ces pratiques, politiques et ententes.

[10] Mme Johnstone soutient que les politiques de l’ASFC l’ont forcée à accepter un statut à temps partiel à son retour au travail après un congé de maternité pour chacun de ses deux enfants, l’obligeant ainsi à travailler moins que le nombre d’heures qu’elle pouvait et voulait travailler, entraînant ainsi une perte d’avantages qui sont offerts aux employés à temps plein, y compris des avantages prévus par sa convention collective et son droit à pension en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique.

[11] La plaignante et l’ASFC étaient toutes deux représentées par leurs avocats à l’audience. La CCDP était aussi représentée par un avocat, mais n’a traité que des arguments soulevés en lien avec l’article 10 dans la plainte. Le fait que des avocats ont représenté toutes les parties a été très avantageux pour le Tribunal.

[12] Avant l’audience, l’ASFC a tenté de faire ajouter le syndicat comme partie. L’une des raisons principales que l’ASFC a données pour l’ajout du syndicat était que l’EPHV empêchait l’ASFC d’examiner la demande de Mme Johnstone au sujet de quarts fixes qui lui donneraient des heures à temps complet sur seulement trois jours par semaine. L’ASFC n’a pas présenté cet argument à l’audience.

[13] Mme Johnstone et la CCDP ont contesté cette requête au motif qu’aucune des réparations demandées par Mme Johnstone n’exigeait la modification de la convention collective en cours ni de l’EPHV. Le syndicat a présenté un affidavit au Tribunal à l’appui de la plaignante, mais n’a pas participé activement. Le Tribunal a rejeté la requête au motif que la participation du syndicat à l’audience n’était pas nécessaire pour la présentation de preuves pertinentes ni pour la capacité du Tribunal de trancher les questions soulevées. La requête a aussi été rejetée parce qu’elle avait été présentée tard au cours du processus et que la participation du syndicat n’était pas nécessaire pour trancher correctement la partie de la plainte sur la responsabilité [voir 2009 TCDP 14].

II. Le contexte factuel

[14] Mme Johnstone est une agente des services frontaliers du Canada (ASF). Elle est employée de l’ASFC depuis le 14 avril 1998. Elle est présentement en congé sans solde, au sujet duquel des précisions seront apportées plus tard dans la présente décision. À l’époque de la plainte, elle travaillait pour les Opérations des passagers au terminal de l’aéroport Pearson (le TAP) à Toronto, au Canada.

[15] De l’avis général, Mme Johnstone est une employée exemplaire qui dépasse souvent les attentes de ses supérieurs et qui a reçu des évaluations élogieuses pour sa diligence, ses excellents résultats et sa rigueur dans ses tâches.

[16] Mme Johnstone est mariée à Jason Noble (Jason) depuis décembre 2002. Jason est aussi un AFC. Au début de la période visée par la plainte, Jason travaillait pour l’ASFC à titre de superviseur, aussi au TAP. Il travaille maintenant à Ottawa.

[17] Mme Johnstone et son mari ont deux enfants. L’aîné est né en janvier 2003 et Mme Johnstone est retournée travailler le 4 janvier 2004. Le deuxième enfant est né en décembre 2004 et Mme Johnstone est retournée travailler le 26 décembre 2005. Les deux enfants seront d’âge scolaire en 2010.

[18] Le TAP fonctionne 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Pour couvrir les exigences opérationnelles de ce milieu de travail, la convention collective est fondée sur un plan de quarts de travail par rotation nommé EPHV, un acronyme signifiant Entente sur les postes à horaires variables. Dès que Mme Johnstone a commencé à travailler pour l’ASFC, après une courte période de travail à temps partiel, elle a travaillé à temps plein dans un horaire de cinq jours de travail, trois jours de congé, par quarts rotatifs gouvernés par l’EPHV.

[19] En plus des rotations, les quarts de travail sont irréguliers et imprévisibles. À l’époque où les faits visés par la plainte ont eu lieu, les employés à temps plein suivaient une rotation composée de six heures de début différentes réparties au cours de la journée, de l’après-midi et de la soirée, sans modèle prévisible. De plus, les employés travaillaient différents jours pendant la semaine pour toute la durée de l’horaire. Cet horaire comptait 56 jours. Les ASF étaient avisés 15 jours avant le début de chaque nouvel horaire. L’employeur pouvait changer l’horaire à cinq jours de préavis.

[20] Dans le contexte en l’espèce, un poste à temps plein au sens de l’article 25.13 de la convention collective en vigueur à l’époque comptait 37,5 heures régulières par semaine, en fonction d’une journée de 8 heures qui comptait une pause-repas d’une demi-heure non payée. Tout employé qui travaillait moins de 37,5 heures par semaine était considéré comme étant un employé à temps partiel. Tout employé qui travaillait plus de 37,5 heures par semaine était payé au tarif des heures supplémentaires.

[21] Les heures supplémentaires sont obligatoires pour un ASF. Le besoin d’effectuer des heures supplémentaires est souvent imprévisible parce qu’il peut découler de tâches à tout moments dans des circonstances particulières qui ne peuvent être prévues, par exemple la détention de biens ou de personnes. Parfois, les employés savent à l’avance qu’ils devront faire des heures supplémentaires, ou la direction les appelle pour qu’ils travaillent en heures supplémentaires en raison des besoins du milieu de travail, le cas échéant.

[22] Jason travaillait aussi à temps plein dans un horaire régulier de quarts de travail rotatifs gouvernés par l’EPHV et il travaillait un quart de travail supplémentaire à 10 h. En raison de ses tâches de supervision, il devait aussi parfois participer à des réunions et à des séances de formation lors de ses jours de congé et voyager à d’autres points d’entrée pendant des moyens de pression.

[23] De 2002 à 2004, tant avant que Mme Johnstone parte pour son premier congé de maternité qu’après son retour, elle a demandé des mesures d’adaptation de la part de l’ASFC en raison de ses nouvelles responsabilités de mère. Elle a demandé les mêmes mesures d’adaptation à son retour au travail après son deuxième congé de maternité. Dans les deux cas, elle a eu à composer avec une politique non écrite de l’ASFC qui refuse d’accorder un horaire à temps plein aux personnes qui demandent des mesures d’adaptation pour élever leurs enfants.

[24] Avant la fin de son premier congé de maternité, Mme Johnstone avait demandé à l’ASFC de lui accorder des quarts de travail fixes à temps plein. Mme Johnstone souhaitait travailler trois jours par semaine, à raison de 13 heures par jour, afin de pouvoir garder son statut d’employée à temps plein. Un quart de travail de 13 heures aurait compris une pause-repas d’une demi-heure non payée. Elle n’avait pas précisé d’heure de début. Lorsque l’ASFC lui a dit que c’était impossible, elle a présenté une autre demande d’horaire à trois jours par semaine, à raison de 12 heures par jour. Bien qu’elle reconnut que ce deuxième horaire était à temps partiel, elle tentait de maximiser ses heures de travail afin qu’il y ait le moins d’effets négatifs possibles sur sa pension et ses avantages sociaux.

[25] Mme Johnstone a témoigné que la raison pour laquelle elle avait demandé à travailler sur une période de trois jours était qu’il s’agissait des seuls trois jours par semaine au cours desquels elle pouvait obtenir des services de garde à tour de rôle pour ses enfants. Trois des membres de sa famille étaient prêts à s’occuper de l’enfant, puis de ses enfants, à raison d’une journée chacun. Elle n’avait pas d’aide de sa famille pour une quatrième journée.

[26] Mme Johnstone a aussi témoigné qu’elle avait tenté d’obtenir des services de garderie offerts par des tiers, mais qu’elle avait été incapable de le faire en raison des difficultés que présentait un horaire à quarts de travail rotatifs. Elle n’a pas eu plus de succès à trouver un service de garde pour un horaire à quarts de travail fixes qui allait au‑delà des heures normales d’ouverture d’une garderie et qui pouvait être prolongé sans préavis en raison d’heures supplémentaires.

[27] Mme Johnstone a déclaré qu’elle souhaitait continuer à travailler à temps plein afin que son droit à pension, son salaire et les occasions de promotion ne soient pas affectés.

[28] L’ASFC était prête à prendre des mesures d’adaptation pour Mme Johnstone, mais seulement pour des quarts fixes de trois jours par semaine à raison de 10 heures par jour, en plus d’une quatrième journée de quatre heures.

[29] En plus de ce qui précède, Mme Johnstone a suggéré des méthodes à son employeur qui lui permettraient de garder sa pension au niveau temps plein tout en travaillant à temps partiel, mais ses suggestions ont été refusées. Ce point sera traité plus en détails ci‑dessous.

[30] Personne ne conteste le fait que l’ASFC a une politique non écrite voulant qu’une personne demandant des mesures d’adaptation pour prendre soin de ses enfants puisse obtenir des quarts de travail fixes, mais doive accepter de travailler à temps partiel pour un maximum de 34 heures par semaine. Cette politique non écrite ne permet pas aux employés d’occuper un quart de travail fixe à temps plein si cette demande est présentée en raison de responsabilités parentales.

[31] Personne ne conteste non plus le fait que l’ASFC prend des mesures d’adaptation pour ses employés pour des raisons médicales et religieuses en leur accordant des quarts de travail fixes à temps plein, de temps en temps, pour différentes périodes et, parfois, de façon permanente. Ces demandes sont évaluées en fonction des besoins individuels et, dans le cas d’adaptation pour des raisons médicales, l’ASFC demande une corroboration médicale des raisons de la demande. Il y a aussi eu des cas où des employés ont obtenu des mesures d’adaptation parce qu’ils avaient des enfants avec des besoins médicaux.

[32] De plus, personne n’a contesté le fait que cette politique non écrite n’est pas appliquée de façon uniforme. Certains employés de l’ASFC travaillent à temps partiel à raison de 36 heures par semaine, certains employés ont des quarts de travail fixes à temps plein et d’autres ont obtenu la permission – tout en travaillant à temps partiel – de garder l’équivalent d’une pension et des avantages sociaux d’un employé à temps plein. Bien que deux des témoins gestionnaires à l’ASFC aient déclaré vouloir mettre fin à ces anomalies, ils ont tous les deux reconnu que ces exceptions existent toujours.

III. Les opérations de l’intimée

[33] Le mandat de l’ASFC comprend l’inspection et le contrôle des voyageurs et des biens arrivant au Canada à chacun de ses aéroports et postes-frontière terrestres, 24 heures par jour, 7 jours par semaine.

[34] L’aéroport le plus occupé est le TAP. Le district des Opérations des passagers, une composante des opérations de l’ASFC dans la région du Grand Toronto, supervise ces fonctions au TAP.

[35] Jusqu’en 1994, les fonctions douanières étaient la responsabilité de Douanes et Accise au sein du ministère du Revenu national. Vers 1994 ou 1995, le gouvernement fédéral a décidé de faire de Douanes et Accise un ministère en soi, nommé le ministère du Revenu national. En novembre 1999, les fonctions de l’ancien ministère ont été transférées à une nouvelle agence nommée Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC).

[36] Le 12 décembre 2003, par décret fédéral, les responsabilités douanières de l’ADRC ont été transférées à un nouvel organisme d’État nommé l’Agence des services frontaliers du Canada. Cette agence a aussi absorbé la composante des points d’entrée (Bureau intérieur de l’Immigration) qui revenait auparavant au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. De plus, l’ASFC est aussi devenue responsable de la réglementation de l’entrée de nourriture, de plantes et d’animaux, inspections qui étaient effectuées auparavant par l’Agence canadienne de l’inspection des aliments.

[37] La date du 12 décembre 2003, à laquelle l’ASFC a été créée (et a pris les responsabilités en cause en l’espèce), a gagné en pertinence à mesure que la preuve a été présentée, quant à son lien avec la [Traduction] vérification de la conformité à l’équité en matière d’emploi de l’ADRC, preuve exhaustive, présentée par la CCDP le 10 décembre 2003. Cette question est reprise plus en détails ci‑dessous.

[38] Jusqu’à la création de l’ADRC en 1999, l’employeur de la plaignante était le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT). En vertu de sa loi habilitante, l’ADRC, maintenant l’ARC, est un employeur distinct. Lorsque le transfert des fonctions douanières de l’ADRC à l’ASFC a eu lieu le 12 décembre 2003, le SCT est redevenu l’employeur de la plaignante.

[39] Les Opérations des passagers sont présentement l’un des trois districts principaux opérationnels de l’ASFC dans la région du Grand Toronto. Les deux autres districts sont les Opérations commerciales et le Centre d’exécution de la loi du Grand Toronto (CELGT). Le CELGT n’emploie pas d’ASF. En plus de ces trois districts, la région du Grand Toronto possède un certain nombre d’autres divisions, y compris la Division des enquêtes, la Division du renseignement, la Division de la vérification de l’observation, la Division de la planification et de l’intégration des programmes et la Division des services corporatifs (Ressources humaines, TI, Finances et Administration).

[40] De ces districts, seules les Opérations des passagers et les Opérations commerciales emploient des personnes du groupe et du niveau auxquels les inspecteurs des douanes (ID) (PM‑02), plus tard nommés ASF (PM‑03), étaient classifiés en 2004 et par la suite. Le Centre de traitement du courrier international (Gateway) fait maintenant partie des Opérations commerciales.

[41] Le district des Opérations commerciales était responsable du fret d’avions commerciaux et des entrepôts d’attente [installations pour le débarquement, l’entreposage, la mise en lieu sûr, le transfert, l’inspection, la livraison et l’expédition de biens importés avant que l’ASFC en autorise la sortie], de bureaux secondaires des douanes, d’une composante maritime et d’un terminal ferroviaire situé à Concord et à Brampton. La majeure partie du travail pour ce district est effectuée au TAP, de l’autre côté des pistes par rapport aux terminaux. Les ASF des Opérations commerciales ont des tâches au comptoir pour le public et inspectent le fret dans les entrepôts afin de déterminer s’il faut saisir, retenir ou autoriser la sortie les biens.

[42] En 2004, Gateway était un district distinct dans la région du Grand Toronto. Vers 2005 ou 2006, les opérations de Gateway ont été fusionnées au district des Opérations commerciales. Le travail des ASF à Gateway est de trier et d’inspecter le courrier, les documents et les colis qui arrivent au Canada, alors qu’ils passent sur un tapis mécanique dans la zone d’examen primaire, puis dans la zone d’examen secondaire. Des documents sont préparés pour les envois de grande taille qui sont retenus jusqu’à ce que les droits soient payés. Les travailleurs à Gateway ont des quarts de travail fixes.

[43] Le travail des ASF effectué à Gateway, aux Opérations des passagers et aux Opérations commerciales est établi dans une description de travail universelle et tous les employés ont la même classification.

[44] En 2004, les Opérations des passagers au TAP étaient responsables de l’inspection des passagers dans trois terminaux (les terminaux 1, 2 et 3). Les Opérations des passagers étaient aussi responsables de East Hold, un immeuble près des pistes où de petits avions en vols transfrontaliers arrivent. En 2004, les passagers de ces vols étaient emmenés en autobus jusqu’au terminal 2 pour inspection. Les exploitants de services aéronautiques aux aéroports (les jets privés) arrivant avec des passagers étaient aussi traités aux Opérations des passagers, fonction qui a été transférée aux Opérations commerciales en 2005.

[45] En janvier 2007, le terminal 2 a été fermé et les opérations de l’ASFC à ce terminal ont été absorbées au terminal 1. Présentement, les vols avec les États-Unis et les vols internationaux d’Air Canada relèvent du terminal 1 et la majorité des autres compagnies aériennes sont au terminal 3.

[46] M. Norm Sheridan a été le directeur des Opérations des passagers depuis 1999 et durant toute la période visée par la plainte. Il a commencé à travailler pour Revenu Canada – Douanes et Accise en 1979, où il a occupé divers rôles et responsabilités, y compris, pendant un certain temps, des tâches en ressources humaines.

[47] En 2004, M. Sheridan avait trois chefs (un chef par terminal) qui relevaient de lui. L’un des trois chefs était Rhonda Raby, qui a témoigné à la présente instruction et qui occupait le poste de chef du terminal 1.

[48] Chaque chef avait entre 9 et 13 surintendants qui étaient responsables de la gestion quotidienne des terminaux et de la supervision des ASF de leurs équipes.

[49] Les ASF étaient assignés à des équipes qui travaillaient à la ligne d’inspection primaire (le primaire) ou au comptoir secondaire (le secondaire), où ils insepectaient les passagers entrant au Canada. En 2004, chaque équipe était composée d’environ 8 employés. La direction tentait d’équilibrer les sexes et l’expérience dans les équipes, ainsi que de garantir les capacités linguistiques.

[50] Toujours en 2004, chacun des trois chefs était assisté dans ses fonctions de gestion et de coordination par un ou deux coordonnateurs des opérations. Ces coordonnateurs des opérations travaillaient en après-midi, la fin de semaine et lors des jours fériés.

[51] À partir du 12 février 2007, la structure de gestion a été changée. Il y a maintenant 10 chefs au sein des Opérations des passagers : trois pour chacun des deux terminaux, un chef de l’Exécution, un chef des Services corporatifs, un chef du Programme d’aménagement aéroportuaire et un chef responsable de la politique en matière d’immigration.

[52] Les surintendants des terminaux ont toujours la même description de tâche générale. Dans le domaine des services corporatifs, ils préparent les horaires de travail, gèrent l’évaluation du rendement et surveillent le programme. Il y a présentement deux surintendants qui gèrent toutes demandes d’adaptation présentées par des employés demandant à être exemptés, peu importe la raison, de l’horaire de l’EPHV.

IV. Les antécédents du tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP) et de la CCDP

[53] Il existe un long historique entre l’ASFC (et ses prédécesseurs), la CCDP, le TCDP et la Cour fédérale au sujet de la définition de discrimination fondée sur la situation de famille en ce qui a trait à l’emploi et au sujet de l’application de décisions rendues précédemment. Comme cet historie a été mentionné souvent au cours de l’audience, et que de nombreux éléments de preuve ont été présentés à ce sujet, il est utile d’en présenter certaines parties comme cadre de référence de la présente plainte.

1984-1993

[54] Le 17 février 1993 : La décision Brown c. Revenu national (Douanes et Accise), 1993 CanLII 683 (TCDP) (Brown), traitait de la question de la discrimination fondée sur le sexe (la grossesse) et la situation de famille en contravention de la LCDP. L’intimée était la prédécesseure de l’ASFC, l’Agence du Revenu national – Douanes et Accise. Comme c’est le cas en l’espèce, l’intimée était d’avis qu’elle avait suffisamment accommodé la plaignante, jusqu’à contrainte excessive, et que la plaignante n’avait pas déployé les efforts adéquats pour obtenir des services de garde, dont elle seule avait le fardeau. Bien que la décision eût été rendue en 1993, elle était fondée sur des allégations d’actes qui avaient eu lieu en 1984 et en 1985. L’instruction de la plainte, qui a été jugée fondée, avait nécessité l’examen de la nature de situation de famille à titre de motif de discrimination illicite au sens de la LCDP.

[55] À la page 14 de la décision Brown (précitée), le Tribunal a présenté les critères permettant d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur le motif de la situation de famille :

  1. a)[…] la preuve doit indiquer que la situation de famille comprend le fait d’être parent et les tâches et obligations de cette personne comme membre de la société et que la plaignante était un parent qui devait remplir ces tâches et obligations. La preuve doit aussi démontrer que, en raison de ces tâches et obligations ainsi que de la règle de l’emploi impartial, la plaignante n’a pas eu de chances de travail égales et entières.

[56] À la page 19 de la décision Brown, le tribunal a conclu que les parents ont l’obligation de demander à l’employeur des mesures d’adaptation afin qu’ils puissent remplir leurs obligations envers l’employeur ainsi que leurs devoirs et obligations au sein de leur famille. Le Tribunal a ajouté :

  1. De l’avis du Tribunal, l’interprétation de l’article 2 de la LCDP en fonction de son objet consiste à reconnaître clairement, dans le contexte de la situation de famille, le droit et l’obligation du parent de chercher à atteindre cet équilibre ainsi que l’obligation manifeste pour l’employeur d’aider le parent à cet égard en fonction des critères énoncés dans l’arrêt Alberta Dairy Pool. Une interprétation moins sérieuse des problèmes auxquels la famille moderne fait face dans le milieu de travail enlèverait tout son sens au concept de la situation de famille comme motif de discrimination.

[57] Mme Brown était aussi une ASF (poste qui portait alors le nom d’inspecteur des douanes), qui avait demandé à travailler durant le quart de jour et, si nécessaire pour obtenir le quart de jour, d’être transférée, après la naissance de son enfant, afin d’accommoder ses besoins en service de garde parce que son mari et elle travaillaient tous les deux par quarts de travail. L’employeur intimé n’avait pas accepté sa demande parce qu’il ne reconnaissait pas les besoins en matière de responsabilités parentales d’un employé qui travaillait par quarts de travail comme étant pour lui, l’employeur, une obligation d’adaptation au sens de la LCDP. Le Tribunal ayant conclu que le défaut de l’employeur d’accueillir la demande de Mme Brown de travailler pendant les quarts de jour était discriminatoire, il a ordonné à l’employeur d’écrire une lettre d’excuses à Mme Brown et lui a ordonné d’éviter que des situations semblables se reproduisent, en établissant des politiques et en reconnaissant que la situation de famille doit être interprétée comme comprenant le droit et l’obligation du parent de chercher à atteindre cet équilibre [entre les obligations du travail et celles de la famille] ainsi que l’obligation manifeste pour l’employeur d’aider le parent à cet égard, comme je l’ai mentionné au paragraphe 54 ci-dessus.

[58] Après cette décision, M. E. Hynna, sous-ministre adjoint, Direction générale des opérations douanières, a écrit une lettre d’excuses en 1993 à Mme Brown, dont deux ébauches non datées ont été présentées à l’audience avec des lettres de présentation datées de juillet et août 1993. La lettre comprenait les paragraphes suivants :

[Traduction]

  1. Compte tenu des conclusions du Tribunal selon lesquelles la gestion régionale a fait preuve de discrimination envers vous pour les deux motifs présentés dans votre plainte datée du 17 juillet 1985 et, conformément à l’ordonnance du Tribunal, je souhaite m’excuser au nom du ministère pour le défaut d’avoir pris des mesures d’adaptation pour vous pendant et après votre grossesse.
  2. Il est regrettable que la gestion n’ait pas, dès le départ, facilité les circonstances entourant votre situation. Cependant, afin d’éviter tout malentendu à l’avenir, je vous assure qu’une politique ministérielle est en cours d’élaboration afin de garantir que des pratiques semblables n’existeront plus à l’avenir.
  3. Une copie de la présente lettre est transférée à la gestion au Bureau régional de Toronto ainsi qu’à vos superviseurs immédiats afin de leur rappeler leurs obligations en vertu de la LCDP.

[59] Présumément, les deux derniers paragraphes faisaient référence, du moins en partie, au libellé de la décision Brown, à la mesure de redressement numéro 4, à la page 19 : Afin de prévenir d’autres pratiques discriminatoires similaires à l’avenir, nous ordonnons à l’intimé, conformément a l’alinéa 53(2)a) de présenter une preuve suffisante, pour la Commission canadienne des droits de la personne, de l’existence d’une politique d’accommodement appropriée à l’égard de la mutation des employés.

