Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Heather Lynn Grant

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Manitoba Telecom Services Inc.

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Sophie Marchildon
Date : Le 14 octobre 2010
Référence : 2010 TCDP 26

Table des matières

I Introduction :

II Analyse :

III Conclusion :

I. Introduction :

[1] Le Tribunal est saisi d’une question préliminaire soulevée par l’intimée, Manitoba Telecom Services Inc. (l’intimée), au sujet d’une plainte présentée à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 10 janvier 2008 par Mme Heather Lynn Grant (la plaignante). L’intimée a déposé une requête en adjonction de Telecommunications Employees Association of Manitoba Inc. (TEAM ou le Syndicat) à titre d’intimé dans l’instruction de la plainte par le Tribunal.

[2] La requête est fondée sur l’alinéa 48.9(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) et le paragraphe 8(3) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les Règles).

[3] Dans sa plainte, la plaignante soutient que l’intimée a agi de façon discriminatoire envers elle en usant de traitement différentiel, en refusant de prendre des mesures d’accommodement pour sa déficience et en la congédiant en raison de cette déficience, en contravention de l’article 7 de la Loi.

[4] La position de l’intimée se résume comme suit :

  1. La plaignante avait été déclarée excédentaire conformément aux stipulations de la convention collective signée par le Syndicat et l’intimée ;
  2. L’intimée soutient que l’ajout du Syndicat comme intimé à l’instruction est nécessaire pour que le Tribunal puisse correctement trancher l’affaire et, si nécessaire, ordonner une mesure de réparation efficace ;
  3. L’intimée soutient aussi que, si le Tribunal conclut qu’il y a eu discrimination, le Syndicat et l’intimée sont conjointement responsables de l’acte discriminatoire découlant de l’application de la convention collective et sont conjointement responsable de rectifier ladite convention.

[5] Le 28 juin 2010, Mme Shirish P. Chotalia, c.r., la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne, a décidé que la requête serait tranchée sur présentation d’observations écrites. La soussignée fut désignée pour statuer sur la présente requête.

II. Analyse :

[6] La Loi ne prévoit pas de procédure comme telle pour l’adjonction forcée de parties et d’intervenants dans une instance devant le Tribunal. Tout au plus, l’alinéa 48.9(2)b) de la Loi prévoit :

Le président du Tribunal peut établir des règles de pratique régissant, notamment : […]

b) l’adjonction de parties ou d’intervenants à l’affaire ;

[...]

[7] Avant 2004, le président n’avait édicté aucune règle au sujet de l’adjonction de parties, avec ou sans leur consentement, et il n’était pas clair si le Tribunal avait la compétence de le faire.

[8] Je suis d’avis que les motifs suivants, rendus dans les décisions Desormeaux c. OC Transpo (T701/0602) et Syndicat des employés d'exécution de Québec-téléphone section locale 5044 du SCFP c. Telus communications (Québec) inc., 2003 TCDP 31 (Telus), sont instructifs :

[23] Dans une décision rendue sur le banc le 2 octobre 2002 dans la cause de Desormeaux c. OC Transport (T701/0602), la présidente du Tribunal, qui était saisie d'une demande d'adjonction d'un syndicat comme intimé, statua qu'en vertu de l'article 50 de la Loi, le Tribunal a le pouvoir d'ajouter des individus ou des groupes comme parties intéressées dans le cadre d'une instruction. (Nous soulignons.) Toutefois, elle fit remarquer qu'en l'espèce, telle n'était pas la question qui se posait à elle, la question à trancher étant plutôt de savoir si une tierce partie (partie étrangère à la plainte) pouvait être ajoutée comme intimé avec les conséquences que cela pouvait avoir au niveau de sa responsabilité.

