Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Entre :

George Vilven

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Association des pilotes d’Air Canada
Fly Past 60 Coalition

les parties intéressées

Et entre :

Robert Neil Kelly

le plaignant

- et –

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et –

Air Canada

Association des pilotes d’Air Canada

les intimées

Décision

Membre : J. Grant Sinclair
Date : Le 8 novembre 2010
Référence : 2010 TCDP 27

Table des matières

I Introduction.

II Injonction.

A. Conclusion au sujet de l’injonction.

III Rétablissement

IV La mesure de redressement quant à la pension.

V L’indemnité pour perte de salaire et la position sur la liste d’ancienneté.

A. Vilven.

(i) Le numéro d’ancienneté équivalent

(ii) Conclusion au sujet de l’optimisation des revenus de Vilven.

B. Kelly, calcul de la perte de salaire et de l’ancienneté.

(i) Ancienneté équivalente.

C. Atténuation.

(i) Vilven.

(ii) Kelly.

(iii) Conclusion sur l’atténuation.

VI Préjudices moraux.

A. Vilven.

B. Kelly.

C. Conclusion sur le préjudice moral

VII Indemnité pour acte délibéré ou inconsidéré.

A. Conclusion sur l’indemnité pour acte délibéré ou inconsidéré.

VIII Autres dépenses.

A. Conclusion sur les autres dépenses.

IX Le calcul d’Air Canada et de l’ACAP pour la perte de salaire et l’ancienneté.

A. Premier scénario : Aucune indemnité avant le 28 août 2009.

(i) Vilven.

(ii) Kelly.

B. Deuxième scénario : Période d’indemnité limitée à deux ans.

(i) Kelly.

(ii) Vilven.

C. Conclusion sur l’indemnité pour perte de salaire.

D. Conclusion sur l’ancienneté.

E. Les avantages financiers précédents découlant de l’obligation de retraite.

F. Conclusion sur l’avantage financier précédent

X Ordonnance.

Annexe I

Annexe II

I. Introduction

[1] Le 28 août 2009, le Tribunal a rendu sa deuxième décision dans laquelle il a conclu que les intimés, Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada (APAC), avaient agi de façon discriminatoire envers les plaignants, George Vilven (Vilven) et Robert Neil Kelly (Kelly), en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP). Le Tribunal a tenu une nouvelle audience pour déterminer les mesures de redressement auxquelles les plaignants avaient droit en application de l’article 53 de la LCDP.

[2] Les plaignants demandent qu’il soit ordonné :

  1. qu’Air Canada et l’APAC cessent d’appliquer les dispositions portant sur la retraite obligatoire du régime de pension des pilotes d’Air Canada et de la convention collective pour tous les pilotes employés par Air Canada ;
  2. qu’ils soient rétablis comme pilotes au sein d’Air Canada et qu’ils retrouvent des affectations régulières de vol conformément à leur ancienneté, comme le déterminera la Tribunal ;
  3. qu’ils reçoivent une indemnité pour la perte de salaire à partir de leur date de retraite jusqu’à leur date de rétablissement ;
  4. qu’à leur rétablissement, ils continuent d’accumuler leur droit à pension et leurs autres avantages selon les mêmes conditions qu’avant leur retraite ;
  5. que chacun des plaignants obtienne une indemnité pour préjudice moral de 20 000 $ et une indemnité de 20 000 $ pour le comportement délibéré et inconsidéré des intimés ;
  6. que leurs menues dépenses leur soient remboursées ;
  7. que l’intérêt sur l’indemnité leur soit payé.

II. Injonction

[3] Les plaignants demandent une ordonnance pour que les intimés cessent d’appliquer l’article 5.1 du Régime de retraite des pilotes d’Air Canada et les dispositions correspondantes de la convention collective, éliminant ainsi la retraite obligatoire pour tous les pilotes d’Air Canada.

[4] L’article 5.1 prévoit qu’un membre du régime de pension devra prendre sa retraite de la compagnie à la date normale de sa retraite. La date normale de la retraite est définie au sous‑alinéa 1.2(ii) comme étant le premier mois qui suit immédiatement le mois lors duquel le membre atteint l’âge de 60 ans. Les intimés acceptent une ordonnance leur enjoignant de cesser d’appliquer l’article 5.1 du régime de pension, mais seulement envers les deux plaignants.

[5] Dans sa deuxième décision, après avoir conclu que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP contrevenait à la Charte, le Tribunal a refusé d’appliquer cette disposition aux faits en l’espèce. Cette conclusion suivait le principe bien établi dans un certain nombre de décisions de la Cour suprême du Canada, en commençant par l’arrêt Cuddy Chicks c. Ontario, [1991] 2 R.C.S. 517, dans lequel la Cour suprême, mentionnant la Commission des relations de travail de l’Ontario, a expliqué qu’une déclaration formelle d’invalidité n’est pas une réparation qui s’offre à la Commission et que celle-ci ne peut pas non plus s’attendre à une retenue judiciaire au sujet de ses décisions en matière constitutionnelle.

[6] Dans la décision plus récente de la Cour suprême du Canada Nouvelle‑Écosse (WCB) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504, la Cour suprême a répété le principe selon lequel les réparations constitutionnelles relevant des tribunaux administratifs sont limitées et n’incluent pas les déclarations générales d’invalidité. De plus, la décision d’un tribunal qu’une disposition de sa loi habilitante est invalide au regard de la Charte ne lie pas un autre tribunal ou un autre décideur.

[7] Les plaignants acceptent cet énoncé de droit, tout comme la Commission. Cependant, ils demandent que le Tribunal n’exerce que ses pouvoirs de redressement prévus à l’alinéa 53(2)a) de la LCDP. En particulier, ils demandent que le Tribunal ordonne que les intimés cessent la pratique discriminatoire de la retraite obligatoire et prennent des mesures, en collaboration avec la Commission, pour éviter que la même pratique ou une pratique semblable soit utilisée dans l’avenir. Autrement, le fait d’appliquer la disposition de redressement seulement aux plaignants n’aurait pas l’effet de prévenir la pratique discriminatoire dans l’avenir.

[8] À l’appui de sa position, la Commission se fonde sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CN c. Canada (CCDP), [1987] 1 R.C.S. 1114 (Action Travail des Femmes). Dans cette affaire, Action Travail des Femmes, un groupe d’intérêt public, a déposé une plainte en matière de droits de la personne dans laquelle il était allégué que CN avait agi de façon discriminatoire dans ses pratiques d’embauche et de promotion en refusant des occasions d’emploi à des femmes dans certains emplois de cols bleus non spécialisés.

[9] Le Tribunal a conclu que la plainte était justifiée et a ordonné que CN mette en place un programme d’équité en matière d’emploi pour régler la discrimination systémique. CN a porté la décision en appel, en soutenant que le Tribunal n’avait pas le pouvoir de prendre une telle ordonnance de redressement en vertu de l’alinéa 41(2)a) de la LCDP (maintenant l’alinéa 53(2)a)).

[10] La Cour suprême du Canada a rejeté cet argument, soulignant que cette disposition visait à traiter le problème de la discrimination systémique et qu’un programme d’équité en matière d’emploi visait à briser le cycle continu de la discrimination. Plus précisément, la Cour suprême a noté que l’objectif n’était pas d’indemniser les victimes antérieures ni d’offrir de nouvelles occasions pour certains individus précis à qui on avait injustement refusé des promotions ou des emplois précis par le passé.

A. Conclusion au sujet de l’injonction

[11] À mon avis, la Commission ne peut pas se fonder sur l’arrêt Action Travail des Femmes. L’affaire en l’espèce ne porte pas sur une plainte de discrimination systémique. L’affaire Action Travail des femmes portait sur une plainte déposée par un groupe d’intérêt public au nom d’un grand nombre de victimes alléguées d’une pratique discriminatoire. Il s’agit en l’espèce d’un cas où deux plaignants distincts avaient la même plainte. Il ne s’agit pas d’une plainte de groupe. Ce que les plaignants demandent, c’est que la mesure de redressement qui leur sera accordée soit étendue au‑delà de leurs plaintes individuelles.

[12] De plus, comme le Tribunal l’a souligné dans sa décision précédente, sa conclusion selon laquelle l’alinéa 15(1)c) de la LCDP viole la Charte n’est pas un précédent juridique et n’est applicable qu’aux faits en l’espèce. Dans les circonstances, l’alinéa 15(1)c) reste en vigueur et peut être utilisé par les intimés comme défense dans toute plainte en cours ou future au sujet de la politique obligatoire en question. Le fait d’accorder l’injonction demandée les priverait de la défense que cet article leur accorde.

[13] Enfin, si le Tribunal rendait l’injonction, en ayant recours à son pouvoir prévu par l’alinéa 53(2)a), il s’accorderait des pouvoirs qui relèvent normalement d’un juge nommé en vertu de l’article 96. À mon avis, le pouvoir de redressement doit être interprété en fonction des limites imposées par la Cour suprême dans l’arrêt Martin.

[14] La façon plus appropriée d’appliquer les enseignements de l’arrêt Martin et l’alinéa 53(2)a) en ce qui a trait à la mesure de redressement est pour le Tribunal d’annuler la cessation d’emploi des plaignants en ordonnant aux intimés de cesser d’appliquer le paragraphe 5(1) du régime de pension envers les plaignants et de réparer la pratique discriminatoire en ordonnant leur rétablissement.

III. Rétablissement

[15] Air Canada a déclaré que les plaignants seront rétablis dans leur emploi en fonction des critères normaux d’admissibilité. Les plaignants doivent avoir une licence de pilote valide, un certificat médical valide indiquant qu’ils sont en état de piloter un aéronef commercial en fonction des normes médicales applicables de Transports Canada et soit qu’ils possèdent une qualification de vol aux instruments à jour, soit qu’ils aient la capacité de renouveler cette qualification. Kelly satisfait à ces critères. Au moment de l’audience, Vilven n’avait pas de qualification de vol aux instruments à jour, mais il avait la capacité de renouveler cette qualification.

[16] Lorsqu’il sera satisfait à ces critères, Air Canada rétablira les plaignants dans leur poste et ils pourront participer à la prochaine formation offerte sur l’équipement qu’ils peuvent piloter en fonction de leur ancienneté. Lorsqu’ils auront terminé avec succès leur formation, ils n’auront pas à attendre le prochain tour d’appel d’offres pour l’équipement. Ils seront placés sur la liste des postes dès le prochain appel d’offres mensuel. Les plaignants ont déclaré que ces conditions sont satisfaisantes.

[17] En ce qui a trait à la formation, ils auraient besoin d’une formation complète, d’une instruction prévol, d’un cours sur simulateur et d’un vol avec un commandant de bord en ligne. Air Canada estime que l’instruction prévol durerait environ deux semaines, de même pour le cours sur simulateur et le vol avec un commandant de bord en ligne. Il faudrait de deux à trois mois tout au plus pour obtenir une date de formation.