[60] Il est intéressant de souligner que M. Norm Sheridan, qui est présentement directeur des Opérations des passagers pour l’ASFC au TAP, était mentionné dans la décision Brown, à la page 9, parce qu’il avait réécrit une évaluation de Mme Brown, qui avait été décrite par son surintendant à l’époque en 1987 comme étant [Traduction] anormale, sans plus d’explication. M. Sheridan a témoigné que vers cette époque, il était directeur des programmes depuis trois ans au Bureau régional du Grand Toronto et que, à partir de 1989, il a occupé le poste de chef des Opérations au TAP pour le terminal 2, puis le poste de chef des Opérations au TAP pour le terminal 2 pendant un an, suivi de divers postes au bureau régional, tels que gestionnaire des Services opérationnels, chef des Services opérationnels, directeur des Ressources humaines et chef des Drawbacks, remboursements et remises. Il ressort du fait qu’il a occupé ces postes élevés aux opérations et aux ressources humaines que M. Sheridan connaissait bien la décision Brown.

1993‑1995

[61] 1993 : Une autre lettre présentée en preuve datée du 19 juillet 1993 et mentionnant la décision Brown, a été écrite par Dianne Dioguardi, agente des relations du travail, Section des opérations, Division des relations de travail et de la rémunération, Direction générale des ressources humaines, Revenu Canada, Douanes et accise Revenu Canada. La lettre était adressée à M. Robert J. Venier, avocat de l’intimée, Contentieux des affaires civiles, Bureau régional de Toronto, qui travaillait aussi pour Revenu Canada. La lettre mentionnait :

[Traduction]

  1. […] [Compte tenu] de l’intégration imminente de deux divisions de Revenu Canada – Impôt et Douanes et accise, toutes les politiques devront être fusionnées et présentées à des réunions du Comité exécutif distinctes. Par conséquent, il faudra un certain temps avant que la politique en question soit approuvée.

[62] L’avocate de la CCDP, Rosemary G. Morgan, a fait savoir qu’elle avait eu l’intention de déposer la décision à la Cour fédérale et d’en demander l’exécution forcée. Une lettre de John Viassi Nagy, avocat du Contentieux des affaires civiles, datée du 18 mars 1994, a aussi été présentée en l’espèce. Elle était adressée à William F. Pentney de la CCDP et comprenait une ébauche de politique visant à répondre à la décision Brown. L’intimée a demandé le contrôle judiciaire de la décision Brown, qui a ensuite été ajourné sur consentement des deux parties en 1995 afin de permettre le règlement des questions en suspens.

1998-1999

[63] La Cour fédérale a commencé un examen de l’état de l’application de la décision Brown en novembre 1998, qui a finalement entraîné le rejet de la demande de contrôle judiciaire. Une lettre du Secrétariat du Conseil du Trésor datée du 5 octobre 1999 et adressée à la CCDP, présentée en preuve, traite de la collaboration du Secrétariat avec la CCDP pour mettre en œuvre la décision Brown et donne un historique de la question. La lettre notait que d’autres questions d’application de la décision avaient été réglées, mais pas la partie exigeant que l’intimée élabore une politique d’accommodement conforme à la décision.

2000

[64] La Division des relations de travail de l’ADRC a organisé et tenu une séance de planification stratégique sur l’équité en matière d’emploi le 8 décembre 2000. Pendant cette séance, les participants ont examiné une ébauche de document préparée par le personnel de la Division et intitulée [Traduction] Ébauche – Introduction à la Direction stratégique de l’équité en matière d’emploi pour l’ADRC qui portait la date du 2 novembre 2000. Le document révélait qu’il y avait à cette époque une reconnaissance interne du fardeau disproportionné que portaient les femmes employées, en matière de soins aux enfants et de responsabilités familiales connexes et, aux pages 5 et 6 du document, il y était déclaré :

  1. [Traduction] L’équilibre entre le travail et la famille est une question qui affecte de nombreuses femmes qui travaillent à la fonction publique et au sein de l’ADRC. Généralement, les femmes continuent de jouer un plus grand rôle que les hommes dans les soins aux enfants, les soins aux aînés et les tâches ménagères. Ce problème peut être aggravé par une culture organisationnelle qui ne reconnaît pas ce fait [non souligné dans l’original], ce qui peut ensuite avoir des effets négatifs sur la répartition des femmes au sein de l’organisation. Dans une étude produite par le Conference Board du Canada, lorsqu’on a demandé quelles étaient les répercussions des conflits travail-famille, 32 % des répondants (54 % féminins, 46 % masculins), ont affirmé qu’ils ont refusé une promotion ou ont décidé de ne pas présenter leur candidature. Quatorze pour cent des répondants ont quitté un emploi en raison d’un conflit travail-famille, alors que 24 % des répondants ont refusé un transfert ou ont décidé de ne pas poser leur candidature en raison d’un tel conflit.
  2. Les femmes ont traditionnellement été marginalisées dans le marché du travail […] Cette tendance paraît aussi à l’ADRC, où les femmes dominent la catégorie du personnel de bureau, avec des taux de représentation de plus de 80 %, soit 10 % de plus que la disponibilité sur le marché du travail. Il y a sous-représentation des femmes à l’ADRC dans la catégorie professionnelle et la catégorie de l’administration des programmes et personnel de bureau principal […] Fait surprenant, les femmes obtiennent des diplômes universitaires à un taux de 58 % par rapport aux hommes. Ce taux se maintient dans le domaine des sciences sociales et dans le domaine des arts et des sciences, où les femmes obtiennent des diplômes universitaires à un taux de 67 % par rapport aux hommes.
  3. La majorité des employés à l’ADRC se trouvent dans la catégorie de l’administration des programmes et personnel de bureau principal. C’est dans ce groupe que la majorité de nos inspecteurs des douanes et de nos agents du revenu dans la catégorie de l’administration des programmes (PM) se trouve.

2001-2003

[65] 8 novembre 2001 : À cette date, l’ADRC a été avisée officiellement d’une vérification à venir de la CCDP, conformément à la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Le processus a débuté en janvier 2002. Une analyse de l’effectif a été effectuée en 2002 ainsi qu’un exercice de rétroaction sur les objectifs. Des visites sur place ont été effectuées pendant plusieurs mois en 2003 en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec. À l’époque, 58,4 % des employés de l’ADRC étaient des femmes.

[66] Une vérification exhaustive de la conformité à l’équité en matière d’emploi a été effectuée et présentée par la CCDP au prédécesseur immédiat de l’ASFC le 10 décembre 2003.

[67] Aux pages 15 et 16 de la vérification de la conformité à l’équité en matière d’emploi se trouvait une section intitulée [Traduction] Programme pour les femmes, où la déclaration suivante se trouvait :

[Traduction]

  1. Néanmoins, l’Agence a proposé des stratégies et des objectifs pour améliorer la situation de travail des femmes comme suit :

- augmenter la représentation des femmes dans la catégorie de l’administration des programmes et personnel de bureau principal en ayant recours à des initiatives telles que la publication d’avis de possibilités d’emploi pour lesquelles l’équité en matière d’emploi pourrait être utilisée comme critère;

- accommoder les femmes pour les aider à atteindre un équilibre entre le travail et leur vie personnelle grâce à des politiques et des gestionnaires faisant preuve de sollicitude.

[68] Le 12 décembre 2003, comme je l’ai déjà mentionné, l’ASFC a été créée et est devenue responsable des opérations pertinentes quant à la présente plainte. Comme la vérification de la conformité a été déposée deux jours avant la création de l’ASFC, il est clair que les recommandations n’ont pas été appliquées et qu’aucun suivi n’a eu lieu.

[69] Les témoins des deux parties ont témoigné qu’à leur connaissance, en tant que cadres supérieurs et qu’employés, il n’y a jamais eu une application complète des ordonnances de la décision Brown en ce qui a trait à la création de politiques d’accommodement qui démontrent une acceptation des obligations d’un employeur envers la situation de famille telles que définies dans la décision Brown.

2004-2007

[70] 2004 : Après que Mme Johnstone eut présenté sa plainte le 23 avril 2004, l’enquêteure de la CCDP a conclu que l’ASFC usait de traitements différents entre les classes d’employés, permettant aux employés qui demandaient à être exemptés de l’horaire de quarts de travail rotatifs pour des raisons médicales de rester à temps plein, alors qu’elle exigeait que les employés qui demandaient la même exemption pour des raisons parentales travaillent à temps partiel. L’ASFC définit l’attribution à temps partiel du travail, pour des raisons parentales, comme signifiant jusqu’à 34 heures de travail par semaine. L’enquêteure a aussi conclu que la preuve de l’intimée au sujet de préoccupations opérationnelles était une [Traduction] présomption issue d’impressions et que l’intimée n’avait pas fourni de justification pour la politique en question. L’enquêteure de la CCDP a recommandé à l’époque que la plainte soit renvoyée au TCDP.

[71] Décembre 2005 : Une page Web présentée en preuve, publiée par les Ressources humaines de l’ASFC, comprenait un extrait d’un [Traduction] bulletin de nouvelles GTAR. GTAR est un acronyme qui signifie Groupe de travail des associations de retraités des secteurs public et parapublic. Cet extrait du bulletin de nouvelles vente un programme d’équité en matière d’emploi obligatoire proposé par l’ASFC et la formation de comités locaux au sein de l’ASFC pour appliquer des plans à court et à long termes fondés sur un plan d’équité en matière d’emploi déposé en avril 2005. Les déclarations suivantes font référence tant à la Loi canadienne sur les droits de la personne (mentionnée ci‑dessous sous le nom de [Traduction] code des droits de la personne ), qu’à la Loi sur l’équité en matière d’emploi et à l’équité en matière d’emploi en général :

[Traduction]

  1. Grâce à la planification, à l’application de mesures positives, à la surveillance et à la présentation de rapports, nous serons en mesure de suivre notre progrès dans ce domaine et de démontrer la conformité à un élément important de l’ensemble des lois canadiennes. […] Beaucoup d’entre nous devons équilibrer des vies familiales occupées et nos vies professionnelles. Beaucoup d’entre nous avons des besoins précis et des exigences envers l’organisation. Bien que les exigences organisationnelles soient toujours prioritaires, nous savons que le code des droits de la personne interdit la discrimination déraisonnable pour certains motifs. Vous trouverez une liste complète des motifs de distinction illicites en suivant le lien ci‑dessous […]
  2. En plus du programme établi en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, l’ASFC adhère aux principes de la diversité. Sur le site Web de la Division des ressources humaines de l’ASFC, un milieu de travail qui encourage la diversité, chaque personne est reconnue pour ses caractéristiques uniques […]

[72] Janvier 2007 : Malgré la recommandation de l’enquêteure que la plainte soit renvoyée au TCDP (voir le paragraphe 70 ci‑dessus), la CCDP a rejeté la plainte. Mme Johnstone a, par conséquent, présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale pour que la décision soit annulée. Le juge Barnes a accueilli la demande (voir : Johnstone c. Canada (Procureur général), 2007 CF 36). Un appel présenté par l’intimée à la Cour d’appel fédérale a été rejeté (voir : 2008 CAF 101), et l’affaire a été renvoyée à la CCDP pour nouvelle décision. Par la suite, la CCDP a renvoyé la plainte au TCDP pour instruction et délibération.

[73] Juin 2007 : L’intimée est d’avis qu’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille n’a pas été établie et que si elle avait été établie, la discrimination était acceptable à titre d’exigence professionnelle justifiée (EPJ) en raison de contraintes excessives. Dans le contexte de cette prise de position, il convient de noter qu’une ébauche de la [Traduction] Politique sur l’obligation d’accommodement de l’ASFC (l’ébauche de politique d’accommodement) datée de juin 2007 a été présentée.

[74] L’intimée s’est opposée à l’inclusion en preuve de l’ébauche de politique d’accommodement, soutenant que le document était hautement préjudiciable, qu’il n’avait jamais été mis en œuvre et que, par conséquent, il ne devrait pas faire partie du dossier. À première vue, l’ébauche de politique d’accommodement a été préparée par la Division de l’équité en matière d’emploi et de la diversité, Direction générale des ressources humaines de l’ASFC. Même si les dispositions n’ont pas été mises en œuvre, et la preuve démontre clairement qu’elles ne l’ont pas été, il s’agit d’un document au sujet duquel le témoin de la plaignante, M. Star, a témoigné. M. Star a déclaré qu’il a reçu le document de la part du directeur du syndicat des employés, qui l’avait obtenu lors d’une réunion avec des représentants de l’intimée. M. Star avait apporté le document à une réunion avec des gestionnaires de l’intimée alors qu’il était délégué syndical et il a mentionné le document lors de cette réunion. Bien que Ronda Raby eut nié avoir eu connaissance du document à la réunion et à l’audience, un autre employé de la gestion de l’intimée présent à la réunion a avoué à M. Star qu’il avait eu connaissance du document. Le témoignage de M. Star n’a pas été contesté.

[75] L’ébauche de politique d’accommodement comprend une reconnaissance des buts et des objectifs de la législation fédérale ainsi que de la jurisprudence en matière de droits de la personne, en plus des responsabilités de l’employé d’aviser l’employeur, de demander des mesures d’adaptation et de travailler avec son gestionnaire afin de trouver la mesure d’adaptation la plus appropriée compte tenu des circonstances.

[76] L’ébauche des politiques d’accommodement souligne aussi les responsabilités du syndicat, des conseillers en ressources humaines et des gestionnaires ou superviseurs, notamment :

[Traduction]

vérifier que tous les employés connaissent leurs droits en matière d’accommodement;

[consulter les employés de façon confidentielle] pour déterminer la nature de l’accommodement nécessaire;

répondre aux besoins de l’employé [sauf contrainte excessive];

agir pour examiner les approches et les solutions de rechange à l’accommodement de l’employé;

accorder les demandes d’accommodement en temps opportun et de façon raisonnable;

effectuer des suivis proactifs pour les demandes d’accommodement temporaire ou permanent […];

créer et maintenir un environnement inclusif qui est accessible et qui permet aux employés d’être ouverts et honnêtes;

garantir que tous les employés qui décident de participer à tous les aspects liés au travail puissent le faire et qu’ils puissent profiter des occasions offertes (p. ex. : les réunions d’équipe, la formation, etc.).

[77] L’ébauche de politique d’accommodement traite aussi du rôle de la Section nationale de l’équité en matière d’emploi et de la diversité, suggère la création d’un fonds national des aménagements spéciaux de l’ASFC qui permettrait d’absorber une partie des coûts d’accommodement et précise les processus à suivre pour les demandes d’accommodement, la réponse aux demandes d’accommodement et l’appel si nécessaire d’une décision d’accommodement.

V. Le dossier de la plaignante

A. Le témoignage de Fiona Johnstone

[78] Avant la naissance de ses enfants, Mme Johnstone travaillait à temps plein par quarts de travail rotatifs conformément à l’EPHV dont il a été question ci‑dessus. Cependant, lorsqu’elle est devenue mère et la principale responsable de l’éducation de ses enfants, elle ne pouvait plus suivre l’horaire de l’EPHV et respecter ses obligations légales et morales, en raison de son incapacité à trouver un service de garde.

[79] Mme Johnstone a témoigné qu’elle était prête à payer pour un service de garde pour ses enfants. Cependant, elle a rapidement découvert que les heures normales de garderie pour toutes les installations enregistrées étaient de 7 h à 18 h, du lundi au vendredi.

[80] Mme Johnstone a aussi découvert que même les garderies non enregistrées ou les garderies privées n’offrent pas de services de garde de façon imprévisible et variable, n’en offrent généralement pas la fin de semaine et certainement pas pendant la nuit.

[81] Mme Johnstone s’est alors tournée vers les membres de sa famille et a réussi à obtenir un service de garde pour des heures imprévisibles, y compris pendant la nuit, pour trois jours par semaine. L’intimée a contesté la diligence de la plaignante en ce qui a trait à l’obtention des services de garde, cependant, le Tribunal accepte le témoignage de Mme Johnstone au sujet du fait qu’il s’agissait de la meilleure situation qu’elle ait pu organiser pour la garde de ses enfants.

[82] La preuve montre que les exigences des quarts de travail de Jason, qui était aussi un ASF au TAP, bien qu’il fût superviseur, étaient beaucoup plus lourdes que celles de Mme Johnstone. Leurs horaires se chevauchaient généralement 60 % du temps, mais n’étaient pas coordonnés d’une façon quelconque. Jason ne pouvait pas non plus s’occuper de façon régulière de ses enfants pendant les heures où Mme Johnstone avait besoin de services de garde.

[83] Mme Johnstone a témoigné que l’option d’embaucher une gouvernante ou un service de garde à domicile n’était pas possible en raison du coût et de l’obligation qu’elle et sa famille auraient de déménager dans une maison qui pouvait accommoder un adulte de plus. Comme le témoignage d’experts l’a montré à l’audience, il ne s’agit pas d’une option viable pour la majorité des familles canadiennes pour les mêmes raisons.

[84] Bien qu’il fût évident que le processus de la présente plainte en matière de droits de la personne avait été une épreuve émotionnelle pour Mme Johnstone, son témoignage, qui a été présenté de manière franche, montre clairement qu’elle aime son travail d’ASF et qu’elle est fière de ses réalisations au travail.

[85] Mme Johnstone a témoigné qu’elle avait pris un engagement à long terme envers son rôle d’ASF et qu’elle souhaitait en faire une carrière à vie. C’est la raison pour laquelle sa plus grande préoccupation était celle de perdre sa pension et ses autres avantages sociaux, dont les conséquences à long terme auraient été préjudiciables à ses futures occasions de promotion et à sa retraite.

[86] Mme Johnstone a souligné qu’elle souhaitait retourner au travail à temps plein, mais qu’elle avait besoin de le faire sur trois jours. Elle n’a pas précisé d’heure de début pour ces trois jours et elle n’a pas insisté à revenir aux tâches qu’elle avait effectuées auparavant. Le plus important pour elle était de travailler au moins 37,5 heures par semaine et de maintenir son droit à pension, ses avantages sociaux et ses occasions de formation et d’avancement.

[87] Cependant, Mme Johnstone s’est frappée à une politique non écrite arbitraire que l’ASFC appliquait aux employés qui demandaient des mesures d’adaptation en raison de leurs responsabilités parentales. Mme Johnstone a appris, après avoir parlé à des collègues qui étaient revenues de congés de maternité, que si elle demandait des quarts de travail fixes qui ne respecteraient pas l’EPHV, l’ASFC ne lui permettrait de travailler qu’à temps partiel. Elle a témoigné qu’elle a communiqué avec une surintendante du terminal 2, Mme Gerstl, à la fin 2003 pour lui demander de travailler à temps plein sur trois jours. Elle a déclaré que Mme Gerstl lui a répondu par courriel que cela allait à l’encontre de la politique de l’ASFC. Bien que l’ASFC eût douté de l’existence de cet échange et que Mme Johnstone n’eût pas été en mesure de produire une copie du courriel, l’ASFC n’a pas demandé à Mme Gerstl de témoigner, précisant qu’elle était en congé de maladie au moment de l’audience. Le Tribunal accepte le témoignage de Mme Johnstone au sujet de cet échange de courriels.

[88] L’ASFC est d’avis que les employés qui demandent des mesures d’adaptation pour leurs obligations parentales le font par suite des choix qu’ils ont faits, et dont l’employeur n’a par à porter la responsabilité. Par conséquent, bien que l’intimée soit prête à faire quelques ajustements à l’horaire d’un tel employé, elle qualifie ces ajustements d’[Traduction] ententes plutôt que d’[Traduction] accommodements. M. Norm Sheridan a expliqué cet avis au nom de l’intimée.

[89] Mme Johnstone savait par ce qu’elle avait pu observer pendant son emploi à l’ASFC que l’intimée avait toujours considéré que seules les personnes qui demandaient des mesures d’adaptation pour des raisons médicales relevaient de ses obligations en vertu des lois en matière de droits de la personne. De tels employés reçoivent une évaluation de façon individuelle. Leurs horaires de travail sont modifiés conformément aux recommandations ou aux renseignements médicaux présentés à l’appui de leur demande et, si leurs besoins médicaux particuliers le requierent, les employés obtiennent des quarts de travail fixes à temps plein.

[90] Mme Johnstone a plus tard appris, après avoir discuté avec Murray Star qui était alors un représentant syndical, qu’il avait obtenu des mesures d’adaptation pour des raisons religieuses, mais seulement après avoir présenté une plainte afin de pouvoir observer le jour du sabbat et d’autres jours sacrés de la religion juive. M. Star a témoigné à ce sujet à l’audience.

[91] Lorsqu’elle a été incapable de trouver un service de garde qui lui permettrait de travailler à temps plein en suivant l’horaire de l’EPHV, Mme Johnstone a tenté d’obtenir un horaire à temps plein malgré le fait qu’elle savait que dans la majorité des cas, un tel horaire était refusé. Elle présenté sa demande en partie parce qu’elle savait qu’il y avait eu des exceptions à la politique non écrite et que certaines employées, en retour de congé de maternité, avaient obtenu des horaires fixes de jour et des quarts de travail plus longs que les huit heures habituelles par jour.

[92] Mme Johnstone a témoigné qu’elle connaissait au moins deux autres collègues, qu’elle a nommés, qui travaillaient pendant des quarts de travail de neuf heures, quatre jours par semaine, pour un total de 36 heures par semaine. Elle a témoigné que les deux employés lui en avaient parlé et que de toute façon, leurs horaires sont affichés à la vue de tous. L’ASFC n’a pas contesté ce fait. En d’autres mots, la politique ne limitait pas ces employés à travailler seulement 34 heures par semaine, ni à travailler le quart de travail habituel de 8 heures par jour.

[93] Mme Johnstone a aussi nommé une autre collègue qui travaillait des quarts de 11 heures en raison de ses responsabilités envers ses enfants à la maison. L’ASFC n’a pas contesté ce fait.

[94] Mme Johnstone a aussi nommé deux autres collègues qui, au départ, avaient été affectés à un programme à temps plein de soutien dans des quarts de travail de jour en raison de leurs responsabilités familiales et que ces deux employés sont restés dans ces postes après que leurs besoins d’accommodement eurent cessé. L’ASFC n’a pas contesté ce fait. Par conséquent, la politique ne limitait pas ces collègues à travailler seulement à temps partiel jusqu’à 34 heures par semaine.

[95] Le représentant syndical de Mme Johnstone, Murray Star, l’a encouragée à demander à retourner au travail à temps plein à son retour de congé de maternité. Cependant, lorsque la surintendante Gerstl lui a dit que c’était impossible, Mme Johnstone, par l’entremise de son mari, a approché Rhonda Raby, qui était alors chef du terminal 1, pour demander à travailler des quarts de travail de 12 heures sur trois jours. Cela a eu lieu peu de temps avant que Mme Johnstone retourne au travail après son premier congé de maternité. Mme Raby a rejeté la demande en soutenant qu’un tel accommodement soulèverait des préoccupations de santé et de sécurité.

