Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

CINDY RICHARDS

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

l'intimée

DÉCISION

2010 TCDP 24
2010/09/29

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet

I. INTRODUCTION

A. LES FAITS

(i) La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

a) Renseignements généraux

b) Le personnel des trains

c) Les changements effectués en 1992 et la création du tableau de congés

(ii) La plaignante

(iii) La pénurie à Vancouver

(iv) Les chefs de train qui ont été rappelés pour répondre à la pénurie de Vancouver

(v) Le rappel au travail de la plaignante

B. LES QUESTIONS EN LITIGE

C. LE DROIT ET LA THÈSE EN L'ESPÈCE

(i) Les dispositions pertinentes de la LCDP

(ii) Le droit

a) La preuve prima facie

b) Quelle approche doit être appliquée pour déterminer s'il y a eu discrimination fondée sur la situation de famille?

c) Une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille a t elle été établie?

d) La Compagnie a-t-elle pris des mesures d'accommodement pour la plaignante?

e) Conclusion

D. REDRESSEMENTS

(i) Une ordonnance visant à ce que la Compagnie révise sa politique d'accommodement

(ii) Rétablissement

(iii) Indemnité pour perte de salaire

(iv) Préjudice moral

(v) Acte délibéré ou inconsidéré

(vi) Indemnité pour les dépenses

(vii) Intérêts

I. INTRODUCTION

[1] Il s'agit d'une plainte de discrimination en matière d'emploi fondée sur les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP). Cindy Richards (la plaignante) a déposé une plainte dans laquelle elle alléguait que l'intimée, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (la Compagnie), avait agi de façon discriminatoire envers elle en raison de sa situation de famille en ne prenant pas de mesure d'accommodement pour elle et en mettant fin à son emploi.

[2] La Compagnie nie les allégations de la plaignante.

[3] Toutes les parties, y compris la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP), étaient présentes à l'audience et étaient représentées par un avocat.

[4] Deux autres plaintes semblables ont été déposées contre la Compagnie. Par entente entre les parties, le cas de Denise Seeley c. CN a été traité dans une audience distincte qui a eu lieu avant la présente. Bien que les plaintes de Cindy Richards et de Kasha A. Whyte aient été entendues ensemble, il a été convenu pendant une conférence de gestion du cas que les plaintes seraient tranchées dans deux décisions différentes.

[5] Bien que les faits dans l'affaire Seeley et ceux dans les affaires Richards et Whyte soient très semblables et que les témoins de la Compagnie soient les mêmes, à l'exception de Cathy Smolynek, qui a seulement témoigné dans les deux dernières affaires, la preuve présentée dans l'affaire Seeley et dans les affaires Richards et Whyte est, en de nombreux points, différente. Sans nécessairement se contredire, les témoins de la Compagnie qui avaient témoigné auparavant dans l'affaire Seeley n'ont pas répété exactement le même témoignage dans les affaires Richards et Whyte. De plus, des documents qui n'avaient pas été présentés à l'audience de l'affaire Seeley ont été déposés en preuve dans les affaires Richards et Whyte. Ces différences expliqueront toute divergence qui puisse exister dans les faits des affaires Richards et Whyte en comparaison avec la décision Seeley.

A. LES FAITS

(i) La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

a) Renseignements généraux

[6] La Compagnie est une société sous réglementation fédérale qui tire ses revenus du transport de biens par train. Il s'agit d'une compagnie de chemins de fer transcontinentale qui opère au Canada et aux États Unis. Les trains de marchandises transportent des biens 24 heures par jour, 7 jours par semaine, 365 jours par année.

[7] La Compagnie a plus de 15 000 employés au Canada. Ces employés sont organisés en deux groupes distincts décrits comme un groupe opérationnel et un groupe non opérationnel. Le groupe non opérationnel est constitué d'employés qui occupent des postes en administration, en mécanique et en ingénierie. Les employés du groupe opérationnel, aussi connus sous le nom de personnel des trains, sont des chefs de train et des mécaniciens de locomotives.

[8] La Compagnie compte plus de 4 000 employés du personnel des trains à l'échelle du Canada, dont 2 400 sont des chefs de train. Selon Mme Stephanie Ziemer, une agente des ressources humaines de la Compagnie à Vancouver, le nombre de chefs de train en 2005 aurait été légèrement plus élevé, soit 2 500 employés.

[9] En réponse à une question de l'avocat de la Compagnie, Mme Ziemer a expliqué que la Compagnie ne fait pas de suivi au sujet du nombre de ses employés qui ont des enfants. Elle a ajouté que ce renseignement ne peut être demandé que lorsque l'employé s'inscrit aux prestations d'assurance collective de la Compagnie. Elle a aussi ajouté que [TRADUCTION] selon ces renseignements, environ 69 p. 100 de nos employés ont des enfants. D'après son témoignage, cette information aurait été mise à jour en mai 2009. Elle a ajouté qu'elle [TRADUCTION] estimerait que ce pourcentage est plus élevé parce que ce ne sont pas tous les employés qui participent aux prestations d'assurance collective, en particulier s'ils ont un époux qui a une assurance collective à l'extérieur de la Compagnie.

[10] Lorsque l'avocate de la plaignante lui a posé des questions au sujet de la fiabilité de ces chiffres, Mme Ziemer a expliqué qu'ils avaient été recueillis par le gestionnaire de l'administration des prestations de la Compagnie à Montréal. L'avocat de la Compagnie a ensuite montré aux avocats de la plaignante et de la CCDP ce que l'avocate de la plaignante a décrit comme étant [TRADUCTION] un gros paquet de noms énumérés en fonction de ce qui semble être un ordre par numéro d'employé. Bien que cette liste identifiait les chefs de train et leurs personnes à charge, l'avocate de la plaignante a ajouté qu'il n'y avait [TRADUCTION] rien au sujet d'un taux de 69 p. 100. Elle a donc conclu que [TRADUCTION] quelqu'un devait avoir pris ce document et avoir fait des calculs. Elle a alors demandé que les documents sur lesquels les calculs avaient été faits soient produits en preuve.

[11] M. Paquette, l'avocat de la Compagnie, a expliqué que les calculs avaient été faits par [TRADUCTION] quelqu'un au service juridique de la Compagnie. Il a alors ajouté qu'il était [TRADUCTION] très probable que cette personne avait communiqué ces chiffres au témoin. Lorsque le membre président a demandé à l'avocat si, lorsque Mme Ziemer avait mentionné que les chiffres lui avaient été donnés par quelqu'un à Montréal, elle parlait du service juridique, l'avocat a répondu [TRADUCTION] très probablement, mais il a ajouté que l'information même provenait du service des ressources humaines de la Compagnie. Il a ajouté qu'il s'agissait simplement d'une question de [TRADUCTION] s'asseoir et procéder à l'addition un par un.

[12] En contre interrogatoire, Mme Ziemer a mentionné qu'elle n'avait pas effectué les calculs elle même. Elle a ajouté que le taux de 69 p. 100 pour les deux groupes lui avait été donné au cours d'une conférence téléphonique, mais elle était incapable de se souvenir du nom de la personne qui lui avait donné l'information. Au sujet du [TRADUCTION] gros paquet de noms, Mme Ziemer a précisé qu'elle avait vu ce document pour la première fois à l'audience. Compte tenu des explications de Mme Ziemer, le Tribunal accordera peu de poids à cette partie de son témoignage.

[13] Pour des raisons opérationnelles, la Compagnie est divisée en deux grandes régions, la région de l'Est et la région de l'Ouest. La région de l'Ouest comprend tous les terminaux ferroviaires de la Compagnie à partir de Vancouver (Colombie Britannique) jusqu'à Thunder Bay (Ontario).

[14] Le Centre de gestion des équipes (le CGE) à Edmonton est une partie très importante des opérations de la Compagnie. Il est responsable de tous les appels des équipes et les déploiements pour la région de l'Ouest. Il gère le déploiement du personnel des trains et la rémunération, dont le budget total est de 204 millions de dollars. Le CGE est composé de cinquante quatre (54) employés qui relèvent d'Elaine Storms, la directrice du CGE. Mme Storms occupait ce poste en 2005 et elle a été un témoin important pour la Compagnie à l'audience.

[15] La Compagnie a aussi un [TRADUCTION] service du personnel qui comprend les ressources humaines et les relations de travail. Bien que ces deux groupes relèvent du même service, ils ont des fonctions très distinctes. Les ressources humaines traitent, entre autres, des plaintes en matière de droits de la personne, alors que les relations de travail traitent des questions liées à la convention collective. En 2005, Mary Jane Morrison était la personne aux ressources humaines en charge du portefeuille du personnel des trains à Jasper.

b) Le personnel des trains

[16] Comme je l'ai mentionné auparavant, les mécaniciens de locomotives et les chefs de train font partie du groupe portant le nom de personnel des trains. Les mécaniciens de locomotives font fonctionner le moteur et les chefs de train sont, au fond, responsables de tous les autres aspects liés au mouvement du train.

[17] Le personnel des trains travaille soit sur la [TRADUCTION] route ou au [TRADUCTION] triage. Le [TRADUCTION] travail de route est effectué par des employés qui embarquent dans un train à un terminal en particulier et qui amènent le train à un autre terminal. Un employé de triage travaille généralement à la gare de triage, transférant les wagons couverts et emboîtant les trains. Un employé de triage n'a pas besoin de quitter le terminal.

[18] En ce qui a trait à l'embauche, la Compagnie a tendance à embaucher son personnel des trains en groupes. Selon Mme Ziemer, la Compagnie a embauché beaucoup d'employés dans les années 70 et [TRADUCTION] un peu d'employés dans les années 80 et au début des années 90. Elle a aussi ajouté que la Compagnie avait procédé à une [TRADUCTION] embauche importante de 2005 jusqu'à la fin de 2009.

[19] En 1996, le pourcentage de femmes dans le personnel des trains était d'environ 3 p. 100. Cette donnée était de 3,7 p. 100 en 2006 et se situe maintenant à environ 3,1 p. 100.

[20] Le coût pour la formation d'un chef de train est d'environ 50 000 $ à 80 000 $. Ce montant comprend le salaire de l'employé et de l'instructeur et aussi, si nécessaire, leur hébergement. La formation prend de quatre (4) à six (6) mois. Le coût de la formation d'un mécanicien de locomotives est d'environ 28 000 $ à 30 000 $, en plus du coût de sa formation comme chef de train.

[21] Afin de se qualifier pour travailler comme chef de train, un employé doit faire mettre à jour sa fiche de règles et sa fiche médicale. Ces fiches doivent être renouvelées tous les trois ans. Si un employé est au tableau de service, il recevra généralement un avis lui disant que ses fiches expireront bientôt et il n'a qu'à prendre les mesures nécessaires pour les faire mettre à jour. Si l'employé est en mise à pied, il devra le faire lui même, bien que pour la fiche de règles, il aura besoin de l'approbation de son superviseur.

[22] Lorsqu'un employé travaille ou est disponible pour travailler, on dit qu'il est au [TRADUCTION] tableau de service. Le tableau de service comprend tous les employés qui ne sont pas mis à pied. Les employés qui sont au tableau de service sont soit en affectation, soit dans un bassin.

[23] Un employé peut aussi être affecté, ce qui signifie qu'il sera au tableau de service à son terminal. La décision d'affecter un employé est prise par le gestionnaire du terminal. Cette décision est fondée sur le nombre d'employés nécessaires au terminal pour effectuer le travail prévu.

[24] Il y a aussi un autre tableau, qui fait partie du tableau de service et qui porte le nom de [TRADUCTION] tableau de remplacement ou de [TRADUCTION] tableau d'urgence. Les employés dont le nom figure à ce tableau sont appelés à travailler seulement pour remplacer des employés qui sont soit en vacances, soit incapables de travailler pour d'autres raisons.

[25] En raison de la nature des opérations de la Compagnie, le personnel des trains doit être disponible pour travailler à l'endroit et au moment requis, dans le respect des restrictions imposées par la loi et par la convention collective. Compte tenu de ces exigences, la Compagnie est d'avis que la mobilité et la flexibilité constituent des conditions d'emploi de base pour ces employés. Elle est d'avis que ces exigences sont nécessaires compte tenu du volume de biens que la Compagnie transporte et de la fluctuation en matière de demande qui peut exister pendant une courte période en raison, par exemple, de changements dans l'économie ou de facteurs saisonniers tels que la saison de la moisson du grain.

[26] L'horaire de travail d'un chef de train est très imprévisible. Selon le tableau auquel le chef de train est inscrit, il a plus ou moins de connaissances au sujet du type de travail qu'il pourrait avoir à exécuter. Par conséquent, toutes les affectations de travail sur la route ont des horaires entièrement imprévisibles. On s'attend à ce qu'un chef de train soit en mesure de se présenter au travail dans les deux heures suivant la réception d'un appel du CGE. Lorsqu'un chef de train se présente au travail, il n'a aucune idée du moment exact où il retournera à la maison. Il peut être parti pendant quelques heures, jusqu'à presque deux jours.

[27] Le travail du personnel des trains est fondé sur le millage. Le tableau de service est ajusté de façon hebdomadaire afin que chaque employé puisse faire environ 4 300 milles par mois. Lorsque la Compagnie ajuste le tableau de service, elle examine les données de la semaine précédente afin de voir combien de milles les employés ont effectués. Elle divise ce nombre par 4 300 et le résultat indique le nombre d'employés qui serait probablement nécessaire dans un terminal en particulier la semaine suivante.

[28] Pendant toutes les périodes en cause, les chefs de train dans la région de l'Ouest du Canada étaient représentés par les Travailleurs unis du transport (le Syndicat). La convention collective applicable aux chefs de train dans la région de l'Ouest est la convention collective 4.3 (la convention collective).

c) Les changements effectués en 1992 et la création du tableau de congés

[29] En 1992, des changements dans la technologie ont permis à la Compagnie d'éliminer le wagon à la fin du train, qui est communément connu sous le nom de wagon de queue. Cette décision a entraîné l'élimination du poste de serre frein. Après cette décision, les chefs de train qui travaillaient dans le wagon de queue ont été transférés à l'avant du train avec les mécaniciens de locomotives. L'élimination du poste de serre frein signifiait que la Compagnie avait besoin de moins de personnel des trains pour faire fonctionner ses trains. La réduction dans le nombre d'employés a été effectuée pendant le processus de négociation avec le Syndicat. La négociation a entraîné la création du [TRADUCTION] tableau de congés.

[30] Un tableau de congés est créé lorsqu'il y a un surplus d'employés à un terminal, mais pas suffisamment de travail pour tous. L'employé dont le nom figure au tableau de congés doit rester disponible pour le travail, mais s'il n'est pas appelé à travailler, il reçoit tout de même son salaire. Seule une certaine catégorie d'employés peut soumissionner pour le tableau de congés. Ces employés portent le nom d'employés protégés, alors que les employés non protégés ne peuvent pas s'inscrire au tableau de congés.

[31] Les changements effectués aux conditions de travail en 1992 ont aussi créé la notion de [TRADUCTION] forçage, qui produit différents résultats pour différentes catégories d'employés dans le personnel des trains. Conformément à la clause 148.11 de la convention collective, les employés embauchés après le 29 juin 1990 peuvent être forcés de travailler dans un autre terminal dans la région de l'Ouest et ont l'obligation de se présenter à ce terminal au plus tard dans les trente (30) jours suivant l'appel, à moins qu'ils ne présentent une [TRADUCTION] raison satisfaisante pour justifier le fait qu'ils ne se présenteront pas. Ces employés sont communément appelés employés de la [TRADUCTION] catégorie D. Ils sont aussi appelés employés non protégés, parce qu'ils ont l'obligation de répondre à un appel au travail à l'extérieur de leur terminal.

[32] L'autre catégorie d'employés comprend les employés qui ont été embauchés avant le 29 juin 1990. Ces employés sont appelés protégés. Dans ce groupe d'employés protégés, on retrouve ceux qui ont été embauchés avant 1982 et qui portent le nom d'employés de la [TRADUCTION] catégorie A et de la [TRADUCTION] catégorie B, respectivement. Ces employés ne peuvent pas être affectés à du travail ailleurs qu'à leur terminal local. Les employés embauchés après 1982, mais avant le 29 juin 1990, portent le nom d'employés de la [TRADUCTION] catégorie C et peuvent seulement être affectés à du travail à des terminaux adjacents. Par exemple, les employés de la catégorie C du terminal de Jasper peuvent seulement être affectés aux terminaux adjacents d'Edson et de Kamloops.

[33] Le statut d'employé protégé représente une exception à la règle générale. Le nombre de ces employés diminuera au cours des années simplement par l'attrition, et le statut disparaîtra éventuellement complètement.

[34] À la suite de la création du tableau de congés, qui essentiellement permet à certains employés d'être protégés à leur terminal local, la Compagnie devait trouver une façon de combler des postes en cas de pénuries dans d'autres terminaux. C'est à ce moment que la clause 148.11 de la convention collective est entrée en vigueur. C'est cette disposition qui permet à la Compagnie de forcer les employés non protégés à se rendre dans d'autres terminaux de la région de l'Ouest pour couvrir les pénuries.

[35] Avant l'entrée en vigueur de la clause 148.11, la Compagnie obtenait des employés pour répondre à la pénurie en produisant des [TRADUCTION] bulletins de pénurie et en permettant aux employés de se porter volontaires en cas de pénurie, s'ils le désiraient. Ces bulletins étaient produits à chaque [TRADUCTION] changement de fiche, soit environ quatre fois par année. Comme il est difficile pour la Compagnie de prévoir où une pénurie aura lieu, ces bulletins couvraient divers endroits, qu'il y ait réellement une pénurie ou non. Les employés qui souhaitaient répondre à une pénurie dans un certain endroit se portaient volontaires pour cet endroit, et s'il y avait une pénurie au terminal en question, l'employé qui s'était porté volontaire était appelé à aller y travailler.

[36] La Compagnie affiche toujours des bulletins de pénurie, et les employés peuvent toujours se porter volontaires suivant ces bulletins, mais comme les employés protégés peuvent maintenant rester à leur terminal local, au tableau de congés, et tout de même recevoir leur salaire, ils n'ont guère d'avantage à se porter volontaires en cas de pénurie.