IV. La mesure de redressement quant à la pension

[18] En ce qui a trait à la mesure de redressement quant à la pension, les plaignants demandent que, dès leur rétablissement, ils reçoivent le salaire et les avantages d’un employé actif, y compris l’accumulation continue de leur droit à pension, selon les mêmes conditions qu’avant leur retraite. Air Canada a présenté la même position dans sa preuve, mais a demandé que le droit à pension soit assujetti au dégagement des transactions de pension précédentes.

[19] Le dégagement signifie que les plaignants doivent repayer les prestations mensuelles de pension qu’ils ont reçues, à partir de la date d’indemnité pour perte de salaire jusqu’à la date de rétablissement et qu’ils doivent rembourser les contributions à la pension requises pour cette période.

[20] L’APAC était d’abord d’avis qu’une ordonnance pour l’accumulation de pension après l’âge de 60 ans serait contraire aux dispositions du régime de pension et dépasserait la compétence du Tribunal. Cependant, comme l’APAC a accepté l’injonction au sujet de l’article 5.1 du régime de pension en faveur des plaignants, elle ne maintient plus cette objection.

V. L’indemnité pour perte de salaire et la position sur la liste d’ancienneté

[21] Les plaignants soutiennent que la période d’indemnité devrait être la période débutant à la date de leur retraites respectives, jusqu’à la date de leur rétablissement en poste à Air Canada. Ils demandent à être indemnisés pour le salaire, y compris les primes et l’intéressement, qu’ils auraient gagné s’ils avaient continué leur emploi, moins le revenu compensateur et les paiements de pension qu’ils ont reçus pendant la période d’indemnisation.

A. Vilven

[22] Pour déterminer le montant de sa perte de salaire, Vilven s’est fondé sur la période d’indemnisation du 31 août 2003 au 30 avril 2010. Sa méthodologie a été d’abord de déterminer son numéro d’ancienneté équivalent, c’est‑à‑dire le numéro d’ancienneté sur la liste d’ancienneté des pilotes d’Air Canada qu’il aurait eu pendant les années allant de 2003 à 2010 s’il n’avait pas pris sa retraite. La prochaine étape a été de déterminer l’équivalent d’affectation comme pilote qu’il aurait occupé pour chacune des années, en fonction de son numéro d’ancienneté équivalent.

[23] Enfin, le salaire mensuel pour chacun des postes de pilote équivalents a été calculé en fonction des tableaux de rémunération de la convention collective, en supposant que les pilotes dans ces postes auraient eu des horaires de vol en fonction des points suivants, qui ont été estimés par les parties être des suppositions raisonnables :

  1. le taux horaire en fonction de la convention collective pour le poste équivalent lors des périodes de rémunération respectives ;
  2. 81 heures de vol par mois, dont la moitié serait calculée au tarif de jour et l’autre moitié, au tarif de nuit, en plus de la prime pour le service outre‑mer pour 71 heures ;
  3. le salaire mensuel doit être multiplié par 12 pour obtenir un salaire annuel pour chaque période.

(i) Le numéro d’ancienneté équivalent

[24] Lorsque Vilven a pris sa retraite en août 2003, son numéro d’ancienneté était 1404. Pour les années suivantes, soit de 2004 à 2010, Vilven a utilisé le pilote C.E. Hintz comme pilote de référence ou équivalent. Selon Vilven, Hintz a été embauché par Air Canada un an après lui, donc, s’il n’avait pas pris sa retraite, il aurait eu le numéro d’ancienneté de Hintz pendant ces années.

[25] Pour déterminer son équivalent d’affectation comme pilote, Vilven s’est d’abord placé dans un poste de B747 PO YYZ. Il avait présenté sa candidature pour ce poste en 2001, mais il a continué de piloter à titre de A340 PO YVR jusqu’à sa retraite. Cependant, de juillet 2003 à août 2003, il a été payé au salaire d’un B747 PO YYZ.

[26] La prochaine étape consistait à trouver sa cohorte équivalente pour les années 2003 à 2010, qui était constituée de 5 pilotes ayant plus d’ancienneté que lui et de 5 pilotes ayant moins d’ancienneté que lui, basés à Toronto. Il a tenu comme raisonnement que, sauf pour la clause 25.06.02 de la convention collective, il aurait obtenu ce poste en 2003.

[27] En se fondant sur la liste d’affectations des pilotes d’Air Canada pour ces années et sur son ancienneté équivalente, Vilven a conclu qu’il aurait présenté sa candidature et qu’il aurait occupé les postes et l’ancienneté comme il l’a établi à l’annexe I.

[28] En appliquant les taux de rémunération susmentionnés, Vilven soutient que son salaire total aurait été de 1 086 093 $ du 1er septembre 2009 au 30 avril 2010 (voir l’annexe 1). Ce montant ne tient pas compte des prestations de retraite qu’il a reçues, des contributions à la pension exigées ni du salaire d’atténuation qu’il a obtenu pendant cette période.

[29] À cette étape, la question est de savoir si Vilven peut utiliser le poste B747 PO YYZ comme point de départ, plutôt que le poste qu’il occupait à la retraite, soit le A340 PO YVR. Selon le Régime de retraite des pilotes d’Air Canada, les prestations de retraite d’un pilote sont fondées sur la moyenne de leurs cinq meilleures années de salaire, qui sont normalement les soixante mois précédant la retraite, multipliés par les années de service.

[30] Vilven a eu 60 ans en août 2003. À l’époque, il avait 22 années de service ouvrant droit à pension. Pour optimiser son revenu admissible, Vilven soutient qu’il avait pour habitude de toujours exercer ses droits d’ancienneté pour présenter sa candidature pour un poste dans les aéronefs de plus haut calibre, qui offrent un plus haut taux de rémunération.

[31] En 1998, Vilven occupait le poste d’A320 PO à Winnipeg. Il savait qu’en août 1998, il débutait ses cinq dernières années comme pilote chez Air Canada. Cependant, il n’a pas présenté sa candidature pour un poste plus élevé afin d’optimiser son salaire avant la fin de 1999 ou le début de 2000, auquel moment il a exercé son droit d’ancienneté pour être muté à Toronto comme A340 PO. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il ne l’avait pas fait plus tôt, il a expliqué qu’il s’était trompé, qu’il avait mal calculé.

[32] Environ six mois plus tard, soit en 2000, Vilven a été muté à Vancouver comme A340 PO. Il l’a fait en sachant qu’il n’y avait aucune différence de salaire entre Toronto et Vancouver pour un A340 PO. Il a aussi reconnu que son ancienneté relative à Vancouver était moindre que celle à Toronto, alors il n’aurait pas les mêmes occasions de choisir des vacances et des horaires mensuels plus intéressants.

[33] Vilven a expliqué pourquoi il avait choisi d’être muté à Vancouver en 2000 comme A340 PO plutôt que de présenter sa candidature pour un poste de pilote plus élevé ailleurs. Pendant l’audience devant le Tribunal en janvier 2007, alors que le Tribunal examinait le bien‑fondé de sa plainte, Vilven a témoigné que la raison pour laquelle il était resté A340 PO était qu’il souhaitait piloter les gros aéronefs et que cela n’était pas possible s’il obtenait une promotion comme A320. Il a aussi témoigné qu’il a été élevé à Vancouver, que sa mère, ses deux sœurs et ses amis y habitent et qu’il était tout à fait naturel qu’il demande une affectation à Vancouver.

[34] Vancouver est la base où il y a le plus d’ancienneté à Air Canada et il ne lui était pas possible d’avoir un poste de commandant de bord à Vancouver. Il a soutenu qu’il aurait pu avoir un poste de commandant de bord à Winnipeg, à Toronto ou à Montréal, mais il voulait être affecté à Vancouver et il voulait piloter sur des vols internationaux. Compte tenu de ses années de service, il lui était impossible de le faire comme commandant de bord.

[35] Vilven a aussi témoigné que par moments, il avait décidé de ne pas exercer ses droits d’ancienneté parce qu’il souhaitait rester dans une ville en particulier. Vilven a aussi dit au Tribunal, lors de l’audience de janvier 2007, que si sa plainte était accueillie, il aimerait retourner à Vancouver comme pilote pour Air Canada.

[36] Lors de l’audience suivante devant le Tribunal au sujet des mesures de redressement, Vilven a soutenu que son témoignage précédent au sujet de la raison pour laquelle il avait demandé une affectation à Vancouver n’était pas correct. Bien que sa base était à Vancouver, il habitait à Calgary ou à Airdrie, à environ une heure et demie de Vancouver. De nombreux pilotes d’Air Canada n’habitent pas à la base où ils travaillent.

[37] Il a aussi déclaré qu’il y avait une autre partie à son récit. Il avait présenté sa candidature à Vancouver parce qu’il y avait plus d’occasions d’être rappelé au travail et de faire du travail sur simulateur qu’à Toronto, parce qu’une grande partie des pilotes qui ont plus d’ancienneté à Vancouver ne souhaitaient pas travailler pendant leurs journées de congé. Il avait été en mesure de tirer cette conclusion en examinant les vols hors programmes et les vols non prévus sur les horaires d’équipage. À la base de Toronto, les vols étaient plus structurés et il lui semblait que plus de pilotes ayant une plus grande ancienneté à Toronto souhaitaient piloter plus souvent.

[38] Ce faisant, il a été en mesure d’optimiser son revenu. Par exemple, son revenu ouvrant droit à pension à titre de A340 PO YVR en 2000 était de 179 000 $; en 2001, de 175 000 $; en 2002, de 176 000 $; et pour huit mois en 2003, de 130 000 $. Il aurait pu occuper un poste de pilote A320, mais en comparaison, un pilote A320 gagnait environ 165 000 $ en 2006, et il n’y avait eu aucune augmentation de salaire avant cette date.

[39] Vilven a reconnu que lorsqu’il a présenté sa candidature pour être affecté à Toronto comme B747 PO, il aurait perdu le rappel au travail et le travail sur simulateur qu’il aurait pu faire à Vancouver, mais il a soutenu qu’il y aurait pu y avoir des occasions à Toronto d’effectuer du tel travail supplémentaire. Cependant, il a ensuite reconnu qu’il avait quitté Toronto pour être affecté à Vancouver dans le même poste d’A340 PO parce qu’il pouvait gagner plus à Vancouver.

[40] Alors pourquoi redéménager à Toronto ? Vilven a déclaré que la raison pour laquelle il avait présenté sa candidature pour le poste de B747 PO YYZ en 2001 était qu’il y avait eu auparavant une diminution de salaire d’environ 15 p. 100 pour les pilotes d’Air Canada. Le supplément pour le poste de B747 était de 12 1/2 p. 100, et en présentant sa candidature pour le poste de B747, il pouvait compenser presque entièrement pour la réduction de salaire de 15 p. 100.