[96] Mme Raby a aussi précisé que, pour que Mme Johnstone puisse obtenir des quarts de travail fixes, elle pouvait travailler au maximum 34 heures par semaine.

[97] Par conséquent, Mme Raby a offert à Mme Johnstone de travailler un maximum de 10 heures par jour, 3 jours par semaine, en plus d’un quart de travail de 4 heures lors d’une quatrième journée. Les heures de début pouvaient varier mais les quarts de travail seraient pendant les mêmes jours de la semaine, chaque semaine. Mme Raby n’a posé aucune question à Mme Johnstone au sujet de ses efforts pour obtenir un service de garde, ni au sujet des raisons pour lesquelles elle avait de la difficulté à obtenir un tel service de garde, mais elle a simplement appliqué la politique non écrite de l’ASFC.

[98] En ce qui a trait au travail lors d’une quatrième journée, cette option n’était pas viable pour Mme Johnstone. Comme elle ne pouvait pas travailler à temps plein de toute façon, elle ne souhaitait pas avoir à payer pour un service de garde pour la courte quatrième journée. Elle ne savait pas si elle était en mesure d’obtenir un service de garde pour la quatrième journée, mais même si elle le pouvait, les coûts pour le déplacement aller-retour pour le service de garde et pour le travail, en plus du coût du service de garde même, annulaient tout avantage qu’elle aurait à gagner un salaire pour quatre heures de plus.

[99] Après la naissance de son premier enfant, Mme Johnstone a été capable d’obtenir des services de garde les vendredis, les dimanches et les lundis. Comme elle l’a précisé, elle était prête à travailler 13 heures et à faire des heures supplémentaires pendant ces jours. Comme l’intimée n’acceptait pas cette suggestion, comme Mme Gerstl le lui a dit, et qu’elle ne lui permettrait pas de travailler 36 heures par semaine, Mme Johnstone a finalement accepté de travailler seulement 10 heures pendant les trois jours où des membres de sa famille pouvaient s’occuper de son enfant.

[100] Mme Johnstone a témoigné que peu après son retour au travail après son premier congé de maternité, elle a demandé à son employeur si elle pouvait garder son statut d’employée à temps plein et faire qualifier les heures manquantes de congé sans solde. Elle savait à l’époque que les congés sans solde ouvraient droit à pension. L’intimée ne lui a pas permis de le faire. Mme Johnstone a aussi demandé si elle pouvait [Traduction] complémenter la différence afin de lui permettre de garder l’équivalent du droit à pension à temps plein, mais l’intimée ne le lui a pas permis. L’ASFC n’a pas contesté cette application de ces politiques non écrites.

[101] Mme Johnstone a aussi témoigné, et le Tribunal accepte, que si elle avait pu travailler à temps plein lors des trois jours demandés, elle aurait trouvé un moyen de gérer ses responsabilités envers ses enfants afin de pouvoir travailler pendant ces jours, tant après la naissance de son premier enfant qu’après la naissance du deuxième. Elle a demandé à son employeur, avant la fin de son deuxième congé de maternité, de lui permettre de travailler à temps plein sur trois jours, mais sa demande a de nouveau été refusée.

[102] Mme Johnstone a déclaré que, par conséquent, elle travaillait moins de 30 heures par semaine après la naissance de son deuxième enfant, parce qu’on l’avait forcée à laisser tomber la possibilité d’avoir des quarts de travail fixes à temps plein et qu’elle avait plus de responsabilités familiales. Une fois de plus, la gestion de l’intimée n’a posé aucune question à Mme Johnstone au sujet de sa situation particulière.

[103] Mme Johnstone a témoigné qu’en plus du calcul au prorata de sa pension et de ses avantages, en tant qu’employée à temps partiel, elle ratait des occasions de formation, elle ne pouvait pas devenir surintendante par intérim et elle ne pouvait pas travailler dans des équipes spéciales. Les heures supplémentaires sont aussi payées de façon moindre pour les employés à temps partiel par rapport aux employés à temps plein.

[104] Mme Johnstone connaissait des employées, qu’elle a nommées, qui était revenues de congé de maternité et qui avaient obtenu des quarts de travail fixes à temps plein au TAP. Elle connaissait aussi des ASF, qu’elle a nommés, dans d’autres opérations qui travaillaient des quarts de 13 heures, par exemple à Niagara Falls (Ontario) et à Estevan (Saskatchewan). Elle ne savait pas à l’époque que l’intimée pouvait la transférer à une autre partie de ses opérations, telles que Gateway où les quarts de travail fixes étaient la norme. Elle a eu connaissance de ce renseignement au cours du processus de la présente plainte.

[105] On a demandé à Mme Johnstone si elle connaissait d’autres couples d’ASF, c’est‑à‑dire où les deux partenaires travaillent comme ASF au TAP. Elle a témoigné qu’elle connaissait 20 couples dans l’effectif d’environ 275 employés. De ces 20 couples, la plupart, mais pas la totalité, a des enfants. Pour les couples qui ont des enfants, un petit pourcentage a des enfants qui ne sont pas d’âge scolaire, et environ 8 des 20 couples sont composés de partenaires qui ont des horaires à quarts rotatifs comme elle. L’ASFC n’a pas contesté son témoignage à ce sujet.

[106] Au moment de l’audience, Mme Johnstone était en congé sans solde pour les soins et l’éducation d’un enfant, prévu par l’EPHV. Auparavant, elle avait été en congé sans solde d’un an pour réinstallation du conjoint, parce que son mari avait été transféré à Ottawa comme formateur. Des dispositions relativement nouvelles sont en place exigeant que les ASF portent une arme à feu, et Jason est qualifié pour donner cette nouvelle formation. Mme Johnstone a témoigné qu’elle aurait préféré travailler pendant ces deux périodes, mais que comme elle ne pouvait pas travailler à temps plein de toute façon, elle a pris ces congés sans solde.

[107] Comme ses deux enfants seront d’âge scolaire en septembre 2010, Mme Johnstone a témoigné qu’elle souhaite travailler à temps plein à ce moment‑là. Des dispositions dans l’EPHV prévoient les situations où une épouse doit quitter une ville (Toronto) pour habiter dans une autre ville (Ottawa) afin d’être avec son époux. Cette situation exige que des mesures d’adaptation soient prises pour qu’elle obtienne un poste dans son nouveau lieu de résidence, soit Ottawa.

[108] En ce qui a trait au milieu de travail en général, en réponse aux questions que l’avocat de la CCDP lui a posées, Mme Johnstone a témoigné que ni l’intimée ni le syndicat ne lui avaient donné de renseignements, écrits ou verbaux, au sujet des politiques d’accommodement de l’intimée ou de ses droits. Elle a nommé des collègues qui travaillent aussi à temps partiel, à qui on avait refusé le statut à temps plein demandé en raison des responsabilités parentales. Elle a aussi nommé des collègues qui travaillaient à temps partiel par choix.

[109] En contre-interrogatoire, on a posé de nombreuses questions à Mme Johnstone au sujet de la nature de ses tâches en tant qu’ASF en ce qui a trait au besoin de se concentrer, de porter une attention particulière, de maintenir sa vigilance, d’évaluer les risques, de gérer l’agressivité du public, etc. Il semble que l’avocat de l’intimée tentait de présenter une preuve, par son contre-interrogatoire, de préoccupations pour la santé et la sécurité découlant de quarts de travail longs. Mme Johnstone n’a jamais exprimé le sentiment qu’elle ne pourrait pas gérer les longs quarts de travail qu’elle avait demandés.

B. Le témoignage de Murray Star

[110] M. Star est employé de l’ASFC depuis 1990 à titre d’ASF. De 1996 à 2000, il a occupé le poste de superviseur par intérim pendant diverses périodes et il a participé à la formation d’autres ASF pendant sa carrière.

[111] Vers 1999, M. Star était un délégué syndical et, de 2003 à 2008, il a été délégué syndical à l’exécutif représentant les membres du syndicat. Au moment de l’audience, il n’était plus délégué syndical à l’exécutif.

[112] M. Star a témoigné qu’il avait lui-même eu des problèmes faisant intervenir la loi (vers 2001) parce que ses conditions d’emploi ne reflétaient pas ses pratiques au sujet du sabbat et des fêtes religieuses. Comme il est juif, il souhaitait ne pas travailler à partir du coucher du soleil le vendredi jusqu’à la fin du samedi, ni lors des Grandes Fêtes juives.

[113] Au début, son chef de terminal a accepté que des mesures d’adaptation soient prises pour lui et lui a permis d’échanger ses quarts de travail pendant un an. Cependant, M. Norm Sheridan était d’avis que le droit à l’observation d’une fête religieuse ne s’appliquait qu’une fois par année, et non hebdomadairement. M. Star a déposé une plainte en vertu de la LCDP. M. Sheridan a donné le pouvoir à chacun des chefs de terminal de trancher la question en fonction des [Traduction] exigences opérationnelles. L’enquêteur de la CCDP a tiré une conclusion favorable envers M. Star et les parties, en médiation, en sont arrivées à une entente donnant à M. Star la mesure d’adaptation qu’il avait demandée.

[114] M. Star a travaillé avec Mme Johnstone et a décrit son rendement comme [Traduction] excellent. Il l’a aussi aidée à présenter sa première demande de mesures d’adaptation et plus tard, sa plainte en vertu de la LCDP lorsqu’elle n’a pas obtenu l’adaptation qu’elle demandait.

[115] M. Star savait que Mme Johnstone, au retour de son premier congé de maternité, souhaitait travailler des quarts de travail fixes à temps plein. Peu après son retour, début janvier 2004, Mme Johnstone a confié à M. Star qu’elle voulait travailler des quarts de travail fixes à temps plein. Il savait qu’elle avait approché la gestion à ce sujet, mais qu’elle avait [Traduction] essuyé une rebuffade. Il s’est souvenu avoir discuté de la demande de Mme Johnstone avec Norm Sheridan à plus d’une occasion pendant la période de 2004 à 2006. Il a témoigné que M. Sheridan lui a dit que Mme Johnstone n’obtiendrait pas la mesure d’adaptation qu’elle demandait parce que si l’ASFC la lui accordait, [Traduction] tous les employés voudraient la même chose.

[116] M. Star a témoigné qu’il a expressément demandé à M. Sheridan les raisons opérationnelles justifiant sa position, verbalement et par écrit, mais qu’il n’a jamais reçu de réponse.

[117] Compte tenu de sa grande connaissance des Opérations des passagers et de l’EPHV, ainsi que de son expérience à titre de représentant syndical et de représentant des employés, M. Star a déclaré que l’accueil de la demande de Mme Johnstone n’aurait pas eu d’effet préjudiciable, financier ou autre, pour l’ASFC. Il a aussi soutenu qu’il n’avait pas eu connaissance d’effets opérationnels préjudiciables découlant des mesures d’adaptation déjà prises pour des raisons médicales.

[118] M. Star a confirmé que le syndicat était ouvert aux demandes spéciales pour des raisons de droit de la personne et qu’il appuyait ces demandes. M. Star a déclaré que l’exécutif du syndicat appuyait fortement toute demande individuelle, parce qu’il ne [Traduction] porterait jamais atteinte aux droits de la personne de quiconque.

[119] M. Star a confirmé que, contrairement à l’EPHV en place en 2004, le nouveau EPHV, qui est entré en vigueur à l’automne 2008, prévoit des quarts de travail de 12 heures. Il s’agit d’un horaire de cinq jours de travail, quatre jours de congé qui comprend des quarts multiples qui commencent à différentes heures au cours de la journée pendant une période de 63 jours. Il y a environ 12 quarts de travail prévus dans les divisions des douanes et de l’immigration dans un environnement de travail qui va de 5 h du matin jusqu’à minuit. Il a aussi témoigné qu’il pouvait nommer au moins cinq ou six employés qui travaillent pendant des quarts de travail fixes sur cinq jours.

[120] M. Star a aussi témoigné qu’il connaissait personnellement environ 12 employés qui bénéficiaient, pour diverses raisons, d’horaires de quarts de travail fais sur mesure. Il a nommé un collègue qui demandait des quarts de travail fixes de minuit (de 22 h à 8 h), que la gestion a accepté. Il a confirmé, en fonction des éléments de preuve qui lui ont été présentés, qu’un certain nombre d’ASF travaillent des quarts de travail fixes de minuit, ou les mêmes trois, quatre ou cinq jours toutes les semaines. Par exemple, les équipes à horaires fixes (principalement des nouveaux employés) peuvent travailler des heures différentes, mais occupent principalement les quarts d’après-midi et leurs jours de travail sont fixes, habituellement lors de la période la plus occupée du jeudi au dimanche. Le quart de travail le plus populaire est celui du soir, de midi à 23 h ou de 15 h à 3 h, parce que les jeunes employés ne semblent pas être des lèves-tôt.

[121] M. Star n’a jamais eu connaissance, pendant toute sa carrière à l’ASFC, que des collègues se soient plainte de traitements de faveur lorsqu’une demande de mesures d’adaptation a été accueillie par la gestion. M. Star n’a pas remarqué d’effets préjudiciables sur les opérations au TAP de l’ASFC découlant d’accommodements pour raisons médicales ou pour raisons religieuses.

[122] M. Star savait que la gestion n’avait pas empêché des ASF d’effectuer des transferts [Traduction] tête pour tête, c’est-à-dire en nombre égal afin de maintenir le même type d’effectif (pour diverses raisons autres que les responsabilités parentales), d’une partie des opérations de l’ASFC à une autre, par exemple des Opérations des passagers à Gateway, ou vice versa. M. Star a témoigné que la nature du travail à Gateway est moins exigeante et moins variée qu’aux Opérations des passagers et qu’un ASF n’a pas besoin d’une nouvelle formation s’il passe des Opérations des passagers ou des Opérations commerciales à Gateway. M. Star connaît plusieurs ASF qui ont transféré des Opérations des passagers à Gateway.

[123] M. Star sait que tous les droits à pension et les avantages sociaux sont calculés au prorata pour les personnes qui [Traduction] choisissent de travailler à temps partiel. Il connait une ASF aux Opérations des passagers, qu’il a nommés, qui a réduit ses heures de travail après son retour de congé de maternité, mais qui a obtenu la permission d’inscrire les heures non travaillées comme congé sans solde et qui, par conséquent, a maintenu ses avantages en payant le montant total de sa pension. Cela a été refusé à Mme Johnstone.

[124] M. Star ne connaissait aucune mesure d’adaptation officielle offerte par l’ASFC pour des raisons familiales et a confirmé qu’il n’existe aucune politique écrite exigeant qu’un employé qui souhaite obtenir des quarts de travail fixes en raison d’obligations parentales travaille à temps partiel. Ce sont les décisions de la gestion locale qui ont force d’application en ce qui a trait aux demandes pour les horaires. En l’espèce, la [Traduction] gestion locale signifie la gestion du TAP.

[125] M. Star a témoigné au sujet de l’ébauche de politique d’accommodement datée de juin 2007. Ce document de 13 pages lui a été donné en 2007 par John King, un ancien représentant syndical qui est devenu président syndical. M. King l’a avisé à l’époque qu’il avait ramassé l’ébauche lors d’une [Traduction] réunion d’ordre opérationnel, qui est une réunion des cadres supérieurs du syndicat et de la gestion qui a lieu de temps à autre pour discuter de questions opérationnelles.

[126] M. Star a témoigné qu’il avait utilisé l’ébauche de politique d’accommodement lors de ses négociations avec la gestion pour un employé qui demandait un accommodement pour raisons médicales. Lors de la réunion en 2007 où il a produit l’ébauche, M. Star a témoigné que Mme Raby avait déclaré qu’elle n’avait aucune connaissance de cette ébauche et qu’elle doutait de son authenticité.

[127] Après un certain temps, le superviseur Darren Millet, qui était aussi présent à la réunion, a reconnu qu’il avait vu l’ébauche de politique d’accommodement auparavant et qu’elle avait été distribuée aux gestionnaires pour qu’ils donnent leur opinion. M. Star a eu la vive impression, d’après ce que M. Millet disait, que la gestion ne tenait pas trop à l’ébauche des politiques d’accommodement. M. Star a demandé à M. Millet si les employés pouvaient s’attendre à son entrée en vigueur, question à laquelle M. Millet n’a pas répondu. M. Star a confirmé qu’aucune des dispositions de l’ébauche de politique d’accommodement n’est entrée en vigueur.

[128] M. Star a témoigné qu’il était d’avis que l’ébauche de politique d’accommodement répond à toutes les demandes des employés et qu’un document de ce genre serait [Traduction] parfait. Par le passé, il a offert aux gestionnaires de l’ASFC de travailler avec eux afin d’élaborer une politique pour les mesures d’accommodement pour des raisons familiales, sans succès.

[129] M. Star a confirmé qu’à Gateway, située à côté de l’aéroport, il y a de nombreux quarts de travail. Il y a un quart de travail de 12 heures et demie sur 3 jours, beaucoup de quarts de travail de jour du lundi au vendredi et des quarts de travail fixes en après-midi du lundi au vendredi, etc. M. Star a fait observer que la gestion à Gateway est plus ouverte aux demandes d’accommodement des employés en ce qui a trait aux heures et aux quarts de travail particuliers. Gateway n’est ouvert que du dimanche soir au vendredi.

[130] M. Star a aussi confirmé qu’il y avait eu une proposition de la gestion pour la [Traduction] soumission pour les quarts par rotation non fondée sur l’ancienneté qui n’a aucune répercussion négative sur les opérations de l’ASFC. Cependant, la proposition n’a pas été mise en œuvre parce que la gestion et le syndicat n’ont pas été capables de trouver un processus fonctionnel qui n’entrait pas en conflit avec l’EPHV. Il n’est pas clair si cette proposition de soumission pour les quarts aurait aidé la plaignante et ni l’une ni l’autre des parties ne s’est fondée sur cette proposition pour répondre aux questions à l’audience.

[131] Le Tribunal a traité de la position du syndicat dans la décision 2009 TCDP 14, puisque l’intimée avait demandé à ce que le syndicat soit ajouté comme partie à l’audience parce que le syndicat pouvait partager une certaine responsabilité pour tout acte discriminatoire, en raison de l’EPHV qui empêche l’intimée d’accorder à la plaignante l’accommodement qu’elle demande. Le syndicat a appuyé les mesures d’adaptation que Mme Johnstone demandait, soutenant que ces mesures ne nécessitaient pas de changement à la convention collective ou à l’EPHV, mais nécessitaient seulement que l’intimée établisse une politique d’accommodement fondée sur la situation de famille. Le Tribunal a rejeté la demande de l’intimée, concluant que Mme Johnstone n’avait présenté aucune allégation contre le syndicat et que rien ne donnait à penser que la convention collective ou l’EPHV avaient joué un rôle dans les politiques de la gestion au sujet des questions soulevées dans la plainte.

[132] Quand on lui a posé des questions au sujet des ASF qui travaillent à temps partiel, M. Star a déclaré que certains employés travaillaient à temps partiel pour des raisons familiales, pour des raisons médicales ou par choix personnel, par exemple un employé qui est près de la retraite. Généralement, lorsqu’une demande fondée sur ces raisons est présentée, l’ASF s’asseoit avec la gestion et un quart de travail qui correspond à la demande particulière est établi. Généralement, les employés à temps partiel travaillent lors des quarts d’après-midi (10 heures à 20 heures; midi à 22 heures). Les après-midis sont la période la plus occupée au TAP, alors cet arrangement correspond bien aux objectifs opérationnels de la gestion.

[133] Quant à ses propres mesures d’adaptation pour des raisons religieuses, M. Star a témoigné qu’à toute nouvelle période de quarts de travail (maintenant à tous les 63 jours), il s’asseoit avec son superviseur et ils établissent son quart de travail. Ce processus prend généralement environ 5 minutes : trois minutes pour discuter et deux minutes pour effectuer les changements sur l’horaire de travail dans l’ordinateur. M. Star ne travaille pas tard les vendredis et il ne travaille pas du tout les samedis. Les dimanches sont généralement sa journée la plus longue, c’est-à-dire de 5 h à 15 h 15. Il commence à des heures différentes, sur des jours fixes.

[134] M. Star a déclaré que le fait que sa demande d’accommodement lui ait été accordée n’a pas suscité une [Traduction] avalanche de demandes semblables d’accommodement pour raisons religieuses. Quelques autres ASF ont présenté des demandes, qui ont rapidement été traitées, mais c’était tout. Quant aux demandes en raison de la situation familiale, en contre-interrogatoire, M. Star s’est décrit comme étant l’ expert sur la question alors qu’il était délégué syndical à l’exécutif et que la majorité des employés qui demandaient des accommodements pour leurs responsabilités familiales venaient le voir. Il a soutenu que ce n’était pas tous les employés qui demandaient un accommodement en raison de leur situation familiale qui souhaitaient obtenir des quarts de travail fixes, mais certains d’entre eux le voulaient. Lorsqu’on lui a demandé si lui et le syndicat croyaient que toutes les demandes de ce genre devraient être acceptées, il a répondu qu’il était d’avis que la gestion pouvait prendre des mesures d’adaptation pour cette raison jusqu’à ce qu’elle démontre une contrainte excessive, par exemple que le moral était bas, que le coût était prohibitif ou qu’il y aurait des mises à pied inacceptables en raison des mesures d’adaptation.

[135] M. Star a témoigné que pour les ASF, chaque heure travaillée est une heure ouvrant droit à pension, par conséquent, si un employé travaille moins d’heures, il obtient moins de prestations de retraite. Toutes les contributions d’un employé à sa pension sont reproduites par l’employeur. Les autres avantages sont aussi fondés sur du travail à temps plein de 37,5 heures par semaine, qui correspond à 100 %, et par conséquent, le travail à temps partiel entraîne normalement un calcul au prorata de ces avantages.

[136] M. Star a confirmé que les employés à temps partiel reçoivent un salaire moins élevé que les employés à temps plein pour les heures supplémentaires qu’ils travaillent. Il a aussi parlé d’une entente de travail à temps partiel que la gestion demandait aux employés à temps partiel de signer, dont le contenu indique essentiellement qu’en signant, l’employé accepte d’être affecté à un horaire à temps partiel. Cette entente était déjà en place au moment de la plainte et est toujours utilisée. Lorsque M. Star était représentant syndical à l’exécutif, il recommandait aux employés de ne pas signer l’entente, parce que son libellé laisse entendre qu’elle vise à empêcher l’employé de retourner à temps plein. Le syndicat s’inquiétait que dans le cas d’un employé qui est forcé à réduire ses heures, tel que Mme Johnstone, la signature d’une telle entente pourrait l’empêcher de retourner aux quarts de travail à plein temps si sa situation change. Aucune preuve ne démontre que quiconque a refusé de signer l’entente en a subi des répercussions, mais le fait que la gestion présentait l’entente donnait à l’employé l’impression qu’il devait signer à titre de condition d’emploi.

[137] M. Star a aussi confirmé que rien dans l’EPHV ne précise un nombre maximal d’heures qui peuvent être travaillées par un employé à temps partiel ou ne limite le temps partiel à 34 heures par semaine.