[37] La Compagnie utilise aussi un système connu sous le nom de [TRADUCTION] dotation suivant le tableau de remplacement ( en anglais, whitemanning ),, qui lui permet d'envoyer les employés en surplus dans un terminal à un terminal adjacent. Par exemple, dans un tel scénario, des employés de Kamloops (C. B.) conduiraient des trains que les équipes de Vancouver conduisent normalement jusqu'à Kamloops. Selon Mme Storms, la [TRADUCTION] dotation suivant le tableau de remplacement est la première solution que la Compagnie utilise en cas de pénurie, parce qu'elle est beaucoup plus économique que celle de forcer des employés à répondre à une pénurie.

[38] Il est aussi possible qu'on demande à des gestionnaires de travailler pendant une situation de pénurie. Presque tous les gestionnaires des transports sont qualifiés pour conduire des trains. En règle générale, la Compagnie demandera aux gestionnaires de conduire des trains en dernier recours, lorsqu'elle a épuisé le personnel des trains, y compris les employés en mise à pied.

[39] Les employés qui sont affectés à un autre terminal en vertu de la clause 148.11 de la convention collective ont droit à certaines commodités au terminal qui leur est assigné. Ces commodités comprennent, lorsqu'elles sont disponibles, des chambres équipées d'une cuisinette et aussi la possibilité de retourner à la maison à des intervalles réguliers ou, subsidiairement, la possibilité que la Compagnie défraie le coût associé au transport d'un membre de la famille jusqu'au lieu de la pénurie.

[40] L'alinéa 148.11f) de la convention collective stipule que le premier employé à être appelé à répondre à une pénurie sera l'employé qualifié le moins ancien qui est en mise à pied dans le territoire d'ancienneté et dont la date d'ancienneté est ultérieure au 29 juin 1990. La convention collective ne prévoit pas de durée maximale pour la couverture d'une pénurie. Si la pénurie devient permanente, la Compagnie embauchera alors des employés pour le lieu touché.

[41] La clause 115 de la convention collective stipule qu'un employé qui est mis à pied sera prioritaire pour le réemploi si l'effectif est augmenté dans son district de séniorité et qu'il reprendra du service par ordre d'ancienneté. Cette clause stipule aussi que si l'employé travaille ailleurs au moment du rappel, il peut obtenir trente (30) jours pour se présenter au travail. S'il ne se présente pas au travail et qu'il ne donne pas de [TRADUCTION] raison satisfaisante pour son défaut de se présenter, il renonce à ses droits d'ancienneté.

[42] Un employé qui souhaite soulever une [TRADUCTION] raison satisfaisante pour justifier son défaut de se présenter au travail doit d'abord présenter sa demande au Centre de gestion des équipes (le CGE). On lui donne alors l'instruction d'écrire une lettre à son superviseur immédiat à son terminal local. Si la raison soulevée peut avoir des répercussions sur la convention collective, il peut être nécessaire de discuter avec le Syndicat.

(ii) La plaignante

[43] La plaignante habite à Jasper (Alberta) avec ses deux enfants. Elle a d'abord été embauchée par la Compagnie dans la province de Québec, en 1989. En 1992, elle a été appelée à répondre à une pénurie à Vancouver et alors qu'elle s'y trouvait, un employé de la Compagnie lui a dit que les occasions de travail étaient meilleures dans la région de l'Ouest. Par conséquent, le 9 avril 1992, elle a demandé à être transférée à Vancouver. Ce faisant, elle a traversé le district d'ancienneté entre la région de l'Est et la région de l'Ouest et elle a perdu l'ancienneté qu'elle avait accumulée dans la région de l'Est depuis 1989. Sa nouvelle date d'ancienneté était maintenant 1992.

[44] Comme elle a été embauchée après 1982, mais avant le 29 juin 1990, la plaignante, si elle était restée dans la région de l'Est, aurait été une employée de la catégorie C, ce qui aurait signifié qu'en cas de pénurie, elle ne pouvait être affectée qu'à un terminal adjacent. La plaignante a témoigné qu'elle n'était pas au courant de ce fait lorsqu'elle a décidé de transférer à la région de l'Ouest. Selon son témoignage, à cette époque, la Compagnie et le Syndicat étaient en processus de négociation et aucune catégorie d'employés n'avait été créée.

[45] Tout de suite après son déménagement à Vancouver, la plaignante a été mise à pied et a dû répondre à une pénurie à McClennan (Alberta). Au printemps 1993, alors qu'elle était enceinte de cinq (5) mois, elle a été forcée de répondre à une pénurie à Edmonton. Son premier enfant est né le 8 septembre 1993 et son deuxième enfant est né le 30 novembre 1994.

[46] En 1995, la plaignante et son mari, un mécanicien de locomotives aussi employé de la Compagnie, désirant une meilleure stabilité pour leur jeune famille, ont décidé de demander une mutation à Jasper puisqu'il y avait une pénurie d'employés à ce terminal à l'époque.

[47] En 1997, la plaignante et son mari se sont séparés. Leur divorce a été finalisé en 2001. Conformément à l'ordonnance de divorce, ils partagent la garde de leurs deux enfants. La résidence principale des enfants est avec la plaignante.

[48] En septembre 1998, la plaignante a été mise à pied de son poste de chef de train pour la Compagnie. À cette époque, les représentants locaux du Syndicat à Jasper avaient une entente locale avec la Compagnie. Cette entente permettait aux chefs de train mis à pied inscrits au tableau d'urgence d'être appelés à travailler avant les employés qui étaient inscrits au tableau de congés en vigueur. De cette époque jusqu'en 2001, la plaignante a travaillé en fonction du tableau d'urgence de Jasper, répondant aux appels lorsque nécessaire. L'entente locale a été modifiée en 2001, lorsque la Compagnie a décidé qu'elle souhaitait être en mesure d'appeler les employés inscrits au tableau de congés en vigueur avant les employés mis à pied. La Compagnie était d'avis que comme elle payait une garantie pour les employés inscrits au tableau de congés, mais pas aux employés mis à pied, il était financièrement avantageux pour elle d'utiliser les employés inscrits au tableau de congés avant de rappeler les employés mis à pied pour effectuer du travail d'urgence. Après ce changement, compte tenu du nombre d'employés inscrits au tableau de congés à Jasper, il n'y a plus eu d'occasion pour un employé mis à pied qui s'était inscrit au tableau d'urgence d'être appelé à travailler.

[49] La fiche de règles et la fiche médicale de la plaignante ont expiré vers 2003. Elle a témoigné qu'elle a demandé à faire recertifier sa fiche de règles, mais que son superviseur à Jasper a rejeté sa demande.

[50] En 2004, la plaignante a obtenu une nouvelle fiche de règles et a effectué un examen médical préalable à l'emploi. À partir de juin 2005, elle a de nouveau travaillé pour le tableau d'urgence de Jasper. En fait, avant son congédiement de juillet 2005, elle a travaillé pendant 9 tours de service.

[51] Au début 2005, l'aînée de la plaignante avait 11 ans et était en 6e année. Le benjamin de la plaignante avait 10 ans et était en 5e année. Ils fréquentaient tous deux l'école à Jasper.

(iii) La pénurie à Vancouver

[52] En février 2005, la Compagnie subissait une importante pénurie de personnel des trains à son terminal de Vancouver. Cette situation était due principalement à la croissance de l'économie et à l'augmentation du volume d'activités de la Compagnie, qui avait dépassé sa capacité à fournir suffisamment de personnel des trains localement pour gérer le travail à accomplir. Selon Mme Storms, soixante douze (72) chefs de train étaient nécessaires à Vancouver pour répondre à la pénurie et il n'y avait que cinquante trois (53) chefs de train sur place, donc il en manquait dix neuf (19). Elle a ajouté qu'[TRADUCTION] il s'agissait incontestablement de l'une des pénuries les plus importantes que j'aie vues dans ma carrière.

[53] Pour accentuer l'importance de cette pénurie, Mme Storms a témoigné que pendant la période du 4 février 2005 au 15 janvier 2006, à la gare de triage de Vancouver, il y avait eu 726 quarts de travail en heures supplémentaires, constituant une dépense totale de 229 350,30 $. En contre interrogatoire, elle a ajouté que ces chiffres comprenaient les heures supplémentaires effectuées non seulement par les chefs de train, mais aussi par les mécaniciens de locomotives et possiblement par les chefs de triage.

[54] Mme Storms a aussi témoigné que vers la même période, le terminal de Jasper était en situation de surplus. Elle a expliqué que lorsque, comme c'était le cas à Jasper, un terminal a un tableau de congés, qu'il soutient d'autres terminaux avec des employés dotés en fonction du tableau de remplacement et que des employés sont mis à pied, il est considéré être en situation de surplus. Cependant, elle a reconnu qu'en 2005, les gestionnaires étaient utilisés comme chefs de train à Jasper en raison des retards des trains. Elle a aussi ajouté que pendant une [TRADUCTION] partie de 2005, l'achalandage a augmenté à Jasper et qu'après le 6 août 2005, il n'y avait plus d'employés inscrits au tableau de congés à cet endroit.

[55] En raison de son emplacement, le terminal de Vancouver est très occupé. Il comprend une importante gare de triage et des opérations intermodales où les biens sont transférés à partir de navires et vers les navires. Le terminal de Vancouver constitue par conséquent un centre de liaison pour le marché canadien de la Compagnie, parce qu'une grande quantité de matériaux et de biens de consommation provenant de l'Asie et de l'Amérique du Nord, et exportés vers l'Asie et l'Amérique du Nord, passe par Vancouver et est ensuite transportée partout au Canada sur le réseau ferroviaire de la Compagnie.

[56] Une pénurie de personnel des trains à Vancouver a d'importantes répercussions, car elle peut avoir des incidences sur la capacité de la Compagnie à fonctionner adéquatement partout dans son réseau.

[57] Afin de maintenir son niveau d'opération, la Compagnie a décidé en février 2005 de rappeler des chefs de train mis à pied de la région de l'Ouest pour répondre à la pénurie qui touchait le terminal de Vancouver. Ces employés étaient des employés non protégés dont la date d'ancienneté était ultérieure au 29 juin 1990. Par conséquent, ils étaient visés par l'alinéa 148.11c) de la convention collective.

[58] D'après le témoignage de Mme Storms, les pénuries sont gérées par le [TRADUCTION] Groupe de rajustement des tableaux du CGE. Ce groupe, à cette époque, était dirigé par Joe Lyon, qui relevait directement de Mme Storms. Le Groupe de rajustement des tableaux a géré la pénurie de 2005 à Vancouver, mais comme il manquait d'effectif, des répartiteurs d'équipes ont aussi participé à la communication avec les employés qui ont été rappelés pour répondre à la pénurie.

[59] Mme Storms a témoigné que pendant cette période, elle s'était rendue à Vancouver pour aider à l'affectation des gestionnaires. Elle a ajouté que des gestionnaires avaient été rappelés de partout au Canada pour répondre à la pénurie. Elle a aussi témoigné que 2 144 tours de service avaient été couverts par des gestionnaires pendant la pénurie de Vancouver. Elle a aussi ajouté que cela [TRADUCTION] a été le recours à des gestionnaires le plus important que j'aie vu dans l'Ouest dans ma carrière.

[60] En ce qui a trait à la durée possible de cette pénurie, Mme Storms a témoigné que si la plaignante s'était présentée à Vancouver, elle y serait probablement restée pendant environ un an, puisque la situation de pénurie à Vancouver n'a pas été résolue avant 2006.

[61] Selon le témoignage de Mme Ziemer, la pénurie a éventuellement été résolue [TRADUCTION] après quelques années parce que la Compagnie a [TRADUCTION] embauché le bon nombre d'employés afin de tenir compte des attritions et de la croissance importante de l'entreprise. Elle a ajouté que le marché du travail à Vancouver est très compétitif : [TRADUCTION] Malheureusement, l'industrie de la construction était en pleine expansion. Nous avions aussi perdu beaucoup de candidats en raison de l'expansion de l'industrie pétrolière dans le Nord de l'Alberta. [...] [I]l nous a été très difficile de recruter pendant ces deux années [2005 et 2006], et c'est devenu cyclique. Nous n'avions pas suffisamment d'employés retenus dans le processus de sélection pour le recrutement, donc nous devions afficher de nouvelles offres d'emploi et tenir de nombreux salons des carrières. Nous avons dû afficher des offres d'emploi à plusieurs reprises, jusqu'à ce que nous ayons suffisamment d'employés. Cela a été cyclique de 2005 jusqu'à probablement la moitié de 2007.

[62] Les employés qui se présentaient au terminal de Vancouver pour répondre à la pénurie devaient se présenter à la gare de triage Thornton, à Surrey, et de là, comme Vancouver avait beaucoup de gares de triage, ils étaient envoyés aux endroits où leurs services étaient nécessaires. Les employés n'étaient informés de l'endroit où ils allaient travailler et du quart de travail qu'ils allaient occuper que lorsqu'ils arrivaient à Vancouver.

[63] Mme Ziemer a aussi témoigné au sujet des dispositions prises quant à l'hébergement pour les employés qui se présentaient à Vancouver pour répondre à la pénurie. Elle a expliqué qu'il y avait deux hôtels disponibles à Surrey (C. B.). L'un de ces hôtels était situé à plusieurs pâtés de maisons des gares de triage de la Compagnie. Selon les souvenirs de Mme Ziemer, cet hôtel [TRADUCTION] avait de grandes suites avec des réfrigérateurs et il y avait une cuisine collective pour les employés de la Compagnie. L'autre hôtel était plus près des gares de triage et avait aussi des suites. Mme Ziemer a ajouté : [TRADUCTION] Je crois qu'il y avait aussi des cuisines dans ces suites.

[64] Elle a aussi témoigné que la Compagnie pouvait approuver la location d'une maison, d'un appartement ou d'une copropriété. Elle a mentionné une situation qui avait eu lieu à Vancouver - bien qu'elle n'ait pas précisé à quel moment - lors de laquelle la Compagnie avait approuvé la location d'une propriété parce que le prix de la location était plus logique du point de vue économique que de payer [TRADUCTION] 90 $ par nuit ou 100 $ par nuit pour un hôtel pour les 20 ou 30 jours où l'employé serait sur place pour répondre à la pénurie.

(iv) Les chefs de train qui ont été rappelés pour répondre à la pénurie de Vancouver

[65] Quarante sept (47) chefs de train mis à pied dans la région de l'Ouest ont été rappelés pour répondre à la pénurie de Vancouver en février 2005. Mme Storms a expliqué que les employés ont été rappelés en fonction de leur ancienneté, en commençant par la personne avec le plus d'ancienneté dans le district. Elle a ajouté que la Compagnie ne permettait pas à un employé qui avait de l'ancienneté de refuser une occasion de travailler, parce que cela signifierait qu'il ne protégeait pas son ancienneté conformément à la convention collective. À l'époque du rappel, la plaignante était la première sur la liste d'ancienneté des employés mis à pied au terminal de Jasper.

[66] Des quarante-sept (47) employés mis à pied qui ont été rappelés, dix (10) se sont présentés à Vancouver et trente (30) ne se sont pas présentés et ont démissionné ou ont été congédiés. Pour les sept (7) employés restants, soit ils ont été exemptés du déplacement à Vancouver, soit leurs services étaient nécessaires à leur terminal local.

[67] Les quarante sept (47) employés ont d'abord été joints par téléphone. Selon Mme Storms, lorsque ces employés ont été appelés, on leur a dit qu'ils avaient quinze (15) jours pour se présenter à Vancouver pour répondre à la pénurie. Elle a ajouté qu'elle avait avisé son groupe de ne pas offrir de renseignements au sujet de la durée possible de la pénurie, puisque ce renseignement n'était pas disponible.

[68] À l'audience, la Compagnie a produit des feuilles de calcul Excel qui donnaient des renseignements pertinents au sujet de cinq employés qui, selon l'exposé des précisions modifié de la Compagnie, s'étaient présentés à Vancouver. L'avocat de la CCDP a demandé à la Compagnie de produire les mêmes renseignements qu'elle avait produits pour ces cinq employés, pour les quarante deux autres employés qui ont été rappelés à Vancouver. Ces documents ont été présentés sous la forme de feuilles de calcul Excel et contenaient de nombreuses pages de renseignements au sujet du statut des employés pendant la période en cause.

[69] Selon la liste des pièces de l'intimée à l'audience, la Compagnie a déposé les dossiers CATS pour cinq employés. (Voir pièce R-1, onglets 27 à 31 inclusivement.) Elle a aussi déposé deux autres dossiers CATS. (Voir les pièces R 10 et R 11.) Les avocats ont interrogé et contre interrogé Mme Storms avec rigueur sur ces documents. Quant à elle, la Commission a déposé en preuve les dossiers CATS de quinze autres employés. (Voir les pièces HR 1, onglet 5 jusqu'à l'onglet 10 et HR 2, onglet 23 jusqu'à l'onglet 30.)

[70] Le reste des dossiers CATS divulgués par la Compagnie ont été présentés en preuve par l'avocate de la plaignante (voir la pièce C 33). Ces documents n'ont pas été présentés en preuve dans le format dans lequel la Compagnie les avait fournis. L'avocate de la plaignante, pendant son contre interrogatoire de Mme Storms, a expliqué qu'elle avait créé ce qu'elle a décrit comme étant [TRADUCTION] un document dans un nouveau format en réorganisant les renseignements contenus dans la feuille de calcul Excel originale produite par la Compagnie. Ce nouveau document a été réorganisé de telle façon à montrer quels employés appelés à Vancouver étaient disponibles à diverses dates en 2005.

[71] Le dernier jour de l'audience, l'avocat de la Compagnie a soulevé des préoccupations au sujet de la justesse de certains des renseignements sur les feuilles de calcul. Le 18 janvier 2010, plus de deux mois après l'audience, la Compagnie a déposé une requête visant à obtenir la permission de rouvrir le dossier afin de présenter de nouvelles preuves. Cette requête a été tranchée dans la décision 2010 TCDP 6.

[72] La Compagnie a produit les documents et, comme je l'ai déjà noté, a décidé de les inclure dans le témoignage de Mme Storms. Nous pouvons déduire que la Compagnie était d'avis que Mme Storms connaissait suffisamment les renseignements apparaissant dans ces documents pour pouvoir témoigner à leur sujet. J'examinerai certains des renseignements contenus dans ces documents en détail, parce qu'ils étaient importants pour toutes les parties. Afin de protéger la confidentialité des employés visés, ils seront identifiés par des lettres qui ne correspondent pas à leurs noms réels.