[41] Il a reconnu que les 179 000 $ qu’il a gagnés comme A340 PO YVR en 2000 représentaient environ 30 000 $ de plus que son salaire de base d’A340 PO, ce qui est beaucoup plus que 12 1/2 p. 100. Vilven a répondu que certains de ses collègues qui étaient B747 PO à Toronto gagnaient plus de 200 000 $. Il y avait beaucoup d’occasions pendant ces années et les pilotes étaient constamment rappelés au travail. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas présenté sa candidature plus tôt, il a répondu qu’il avait évidemment mal calculé.

[42] Le capitaine Duke, d’Air Canada, a témoigné que les pilotes présentent généralement leur candidature pour le poste qui offre le salaire le plus élevé, peu importe la base, au cours des derniers mois avant de prendre leur retraite, sachant qu’ils seront gelés dans leur poste actuel en vertu de la clause 25.06 02 de la convention collective.

[43] Ils le font en sachant qu’ils n’auront pas à occuper ce poste ou à être affectés à une autre base, ce qui signifierait qu’ils devraient déménager, suivre un cours de formation sur aéronef et se retrouver comme pilote de niveau inférieur pour le nouvel équipement et donc souffrir un horaire de moindre ancienneté.

[44] Par conséquent, il s’agissait pour Vilven du meilleur des deux mondes. Il pouvait garder ses privilèges d’appel d’offres compte tenu de son ancienneté dans le poste A340 PO YVR, continuer à être rappelé au travail et à faire du travail sur simulateur et obtenir le salaire plus élevé d’un B747 PO. C’est la façon dont la convention collective est établie et de nombreux pilotes en prennent avantage.

(ii) Conclusion au sujet de l’optimisation des revenus de Vilven

[45] À mon avis, Vilven n’a pas démontré une tendance à l’optimisation de son revenu. Le fait est qu’il savait en 1998 qu’il débutait ses derniers soixante mois avant la retraite. Pourtant, il n’a pas demandé à être affecté à Toronto avant 2000, où il pouvait augmenter son revenu ouvrant droit à pension. Il ne l’a pas fait parce qu’il a fait une erreur de calcul.

[46] Il a passé environ six mois à Toronto, puis il a déménagé à Vancouver dans le même poste qu’il occupait à Toronto. Il semble qu’il a gagné beaucoup plus que son salaire de base d’A340 PO, mais il n’a pas présenté sa candidature pour le poste de B747 PO YYZ avant 2001, même s’il savait que beaucoup de ses collègues étaient [traduction] constamment rappelés au travail et qu’ils gagnaient plus de 200 000 $ par année. Quant à lui, il avait fait une erreur de calcul.

[47] Le témoignage de Vilven selon lequel il a calculé ses déménagements afin d’optimiser son salaire n’est pas très convaincant. Il ne l’a pas fait lorsque l’occasion s’est présentée. Bien qu’il ait rectifié le tir plus tard, son premier témoignage appuie la conclusion selon laquelle sa base préférée était Vancouver, qui est relativement près de son domicile à Calgary et près de sa famille et de ses amis, qui habitent à Vancouver.

[48] Je retiens le témoignage du capitaine Duke selon lequel les pilotes dans la situation de Vilven posent leur candidature pour un poste en sachant qu’ils n’auront pas l’obligation de changer de poste. Vilven avait le meilleur des deux mondes. Il restait A340 PO à Vancouver, obtenait le salaire d’un B747 PO pendant un certain temps et continuait d’arrondir son revenu par des rappels au travail et du travail sur simulateur.

[49] Par conséquent, pour le calcul de la perte de salaire de Vilven, le salaire mensuel devrait être celui d’un A340 PO YVR en cours pendant la période d’indemnité telle qu’établie par le Tribunal.

B. Kelly, calcul de la perte de salaire et de l’ancienneté

[50] Pour déterminer sa perte de salaire et son ancienneté, Kelly a conclu que la période d’indemnité débutait le 1er mai 2005 et se terminait le 30 avril 2010. Il a utilisé la même méthodologie que Vilven, en déterminant d’abord son numéro d’ancienneté équivalent, puis son équivalent d’affectation comme pilote pour chacune des années.

(i) Ancienneté équivalente

[51] Kelly a pris sa retraite comme pilote A340 YYZ le 1er mai 2005. Son numéro d’ancienneté dans la liste d’ancienneté des pilotes d’Air Canada était 79. Cependant, en raison des normes de l’OACI à l’époque, il ne pouvait faire des vols internationaux qu’à titre de premier officier (PO) et non comme pilote avant le 23 novembre 2006. Kelly, avec le numéro d’ancienneté 79, aurait été très haut sur la liste d’ancienneté et aurait occupé le poste le plus ancien d’A340 PO YYZ.

[52] Pour les années 2006 à 2010, en ce qui a trait à l’ancienneté telle qu’elle paraît sur la liste d’ancienneté des pilotes, Kelly a conclu que W.C. Ronan était son pilote de référence ou équivalent. En suivant la liste d’ancienneté pour ces années, le numéro d’ancienneté de Kelly aurait été un chiffre en dessous de celui de Ronan.

[53] Ensuite, en se fiant à la liste des affectations des pilotes d’Air Canada pour ces années et à son numéro d’ancienneté équivalent, Kelly a conclu qu’il aurait eu l’ancienneté et aurait occupé les postes inscrits à l’annexe II.

[54] Kelly a présenté deux calculs pour la perte de salaire. Premièrement, en appliquant les taux de rémunération inscrits à l’annexe II pour les équivalents d’affectation comme pilote, il a obtenu un salaire total de 1 040 128 $ du 1er mai 2005 au 30 avril 2010.

[55] L’autre calcul se trouve dans un document que Kelly a déposé en preuve, [traduction] État des revenus annuels, R.N. Kelly. Ce document montre une perte de salaire estimée de mai 2005 à avril 2010 d’un montant de 341 574 $.

[56] L’APAC a posé des questions à Kelly au sujet de son scénario de pilote équivalent, qui montre que du 1er mai 2005 au 1er décembre 2006, il aurait présenté sa candidature pour un poste inférieur, passant de commandant de bord A340 à A340 PO afin de répondre aux normes de l’OACI. Après le 1er décembre 2006, il aurait présenté sa candidature pour reprendre un poste de commandant de bord.

[57] L’APAC a noté que cela ne tient pas compte de la clause 25.06.06 de la convention collective, qui donne à Air Canada le pouvoir discrétionnaire d’empêcher un pilote de changer d’équipement ou de statut pendant une période de 48 mois.

[58] Le témoignage du capitaine Duke était que l’objet de la clause 25.06.06 était d’éviter qu’Air Canada paie des coûts de formation. Elle va à l’encontre de la tendance de carrière générale d’un pilote qui est de commencer au bas de l’échelle et de monter en fonction de son ancienneté. À mesure que l’ancienneté augmente, le pilote est formé pour pouvoir piloter de l’équipement supérieur.

[59] Le capitaine Duke a déclaré que le principal facteur dont il est tenu compte lors de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est le coût de formation. Il a reconnu que le coût de formation pour passer du siège gauche au siège droit dans un aéronef en particulier est minime, soit une ou deux heures dans un simulateur et possiblement une vérification en ligne.

[60] Il y a trois raisons pour ne pas tenir compte de ce facteur. Premièrement, le scénario de l’équivalent d’affectation comme pilote reflète une situation hypothétique. Deuxièmement, si les coûts de formation sont le critère principal et sont aussi minimes, il n’est pas raisonnable de conclure qu’Air Canada exercerait son pouvoir discrétionnaire contre la candidature, en particulier lorsqu’Air Canada use d’une pratique discriminatoire. Troisièmement, l’experte d’Air Canada, Alexandra Leslie, dans ses scénarios d’indemnité, n’a pas non plus tenu compte de la clause 25.06.06. Les scénarios sont donc sur le même pied.

C. Atténuation

(i) Vilven

[61] Vilven a déclaré qu’en 2003, en prévision de sa retraite et pour pouvoir continuer à piloter, il s’est inscrit auprès de Park Aviation, une agence d’embauche en Europe, et il a envoyé un courriel à un certain nombre de transporteurs aériens européens. Il n’a pas obtenu d’emploi de cette façon. Il n’a présenté aucun de ces courriels ni aucune demande d’emploi.

[62] Il a aussi déclaré qu’il avait appelé un certain nombre de transporteurs aériens au Canada, mais il est impossible de dire en quelle année il l’a fait. Il avait compilé une liste de transporteurs aériens avec qui il communiquait tous les six mois pour mettre à jour son curriculum vitae. Il n’y avait pas de dates sur la liste précisant quand il avait communiqué avec les transporteurs aériens, et il a oublié de produire la liste à l’audience.

[63] Il a témoigné qu’il communiquait avec les transporteurs aériens et qu’il parlait au pilote en chef ou à sa secrétaire. Il a dit qu’il avait communiqué avec les transporteurs aériens Flair, Skyservice, Air Transat, Kelowna Flightcraft, Arctic Sunwest, Buffalo Airways, Hawk Air, Nolinor Aviation, Morning Star Aviation, Pacific Coastal et Air Saskatchewan. Il n’a pas communiqué avec Jazz Airline, Air Inuit, Canadian North, Porter Airline, Air Tindi, North Caribou Airline, Prince Edward Air, Provincial Airlines, Regional One Airlines, Trans Capitol Air, Transwest, Air Wasaya Airways, Central Mountain Air, Labrador Airline ou Calm Air.

[64] Vilven était d’avis qu’il y avait un gros obstacle pour obtenir un emploi avec ces transporteurs aériens. Il leur a dit qu’il se préparait à déposer une plainte en matière de droits de la personne et qu’il avait l’intention de retourner à Air Canada s’il le pouvait. Il voulait que les transporteurs aériens le sachent, parce que cela ne lui semblait pas être moral ou éthique qu’ils doivent dépenser 15 000 $ ou 20 000 $ pour le former et qu’il puisse démissionner peu de temps après.

[65] Vilven n’a pas travaillé pour un transporteur aérien de septembre 2003 jusqu’à janvier ou février 2005, auquel moment il a commencé à piloter pour Flair Airlines. Il a cessé de piloter pour Flair en mai 2006. À l’époque, il pilotait environ 15 jours par mois, était payé par déplacement et gagnait environ 5 000 $ par mois. Depuis sa retraite, il avait piloté environ 150 heures, toutes avec Flair Airlines.

[66] La raison pour laquelle il a quitté était que Flair avait un contrat militaire pour transporter les troupes entre Trenton et Edmonton et que le transporteur voulait qu’il s’engage à piloter environ 15 jours par mois. Il aurait été basé à Calgary, mais aurait piloté à partir de Toronto.

[67] Vilven a déclaré qu’il ne pouvait pas prendre cet engagement en raison de l’audition de sa plainte devant le Tribunal, qui devait débuter en janvier 2007. Il croyait que cela nécessiterait beaucoup de préparation de sa part et qu’il n’aurait pas le temps d’effectuer cette préparation s’il devait piloter. Il voulait se consacrer à temps plein à l’avancement de sa plainte en matière de droits de la personne et il croyait que cela l’emportait sur son obligation d’atténuer ses dommages.