[9] Sur ce point, la présidente du Tribunal a conclu, s'appuyant en cela sur l'article 48.9 (2)b) de la Loi, que l'intention du législateur était de conférer au Tribunal le pouvoir d'ajouter tant des parties que des intervenants à une instance devant le Tribunal. Par conséquent, il a été conclu que le Tribunal avait compétence. Ce qu’il restait à trancher était la question de savoir s’il était approprié d’ajouter un intimé dans les circonstances.

[10] Par ailleurs, dans une décision subséquente rendue à l’audience le 3 octobre 2002 dans la même affaire Desormeaux, la présidente du Tribunal statua qu'en l'espèce, les circonstances ne justifiaient pas l'ajout du syndicat comme intimé. Elle statua que, bien qu'ayant conclu précédemment que la Loi confère au Tribunal le pouvoir d'ajouter des parties à une instance lorsque le Tribunal le juge approprié, le contexte légal entourant ce pouvoir discrétionnaire milite en faveur d'une certaine retenue ou prudence ( caution est le terme utilisé par la présidente).

[11] À cet égard, la présidente du Tribunal a souligné, fort à propos à mon avis, que la Loi prévoit, dans le traitement des plaintes de discrimination, un processus d'enquête et d'instruction fort élaboré où tant la Commission que le Tribunal ont des rôles bien définis.

[12] Dans sa décision, la présidente du Tribunal a fait état du fait que l'ajout de parties en cours d'instance devant le Tribunal prive le nouvel intimé du bénéfice de certains moyens de défense qu'il peut normalement faire valoir au stade de l'examen d'une plainte par la Commission, notamment de la possibilité de faire rejeter la plainte sans qu'il y ait besoin d'instituer une instruction devant le Tribunal, par exemple en raison du fait qu'elle fut déposée après l'expiration du délai d'un an prévu par la Loi.

[13] Par ailleurs, dans une décision rendue par le Tribunal le 27 novembre 2002 dans Bozek et Commission canadienne des droits de la personne c. MCL Ryder Transport Inc. et McGill (T716/2102 et T717/2202), le Tribunal a ordonné, à la suite d'une requête faite en ce sens par la Commission et le plaignant, que la plainte initiale soit modifiée afin de substituer au nom de l'intimé initial celui de la compagnie née de la fusion de l'intimé initial avec un certain nombre d'autres sociétés.

[14] L’année suivante, dans la décision Telus, le Tribunal a de nouveau conclu qu’il avait compétence pour ajouter des intimés. Il a aussi conclu qu’en l’absence de règles formelles à ce sujet, l’adjonction forcée d’un nouvel intimé serait appropriée :

[…] s'il est établi que la présence de cette nouvelle partie est nécessaire pour disposer de la plainte dont il est saisi et qu'il n'était pas raisonnablement prévisible une fois la plainte déposée auprès de la Commission que l'adjonction d'un nouvel intimé serait nécessaire pour disposer de la plainte.

[15] En 2004, le président du Tribunal a édicté une règle prévoyant l’adjonction de parties (paragraphe 8(3) des Règles) cependant, cette règle – comme les autres règles du Tribunal – n’a pas été publiée dans la Gazette du Canada, comme le prévoit le paragraphe 48.9(3). Par conséquent, on pourrait soutenir qu’il ne s’agit pas d’une règle formelle, selon l’expression utilisée dans la décision Telus. De plus, le paragraphe 8(3) des Règles ne prescrit pas de condition préalable précise pour que le Tribunal rende une ordonnance d’adjonction d’une partie.

[16] Dans la décision récente Canada (P.G.) c. Brown et al., 2008 CF 734, le juge Simon Noël, de la Cour fédérale a réaffirmé les principes établis par le Tribunal dans la décision Telus.

[17] Même depuis la décision Brown de la Cour fédérale, la situation est restée la même, aucune règle formelle n’ayant été édictée au sujet de l’établissement de conditions à remplir pour que le Tribunal puisse ajouter un nouvel intimé.