[73] Les documents indiquent que l'employé AB, bien qu'il eût été rappelé, ne s'est pas présenté pour combler la pénurie de Vancouver. Le 22 mars 2005, il a été affecté au terminal de Sioux Lookout. Il a continué à y travailler jusqu'à la fin de l'année. Comme il a été affecté à son terminal local, il n'avait pas à répondre à la pénurie à Vancouver. Bien que cet employé eût été affecté le 22 mars, le document indique qu'il a seulement travaillé le 24 mars et qu'ensuite, il n'a pas travaillé jusqu'au 1er avril. Après cette date, il a travaillé le 10 et le 11 avril, mais n'a plus travaillé avant le 18 avril. Le 22 juillet, il a pris un congé et n'est retourné au travail que le 12 août. Il a travaillé de cette date jusqu'au 20 août, mais il n'a pas travaillé après cette date jusqu'au 22 septembre. Il a travaillé à nouveau le 30 septembre, puis n'a pas travaillé jusqu'au 28 octobre. Pendant les périodes où il ne travaillait pas, l'employé ne s'est pas présenté pour combler la pénurie de Vancouver.

[74] L'employé HI travaillait dans une période de pénurie à Hornepayne au moment du rappel. Il a travaillé dans le cadre de cette pénurie jusqu'au 18 mai 2005. Après cela, il est rentré à la maison pendant une semaine, puis s'est rendu à Vancouver pour répondre à la pénurie le 30 mai. Il a ensuite été rappelé à son terminal local le 19 septembre 2005. Il a été transféré à Fort Francis le 29 octobre et y a travaillé jusqu'à la fin de l'année.

[75] Selon les documents produits par la Compagnie, alors qu'il était à Vancouver, cet employé a commencé par effectuer quatre (4) tours de formation. Après la fin de sa formation le 3 juin, il a seulement commencé à travailler le 9 juin. Mme Storms a précisé qu'il était possible que pendant ce temps, il était toujours en formation, bien qu'elle ne puisse pas en être certaine. Après le 9 juin, il est inscrit comme étant disponible du 17 juin jusqu'au 26 juin, puis il est inscrit qu'il était en millage. Cela signifie qu'il avait été au lieu de la pénurie pendant un certain temps et qu'il pouvait retourner à la maison pendant quelques jours. Il n'a pas travaillé à Vancouver du 16 juin au 6 juillet, ni du 23 juillet au 8 août. Il a eu un autre congé le 1er septembre. Sa date suivante de travail était le 25 septembre. Comme je l'ai mentionné précédemment, le 29 octobre, il a été affecté à Fort Francis, mais il n'y a réellement travaillé qu'à partir du 22 décembre 2005. Lorsque l'avocate de la plaignante lui a demandé pourquoi un employé serait affecté pendant presque deux mois sans travailler, Mme Storms a répondu : [TRADUCTION] Je ne peux pas répondre à cette question.

[76] L'employé P a été mis à pied à North Battleford le 25 février. Le 19 mars, il a pris une semaine de vacances puis il a été affecté à son terminal local le 26 mars. Comme je l'ai déjà mentionné, lorsqu'un employé est affecté à son terminal local, il n'a plus l'obligation d'aller répondre à une pénurie. Mme Storms a cependant précisé que le fait d'être affecté ne signifie pas qu'un employé travaille tous les jours. Dans le cas de l'employé P, par exemple, du 26 mars jusqu'à la fin avril, il a seulement travaillé sept jours à son terminal local, mais Mme Storms a ajouté qu'il faut être prudent en examinant cette information, parce que les tours peuvent durer deux (2) ou trois (3) jours chacun, bien qu'aucune preuve confirmant que c'était le cas pour cet employé n'ait été présentée. L'employé a de nouveau été mis à pied le 24 avril 2005. De cette date jusqu'à la fin de l'année, cet employé s'est déplacé dans la zone de la Saskatchewan [TRADUCTION] occupant des postes ouverts dans d'autres terminaux.

[77] L'expression [TRADUCTION] occuper des postes ouverts fait référence à la situation où un employé mis à pied qui a de l'ancienneté dans la région de l'Ouest choisit de se rendre à un autre terminal où un poste qu'il peut occuper est vacant. Lorsqu'un poste devient disponible à son terminal local, l'employé y retourne. Si un employé exerce son droit d'ancienneté et [TRADUCTION] occupe un poste ouvert, il compte comme un employé qui travaille et il n'a pas à se présenter pour répondre à une pénurie.

[78] L'employé Y a aussi été appelé pour répondre à la pénurie de Vancouver le 25 février 2005. Ce jour là, il était en congé, mais selon Mme Storms, le CGE aurait communiqué avec lui dans les jours suivants. Mme Storms a ajouté qu'elle avait examiné le dossier de travail de cet employé et qu'il y était indiqué qu'il était [TRADUCTION] absent sans permission le 4 mars 2005. Cet employé a finalement été affecté à son terminal local le 15 mars 2005. Le 9 avril, il a de nouveau été mis à pied, puis, le 30 avril, il a obtenu un congé de son coordonnateur des trains. Ce congé a duré jusqu'au 13 mai, où il a de nouveau été mis à pied. Le 5 juin, il a de nouveau été en congé jusqu'au 19 juin. Le 20 juin, il a été affecté à Saskatoon et y a travaillé jusqu'au 1er juillet, puis il a été mis à pied de nouveau le 2 juillet. Le 9 juillet, il a de nouveau été affecté à Saskatoon. Le 4 novembre, il a pris congé, puis le 13 novembre, il a commencé sa formation de chef de triage. Il a suivi cette formation jusqu'à Noël, puis son nom est resté inscrit au tableau de service jusqu'à la fin de l'année.

[79] Mme Storms a témoigné que cet employé était [TRADUCTION] louche et qu'il [TRADUCTION] se rendait indisponible. Elle ajouté que lorsqu'il a été affecté à son terminal local, il n'avait pas eu besoin de se présenter pour la pénurie, mais que lorsqu'il a été mis à pied au début avril, il aurait dû se présenter à Vancouver, ce qu'il n'a pas fait. Lorsque l'avocat de la Compagnie lui a demandé pourquoi il n'avait pas été congédié parce qu'il ne s'était pas présenté, elle a répondu : [TRADUCTION] Je n'en sais rien. Son gestionnaire ... a peut être fait quelque chose. Je ne sais pas exactement pourquoi; comme je l'ai dit, je crois qu'il est simplement passé entre les mailles du filet. Comme il travaillait, nous n'avons évidemment pas effectué de suivi rapproché à son sujet. Enfin, le 25 décembre 2005, cet employé a été affecté à Saskatoon. En contre interrogatoire, Mme Storms a ajouté que son superviseur croyait qu'il aurait besoin de cet employé, alors [TRADUCTION] il ne l'a pas relâché .

[80] L'employé U a été appelé à répondre à la pénurie de Vancouver au même moment que tous les autres. Mme Storms a témoigné qu'elle avait personnellement parlé à cet employé et qu'il l'avait avisée que son père était en phase terminale. Elle a ajouté qu'elle avait pris la décision elle même de prolonger le temps qui lui était accordé pour se présenter à Vancouver. Cet employé est resté sur le tableau des mises à pied jusqu'au 26 juin 2005, auquel moment il a obtenu un congé du coordonnateur des trains de son terminal. Le 24 juillet, il a été affecté à son terminal local. Son père est décédé en octobre et il a pris un congé de deuil. Après cela, il est resté à son terminal local pour le restant de l'année.

[81] L'employé E était en mise à pied lorsque les procédures de rappel ont débuté. Au départ, lorsque les employés du CGE ont commencé à communiquer avec les employés, ils écrivaient des notes dans leurs dossiers de travail alors qu'ils effectuaient les appels. Cependant, comme la pénurie était très importante, les procédures devenaient un peu maladroites et Mme Storms a avisé ses employés de préparer des tableaux afin de voir comment les choses se déroulaient et combien de personnes couvriraient la pénurie. Les renseignements qui se trouvent sur ces tableaux ont été recueillis et inscrits par différents employés du CGE. Le premier tableau a été produit le 7 mars 2005. La dernière entrée datait du 19 mai 2005. Après cela, la liste n'a plus été utilisée. Mme Storms a expliqué qu'à cette date, [TRADUCTION] la plupart des 47 employés rappelés avaient répondu ou leur situation avait été réglée.

[82] L'inscription sur les feuilles de calcul pour le 16 mars 2005 indique que l'employé E avait [TRADUCTION] 15 jours pour se présenter, 30 jours demandés. G. Spanos, confirmer ou organiser le déplacement. Le 20 avril 2005, il est inscrit [TRADUCTION] Dans la zone du Manitoba [E] a obtenu un congé de compassion jusqu'à nouvel ordre - accordé par Ron Smith - pour des raisons personnelles [non souligné dans l'original]. Mme Storms a expliqué que Ron Smith était le gestionnaire du personnel des trains pour la zone du Manitoba. Elle a indiqué qu'elle en savait un peu plus au sujet de la situation de cet employé, parce qu'elle avait discuté avec son superviseur après l'audience de l'affaire Seeley. En réponse aux questions que l'avocat de la Compagnie lui a posées, elle a expliqué que la situation de l'employé E était très semblable à celle de l'employé U. Il avait aussi un parent en phase terminale, ce qui expliquait l'inscription du 19 mai 2005, qui précisait [TRADUCTION] Dans la zone du Manitoba, cette personne a obtenu un [congé de compassion] jusqu'à nouvel ordre accordé par A. Nashman et K. Carroll. M. Carroll était le gestionnaire général de Vancouver, division sud, à l'époque, et M. Nashman était le gestionnaire général du Centre d'opération de l'Ouest. L'employé E a été en congé jusqu'au 30 juillet 2005 et a ensuite été absent sans permission du 31 juillet au 8 septembre. Le 10 septembre, il a été envoyé à un autre terminal (Brandon (Manitoba)) et, finalement, il a démissionné le 19 octobre.

[83] Lorsqu'on lui a demandé en contre interrogatoire pourquoi cet employé ne s'était jamais présenté à Vancouver, Mme Storms a témoigné que son superviseur avait expliqué que l'employé ne s'était pas présenté à Vancouver parce qu'[TRADUCTION] il le formait pour qu'il devienne superviseur, mais l'employé a finalement démissionné. Cette réponse n'est pas la même qu'elle avait donnée auparavant à l'avocat de la Compagnie, auquel moment elle avait déclaré que la situation de cet employé était semblable à celle de l'employé U.

[84] L'employé FG apparaissait dans l'exposé des précisions modifié de la Compagnie comme ayant démissionné, mais à l'audience, Mme Storms a témoigné qu'il s'agissait d'une erreur. Cet employé avait été rappelé pour la pénurie de Vancouver et il s'y était présenté le 22 mars 2005. Cependant, de cette date jusqu'au 21 septembre 2005, l'employé était en [TRADUCTION] congé de maladie. Il a obtenu ce qui a été décrit comme un [TRADUCTION] congé en vertu de la Loi sur les congés familiaux. Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer ce qu'était la [TRADUCTION] Loi sur les congés familiaux , Mme Storms a répondu qu'elle ne savait pas. Une recherche rapide n'a pas permis au Tribunal de trouver une loi portant le nom de [TRADUCTION] Loi sur les congés familiaux. Cet employé a démissionné de son poste à la Compagnie le 6 mai 2006.

[85] L'employé O apparaît dans l'exposé des précisions modifié de la Compagnie comme s'il s'était présenté à Vancouver et qu'il était toujours employé de la Compagnie. Cependant, les documents produits à l'audience démontrent que cet employé ne s'est pas présenté à Vancouver. Il est resté dans sa province où, selon Mme Storms, [TRADUCTION] tous les employés de l'endroit étaient utilisés.

[86] L'employé QR couvrait une pénurie à Hornepayne lorsque la procédure de rappel a débuté, donc il n'avait pas à se présenter immédiatement à Vancouver. Lorsqu'il a eu terminé de répondre à la pénurie à Hornepayne, il s'est présenté à Vancouver, mais pendant la période du 8 novembre 2005 au 20 décembre 2005, il a travaillé seulement trois jours. Avant le 8 novembre, il semble qu'il a travaillé de façon régulière. Mme Storms a témoigné qu'elle ne pouvait pas commenter la période débutant le 8 novembre, mais elle a ajouté qu'il y avait toujours une pénurie à Vancouver à ce moment-là.

[87] Un autre employé, l'employé M, s'est présenté à Vancouver le 25 mars 2005, mais de cette date jusqu'à la fin 2005, les documents indiquent qu'il n'a travaillé que trente quatre (34) tours. Plus précisément, entre le 17 septembre et le 31 décembre, il n'a travaillé que dix (10) tours. Les documents montrent que cet employé a été absent très souvent. Les documents indiquent aussi qu'entre le 30 novembre et le 31 décembre 2005, cet employé était absent sans permission. Mme Storms a témoigné qu'elle ne connaissait pas la raison de cette absence. Elle a ajouté que seul son superviseur pouvait donner une justification. Cet employé n'a pas été renvoyé.

[88] L'employé A a été à Vancouver pendant environ deux (2) mois. Le 14 mai 2005, il a été transféré à Kenora. Mme Storms a témoigné que le superviseur qui avait pris la décision de l'affecter à Kenora [TRADUCTION] croyait ou prévoyait qu'il y aurait du travail à ce terminal pour cet employé. Cependant, les documents indiquent que du 17 mai 2005 au 4 août 2005, cet employé a travaillé trois (3) tours à Kenora et que du 1er novembre jusqu'à la fin décembre, il n'a travaillé que sept (7) tours. Mme Storms a témoigné qu'elle ne pouvait présenter de raison pour laquelle le superviseur à Kenora avait décidé d'affecter cet employé, mais elle a reconnu que cette [TRADUCTION] personne n'avait pas beaucoup travaillé .

[89] L'employé C s'est présenté à Vancouver le 15 mars 2005. Il n'a pas travaillé à Vancouver, mais son nom apparaissait comme étant [TRADUCTION] disponible sur le tableau à de nombreuses occasions. Le 16 mai 2005, il a été affecté à Kenora. Du 17 mai au 9 juillet 2005, il a travaillé trois (3) jours à ce terminal et du 20 octobre au 12 décembre 2005, les documents indiquent qu'il n'a pas du tout travaillé. Mme Storms a confirmé cette information dans son témoignage.

[90] L'employé DE a aussi été rappelé à Vancouver le 15 mars 2005. Son horaire de travail à Vancouver a été plutôt régulier. Le 18 juin 2005, il a été transféré et affecté à Terrace, mais alors qu'il s'y trouvait, il n'a pas travaillé avant le 23 septembre, date à laquelle il a de nouveau été transféré à Vancouver.

[91] Un autre employé, IJ, a été appelé à répondre à la pénurie à Vancouver, mais il n'a pas eu à se présenter à Vancouver parce qu'il couvrait une pénurie dans un autre endroit. Du 17 mars au 16 mai, alors qu'il couvrait cette pénurie, les documents montrent qu'il n'a travaillé qu'une (1) seule journée (le 26 avril 2005). Du 20 mai au 27 mai, il a été affecté à son terminal local à Thunder Bay. Du 3 juin au 24 juin, il s'est présenté à Vancouver, mais une fois de plus, les documents montrent qu'il n'a pas travaillé pendant plusieurs jours. Du 16 juillet au 1er septembre, il a eu un horaire de travail plutôt régulier. Le 7 septembre, il a quitté Vancouver pour se rendre à Sioux Lookout, où il n'a travaillé que quatre (4) jours jusqu'au 27 octobre 2005. Après cette date, il a été affecté d'abord à Brandon, puis à Fort Francis.

[92] L'employé O ne s'est pas présenté à Vancouver pour diverses raisons inexpliquées. Il a été affecté à son terminal local, mais les documents démontrent que pendant la période allant jusqu'en décembre, son horaire de travail à ce terminal était très irrégulier. Mme Storms a témoigné que ces renseignements [TRADUCTION] semblaient justes et elle a ajouté qu'[TRADUCTION] il revenait au terminal de mettre à pied cet employé. Si le terminal l'a affecté et qu'il n'a pas travaillé, il n'y a pas grand chose que le CGE pouvait faire.

[93] L'employé W s'est présenté à Vancouver le 14 avril 2005. De cette date jusqu'au 29 juillet, il a travaillé dix huit (18) jours. Le 29 juillet 2005 a été sa dernière journée à Vancouver. Le 30 juillet, cet employé a été transféré à son terminal local. Il y a été affecté, mais n'a pas travaillé du 13 août au 19 septembre. Il a travaillé le 20 septembre, mais n'a pas travaillé par la suite avant le 12 novembre, date à laquelle il a été transféré à un autre terminal pendant sept (7) jours. Il est retourné à son terminal local le 19 novembre, où il n'a pas travaillé jusqu'à la fin de l'année. Mme Storms a témoigné qu'elle ne savait pas pourquoi cet employé n'avait pas travaillé.

[94] Dans l'exposé des précisions modifiées de la Compagnie, il est indiqué que l'employé BC a démissionné. Cependant, selon les documents présentés à l'audience, cet employé obtenait [TRADUCTION] des prestations d'assurance de longue durée - de la Great West, compagnie d'assurance-vie. Selon Mme Storms, le répartiteur au CGE avait probablement parlé au superviseur de cet employé. L'employé n'a pas eu à se présenter à Vancouver.

[95] À partir de cette preuve, le Tribunal conclut que beaucoup des employés rappelés pour répondre à la pénurie à Vancouver ne s'y sont pas présentés et n'ont pas été congédiés ou, s'ils s'y sont présentés, ils ont été inscrits comme étant [TRADUCTION] disponibles pour travailler pendant divers jours, mais n'ont pas travaillé.

(v) Le rappel au travail de la plaignante

[96] Avant de traiter les faits concernant le rappel de la plaignante pour répondre à la pénurie de Vancouver, le Tribunal note que pendant son contre interrogatoire, Mme Storms a précisé qu'elle n'avait pas personnellement gardé de dossier précis pour la situation de la plaignante. Elle a ajouté que Joe Lyon, le gestionnaire des opérations de la Compagnie au CGE pour les opérations de l'Ouest, et aussi le gestionnaire du Groupe de rajustement des tableaux, qui se rapportait directement à Mme Storms, auraient probablement conservé des documents dans le [TRADUCTION] dossier sur la pénurie de Vancouver et que les lettres de la plaignante auraient été rangées dans son dossier personnel à la Compagnie. M. Lyon n'a pas été appelé à témoigner, alors il a été impossible pour le Tribunal de vérifier cette information.