[68] Vilven a reconnu que tant la Fly Past 60 Coalition que la Commission, bien qu’il ne s’agisse pas de son avocat, représentaient ses intérêts. Il n’a présenté aucun dossier montrant le temps qu’il a passé à se préparer pour l’audience, mais il a estimé qu’entre le moment où il a démissionné chez Flair et janvier 2007, auquel moment l’audience a débuté, il avait travaillé un minimum de 20 à 30 heures par semaine. Il a déclaré qu’il avait utilisé ce temps pour lire des articles et pour vérifier certaines preuves. Ses conclusions écrites finales présentées au Tribunal étaient constituées de deux pages et il a eu besoin d’environ quatre jours pour écrire ces deux pages.

(ii) Kelly

[69] Lorsqu’il a pris sa retraite en mai 2005, sa qualification pour le Airbus 330/340, B757 et B767 était valide jusqu’en 2007. Il a maintenu son certificat médical de l’aviation civile de catégorie un et sa licence de pilote.

[70] Kelly a commencé à piloter pour Skyservice en novembre 2005 et il l’a fait jusqu’à la fin avril 2006. Il a été réinvité par Skyservice et y a été employé de novembre 2006 jusqu’en mars 2007, pas à temps plein, mais à titre d’employé à contrat, sans avantages.

[71] Son emploi avec Skyservice était un contrat à titre de membre d’équipage de conduite, pour lequel il a d’abord piloté comme premier officier lors de la première saison, et comme commandant de bord lors de la deuxième saison. On lui a offert une affectation d’hiver de novembre 2007 à avril 2008 à partir de Calgary comme premier officier. Il avisé Skyservice qu’il accepterait un poste de premier officier basé à Toronto ou de commandant de bord à Calgary, mais on lui a répondu que ces postes n’étaient pas disponibles. Pour lui, il n’était pas financièrement logique de travailler à partir de Calgary comme premier officier en raison des frais d’hôtel, de déplacement et de repas, qui auraient utilisé tout son salaire.

[72] Kelly a posé sa candidature auprès de Jet Airways en novembre 2007, mais on lui a dit que, comme son contrôle de la compétence du pilote avait plus de deux ans, il devrait suivre une formation complète, et Jet Airways était incapable de lui offrir un poste à l’époque.

[73] À partir de 2005, il a consulté de nombreux sites Web qui contenaient des renseignements au sujet des transporteurs aériens dans le monde, pour trouver des postes de pilote. Il a présenté son curriculum vitae à Park Aviation en 2005, dans lequel il indiquait son expérience de vol et ses qualifications pour les aéronefs.

[74] Kelly a produit des documents montrant les résultats de sa recherche et les autres efforts qu’il a déployés de 2005 à 2010 pour obtenir un emploi. Il a répondu à plusieurs des occasions et il a aussi effectué une recherche d’emploi pour des transporteurs aériens au Canada qui opéraient le type d’aéronefs pour lesquels ses qualifications étaient à jour. Ses qualifications étaient à jour lorsqu’il a commencé à présenter sa candidature en 2005, mais elles ont ensuite expiré.

[75] Il a aussi communiqué avec Zoom Airlines en 2005, mais la compagnie n’embauchait pas. Il a communiqué avec Harmony Airlines, mais la compagnie était en déclin à l’époque et n’embauchait pas de pilotes. Il a aussi effectué une recherche Internet pour des postes d’A330 de pilotes en Europe, en Australie et au Canada. Il y avait un poste par contrat offert par Park Aviation, mais on recherchait un pilote de moins de 50 ans et qui avait piloté un A330 au cours des six derniers mois.

[76] Comme sa qualification n’était plus à jour après avril 2007, il devait suivre une formation complète pour pouvoir piloter des avions commerciaux, pour laquelle il devait personnellement débourser près de 40 000 $. Cela ne lui semblait pas être un bon investissement à l’époque.

[77] Kelly a déclaré qu’il avait aussi fait une recherche préliminaire auprès de certaines entreprises de transport au Canada. Cependant, ces entreprises n’étaient pas prêtes à payer pour sa formation. Il s’est souvenu avoir communiqué avec Kelowna Flightcraft et Cargo Jet pendant la période entre 2007 et 2008.

[78] À son avis, les possibilités d’obtenir un emploi après Skyservice étaient très faibles, à moins qu’il investisse dans une certification pour un aéronef en demande et qu’il paie les frais de formation.

[79] Cependant, il a précisé qu’il y avait eu des occasions pour piloter outre‑mer comme employé à contrat en 2006 et en 2007. Cependant, il avait choisi de ne pas travailler pour des opérations estivales parce que leurs activités étaient en Europe et qu’il ne souhait pas être loin de sa famille toute l’année.

[80] L’évaluation de Kelly du marché du travail était qu’en 2007, il y avait une pénurie de pilotes dans le monde entier, en particulier en Inde et en Chine. Cependant, il y avait une demande limitée au Canada. Il était d’avis que s’il devait obtenir un emploi pour un transporteur aérien en Inde, par exemple, il devrait suivre une formation d’environ six mois pour être qualifié. Par expérience, la bureaucratie n’était pas en faveur d’offrir des contrats à des expatriés pour des postes de pilote en Inde. Il avait effectué de nombreux voyages en Inde et, franchement, il ne s’agissait pas d’un endroit où il souhaitait habiter. Il avait choisi le Canada comme pays et il préférait y habiter et y travailler.

[81] Son gendre est pilote pour Air Georgia à Toronto. Cependant, Kelly n’était pas qualifié pour les aéronefs d’Air Georgia. Il aurait pu être qualifié pour un aéronef à turbopropulseur, à ses frais, pour environ 30 000 $, mais il s’attendait à retourner à Air Canada.

(iii) Conclusion sur l’atténuation

[82] Les intimés soutiennent que les plaignants ont l’obligation d’atténuer leurs dommages et ils citent la décision Chopra à l’appui de cet avis. Dans le cas de Vilven, ils soutiennent qu’il ne l’a pas fait, en limitant ses recherches de travail et en refusant de continuer à travailler pour Flair Airlines après mai 2006, afin de se consacrer à la préparation de sa plainte en matière de droits de la personne. Comme il n’a pas satisfait à son obligation d’atténuation, les intimés demandent au Tribunal de ne pas lui accorder d’indemnité pour perte de salaire.

[83] Quand à Kelly, les intimés reconnaissent qu’il a déployé de plus grands efforts que Vilven pour se trouver un emploi, mais ils soutiennent que ses efforts n’ont pas suffit. Ils mentionnent le fait qu’il n’était pas prêt à travailler à l’étranger pendant l’été avec Skyservice à l’extérieur du Canada ou à se chercher un poste de pilote à l’étranger parce qu’il avait choisi d’habiter et de travailler au Canada. Ils soulignent aussi le fait qu’il a refusé de travailler pendant un troisième hiver avec Skyservice parce qu’il ne croyait pas qu’il s’agissait d’une décision avantageuse du point de vue financier. Les intimés demandent au Tribunal de retrancher de 50 p. 100 toute indemnité pour perte de salaire pour Kelly.

[84] L’arrêt Chopra n’impose pas d’obligation d’atténuation aux plaignants. La décision de la Cour d’appel fédérale n’est pas ainsi libellée. La Cour d’appel avait souscrit à l’argument de l’appelant, Dr Chopra, selon lequel il n’y a aucune exigence légale dans la LCDP pour que la doctrine de l’atténuation soit invoquée afin de limiter l’indemnité pour perte de salaire.

[85] Compte tenu de sa compétence pour accorder une indemnité pour toute perte de salaire, le Tribunal a compétence pour appliquer la doctrine de l’atténuation, mais il n’a pas l’obligation de le faire.

[86] Je refuse d’exercer ce pouvoir discrétionnaire en faveur des intimés et d’imposer l’obligation d’atténuation aux plaignants. Les plaignants sont victimes d’une pratique discriminatoire, et non les intimés. Il est évident que les plaignants ont subi une perte de salaire. Pourtant, comme je l’ai déjà mentionné, en raison de la Charte et du principe de l’immunité restreinte, le montant de l’indemnité pour perte de salaire a été largement réduit des montants qui avaient été demandés.

[87] Les intimés demandent maintenant encore plus, dans le cas de Vilven, que l’indemnité pour sa perte de salaire soit de zéro. Pour Kelly, ils demandent que l’indemnité ne soit que de 50 p. 100. En l’espèce, il n’y a aucun fondement pour que le Tribunal accepte la demande des intimés.

VI. Préjudices moraux

A. Vilven

[88] Vilven demande 20 000 $ à titre d’indemnité pour préjudice moral, le maximum prévu à l’alinéa 53(2)e) de la LCDP. En ce qui a trait à la façon dont sa retraite obligée l’a affecté personnellement, il a déclaré que le fait de piloter avait toujours été une importante partie de sa vie. La plupart de ses amis sont des pilotes qui travaillent toujours, mais il n’était pas en mesure de le faire.

[89] Vilven a déclaré que les répercussions sur sa vie personnelle étaient qu’il avait payé un prix terrible pour le fait qu’il avait déposé et qu’il poursuivait sa plainte. Sa femme est extrêmement déçue et attristée de la façon dont il a été traité. Il a perdu des amis de la famille. On lui a dit qu’au souper de retraite à Winnipeg pour les pilotes d’Air Canada le 16 juin 2006, il y avait un mannequin qui le représentait d’une façon très peu flatteuse. Il a déclaré que sa femme aurait été très bouleversée si elle l’avait vu, et qu’il aurait aussi été bouleversé, mais il ne s’est pas présenté au souper.

B. Kelly

[90] Kelly demande 20 000 $ pour préjudice moral. Il a déclaré que les répercussions de la fin de son emploi auprès d’Air Canada sur sa vie personnelle avaient été très difficiles. Il a perdu la camaraderie de beaucoup d’amis. Il a perdu la capacité de rendre régulièrement visite à son fils, qui habite à Hong Kong, où il se rendait souvent pour le travail.

[91] Kelly a déclaré qu’il a toujours été employé depuis l’âge de 16 ans et qu’il s’agissait‑là de la première fois dans sa vie où il ne travaillait pas. Il trouve cela très dommageable pour sa dignité et son sens de la valeur personnelle, en particulier en raison du fait qu’il a encore deux enfants dont il doit s’occuper, un à l’université et l’autre à l’école secondaire. Il doit se fier à son épouse pour gagner le salaire supplémentaire nécessaire pour maintenir leur style de vie, alors qu’il est tout à fait en état de continuer à travailler. Il a déclaré que ses relations avec ses amis ont été tendues.