C. Le témoignage d’expert de Mme Linda Duxbury

[138] Mme Linda Duxbury est qualifiée à titre d’experte en gestion stratégique des ressources humaines, y compris le profil démographique de la main-d’œuvre, la gestion du changement et les répercussions de l’équilibre travail/vie personnelle sur les employés. L’intimée a accepté que Mme Duxbury soit qualifiée d’experte dans ces domaines.

[139] Mme Duxbury a déposé un rapport écrit portant sur les besoins d’accommodement des employés qui ont des responsabilités parentales ainsi que sur la nature et les répercussions de toute réponse de l’employeur quant aux mesures d’adaptation prises pour ces besoins. Pour préparer son rapport, Mme Duxbury a lu l’énoncé des précisions des deux parties.

[140] MmeDuxbury est une professeure permanente à la Sprott School of Business de l’Université Carleton, où elle enseigne et supervise des cours de maîtrise et de doctorat sur des sujets tels que le comportement organisationnel, les questions d’équilibre travail/vie personnelle et la gestion du changement pour les employés. Elle a aussi écrit des articles sur la théorie de l’attribution (le besoin essentiel de comprendre et d’expliquer les causes du comportement d’autrui) et la gestion des structures organisationnelles afin de maximiser le rendement des employés.

[141] De plus, Mme Duxbury effectue de la recherche, participe à des consultations et écrit des articles dans son domaine. Ses principaux domaines de recherche comprennent la gestion du [Traduction] côté humain du changement, c’est-à-dire les répercussions et les effets de changements dans le milieu du travail sur les employés, ainsi que les données démographiques de l’équilibre travail/vie personnelle du point de vue stratégique. Mme Duxbury effectue de la recherche dans ce domaine depuis 20 ans et elle a consulté tant le secteur privé que le secteur public à ce sujet.

[142] Le travail et les bases de données des conclusions de Mme Duxbury sont reconnus et cités partout dans le monde. Elle a mentionné Google Scholar, qui est un site Web où seules les publications recommandées par des professeurs et révisées par les pairs sont affichées. Les recherches de Mme Duxbury et de ses collègues sont citées sous [Traduction] Citation importantes sur ce site Web. L’intimée n’a pas contesté l’autorité de Google Scholar.

[143] L’un des points importants du rapport et du témoignage de Mme Duxbury portait sur la [Traduction] surcharge de responsabilités, où le travail interfère avec les obligations familiales, ou les obligations familiales interfèrent avec le travail, au point où l’individu ressent le stress de ne jamais avoir suffisamment de temps et que les tâches en cours ne sont jamais terminées.

[144] [Traduction] Le travail interfère avec la famille est le descripteur utilisé lorsqu’un employé préfère psychologiquement le temps qu’il passe au travail au temps qu’il passe à s’occuper de ses obligations familiales.

[145] [Traduction] La famille interfère avec le travail est le descripteur utilisé lorsque l’employé sacrifiera le travail pour ses obligations familiales, par exemple il refusera une promotion, travaillera à temps partiel, etc.

[146] Mme Duxbury a témoigné que la culture du milieu de travail est un indicateur dominant quant à savoir si l’employé sent ou non qu’il a le contrôle de sa famille et de son travail. Il importe que la disponibilité des services de garde corresponde aux exigences du travail, parce que l’employé ressent alors moins de stress si les deux sphères peuvent être appariées.

[147] La culture du milieu de travail, c’est-à-dire la réalité du milieu de travail, n’est pas déterminée par le gestionnaire en termes d’organigramme, mais plutôt en termes de tempérament et d’attitudes du gestionnaire immédiat de l’employé, la personne de qui l’employé relève. D’après Mme Duxbury, la culture et les demandes du travail sont les [Traduction] deux grands facteurs qui ont des répercussions sur le [Traduction] travail interfère avec la famille dans la surcharge de responsabilités.

[148] Un bon gestionnaire attire la loyauté de son équipe, mais un mauvais gestionnaire qui en demande trop et qui est antipathique entraîne le stress et la rancœur, parce que l’employé se sent comme s’il n’est pas entendu et n’est pas apprécié.

[149] Il y a eu une augmentation phénoménale au Canada des femmes dans le milieu du travail et, présentement, les deux tiers des familles canadiennes sont composées de deux soutiens économiques du ménage. Il s’agit maintenant du [Traduction] mode de fonctionnement des ménages ou de la norme au Canada. Il y a aussi plus de chefs de familles monoparentales qui travaillent dans la population active que d’hommes qui travaillent et dont l’épouse reste à la maison. Normalement, ces hommes gagnent plus que la famille qui suit la norme.

[150] Quinze pour cent de la population active, principalement des familles à deux revenus, a de jeunes enfants. Les jeunes enfants, définis comme les enfants de 5 ans et moins, augmentent le fardeau des parents et réduisent leur capacité à choisir des quarts de travail variables.

[151] Mme Duxbury a souligné qu’il y a souvent un désaccord entre les politiques et la pratique en milieu de travail. La pratique est la culture du milieu de travail, l’expérience réelle de l’employé. En termes généraux, elle a déclaré que de nombreuses organisations ont l’impression qu’elles ont [Traduction] fait leur part en mettant en place des politiques de premier ordre, mais qu’elles ne font pas de suivi sur leur application.

[152] Un des exemples que Mme Duxbury a donné est le [Traduction] télétravail. Elle a témoigné qu’il existe une excellente politique du gouvernement fédéral sur le télétravail, mais qu’en réalité peu d’employés en prennent avantage, autrement qu’en dehors des heures du travail, parce que le télétravail n’est pas encouragé par les employeurs du gouvernement fédéral.

[153] Quant aux opérations 24 heures par jour, 7 jours par semaine, les horaires de travail et les accommodements doivent être personnalisés pour correspondre au milieu du travail, mais Mme Duxbury est d’avis qu’il existe très peu d’opérations où il est impossible d’avoir une certaine souplesse si la gestion est prête à appliquer cette souplesse.

[154] Mme Duxbury a aussi expliqué que le travail par quart est un des principaux indicateurs de l’augmentation phénoménale des employés dans la catégorie du [Traduction] travail qui interfère avec la famille et qui peut devenir très problématique.

[155] Les femmes ressentent en général beaucoup de ces tensions concurrentielles, mais comme la génération plus jeune d’employés masculins souhaite participer de plus en plus à la vie familiale, les hommes ressentent de plus en plus les répercussions de ces tensions aussi. Plus la société nie cette réalité, plus il devient difficile d’y répondre de façon saine.

[156] D’après Mme Duxbury, les données sont claires : la prévisibilité d’un horaire fixe permet à un employé d’établir son réseau de soutien de façon efficace. Comme le Canada se dirige vers un marché favorable à l’employé (plus d’emplois disponibles qu’il n’y a d’employés pour combler les postes), Mme Duxbury se demande comment les employeurs peuvent se permettre de ne pas prendre des mesures d’accommodement pour les employés qui ont de jeunes enfants, compte tenu des changements démographiques dans notre pays.

[157] Le taux de fertilité du Canada est dangereusement bas, à 1,5. Le taux de fertilité doit être de 2,1 pour que le pays puisse se suffire à lui-même et grandir. Pendant le baby-boom après la Seconde Guerre mondiale, le taux de fertilité du Canada était de 4. Cette diminution entraînera un manque flagrant de personnel au cours des 25 prochaines années.

[158] Le Canadien moyen entre sur le marché du travail à 25 ans. La femme professionnelle canadienne moyenne a son premier enfant à l’âge de 31 ans. Cet âge plus avancé est un facteur dans le nombre de naissances, en raison de problèmes de fertilité et du temps disponible.

[159] Mme Duxbury a observé en général dans son témoignage que le recrutement, la rétention et la planification de la relève sont devenues des questions cruciales pour le gouvernement canadien et les entreprises. Dans un marché favorable aux employés, le manque d’accommodement crée un défi réel pour le recrutement, la rétention et la planification. Mme Duxbury est d’avis que le fait de ne rien faire à ce sujet a un coût réel qui ne fait qu’augmenter.

[160] D’après Mme Duxbury, les coûts associés au fait qu’une entreprise ne tient pas compte de ces réalités démographiques, le changement d’attitude envers l’équilibre travail/vie personnelle et les répercussions sur les employés qui tentent de gérer des demandes contradictoires entraînent une main d’œuvre où :

  • les employés sont surchargés, surmenés, stressés, déprimés et ont plus de problèmes de santé mentale;
  • l’absentéisme augmente en raison de problèmes de santé et d’épuisement;
  • les employés sont moins engagés, moins loyaux et moins satisfaits;
  • l’utilisation de médicaments sur ordonnance augmente;
  • les employés sont moins engagés et sont moins satisfaits de leur travail;
  • les taux de roulement augmentent;
  • le public obtient de moins bons services parce que les employés en font le moins possible;
  • de plus en plus d’employés prévoient quitter leur emploi en raison de leurs demandes familiales et d’un sentiment de ne pas être appréciés.

[161] L’avantage réel pour un employeur qui prend des mesures d’adaptation est qu’il renverse les tendances susmentionnées. Mme Duxbury a témoigné que si un employé est en bonne santé mentale et physique, qu’il dort suffisamment et qu’il se sent apprécié au travail, on peut supposer qu’un tel employé sera plus productif et aura un meilleur rendement.

[162] Mme Duxbury a témoigné que le fait de se sentir apprécié est très important au travail. Nous comprenons facilement la notion de gestion du capital financier, mais pas celle du capital humain. Un employé qui souhaite contribuer doit se sentir valorisé, c’est-à-dire reconnu et apprécié. Autrement, cet employé ne donnera pas à l’employeur l’avantage de ses capacités.

[163] Lorsqu’un employeur est réceptif aux préoccupations de son effectif, il est important d’éduquer le reste des employés pour qu’ils soient sensibilisés au fait que tout avantage ajouté ou accommodement perçu qu’un autre employé a pu recevoir à un moment donné peut leur être accordé lorsqu’ils en auront besoin. Pour éduquer, l’employeur doit avoir en place des politiques non équivoques, transparentes et qui comprennent une attribution de responsabilité prédéfinie relativement à l’utilisation abusive. De telles démarches d’éducation entraînent un changement d’attitude.

[164] Mme Duxbury a bien souligné dans son témoignage que les données sont sans équivoque : une personne utilisera moins les soins médicaux et les professionnels de la santé si les questions d’équilibre travail/vie personnelle sont traitées de façon favorable. Elle a déclaré que [Traduction] la principale méthode d’adaptation au Canada est de réduire les heures de sommeil. Les méthodes suivantes sont la boisson, la cigarette, la malnutrition et le manque d’exercice – qui ont toutes des conséquences négatives sur la santé.

[165] L’avocat de la CCDP a demandé à Mme Duxbury si la crainte qui relève de l’impression d’une organisation au sujet d’un grand nombre d’employés demandant la même mesure d’adaptation est fondée. Elle a répondu par la négative, parce que l’effectif est constitué de différentes personnes qui en sont à des cycles de vie différents et qui ont des besoins différents en tout temps. Mme Duxbury a déclaré que son expérience montre que les employés utiliseront généralement les mesures d’adaptation dont ils ont besoin et n’en abuseront pas. Elle a précisé que généralement, on [Traduction] ne fait pas assez confiance aux autres.

[166] Comme les femmes constituent 47 % de la population active actuelle du Canada, Mme Duxbury a déclaré que, si des mesures d’adaptation n’étaient pas prises pour les femmes qui travaillent alors que leurs enfants sont jeunes, de moins en moins de femmes resteront au travail, ou bien la société souffrira de leur choix d’avoir moins d’enfants ou de ne pas en avoir du tout.

[167] En contre-interrogatoire, on a douté de l’application des statistiques des bases de données de Mme Duxbury à l’affaire en l’espèce. Le Tribunal a conclu qu’il était clair que les données de Mme Duxbury provenaient d’une vaste gamme d’employés de tous les secteurs dans de nombreux emplois et postes, à qui on a posé une grande variété de questions qui portaient sur le milieu de travail même et sur les attitudes envers le milieu de travail.

[168] De plus, Mme Duxbury a précisé qu’elle ne donnait pas entendre qu’il fallait récompenser les mauvais employés, mais plutôt que les bons gestionnaires et les bons employeurs qui ne cloisonnent pas les groupes d’employés les uns des autres en tirent avantage. Elle a soutenu que le fait de traiter chaque employé de la même façon n’était pas nécessairement de l’équité, parce que les besoins et les gens ne sont pas les mêmes. Une certaine souplesse et une évaluation individuelle est appropriée et gérable.

[169] En résumé, Mme Duxbury a déclaré que comme cadre général de travail, la bonne gestion et une culture de soutien en milieu de travail est une combinaison gagnante tant pour les employeurs que les employés.

[170] Dans le contexte d’un milieu de travail par quarts de travail rotatifs, Mme Duxbury reconnaît que les quarts de travail de ce type sont plus problématiques pour les employés, cependant, une partie de l’imprévisibilité peut être palliée par un préavis suffisant et la possibilité d’échanger des quarts de travail avec des collègues. Cela augmente le sentiment de contrôle de l’employé et sa capacité de se créer un réseau de soutien. Elle a aussi noté que le quart de travail qu’un employé préfère aujourd’hui ne sera peut-être pas le même quart de travail qu’il préférera dans deux ans, parce que les besoins et les demandes d’une personne changent avec le temps. La totalité de la preuve de Mme Duxbury a été présentée comme étant généralement applicable au milieu de travail de l’ASFC, mais elle n’a pas observé personnellement ce milieu de travail particulier et n’a pas tiré de conclusions à ce sujet.

[171] Mme Duxbury a mentionné qu’il est naïf d’affirmer (comme l’intimée le fait) que les questions de responsabilités parentales sont uniquement un résultat du choix de l’employé, alors que l’employé fait face aux besoins de fournir une maison et de la nourriture à sa famille. Mme Duxbury a posé la question de pure forme suivante : bien que théoriquement, une personne ait le choix, à quel point ce choix est‑il réel s’il n’y a qu’une seule option acceptable légalement et moralement ? La prémisse de Mme Duxbury est qu’une personne ne devrait pas avoir à choisir entre fonder une famille et occuper un emploi significatif pour lequel elle est formée et a démontré sa capacité à effectuer cet emploi. Elle a déclaré qu’à son avis, les pires employeurs sont ceux qui disent respecter l’équilibre travail/vie personnelle, mais qui ne le font pas réellement.

[172] Mme Duxbury a laissé entendre que si un employeur met en place des politiques fonctionnelles, compréhensibles et équitables, il revient alors à l’employé de les utiliser. La culture du milieu de travail est fondée sur l’observation de l’environnement réel et cette culture, le gestionnaire immédiat de l’employé et la capacité d’obtenir une certaine flexibilité et prévisibilité dans sa vie sont les meilleurs indicateurs de succès.

[173] Le meilleur choix est d’avoir des politiques en place et de donner aux gestionnaires l’autorité de traiter individuellement avec leurs employés afin que le soutien soit tangible et réponde aux besoins de chacun. Mme Duxbury a ajouté que lorsqu’une demande est accueillie, il est important que le gestionnaire communique aux autres employés la raison pour laquelle il s’agissait d’une bonne décision. [Traduction] En l’absence de transparence, on suppose qu’il y a eu favoritisme.

D. Le témoignage d’expert de Martha Friendly

[174] La plaignante a demandé à ce que Martha Friendly soit qualifiée comme experte sur les politiques en matière de services de garde au Canada, y compris la disponibilité des services de garde pour les personnes qui travaillent pendant des quarts de travail rotatifs et changeants de façon irrégulière. L’intimée s’est opposée à cette qualification au motif que Mme Friendly n’a pas personnellement effectué des études concrètes, mais a seulement examiné les données disponibles, qui ne sont pas abondantes et qui ne sont pas récentes. L’intimée a suggérée que Mme Friendly soit acceptée seulement à titre d’experte sur les politiques en matière de services de garde au Canada. En acceptant la qualification de Mme Friendy à titre d’experte comme la plaignante l’a demandé, le Tribunal a relevé dans la description de la longue carrière en écriture et en enseignement de Mme Friendly qu’elle possède une connaissance générale de la disponibilité des services de garde, tant traditionnels que non traditionnels, au Canada pour les employés canadiens et qu’elle possède des connaissances au sujet des facteurs qui affectent les femmes dans la population active, y compris les répercussions que la disponibilité des services de garde a sur les femmes canadiennes qui travaillent. Le Tribunal a conclu que toute préoccupation que l’avocat de l’intimée avait que Mme Friendly se fonde sur des données insuffisantes ou trop vieilles pouvait être traitée en contre-interrogatoire.

[175] Mme Friendly est la directrice exécutive de la Childcare Resource and Research Unit (CRRU) à Toronto (Ontario). La CCRU est un établissement de recherche en matière de politiques axée sur les politiques en matière d’éducation à la petite enfance, de services de garde et de la famille. Elle a présenté un rapport écrit au sujet de l’accessibilité des services de garde pour des parents qui travaillent pendant des heures imprévisibles, rotatives et hors norme. L’intimée était d’avis que Mme Johnstone avait plus d’options en matière de service de garde qu’elle le donnait à entendre et le rapport de Mme Friendly a été présenté par la plaignante pour répondre à cette question. Pour préparer son rapport, Mme Friendly a aussi examiné l’exposé des précisions des deux parties.

[176] Pendant plus de 30 ans, la CCRU a fait partie de l’Université de Toronto, mais en 2007, elle est devenue un organisme à but non lucratif distinct qui reçoit du financement provincial et fédéral. Mme Friendly est une spécialiste en politiques portant sur l’éducation à la petite enfance et sur les services de garde. Elle fait aussi partie d’un groupe international de recherche et d’analyse sur les politques de services de garde qui écrit des articles sur des sujets qui portent sur sa spécialisation. Elle a publié des écrits dans son domaine et elle enseigne au programme de maîtrise de l’Université Ryerson.

[177] Bien que son témoignage ait révélé que Mme Friendly encourage l’augmentation du financement public pour les services de garde, la partie importante pour l’audience portait sur sa connaissance de la disponibilité des services de garde au Canada et l’intimée n’a pas laissé entendre que son témoignage à ce sujet était influencé par ses points de vue en matière de politiques.

[178] L’avocate de la plaignante a précisé que le témoignage de Mme Friendly visait à informer le Tribunal des difficultés réelles auxquelles un père ou une mère comme la plaignante fait face lorsqu’il cherche des services de garde à l’extérieur de sa famille, une difficulté que rencontre aussi toute personne dans la position de la plaignante, qui a de jeunes enfants et dont l’emploi nécessite du travail par quarts rotatifs, changeants et imprévisibles. Le Tribunal a conclu que le témoignage de Mme Friendly à ce sujet était fiable.

[179] Dans son témoignage, Mme Friendly a souligné que le facteur le plus difficile dans l’accommodement des services de garde est l’imprévisibilité. De nombreux facteurs entrent en jeu dans la décision du choix de services de garde, mais l’imprévisibilité de l’horaire d’un employé rend presque impossible la possibilité de trouver un service de garde payé, enregistré ou non enregistré, dans un centre ou dans une maison privée.

[180] Le deuxième facteur dans l’ordre de difficulté est le besoin d’obtenir des heures prolongées, c’est‑à-dire des heures dépassant les heures normales du travail soit environ de 7 h à 18 h les jours de semaine. Le besoin d’obtenir un service de garde la fin de semaine et, en particulier, la nuit, rend la chose pratiquement impossible.

[181] De plus, Mme Friendly a noté que les espaces disponibles en service de garde varient. Une éducatrice qui a un service de garde dans sa propre maison, par exemple, peut décider de le fermer lorsque ses propres enfants sont d’âge scolaire. Cependant, d’autres services de garde peuvent ouvrir alors qu’auparavant, il n’y en avait pas.

[182] Comme Mme Friendly l’explique, il n’y a pas vraiment de données sur les services de garde non enregistrés au Canada, alors son témoignage portait principalement sur les services de garde enregistrés disponibles, qui comprennent les centres de la petite enfance et les service de garde en milieu familial suivant les règlements provinciaux. Elle a témoigné que les centres de la petite enfance enregistrés au Canada sont très limités et que par conséquent, les services de garde non enregistrés sont souvent utilisés. En d’autres mots, la demande dépasse largement l’offre.

[183] De la même façon, des données fiables sur la disponibilité des heures étendues en service de garde dans des milieux non enregistrés ne sont pas non plus disponibles, mais le Tribunal peut accepter la preuve empirique à ce sujet, appuyée par la preuve directe de Mme Johnstone.

[184] Mme Friendly a présenté des preuves au sujet de deux études importantes effectuées dans les années 1990 sur la disponibilité des services de garde après les heures. Les résultats de ces études ont démontré, sans surprise, qu’il y a (ou qu’il y a eu) très peu de programmes qui offrent des heures étendues ou des services de garde la fin de semaine, mais que peu de gens utilisaient les services lors de la fin de semaine ou de la nuit et que, par conséquent, il n’était pas rentable de continuer à offrir ces programmes.

[185] Cela appuie le point de vue de Mme Johnstone selon lequel le type de service de garde dont elle avait besoin n’était pas disponible, ou était difficile à trouver, et qu’il y a relativement peu d’employés qui ont besoin de service de garde de ce genre, c’est‑à‑dire qu’il y a peu d’employés qui ont des quarts de travail rotatifs changeants, avec des heures supplémentaires fréquentes, qui sont aussi mariés à une personne qui a des quarts de travail semblables.

[186] Si l’on examine cette réalité au niveau suivant, conjointement avec la preuve directe de Mme Johnstone à ce sujet, il y a peu d’ASF qui auraient besoin de mesures d’adaptation les exemptant de l’EPHV pour obtenir des quarts de travail fixes pendant une certaine période. La plupart des employés se tournent en premier vers leur époux, leur famille et leurs amis pour les services de garde, et seulement lorsque ces options ne fonctionnent pas ou ne sont pas suffisantes, ils se tournent vers des services de garde offerts par des tiers. Mme Friendly, tout comme le Tribunal, est d’avis qu’il est compréhensible que la majorité des parents ne se sentent pas confortables de laisser leurs jeunes enfants passer la nuit dans un service de garde offert par un tiers.

[187] Il est peu probable que Mme Johnstone, ou tout employé dans une situation semblable, puisse trouver un service de garde offert par un tiers, plutôt que par de la famille, qui soit prêt à fournir des services de garde fiables pour de jeunes enfants selon un horaire imprévisible, même si cet horaire est limité à trois jours par semaine. Le fournisseur de services de garde a des heures préétablies et a sa propre vie à vivre, et même la famille de l’employé doit être à proximité de celui‑ci, par conséquent, l’imprévisibilité est un facteur extrêmement négatif pour l’obtention de services de garde.

[188] En ayant recours à des membres de sa famille pendant une période de trois jours, même si Mme Johnstone et son mari devaient transporter leurs enfants à trois lieux différents pendant ces jours, elle était en mesure de proposer à son employeur sa disponibilité la plus souple possible à ce moment-là : travailler les mêmes trois jours par semaine, mais sans préciser d’heures de début, de lieux ou de durée de quarts de travail et la possibilité de travailler pendant des heures supplémentaires et de remplir ses pleines fonctions d’ASF.