[97] La plaignante a témoigné que le 17 mars 2005, elle a reçu une lettre de la Compagnie datée du 28 février 2005. Cette lettre l'avisait qu'elle était rappelée au tableau de service et qu'elle devait répondre à une pénurie d'employés de triage à Vancouver. La lettre l'avisait aussi que si elle était incapable de se présenter à Vancouver dans les quinze (15) jours après son rappel, elle devait communiquer avec le coordonnateur des trains à Vancouver. Lorsqu'elle a reçu cette lettre, la plaignante a communiqué avec M. Spanos, le coordonnateur des trains à Vancouver, et a tenté de lui expliquer sa situation et à quel point sa famille était anéantie par la nouvelle, mais elle a ajouté qu'il ne semblait pas intéressé; il souhaitait seulement savoir à quel moment elle arriverait à Vancouver.

[98] Le 18 mars 2005, la plaignante a écrit à la Compagnie pour l'aviser qu'elle avait reçu la lettre du 28 février le 17 mars 2005. Elle a demandé un avis de trente (30) jours conformément à la clause 115 de la convention collective. Elle a aussi expliqué qu'elle était mère seule de deux enfants d'âge scolaire et que la nouvelle de son transfert forcé à Vancouver avait [TRADUCTION] causé beaucoup d'anxiété pour tous. Sa lettre était adressée à la Compagnie et une copie avait été envoyée au local du Syndicat à Jasper ainsi qu'à Joe Lyon, Colin Pizziol, le coordonnateur des trains à Jasper, et à George Spanos.

[99] Mme Storms a témoigné qu'elle ne se souvenait pas avoir vu cette lettre. Elle a ajouté qu'elle était au courant à ce moment-là que la plaignante avait des problèmes au niveau de la garde de ses enfants et que c'était pourquoi elle avait parlé à Joe Torchia, le directeur des relations de travail de la Compagnie, au sujet des personnes qui ne pouvaient pas se présenter, et que la plaignante faisait partie de ce groupe. Elle a aussi ajouté qu'il aurait été normal de demander à la plaignante de soulever la question avec son superviseur, mais qu'elle ne pouvait pas se souvenir si cela avait été fait.

[100] Quant à lui, M. Torchia a témoigné qu'il avait eu connaissance de cette lettre. Il croit avoir reçu une copie de la lettre ou avoir été informé de son contenu par le CGE. Selon son interprétation de la lettre, la plaignante demandait seulement à obtenir plus de temps pour se présenter à Vancouver. Il a alors avisé Mme Storms d'accorder à la plaignante une prorogation du temps prévu pour se présenter à Vancouver.

[101] La compagnie n'a pas répondu à la lettre de la plaignante et aucune preuve n'a été présentée par la Compagnie au sujet du fait que la plaignante aurait été avisée qu'elle avait obtenu une prorogation du temps prévu pour se présenter à Vancouver.

[102] M. Torchia a aussi témoigné que vers la même période, il avait reçu un appel de Bryan Boechler, le président général du Syndicat, au sujet de la plaignante, de Kasha Whyte et de Denise Seeley. Il a déclaré que M. Boechler lui avait expliqué que ces employées avaient des problèmes de [TRADUCTION] garde d'enfants et qu'il avait demandé qu'on leur accorde plus de temps pour se présenter à Vancouver. M. Torchia a témoigné qu'il croyait qu'à ce moment-là, une prorogation avait déjà été accordée.

[103] Les feuilles de calcul préparées par le CGE au sujet du rappel n'appuient pas le témoignage de M. Torchia. Sur la feuille datée du [TRADUCTION] 18 mars 2005 à 13 h, une note dans la colonne de la plaignante précise : [TRADUCTION] Message laissé à la résidence pour qu'elle effectue son examen médical - demande 15 jours. La note inscrite dans la colonne de K. Whyte précisait : [TRADUCTION] 15 jours pour se présenter. Trente jours demandés - OK le 29 mars, accordé par A. Nashman, et dans la colonne de D. Seeley, la note indiquait : [TRADUCTION] 16 jours pour se présenter, 30 jours demandés - OK en date du 6 avril, accordé par A. Nashman.

[104] Dans une lettre datée du 25 avril 2005, M. Lyon a avisé la plaignante d'avertir la Compagnie, au plus tard le 6 mai 2005, si elle se présenterait au travail à Vancouver. Dans cette lettre, on avisait aussi la plaignante que si elle ne se présentait pas à Vancouver, elle renonçait à son ancienneté et la compagnie allait [TRADUCTION] se passer de ses services. Mme Storms a témoigné qu'elle ne se souvenait pas avoir participé à la préparation de cette [TRADUCTION] lettre type provenant de son bureau. Elle a ajouté qu'elle savait à l'époque que la plaignante avait des [TRADUCTION] problèmes en matière de garde d'enfants et que [TRADUCTION] selon ce qu'elle avait compris, la plaignante n'allait pas se présenter à Vancouver.

[105] Le 1er mai 2005, la plaignante a écrit à M. Torchia pour lui demander un congé de compassion pour éviter d'avoir à répondre à la pénurie de Vancouver. Dans sa lettre, elle a expliqué entre autres :

[TRADUCTION]

Je vous demande de bien vouloir tenir compte de ce qui suit, au sujet du récent avis me demandant de répondre à la pénurie de Vancouver, car la présente est une demande de compassion... Je suis une mère seule de deux enfants d'âge scolaire. Ma fille est en 6e année et va vivre une étape importante dans sa vie alors qu'elle terminera l'école primaire, où elle a fait toutes ses études, avec les amis avec qui elle a grandi... Mon fils est en 5e année et vit présentement sa meilleure année d'études à vie, il s'est grandement amélioré, et lui aussi a beaucoup d'attaches... Je vous prie de noter qu'il ne s'agit pas d'une question de trouver une garde appropriée pour mes enfants. Conformément à l'ordonnance de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, je suis responsable de la résidence principale des deux enfants susmentionnés et leur père, qui habite à Jasper, et moi partageons la garde légale. Cette ordonnance comprend des dispositions au sujet de la question d'éloigner mes enfants de leur père, en particulier de les sortir de la province, y compris l'obligation de présenter un avis écrit de 90 jours afin qu'un juge puisse trancher la question. Leur père joue un rôle actif dans leur vie et ne me laissera pas éloigner ses enfants de lui, en particulier alors qu'il existe une ordonnance de la cour protégeant ses droits. Selon un avis juridique, il serait fortement improbable qu'un juge décide de retirer les enfants de leur milieu, vu l'instabilité de la situation... Compte tenu de la situation, avant de prendre votre décision, je vous demande de faire preuve de compassion envers mes enfants ainsi qu'envers deux de vos employés la plaignante et son mari ...compte tenu des motifs précités, je demande que la Compagnie m'accorde un congé de compassion me permettant de ne pas me présenter à Vancouver, en raison des exigences juridiques qui m'obligent à rester à Jasper.

[106] M. Torchia a témoigné que lorsqu'il a reçu cette lettre, il a communiqué avec le CGE et a donné l'instruction d'accorder à la plaignante une prorogation de la période prévue. Il a ajouté qu'à cette époque, il savait que trois (3) employées du terminal de Jasper demandaient des [TRADUCTION] mesures d'accommodement pour [TRADUCTION] des raisons très semblables. Il a ajouté qu'il avait reçu une autre lettre avant celle ci, de la part de Kasha Whyte, et que c'est de cette façon qu'il avait été avisé de la situation. Il a déclaré qu'il en était arrivé à la conclusion, sans jamais avoir discuté avec les employées en question, qu'elles avaient besoin simplement de plus de temps pour s'organiser.

[107] Le témoignage de M. Torchia au sujet du fait qu'il a discuté avec Mme Storms correspond aux renseignements inscrits sur les feuilles de calcul du CGE. Dans son témoignage, il a expliqué qu'il avait donné à la plaignante et à deux autres femmes une prorogation de 30 jours. Les notes sur les feuilles de calcul du [TRADUCTION] 2 mai 2005 à 17 h, du [TRADUCTION] 19 mai 2005 à 10 h 30 et du [TRADUCTION] 19 mai 2005 à 17 h sont les mêmes pour les trois femmes : [TRADUCTION] Garde d'enfants - temporairement en attente conformément aux consignes de Joe Torchia.

[108] Selon M. Torchia, il est inhabituel que ce genre de questions lui soient envoyées directement. Il a ajouté que les employés qui avaient de telles demandes les présentaient normalement à leur superviseur. Le superviseur traite ces demandes directement et elles sont rarement transférées [TRADUCTION] à son niveau. Cependant, en contre interrogatoire, il a témoigné que même si la plaignante avait présenté sa demande à son superviseur, le résultat aurait été le même, parce que le superviseur aurait dû obtenir l'approbation de M. Morris ou de lui même.

[109] Mme Storms a témoigné qu'elle ne se souvient pas avoir lu la lettre du 1er mai, bien qu'une copie ait été envoyée à M. Lyon. Elle a ajouté qu'elle en avait peut être discuté avec M. Torchia, mais qu'elle ne pouvait se souvenir de la conversation précise. Elle a aussi expliqué qu'elle ne savait pas que la plaignante avait soulevé la question d'une ordonnance relative à la garde.

[110] Comme M. Torchia n'a pas recommuniqué avec elle et comme le CGE l'avait appelée à prendre un tour d'urgence, la plaignante a supposé que sa suggestion de rester à Jasper et de travailler sur le tableau des urgences avait été acceptée. Comme je l'ai déjà mentionné, la plaignante s'était inscrite pour effectuer du travail d'urgence en juin 2005 et elle avait été appelée à faire neuf (9) tours pendant cette période.

[111] M. Torchia a témoigné que pendant la dernière semaine de mai ou au début de juin 2005, il participait à une réunion avec Albert Nashman, le gestionnaire général de la Compagnie pour le Centre d'exploitation de l'Ouest et Bryan Boechler, le président général du Syndicat. Bien que la réunion ait porté sur d'autres questions, à un certain moment, M. Boechler a demandé une autre prorogation pour la plaignante et les deux autres employées. Selon M. Torchia, M. Nashman et lui même ont accordé une autre prorogation jusqu'au 2 juillet 2005. Selon ce que M. Torchia avait compris, il était clair qu'il s'agissait de la dernière prorogation qui serait accordée. En contre interrogatoire, il a témoigné qu'il ne savait pas si cette décision avait été annoncée à la plaignante. Il a ajouté que la Compagnie avait [TRADUCTION] pris des mesures d'accommodement pour la plaignante en lui accordant plus de temps pour se présenter à Vancouver. Il a expliqué que la possibilité d'accorder un [TRADUCTION] congé de compassion ne lui avait jamais traversé l'esprit. Il a expliqué qu'un [TRADUCTION] congé était normalement accordé pour des raisons [TRADUCTION] opportunes quant aux exigences opérationnelles de la Compagnie. Cependant, il a ajouté qu'il ne savait pas que certains employés rappelés à Vancouver avaient obtenu des congés accordés par leurs superviseurs.

[112] M. Torchia a aussi témoigné en contre interrogatoire qu'il [TRADUCTION] était injuste de conclure qu'il n'avait pas appliqué la politique d'accommodement de la Compagnie dans ce cas. Il a ajouté que la plaignante avait des [TRADUCTION] préoccupations quant à sa situation de famille et qu'il avait pris [TRADUCTION] des mesures d'accommodement pour ces préoccupations en prolongeant le temps prévu pour qu'elle se présente à Vancouver. Il a aussi ajouté que la plaignante avait obtenu plus de temps pour s'organiser, mais qu'elle ne l'avait pas fait et que, par conséquent, elle avait été [TRADUCTION] congédiée.

[113] Le 27 juin 2005, la plaignante a été avisée dans une lettre de L. Gallegos, gestionnaire des opérations au CGE, qu'elle devait se présenter à Vancouver au plus tard le 2 juillet 2005. Elle a aussi été avisée que si elle ne s'y présentait pas, elle renonçait à son ancienneté et son poste au sein de la Compagnie serait aboli. Cette lettre mentionnait aussi une conversation téléphonique du 22 juin 2005 entre la plaignante et Elaine Storms. Pendant cette conversation, Mme Storms avait aussi avisé la plaignante qu'elle devait se présenter à Vancouver au plus tard le 2 juillet 2005, sinon elle perdrait son emploi.

[114] La plaignante se souvenait de cette conversation téléphonique. Elle a déclaré qu'elle avait avisé Mme Storms qu'il devait y avoir une erreur et elle avait demandé à parler à Joe Torchia au sujet de sa situation. La plaignante croyait que sa situation avait été réglée parce que la Compagnie lui permettait de travailler en fonction du tableau d'urgence à Jasper. Elle a témoigné qu'elle croyait qu'il s'agissait là de la réponse à sa demande de congé de compassion. Après la lettre du 27 juin 2005, on a cessé de permettre à la plaignante de travailler en fonction du tableau d'urgence.

[115] Mme Storms a témoigné qu'elle savait, à ce moment-là, que la plaignante avait des préoccupations au sujet de ses enfants. Elle a précisé qu'elle ne connaissait pas les détails de la situation. Elle a ajouté qu'elle se souvenait de certaines parties de la conversation téléphonique du 22 juin 2005. Elle a témoigné que la plaignante lui avait dit qu'elle ne pouvait pas se rendre à Vancouver en raison de [TRADUCTION] questions de garde d'enfants. Elle a aussi témoigné qu'elle ne se souvenait pas précisément si la plaignante avait demandé une prorogation du temps alloué, mais que si cela avait été le cas, elle l'aurait renvoyée à son superviseur et au Syndicat. Mme Storms a aussi expliqué que si la plaignante lui avait dit qu'elle avait une entente avec M. Torchia, elle aurait appelé ce dernier et, s'il lui avait dit qu'il allouait à la plaignante plus de temps, elle lui aurait accordé plus de temps. Cependant, elle a ajouté que lors de sa conversation avec M. Torchia, il avait clairement mentionné que les stipulations de la convention collective devaient être appliquées dans ce dossier.

[116] En contre interrogatoire, Mme Storms a ajouté que la Compagnie avait un certain nombre d'employés qui vivaient des [TRADUCTION] situations en raison d'enfants à la maison, mais qu'elle ne pouvait pas se souvenir du nombre exact, sauf pour la plaignante, Kasha Whyte et Denise Seeley. Elle a aussi ajouté qu'il [TRADUCTION] s'agissait d'un thème plutôt général, parce que beaucoup de personnes ont des enfants. Pendant son contre interrogatoire, M. Torchia a témoigné qu'aucun autre cas fondé sur la situation de famille, sauf pour les trois cas mentionnés, n'avait été porté à son attention. Aucune autre inscription dans les feuilles de calcul du CGE, sauf pour les inscriptions de la plaignante, de Denise Seeley et de Kasha Whyte, ne mentionnait de [TRADUCTION] problèmes familiaux ou de [TRADUCTION] problèmes en matière de garde des enfants pour expliquer le défaut de se présenter pour la pénurie. M. Torchia a aussi ajouté que pendant ses conversations avec Mme Storms, il n'avait pas été avisé d'autres situations où des employés avaient été exemptés de l'obligation de se présenter à Vancouver.

[117] Le 22 ou le 23 juin 2005, dans un courriel de réponse au courriel de Mme Storms récapitulant la conversation téléphonique avec la plaignante, M. Torchia a écrit : [TRADUCTION] À mon avis elles [la plaignante, Kasha Whyte et Denise Seeley] ont obtenu suffisamment de temps pour organiser leurs affaires personnelles. Si elles souhaitent obtenir plus de temps, elles devront s'organiser avec leur superviseur. Brian Kalin, qui était le superviseur de M. Pizziol, a écrit le même jour : [TRADUCTION] Il n'y aura pas d'autre prorogation. Je suis d'accord avec Joe - elles ont eu plusieurs mois pour s'organiser. Il est temps qu'elles prennent une décision. Brian Kalin n'ayant pas été appelé à témoigner, le Tribunal n'a donc aucun détail au sujet de ce qu'il connaissait de la situation de la plaignante. De plus, rien ne donne à penser que quelqu'un à la Compagnie a avisé la plaignante qu'elle devait traiter avec son superviseur immédiat, M. Pizziol, au sujet de sa demande d'exemption quant à la pénurie de Vancouver.

[118] Il convient aussi de mentionner que dans l'ensemble des courriels que la Compagnie a présentés à l'audience se trouve un courriel qui, selon le témoignage de M. Torchia, a été écrit par Albert Nashman. M. Torchia a ajouté que le courriel avait possiblement été copié d'un autre courriel, mais il n'en était pas sûr. Il ne pouvait pas non plus préciser la date de ce courriel. Le courriel se lisait comme suit : [TRADUCTION] J'ai parlé à Boechler hier soir. Je lui ai dit qu'on ne continuerait pas à retarder le processus. Elles ont l'obligation, en fonction de la convention collective, de répondre à une pénurie. Je lui ai demandé ce qu'on devait répondre au prochain groupe qui dirait qu'il ne veut pas aller à Vancouver. S'il veut déposer un grief, qu'il le fasse. Non souligné dans l'original.

[119] Le contenu de ce courriel ne semble pas correspondre au témoignage précédent de M. Torchia au sujet du fait qu'il avait pris la décision qu'aucune autre prorogation ne serait accordée pendant la réunion avec M. Nashman et M. Boechler à la fin mai ou dans la première semaine de juin. Pourtant, ce courriel semble laisser entendre que c'est M. Nashman qui a pris la décision. M. Nashman n'a pas été appelé à témoigner.

[120] Le 2 juillet 2005, la plaignante a écrit à Peter Marshall, le directeur général adjoint de la Compagnie pour l'Ouest du Canada. Elle a de nouveau demandé à ce que la Compagnie tienne compte de sa situation et lui accorde un congé de compassion. Elle a annexé à cette lettre une copie de sa correspondance avec M. Torchia. Elle n'a reçu aucune réponse de M. Marshall ou de quelqu'un à son bureau.

[121] Le 4 juillet 2005, la Compagnie a écrit à la plaignante :

[TRADUCTION]

La présente lettre confirme, conformément à la clause 115 et à la clause 148 de la convention collective 4.3, que vous avez renoncé à vos droits d'ancienneté et que vos services ne sont plus requis par la compagnie. Votre dossier d'emploi est maintenant fermé.