C. Conclusion sur le préjudice moral

[92] En ce qui a trait aux dommages de Vilven et de Kelly pour préjudice moral, à mon avis, ces demandes ne devraient pas être accordées. Ils demandent tous deux le maximum de 20 000 $ sans expliquer pourquoi ils ont droit au maximum. La jurisprudence du Tribunal indique clairement que l’indemnité maximale est réservée aux pratiques discriminatoires les plus accablantes. Les faits présentés par les plaignants ne satisfont pas à cette norme.

[93] Plutôt, les faits en l’espèce militent contre toute indemnité pour préjudice moral. Dès le moment où Vilven et Kelly ont été embauchés à Air Canada, ils ont été bien au courant de l’âge de retraite obligatoire de 60 ans. Pourtant, ils n’ont rien fait pour contester cette disposition discriminatoire avant de prendre leur retraite d’Air Canada à l’âge de 60 ans.

[94] Au contraire, ils ont tiré avantage de cette pratique discriminatoire en pouvant monter les échelons plus rapidement en ce qui a trait à l’ancienneté, aux postes mieux rémunérés, aux horaires mensuels préférables et aux horaires de vacances préférables. Il en était ainsi parce que les pilotes qui avaient plus d’ancienneté qu’eux avaient l’obligation de prendre leur retraite à 60 ans.

[95] Comme le Tribunal l’a noté dans sa décision précédente au sujet de la responsabilité, les plaignants peuvent ne pas être satisfaits du fait que leur carrière de pilote si enrichissante auprès d’Air Canada ait été terminée, mais la situation ne peut pas être prise de façon isolée. Elle doit être examinée dans le contexte d’un système qui a été prévu afin d’attribuer des responsabilités et des avantages aux pilotes d’Air Canada à différentes étapes de leur carrières. Tous les pilotes d’Air Canada comprennent qu’ils partageront ces avantages et ces fardeaux également aux étapes appropriées de leurs carrières.

VII. Indemnité pour acte délibéré ou inconsidéré

[96] Vilven et Kelly demandent aussi 20 000 $ contre chacun des intimés, en application du paragraphe 53(3) de la LCDP. Ils soutiennent que les intimés savaient très bien qu’il n’y avait aucune conséquence négative si les plaignants continuaient à travailler pour Air Canada. Seul un petit ajustement était nécessaire et les intimés auraient pu accéder à cette demande en respectant les normes de l’OACI.

[97] Pourtant, les intimés ont refusé de le faire même après que le Tribunal ait conclu qu’il y avait eu pratique discriminatoire. Cela démontre, selon les plaignants, une insouciance totale envers les droits des pilotes plus âgés en faveur des intérêts des pilotes moins âgés. Par conséquent, cela justifie un montant important en indemnité spéciale.

A. Conclusion sur l’indemnité pour acte délibéré ou inconsidéré

[98] Le paragraphe 53(3) de la LCDP permet au Tribunal d’accorder une indemnité spéciale lorsqu’il est conclu que la personne a agi de façon discriminatoire délibérément ou sans considération. En l’espèce, la pratique discriminatoire des intimés était le fait d’appliquer la politique de la retraite obligatoire qui se trouve dans le Régime de retraite et dans la convention collective qui, présumément, a été acceptée il y a un certain temps lors du processus de convention collective entre Air Canada et l’ACAP, qui représentait les pilotes.

[99] Ce n’est que lorsque le Tribunal a rendu sa décision en août 2009 qu’il a été conclu que la politique de retraite obligatoire était discriminatoire. Avant cette date, les intimés avaient le droit de se fier, et ils se fiaient, aux précédents établis selon lesquels une telle politique ne contrevenait pas à la Charte ou aux lois en matière de droits de la personne. Il était raisonnable que les intimés appliquent cette politique, et le fait qu’ils l’ont appliquée ne peut pas signifier qu’ils ont agi de façon délibérée ou inconsidérée.

[100] La question qu’il reste à trancher est celle de savoir si les intimés ont agi de façon délibérée ou inconsidérée en refusant de rétablir immédiatement les plaignants lorsque la politique a été déclarée discriminatoire. À mon avis, la réponse est non.

[101] Le rétablissement est l’une des mesures de redressement demandées par les plaignants. Toutes les parties ont accepté de diviser l’audience entre la responsabilité et le redressement. Le rétablissement ne découle pas nécessairement d’une conclusion de responsabilité. De plus, même si le Tribunal ordonnait le rétablissement, il restait tout de même à trancher la question de la position des plaignants sur la liste d’ancienneté. Les parties ne s’entendent pas sur cette question. Le fait que les intimés ont attendu la décision du Tribunal au sujet du redressement ne constitue pas un acte délibéré ou inconsidéré.

VIII. Autres dépenses

[102] Vilven et Kelly ont tous deux demandé des menues dépenses. Celles-ci sont détaillées à la pièce C‑18. Les points 1 à 6 portent sur des dépenses pour les hôtels, les repas et les déplacements qui ont été encourues pour la participation des plaignants à l’audience tant comme témoins que comme observateurs.

A. Conclusion sur les autres dépenses

[103] Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, d’accorder une indemnité pour les dépenses découlant de la pratique discriminatoire. Dans la décision Warman c. Winnicki, [2006] D.C.D.P no 18, le Tribunal a conclu que le déplacement, l’hébergement et les dépenses pour les repas ne sont pas le type de dépenses visées par cet alinéa, parce qu’elles ne sont pas directement liées à la présentation d’une affaire au Tribunal. Ce sont des dépenses indirectes. C’était le cas même si le plaignant dans Warman avait comparu comme témoin et avait témoigné à l’audience.

[104] Le Tribunal a noté que l’avocat dans Warman n’avait pas pu présenter de jurisprudence à l’appui d’une indemnité pour ces types de dépenses. Les plaignants en l’espèce n’ont pas non plus présenté de jurisprudence à l’appui de leur position selon laquelle on devrait leur rembourser les dépenses encourues pour la participation à l’audience en tant que témoins ou observateurs.

[105] Les points 7, 8 et 9 portent sur une assurance-vie supplémentaire, un régime de soins médicaux supplémentaire pour la retraite et des coûts additionnels pour le régime de soins médicaux. Air Canada offrait ces avantages jusqu’à la retraite. Aucune preuve n’a été présentée quant à savoir si les avantages étaient entièrement financés par Air Canada ou s’il s’agissait de contributions des employés.

[106] Les plaignants fondent leur demande sur le fait qu’ils doivent maintenant financer entièrement ces avantages. Cependant, les plaignants avaient l’option de participer à ces régimes. De plus, ils auraient pris leur retraite à un certain moment dans un avenir rapproché, et les dépenses qu’ils demandent maintenant ont simplement été légèrement accélérées. De toute façon, il n’y a aucune justification pour les montants inscrits à la pièce C‑18. Il en va de même pour la demande de Vilven au point 16 concernant les frais de laissez-passer d’Air Canada.

[107] Quant aux points 10 à 15, les primes et l’intéressement, ces montants sont inclus dans les calculs d’indemnité d’Air Canada et sont accueillis, sous réserve d’un ajustement reflétant la période d’indemnité déterminée par le Tribunal. Par conséquent, seule l’indemnité pour les points 10 à 15 est accordée.

IX. Le calcul d’Air Canada et de l’ACAP pour la perte de salaire et l’ancienneté

[108] Pour déterminer la perte de salaire et l’ancienneté, Air Canada a présenté différents scénarios. Le premier scénario est le suivant : Aucune indemnité avant le 28 août 2009 (date de la deuxième décision du Tribunal). Le deuxième scénario est le suivant : Période d’indemnité limitée à deux ans.

[109] Les deux scénarios tiennent compte du fait que Vilven et Kelly seraient rétablis à leur poste complet en date du 1er avril 2010. Une fois rétablis, Vilven et Kelly recevraient le salaire et les avantages d’un employé actif, qui comprendraient la cotisation continue au fonds de pension selon les mêmes conditions qu’avant la retraite.

[110] D’après le premier scénario, la période d’indemnité serait du 1er septembre 2009 (soit le 1er mois complet suivant la deuxième décision du Tribunal) jusqu’au 1er avril 2010. Aucune indemnité ne serait payée pour toute période précédant le 1er septembre 2009.

[111] Air Canada et l’ACAP sont d’avis que, selon la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Hislop, [2007] 1 R.C.S. 429, s’il est satisfait à certains critères établis dans cet arrêt, aucune indemnité rétroactive ne devrait être accordée. Cela est à l’opposé de la demande de Vilven et de Kelly, qui soutiennent que la période d’indemnité devrait courir de la date de leur retraite jusqu’à la date de leur rétablissement.

A. Premier scénario : Aucune indemnité avant le 28 août 2009

[112] Pour calculer la perte de salaire, il faut d’abord déterminer la position d’ancienneté équivalente que Vilven et Kelly auraient occupée au 1er septembre 2009. Air Canada est d’avis que, pour faire preuve de cohérence, si aucune indemnité n’est accordée pour la période avant le 1er septembre 2009, de façon semblable, aucune ancienneté ne devrait être accordée avant cette période.

(i) Vilven

[113] Pour déterminer l’ancienneté de Vilven au 1er septembre 2009, Air Canada a suivi le raisonnement suivant. Dans le cas de Vilven, comme six ans se sont écoulés entre sa date de retraite et la décision du Tribunal, six ans d’ancienneté devraient être déduits des années qui se sont écoulées depuis sa date d’embauche (exclusion).

[114] Vilven a été embauché par Air Canada en mai 1986. Pour refléter l’exclusion, Air Canada a ajouté six ans à la date d’embauche de Vilven en mai 1986, lui donnant une [Traduction] date d’embauche ajustée de mai 1992. Comme aucun pilote n’a été embauché entre 1989 et 1993, le numéro d’ancienneté de Vilven au 1er septembre 2009 serait le numéro suivant celui du dernier pilote embauché en 1989. Air Canada a conclu qu’il s’agissait là du capitaine Di Stazio, dont le numéro d’ancienneté en 2009 était 1221. Par conséquent, le numéro d’ancienneté équivalent de Vilven serait 1222.

[115] À sa retraite, Vilven était un A340 PO YVR. Au 1er septembre 2009, le numéro d’ancienneté 1222 sur la liste d’affectation des pilotes aurait permis à un premier officier basé à Vancouver d’occuper un poste d’A340 PO.

[116] En appliquant le taux de base mensuel pour le salaire d’un A340 PO pendant sept mois, en plus d’un montant pour les primes et l’intéressement, ainsi que la pension payée, Air Canada a calculé la perte de salaire de Vilven, y compris les primes et l’intéressement pour la période du 1er septembre 2009 au 31 mars 2010, au montant de 88 984 $. En déduisant 39 036 $ pour le remboursement de la pension et 4 051 $ pour les cotisations de retraite nécessaires, cela laisse une perte de salaire nette ou une indemnité d’un montant de 45 897 $.