[189] Mme Friendly a témoigné au sujet d’obstacles en matière de financement et de coûts qui existent pour les familles canadiennes moyennes. Les périodes de congé de maternité financées par le gouvernement se sont allongées au cours des 30 dernières années, augmentant à une année complète en 2003. Au cours de la même période, les crédits d’impôt gouvernementaux et les prestations pour enfants ont aussi augmenté pour les familles. Ces crédits et prestations ont aidé les familles et ils ne sont pas offerts dans tous le pays, comme les États-Unis. Par conséquent, les données des États-Unis à ce sujet ne sont pas fiables lorsqu’on applique la question au Canada.

[190] De plus, des subventions sont disponibles pour les familles à faible revenu (seulement si des services de garde enregistrés sont utilisés), mais ne sont pas offerts aux familles à revenu moyen. La majorité des familles canadiennes, y compris celle de Mme Johnstone, fait partie de la catégorie du revenu moyen par définition et ce sont ces familles qui ont de la difficulté à payer pour des services de garde offerts par des tiers, mais qui ont un trop gros revenu pour pouvoir obtenir des subventions.

[191] Mme Friendly a cité l’une des principales expertes américaines dans son domaine, Harriet Presser (une démographe à l’Université Harvard), qui a écrit un livre en 2003 à ce sujet. MmePresser a déclaré qu’il est [Traduction] rare que deux personnes dans un couple travaillent pendant des quarts de travail imprévisibles et que la majorité des couples s’organisent principalement entre époux et avec l’aide de leurs familles. Mme Presser a écrit de nombreux articles dans ce domaine et a inventé l’expression [Traduction] personnes à vie de famille fractionnée, pour les couples à deux revenus qui travaillent pendant des quarts différents afin de pouvoir satisfaire leurs besoins en services de garde.

[192] L’avocat de l’ASFC a posé de nombreuses questions à Mme Friendly en contre‑interrogatoire au sujet des nombreux facteurs qui entrent en compte dans la décision d’une personne d’obtenir des services de garde offerts par un tiers. Mme Friendly a reconnu que de nombreux facteurs entrent en compte dans un tel choix, y compris le coût, le type de service, le lieu, la disponibilité, la qualité et la confiance que la personne ressent envers le fournisseur de service. Le type de quart de travail et le nombre d’heures travaillées ne sont pas les seuls facteurs déterminants.

[193] Bien qu’il semble évident que de nombreux facteurs entrent en compte dans les choix individuels, la plainte porte sur une situation où il n’y avait pas de services de garde offerts par un tiers disponibles pour les heures où Mme Johnstone travaillait et ni son époux, ni d’autres membres de sa famille ne pouvaient combler l’écart complètement.

[194] Dans une telle situation, la personne doit soit tenter d’obtenir des mesures d’adaptation auprès de son employeur, soit quitter son emploi chez cet employeur (option que Mme Duxbury a expliquée dans son témoignage). Mme Johnstone souhaitait établir une carrière à l’ASFC. Elle avait investi du temps, elle avait suivi des formations spéciales pour son poste et elle aimait son travail. Ses évaluations de rendement et sa propre évaluation de son travail montrent qu’elle faisait bien son travail. Il ne semble pas déraisonnable au Tribunal que Mme Johnstone souhaite garder son emploi à l’ASFC et demande des mesures d’adaptation pour son horaire par quarts de travail jusqu’à ce que ses enfants soient d’âge scolaire, c’est‑à‑dire jusqu’à l’âge de 5 ou 6 ans.

[195] Finalement, Mme Friendly a confirmé que la personne qui cherche un service de garde convenable offert par un tiers fait face à un spectre de difficultés qui dépend de ses besoins particuliers. Elle a déclaré qu’elle était d’avis que la situation de Mme Johnstone était [Traduction] l’une des situations de service de garde les plus difficiles qu’elle puisse imaginer en raison des facteurs suivants : des quarts de travail différents à différentes heures et à différents jours, y compris la fin de semaine; les heures supplémentaires; les quarts de travail à toute heure du jour ou de la nuit; et le fait que son époux avait le même type d’horaire de travail qu’elle.

E. La preuve prima facie

[196] Le critère pour l’établissement d’une preuve prima facie est énoncé dans la décision Martin c. Gouvernement de la bande Saulteaux, (2002) CanLII 23560 (T.C.D.P.), au paragraphe 24 (Martin) et dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears (O’Malley), [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28.

[197] Essentiellement, la preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de Mme Johnstone, en l’absence de réplique de la partie intimée. Si le Tribunal conclue que la preuve prima facie est établie, il incombe alors à la partie intimée de démontrer que, malgré le fait qu’il y a eu discrimination, elle découlait d’exigences professionnelles justifiées et que l’accommodement des personnes affectées imposerait une contrainte excessive à l’employeur.

[198] À cette étape, les deux questions dont le Tribunal est saisi sont :

  • L’ASFC a-t-elle commis un acte discriminatoire, par des moyens directs ou indirects

    b) en défavorisant Mme Johnstone en cours d’emploi pour le motif de distinction illicite de la situation de famille?

  • L’ASFC a-t-elle commis un acte discriminatoire en fixant ou en appliquant des lignes de conduite ou en concluant des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, la mutation ou tout autre aspect de l’emploi qui étaient susceptibles d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement de Mme Johnstone en raison du motif de distinction illicite de la situation de famille?

[199] Habituellement, pour établir une preuve prima facie de discrimination, le plaignant doit simplement démontrer qu’une politique a eu des répercussions discriminatoires envers lui en raison d’une caractéristique personnelle qui est reconnue comme motif de distinction illicite. Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), [2005] A.C.F. no 731, aux paragraphes 27 et 28 (Morris).

[200] Dans la présente instruction, le motif de discrimination allégué est la situation de famille. Les parties ne s’entendent pas sur la définition de situation de famille au sens des articles 3, 7 et 10 de la LCDP et, par conséquent, le Tribunal doit traiter de la signification de l’expression situation de famille avant de pouvoir décider si la plaignante a présenté une preuve prima facie.

[201] De plus, l’ASFC et d’avis que le motif de situation de famille entraîne un fardeau de preuve plus lourd pour établir une preuve prima facie que les autres motifs énoncés dans la LCDP. Au soutien de cette thèse, l’ASFC se fonde sur l’affaire Health Sciences Association of British Columbia c. Campbell River and North Island Transition Society, [2004] D.C.D.P. no 33 (Campbell River), et sur les décisions des tribunaux des droits de la personne provinciaux et des arbitres fédéraux qui ont suivi l’approche de la décision Campbell River à ce sujet.

La situation de famille

[202] En ce qui a trait à la définition de l’expression situation de famille utilisée dans la LCDP, Mme Johnstone cite les décisions précédentes du TCDP dans Brown analysées à la section IV ci‑dessus, et Wolden c. Lynn, [2002], D.C.D.P no 18 (Wolden).

[203] Les faits dans la décision Brown sont très semblables à ceux en l’espèce et l’intimée dans la décision Brown était le prédécesseur de l’ASFC. Le TCDP a conclu que la plainte était fondée dans la décision Brown et, pour tirer cette conclusion, il a examiné la nature de la situation de famille.

[204] À la page 14 de la décision Brown, le Tribunal a défini le motif de la situation de famille comme suit :

  1. …la preuve doit indiquer que la situation de famille comprend le fait d’être parent et les tâches et obligations de cette personne comme membre de la société et que la plaignante était un parent qui devait remplir ces tâches et obligations.

[205] Aux pages 18 et 19 de la décision Brown, le Tribunal a déclaré que le motif de situation de famille comprenait :

  1. … [les] obligations ainsi que [les] devoirs au sein de la famille et l’interprétation de l’article 2 de la LCDP en fonction de son objet consiste à reconnaître clairement, dans le contexte de la situation de famille, le droit et l’obligation du parent de chercher à atteindre cet équilibre ainsi que l’obligation manifeste pour l’employeur d’aider le parent à cet égard en fonction des critères énoncés dans l’arrêt Alberta Dairy Pool. Une interprétation moins sérieuse des problèmes auxquels la famille moderne fait face dans le milieu de travail enlèverait tout son sens au concept de la situation de famille comme motif de discrimination.

[206] Mme Johnstone soutient qu’il est bien établi que l’objectif de l’ensemble des lois sur les droits de la personne est de protéger et de consacrer les droits et la dignité des Canadiens. Par conséquent, les codes des droits de la personne doivent être interprétés de façon large et libérale.

[207] Mme Johnstone se fonde aussi sur l’arrêt B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2002] A.C.S. no 67 (B. c. Ontario) aux paragraphes 44 et 45, dans lequel la Cour suprême a confirmé que pour établir qu’il a subi un acte discriminatoire, un plaignant qui se fonde sur la situation de famille n’a qu’à démontrer qu’il a été arbitrairement défavorisé en raison de son état […] familial. En d’autres mots, la Cour suprême a adopté une interprétation large et libérale de la LCDP.

[208] Mme Johnstone accepte que l’obligation familiale en question doive être importante, cependant, une fois cette conclusion tirée, alors l’interférence avec cette obligation est suffisante pour établir une preuve prima facie de discrimination.

[209] Mme Johnstone a aussi mentionné l’affaire Hoyt c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2006] D.C.D.P. no 33 (Hoyt). Dans la décision Hoyt, la plaignante travaillait dans le domaine des chemins de fer et avait demandé des mesures d’accommodement à son employeur pour pouvoir travailler pendant un quart de travail en particulier qui lui permettrait de s’organiser pour trouver des services de garde pour son enfant. Une fois de plus, le TCDP a accepté que la portée de la situation de famille comprenait les obligations parentales de la même nature que celles de Mme Johnstone.

[210] L’interprétation de situation de famille au sens de la LCDP comme comprenant les obligations familiales et parentales, dont les soins aux enfants, a été adoptée dans de nombreuses décisions :

Wight c. Ontario (Office of the Legislative Assembly), [1998] O.H.R.B.I.D. no 13 (Wight)

Canada Post Corp. c. Canadian Union of Post Workers (Somerville Grievance, CUPW 790-03-00008, Arb. Lanyon), [2006] C.L.A.D. no 371 au paragraphe 66

Rennie c. Peaches and Cream Skin Care Ltd., (4 décembre 2006) Human Rights Panel of Alberta (non publié) aux paragraphes 51, 53 et 54

Canadian Staff Union c. Canadian Union of Public Employees (Reynolds Grievance), [2006] N.S.L.A.A. no 15

Ontario Public Service Employees Union c. Ontario Public Service Staff Union (DeFreitas Grievance), [2005] O.L.A.A. no 396, aux paragraphes 19 à 21

[211] Le Tribunal note que même la décision Campbell River et les décisions qui l’ont suivie et ont adopté la même approche acceptent tout de même que les obligations en matière de service de garde font partie de la définition de situation de famille au sens de la LCDP. Le débat entre ces décisions et celles citées par Mme Johnstone porte sur le fardeau requis dans de tels cas pour établir une preuve prima facie et non sur la signification de situation de famille.

[212] La Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans la décision Campbell River a renversé la décision de l’arbitre à ce sujet et a accepté que les responsabilités parentales (dans cette affaire, une mère qui doit prendre soin d’un enfant qui a des troubles du comportement) font partie de la définition de situation de famille.

[213] On peut dire la même chose du contrôle judiciaire que la Cour fédérale a effectué au sujet du rejet initial par la CCDP de la plainte de Mme Johnstone, mentionné au paragraphe 72 ci‑dessus. Le juge Barnes, en infirmant le rejet de la CCDP de la plainte de Mme Johnstone, ne s’est pas formalisé que la plainte tombât sous le coup de la définition de situation de famille au sens de la LCDP. Cette décision était axée sur une critique de l’approche prise dans la série de décisions suivant Campbell River à savoir si l’atteinte est suffisante ou s’il faut conclure qu’il y a eu atteinte grave aux intérêts protégés de la plaignante. Johnstone c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no 43 (Johnstone)

[214] L’ASFC demande une interprétation plus restreinte en soutenant que le droit à ce sujet est incertain.

[215] L’ASFC prétend que la protection de la LCDP ne s’étend pas aux obligations familiales parce que seules les distinctions fondées sur l’état au sens absolu d’une personne en tant que membre d’une famille constitue la situation de famille dans la LCDP. L’ASFC nie que la protection s’étend aux activités ou aux responsabilités liées au statut d’une personne à titre de père ou de mère.

[216] Dans l’arrêt B. c. Ontario, la Cour suprême du Canada a traité de l’expression statut comme comprenant la participation à titre de membre dans une catégorie ou un groupe et incluant tant la définition absolue que la définition relative de l’existence ou de l’absence d’une relation avec une autre personne. La décision traitait aussi du désavantage arbitraire subi, mais ne donnait pas de définition exhaustive de la situation de famille au sens du Code des droits de la personne de l’Ontario, qui est une loi provinciale semblable à la loi fédérale. Au paragraphe 57 de l’arrêt, la Cour suprême a parlé d’une personne à qui on a réservé un traitement différent pour l’un des motifs énumérés.

[217] L’ASFC incite le Tribunal à ne pas suivre les décisions précédentes du TCDP dans Brown, Wolden et Hoyt. L’ASFC demande au Tribunal d’adopter une interprétation téléologique qui ne va pas au‑delà de l’objet véritable du droit ou de la liberté énoncé dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart, [1985] 1 R.C.S. 295, paragraphe 117.

[218] L’ASFC met le Tribunal en garde contre les périls d’une approche qui présume que tout conflit entre les obligations du travail et les obligations familiales constitue de la discrimination fondée sur le motif de situation de famille. À cet effet, l’ASFC cite l’affaire Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] A.C.S. no 4, au paragraphe 49, motifs de la juge Abella (McGill), pour soutenir que la situation de famille ne devrait pas être interprétée de façon à favoriser et à promouvoir un arrangement familial en particulier, parce que ce ne sont pas toutes les situations qui se verront accorder une protection, seulement celles qui sont réellement discriminatoires.

[219] Le Tribunal ne conclut pas que la déclaration de la juge Abella entre en conflit avec la plainte présentée par Mme Johnstone.

[220] Le Tribunal accepte que ce ne sont pas toutes les tensions qui ont lieu dans le contexte de l’équilibre travail/vie-personnelle qui peuvent être traitées par la jurisprudence en matière de droits de la personne, mais ce n’est pas l’argument qui a été présenté en l’espèce. L’argument de Mme Johnstone est qu’une telle protection devrait être donnée lorsque appropriée et raisonnable, compte tenu des circonstances présentées.

[221] Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous traitons ici du cas d’une vraie personne qui a des obligations envers ses jeunes enfants et des répercussions importantes sur la capacité de cette personne de remplir cette obligation. Il ne revient pas au Tribunal de traiter de toutes les obligations familiales et de tous les conflits entre le travail d’un employé et ses obligations.

[222] L’ASFC a présenté dans ses observations des renseignements sur l’historique du motif de situation de famille compris dans la LCDP et dans les codes des droits de personne provinciaux, en y incluant une référence au Hansard citant le discours du ministre de la Justice d’alors, le 20 décembre 1982. Le ministre de la Justice, il y a 27 ans, a déclaré que l’inclusion de la situation de famille signifie que vous ne pouvez pas être coupable par association et que l’on ne peut pas refuser un emploi à quelqu’un parce que quelqu’un d’autre de sa famille a une faiblesse quelconque. On ne peut donc pas invoquer cela pour refuser un emploi à quelqu’un. Chaque personne doit être jugée sur ses propres mérites et compétences, et non pas sur sa situation de famille.

[223] Dans l’arrêt Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, la Cour suprême du Canada a appliqué l’approche moderne d’Elmer Driedger à l’interprétation des lois, en faisant référence à la 2e édition de son livre Construction of Statutes. Cette approche précise que : [Traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. En d’autres mots, l’ intention du législateur supposée, dans la mesure où on peut la deviner dans les mots d’un ministre, n’est pas le seul facteur déterminant. C’est particulièrement le cas lorsque le contexte et l’esprit de la loi laissent entrevoir le contraire.

[224] Lorsque le ministre a fait sa déclaration en 1982, sur laquelle l’intimée se fonde, l’obligation d’accommodement en emploi ne paraissait pas dans la LCDP. Plus particulièrement, l’expression la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins ne faisait pas partie de la disposition portant sur l’objet de la LCDP (l’article 2). L’inclusion de cette notion dans la disposition portant sur l’objet, de façon séparée et distincte de son inclusion à l’article 15, a permis d’élargir l’interprétation de la LCDP afin que l’égalité des occasions signifie maintenant plus que le fait de ne pas être entravé par des stéréotypes ou des préjugés ( coupable par association ). Cela comprend le fait de tenir compte des besoins des gens. Par conséquent, le Tribunal est d’avis que la situation de famille ne devrait pas être limitée à l’identification d’une personne à titre de parent ou par rapport au lien familial avec une autre personne. Elle doit comprendre les besoins et les obligations qui découlent naturellement de cette relation.

[225] Bien que le contexte historique présenté par l’intimée soit un facteur, le Tribunal conclut qu’il n’est pas persuasif à titre d’explication exhaustive de la signification actuelle de situation de famille au sens de la LCDP, compte tenu des modifications à la LCDP et de la jurisprudence développée au cours des dernières années.

[226] L’ASFC cite aussi le grief Whyte et le grief Simcoe Country District School Board and Ontario Public Service Employees Union, Local 330, (2002), 103 L.A.C. (4th) 309 (Griffith).

[227] Dans Whyte, l’employé avait entièrement le fardeau de s’adapter à tout besoin associé avec le fait de travailler pour une compagnie qui fonctionne 24 heures par jour, 7 jours par semaine, telle qu’une compagnie de chemins de fer. La décision concluait que [Traduction] en échange pour leur acceptation de ces lourdes obligations, les employés de la compagnie de chemins de fer ont obtenu l’avantage de salaires relativement généreux et de bons avantages sociaux. Cela laisse entendre que l’employeur peut agir de façon discriminatoire, tant qu’il paie bien ses employés, sans définition de ce que signifie relativement généreux ou sans comparaison.

[228] Dans Griffith, une personne qui souhaitait utiliser des congés de maladie pour quitter le travail plus tôt deux fois par semaine pour s’occuper de son enfant a vu sa demande rejetée. L’arbitre a conclu que le refus de l’employeur ne constituait pas de la discrimination fondée sur la situation de famille.

[229] Le Tribunal ne trouve pas les décisions dans les griefs Whyte ou Griffith persuasives.

[230] Les deux parties se fondent sur leur propre interprétation de l’article 2 de la LCDP en ce qui a trait à leurs arguments, mais le Tribunal conclut que rien dans l’article 2 ne crée une interprétation restrictive et étroite de la situation de famille.

[231] Au contraire, l’objectif sous-jacent de la LCDP, comme je l’ai dit, est de fournir à toute personne un mécanisme garantissant le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins […]. Il est raisonnable que les protections fournies comprennent celles découlant naturellement de l’une des relations les plus fondamentales de la société qui existent, celles du père ou de la mère envers son enfant. Le fait que le libellé de l’article 2 mentionne l’égalité des chances d’épanouissement prouve que la LCDP reconnaît que les individus font des choix distincts, y compris celui d’avoir des enfants, et que la LCDP protège tous les individus contre la discrimination envers ces choix.

[232] L’ASFC se fonde sur la décision Schaap c. Canada (Forces armées canadiennes), [1988] A.C.F. (Schaap), une affaire qui portait sur la discrimination fondée sur l’état matrimonial dans l’attribution de logements militaires, et cite le juge Marceau à la page 3 de cette décision dans ses observations finales. Le Tribunal a tiré certaines des citations utilisées par l’ASFC et les interprète de façon différente pour la plainte. Le juge Hugessen a déclaré que les décisions doivent être fondées sur la valeur ou les qualités des individus et non sur des stéréotypes de groupe. Le juge Marceau a pour sa part écrit : Cette intention n’est-elle pas en parfaite harmonie avec l’objet de toute législation en matière de droits de la personne, soit de prévenir la victimisation des individus en raison de caractéristiques non pertinentes sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle […], ou à l’égard desquelles leur liberté de choix est d’une importance tellement vitale qu’elle ne doit en aucun cas être freinée par la peur d’éventuelles conséquences discriminatoires […].

[233] Le Tribunal conclut que la liberté de choisir de devenir père ou mère est si vitale qu’elle ne devrait pas être restreinte par la crainte de subir des conséquences discriminatoires. En tant que société, le Canada devrait reconnaître cette liberté fondamentale et appuyer ce choix autant que possible. Pour l’employeur, cela signifie évaluer les situations telles que celles de Mme Johnstone de façon individuelle et travailler avec elle pour créer une solution fonctionnelle qui équilibre ses obligations parentales avec ses occasions d’emploi, sauf contrainte excessive.

[234] Ayant conclu que le motif de situation de famille comprend les responsabilités envers les enfants du type et de la durée mentionnés par Mme Johnstone, le Tribunal doit maintenant examiner les deux questions présentées au paragraphe 199 ci‑dessus, pour déterminer si Mme Johnstone a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur ce motif en l’absence d’une réponse de l’ASFC, s’appuyant sur les décisions Martin et O’Malley.

[235] Une fois de plus, les parties ne s’entendent pas sur le critère auquel Mme Johnstone doit satisfaire pour établir une preuve prima facie de discrimination. Mme Johnstone adopte le critère peu exigeant établi dans la décision Morris. Les enseignements de l’arrêt B. c. Ontario permettraient aussi à Mme Johnstone de démontrer qu’elle a subi un désavantage arbitraire fondé sur sa situation de famille. Le Tribunal conclut que l’ASFC a adopté une politique non écrite et une pratique visant à arbitrairement forcer toute personne qui demandait des accommodements pour des raisons d’obligations familiales, telles que prendre soin de jeunes enfants, à ne travailler que 34 heures par semaine ou moins en échange d’un honoraire différent de l’horaire habituel établi par l’EPHV. Bien que l’ASFC eût fait des évaluations individuelles et des changements pour les personnes qui demandaient des mesures d’adaptation pour des motifs médicaux et religieux, et qu’assez souvent, elle ne respectât pas sa propre politique arbitraire, l’ASFC a été inflexible dans le cas de Mme Johnstone.

[236] L’ASFC adopte le raisonnement de la décision Campbel River selon lequel il existe un critère différent et plus exigeant pour les cas de discrimination fondée sur la situation de famille. Dans la décision Campbell River, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique avait conclu que les décisions du TCDP dans Brown et Wolden étaient [Traduction] trop générales. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique ne suit pas les directives de la Cour suprême du Canada dans les arrêts O’Malley et Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. Le gouvernement de la province de la Colombie-Britannique représenté par la Public Service Employee Relations Commission, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin).

[237] La décision Campbell River adopte plutôt un nouveau critère plus important pour lequel il faut déterminer si l’employeur a fait preuve de mauvaise fois et s’il y a eu un changement dans une condition d’emploi qui a entraîné une atteinte grave à un devoir ou à une obligation parentale importante de l’employé. La décision Hoyt a rejeté cette analyse restrictive et le Tribunal en fait autant.