[18] Je partage la préoccupation du membre instructeur du Tribunal dans la décision Telus au sujet du fait que, à toute fin utile, l’adjonction d’un nouvel intimé à l’étape de l’instruction du Tribunal alors qu’aucune plainte formelle n’a été déposée contre ce nouvel intimé prive ce dernier de l’occasion de présenter à la Commission certains moyens de défense au sens des articles 41 et 44 de la Loi.

[19] L’intimée en l’espèce a soutenu que le Tribunal devrait appliquer les enseignements de l’arrêt Renaud à la requête en cause (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970).

[20] À ce sujet, je souhaite répondre avec le raisonnement du Tribunal dans Telus, auquel je souscris et qui, à mon avis, est également applicable à l’espèce :

[18] Il convient de souligner que les faits de l'affaire Renaud sont sensiblement différents de ceux de la présente affaire. Dans l'affaire Renaud, le plaignant avait porté plainte tant contre l'employeur que contre son syndicat, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Lors de l'audition de la plainte, le membre désigné modifia la plainte dont il était saisi de manière à inclure une plainte contre le syndicat fondée sur un autre article de la Loi en plus de celle fondée sur l'article initial de manière à rendre la plainte initiale conforme à la nature de l'instance. Le membre désigné a justifié sa décision par le fait que cette modification ne causerait aucun préjudice au syndicat puisque celui-ci avait été représenté tout au long des procédures et avait participé pleinement à la plainte initiale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La Cour suprême confirma le bien-fondé de la décision du membre désigné pour entendre la plainte.

[21] Quant aux arguments de l’intimée fondés sur des principes jurisprudentiels provenant des cours provinciales, je souligne humblement que le Tribunal n’est pas lié par ces principes, qui ont été établis dans un contexte spécialisé différent, et que le Tribunal ne peut pas choisir de les suivre lorsqu’il existe une jurisprudence contraignante sur la question qui provient des cours de contrôle du Tribunal (c’est‑à‑dire le jugement de la Cour fédérale dans la décision Brown).

[22] Dans Telus, le membre du Tribunal, Pierre Deschamps, a rejeté la requête pour les motifs suivants :

[36] En l'espèce, l'intimé n'a pas convaincu le Tribunal que la mise en cause forcée du SAQT est nécessaire pour disposer de la plainte telle que libellée. En outre, le Tribunal est d'avis que la mise en cause du SAQT à ce stade-ci serait préjudiciable à ce dernier d'un point de vue d'équité procédurale.

[37] Cela dit, il sera loisible à l'intimé de faire valoir au cours de l'instruction devant le Tribunal que la preuve présentée au Tribunal ne justifie pas le maintien de la plainte et qu'il ne saurait être tenu responsable ou entièrement responsable de la discrimination alléguée dans la plainte.

[23] Je souscris aux motifs du membre du Tribunal, qui s’appliquent en l’espèce. Je note le fait que la plaignante s’oppose à l’adjonction du Syndicat à titre d’intimé. Je note aussi que la requête a été présentée au Tribunal passablement de temps après que la Commission eut renvoyé la plainte au Tribunal.

[24] De plus, l’intimée aura l’occasion d’appeler à témoigner et d’interroger un représentant du Syndicat à l’audience.

[25] Enfin, l’intimée peut demander dans sa plaidoirie à ce que, si la plainte est fondée, le montant d’indemnisation de la plaignante qui doit être payé par l’intimée soit réduit en fonction de la responsabilité conjointe établie et considérée par le Tribunal .

III. Conclusion :

[26] La requête est rejetée et l’instruction de la plainte se déroulera comme prévu.

Signée par

Sophie Marchildon
Membre du tribunal

OTTAWA (Ontario)
Le 14 octobre 2010

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1452/7809

Intitulé de la cause : Heather Lynn Grant c. Manitoba Telecom Services Inc.

Date de la décision du tribunal : Le 14 octobre 2010

Comparutions :

R. Ivan Holloway, pour la plaignante

Aucune représentation, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Gerald D. Parkinson et Paul A. McDonald, pour l'intimée

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