[122] Mme Storms a témoigné qu'elle ne se souvient pas si elle avait discuté avec le superviseur de la plaignante avant de congédier la plaignante, mais elle a ajouté qu'en règle générale, l'employeur ne prend pas à une telle décision sans d'abord discuter avec le superviseur. Elle a ajouté que si elle ne l'avait pas fait personnellement, M. Lyon aurait probablement discuté avec le superviseur. Ni M. Pizziol, le superviseur de la plaignante, ni M. Lyon n'ont été appelés à témoigner.

[123] Mme Storms a ajouté qu'elle avait suivi les directives de M. Torchia et de M. Albert Nashman en ce qui a trait au congédiement de la plaignante.

[124] Après son congédiement, la plaignante a continué d'espérer que la Compagnie la réintégrerait dans ses fonctions. Elle a témoigné qu'au début 2006, elle avait remarqué que le triage à Jasper manquait de plus en plus d'employés. Elle avait donc décidé d'écrire à nouveau à M. Marshall le 6 février 2006 pour l'aviser qu'elle était [TRADUCTION] prête, désireuse et capable de retourner travailler à Jasper pour aider à soulager cette pénurie et qu'elle le ferait avec plaisir.

[125] Le 16 février 2006, M. Marshall a répondu :

[TRADUCTION]

Ayant reçu votre lettre, j'ai examiné votre dossier et j'ai remarqué que vous avez été congédiée conformément aux stipulations de la convention collective en raison de votre défaut de vous conformer aux conditions de cette convention collective. J'apprécie le fait que vous êtes maintenant prête, désireuse et capable de travailler et nous serions prêts à examiner la possibilité de vous réintégrer dans vos fonctions si vous acceptez de vous conformer aux conditions de la convention collective. Cependant, je ne peux pas garantir que vous travailleriez exclusivement à Jasper. Votre lieu de travail serait déterminé en fonction de votre ancienneté et de nos exigences en matière d'effectif. De plus, je crois comprendre qu'il y a actuellement un grief au sujet de votre congédiement en cours et votre retour au travail serait conditionnel au retrait de ce grief.

[126] Après son congédiement, la plaignante a demandé au Syndicat de renvoyer son grief en arbitrage. Le 12 avril 2006, l'arbitre Picher a rendu sa décision arbitrale, qui a été publiée au Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens (le Bureau), dossier no 3550. Dans sa décision, l'arbitre déclare, entre autres :

[TRADUCTION]

Pour les motifs expliqués plus en détail dans le CROA & DR 3549, l'arbitre ne peut pas donner raison au Syndicat. Rien dans la convention collective ne laisse entendre que la Compagnie doit soigneusement soupeser les obligations personnelles et familiales d'un employé et que ces obligations doivent éclipser les droits et les obligations de base découlant de l'ancienneté et de l'ordre de rappel des employés dans une unité de négociation, tels qu'ils sont stipulés dans la convention collective. Il n'y a aucun fondement raisonnable pour lequel un conseil d'arbitrage peut conclure que la situation personnelle d'un individu explique non seulement son défaut de se présenter au travail lors d'un rappel, mais l'exempte indéfiniment, peut être pour des années, des mêmes obligations de travail qui s'appliquent aux autres employés, y compris les autres employés monoparentaux ou employés mariés qui ont des obligations familiales comparables. En effet, ce que la plaignante demande équivaudrait à une modification de la convention collective par l'arbitre et à la création d'une forme de super ancienneté fondée sur la situation personnelle. Pour les motifs présentés dans la décision précédente, rien dans la convention collective n'ouvre la porte à un tel résultat. Au contraire, l'arbitre est tenu d'appliquer les stipulations portant sur l'ancienneté et sur le rappel dans la convention collective, telles qu'elles ont été énoncées par les parties. De plus, il convient de noter que le Syndicat ne demande pas, dans le présent grief, une réparation pour une quelconque contravention à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Non souligné dans l'original.

[127] La décision CROA no 3549 fait référence à la décision d'arbitrage dans l'affaire Kasha Whyte. Dans cette décision, l'arbitre a expliqué, entre autres :

[TRADUCTION]

Dans le présent grief, le Syndicat ne soutient pas qu'il y avait une obligation d'accommodement envers la plaignante au sens des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou de toute autre loi. Il soutient plutôt que la Compagnie a déraisonnablement omis d'accorder à la plaignante un congé pour lui permettre d'éviter le rappel à Vancouver en raison de sa situation personnelle.

[...]

Après avoir effectué un examen attentif des faits, l'arbitre a beaucoup de difficulté à accepter l'allégation du Syndicat. Premièrement, je suis d'accord avec la Compagnie au sujet du fait que la plaignante n'a pas demandé de congé. Ce qu'elle demandait était une forme de super ancienneté qui lui permettrait, contrairement aux autres employés, de rester en mise à pied à Jasper, sans être obligée de répondre à des pénuries ailleurs, tout en continuant de recevoir des appels périodiques pour travailler en fonction de la liste d'urgence à Jasper, comme elle l'a fait auparavant. Un congé sous entend le départ du lieu de travail, virtuellement pour n'importe quelle raison, que ce soit pour une période indéfinie ou pour une période fixe. Ce ne sont pas les options que Mme Whyte a demandées... La plaignante en l'espèce ne demandait pas un rajustement ou un accommodement de son horaire de travail. Elle demandait plutôt une exemption de l'une des obligations les plus fondamentales de la convention collective, c'est à dire l'obligation de répondre à une pénurie dans son territoire d'ancienneté lorsqu'il manque d'employés dans un lieu.

[...]

J'aurais de la difficulté à conclure que la Compagnie a déraisonnablement ou arbitrairement refusé d'accorder à la plaignante une modification aux obligations stipulées dans sa convention collective, modification qui pourrait durer indéfiniment, peut être jusqu'à dix ans, alors qu'elle continuerait à jouir d'un statut spécial protégé à titre d'employée qui ne peut être forcée de travailler qu'à Jasper.

[...]

Le présent grief fait ressortir ce qui doit être reconnu comme une constante dans toute relation d'emploi, c'est à dire la tension entre les obligations personnelles et familiales et les obligations envers l'employeur. De nombreuses circonstances peuvent avoir un effet sur les obligations personnelles ou familiales d'un employé : le soin d'un enfant, le soin d'un parent âgé ou de tout autre parent proche, ou le soin d'un conjoint atteint d'une déficience médicale importante. D'autres situations personnelles peuvent comprendre des obligations de liberté conditionnelle ou de service communautaire après l'imposition d'une peine, la participation active à l'église ou à un groupe social, le bénévolat ou les activités sportives compétitives, pour n'en nommer que quelques unes.

Une compagnie de chemins de fer est, de nature, une entreprise qui fonctionne vingt quatre heures par jour, sept jours par semaine. Les personnes embauchées pour travailler, en particulier le personnel des trains, savent ou devraient raisonnablement savoir que leurs heures de travail seront irrégulières et qu'à l'occasion, elles auront l'obligation de changer de lieu pour répondre à une pénurie au besoin. En échange pour leur acceptation de ces lourdes obligations, les employés de la Compagnie de chemins de fer ont obtenu l'avantage de salaires relativement généreux et de bons avantages sociaux.

Pour quelle raison un conseil d'arbitrage, responsable de l'interprétation et de l'application des clauses de la convention collective, pourrait il conclure que la situation d'un parent seul peut réellement éclipser les obligations d'emploi négociées par les parties dans les clauses de la convention collective? Dans un monde où le fait d'être parent seul est commun, cela n'est pas une question négligeable. De manière générale, les conseils d'arbitrage, dont le présent Bureau, ont confirmé qu'en ce qui a trait aux questions de garde d'enfants, le fardeau revient à l'employé, et non à l'employeur, de garantir que les obligations familiales n'interfèrent pas avec les obligations de base d'un contrat d'emploi.

Bien entendu, il revient aux parties de négocier le libellé de leur convention collective afin de prévoir une exemption possible des obligations d'emploi qui s'appliqueraient autrement aux parents uniques, ou même aux parents mariés qui ont des besoins spéciaux. Dans un même ordre d'idées, les législateurs, tant fédéral que provinciaux, pourraient promulguer des lois claires qui obligent les employeurs à tenir compte de tels facteurs dans l'administration des contrats d'emploi et des conventions collectives. Cependant, compte tenu de l'état des choses, l'arbitre ne peut relever aucune pratique discriminatoire dans la politique de la Compagnie. La politique exige pour l'essentiel que tous les parents, qu'ils soient célibataires ou mariés, répondent à leurs obligations de base d'emploi peu importe leur situation personnelle ou familiale. Bien entendu, il arrive, comme c'est le cas pour la plaignante, que des prorogations de délai et d'autres accommodements soient accordés lorsque l'employé démontre que sa situation personnelle est difficile. Toutefois, en bout de ligne, tous les employés qui ont des obligations parentales sont traités de la même façon, sans discrimination fondée sur la situation de famille. À mon avis, il serait tout à fait inapproprié, alors que ni les parties, ni les législateurs n'ont adopté de telle protection, qu'un arbitre extrapole, à partir d'une stipulation telle que la clause 115.4 et de l'expression raisons satisfaisantes de ne pas répondre à un rappel, une annulation réelle de l'obligation la plus fondamentale d'un employé envers sa convention collective d'être au travail, d'une façon qui équivaudrait à accorder une forme de super ancienneté. Si ni les parties elles mêmes, ni les législateurs n'ont labouré un tel nouveau sillon, il ne revient évidemment pas à l'arbitre de le faire, puisqu'il est tenu, comme tout conseil d'arbitrage, d'appliquer la convention collective comme elle est écrite. Il revient aux parties de négocier ce qui deviendrait un congé parental indéfini ou partiel, ou aux législateurs compétents de le faire, si cela est approprié ou désirable.

Non souligné dans l'original.

[128] À la lecture de la décision de l'arbitre Picher, le Tribunal ne peut que répéter ce qu'il a déclaré dans la décision Johnstone c. Agence canadienne des services frontaliers, 2010 TCDP 20, au sujet de cette décision.

[227] Dans Whyte, l'employé avait entièrement le fardeau de s'adapter à tout besoin associé avec le fait de travailler pour une compagnie qui fonctionne 24 heures par jour, 7 jours par semaine, telle qu'une compagnie de chemins de fer. La décision concluait que [TRADUCTION] en échange pour leur acceptation de ces lourdes obligations, les employés de la compagnie de chemins de fer ont obtenu l'avantage de salaires relativement généreux et de bons avantages sociaux. Cela laisse entendre que l'employeur peut agir de façon discriminatoire, tant qu'il paie bien ses employés, sans définition de ce que signifie relativement généreux ou sans comparaison.

[129] Le 1er avril 2006, la plaignante a déposé sa plainte à la CCDP.

B. LES QUESTIONS EN LITIGE

[130] La question soulevée en l'espèce est la suivante : la Compagnie a t elle agi de façon discriminatoire envers la plaignante en cours d'emploi, en contravention des articles 7 et 10 de la LCDP, en ne prenant pas de mesures d'accommodement pour la plaignante et en mettant fin à son emploi en raison de sa situation de famille?

C. LE DROIT ET LA THÈSE EN L'ESPÈCE

(i) Les dispositions pertinentes de la LCDP

[131] L'article 3 de la LCDP précise que la situation de famille est un motif de distinction illicite.

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

[Non souligné dans l'original.]

[132] L'article 7 est écrit comme suit :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, , par des moyens directs ou indirects;

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi.

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

  1. to refuse to employ or continue to employ any individual, or
  2. in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee on a prohibited ground of discrimination.

[133] L'article 10 de la LCDP prévoit :

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale or l'organisation syndicale;

  1. de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;
  2. de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

  1. to establish or pursue a policy or practice, or
  2. to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment, that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

[134] Lors de l'examen des articles 7 et 10, il est important que le Tribunal souligne l'objet de la LCDP tel qu'il est écrit à l'article 2 :

2. La présente loi a pour objet de completer la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.

2. The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.

[135] La Cour suprême du Canada et d'autres cours ont toujours soutenu qu'il fallait interpréter les droits de la personne d'une façon large et libérale. Dans l'arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (Action Travail des Femmes), [1987] 1 R.C.S. 1114, la Cour suprême a déclaré au paragraphe 24 :

24. La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale, lesquels sont susceptibles d'être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu'en interprétant la Loi, les termes qu'elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet. Bien que cela puisse sembler banal, il peut être sage de se rappeler ce guide qu'offre la Loi d'interprétation fédérale lorsqu'elle précise que les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

(ii) Le droit

a) La preuve prima facie

[136] Le fardeau initial revient à la plaignante, qui doit établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur sa situation de famille. Une preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée. (Voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons - Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558.)

[137] Lorsque le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, il a droit à un redressement en l'absence d'une justification de la partie intimée. (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208.) Pour établir une preuve prima facie de discrimination, la plaignante doit, en l'espèce, établir qu'elle a subi une différence de traitement défavorable et qu'elle a été congédiée en raison de sa situation de famille, en contravention de l'article 7 de la LCDP.

b) Quelle approche doit être appliquée pour déterminer s'il y a eu discrimination fondée sur la situation de famille?

[138] L'évaluation de l'existence d'un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille doit suivre les critères établis dans l'arrêt Public Service Labour Relations Commission c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), tout comme tout autre motif de distinction illicite. Cependant, dans les dernières années, l'interprétation de la notion de situation de famille a entraîné la création de deux écoles de pensées distinctes. Dans certains cas, on a adopté une approche large pour la portée de la situation de famille, alors que d'autres ont suivi une approche plus restreinte. Afin de mieux comprendre ce qui est inclus dans la notion de situation de famille, j'examinerai un certain nombre de décisions.

[139] Dans la décision Schaap c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1988] D.C.D.P. no 4, le Tribunal a examiné la question de savoir si des relations formées par une union de fait, par opposition à celles formées par un mariage légal, relevaient des groupes protégés de l' état matrimonial et de la situation de famille. Dans sa décision, le Tribunal a conclu qu'il devait exister un lien du sang ou un lien légal et il a défini la situation de famille comme comprenant tant les liens du sang entre le parent et l'enfant que la relation qui découle des liens du mariage, de la consanguinité ou de l'adoption légale, y compris, bien entendu, la relation ancestrale, qu'elle soit légitime, illégitime ou par adoption, ainsi que les liens entre les époux, les frères et surs, la belle famille, les oncles ou les tantes et les neveux ou les nièces. Dans la décision Lang c. Canada (Commission de l'emploi et de l'Immigration), [1990] D.C.D.P. no 8, le Tribunal a déclaré à la page 3 : Dans l'opinion du Tribunal, l'expression situation de famille comprend la relation parent-enfant.

[140] Dans la décision Brown c. Ministère du Revenu national (Douanes et accise), (1993) T.D. 7/93, le Tribunal a déclaré aux pages 14 et 18 :

Dans le cas du motif b) [la situation de famille], la preuve doit indiquer que la situation de famille comprend le fait d'être parent et les tâches et obligations de cette personne comme membre de la société et que la plaignante était un parent qui devait remplir ces tâches et obligations. La preuve doit aussi démontrer que, en raison de ces tâches et obligations ainsi que de la règle de l'emploi impartial, la plaignante n'a pas eu de chances de travail égales et entières.

[...]

L'avocate de la plaignante ne prétend pas que l'employeur est responsable des soins et de l'éducation des enfants. Elle soutient cependant qu'il faut reconnaître, dans le contexte de la situation de famille, l'existence d'un équilibre entre les intérêts et les obligations découlant de l'article 2 et du paragraphe 7b) de la LCDP.

Un parent doit donc évaluer avec soin comment il peut le mieux s'acquitter de ses obligations ainsi que de ses devoirs au sein de la famille. À cette fin, il doit demander à l'employeur de l'aider pour qu'il réponde le mieux possible à ces besoins.

Il est donc facile de comprendre le dilemme évident auquel la famille moderne est confrontée. En effet, selon la tendance socio-économique actuelle, les deux parents travaillent et sont souvent assujettis à des règles et à des exigences différentes. Plus souvent qu'autrement, en raison des demandes qui lui sont imposées comme parent, la mère doit chercher à atteindre cet équilibre délicat entre les besoins de la famille et les exigences liées à son travail.

[141] Le Tribunal a enfin conclu que l'interprétation téléologique qui doit être appliquée à la LCDP servait d'indication claire que dans le contexte de la situation de famille, le parent a le droit et l'obligation d'établir cet équilibre, et l'employeur a l'obligation claire de faciliter et d'accommoder cet équilibre en fonction des critères établis par la jurisprudence. Le Tribunal a ajouté qu' [u]ne interprétation moins sérieuse des problèmes auxquels la famille moderne fait face dans le milieu de travail enlèverait tout son sens au concept de la situation de famille comme motif de discrimination.

[142] Le Tribunal a aussi examiné la situation de famille comme motif de distinction illicite dans la décision Hoyt c. Chemins de fer nationaux du Canada, [2006] D.C.D.P. no 33. Dans cette décision, le Tribunal a mentionné la définition judiciaire de l'expression situation de famille, ainsi que des décisions précédentes du Tribunal qui précisaient les exigences pour établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur ce motif. Le Tribunal a précisé :

117 La discrimination fondée sur ce motif a été définie par la jurisprudence comme s'entendant de [...] mesures ou d'attitudes qui ont pour effet de limiter les conditions d'embauche ou les perspectives d'emploi des employés sur la base d'une caractéristique liée à leur [...] famille (Ontario (Commission des droits de la personne) c. M. A et al, [2000] O.J. no 4275 (C.A.); confirmé par [2002] A.C.S. no 67].

118 Dans une décision antérieure à l'affaire Ontario, mais clairement conforme à la définition qu'on y retrouve, le Tribunal a examiné les exigences en matière de preuve qui permettent d'établir une preuve prima facie :

[...] la preuve doit indiquer que la situation de famille comprend le fait d'être parent et les tâches et obligations de cette personne comme membre de la société et que la plaignante était un parent qui devait remplir ces tâches et obligations. La preuve doit aussi démontrer que, en raison de ces tâches et obligations ainsi que de la règle de l'emploi impartial, la plaignante n'a pas eu de chances de travail égales et entières (Brown c. Canada (Ministère du Revenu national, Douanes et Accise), [1993] D.C.D.P. no 7, à la page 13). (Voir également Woiden et al c. Dan Lynn, [2002] D.C.D.P. no 18, T.D. 09/02.)