[238] Le Tribunal est d’accord avec Mme Johnstone au sujet du fait qu’une personne ne devrait pas avoir à tolérer un certain niveau de discrimination avant de se voir accorder la protection de la LCDP. Le juge Barnes était du même avis dans la décision Johnstone. Soit il y a discrimination, ou il n’y en a pas, dans tout processus de plainte. S’il y a discrimination, il ne peut pas y avoir hiérarchie des motifs. La LCDP ne va pas en ce sens.

[239] Dans la décision récente Rajotte c. Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada et al., 2009 TDFP 0025, datée du 7 août 2009 (Rajotte), le Tribunal de la dotation de la fonction publique a examiné une plainte d’une employée présentée contre la même intimée que la plainte en l’espèce. La plaignante était une mère qui soutenait qu’on n’avait pas examiné sa candidature pour un certain poste ou des postes en raison d’un abus de pouvoir par l’ASFC et en raison de sa situation de famille.

[240] Dans la décision Rajotte, le Tribunal de la dotation de la fonction publique a suivi le raisonnement et la décision dans Brown, Wolden, Hoyt et Johnstone au sujet de la définition de situation de famille ainsi qu’au sujet du critère de l’établissement de la preuve prima facie, dans les arrêts O’Malley et Meiorin. La décision Rajotte rejette expressément l’approche dans la décision Campbell River.

[241] L’ASFC a demandé à pouvoir traiter de l’affaire Rajotte devant le Tribunal, parce que la décision a été rendue seulement deux semaines après que les observations eurent été terminées pour la présente audience. Cependant, le Tribunal a décidé que toute observation supplémentaire n’était pas nécessaire. La décision Rajotte est explicite et le Tribunal conclut qu’elle est pertinente quant à la plainte en espèce, mais pas contraignante.

[242] Le Tribunal conclut que Mme Johnstone a établi une preuve prima facie de discrimination exercée en contravention des articles 7 et 10 de la LCDP, parce que l’ASFC a appliqué des pratiques discriminatoires et arbitraires en cours d’emploi qui ont constitué une distinction illicite envers Mme Johnstone fondée sur sa situation de famille. L’ASFC a usé de pratiques discriminatoires en fixant et en appliquant une politique non écrite communiquée à la gestion et appliquée par la gestion qui affectait les occasions d’emploi de Mme Johnstone, notamment la promotion, la formation, la mutation et les avantages sociaux, pratiques fondées sur le motif de distinction illicite de la situation de famille.

[243] La politique et les pratiques fixées et appliquées par l’ASFC sont fondées sur le point de vue que la situation de famille au sens de la LCDP ne comprend pas les obligations familiales de la nature de celles de Mme Johnstone. L’ASFC a forcé Mme Johnstone à accepter un statut d’employé à temps partiel, affectant ainsi négativement son emploi.

[244] L’ASFC prend des mesures d’adaptation pour les personnes qui demandent un accommodement pour des raisons médicales et religieuses en leur créant des horaires qui ne respectent pas l’EPHV, parfois de façon permanente. De plus, l’ASFC n’a pas suivi uniformément cette politique non écrite arbitraire et discriminatoire, entraînant ainsi le fait que certains employés dans la même situation que Mme Johnstone ont eu comme mesures d’adaptation des horaires à temps plein et des quarts de travail fixes ou des avantages sociaux à temps plein même s’ils travaillaient à temps partiel et des quarts de travail fixes.

[245] Il convient de noter que l’ASFC et ses prédécesseurs ont la directive du TCDP et de la CCDP depuis 1993 d’élaborer des politiques d’accommodement pour les employés qui demandent des mesures d’accommodement en raison de leur situation de famille et qu’elle sait que ces deux entités ont interprété la situation de famille comme signifiant les responsabilités familiales du type et de la nature de celles de Mme Johnstone. Le témoignage de Mme Johnstone était sans équivoque : on ne lui a pas posé de question sur sa situation personnelle ni sur les difficultés auxquelles elle faisait face, mais on a appliqué envers elle la politique non écrite arbitraire susmentionnée selon laquelle elle devait soit se plier aux exigences de l’EPHV, soit réduire son horaire à 34 heures par semaine si elle souhaitait obtenir des quarts de travail fixes. L’ASFC n’a pas tenté de prendre des mesures particulières à la situation de Mme Johnstone parce qu’elle ne traite pas de telles demandes comme relevant de la portée des lois fédérales en matière de droits de la personne.

[246] Le Tribunal a demandé à M. Star s’il y a quelqu’un à l’ASFC qui travaille maintenant, ou qui a travaillé au cours des deux dernières années, dans le poste de conseiller en équité en matière d’emploi ou de coordonnateur des dossiers de déficience et d’accommodement, comme le recommandait l’ébauche de politique d’accommodement, et la réponse a été négative.

[247] M. Star a témoigné que deux superviseurs ont été nommés pour coordonner (et surveiller) précisément les questions d’accommodement pour raisons médicales. Ils n’ont pas de pouvoir de décision. Il existe un comité composé de M. Norm Sheridan, Mme Rhonda Raby, M. Darren Millet et possiblement d’autres, qui examinent les demandes d’accommodement médical, cas par cas.

[248] Lorsque le Tribunal a demandé qui traitait les demandes d’accommodement pour des raisons autres que médicales, M. Star a témoigné que les mêmes deux superviseurs recueillent les renseignements et transfèrent les demandes au même comité pour qu’il prenne une décision.

[249] Le Tribunal a aussi demandé à M. Star si un fonds national des aménagements spéciaux existait à l’ASFC comme le recommandait l’ébauche de politique d’accommodement, et la réponse a été négative.

VI. Le dossier de l’intimée

A. Le témoignage de Norm Sheridan

[250] M. Sheridan est le directeur du district des Opérations des passagers pour l’ASFC au TAP, l’un des districts des Opérations de l’ASFC dans la région du Grand Toronto. Il a aussi occupé ce poste supérieur pour les prédécesseurs de l’ASFC à partir du 1er avril 1999.

[251] La position de l’ASFC, telle que présentée par M. Sheridan et l’avocat de l’intimée, est que les employés qui demandent des mesures d’adaptation pour des obligations parentales le font en raison de choix qu’ils ont faits dans leur vie, pour lesquels l’employeur n’a aucune responsabilité. Par conséquent, bien que l’intimée soit prête à faire quelques ajustements à l’horaire d’un tel employé, elle qualifie ces ajustements d’ ententes plutôt que d’ accommodements.

[252] Auparavant, comme je l’ai mentionné au paragraphe 58, M. Sheridan occupait un poste à la haute direction de l’ASFC, tenant les portefeuilles des Opérations et des Ressources humaines du TAP et du Bureau régional du Grand Toronto. En tout, M. Sheridan a travaillé pour l’ASFC ou ses prédécesseurs depuis 1979, où il a commencé son emploi à titre d’inspecteur des douanes.

[253] En raison de sa longue expérience comme employé de l’intimée et en raison de ses responsabilités de cadre supérieur, M. Sheridan a beaucoup de connaissances au sujet de la structure de l’ASFC quant aux fonctions du TAP et quant aux questions en l’espèce. Il se souvient très bien des dates de transition d’un prédécesseur de l’ASFC à un autre. Il a confirmé que l’ASFC a été créée le 12 décembre 2003.

[254] À la création de l’ASFC, la partie des douanes a été retirée de la responsabilité de l’Agence canadienne des douanes et du revenu (ADRC), la partie du Bureau intérieur de l’Immigration a été retirée des responsabilités de Citoyenneté et Immigration et la partie de l’inspection des aliments, des plantes et des animaux a été retirée des responsabilités de l’Agence canadienne de l’inspection des aliments. Le 8 octobre 2004, la responsabilité quant aux points d’entrée de Citoyenneté et Immigration a été transférée à l’ASFC, pour créer l’agence complète qu’on connaît aujourd’hui.

[255] M. Sheridan a décrit le mandat de l’ASFC en date de janvier 2004 au TAP comme étant la facilitation du déplacement des personnes et des biens à faible risque au Canada, tout en détectant et en interdisant les personnes et les biens présentant un fort risque, y compris les produits de l’agriculture tels que les plantes, ainsi que les animaux. Ce mandat vise à assurer la sécurité et la sûreté des Canadiens.

[256] Au TAP, à cette époque, la responsabilité des points d’entrée de l’immigration n’avait pas encore été transférée, cependant, le mandat des douanes donnait de longue date à l’ASFC au TAP le pouvoir d’effectuer des [Traduction] fonctions préliminaires en matière d’immigration ou le [Traduction] contrôle sécuritaire préliminaire.

[257] En 2004, il y avait trois terminaux fonctionnels, y compris l’East Hold mentionné précédemment. Les responsabilités des ASF aux Opérations des passagers comprenaient, et comprennent toujours :

  • La ligne d’inspection primaire : lorsque le public voit les inspecteurs dans des cabines ;
  • L’immigration : où des voyageurs sont référés par la ligne d’inspection primaire, tels que les immigrants se présentant pour la première fois au Canada, les demandeurs d’asile, les personnes qui ont des visas et les personnes qui devraient être interdites de territoire en raison de leur criminalité ;
  • L’inspection secondaire des douanes : où les voyageurs paient les droits de douanes et les taxes et où les bagages sont inspectés.

[258] Les ASF à la ligne d’inspection primaire déterminent s’il faut renvoyer un voyageur à l’inspection secondaire, où l’ASF examinera les documents du voyageur, la raison du renvoi et déterminera quelles autres mesures doivent être prises, y compris la détention ou la saisie. Le renvoi est principalement fait par voie de système de code écrit sur la déclaration douanière du voyageur.

[259] Quelques ASF n’ont pas encore reçu la formation au sujet des droits de douanes actuels pour la nourriture, l’immigration et les douanes. Depuis juillet 2005, la formation régulière des ASF à Rigaud (Québec) comprend maintenant la formation au sujet de tous les droits, y compris une familiarisation avec les lois pertinentes. Cela comprend une formation sur les tactiques de maîtrise et de défense et une formation sur tous les processus qu’un ASF doit suivre dans son travail habituel. La formation des ASF dure environ 14 semaines. D’autres formations sont aussi disponibles et certaines formations sont données plus tard dans certains lieux précis.

[260] Les ASF sont responsables du contrôle des armes à feu, des drogues contrôlées, de biens d’agriculture, y compris les plantes, les animaux, les graines et les produits laitiers. L’inspection des biens peut aussi comprendre l’inspection d’explosifs, de produits de télécommunications, de métaux précieux, de médicaments, d’armes, de pornographie infantile et de biens contrôlés tels que les biens culturels, les objets historiques, les pierres précieuses telles que les diamants, etc.

[261] À Gateway, M. Sheridan a décrit le travail d’un ASF comme étant l’examen du courrier qui entre au Canada, y compris les colis et les documents traités tant à la ligne d’inspection primaire qu’à la ligne d’inspection secondaire. Le travail d’un ASF aux Opérations commerciales comprend une interaction limitée avec le public et est axé principalement sur les biens importés au Canada pour des raisons commerciales.

[262] M. Sheridan a confirmé que les tâches effectuées par les ASF en 2004 et présentement aux Opérations des passagers, aux Opérations commerciales et à Gateway sont établies dans une description de tâches universelle et une classification.

[263] M. Sheridan a décrit son rôle de directeur comme étant un rôle visant à assurer le fonctionnement efficace et efficient du TAP pour le contrôle des voyageurs et de leurs biens. Cela se fait par le biais de 10 chefs des Opérations subordonnés. Chacun de ces chefs des opérations, sauf pour un chef qui travaille à un projet en particulier, a des surintendants qui relèvent de lui. Les surintendants ont chacun une équipe d’ASF dont ils sont responsables et ce sont les ASF en première ligne qui [Traduction] font le travail.

[264] M. Sheridan a déclaré qu’il reçoit un budget chaque année de son patron, le Directeur général régional pour la région du Grand Toronto. On s’attend à ce qu’il examine constamment son programme et qu’il cible des façons de l’améliorer en respectant les paramètres et les directives établis par région dans le cadre des lois applicables.

[265] M. Sheridan a donné beaucoup de détails sur les opérations du TAP et sur sa structure, a produit des organigrammes et divers exemples d’horaires de travail pour démontrer les subtilités de l’EPHV, parce qu’un ASF travaille pendant une période donnée par quarts de travail rotatifs changeants.

[266] Bien qu’un témoignage extensif eût été donné au sujet des Opérations du TAP, le témoignage le plus pertinent de M. Sheridan en ce qui a trait à la plainte en l’espèce portait sur la justification de l’ASFC au sujet des demandes d’adaptation, le point de vue de l’ASFC au sujet de telles demandes fondées sur des responsabilités familiales, la méthodologie utilisée pour traiter les demandes d’adaptation pour raisons médicales et religieuses, ainsi que la façon dont l’ASFC et ses prédécesseurs ont traité les diverses décisions mentionnées ci‑dessus à la partie IV au sujet du traitement des demandes fondées sur la situation de famille au sein de l’ASFC et en particulier au TAP.

[267] Il ne fait aucun doute que le TAP est une opération internationale très occupée qui a un mandat important et qui, par nécessité, fonctionne 24 heures par jour, 7 jours par semaine pour remplir son mandat. Cependant, le Tribunal a ultimement conclu que le niveau de détail des opérations n’aide pas vraiment à traiter les questions fondamentales dont il est saisi.

[268] L’ASFC ne perçoit pas les employés qui ont besoin d’accommodement pour leurs responsabilités familiales comme étant un groupe qui relève de la protection de la LCDP. L’ASFC est d’avis que de tels employés qui ne peuvent pas respecter l’horaire de quart de travail de l’EPHV ont le choix de travailler à temps partiel, de prendre un congé sans solde pour les soins et l’éducation d’un enfant de trois semaines jusqu’à cinq ans ou de démissionner. M. Sheridan a résumé cette position en disant [Traduction] les employés prennent leurs propres décisions.

[269] En contre-interrogatoire, M. Sheridan a témoigné que toutes les demandes d’accommodement non médicales portent le nom distinct d’ ententes, y compris les demandes fondées sur des raisons familiales, des choix de vie, des besoins en raison d’études et des pratiques religieuses. Il a déclaré qu’auparavant, toutes ces demandes étaient qualifiées par la gestion d’ accommodements, mais qu’une décision avait bel et bien été prise afin de [Traduction] reprendre le contrôle de la situation réelle en utilisant des termes différents pour décrire les choses différentes.

[270] Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire s’il y avait beaucoup de demandes d’employées en retour de congé de maternité ou d’employés qui ont déjà des enfants pour des mesures d’accommodement les exemptant de l’EPHV, M. Sheridan a répondu par la négative.

[271] M. Sheridan a mentionné qu’en vertu de la convention collective, il existe un certain nombre de congés sans solde différents pour les parents ainsi que d’autres aides telles que le Programme d’aide aux employés qui fournissent des services gratuits pour différents problèmes, comme les recommandations pour des problèmes de santé, les recommandations pour les soins aux aînés ou aux enfants et les séances de counselling pour les dépendances et les maladies mentales.

[272] M. Sheridan a déclaré qu’il n’était pas au courant des stratégies et des objectifs de l’ADRC ou de l’ASFC visant à appuyer l’équilibre travail/vie personnelle et qu’il n’avait rien reçu à ce sujet de la part de la haute direction. Même s’il était directeur des Ressources humaines dans la région du Grand Toronto pour l’ASFC en 1993 lorsque la décision Brown a été rendue, il n’a aucune connaissance de politiques découlant de cette décision qui auraient été adoptées par l’ASFC ou ses prédécesseurs.

[273] En ce qui a trait aux raisons opérationnelles de l’existence de l’EPHV, M. Sheridan a témoigné que la rotation de tous les ASF dans un horaire de quarts de travail répartis sur 24 heures permet aux employés de partager équitablement les quarts de travail populaires et moins populaires. Cela expose aussi les ASF à différents types de voyageurs et à différents niveaux d’achalandage.

[274] Les quarts de travail de minuit sont les moins populaires, cependant, certains employés préfèrent travailler seulement pendant le quart de travail de minuit. Par conséquent, dans la dernière version de l’EPHV au TAP, des quarts de travail fixes de minuit ont été ajoutés.

[275] M. Sheridan a aussi témoigné que la nouvelle EPHV permet à certains employés de travailler pendant des jours fixes de la semaine, c’est-à-dire du jeudi jusqu’au dimanche ou du vendredi jusqu’au lundi. Cela est offert principalement aux nouveaux employés connus sous le nom de recrues aux points d’entrée. Ces ASF sont affectés aux équipes à horaires fixes. Bien entendu, c’était ce que Mme Johnstone demandait – des jours fixes sans quarts de travail précis demandés lors de ces journées.

[276] M. Sheridan a confirmé qu’il n’avait pas eu voix dans la décision de créer et de garder un registre des accommodements au TAP qu’il a vu être utilisé depuis environ 2000 ou 2001. Il se souvient que la gestion avait besoin de gérer les demandes d’accommodement. À un certain moment, toute personne qui travaillait à temps partiel voyait son nom inscrit au registre des accommodements, peu importe la raison pour laquelle l’employé s’était retrouvé à temps partiel. Il y avait environ de 32 à 35 personnes inscrites au registre.

[277] M. Sheridan a témoigné que son patron, le directeur régional, avait voulu séparer les accommodements pour raisons médicales des autres raisons génériques afin d’effectuer un meilleur suivi. Certains des employés avaient plus d’une raison pour vouloir être exemptés de l’EPHV, alors leur nom restait au registre des accommodements. Autrement, si un employé avait reçu des mesures d’accommodement pour des raisons médicales, leur nom n’était plus inscrit au registre. Les accommodements pour raisons médicales étaient perçues et traitées comme des questions de ressources humaines, mais les autres demandes étaient purement opérationnelles.

[278] M. Sheridan a témoigné qu’au cours des dernières années, il était devenu nécessaire du point de vue de la gestion de mieux gérer les employés qui travaillaient à temps partiel afin d’améliorer la cohérence. Par exemple, on était d’avis qu’il y avait certains employés qui travaillaient pendant 36 heures par semaine afin d’obtenir une souplesse et possiblement des quarts de travail fixes qui peuvent être offerts grâce au statut d’employé à temps partiel et qui ne suivent pas l’horaire de l’EPHV. Pour cette raison, une politique non écrite a été adoptée selon laquelle quiconque travaille à temps partiel ne peut travailler que 34 heures par semaine. La gestion était d’avis que cela découragerait les employés de demander à travailler à temps partiel, tout en gardant des heures presque à temps plein, simplement pour éviter l’EPHV.

[279] En raison de la décision de traiter les demandes de mesures d’accommodement pour des obligations parentales comme reflétant seulement un choix personnel (de la même façon qu’une personne qui retourne à l’école ou qui décide de travailler à temps partiel pour des raisons de vie personnelle), les employés qui faisaient de telles demandes relevaient alors de la politique des 34 heures maximales par semaine en temps partiel.

[280] Une autre politique non écrite de l’ASFC veut que les employés à temps partiel ne travaillent pas plus de 10 heures par jour. M. Sheridan a exprimé la préoccupation que le rendement des employés risque de souffrir en terme d’énergie et de concentration si on permet aux employés de travailler de plus longues heures. C’est pourquoi on a dit à Mme Johnstone qu’elle ne pourrait pas travailler pendant un quart de travail de 13 heures, trois jours par semaine, mais seulement 10 heures pour ces trois jours par semaine, en plus de quatre heures lors d’une quatrième journée.

[281] Cependant, M. Sheridan a reconnu que certains employés à temps partiel travaillent plus de 10 heures par jour et que cela a été accordé afin de respecter [Traduction] les besoins opérationnels. De plus, M. Sheridan a reconnu que tant aujourd’hui qu’en 2004, de nombreux ASF à temps partiel ont des quarts de travail de plus de 10 heures et que certains d’entre eux travaillent plus de 34 heures par semaine.

[282] Gateway et les sites de frontières terrestres, par exemple, ont de nombreux employés qui travaillent plus de 10 heures par jour. Certainement, aux sites de frontières terrestres, M. Sheridan a reconnu que les ASF doivent faire preuve de vigilance constante et doivent être prêts à réagir à des situations imprévues.

[283] L’ASFC n’a présenté aucune preuve pour justifier son point de vue fondé sur des impressions selon lesquelles un quart de travail de plus de 10 heures pour un ASF aurait des répercussions négatives sur les opérations et le rendement.

[284] M. Sheridan est d’accord avec les autres témoins au sujet du fait que la période la plus achalandée au TAP est la période de l’après-midi d’environ 14 h à 22 h. Il se trouve que la majorité des employés à temps partiel qui ont la possibilité de choisir un quart de travail fixe qui leur convient le mieux choisissent cette période. M. Sheridan a reconnu que cette harmonisation rendrait l’accommodement à temps plein plus facile et Mme Johnstone était prête à travailler pendant cette période pour les trois jours qu’elle avait demandés. Cependant, la politique arbitraire était en place et aucune évaluation personnelle de la demande de Mme Johnstone n’a été effectuée.

[285] Compte tenu de la distinction des demandes d’accommodement médicales des autres ententes, et compte tenu du fait que l’ASFC a reconnu qu’elle devait prendre de telles mesures d’accommodement en vertu des lois en matière des droits de la personne, un système a été élaboré pour traiter les demandes pour raisons médicales de façon individuelle. Deux gestionnaires ont la tâche de coordonner et de superviser de telles demandes, c’est-à-dire recueillir les documents médicaux et les autres renseignements factuels du contexte afin de mettre en état la demande.

[286] La demande est alors envoyée à un comité régional qui porte le nom de [Traduction] sous-comité des mesures d’accommodement. Ce comité, auquel M. Sheridan participe, est composé de représentants de la gestion de l’ASFC. Les réunions sont régulières et le comité reçoit une liste des demandes à examiner ainsi que les renseignements contextuels pertinents. À ce niveau, une décision est prise quant à l’accueil de la demande, le besoin de renseignements supplémentaires ou de clarifications ou le rejet de la demande accompagné de motifs. Pour aider à prendre ces décisions, les membres du comité suivent une politique de l’ASFC intitulée [Traduction] Directives provisoires pour les accommodements médicaux.

[287] Les comptes rendus de ces réunions n’ont pas été présentés avant le milieu de l’audience, après que M. Sheridan eut témoigné quant à l’existence et aux pratiques du comité. Ces comptes rendus ont révélé que le comité reçoit aussi des demandes d’accommodement pour des raisons autres que des raisons médicales qui, selon M. Sheridan, n’auraient pas dû être présentées au comité. Les comptes rendus ont aussi révélé que parfois, les demandes d’accommodement ont été accordées aux employés qui ont des enfants avec des besoins médicaux.

[288] En d’autres mots, l’ASFC au TAP a trouvé une façon efficace et individuelle de traiter les demandes d’accommodement pour raisons médicales. Elle a aussi pris des mesures d’accommodement pour un employé qui a un enfant avec des besoins médicaux, mais elle ne reconnaît pas et n’évalue pas de façon individuelle la demande de mesures d’accommodement d’un employé pour prendre soin d’un enfant en santé.