(ii) Kelly

[117] Quant à l’ancienneté de Kelly, quatre années et quatre mois se sont écoulés entre sa date de retraite et le 1er septembre 2009. Comme il a été embauché en septembre 1972, son exclusion ou sa [traduction] date d’embauche ajustée serait janvier 1977. Son numéro d’ancienneté équivalent en date du 1er septembre 2009 serait 176. Par conséquent, il pourrait occuper le poste d’un pilote B777 avec le taux de salaire le plus élevé. En utilisant la même méthode qui a été utilisée pour Vilven, Air Canada a calculé que sa perte de salaire nette ou son indemnité pour la période serait de 62 711 $.

B. Deuxième scénario : Période d’indemnité limitée à deux ans

[118] Dans ce deuxième scénario, Vilven et Kelly n’obtiendraient une indemnité pour perte de salaire que de deux ans, c’est-à-dire les deux ans qui ont immédiatement suivi leur date de retraite.

[119] Ils seraient rétablis en date du 1er avril 2010 et, après leur rétablissement, ils recevraient la rémunération et les avantages d’un employé actif et continueraient de cotiser à leur fonds de pension selon les mêmes conditions qu’avant leur retraite.

(i) Kelly

[120] Dans ce scénario, Air Canada a calculé l’indemnité pour perte de salaire de Kelly pour la période en question à 42 376 $. Ce montant est fondé sur la perte de salaire et les primes et intéressements de 384 891 $; moins le salaire provenant d’autres sources, 65 825 $; moins le remboursement de la pension payée, 258 683 $; moins la cotisation requise au fonds de pension, 18 007 $.

[121] Ce calcul a été effectué en prenant l’ancienneté de Kelly et en déterminant les postes qu’il aurait pu occuper entre le 1er mai 2005 et le 1er mai 2007. Il était haut sur la liste d’ancienneté, mais en raison des normes de l’OACI, il ne pouvait piloter des vols internationaux que comme B777 PO de mai 2005 jusqu’à novembre 2006, et comme pilote B777 jusqu’au 1er mai 2010.

[122] Le salaire qu’il aurait gagné était fondé sur 81 heures de vol par mois et les taux de rémunération pertinents pour le poste de B777 PO pour 2005 et 2006. Pour 2007, la rémunération était fondée sur une moyenne de son groupe de pairs. Cependant, il y avait très peu de différence entre la moyenne de salaire mensuel du groupe de pairs de 19 792 $ en 2007 et le salaire mensuel d’un pilote B777 de 19 434 $ en décembre 2006. L’utilisation de l’analyse du groupe de pairs importait peu pour Kelly.

(ii) Vilven

[123] Selon ce scénario, Air Canada a utilisé une analyse du groupe de pairs. Par contraste à Vilven, qui a calculé qu’il était situé à un poste de B744 PO YYZ à sa retraite, le groupe de pairs pour Vilven était constitué de pilotes A340 YVR, le même poste que Vilven occupait à sa retraite, dont cinq pilotes occupaient les postes immédiatement au-dessus de Vilven, et cinq, immédiatement au-dessous de lui, sur la liste d’ancienneté à sa date de retraite. La rémunération ouvrant droit à pension moyenne pour le groupe de pairs de dix pilotes a alors été examinée pour la période de septembre 2004 à septembre 2005.

[124] Air Canada a déterminé que l’analyse du groupe de pairs était plus appropriée que celle de la cohorte de pilotes à laquelle Vilven appartenait, parce que le groupe de 10 pilotes restait le même pendant la période d’analyse. Tout choix individuel en termes de changement d’équipement, de statut ou de base aurait automatiquement été reflété, tout comme la rémunération, sans avoir à prendre des décisions hypothétiques quant au moment où un pilote exercerait les diverses options auxquelles il a droit en vertu de la convention collective. Quant à l’approche de Vilven par cohorte de pilotes, il y avait un changement de poste chaque année.

[125] Air Canada est d’avis que l’analyse du groupe de pairs nécessite moins de jugement, parce qu’elle débute avec Vilven et son poste au moment de sa retraite et suit le groupe de pairs à partir de cette date. Elle est fondée sur des décisions réelles, plutôt que sur des hypothèses de ce qui aurait pu se produire. Le groupe de pairs avait une ancienneté semblable à celle de Vilven, qui avait aussi l’option de présenter sa candidature pour la base à Toronto et de devenir un premier officier sur un B767, et ils ne l’ont pas fait.

[126] Air Canada a calculé que la perte de revenu de Vilven pour ces deux années était de 178 989 $, y compris la perte de salaire ainsi que de primes et d’intéressement de 337 807 $; moins le salaire d’atténuation de 15 767 $; moins le remboursement de pension de 126 770 $; moins la cotisation au fonds de pension de 16 281 $.

[127] Air Canada tente de fonder la période d’indemnité de deux ans sur le témoignage d’expert d’Alexandra Leslie. Selon Mme Leslie, si le régime de pension avait été modifié afin de retirer l’obligation de retraite à l’âge de 60 ans, la moyenne d’âge de retraite de deux ans aurait dépassé l’augmentation prévue.

[128] Elle a souligné que la majorité des pilotes d’Air Canada prennent leur retraite à 60 ans. Si l’obligation de retraite était retirée, elle s’attendait à ce qu’un grand nombre de pilotes continuent de prendre leur retraite à 60 ans simplement parce que la politique est en place depuis si longtemps. Du point de vue de la planification individuelle, une personne a tendance à se fier à la politique et il faudra un certain temps pour que l’âge de retraite de fait s’éloigne du 60 ans.

[129] Il est intéressant de noter qu’il y a une grande similitude entre l’analyse de cohorte de Vilven et l’analyse du groupe de pairs d’Air Canada. Elles utilisent toutes deux dix pilotes, cinq qui ont plus d’ancienneté que Vilven et cinq qui en ont moins. Elles utilisent toutes deux le poste de A340 pour la période de 2005. La différence fondamentale en ce qui a trait au montant pour la période de deux ans est attribuable à la différence entre le taux de rémunération d’un B747 PO et celui d’un A340 en 2003 et en 2004.

C. Conclusion sur l’indemnité pour perte de salaire

[130] Les plaignants soutiennent que les seuls facteurs limitant leur demande d’indemnisation pour la période de leur retraite jusqu’à leur rétablissement sont qu’il doit exister un lien de causalité entre leur demande et la pratique discriminatoire, et que leurs efforts d’atténuation doivent être raisonnables. (Chopra c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. 1134).

[131] Les intimés soutiennent qu’il y a un autre facteur limitant l’indemnité, soit la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10. Selon l’arrêt Hislop, le Tribunal ne devrait pas accorder une mesure de redressement rétroactive, c’est-à-dire qu’il ne devrait pas accorder d’indemnité pour perte de salaire pour la période avant le 28 août 2009.

[132] Les plaignants ne sont pas d’avis que l’arrêt Hislop a cet effet. L’arrêt de la Cour suprême Nova Scotia (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504, montre clairement que, sauf les facteurs limitants établis ci-dessus, le Tribunal a la compétence d’indemnisation complète pour rendre des ordonnances tant pour l’avenir que pour le passé.

[133] Dans l’arrêt Martin, il y avait deux appelants. L’appelant, Martin, avait subi une blessure en milieu de travail en février 1996, était retourné au travail plusieurs fois, mais avait finalement eu à quitter le travail. La Workers’ Compensation Board (WBC) (Commission des accidents du travail) lui avait accordé des prestations temporaires d’invalidité et de réadaptation. Lorsque ces prestations se sont terminées en août 1996, il a demandé le contrôle de la décision, mais sa demande a été rejetée par la WCB.

[134] L’autre appelante, Laseur, avait aussi subi une blessure en milieu de travail, avait reçu des prestations temporaires d’invalidité, avait tenté de retourner au travail, mais avait été incapable de le faire. Elle a demandé une indemnité pour incapacité permanente partielle et une aide sous forme de réadaptation professionnelle. Les deux demandes ont été rejetées.

[135] Les deux appelants ont porté ces décisions en appel au Tribunal d’appel de la WCB, et Martin a soutenu que l’article 10B et certaines des règles de la Workers’ Compensation Act contrevenaient au paragraphe 15(1) de la Charte. Le Tribunal d’appel a conclu que la loi contrevenait à la Charte et que Martin avait droit à une indemnité temporaire pour perte de salaire et à des soins médicaux jusqu’en octobre 1996. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a renversé cette décision et l’affaire est montée jusqu’en Cour suprême du Canada.

[136] La principale question que la Cour suprême devait trancher était celle de savoir si le Tribunal d’appel avait la compétence d’appliquer la Charte. La Cour suprême a conclu que le Tribunal d’appel avait cette compétence et qu’il avait correctement conclu que la loi contestée contrevenait à la Charte. Par conséquent, la Cour suprême a ordonné que la décision du Tribunal d’appel soit maintenue et que Martin reçoive les avantages qu’il avait demandés.

[137] Quant à Laseur, le Tribunal d’appel a refusé de lui accorder les avantages qu’elle avait demandés parce qu’elle n’avait pas contesté la validité de la loi applicable. La Cour suprême a décidé de renvoyer l’affaire au Tribunal d’appel pour qu’il tranche la question de la Charte si elle la soulevait et qu’il rende une décision au sujet de son droit aux avantages demandés en tenant compte de la décision de la Cour suprême.

[138] Dans l’arrêt Martin, la Cour suprême a tranché trois questions. Premièrement, elle a conclu que le Tribunal d’appel avait compétence pour trancher des questions relatives à la Charte et portant sur les dispositions de sa loi habilitante; deuxièmement, que les dispositions visées violaient le paragraphe 15(1) de la Charte et n’étaient pas sauvegardées par l’article premier; et troisièmement, que les mesures de redressement constitutionnelles que le Tribunal d’appel pouvait accorder se limitaient à faire fi des dispositions contestées et à trancher la demande du demandeur comme si ces dispositions n’étaient pas en vigueur. La Cour suprême n’a pas traité de la question de savoir à quel moment une indemnité rétroactive devait être accordée.

[139] Que ce soit parce que le Tribunal d’appel n’a pas appliqué les dispositions ou que la Cour suprême a décidé qu’elles étaient inopérantes, le résultat pour l’appelant Martin a été le même. Il a obtenu les avantages rétroactifs qu’il avait demandés parce qu’il n’y avait plus de fondement légal pour lui refuser.

[140] La situation de Vilven et Kelly est différente. La décision du Tribunal quant à la question de la Charte était que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP ne pouvait être utilisé comme défense par les intimés. Cependant, cette conclusion n’a entraîné aucune mesure de redressement. Elle ne fonctionnait pas de la même façon que la décision dans l’arrêt Martin. Elle n’accordait aux plaignants aucune mesure de redressement. C’est ce que le Tribunal doit déterminer.

[141] Les faits dans l’arrêt Hislop sont les suivants. Pour pouvoir obtenir une pension de survivant en vertu du Régime de pensions du Canada (le RPC), le survivant devait avoir été marié au cotisant ou avoir été un conjoint de fait du sexe opposé en relation conjugale au moment du décès du cotisant.