[143] Cependant, la Cour d'appel de la Colombie Britannique a présenté une version différente des éléments nécessaires pour établir une preuve prima facie, dans l'arrêt Health Sciences Assn. of British Columbia c. Campbell River and North Island Transition Society, [2004] B.C.J. no 922, aux paragraphes 38 et 39 (Campbell River), une décision sur laquelle la Compagnie s'est fortement appuyée dans ses conclusions finales. Dans cet arrêt, la Cour d'appel de la Colombie Britannique a décidé que les paramètres de la situation de famille à titre de motif de distinction illicite dans le Human Rights Code de la Colombie Britannique ne doivent pas être interprétés de façon trop large, sinon cela pourrait causer [TRADUCTION] de la perturbation ou des torts sérieux en milieu de travail. La Cour a expliqué qu'une preuve prima facie est établie [TRADUCTION] lorsqu'un changement dans une condition d'emploi imposée par l'employeur entraîne une atteinte grave envers une obligation ou un devoir parental important, ou une obligation ou un devoir familial, de l'employé. Non souligné dans l'original. Le juge Low a observé qu'il serait difficile d'établir une preuve prima facie dans les cas de conflit entre les exigences du travail et les obligations familiales.

[144] Dans la décision Hoyt, le Tribunal n'a pas suivi l'approche présentée dans l'arrêt Campbell River. Le Tribunal a résumé sa position au sujet de cette décision comme suit :

120 Avec déférence, je ne souscris pas à l'analyse de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Les codes en matière de droits de la personne, en raison de leur statut de loi fondamentale, doivent être interprétés de façon libérale afin qu'ils puissent mieux réaliser leurs objectifs (Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 547, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, aux pages 1134 à 1136; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, aux pages 89 et 90). Il serait, à mon avis, inapproprié de choisir un motif de distinction illicite et de lui donner une définition plus restrictive.

121 À mon humble avis, les préoccupations définies par la Cour d'appel, à savoir la perturbation grave et les torts sérieux sur le lieu de travail, peuvent être des questions appropriées à examiner suivant l'analyse de l'arrêt Meiorin, et en particulier suivant le troisième volet de l'analyse, à savoir la nécessité raisonnable. Dans le contexte de l'évaluation de l'importance de la contrainte, il se peut qu'une mesure d'accommodement donne lieu à des questions comme la perturbation grave sur le lieu de travail et l'effet grave sur le moral des employés, qui sont des facteurs appropriés (voir l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489, aux pages 520 et 521). Il appartient à l'employeur d'établir au cas par cas l'existence d'une contrainte excessive. Une simple crainte que la mesure d'accommodement entraînerait une contrainte excessive n'est pas un motif approprié, à mon humble avis, pour écarter l'analyse. [Non souligné dans l'original.]

[145] En plus de la logique convaincante de la décision Hoyt du Tribunal pour ne pas suivre l'approche de Campbell River, le Tribunal conclut que l'approche suggérée dans cet arrêt impose un fardeau additionnel au plaignant en sous entendant que la situation de famille, qui est protégée, nécessite la preuve d'une [TRADUCTION] atteinte grave envers une obligation ou un devoir parental ou familial et que cela ne correspond pas à l'objet de la LCDP. Comme la Cour suprême du Canada l'a précisé dans l'arrêt B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2002] 3 R.C.S. 403, au paragraphe 56, il n'est pas approprié, lors de l'interprétation de lois sur les droits de la personne, d'imposer des fardeaux additionnels.

[146] L'approche du Tribunal dans la décision Hoyt a été citée par la Cour fédérale du Canada dans la décision Johnstone c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no 43, aux paragraphes 29 et 30. Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Johnstone à l'encontre de la décision de la CCDP de ne pas renvoyer au Tribunal sa plainte dans laquelle elle soutenait avoir été victime de discrimination fondée sur sa situation de famille.

[147] Dans la décision Johnstone, la Cour fédérale a accepté l'approche du Tribunal dans la décision Hoyt en ce qui a trait à la discrimination fondée sur la situation de famille, et a déclaré que [...] rien ne justifie clairement qu'il faille considérer ce type de discrimination comme secondaire ou moins important. (Johnstone, précitée, au paragraphe 29). La Cour a aussi déclaré que la suggestion de la Cour d'appel de la Colombie Britannique dans l'arrêt Campbell River selon laquelle une discrimination prima facie n'existe que lorsque l'employeur change les conditions d'emploi semble inapplicable et, à mon humble avis, erronée en droit. (Johnstone, précitée, au paragraphe 29). La Cour a aussi conclu que la CCDP, en adoptant le critère de l'atteinte grave lorsqu'elle a décidé de ne pas renvoyer l'affaire au Tribunal, a aussi omis de se conformer aux précédents permettant clairement d'établir s'il y a discrimination à première vue. (Johnstone, précitée, au paragraphe 30.)

[148] La décision de la Cour fédérale dans Johnstone a été maintenue par la Cour d'appel fédérale, bien que la Cour d'appel eût précisé qu'elle n'exprimait pas d'opinion sur la version appropriée du critère portant sur l'établissement d'une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille. La Cour d'appel fédérale a plutôt fondé son raisonnement sur la conclusion que le défaut de la CCDP de cibler clairement le critère qu'elle avait appliqué constituait un fondement suffisant pour conclure que la décision rendue par la Commission était déraisonnable. ([2008] A.C.F. no 427, au paragraphe 2).

[149] Le Tribunal a récemment rendu sa décision dans l'affaire Johnstone (voir Johnstone c. Agence canadienne des services frontaliers, 2010 TCDP 20). Dans cette décision, le Tribunal a conclu :

[220] Le Tribunal accepte que ce ne sont pas toutes les tensions qui ont lieu dans le contexte de l'équilibre travail/vie-personnelle qui peuvent être traitées par la jurisprudence en matière de droits de la personne, mais ce n'est pas l'argument qui a été présenté en l'espèce. L'argument de Mme Johnstone est qu'une telle protection devrait être donnée lorsque appropriée et raisonnable, compte tenu des circonstances présentées.

[221] Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous traitons ici du cas d'une vraie personne qui a des obligations envers ses jeunes enfants et des répercussions importantes sur la capacité de cette personne de remplir cette obligation. Il ne revient pas au Tribunal de traiter de toutes les obligations familiales et de tous les conflits entre le travail d'un employé et ses obligations.

[...]

[230] [...] le Tribunal conclut que rien dans l'article 2 ne crée une interprétation restrictive et étroite de la situation de famille.

[231] Au contraire, l'objectif sous-jacent de la LCDP, comme je l'ai dit, est de fournir à toute personne un mécanisme garantissant le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins [...]. Il est raisonnable que les protections fournies comprennent celles découlant naturellement de l'une des relations les plus fondamentales de la société qui existent, celles du père ou de la mère envers son enfant. Le fait que le libellé de l'article 2 mentionne l'égalité des chances d'épanouissement prouve que la LCDP reconnaît que les individus font des choix distincts, y compris celui d'avoir des enfants, et que la LCDP protège tous les individus contre la discrimination envers ces choix.

[...]

[233] Le Tribunal conclut que la liberté de choisir de devenir père ou mère est si vitale qu'elle ne devrait pas être restreinte par la crainte de subir des conséquences discriminatoires. En tant que société, le Canada devrait reconnaître cette liberté fondamentale et appuyer ce choix autant que possible. Pour l'employeur, cela signifie évaluer les situations telles que celles de Mme Johnstone de façon individuelle et travailler avec elle pour créer une solution fonctionnelle qui équilibre ses obligations parentales avec ses occasions d'emploi, sauf contrainte excessive.

[150] Récemment, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le TDFP) a examiné s'il fallait suivre l'approche pour la situation de famille établie dans la décision Hoyt ou celle établie dans l'arrêt Campbell River et a déterminé qu'il appliquerait l'approche de la décision Hoyt. Dans la décision Chantal Rajotte c. Le président de l'Agence canadienne des services frontaliers et al, 2009 TDFP 0025, le TDFP a déclaré que l'approche à adopter est celle contenue dans la décision Hoyt, laquelle a également été admise par la Cour fédérale dans la décision Johnstone (paragraphe 127). Le TDFP a aussi déclaré :

La preuve doit donc démontrer que la plaignante est un parent, qu'elle doit remplir des tâches et des obligations comme membre de la société et que, de surcroît, elle est un parent devant remplir ces tâches et ces obligations. La plaignante doit prouver qu'en conséquence de ces tâches et obligations et de la conduite de l'intimé, elle n'a pas bénéficié de chances de travail égales et entières. (Paragraphe 127)

[151] Un examen de certaines décisions récentes du Tribunal des droits de la personne de la Colombie Britannique (le BCHRT) démontre que les décisions de ce Tribunal ne suivent pas uniformément l'approche de l'arrêt Campbell River. Par exemple, il a été conclu que cette approche n'était pas applicable dans le cas de la fourniture de services (Stephenson c. Sooke Lake Modular Home Co-operative Association, 2007 BCHRT 341). Cette approche a aussi été éliminée dans deux décisions du BCHRT qui portaient sur une situation d'emploi (Haggerty c. Kamloops Society for Community Living, [2008] BCHRT 172, au paragraphe 17 et Mahdi c. Hertz Canada Limited, [2008] BCHRT 245, aux paragraphes 60 et 61).

[152] Dans la décision Falardeau c. Ferguson Moving (1990) Ltd., dba Ferguson Moving and Storage et al., 2009 BCHRT 272, le BCHRT a mentionné les décisions Campbell River, Hoyt et Johnstone, ainsi qu'une autre de ses décisions dans l'affaire Miller c. BCTF (no 2), 2009 BCHRT 34. Le BCHRT a souligné que, dans la décision Miller, il avait conclu que le critère de l'arrêt Campbell River ne s'appliquait que dans le contexte dans lequel il avait été soulevé. Le BCHRT a cité l'extrait suivant de la décision Miller : [TRADUCTION] La formulation [dans Campbell River] de ce qui est nécessaire pour établir une discrimination fondée sur la situation de famille dans le contexte d'un conflit entre les obligations d'emploi et les obligations familiales ne doit pas être appliquée mécaniquement dans tous les cas de discrimination alléguée fondée sur la situation de famille (Falardeau, au paragraphe 29).

[153] La question en litige dans la décision Falardeau était celle de savoir si un employé, qui avait refusé d'effectuer des heures supplémentaires en raison des responsabilités parentales qu'il avait envers son fils, avait subi de la discrimination fondée sur la situation de famille. Le Tribunal a conclu que le plaignant n'avait pas établi une preuve prima facie. Le Tribunal a déclaré aux paragraphes 31 et 32 :

[TRADUCTION]

En l'espèce, Ferguson souhaitait maintenir un modèle bien établi d'heures supplémentaires pour répondre aux besoins de ses clients. Dans la mesure où M. Falardeau a avisé les intimés de ses besoins et de ses ententes en matière de services de garde, les intimés croyaient, avec raison selon la preuve dont je suis saisi, que M. Falardeau était aisément capable d'organiser des services de garde pour son fils si ses heures de travail se prolongeaient. En effet, il l'avait fait de nombreuses fois. Le fait que ni le modèle de travail de M. Falardeau ni ses demandes ou ententes en matière de services de garde n'avaient changé laissent entendre qu'il avait peut être soulevé la question des heures supplémentaires en raison du fait qu'il n'aimait pas travailler sur les sites de construction, plutôt qu'en raison de ses responsabilités familiales.

Rien ne donne à penser que son fils avait des besoins spéciaux, ou que M. Falardeau était exceptionnellement qualifié pour prendre soin de son fils. Bien que ces facteurs ne soient pas essentiels pour établir une obligation parentale importante, la preuve en l'espèce n'a établi aucun autre facteur qui exempterait M. Falardeau des obligations ordinaires d'un parent qui doit jongler entre les demandes de son emploi et le besoin de fournir des soins appropriés à ses enfants. Compte tenu de ces faits, je ne peux pas conclure qu'il y a eu atteinte grave aux obligations ou aux devoirs importants parentaux ou familiaux. [Non souligné dans l'original.]

[154] Dans la décision Falardeau, le BCHRT a essentiellement suivi le raisonnement formulé dans l'arrêt Campbell River. Cependant, même s'il avait suivi l'approche dans la décision Hoyt, sa conclusion aurait probablement été la même. La principale différence entre la situation dans la décision Falardeau et celle en l'espèce est que, dans l'affaire Falardeau, il n'y avait eu aucun changement dans l'horaire de travail de M. Falardeau ou dans ses besoins ou ententes en matière de services de garde. De plus, son employeur avait été avisé de ses besoins et de ses ententes en matière de services de garde et il croyait, avec raison, que M. Falardeau était prêt à obtenir des services de garde pour son fils si ses heures de travail étaient prolongées. Par conséquent, M. Falardeau avait été incapable d'établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille, parce qu'il n'avait pas prouvé qu'il était incapable de participer également et entièrement à son emploi en raison de ses obligations et de ses devoirs en tant que père.

[155] En l'espèce, la plaignante, en étant forcée de répondre à la pénurie à Vancouver, faisait face à une atteinte grave à ses devoirs et obligations de mère. L'affaire aurait pu être différente si la plaignante avait refusé d'être affectée à son terminal local.

[156] Dans ses conclusions finales, l'avocat de la Compagnie a soutenu que la position de la plaignante était fondée sur une prémisse erronée. Il a qualifié la plainte de demande visant à ce que l'employeur prenne des mesures d'accommodement pour les [TRADUCTION] préférences parentales et les choix de vie de la plaignante. Il a ajouté que cette position était fondée sur une interprétation extrêmement large de la LCDP et que la seule caractéristique soulevée par la plaignante qui pouvait déclencher la protection prévue par la loi était le fait qu'elle est une mère et que, par conséquent, elle doit prendre soin de ses enfants. L'avocat a ajouté que le fait d'exiger qu'un employé qui a des enfants respecte sa responsabilité de se présenter au travail comme l'exige la convention collective ne constitue pas une preuve prima facie de discrimination. En fait, il a soutenu que le refus d'un employé de respecter ses responsabilités à ce sujet constitue un choix qui est de nature exclusivement personnelle et pour lequel, en l'absence de circonstances exceptionnelles, un employeur n'a aucune obligation d'accommodement. Par conséquent, il a conclu que le fait d'accueillir la plainte en l'espèce équivaudrait à ajouter les [TRADUCTION] préférences parentales à la liste des motifs de distinction illicites énoncés dans la LCDP, sous le couvert de l'expansion de la notion de situation de famille.

[157] À l'appui de ces arguments, l'avocat a mentionné de nombreuses décisions, y compris la décision de la Cour d'appel de la Colombie Britannique dans l'arrêt Campbell River, qui, à son avis, présentait une approche plus structurée et pragmatique que celle de la décision Hoyt du Tribunal. Il a aussi mentionné la décision arbitrale Canadian Staff Union c. Canadian Union of Public Employees, (2006) 88 C.L.A.S. 212. Dans cette affaire, le plaignant avait refusé de déménager à Halifax après avoir présenté sa candidature pour un poste pour lequel il était indiqué que le lieu d'emploi serait Halifax. Le plaignant habitait à St. John's (Terre-Neuve), où il avait la garde partagée de ses enfants avec son ancienne épouse. Il était aussi responsable de prendre soin de sa mère âgée. Le Syndicat a soutenu que la notion de situation de famille ne se limitait pas au statut de père ou de mère comme tel, mais s'étendait aussi à l'accommodement des responsabilités familiales du plaignant.

[158] Le grief soulevait des questions importantes de droits de la personne qui ont été résumées comme suit : [TRADUCTION] la désignation par un employeur d'un lieu géographique précis dans un affichage d'emploi, et l'insistance par celui-ci qu'un employé qui souhaite obtenir ce poste habite à un endroit où il peut régulièrement se présenter au travail à ce lieu, constitue-t-elle une preuve prima facie de discrimination fondée sur l'état matrimonial ou la situation de famille, si les responsabilités matrimoniales et familiales de l'employé l'empêchent réellement d'habiter là où il peut se présenter régulièrement au travail au lieu précisé? (au paragraphe 6).

[159] L'arbitre a rejeté le grief au motif que [TRADUCTION] au sens de toute loi pertinente en l'espèce et de la convention collective, c'était le choix du plaignant, et non ses responsabilités matrimoniales et familiales, qui l'empêchait de déménager à Halifax (au paragraphe 9). L'arbitre a ajouté : [TRADUCTION] ce que l'employeur a fait ne constitue pas une preuve prima facie de discrimination fondée sur l'état matrimonial ou sur la situation de famille et l'employeur n'était pas tenu par la loi de prendre des mesures d'accommodement pour le plaignant jusqu'à contrainte excessive.

[160] Dans son analyse des décisions pertinentes, l'arbitre a adopté l'approche restreinte de l'arrêt Campbell River au sujet de l'interprétation de la situation de famille. Bien que la décision soit intéressante, le Tribunal note que les faits liés à cette décision arbitrale sont très différents de ceux en l'espèce. Dans la décision arbitrale, le plaignant avait présenté sa candidature pour un poste, sachant pertinemment que la description de poste précisait que l'emploi était situé à Halifax. Le plaignant avait le choix de refuser d'aller à Halifax et de rester dans son poste à St. John's, ce qui n'était pas le cas de la plaignante en l'espèce, dont le choix était de se présenter à Vancouver pendant une période indéterminée ou être congédiée. Les faits donnent aussi à penser qu'il n'y avait pas d'augmentation de salaire ou d'avantages importants pour le poste à Halifax par rapport à celui de St. John's et que le plaignant avait présenté sa candidature parce qu'il souhaitait vivre un changement et de nouveaux défis (paragraphe 15). Le Tribunal note aussi que l'un des enfants du plaignant avait 19 ans et commençait l'université et que l'autre avait 15 ans et commençait l'école secondaire et que, comme l'arbitre l'a mentionné, bien que les fils du plaignant tiraient sans aucun doute des avantages importants de sa présence régulière à St. John's, ils n'avaient besoin d'aucun soin spécialisé de sa part et il pouvait s'organiser pour assurer leur bien être en son absence (au paragraphe 141).