[289] On a demandé en contre-interrogatoire à M. Sheridan si son budget opérationnel restreignait la capacité de l’ASFC de répondre aux demandes d’accommodement et si l’ASFC avait des contraintes budgétaires qui l’empêchaient d’accommoder Mme Johnstone en particulier. La réponse de Mme Sheridan a été [Traduction] non.

[290] Dans une question de suivi, on a demandé à M. Sheridan si l’ASFC ou lui avait pris des mesures pour évaluer les coûts associés au fait de ne pas traiter les questions d’équilibre travail/vie personnelle. Sa réponse a été [Traduction] non.

[291] M. Sheridan a confirmé que le Conseil du Trésor est l’employeur légal des ASF et que le Conseil du Trésor devait lui donner des directives sur les questions d’équilibre travail/vie personnelle.

[292] On a présenté à M. Sheridan un élément de preuve qui visait les opérations 24 heures par jour, 7 jours par semaine écrit par Ressources humaines et Développement des compétences Canada qui portait le titre Foire aux questions pour les organisations (Conciliation travail-vie ) (FAQ Conciliation travail-vie). On lui a demandé ce qu’il avait fait pour répondre à ces directives.

[293] M. Sheridan a répondu que [Traduction] nous avons négocié une EPHV plus flexible pour permettre aux employés d’obtenir une prévisibilité. Cette nouvelle EPHV donne aux employés réguliers plus de temps de congé la fin de semaine. M. Sheridan était aussi d’avis que l’horaire de 34 heures ou moins imposé aux personnes qui demandaient des accommodements en raison de leur situation de famille, en soi, correspondait aux efforts d’équilibre travail/vie personnelle.

[294] Parmi les renseignements qui se trouvaient dans la FAQ Conciliation travail-vie se trouvaient les points suivants

  1. Comment est-il possible de concilier travail et vie dans un environnement de travail qui fonctionne 24 heures par jour, 7 jours par semaine?

    Il n'existe aucun environnement de travail, emploi ou poste qui ne puisse permettre à un individu de concilier son travail et sa vie. La question plus pertinente serait plutôt Comment est-il possible de créer un environnement de travail qui reconnaisse la conciliation travail-vie et le bien-être de chacun comme éléments critiques de la vie individuelle et organisationnelle afin d'avoir du succès à court et à long terme et ce, peu importe le genre d'environnement, que ce soit un environnement de travail en fonction 24 heures par jour et 7 jours par semaine, un environnement par quarts […]Les organisations doivent examiner […]la charge, la structure et les systèmes de travail, la conciliation travail-vie, le bien-être, la sécurité et la santé.

  2. Comment s’assurer que tous les employés ne se prévalent pas d’horaires flexibles si l’organisation commence à appuyer la conciliation travail-vie?

    […] On sait cependant que la plupart des gens préfèrent un environnement de travail plutôt prévisible, routinier et stable et ce, peu importe si cette personne travaille sur des quarts de jour ou de nuit ou de 9 h 00 à 17 h 00 du lundi au vendredi. Les employés désirent la prévisibilité et la consistance. Le mythe de la flexibilité est que les gens vont et viennent à leur guise. Ils sont payés pour des journées non travaillées et ce sont les autres employés qui font leur travail. En fait, les conditions d'un aménagement de travail flexible exige des communications, des négociations et de la documentation claires et consistantes.

  3. Qu’est-ce que les organisations peuvent faire pour les employés qui disent Ce n’est pas juste. Je n’ai pas d’enfants. Cela profite seulement à certaines personnes. ?

    […] Il est aussi possible de prévenir les réactions négatives en s'assurant que des processus permettant aux personnes de se prévaloir des modalités de travail flexible soient en place. Afin d'éviter que les dirigeants privilégient certaines personnes, il est crucial d'avoir en place un processus clair et bien documenté qui puisse être mis en pratique de façon consistante et juste.

  4. Comment les changements démographiques canadiens affecteront-ils la façon dont les organisations gèrent la conciliation travail-vie?

    Premièrement, la main-d'œuvre vieillissante forcera les organisations à être plus créatives pour composer avec les retraites éventuelles. Deuxièmement, la génération Nexus entre sur le marché du travail bien consciente de ce qu'elle veut d'un employeur : un travail intéressant pour un salaire intéressant sans avoir à sacrifier sa vie personnelle pour son travail. Troisièmement, il y a une sérieuse pénurie de main-d'œuvre […] les employeurs qui désirent attirer et conserver de bons employés devront se plier aux exigences de ces derniers.

[295] Le Tribunal a conclu que le contenu de la FAQ Conciliation travail-vie, datée du 3 février 2005, correspondait en particulier au témoignage et au rapport de Mme Linda Duxbury.

[296] Bien que M. Sheridan eût occupé le même poste en 2003, sous le prédécesseur de l’ASF, qu’il occupe maintenant, il a déclaré qu’il n’était pas du tout au courant des directives du 10 décembre 2003 découlant de la vérification de la conformité à l’équité en matière d’emploi ni de l’ébauche de politique d’accommodement datée de juin 2007.

[297] On a demandé à M. Sheridan comment il était possible qu’il ne soit pas au courant de ces documents. M. Sheridan a noté que la vérification de conformité est datée de deux jours avant la création de l’ASFC et a déclaré que bien que certaines politiques aient été transférées de l’ADRC à l’ASFC, il n’était pas au courant de politiques portant sur une vérification de la conformité à l’équité en matière d’emploi qui auraient été transférées. Aucun témoin de l’ASFC n’a été appelé à expliquer qui était responsable de la réception de cette vérification de la conformité à l’équité en matière d’emploi ou de quelle façon cette vérification avait été traitée dans le cadre de la transition de l’ADRC à l’ASFC.

[298] Quant à l’ébauche de politique d’accommodement, M. Sheridan a témoigné qu’on ne l’a pas consulté à ce sujet et que normalement, les responsables de l’ébauche devaient consulter les gestionnaires. Comme il y a 190 directeurs à l’ASFC, une telle ébauche n’aurait été présentée qu’à certains d’entre eux. Le Tribunal note que M. Darren Millet, selon le témoignage de M. Star, avait eu connaissance de l’ébauche, mais pas M. Sheridan, qui est son supérieur. De plus, M. John King, alors président du syndicat, a pris une copie de l’ébauche lors d’une réunion à laquelle il a participé et pourtant, M. Sheridan n’a pas été consulté et n’avait pas vu l’ébauche avant l’audience.

[299] Aucun témoin n’a été appelé par l’ASFC pour expliquer ce qui est arrivé à l’ébauche de politique après sa diffusion, la raison pour laquelle elle a été préparée en premier lieu, la raison pour laquelle le directeur des Opérations pour le TAP n’en aurait pas été avisé ni la raison pour laquelle elle n’a pas été adoptée après sa création. Il n’y a aucune preuve d’une décision prise contre l’adoption de l’ébauche de politique pour des raisons de contraintes excessives, par exemple.

[300] Lorsqu’on lui a posé des questions au sujet du rapport d’expert de M. Moore‑Ede présenté pour l’ASFC, M. Sheridan a déclaré qu’il adoptait entièrement ses conclusions.

[301] M. Sheridan a témoigné que si l’on avait pris des mesures d’accommodement pour les responsabilités parentales de Mme Johnstone, il était d’avis que la gestion aurait été submergée de telles demandes, que les coûts auraient été prohibitifs et que cela aurait eu un effet destructeur sur les opérations au TAP, qui nécessitent que la majorité des employés suivent l’horaire de l’EPHV.

[302] Bien que M. Sheridan eût témoigné que peu de demandes d’accommodement avaient été présentées en raison des responsabilités parentales, il a seulement fondé sur des impressions son avis au sujet des répercussions négatives d’un tel accommodement. L’ASFC n’a produit aucune étude ou enquête sur la question de la contrainte excessive en termes de coût, de niveau du moral ou de problèmes opérationnels. Les raisons fondées sur des impressions ne sont pas suffisantes pour prouver une EPJ.

[303] La seule preuve produite à l’audience pour soutenir la position de l’ASFC selon laquelle elle aurait subi une contrainte excessive est le rapport d’expert et le témoignage de M. Moore-Ede, qui n’a été produit que pour l’audience, quelques mois avant le début de celle‑ci. En fait, lorsqu’on a demandé à M. Sheridan pourquoi M. Moore‑Ede n’avait pas fait de sondage auprès des employés actuels au TAP, il a répondu qu’il avait manqué de temps. L’audience a eu lieu cinq ans après le dépôt de la plainte.

[304] M. Sheridan a témoigné que le taux de roulement des employés au TAP est important et cause des préoccupations à la gestion, cependant, il ne semble y avoir aucune reconnaissance du fait que de meilleures mesures d’accommodement et une souplesse dans les quarts de travail pourraient régler une partie de ce problème.

B. Le témoignage de Rhonda Raby

[305] Quand on lui a répondu qu’elle ne pourrait pas travailler à temps plein, en décembre 2003, Mme Johnstone a écrit un courriel à Mme Rhonda Raby, alors chef par intérim du terminal 1 aux Opérations des passagers du TAP, pour essayer d’établir son nouvel horaire.

[306] Le Tribunal accepte le témoignage de Mme Johnstone selon lequel son mari a approché Mme Raby au nom de Mme Johnstone à l’automne de cette année‑là. Mme Raby lui a répondu qu’elle n’approuverait pas des quarts de travail de plus de 10 heures pour Mme Johnstone.

[307] Par conséquent, Mme Johnstone a demandé à travailler les vendredis, les dimanches et les lundis de 11 h à 21 h 30 chaque jour. Mme Raby a accepté cette proposition.

[308] Mme Raby a témoigné que Mme Gerstl n’a pas communiqué avec elle au sujet de la première demande de Mme Johnstone et elle a confirmé qu’elle et Mme Johnstone n’ont jamais discuté directement à ce sujet non plus. Par conséquent, Mme Raby n’était pas au courant de la demande initiale de Mme Johnstone à Mme Gerstl, mais le Tribunal conclut que cela ne tire pas à conséquence. Mme Raby a suivi la politique non écrite de l’ASFC lorsqu’elle a traité avec Mme Johnstone et son approche n’aurait pas été différente si elle avait été au courant de la demande précédente.

[309] Pendant son témoignage, Mme Raby semblait avoir peu de connaissance au sujet des exigences légales en matière de droits de la personne, malgré le fait qu’elle occupe un poste de gestion.

[310] Le Tribunal a aussi noté que Mme Raby avait déclaré que même si elle avait été chef des Opérations du terminal 1 de 2002 à 2008 et qu’elle avait vu ses niveaux de personnel doubler et l’achalandage doubler après la fermeture du terminal 2 en 2006, elle ne se souvenait pas qu’une autre personne ait demandé à travailler à temps plein au retour du congé de maternité. Elle a témoigné que souvent, les femmes souhaitent travailler à temps partiel à leur retour du congé de maternité.

[311] De plus, pendant ces années, le nombre moyen de mesures d’accommodement par terminal (comprenant toutes les demandes pour des raisons médicales ou religieuses et pour les responsabilités en matière d’éducation ou de famille) pour les trois terminaux était de 15 personnes en tout temps, ou de 45 personnes pour toute l’opération (une estimation de moyenne à faible). Le Tribunal conclut qu’il s’agit d’un niveau tout à fait gérable.

[312] Pendant son témoignage, Mme Raby a souvent fait allusion aux procédures normales d’exploitation, non écrites, qui traitent du fait que l’obligation de suivre un horaire à temps partiel avait été mise en place parce que autrement, la gestion aurait été [Traduction] submergée de demandes. Elle a témoigné que, pour éviter cela, la gestion avait délibérément fixé le maximum d’heures à 34 heures pour rendre le temps partiel moins désirable, c’est‑à-dire qu’on décourage les employés à présenter des demandes d’accommodement.

[313] Mme Raby ne semble pas avoir vu l’ironie de ses remarques. La gestion a fixé le maximum d’heures à temps partiel à 34 heures pour le rendre moins désirable, mais pourtant la gestion impose la maximum de 34 heures à des employés comme Mme Johnstone qui veulent travailler à temps plein, mais qui ont besoin de mesures d’adaptation pour y arriver.

[314] Mme Raby a témoigné qu’à l’époque de la première demande de Fiona Johnstone, il y avait un chef des Opérations pour les terminaux 1, 2 et 3. Il y avait aussi un directeur responsable de Gateway (M. Sheridan). Les chefs se consultaient au sujet des demandes d’accommodement (toutes les demandes, peu importe la raison), mais à l’époque, ils ne consultaient pas le directeur de Gateway.

[315] On a posé beaucoup de questions au cours de l’audience à savoir pourquoi Mme Johnstone ne pouvait pas obtenir des quarts de travail de 12,5 heures à Gateway, où de tels quarts de travail existent, et l’une des excuses de l’ASFC, soit qu’il s’agit d’un environnement de travail très stressant, est fausse. Mme Raby a témoigné que comme les directeurs ne communiquaient pas, il s’agissait d’une option qui n’avait jamais été examinée ni suggérée à Mme Johnstone. Mme Raby a déclaré qu’aucun des districts distincts au sein du TAP ne communiquait avec les autres districts au sujet des demandes d’accommodement.

[316] Mme Raby a confirmé que la gestion de l’ASFC traite différemment les demandes d’accommodement pour raisons médicales parce que l’ASFC agit conformément à la preuve médicale, c’est‑à-dire la validation d’un médecin, que la mesure d’accommodement est nécessaire pour des raisons de santé, de sécurité et de responsabilité.

[317] Mme Raby a confirmé que ce ne sont pas tous les employés qui obtiennent des mesures d’accommodement qui travaillent à temps partiel, mais souvent dans le témoignage des témoins de l’ASFC, il y a eu de la confusion entre les personnes qui ont droit à des mesures d’accommodement et le terme temps partiel.

[318] M. Star est un exemple d’un employé qui reçoit des mesures d’accommodement et qui ne travaille pas à temps partiel. On a pris des mesures d’accommodement pour lui de façon permanente et continue pour ses pratiques religieuses.

[319] La majorité des personnes qui demandent des mesures d’accommodement pour des raisons religieuses n’en ont pas besoin de façon continue, pour chaque période de quart de travail, par exemple les chrétiens qui ne souhaitent pas travailler la veille de Noël ou le dimanche de Pâques, ou les musulmans qui pourraient vouloir faire un voyage de plusieurs jours à la Mecque, ou qui ont besoin de courtes périodes de congé pour la prière. Par conséquent, ces personnes reçoivent des mesures d’accommodement pour une courte période, de temps en temps, mais sont toujours des employés à temps plein.

[320] Bien entendu, les accommodements pour raisons médicales dépendent de la raison de santé et peuvent nécessiter un accommodement à très court terme ou à long terme, selon ce que le médecin estime que l’employé peut faire. Cela peut affecter le nombre de jours que l’employé peut travailler, ou les heures ou les tâches qui peuvent lui être attribuées. Ces mesures d’accommodement n’entraînent pas toutes du temps partiel non plus.

[321] Mme Raby a confirmé le témoignage de M. Sheridan selon lequel le terme accommodement avait été utilisé à l’ASFC pour signifier tous les ajustements qui ne respectent pas l’EPHV. Cela pouvait porter à confusion, alors la gestion avait décidé de différencier les cas en utilisant le terme accommodement pour les demandes à caractère médical, et ententes pour les autres demandes. De telles ententes comprennent celles où un employé demande un changement à l’horaire pour retourner aux études, etc.

[322] Il est clair que Mme Raby n’a jamais reçu plus qu’une formation sommaire en matière de droits de la personne en ce qui a trait à sa compréhension de l’obligation d’accommodement pour raisons médicales. Elle savait cependant qu’il y avait d’autres motifs énumérés dans la LCDP.

[323] Le témoignage de Mme Raby a révélé que les efforts de l’ASFC, si efforts il y avait eu, avaient été tout à fait inadéquats sur le plan de la formation, même des gestionnaires, sur les questions de droits de la personne, des obligations, des devoirs ou des processus.

[324] L’approche de l’ASFC lorsqu’elle recevait une demande d’accommodement a été d’effectuer une enquête suffisante ou de poser des questions sur le contexte afin d’établir la validité de la demande, sa légitimité. Aucun effort n’a été déployé pour essayer de répondre à la demande d’accommodement ou pour déterminer quels seraient la répercussion réelle ou les coûts associés à la demande. Cela découle d’une conviction répandue au niveau de la gestion que trop d’employés demanderaient à être exemptés de l’EPHV, ce qui du point de vue opérationnel serait trop difficile. D’après Mme Raby, telle est la question réelle, et non le coût.

[325] Lorsqu’on lui a demandé si d’autres employés s’étaient plaints au sujet de collègues dont les quarts de travail avaient été changés en raison d’accommodements médicaux, Mme Raby a répondu [Traduction] oui. Lorsqu’on lui a demandé de préciser, elle s’est souvenue avoir reçu un courriel et elle fonde sa croyance sur le fait qu’il y a des [Traduction] problèmes de moral au sujet des accommodements pour raisons médicales d’après [Traduction] ce [qu’elle] entend au travail.

[326] Bien qu’elle fût chef des Opérations et qu’elle ait eu le mandat pendant les années en question de traiter et de trancher les demandes d’accommodement, Mme Raby a témoigné qu’elle n’avait gardé aucun registre des employés qui avaient été accommodés et qu’elle gardait les demandes de travail par quarts fixes à temps plein seulement dans un dossier de courriel.

[327] Mme Raby a aussi témoigné que si un poste s’ouvrait dans un domaine pour lequel un employé avait exprimé le désir de travailler, elle ne faisait pas particulièrement de recoupements. En d’autres mots, bien qu’elle eut rejeté la demande de Mme Johnstone, si une occasion s’était présentée pour elle de satisfaire la demande dans un domaine où Mme Johnstone aurait exprimé un intérêt, Mme Raby n’aurait pas tenté d’organiser cette occasion et d’en parler à Mme Johnstone.

[328] Lorsque de nouvelles occasions d’emploi se présentent, une lettre d’appel est envoyée, que les employées en congé de maternité ne reçoivent pas. Selon la personne qui présente sa candidature, la gestion vérifie la liste des préférences sur l’évaluation de rendement annuel de l’employé. Elle ne garde pas de registre et n’examine pas les préférences inscrites, et elle ne garde pas ces données. Il y a aussi des affichages par Internet et par intranet, mais les employés qui sont en congé de maternité ne reçoivent pas les affichages par Intranet et n’en sont donc pas au courant.

[329] Compte tenu du témoignage de Mme Raby au sujet de ces diverses questions, il est évident pour le Tribunal que la gestion de l’ASFC ne voit pas qu’il a un rôle de coopération avec ses employés ASF, et pourtant, en ce qui a trait aux demandes d’accommodement en matière de droits de la personne, c’est exactement ce que la jurisprudence demande à l’employeur et aux employés de faire.

C. Le témoignage d’expert de M. Moore‑Ede

[330] M. Moore‑Ede a été qualifié comme expert dans l’étude du travail par quarts et des heures de travail étendues, y compris les analyses des niveaux de dotation, l’optimisation des horaires de quarts de travail, la formation pour le style de vie découlant du travail par quarts et les analyses coûts-avantages au sujet des politiques de l’employeur portant sur la gestion des employés par quarts de travail, y compris tous les facteurs pertinents quant à l’élaboration des horaires de travail par quart.

[331] M. Moore‑Ede a fondé Circadian en 1983, une firme internationale de recherche et de consultation qui se spécialise dans la façon de gérer le défi d’employer des travailleurs dans un environnement qui fonctionne 24 heures par jour, 7 jours par semaine.

[332] Ses bases de données indiquent qu’environ 52 % de tous les travailleurs par quarts ont des besoins en matière de service de garde et que 60 % d’entre eux, ou 31 % de tous les travailleurs par quart de travail, utilisent des services de garde autres que leur époux ou leur partenaire. Cependant, il a aussi mentionné des études dans lesquelles il a été conclu que les travailleurs par quart ont plus tendance à se fier sur les services de garde d’un époux, d’un parent ou d’un ami, plutôt que sur des services de garde offerts par des tiers.

[333] Le Tribunal conclut qu’il y avait plusieurs lacunes importantes dans ce rapport. Toutes les données qui ont permis à M. Moore-Ede de conclure qu’entre 31 % et 52 % des employés de l’ASFC demanderaient la même mesure d’accommodement que Mme Johnstone découlent de réponses de 32 000 travailleurs par quart à la question no 13 de son questionnaire Circadian qui se trouvent à l’addenda C de son rapport écrit présenté en preuve.

[334] L’échantillonnage des répondants est composé de travailleurs des États-Unis et du Canada, mais le pourcentage canadien est très faible. Aucun questionnaire ou sondage n’a été présenté aux employés de l’ASFC, parce que M. Moore‑Ede a déclaré que l’ASFC ne lui avait pas donné un délai d’exécution suffisant et ne lui avait pas payé un salaire suffisant pour effectuer ce type d’exercice.

[335] La question sur laquelle sa conclusion est fondée, la question no 13, est la suivante :

[Traduction]

a) Quel service de garde principal utilisez-vous présentement?

  1. Service de garde enregistré
  2. Des parents
  3. Votre époux ou votre partenaire
  4. Autre
  5. Ne s’applique pas (aucun enfant à la maison)

[336] La question ne traite pas des sous-ensembles, tels que les enfants d’âge préscolaire par opposition aux enfants et aux adolescents qui habitent toujours à la maison.

[337] De plus, lorsque M. Moore-Ede a utilisé les chiffres pour extrapoler, il n’a pas seulement extrapolé les réponses de ceux qui disaient utiliser des services de garde offerts par des tiers, mais de tous les répondants qui avaient des enfants à la maison, peu importe qu’ils aient indiqué que leur époux, leur famille, des tiers ou d’autres offraient les services de garde. Rien ne permet de conclure que tous les parents demanderaient des mesures d’accommodement, peu importe l’âge de leur enfant et peu importent les ententes en matière des services de garde qu’ils ont déjà.

[338] De plus, M. Moore-Ede n’avait pas de modèle de données lié aux employés qui travaillaient par quarts de travail rotatifs et dont le partenaire ou l’époux travaillait aussi par quarts de travail rotatifs. D’autres preuves présentées à l’audience ont démontré que cette situation ne s’appliquait qu’à 1,2 % de la population des employés qui travaillent par quart.

[339] Les conclusions de M. Moore-Ede étaient fondées sur la croyance qu’il y aurait un effet d’entraînement si la demande de Mme Johnstone était accueillie, découlant du mécontentement des employés qui n’avaient pas de mesures d’accommodement et qui auraient nécessairement obtenu les quarts de travail et les heures de travail les moins désirables.

[340] M. Moore-Ede a témoigné que le scénario susmentionné entraînerait de la malhonnêteté et que les employés [Traduction] joueraient des jeux dans lesquels ils se créeraient des scénarios d’accommodement pour prendre soin de leurs enfants afin de répondre à l’exigence leur permettant d’obtenir des quarts et des heures de travail préférables.