[142] S’il était qualifié, le survivant pouvait présenter une demande de pension de survivant qui lui serait payable à chaque mois après le décès du cotisant. Si la demande n’était pas reçue dans les 12 mois suivant le décès du cotisant, les arrérages qui pouvaient être demandés étaient limités aux 12 mois précédant la réception de la demande.

[143] En 2000, après la décision de la Cour suprême dans l’arrêt M v. H, [1999] 2 R.C.S 3, le gouvernement fédéral a modifié le RPC pour que les avantages de survivant soient accordés aux partenaires de même sexe, en changeant la définition de conjoint de fait afin qu’il n’y ait aucune mention du sexe du partenaire.

[144] En plus de cette modification, les paragraphes 44(1.1), 72(1) et 72(2) ont été ajoutés au RPC. Selon le paragraphe 44(1.1), un survivant de même sexe ne pouvait pas obtenir de pension de survivant s’il était devenu survivant le 1er janvier 1998 ou après cette date. Le paragraphe 72(2) empêchait le paiement d’une pension de survivant pour tous les mois précédant juillet 2000, peu importe le moment auquel le partenaire de même sexe est devenu admissible à la pension.

[145] L’effet de cette disposition était d’interdire tout avantage rétroactif de survivant aux survivants de même sexe, y compris la possibilité de demander des arrérages de pension de 12 mois, que les survivants de sexe opposé pouvaient obtenir en application du paragraphe 72(1). Le paragraphe 72(2) a pris fin en juin 2001, parce que depuis cette date, les partenaires de même sexe et de sexe opposé sont traités de la même façon en application du paragraphe 72(1).

[146] L’arrêt Hislop était un recours collectif d’un groupe qui était d’avis que les survivants de même sexe dont le conjoint cotisant était décédé après le 17 avril 1985 devaient avoir droit à des avantages rétroactifs jusqu’au mois suivant le décès du conjoint de même sexe.

[147] La Cour suprême a conclu que les paragraphes 44(1.1) et 72(2) contrevenaient à la Charte et elle a ensuite examiné la question de la mesure de redressement appropriée. Au départ, la Cour a noté que, lorsque la disposition contestée est déclarée inconstitutionnelle, le résultat en vertu du paragraphe 52(1) de la Charte était l’annulation du texte législatif dès le départ. Dans un tel cas, les cours accordent généralement des mesures de redressement rétroactives.

[148] Cependant, lorsque la loi change en raison d’une intervention judiciaire, il peut être approprié pour une cour de limiter l’effet rétroactif de son jugement, c’est-à-dire qu’elle applique le principe de l’immunité limitée. Selon ce principe général de droit public, en l’absence de comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir, les tribunaux n’accorderont pas de dommages-intérêts pour le préjudice subi à cause de la simple adoption ou application d’une loi subséquemment déclarée inconstitutionnelle. (Voir Makin et Guimond c. Québec, [1996] 3 R.C.S 347, au paragraphe 78).

[149] Pour que soit justifiée une mesure de redressement pour l’avenir seulement, la Cour suprême exigeait que le critère préliminaire d’une modification fondamentale du droit soit satisfait. Lorsqu’il est satisfait à ce critère, d’autres facteurs tels que l’interprétation raisonnable, la bonne foi, l’équité envers les parties et le respect du rôle du législateur doivent être considérés.

[150] Pour la Cour suprême dans l’arrêt Hislop, la modification fondamentale du droit était survenue dans la décision précédente de la Cour suprême dans l’arrêt M. c. H., que la Cour suprême a considéré comme étant un écart marqué de la jurisprudence existante sur les droits d’égalité de conjoints du même sexe. Avant l’arrêt M. c. H., la Cour suprême avait conclu que la Constitution n’exigeait pas d’avantages égaux pour les couples de même sexe.

[151] Quant aux autres facteurs, la Cour suprême a conclu que le fait de refuser des avantages aux conjoints de même sexe en application de l’ancien RPC était raisonnable compte tenu de l’état précédent de la jurisprudence en matière d’égalité fondée sur le paragraphe 15(1). Le gouvernement n’avait pas agi de mauvaise foi en n’accordant pas aux survivants de même sexe les avantages du RPC avant l’arrêt M. c. H. Le fait d’imposer une responsabilité pour le paiement d’arrérages qui pourraient remonter aussi loin qu’en 1985, en l’absence de mauvaise foi, d’interprétation déraisonnable ou de comportement fautif, minerait l’équilibre entre la protection des droits constitutionnels et l’efficacité gouvernementale.

[152] À mon avis, la décision du Tribunal du 28 août 2009 représente une modification fondamentale de l’état existant du droit. Avant la décision du Tribunal, les employeurs pouvaient avoir recours à l’alinéa 15(1)c) pour une demande présentée en vertu de la LCDP et selon laquelle une politique de retraite obligatoire était discriminatoire.

[153] La Cour suprême du Canada, depuis l’arrêt McKinney, a toujours conclu que les dispositions légales permettant la retraite obligatoire pouvaient se justifier en vertu de l’article premier de la Charte (voir McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; Harrison c. Université de la Colombie‑Britannique, [1990] 3 R.C.S 451; Dickason c. Université de l’Alberta [1992] 2 R.C.S. 1103; Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483).

[154] À l’exception de la décision récente de la Cour du banc de la Reine du Manitoba CKY‑TV c. C.EP. Local 816, 252, qui a été rendue après la décision du Tribunal dans Vilven et Kelly, la Cour fédérale et les arbitres ont accepté que cette disposition constituait une défense valable.

[155] En ce qui a trait aux autres éléments à examiner, l’interprétation raisonnable, la bonne foi et l’équité envers les parties, comme la Cour suprême l’a noté dans l’arrêt Hislop, l’interprétation constitutionnelle qui permet de déterminer, dans les cas qui s’y prêtent, le moment où la règle de droit a changé facilite la protection des justifiables et des législatures qui sont fiés à l’ancienne règle de droit lorsqu’elle s’appliquait. De la sorte, un équilibre s’établit entre la confiance légitime des décideurs que leur action s’appuie sur une évaluation raisonnable du droit au moment considéré et la nécessité de préserver la capacité d’évolution de la jurisprudence constitutionnelle.

[156] Compte tenu de l’état du droit à l’époque, les intimés ont agi de bonne foi et de façon raisonnable en appliquant la politique de retraite obligatoire aux plaignants. Quant aux facteurs de l’équité envers les parties, à mon avis, un équilibre juste est établi, d’une part en n’imposant pas aux intimés le fardeau des dommages-intérêts pour une politique qui était légale à l’époque et, d’autre part, en accordant des indemnités aux plaignants à partir du moment où la politique a été déclarée illégale.

[157] Je conclus que l’arrêt Hislop s’applique en l’espèce et que les plaignants ne devraient pas obtenir d’indemnité pour perte de salaire avant le 28 août 2009. Cela étant, il n’est pas nécessaire de trancher la position alternative des intimés selon laquelle la période d’indemnité devrait être limitée aux deux ans suivant la date de la retraite des plaignants.

D. Conclusion sur l’ancienneté

[158] Il est bien établi en matière de droits de la personne que l’objectif d’accorder une mesure de redressement est d’indemniser la victime de discrimination dans les circonstances appropriées. Cela laisse entendre que Vilven et Kelly devraient obtenir l’ancienneté qu’ils auraient accumulée s’ils n’avaient pas pris leur retraite, à moins qu’il n’existe une raison de diminuer leur ancienneté.

[159] En fonction des calculs des plaignants, tels que détaillés plus tôt dans la présente décision, le numéro d’ancienneté de Vilven à son rétablissement en 2010 serait le 751, et celui de Kelly serait le 5. Les intimés, se fondant sur l’exclusion, ont conclu que les plaignants devraient revenir au travail avec le numéro d’ancienneté 1222 dans le cas de Vilven et 176 dans le cas de Kelly.

[160] Pour arriver à cette conclusion, les intimés suivent la logique suivante. Premièrement, ils soutiennent que dans le monde des pilotes, la convention collective est fondée sur l’ancienneté et cela a des répercussions sur la rémunération. À mesure qu’un pilote avance en ancienneté, il aura la capacité de présenter sa candidature pour travailler avec de l’équipement de plus haute catégorie, qui lui rapportera un salaire plus élevé.

[161] Par conséquent, les intimés soutiennent que si l’ancienneté équivaut à la rémunération, alors l’arrêt Hislop devrait s’appliquer. Le fait de permettre aux plaignants d’accumuler de l’ancienneté avant le 28 août 2009 serait contraire au principe selon lequel les intimés peuvent se fonder sur la loi telle qu’elle était avant la décision du Tribunal.

[162] Cependant, comme la preuve le démontre, l’ancienneté détermine aussi les avantages autres que la rémunération. Par exemple, la position du pilote (l’équipement, le statut et la base), les horaires mensuels, les horaires de vacances, les conditions de travail et les mises à pied sont tous liés à l’ancienneté.

[163] L’ancienneté donne aux pilotes des choix de vie. Certains peuvent se priver de la rémunération pour rester à une base qu’ils préfèrent ou pour obtenir de meilleurs horaires mensuels ou horaires de vacances. L’arrêt Hislop ne traitait pas de la question de l’ancienneté et de l’indemnité rétroactive. Si l’ancienneté ne peut pas être exclusivement liée à la rémunération, alors l’arrêt Hislop ne devrait pas s’appliquer.

[164] De plus, en limitant l’indemnité rétroactive, l’arrêt Hislop exige que le Tribunal tienne compte de l’équité envers les parties. À mon avis, l’équilibre en ce qui a trait à l’équité est en faveur des plaignants. Les plaignants sont deux personnes. Aucune preuve ne permet de conclure que leur rétablissement au niveau d’ancienneté qu’ils déclarent aurait un effet négatif sur les activités d’Air Canada. Quant à l’ACAP, le fait d’accorder l’ancienneté à Vilven et à Kelly ne constitue pas pour eux un avancement. Ils ne font que maintenir leur position d’ancienneté comme s’ils n’avaient pas pris leur retraite. Certains membres de l’ACAP peuvent être insatisfaits, mais comme le Tribunal l’a noté dans sa décision précédente, cela ne ferait que retarder la progression de l’ancienneté des pilotes plus jeunes.

[165] Pour ces motifs, j’ai conclu que Vilven et Kelly devraient être rétablis avec le numéro d’ancienneté 751 dans le cas de Vilven et le numéro d’ancienneté 5 dans le cas de Kelly.

E. Les avantages financiers précédents découlant de l’obligation de retraite

[166] Les intimés demandent que toute indemnité accordée à Vilven ou à Kelly soient réduites afin de refléter le fait que leur carrière a progressé et a été accélérée dans un environnement de travail où la retraite obligatoire s’appliquait. Les pilotes actuels et précédents, tels que Vilven et Kelly, ont tiré avantage du fait qu’ils ont été embauchés plus tôt et qu’ils ont obtenu des promotions plus rapidement en raison de l’existence de l’âge de retraite obligatoire.