[161] L'avocat de la Compagnie a aussi mentionné la décision du Tribunal des droits de la personne de l'Ontario Wight c. Ontario (no 2), 33 C.H.R.R. D/191, qui portait sur une employée qui, à la fin de son congé de maternité, avait refusé de retourner au travail en soutenant qu'elle était incapable d'obtenir des services de garde appropriés. Elle a donc été congédiée au motif qu'elle avait abandonné son poste. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que la plaignante avait [TRADUCTION] catégoriquement refusé de reconnaître les attentes raisonnables de son employeur qu'elle prenne les mesures nécessaires pour retourner au travail à la fin de son congé de maternité. Le Tribunal a écrit : [TRADUCTION] Elle a décidé qu'elle allait être en congé de maternité jusqu'en octobre au plus tôt ou en janvier au plus tard (au paragraphe 321). Le Tribunal a ajouté qu'il ne s'agissait pas d'un cas d'une personne qui, malgré ses efforts, ne pouvait pas trouver de services de garde pour son enfant et devait choisir entre son enfant et son emploi. Une fois de plus, il s'agit d'une situation dont les faits diffèrent beaucoup de la situation en l'espèce.

[162] L'avocat a aussi mentionné la décision Smith c. Chemins de fer nationaux du Canada, 2008 TCDP 15, une décision rendue en mai 2008 par le président du Tribunal à l'époque. Le Tribunal ne voit pas en quoi cette décision peut être comparable à la situation en l'espèce. Dans l'affaire Smith, bien que le plaignant eût soutenu, entre autres, qu'il avait été victime de discrimination fondée sur la situation de famille, le Tribunal a conclu que ce motif de discrimination n'avait pas été soulevé dans la plainte et qu'aucune jurisprudence n'avait été présentée pour démontrer que les faits constituaient une discrimination fondée sur la situation de famille (au paragraphe 289).

[163] L'avocat de la Compagnie a finalement mentionné une série de décisions rendues par le Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens (le Bureau). Bien qu'elles soient intéressantes, toutes les décisions du Bureau sont fondées sur des faits particuliers et elles ne nous aident pas à déterminer le critère approprié à appliquer en l'espèce.

[164] Le Tribunal ne souscrit pas non plus à l'argument de la Compagnie selon lequel un concept ouvert de la situation de famille donnerait lieu à une avalanche de demandes et que cela risquerait de causer de la perturbation ou des torts sérieux au travail. Comme la Human Rights and Citizenship Commission de l'Alberta l'a noté au paragraphe 242 de sa décision Rawleigh c. Canada Safeway Ltd, rendue le 29 septembre 2009, [TRADUCTION] chaque affaire doit être examinée en fonction des faits qui lui sont propres. Le fait d'appuyer la croyance qu'une avalanche pourrait être déclenchée par des personnes opportunistes est très dangereux et possiblement discriminatoire.

[165] La Cour suprême du Canada et d'autres cours ont toujours soutenu que les droits de la personne doivent être interprétés de façon large et libérale. Dans l'arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (Action Travail des Femmes), [1987] 1 R.C.S. 1114, la Cour suprême a déclaré au paragraphe 24 :

24. La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale, lesquels sont susceptibles d'être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu'en interprétant la Loi, les termes qu'elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet. Bien que cela puisse sembler banal, il peut être sage de se rappeler ce guide qu'offre la Loi d'interprétation fédérale lorsqu'elle précise que les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

[166] Selon l'analyse précédente, le Tribunal conclut qu'il existe deux interprétations différentes dans la jurisprudence au sujet de l'établissement d'une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille : l'interprétation de l'arrêt Campbell River et l'interprétation de la décision Hoyt. Le Tribunal est d'avis que l'approche de l'arrêt Campbell River a pour effet d'imposer une hiérarchie des motifs de discrimination, certains motifs, comme la situation de famille, étant considérés moins importants que les autres. Cette approche ne suit pas l'objet de la LCDP. De plus, toutes les permutations de l'approche appliquée au motif de la situation de famille en Colombie Britannique qui ont suivi l'arrêt Campbell River appuient la conclusion du Tribunal selon laquelle la situation de famille ne devrait pas être isolée sous une norme différente et plus sévère ou plus lourde d'établissement de la preuve prima facie. La seule solution est d'appliquer le même critère que celui appliqué pour les autres motifs énoncés à l'article 3 de la LCDP. Cette approche a été acceptée dans la décision Hoyt et a été approuvée par la Cour fédérale dans la décision Johnstone.

[167] Par conséquent, je suivrai l'approche établie dans la décision Hoyt, qui respecte le principe des droits de la personne selon lequel tous les motifs de discrimination doivent être traités de façon égale.

[168] De plus, tenant compte de la nature et du statut spéciaux des lois en matière de droits de la personne en tant que lois quasi constitutionnelles, le Tribunal conclut que l'interprétation et l'application de la situation de famille telles qu'elles sont proposées dans la décision Hoyt sont celles qu'il convient d'adopter. Comme je l'ai mentionné auparavant, les lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées de façon libérale et téléologique, selon laquelle les droits protégés reçoivent une interprétation large, alors que les exceptions et les défenses sont interprétées de façon plus restreinte.

c) Une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille a t elle été établie?

[169] Après avoir examiné la preuve, le Tribunal, appliquant l'approche de la décision Hoyt, conclut que la plaignante a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille. En raison de ses obligations familiales, elle a perdu son emploi, alors que d'autres employés n'ont pas été congédiés.

[170] La preuve établit que la plaignante est divorcée et qu'elle a la garde principale de ses deux enfants qui, en juillet 2005, avaient 10 et 11 ans. L'ordonnance de divorce et l'entente de garde partagée précisaient que les deux parents auraient la garde partagée des enfants, la plaignante leur fournissant la résidence principale. Il a aussi été ordonné qu'aucune partie ne devait résider à l'extérieur de Jasper avec les enfants, sans donner un préavis écrit de déménagement quatre vingt dix (90) jours au préalable à l'autre partie.

[171] En 2005, la plaignante était en mise à pied à la Compagnie. En février 2005, la Compagnie lui a demandé combien de temps il lui faudrait pour se présenter à Vancouver pour répondre à la pénurie. Comme je l'ai déjà noté, l'ordonnance de divorce obligeait la plaignante à fournir un avis de quatre vingt dix (90) jours si elle voulait déménager avec ses enfants loin du père. Compte tenu de la durée inconnue de la pénurie et des difficultés découlant de la séparation des enfants de leur école, de leur père, de leurs amis et de leur communauté, la plaignante a témoigné qu'il était impossible pour elle de se rendre à Vancouver pour répondre à la pénurie.

[172] La plaignante a écrit à la Compagnie pour expliquer sa situation de famille et les difficultés qui y étaient liées. Elle a avisé la Compagnie qu'elle ne pouvait pas se présenter à Vancouver et elle a demandé un [TRADUCTION] un congé de compassion. Le 18 mars 2005, elle a de nouveau écrit à la Compagnie pour expliquer que bien que trente (30) jours seraient suffisants pour qu'elle avise son employeur actuel, ses difficultés et sa situation unique à titre de mère seule ne lui permettaient pas de se présenter à Vancouver. Dans une autre lettre datée du 1er mai 2005, elle a expliqué à M. Torchia les circonstances de sa situation familiale et de sa situation quant aux soins à ses enfants et elle a déclaré qu'il n'était possible de déménager ses enfants à Vancouver.

[173] La preuve établit que les chefs de train sur les chemins de fer ont des horaires imprévisibles et pourtant, la plaignante avait pris les mesures nécessaires pour satisfaire à la gamme complète de ses obligations à titre de chef de train, y compris être sur appel à deux heures d'avis, sept jours par semaine, pour pouvoir travailler à l'extérieur de Jasper. Le seul problème pour elle était qu'elle ne pouvait pas laisser sa famille à Jasper au moment de la pénurie à Vancouver.

[174] La plaignante n'a jamais reçu de réponse à ses lettres. Les témoins de la Compagnie ont témoigné que les responsabilités parentales telles que la garde d'enfants n'étaient pas des [TRADUCTION] raisons satisfaisantes pour qu'un employé soit exempté de répondre à une pénurie. La Compagnie était d'avis que la situation de la plaignante ne nécessitait pas d'accommodement en raison de sa situation de famille au sens de la LCDP. Elle était aussi d'avis que la situation de la plaignante était un choix personnel de ne pas respecter ses obligations professionnelles afin de donner priorité à d'autres aspects de sa vie, une situation que la Compagnie a qualifié d'équilibre [TRADUCTION] travail famille.

[175] En contre interrogatoire, M. Torchia a reconnu que les préoccupations de la plaignante étaient légitimes et qu'elle avait droit à des mesures d'accommodement. Cependant, à son avis, la plaignante avait simplement besoin de plus de temps pour régler sa situation et c'est ce qu'il lui a accordé. Il a aussi ajouté qu'il était [TRADUCTION] injuste de conclure qu'il n'avait pas appliqué la politique en matière d'accommodement de la Compagnie : [TRADUCTION] Elles [la plaignante, Kasha Whyte et Denise Seeley] avaient des préoccupations familiales et j'ai pris des mesures d'accommodement pour elles en prolongeant le délai qu'elles avaient pour se présenter à Vancouver. Ces mesures d'accommodement visaient à leur donner le temps de s'organiser. Elles ne l'ont pas fait et elles ont été congédiées. Il est intéressant de noter qu'il a aussi ajouté : [TRADUCTION] Dans le cas des deux plaignantes [Cindy Richards et Kasha Whyte], j'étais d'avis qu'elles avaient des raisons satisfaisantes et c'est pourquoi je leur ai accordé une prorogation du délai lorsque j'ai pris connaissance de leur situation. Pourtant cee n'est pas la position que la Compagnie avait adoptée devant l'arbitre.

[176] Le Tribunal conclut que le droit n'appuie simplement pas le point de vue de la Compagnie selon lequel la situation de famille ne comprend pas la situation de la plaignante. La situation de la plaignante à titre de mère seule de deux enfants ainsi que les ramifications, qu'elle a expliquées dans ses diverses lettres, du fait de lui ordonner de se rendre à Vancouver la placent dans la définition de situation de famille. Elle a précisément demandé des mesures d'accommodement à la Compagnie et elle a présenté sa demande aux responsables de la Compagnie. Les témoins de la Compagnie ont expliqué qu'une telle demande aurait dû être présentée au superviseur de l'employé qui en l'espèce était Colin Pizziol, le coordonnateur des trains à Jasper. Malheureusement, M. Pizziol n'a pas été appelé à témoigner et les autres témoins de la Compagnie ne pouvaient pas expliquer de quelle façon il avait géré la situation. La preuve incontestée de la plaignante était que ni son superviseur, ni un autre gestionnaire de la Compagnie n'avaient répondu à ses lettres ni discuté de la situation avec elle.

[177] En ce qui a trait à la preuve présentée à l'audience, le Tribunal conclut que la plaignante a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur le motif de la situation de famille. La preuve démontre que la plaignante est une mère et que ce statut comprend les devoirs et les obligations qui reviennent généralement aux parents. En raison de ces devoirs et obligations, la plaignante, selon les règles et les pratiques de la Compagnie, a été incapable de participer de façon égale et complète à son emploi au sein de la Compagnie. Cela étant, le fardeau repose maintenant sur la Compagnie de démontrer que la norme ou l'action discriminatoire à première vue a été adoptée en raison d'une exigence professionnelle justifiée.

d) La Compagnie a-t-elle pris des mesures d'accommodement pour la plaignante?

[178] Le critère applicable pour déterminer s'il y a eu acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicite dans le contexte de l'emploi et si un employeur a pris des mesures d'accommodement pour un employé jusqu'à contrainte excessive est celui établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Meiorin. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a normalisé le critère applicable quant à la discrimination et a rejeté l'ancienne distinction entre la discrimination directe et indirecte.

[179] Lorsqu'un plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, le fardeau est alors transféré à l'employeur, qui doit démontrer que l'acte ou la norme discriminatoire à première vue était une exigence professionnelle justifiée (EPJ). À ce sujet, la Cour suprême du Canada a déclaré aux paragraphes 54 et 55 de l'arrêt Meiorin :

L'employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

  1. qu'il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail en cause;
  2. qu'il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu'il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l'employeur subisse une contrainte excessive.

Cette méthode est fondée sur la nécessité d'établir des normes qui composent avec l'apport potentiel de tous les employés dans la mesure où cela peut être fait sans que l'employeur subisse une contrainte excessive. Il est évident que des normes peuvent léser les membres d'un groupe particulier. Mais, comme le juge Wilson l'a fait remarquer dans Central Alberta Dairy Pool, précité, à la p. 518, [s]'il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d'imposer une règle donnée aux membres d'un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme [une EPJ]. Il s'ensuit que la règle ou la norme jugée raisonnablement nécessaire doit composer avec les différences individuelles dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive. À moins qu'aucun accommodement ne soit possible sans imposer une contrainte excessive, la norme telle qu'elle existe n'est pas une EPJ, et la preuve prima facie de l'existence de discrimination n'est pas réfuté.

La norme a t elle été adoptée pour un objectif rationnellement lié à l'exécution du travail?

[180] Le critère neutre en question en l'espèce est l'exigence de se présenter au travail à Vancouver pour répondre à la pénurie. Dans ses conclusions finales, l'avocate de la plaignante a déclaré qu'elle ne contestait pas que la capacité de la Compagnie d'exiger que des employés non protégés soient forcés de répondre à une pénurie était rationnellement liée à son objectif déclaré d'être en mesure de transférer des employés rapidement aux endroits où il y a pénurie afin de garantir le fonctionnement continu des trains. Elle a ajouté que la règle elle même comprend la capacité d'un chef de train de ne pas se déplacer s'il y a une [TRADUCTION] raison satisfaisante.

L'employeur a t il adopté une norme particulière en croyant de bonne foi qu'elle était nécessaire à l'accomplissement de cet objectif légitime lié au travail?

[181] Une fois de plus, la plaignante ne contestait pas la croyance de bonne foi selon laquelle, d'un point de vue opérationnel, la Compagnie avait besoin d'être en mesure de forcer des employés non protégés à répondre à des pénuries. La preuve des représentants du Syndicat et de la Compagnie était que ces stipulations avaient été négociées dans la convention collective. Les témoins de la Compagnie ont aussi témoigné que, lorsque le tableau de congés avait été établi, ils ne s'attendaient pas à trouver beaucoup de volontaires pour couvrir les pénuries et c'est pourquoi la Compagnie a négocié pour avoir la capacité de forcer des employés non protégés en mise à pied à répondre à ce problème.

La Compagnie a t elle établi qu'elle ne pouvait pas prendre de mesures d'accommodement pour la plaignante en raison de contraintes excessives?

[182] La troisième et dernière tâche de la Compagnie est de démontrer que la norme contestée est raisonnablement nécessaire afin que l'employeur puisse accomplir son objectif. À cette étape, la Compagnie doit établir qu'elle ne peut pas prendre de mesures d'accommodement pour la plaignante et les autres personnes négativement touchées par la norme sans subir de contrainte excessive. En d'autres mots, comme la plaignante a été négativement touchée en raison de sa situation de famille par la norme forçant les employés à couvrir des pénuries, la Compagnie aurait elle pu l'accommoder sans subir de contrainte excessive?

[183] L'utilisation de l'expression excessive laisse entendre qu'une certaine contrainte est acceptable. Ce n'est que la contrainte excessive qui satisfait à ce critère. (Voir Central Okanagan School District no 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, à la page 984.) Il peut être idéal, du point de vue de l'employeur, de choisir une norme d'une rigidité absolue. Encore est il que, pour être justifiée en vertu de la législation sur les droits de la personne, cette norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n'impose aucune contrainte excessive. (Meiorin, précité, au paragraphe 62.) De plus, lorsqu'un employeur évalue s'il est en mesure d'accommoder un employé, il doit effectuer une analyse individuelle de la situation de l'employé. À ce sujet, dans l'arrêt Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161, au paragraphe 22, la Cour suprême du Canada a déclaré : Le caractère individualisé du processus d'accommodement ne saurait être minimisé.

[184] Dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489, aux pages 520 et 521, le juge Wilson a examiné les facteurs dont il faut tenir compte lors de l'évaluation de l'obligation d'un employeur d'accommoder un employé jusqu'à contrainte excessive. Parmi les facteurs pertinents se trouvent le coût financier de la méthode possible d'accommodement, l'interchangeabilité relative de l'effectif et des installations et la possibilité d'interférence importante avec les droits d'autres employés. Il a aussi été déclaré que la norme ou la pratique qui exclut des membres d'un groupe particulier en fonction d'hypothèses relevant de l'impression est généralement suspecte. (Colombie Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (Grismer), au paragraphe 31.) Les employeurs doivent faire preuve d'innovation, tout en restant pratiques, lorsqu'ils examinent les options d'accommodement dans une situation particulière.

[185] Dans ses conclusions finales, l'avocat de la Compagnie a laissé entendre que la Cour suprême du Canada avait reformulé les principes qui s'appliquent à la notion de contrainte excessive dans l'arrêt Hydro Québec c. Syndicat des employé e s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro Québec, section locale 2000 (SCFP FTQ), [2008] 2 R.C.S. 561. Le Tribunal n'accepte pas cette interprétation de l'arrêt Hydro Québec. Au contraire, le Tribunal conclut que cet arrêt correspond aux décisions précédentes de la Cour suprême au sujet de la question des accommodements. Dans l'arrêt Hydro Québec, la Cour suprême a déclaré que bien que l'employeur n'ait pas l'obligation de changer les conditions de travail de façon fondamentale, il a l'obligation, s'il peut le faire sans contrainte excessive, de modifier le lieu de travail ou les tâches d'un employé afin de lui permettre d'effectuer son travail (au paragraphe 16). La Cour suprême a aussi déclaré qu' [e]n raison du caractère individualisé de l'obligation d'accommodement et de la diversité des circonstances qui peuvent survenir, toute règle rigide est à éviter. Si une entreprise peut, sans en subir de contrainte excessive, offrir des horaires de travail variables ou assouplir la tâche de l'employé, ou même procéder à autoriser des déplacements de personnel, permettant à l'employé de fournir sa prestation de travail, l'employeur devra alors ainsi accommoder l'employé. (au paragraphe 17.) (Voir aussi Johnstone c. Agence canadienne des services frontaliers, précitée, au paragraphe 218.)