[341] Évidemment, une opération qui fonctionne 24 heures par jour 7 jours par semaine en fonction de quarts rotatifs ne pourrait pas se permettre que la moitié de son effectif ne respecte pas l’EPHV. Cependant, l’hypothèse de M. Moore-Ede ne découle pas d’expériences réelles à ce jour des témoins de l’ASFC dans la gestion. Les chiffres que M. Moore-Ede a présentés ne sont pas réalistes et ils sont fondés soit sur des détails inadéquats de la question sur laquelle il s’est fondé pour valider ces chiffres, soit sur des hypothèses non prouvées qui font douter de l’éthique et de la motivation de l’effectif qui a répondu au sondage.

[342] M. Moore-Ede n’a pas traité de l’effet de l’éducation des employés en tant qu’élément important. Aucune preuve de fond n’a été présentée au Tribunal selon laquelle l’effectif en question en l’espèce ne peut pas être formé au sujet des lois en matière de droits de la personne qui justifient l’approbation de certaines demandes d’accommodement.

[343] Il convient de noter que Mme Johnstone demandait une mesure d’accommodement temporaire pour ses enfants qui étaient d’âge préscolaire. Elle avait l’intention de retourner au travail à temps plein en 2010. Il ne s’agissait pas d’une demande permanente d’accommodement, comme c’est le cas pour certaines demandes d’accommodement pour raisons religieuse, ni d’une situation d’invalidité de longue durée.

[344] M. Moore-Ede ne s’est pas opposé aux rapports des experts de Mme Johnstone portant sur le manque de disponibilité de services de garde offerts par des tiers et a souscrit en général à leurs conclusions.

[345] M. Moore-Ede a reconnu qu’il n’avait pas tenu compte des effets compensatoires des économies de coûts qui découlent de mesures d’accommodement en ce qui a trait à la réduction de l’absentéisme, des congés de maladie, des demandes de congé, etc., lorsque les employés qui ont demandé l’accommodement sont plus satisfaits de leur environnement de travail qui répond, ou qui s’efforce de répondre, à leurs besoins temporaires.

[346] M. Moore-Ede a aussi reconnu qu’il n’avait pas tenu compte de la différence entre le Canada et les États-Unis en ce qui a trait au fait que le gouvernement du Canada offre un filet de sécurité aux jeunes parents grâce à l’existence du congé de maternité et du congé parental d’un an – chose qui n’est pas offerte aux États-Unis. Donc, alors que les parents aux États-Unis peuvent avoir besoin de trouver un service de garde pour un enfant qui a seulement 2 mois, au Canada, cela n’arrive généralement pas avant que l’enfant ait 1 an. Cela réduit le besoin général de services de garde pour les enfants de 1 à 5 ans, par opposition aux enfants nouveau-nés jusqu’à 5 ans.

[347] De plus, M. Moore-Ede suppose que les employés qui ont des responsabilités parentales demanderaient des quarts de travail de jour, c’est-à-dire des heures qui correspondent avec les services de garde. Il a déduit de ce fait qu’il y aurait des répercussions négatives en terme de santé et de sécurité pour les employés qui ne font pas l’objet de mesures d’accommodement. Cela contredit toute autre preuve qui a été présentée au Tribunal. Mme Johnstone elle-même n’a pas demandé de quarts de travail de jour. Elle a proposé de prendre les quarts de travail d’après-midi.

VII. Conclusions/Analyse

[348] Dans l’arrêt Meiorin, la Cour suprême du Canada a affirmé que l’obligation des employeurs en matière d’accommodement est une obligation juridique fondamentale. Un employeur doit démontrer que la discrimination est nécessaire pour respecter un objectif légitime de travail et doit présenter une preuve directe qu’il a atteint une contrainte excessive dans ses efforts pour accommoder les besoins de l’employé.

[349] Aussi dans l’arrêt Meiorin, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’ [à] moins qu’aucun accommodement ne soit possible sans imposer une contrainte excessive, la norme telle qu’elle existe n’est pas une EPJ, et la preuve prima facie de l’existence de discrimination n’est pas réfutée.

[350] Dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc., [2007] A.C.F. no 15 (Via Rail), la Cour suprême du Canada a déclaré qu’ [i]l y a contrainte excessive lorsque les moyens raisonnables d’accommoder ont été épuisés et qu’il ne reste que des options d’accommodement déraisonnables ou irréalistes.

[351] Ces arrêts établissent de façon très évidente une obligation de la part de l’ASFC de faire de réels efforts pour accommoder, efforts qui sont tangibles et mesurables et qui évaluent la capacité de l’employeur de répondre aux demandes d’accommodement. L’ASFC ne doit pas fonder son évaluation sur la question de savoir si l’employé a besoin d’accommodement ou si elle peut prendre des mesures d’accommodement, sur des [Traduction] hypothèses relevant de l’impression.

[352] Les employeurs ont la directive claire de déployer tous les efforts raisonnables et de donner aux employés toutes les occasions raisonnables, sans se fonder sur des hypothèses relevant d’impressions motivant des politiques non écrites mises en pratique pour d’autres motifs.

[353] Dans l’arrêt Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights)¸ [1999] 3 R.C.S. 868 (Grismer), la Cour suprême du Canada a déclaré que [l]a preuve, constituée d’impressions, d’une augmentation des dépenses ne suffit pas généralement.

[354] Généralement, la contrainte excessive signifie disproportionné, illégitime, immodéré, excessif ou oppressif […] (Via Rail).

[355] Compte tenu du fait que les évaluations de rendement de Mme Johnstone étaient unanimes et positives et compte tenu du fait qu’elle a témoigné avoir souvent travaillé pendant de longs quarts de travail en raison des exigences en matière d’heures supplémentaires, le Tribunal accepte qu’il n’y aurait eu aucune préoccupation de santé et de sécurité viable découlant du fait que Mme Johnstone aurait travaillé pendant des quarts de 13 heures.

[356] Il est révélateur que malgré l’extrapolation numérique de M. Moore-Ede, qui prétendait que la moitié des employés de l’ASFC au TAP auraient demandé des mesures d’accommodement en raison de leur situation de famille, Mme Raby ne se souvenait pas d’une autre demande présentée entre 2002 et l’audience et M. Sheridan ne pouvait se souvenir que d’un seul cas. Ce témoignage de l’expérience réelle de la gestion avec l’effectif particulier de l’ASFC pèse lourd contre la théorie de M. Moore‑Ede.

[357] Sauf pour le rapport de 2009 de M. Moore-Ede, aucune analyse n’a été effectuée, aucune enquête scientifique n’a eu lieu, aucun consultant n’a examiné les questions d’accommodement, aucune politique n’a été mise en place, soit depuis la décision Brown de 1993, soit depuis la directive de la CCDP 10 ans plus tard exigeant que des politiques soient élaborées.

[358] Le Tribunal conclut que l’ASFC n’a pas établi qu’elle avait une EPJ et n’a pas présenté un argument suffisant au sujet de la contrainte excessive pour s’acquitter de son fardeau. L’ASFC n’a pas examiné si elle pouvait prendre des mesures d’accommodement pour les responsabilités familiales de Mme Johnstone. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’ASFC n’a pas établi qu’elle ne pouvait pas prendre de mesures d’accommodement pour Mme Johnstone en raison de contraintes excessives.

[359] Le Tribunal a confirmé avec les témoins tant de la plaignante que de l’intimée, ainsi qu’avec l’avocat de l’intimée, qu’aucune des propositions de l’ébauche de politique d’accommodement, y compris la création d’un fonds national des aménagements spéciaux, n’a été mise en application. Durant toute l’audience, l’intimée était d’avis que les responsabilités parentales en toutes circonstances n’entraînent pas une obligation d’accommodement en raison de la situation de famille, un motif de distinction illicite énoncé dans la LCDP. L’intimée n’a donc aucune politique écrite en matière d’accommodement pour cette disposition de la LCDP et ses politiques non écrites son telles qu’énoncées ci‑dessus : l’ASFC permet à un employé qui demande des quarts de travail fixes en raison de ses responsabilités parentales d’obtenir un tel quart de travail l’exemptant de l’EPHV, mais exige que cet employé ne travaille pas plus de 34 heures par semaine, à temps partiel.

[360] L’importance d’établir l’historique à la partie III de la présente décision visait à montrer que pendant environ 25 ans, le TCDP, la CCDP et différents mécanismes au sein de la fonction publique du gouvernement fédéral (certains internes à l’intimée même), ont reconnu le besoin de répondre aux questions d’équilibre travail/vie personnelle qui découlent naturellement du fait que certains employés sont des parents et ont des obligations envers leurs enfants qui ne sont pas compatibles avec les quarts de travail établis régulièrement en vertu de l’EPHV ou des régimes semblables. De telles obligations parentales ont été reconnues ailleurs, comme je l’ai mentionné, en vertu du motif de la situation de famille énoncé dans la LCDP.

[361] Compte tenu de la totalité de la preuve et de l’admission des témoins de l’intimée faisant partie de sa direction, le Tribunal conclut qu’il n’y a eu aucune tentative de sensibilisation au sujet des lois en matière de droits de la personne portant sur la situation de famille tant pour les gestionnaires que pour les employés, ni de gestion d’une résistance perçue ou réelle parmi les employés qui pourraient ne pas tirer un avantage direct des mesures d’accommodement en un temps donné. La preuve des témoins gestionnaires de l’intimée a montré une compréhension très superficielle et nominale des lois en matière de droits de la personne et qu’il n’y avait eu aucune formation ou sensibilisation au sujet des éléments de la décision rendue dans l’affaire Brown, ou de la vérification effectuée par la CCDP susmentionnée, dans leur qualification des soins aux enfants et de l’éducation des enfants comme facteurs qui justifient un accommodement en vertu de la LCDP.

[362] L’intimée n’a pas effectué d’examen détaillé des exigences professionnelles justifiées et des options qui n’impliquent pas une contrainte excessive. La preuve en général indique fortement que l’intimée n’a pas pris ces mesures parce qu’elle n’a pas reconnu la nécessité de le faire. En d’autres mots, si le point de vue de l’intimée selon lequel les obligations parentales envers les jeunes enfants ne relèvent pas de la définition de situation de famille au sens de la LCDP est juste, alors il n’y a aucune raison de prendre des mesures. Le témoignage de l’expert M. Moore-Ede présenté à l’audience était la première étude du genre entreprise pour l’intimée afin de justifier ou d’expliquer son point de vue.

[363] Pendant toute la période visée par les éléments de preuve présentés à l’audience, l’intimée aurait facilement pu créer des politiques écrites, transparentes et justes qui se seraient appliquées uniformément et qui auraient démontré une compréhension réelle des lois en matière de droits de la personne et de leur application en ce qui concerne le motif de distinction illicite de situation de famille. De plus, l’intimée aurait pu traiter ouvertement les cas uniques à mesure qu’ils se présentaient, ce que l’intimée a reconnu ne pas avoir fait, en suivant les mécanismes existants. Les témoins gestionnaires de l’intimée ont reconnu que ces mécanismes sont plutôt réservés pour les employés qui demandent des mesures d’accommodement pour raisons médicales et religieuses seulement, avec quelques exceptions.

[364] Comme le Tribunal a conclu que la plainte de Mme Johnstone est fondée et qu’elle a été victime de discrimination fondée sur sa situation de famille, il est important qu’elle bénéficie d’une évaluation individualisée de ses besoins en matière d’accommodement.

VIII. Décision

[365] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte de Mme Johnstone est fondée :

  1. Mme Johnstone a établi une preuve prima facie de discrimination par l’ASFC au sens de l’article 7 de la LCDP, fondée sur sa situation de famille;
  2. Mme Johnstone a établi une preuve prima facie que l’ASFC a fixé et a appliqué des lignes de conduite susceptibles d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement de la plaignante et de tout autre individu dans la même situation, en raison de sa situation de famille, au sens de l’article 10 de la LCDP;
  3. L’ASFC n’a pas établi une exigence professionnelle justifiée, n’a pas présenté d’explication raisonnable ou ou d’autre justification à l’encontre de la preuve prima facie de discrimination établie contre elle.

IX. Le redressement

A. Mesure de redressement systémique

[366] Le Tribunal ordonne à l’intimée de cesser ses pratiques discriminatoires fondées sur la situation de famille contre les employés qui demandent des mesures d’accommodement en raison de leurs responsabilités parentales et de consulter la Commission canadienne des droits de la personne, conformément aux dispositions de l’alinéa 53(2)a) de la LCDP, afin de mettre en place un plan pour éviter d’autres incidents de discrimination fondée sur la situation de famille à l’avenir.

[367] Afin que Mme Johnstone et d’autres employés dans sa situation ne soient pas privés d’occasions d’emploi à venir, de salaires et d’avantages, le Tribunal ordonne aussi à l’ASFC d’établir des politiques écrites qui satisferont Mme Johnstone et la CCDP, afin de traiter les demandes d’accommodement pour la situation de famille, dans les six mois suivant la décision et que ces politiques devront comprendre un processus pour une évaluation individuelle de chaque employé présentant une telle demande.

[368] Mme Johnstone demande le remboursement de toutes les pertes de salaires et d’avantages, y compris le temps supplémentaire, qu’elle aurait reçus ainsi que la contribution à sa pension qui aurait été faite en fonction d’un horaire à temps plein si elle n’avait pas été contrainte de travailler à temps partiel. Elle demande aussi une ordonnance afin qu’elle puisse faire des contributions à sa pension à titre d’employée à temps plein à partir d’août 2007.

[369] Mme Johnstone a commencé à travailler à temps partiel le 4 janvier 2004. Par la suite, sauf pour son deuxième congé de maternité du 24 décembre 2004 jusqu’au 26 décembre 2005, elle a travaillé à temps partiel. Pendant la période où elle a travaillé à temps partiel, la preuve démontre que son salaire et ses avantages ont été calculés au prorata. Son salaire et ses avantages ont aussi été calculés au prorata au taux à temps partiel alors qu’elle était en congé de maternité.

[370] Du 14 août 2007 jusqu’en août 2008, Mme Johnstone a été en congé sans solde pour réinstallation de conjoint en raison de la mutation de son mari à Ottawa. Ce congé s’est terminé en août 2008. Pendant ce congé, Mme Johnstone a pu contribuer à sa pension à un taux calculé au prorata de 20 heures par semaine.

[371] Depuis août 2008, Mme Johnstone est en congé sans solde pour les soins et l’éducation de ses enfants conformément à la convention collective.

[372] Mme Johnstone a précisé dans son témoignage qu’elle avait fait des choix au sujet du nombre d’heures qu’elle avait travaillées en raison du refus de l’ASFC de lui permettre de travailler à temps plein, ce qui a entraîné la perte du salaire à temps plein, de ses avantages et des occasions d’emploi. Sa déclaration selon laquelle elle [Traduction] aurait réussi à s’organiser si elle avait pu travailler à temps plein après la naissance de son deuxième enfant n’a pas été contestée.

[373] Mme Johnstone a aussi témoigné (voir le paragraphe 106 ci‑dessus) qu’elle aurait continué à travailler à temps plein malgré la mutation de son mari.

[374] À l’audience, les avocats des parties ont semblé avoir confiance de pouvoir s’entendre sur le montant qui devrait être accordé à Mme Johnstone si le Tribunal ordonnait qu’elle soit indemnisée sous cette rubrique.

[375] Par conséquent, le Tribunal ordonne que Mme Johnstone soit indemnisée pour sa perte de salaire et d’avantages sociaux, y compris les heures supplémentaires qu’elle aurait effectuées et les contributions à sa pension qui auraient été faites si elle avait pu travailler à temps plein à partir du 4 janvier 2004 jusqu’à ce jour. L’ordonnance comprend la directive que Mme Johnstone puisse effectuer des contributions à sa pension à titre d’employée à temps plein pour cette période. Mme Johnstone n’a pas droit aux pertes de salaire découlant de sa présence à l’audience.

B. Indemnités générales pour préjudice moral

[376] Le témoignage de Mme Johnstone a clairement montré qu’elle a subi un préjudice sur les plans de sa personne, de sa confiance personnelle et professionnelle et de sa réputation professionnelle, découlant de la discrimination qui a entraîné la présente plainte.

[377] Mme Johnstone a témoigné qu’elle se sentait embarrassée par le fait qu’on la qualifiait de dossier [Traduction] de droits de la personne et qu’elle a été bouleversée par la façon arbitraire dont on l’a traitée malgré tous les efforts qu’elle a déployés pour trouver une façon de créer un équilibre fonctionnel entre le travail qu’elle dit vraiment aimer et ses jeunes enfants.

[378] J’accorde à Mme Johnstone 15 000 $ sous cette rubrique, conformément à l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

C. Indemnité spéciale

[379] Le paragraphe 53(3) de la LCDP prévoit une indemnité spéciale pour un acte délibéré ou inconsidéré, d’un maximum de 20 000 $. Bien qu’il eut été tranché avant les modifications apportées à la LCDP en 1998, alors que le montant accordé pour les dommages-intérêts sous la rubrique du préjudice moral et de l’indemnité spéciale était plus bas, le Tribunal se fonde quand même sur la raisonnabilité de la décision du TCDP Martin, qui a suivi le raisonnement de la décision Premakumar c. Air Canada, 1re inst. 03/02, et de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Morgan, [1991] 2 C.F. 401 (C.A.F.), selon lequel le montant maximal est réservé aux cas les plus graves

[380] Le Tribunal conclut que l’ASFC, en ne tenant pas compte des nombreux efforts externes et internes visant à apporter un changement à ces politiques quant aux mesures d’accommodement pour la situation de famille, a délibérément refusé la protection à ceux qui en avaient besoin.

[381] Le manque d’effort et de souci de l’ASFC et de ses prédécesseurs a pris plusieurs formes au cours des années, y compris : le fait qu’elle n’a pas tenu compte de la décision Brown après avoir écrit la lettre d’excuses; le fait d’avoir élaboré une ébauche de politique et de l’avoir fait disparaître (certains gestionnaires étaient au courant, d’autres pas); l’application des politiques arbitraires non écrites et appliquées de façon non uniforme; le manque de formation en matière de droits de la personne, même au niveau de la haute direction; la présentation de l’argument de l’avalanche des demandes cinq ans après le dépôt de la plainte, en plus du fait que l’intimée n’a pas donné suffisamment de temps et de données à son expert pour lui permettre de présenter un avis d’expert utile; le fait que personne n’a tenté de demander à Mme Johnstone quelle était sa situation particulière ou de l’aviser des options qui lui permettraient de combler ses besoins.

[382] Compte tenu de toutes les circonstances en l’espèce, le Tribunal accorde à Mme Johnstone 20 000 $ sous cette rubrique. Le comportement de l’ASFC a été délibéré et inconsidéré, ne tenant pas compte de la situation de Mme Johnstone et refusant d’admettre que l’ASFC avait une obligation d’accommodement pour la situation de famille découlant des responsabilités parentales comme celles de Mme Johnstone.

D. Intérêt

[383] Conformément au paragraphe 53(4) de la LCDP, le Tribunal ordonne que l’intérêt composé au taux des bons d’épargne du Canada soit payé sur tous les montants accordés dans la présente décision sous les rubriques des indemnités générales pour préjudice moral conformément à l’alinéa 53(2)e) de la LCDP et de l’indemnité spéciale conformément au paragraphe 53(3) de la LCDP.

E. Dépens avocat-client

[384] Mme Johnstone a été représentée par une conseillère juridique principale, qui avait de l’expérience en droits de la personne et dans la structure organisationnelle de la fonction publique fédérale. L’expertise de l’avocate lui a permis de présenter pleinement le dossier de la plaignante devant le Tribunal et a fait partie intégrante du succès de la plaignante. En raison de la nature conflictuelle des décisions et ordonnances antérieures des cours sur le motif de situation de famille énoncé dans la LCDP ainsi que de la nature unique et complexe des opérations de l’ASFC, il aurait été difficile pour une personne de présenter ce dossier sans l’assistance d’un avocat.

[385] Cependant, dans un arrêt rendu le 26 octobre 2009, la Cour d’appel fédérale a conclu que le TCDP ne peut pas indemniser les victimes de discrimination pour les dépens en s’appuyant sur l’alinéa 53(2)c) de la LCDP. [Canada (P.G.) c. Mowat 2009 CAF 309]. La Cour d’appel fédérale a conclu que l’article 53 ne donne pas au Tribunal le pouvoir exprès d’accorder une indemnité sous cette rubrique.

[386] Aux paragraphes 101 et 102 de la décision, la juge Layden‑Stevenson, appuyée par le juge Létrourneau et le juge Sexton, a conclu :

  1. [101] Ce sont des questions qui exigent l’examen du législateur, par exemple, l’opportunité d’accorder au Tribunal le pouvoir d’adjuger des dépens et, s’il y a lieu, les modalités d’une telle mesure ainsi que les limites nécessaires. Le rôle de l’avocat de la Commission peut constituer un facteur à prendre en considération, vu qu’il a beaucoup changé dans le processus de décision au fil des ans. Pendant de nombreuses années, l’avocat de la Commission a comparu à la plupart des audiences devant le Tribunal, mais cette pratique semble avoir changé. L’ancienne procédure a pu influencer la décision du législateur concernant l’opportunité d’adjuger des dépens dans les instances en matière des droits de la personne. L’avocat de la Commission a indiqué qu’en 2003 celle-ci a réexaminé son interprétation de son rôle sous le régime de l’article 51 de la LCDP. Enfin, s’il convient d’accorder au Tribunal le pouvoir d’adjuger des dépens, il faut déterminer la nature du régime des dépens. Il existe plusieurs permutations possibles.
  2. [102] La décision finale et les choix de principe inhérents qu’elle implique appartiennent au législateur, non au Tribunal ou à la cour.

[387] Par conséquent, aucune indemnité n’est accordée à la plaignante sous cette rubrique.

F. Maintien de la compétence

[388] Le Tribunal conserve sa compétence pour six mois suivant la date de la présente décision, au cas où les parties seraient incapables de s’entendre sur le montant de la rubrique des mesures de redressement systémiques ou seraient incapables de s’entendre au sujet de l’application de l’une des mesures de redressement. Si une prorogation de cette période est nécessaire, des observations devront être présentées quant à la nécessité d’une prorogation.

Signée par

Kerry-Lynne D. Findlay, c.r.
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 6 août 2010

TRIBUNAL canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1233/4507

Intitulé de la cause : Fiona Ann Johnstone c. l’Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision du tribunal : Le 6 août 2010

Date et lieu de l’audience :

Les 25 aux 28 mai 2009
Les 22 aux 26 juin 2009
Les 29 aux 30 juin 2009
Les 2 aux 3 juillet 2009

Ottawa (Ontario)

Les 22 aux 23 juillet 2009

(vidéoconférence)

Ottawa-Vancouver

Comparutions :

Andrew Raven, Lisa Addario et Andrew Astritis, pour la plaignante

Ikram Warsame et Sulini Sarugaser, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Christine Mohr, Joseph K. Cheng et Susan Keenan, pour l'intimée

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