[167] Ils soutiennent que Vilven et Kelly ont la liberté de travailler tant qu’ils sont qualifiés, sans endurer de délai de compensation. La question est donc la suivante : le fait que Vilven et Kelly n’ont pas subi de délai de compensation dans la progression de leur carrière devrait-il être un facteur dans la détermination de leur indemnité? En d’autres mots, devraient-ils obtenir les avantages sans en payer le prix?

[168] Air Canada a demandé à son témoin expert, Mme Leslie, de chiffrer l’avantage financier précédent. Elle a reconnu qu’un tel exercice serait hypothétique, parce qu’il dépend en grande partie de l’âge moyen des pilotes en l’absence de l’obligation de retraite, qui est inconnu.

[169] Mme Leslie a supposé que, si la moyenne d’âge augmentait de deux ans, les pilotes actuels auraient eu l’avantage d’une accélération de carrière de deux ans. Les seuls faits qu’elle a pu présenter sur cette question étaient que la moyenne d’âge de retraite dans le régime des pilotes d’Air Canada est 59,2 ans, et que la grande majorité des pilotes prennent leur retraite à leur date normale de retraite. Ce qui est inconnu est la question de savoir, si l’obligation de retraite était retirée, combien de pilotes prendraient tout de même leur retraite à 60 ans et combien d’entre eux prendraient leur retraite plus tard, à quel âge, dans l’avenir?

[170] Mme Leslie a conclu que, en supposant que la moyenne d’âge de retraite était retardée de deux ans, et compte tenu de la moyenne finale de rémunération ouvrant droit à pension de Kelly de 224 000 $, une approximation raisonnable de l’avantage financier qu’il a obtenu en raison de l’existence de l’obligation de retraite serait d’environ 450 000 $. Pour Vilven, dont la rémunération moyenne finale était de 167 000 $, en supposant une différence de deux ans, Mme Leslie a déclaré qu’il aurait tiré un avantage d’environ 334 000 $.

[171] Mme Leslie a reconnu qu’il s’agissait-là seulement d’une approximation et que sa tentative de chiffrer l’avantage avait des faiblesses. Elle a aussi reconnu qu’elle ne suggérait pas que l’indemnité des plaignants soit réduite en fonction de ces montants, mais seulement que l’indemnité devait être réduite. Air Canada a laissé au Tribunal la charge de calculer la déduction.

F. Conclusion sur l’avantage financier précédent

[172] Cet argument comporte des lacunes. Même si l’on supposait qu’il y avait eu un avantage financier, le fondement pour chiffrer le montant est très faible. Il s’agit d’impressions plutôt que de faits. De plus, si la déduction doit être de moins de 100 p. 100, quelle devrait-elle être? En l’absence d’une formule de la part des intimés, il ne revient pas au Tribunal de supposer.

[173] Enfin, à mon avis, les intimés exagèrent beaucoup en demandant cette diminution. En tentant de faire appliquer la règle Hislop, les intimés ont réellement réduit l’indemnisation des plaignants d’environ six ans et quatre ans respectivement, ce qui est beaucoup plus que les deux ans que Mme Leslie suggérait. Leur demande d’une réduction supplémentaire est rejetée.

X. Ordonnance

[174] Le Tribunal ordonne :

  1. Les intimés doivent cesser d’appliquer l’article 5.1 du Régime de pension des pilotes d’Air Canada ainsi que les dispositions correspondantes de la convention collective envers les plaignants;
  2. Les plaignants doivent être rétablis dans leur emploi comme pilotes au sein d’Air Canada en date de la présente décision à condition qu’ils possèdent une licence de pilote valide, un certificat médical valide montrant qu’ils sont en état de piloter un aéronef commercial conformément aux normes médicales applicables de Transports Canada et une qualification de vol aux instruments à jour;
  3. Dès leur rétablissement, les plaignants doivent être inscrits au prochain cours de formation disponible pour l’équipement qu’ils ont le droit de piloter en fonction de leur ancienneté. Lorsqu’ils auront terminé avec succès cette formation, ils seront inscrits à l’horaire de pilotage dès la prochaine occasion d’appels d’offre mensuels et ils devront être placés sur la liste de postes des pilotes;
  4. Dès leur rétablissement, Vilven doit avoir le numéro d’ancienneté 751 et Kelly, le numéro d’ancienneté 5 sur la liste d’ancienneté des pilotes;
  5. Dès leur rétablissement, les plaignants doivent recevoir le salaire et les avantages d’un employé actif, y compris la contribution continue aux fins de pension, selon les mêmes conditions qu’avant leur retraite;
  6. Les plaignants doivent être indemnisés par les intimés pour la perte de salaire pour la période du 1er septembre 2009 à la date de leur rétablissement en tant qu’employés actifs. L’indemnité doit être calculée en fonction du salaire mensuel du poste pour 81 heures de vol par mois, dont la moitié doit être calculée au taux de jour et la moitié au taux de nuit, en plus de la prime pour le service outre-mer de 71 heures. L’indemnité comprendra toute prime et intéressement payé pendant cette période. Vilven aura une indemnité calculée au taux de salaire de A340 PO et Kelly, au taux de salaire de pilote B777 jusqu’au 30 avril 2010 et, par la suite, au taux de salaire d’un B777 PO;
  7. Les montants des prestations de retraite payées aux plaignants du 1er septembre 2009 jusqu’à leur date de rétablissement seront déduits de l’indemnité pour perte de salaire;
  8. Les intimés doivent payer de l’intérêt sur le montant net de l’indemnité à partir du 1er septembre 2009 jusqu’à ce que l’indemnité soit payée. Le montant de l’intérêt sera calculé en fonction de la base établie par Mme Leslie dans son rapport d’expert (pièce AC‑13, modifiée par la pièce AC‑13A) et que les plaignants ont accepté.
  9. Air Canada doit payer 50 p. 100 et l’ACAP doit payer 50 p. 100 de l’indemnité nette, ainsi que de la prime et de l’intéressement, et les intérêts payables.

Signée par

J. Grant Sinclair
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 8 novembre 2010

Annexe I

George Vilven, équivalent d’affectation comme pilote et salaire équivalent, 2003‑2010

Taux de salaire en vigueur :

Période

No équivalent d’ancienneté

Équivalent d’affectation de poste, en fonction de la pièce C‑9

Équivalent d’affectation de poste révisée

Nombre de mois

Taux de salaire mensuel, en fonction du tableau 3

Salaire pour la période

Année

Salaire annuel

2003-06-01

2003-09-01 à 2003-12-31

1406

YYZ B744 P/O

4

13 387 $

53 548 $

2003

53 548 $

2004-01-01 à 2004-12-31

1533

YYZ B744 P/O

12

13 387 $

160 644 $

2004

160 644 $

2005-01-01 à 2005-12-31

1323

YYZ A320 CA

YYZ A340 P/O

12

11 964 $

143 568 $

2005

143 568 $

2006-01-01 à 2006-06-30

1188

YYZ A320 CA

YYZ A340 P/O

6

11 964 $

71 784 $

2006

146 521 $

2006-07-01

2006-07-01 à 2006-11-30

188

YYZ A320 CA

YYZ A340 P/O

5

12 207 $

61 035 $

2006-12-01 à 2006-12-31

1188

YYZ A320 CA

1

13 702 $

13 702 $

2007-01-01 à 2007-06-30

1093

YYZ A320 CA

6

13 702 $

82 212 $

2007

180 104 $

2007-07-01

2007-07-01 à 2007-07-31

1093

YYZ A320 CA

1

13 942 $

13 942 $

2007-08-01 à 2007-12-31

1093

YYZ B767 CA

5

16 790 $

83 950 $

2008-01-01 à 2008-06-30

972

YYZ B767 CA

6

16 790 $

100 740 $

2008

188 268 $

2008-07-01

2008-07-01 à 2008-08-31

972

YYZ B767 CA

2

17 084 $

34 168 $

2008-09-01 à2008-12-30

972

YYZ B777 P/O

4

13 340 $

53 360 $

2009-01-01 à 2009-12-31

868

YYZ B777 P/O

12

13 340 $

160 080 $

2009

160 080 $

2010-01-01 à 2010-04-30

751

YYZ B777 P/O

4

13 340 $

53 360 $

2010

53 360 $

1 086 093 $

1 086 093 $

Annexe II

Neil Kelly, équivalent d’affectation comme pilote et salaire équivalent, 2005-2010

Taux de salaire en vigueur :

Période

No équivalent d’ancienneté

Équivalent d’affectation de poste, en fonction de la pièce C-13

Nombre de mois

Taux de salaire mensuel, en fonction du tableau 3

Salaire pour la période

Année

Salaire annuel

2003-06-01

2005-05-01 à 2005-12-31

79

YYZ A340 P/O

8

11 964 $

95 712 $

2005

95 712 $

2006-01-01 à 2006-06-30

52

YYZ A340 P/O

6

11 964 $

71 784 $

2006

151 146 $

2006-07-01

2006-07-01 à 2006-11-30

52

YYZ A340 P/O

5

12 207 $

61 035 $

2006-12-01 à 2006-12-31

52

YYZ A340 CA

1

18 327 $

18 327 $

2007-01-01 à 2007-03-31

39

YYZ A340 CA

3

18 327 $

54 981 $

2007

231 936 $

2007-04-01 à 2007-06-30

39

YYZ B777 CA

3

19 435 $

58 305 $

2007-07-01

2007-07-01 à 2007-12-31

39

YYZ B777 CA

6

19 775 $

118 650 $

2008-01-01 à 2008-06-30

20

YYZ B777 CA

6

19 775 $

118 650 $

2008

239 382 $

2008-07-01

2008-07-01 à2008-12-31

20

YYZ B777 CA

6

20 122 $

120 732 $

2009-01-01 à 2009-12-31

11

YYZ B777 CA

12

20 122 $

241 464 $

2009

241 464 $

2010-01-01 à 2010-04-30

5

YYZ B777 CA

4

20 122 $

80 488 $

2010

80 488 $

1 040 128 $

1 040 128 $

TRIBUNAL canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1176/5806, T1177/5906 & T1079/6005

Intitulé de la cause : Robert Neil Kelly c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada et George Vilven c. Air Canada

Date de la décision du tribunal : Le 8 novembre 2010

Date et lieu de l’audience :

Les 1, 2, 4, 5 février 2010
Les 3, 4, 22 au 24 mars 2010
Du 28 au 29 avril 2010

Ottawa, Ontario

Comparutions :

Raymond D. Hall et David Baker, pour les plaignants

Daniel Poulin, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Maryse Tremblay et Fred Headon, pour l'intimé, Air Canada

Bruce Laughton, c.r., pour l'intimée, l’Association des pilotes d’Air Canada

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