[186] La Compagnie soutient que, si l'accommodement était exigé en vertu de la LCDP, elle avait fourni un [TRADUCTION] accommodement raisonnable à la plaignante pendant plus de quatre (4) mois pour qu'elle se présente à Vancouver, plutôt que le minimum de quinze (15) jours établi dans la convention collective. La Compagnie soutient aussi que le fait d'accorder l'indemnité demandée par la plaignante constituerait une contrainte excessive parce que cela reviendrait à accorder à tous les employés qui sont parents l'équivalent d'une [TRADUCTION] super ancienneté dans la convention collective, simplement en raison de leur statut de parents.

[187] Je traiterai d'abord de l'argument au sujet de l' accommodement raisonnable.

[188] La Compagnie soutient que le fait d'accorder du temps de plus à la plaignante pour se présenter à Vancouver était tout ce qu'elle avait l'obligation de faire. Cependant, la preuve montre clairement que cela n'était pas du tout une réponse valable à la demande de la plaignante ni au fondement factuel de sa situation, qu'elle avait exposée à son employeur dans ses diverses lettres. La preuve montre aussi que la décision a été prise sans qu'un représentant de la Compagnie n'en discute avec la plaignante.

[189] La preuve établit que la plaignante a écrit à M. Torchia et à d'autres gestionnaires supérieurs de la Compagnie pour exposer les détails de sa situation de famille et son évaluation de la raison pour laquelle ses obligations et ses responsabilités envers sa famille l'empêchaient de se présenter à Vancouver pour répondre à la pénurie. Elle a aussi expressément demandé un congé de compassion. La plaignante a aussi clairement indiqué qu'elle était prête et disposée à répondre à tous les aspects de son emploi à titre de chef de train à Jasper, où elle avait le soutien nécessaire pour prendre soin de ses enfants et de sa famille.

[190] La preuve établit clairement que la Compagnie n'a pas fait preuve de compassion envers la situation de la plaignante. Elle n'a pas répondu à ses nombreuses demandes de mesures d'accommodement et personne n'a rencontré la plaignante, ni n'a communiqué avec elle, pour discuter de sa situation, même si la politique d'accommodement de la Compagnie prévoit que la première étape du processus doit être une rencontre avec l'employé. La preuve démontre aussi clairement que Mme Storms et M. Torchia ne se sentaient pas responsables au sujet de questions relevant de la LCDP. Ils ont tous les deux témoigné que le superviseur de l'employé et les responsables des ressources humaines sont les personnes auprès desquelles la question aurait dû être soulevée. Malheureusement, comme je l'ai déjà mentionné, M. Pizziol, le superviseur de la plaignante, n'a pas été appelé à témoigner, et Mme Mary Jane Morrison, la personne responsable des ressources humaines à Edmonton en 2005, ne l'a pas été non plus. Selon l'avocat de la Compagnie, M. Pizziol ne travaille plus pour la Compagnie et Mme Morrisson n'était pas disponible pour des raisons personnelles.

[191] Il est clair que les témoins de la Compagnie ne considéraient pas la situation de famille - du moins les questions de situation de famille qui comprennent des obligations et des responsabilités parentales - comme un motif de discrimination qui nécessitait une forme d'accommodement. Dans leur conception des divers motifs de discrimination établis dans la LCDP, il semble qu'ils ont choisi certains motifs qui, selon eux, donnent droit à un accommodement, alors que d'autres n'y ouvrent pas droit. Par exemple, ils ont témoigné que la Compagnie n'avait pas hésité à accommoder des employés qui avaient été rappelés à répondre à la pénurie à Vancouver, mais qui ne pouvaient pas y aller en raison d'un parent malade. Ils ont aussi reconnu que la Compagnie, dans le passé, avait accommodé des employés pour des raisons médicales. Cependant, sans chercher à connaître la nature de sa demande, ils ont décidé que la situation de la plaignante ne constituait pas une situation nécessitant un accommodement en vertu de la LCDP.

[192] M. Torchia a témoigné qu'il était au courant de la situation de la plaignante et qu'il en était venu à la conclusion qu'elle avait besoin de plus de temps pour régler sa situation. Il n'a jamais discuté avec la plaignante et n'a jamais délégué la question à un autre gestionnaire, qui aurait pu discuter de la demande de la plaignante avec elle. Il était d'avis qu'il savait ce dont elle avait besoin et qu'il le lui avait donné.

[193] Quant à Mme Storms, qui surveillait les feuilles de calcul du CGE, elle savait que la situation de la plaignante avait été qualifiée de [TRADUCTION] question de garde d'enfants. Dans son témoignage, elle a laissé entendre que de nombreux employés rappelés avaient aussi soulevé des questions de garde d'enfants et que cela devenait un thème général. Cependant, pour aucun autre employé, sauf la plaignante, Denise Seeley et Kasha Whyte, il n'y avait de mention garde d'enfants inscrite sur la feuille de calcul, et M. Torchia a témoigné qu'il ne connaissait aucun autre cas où la [TRADUCTION] question de garde d'enfants avait été soulevée.

[194] Comme son service supervisait les renseignements au sujet des employés rappelés, Mme Storms avait eu l'occasion d'avoir recours à la politique d'accommodement de la Compagnie dans le cas de la plaignante, mais elle ne l'avait pas fait. Il est intéressant de noter que Mme Storms a témoigné qu'elle avait pris des mesures d'accommodement dans le cas d'un autre employé qui avait aussi été rappelé à répondre à la pénurie à Vancouver. Cet employé avait un parent en phase terminale et elle lui avait accordé un congé. Un examen des feuilles de calcul du CGE lui avait aussi permis d'apprendre que d'autres employés avaient été exemptés de se présenter à Vancouver en raison de maladie et pour d'autres raisons personnelles inexpliquées.

[195] Dans un courriel daté du 23 juin 2005, Mme Storms a résumé ses discussions téléphoniques avec la plaignante et avec Mme Whyte. Elle a mentionné que la plaignante avait des problèmes quant à la garde de ses enfants et que Mme Whyte avait un fils malade et qu'elle avait des problèmes de garde. Elle a aussi mentionné dans le courriel que les deux employées avaient écrit à M. Torchia. Cependant, elle a aussi écrit que, si la plaignante et les deux autres femmes décidaient de ne pas se rendre à Vancouver pour répondre à la pénurie, leurs dossiers d'emploi seraient fermés et elles renonceraient à leur ancienneté. Ce courriel a été envoyé à Mme Gallegos et copié à M. Nashman, à M. Torchia, à Kenneth Sherman et à Brian Kalin (le superviseur de M. Pizziol). Aucun de ces gestionnaires n'a cru qu'il pouvait être approprié, compte tenu de la situation de la plaignante, d'avoir recours à la politique d'accommodement.

[196] La preuve démontre aussi que la Compagnie n'a pas appliqué ses propres directives et politiques d'accommodement dans le cas de la plaignante. La Compagnie a une politique d'accommodement très complète. Cette politique reconnaît tous les motifs de distinction illicites énoncés dans la LCDP, y compris la situation de famille, et la politique indique clairement que, lorsque cela est possible, les politiques et les pratiques d'emploi doivent être modifiées afin qu'[TRADUCTION] aucune personne ne se voie refuser d'occasion d'emploi . Elle précise aussi que l'accommodement [TRADUCTION] signifie le fait de déployer tous les efforts possibles pour répondre aux besoins raisonnables des employés.

[197] Les [TRADUCTION] directives d'accommodement de la Compagnie expliquent que l'objectif de la politique est [TRADUCTION] de garantir que les conditions de travail ne sont pas un obstacle à l'emploi. Elles établissent aussi clairement que la Compagnie doit faire preuve de souplesse pour éliminer les obstacles et qu'elle devrait déployer [TRADUCTION] tous les efforts pour garantir que personne n'est désavantagé en raison d'une exigence ou d'un besoin spécial.

[198] La politique définit aussi le processus à suivre dans le cas d'une demande d'accommodement pour l'un des motifs énoncés dans la LCDP et fournit une liste de vérification que les gestionnaires et les superviseurs doivent suivre dans le cas d'une telle demande. La politique explique :

[TRADUCTION]

La première chose à faire lorsqu'un employé signale un problème ou un besoin spécial est de rencontrer cette personne. Permettez à l'employé de présenter le problème ou le besoin, posez lui des questions pour bien comprendre la demande et discutez ensemble de solutions possibles.

Si aucune solution ne peut être trouvée de cette façon, ne rejetez pas la demande immédiatement. Demandez des conseils, tentez d'obtenir d'autres solutions au problème et évaluez les répercussions de tout accommodement possible auprès des personnes appropriées, y compris le service du personnel, entre autres. L'employé a la responsabilité de participer activement au processus et de faciliter l'accommodement raisonnable. Les syndicats ont aussi un rôle et une responsabilité importants et reconnus dans l'accommodement des besoins des employés.

Il est extrêmement important de garder des dossiers de la réunion, des diverses solutions proposées et des arguments utilisés pour accepter ou rejeter chaque option. Ces renseignements sont indispensables en cas de plainte.

Avisez rapidement la personne en question de la décision prise, en expliquant les raisons de la décision. Dans le cas du rejet d'une demande d'accommodement, l'employé peut avoir le droit de présenter un grief en fonction de la procédure de grief appropriée ou de présenter une plainte en vertu de la LCDP.

[199] Mme Ziemer a témoigné que la politique vise à effectuer une évaluation individualisée de la situation de l'employé, car chaque situation est différente. Dans le cas de la plaignante, il est clair qu'aucune évaluation individualisée n'a été effectuée.

[200] La personne responsable de la politique d'accommodement au bureau d'Edmonton de la Compagnie est, comme je l'ai déjà mentionné, Mary-Jane Morrison, une agente des ressources humaines. C'est elle que consultent les personnes qui ont des questions au sujet de la politique ou de sa procédure. Mme Morrison n'a pas témoigné à l'audience. La Compagnie a plutôt appelé à témoigner Stephanie Ziemer, l'agente des ressources humaines à Vancouver. Mme Ziemer a témoigné au sujet de ce qui, à son avis, était couvert par la situation de famille comme motif de discrimination. Elle a expliqué que, de son point de vue à titre de gestionnaire des ressources humaines, la situation de famille signifiait qu'un employeur ne peut pas agir de façon discriminatoire envers une personne qui a une famille, que ce soit un parent qui a des enfants ou toute personne qui est membre d'une famille. Elle a aussi ajouté [TRADUCTION] certainement, la situation de famille, de ce que j'en comprends ... ne comprendrait pas toute obligation individuelle parentale. Ces obligations sont très individuelles, il s'agit de préférences personnelles propres à chaque individu et je n'ai certainement jamais été d'avis qu'elles relevaient de notre politique et qu'il fallait s'immiscer dans ces types de préférences parentales individuelles.

[201] En contre interrogatoire, on a demandé à Mme Ziemer d'expliquer ce qu'elle voulait dire par [TRADUCTION] préférences parentales individuelles. Elle a déclaré : [TRADUCTION] La question de savoir si vous voulez être à la maison, par exemple, pour coucher votre enfant. La question de savoir si vous voulez assister à chaque activité sportive de votre enfant. Je veux dire que ce sont là toutes des choses que nous aimerions faire à titre de parents, mais qui ne sont pas suffisantes pour activer le processus d'accommodement. Elle a cependant ajouté que le fait de prendre soin d'un enfant malade, d'avoir des problèmes en raison d'une ordonnance de garde légale, ou d'être parent seul sont des situations différentes et peuvent ouvrir la porte à la discussion. Elle a reconnu que la Compagnie s'attendait que les parents seuls, s'ils souhaitent être cheminots, gèrent leur situation afin de s'acquitter de leurs obligations de travail. Cependant, elle a aussi ajouté que, si quelque chose d'inhabituel se produisait, par exemple, le fait de devoir répondre à une pénurie, cela pouvait aussi ouvrir la porte aux discussions.

[202] Lorsque la porte est ouverte, le processus prévoit qu'il doit y avoir une rencontre entre l'employé et son superviseur, afin que ce dernier puisse avoir une idée du problème. Mme Ziemer a reconnu qu'un simple échange de lettres à cette étape ne serait pas efficace. Lors de la réunion, le superviseur devrait demander plus de renseignements au sujet des raisons de la demande et discuter des solutions possibles.

[203] Mme Ziemer a témoigné qu'elle n'avait pas participé directement au cas de la plaignante et qu'elle n'avait aucune connaissance personnelle à ce sujet. Elle a aussi ajouté que les ressources humaines n'interviennent pas toujours dans ces cas. Lorsque c'est possible, les questions sont résolues au niveau local. Elle a ajouté que la Compagnie avait suffisamment formé ses gestionnaires afin qu'ils aient les capacités de prendre de bonnes décisions de gestion, de protéger les opérations et d'effectuer, lorsque nécessaire, de petites adaptations ou modifications aux conditions d'emploi de l'employé.

[204] Mme Ziemer a donné divers exemples de situations lors desquelles la Compagnie avait accommodé des employés en raison de leur situation de famille, en commençant par sa propre situation. Elle a expliqué que son mari avait été gravement blessé dans un accident de ski. Pendant une période de dix semaines, il ne pouvait pas bouger son bras ni le haut de son corps. Pendant cette période, elle a expliqué qu'on lui avait permis de ne pas voyager et qu'on lui avait donné un horaire de travail souple. Elle a aussi témoigné au sujet des accommodements accordés à un employé à Vancouver afin qu'il puisse être disponible pour son fils qui avait participé à des activités illégales, y compris des activités liées aux gangs, et à un chef de train dont la fille avait subi un important effondrement psychologique. On avait permis à cet employé de travailler plus près de la maison pendant une assez longue période. Elle a ajouté que la Compagnie avait aussi pris des mesures d'accommodement pour un gestionnaire de marché à son retour d'un congé parental parce que son enfant souffrait d'un trouble de l'alimentation grave. On a donné à cet employé du temps de congé supplémentaire après la fin de son congé parental.

[205] Lorsqu'elle a été contre interrogée par l'avocat de la CCDP, on a rappelé à Mme Ziemer deux autres exemples qu'elle avait mentionnés lors de l'audience dans l'affaire Seeley. L'un de ces exemples était une mesure d'accommodement prise pour un employé qui lui permettait d'être absent du tableau de service chaque deux semaines, parce qu'il n'avait des droits de visite que pendant 48 heures, la fin de semaine, chaque deux semaines. L'autre exemple portait sur un accommodement accordé à un employé qui prenait part à une longue bataille pour la garde de ses enfants devant la Cour. On a accordé du temps de congé supplémentaire à cette personne pour cette raison.

[206] Elle a aussi témoigné que la plupart de ces cas avaient été traités au niveau local. Elle a aussi ajouté que les superviseurs sont formés pour réagir à ce type de demande. Cependant, elle a déclaré [TRADUCTION] malheureusement, nous ne pouvons pas superviser ce qu'ils font sur place en ce qui a trait à l'application de la formation réelle qu'ils ont reçue. Nous aimons croire qu'ils sont tous bien au courant de nos politiques, qu'ils sont bien formés. Cependant, pour ce qui est de la question de savoir si le superviseur A au lieu B réagirait à une question qui est soulevée, je ne peux pas affirmer que cela serait le cas.

[207] Selon Mme Ziemer, bien qu'il n'y ait aucun mécanisme pour l'évaluation de l'application de la politique, la Compagnie s'attend à ce que ses superviseurs de première ligne fassent la bonne chose en ce qui a trait à la politique, qu'ils la respectent et qu'ils se conforment à ses subtilités. Elle a ajouté que, lorsqu'on ne respecte pas la politique, les ressources humaines sont généralement mises au courant par lettre ou informées par leurs homologues du côté des relations de travail. En règle générale, la Compagnie fonctionne selon la notion que ses superviseurs suivent la politique en fonction de ce qu'on leur a appris et des attentes de la Compagnie.

[208] Mme Ziemer a aussi témoigné, en contre interrogatoire, que le processus décrit dans la politique d'accommodement débute dès qu'un employé se présente et fait état d'un problème ou d'un besoin spécial, bien qu'elle ait ajouté que cela n'entraîne pas nécessairement une décision à savoir si l'accommodement est nécessaire. L'avocate de la plaignante lui a demandé pourquoi ce processus n'avait pas été déclenché dans le cas de la plaignante et elle a répondu qu'elle ne savait pas, parce qu'elle n'avait pas pris part à l'affaire. Elle a aussi ajouté que, généralement, l'employé communique avec son superviseur immédiat en premier lieu.

[209] M. Torchia a témoigné qu'il n'avait pas rencontré la plaignante parce que cela était normalement fait par le superviseur. Il a ajouté qu'il n'était pas [TRADUCTION] certain si le superviseur de la plaignante l'avait rencontrée, mais qu'il [TRADUCTION] s'attendait à ce qu'il l'ait fait parce qu'il avait eu une conversation téléphonique avec le superviseur et que ce dernier était au courant de la situation.

[210] En contre interrogatoire, il a témoigné qu'il avait reçu une formation au sujet de l'obligation d'accommoder [TRADUCTION] il y a de nombreuses années, au début des années 90. Quant à elle, Mme Storms a témoigné qu'elle ne se souvient pas avoir reçu de formation au sujet de la politique d'accommodement de la Compagnie. Elle a ajouté qu'elle était au courant de la politique et que, si elle avait des questions à ce sujet, elle communiquerait avec quelqu'un aux ressources humaines. Mme Storms a ajouté qu'elle n'avait jamais réellement utilisé la politique d'accommodement, parce que le CGE ne reçoit pas beaucoup de demandes d'accommodement. Elle a cependant reconnu qu'il y avait eu des cas où le CGE avait pris des mesures d'accommodement pour des employés en raison d'une maladie grave dans la famille de l'employé ou parce qu'un employé avait besoin d'un congé pour des raisons personnelles.

[211] Elle aussi témoigné que, bien qu'elle se souvienne avoir lu la politique, elle ne la connaissait pas bien et qu'elle n'avait pas de connaissances détaillées à ce sujet. Elle ne savait pas si un autre employé du CGE avait reçu une formation sur la politique. Lorsque l'avocat de la CCDP l'a contre interrogée, elle a répondu qu'à sa connaissance, aucun des répartiteurs ou des membres du Groupe de rajustement des tableaux, qui étaient principalement chargés de communiquer avec les employés rappelés à répondre à la pénurie à Vancouver, n'avaient eu de formation au sujet de la politique d'accommodement de la Compagnie. Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer comment elle reconnaîtrait une question d'accommodement si on lui en présentait une, Mme Storms a répondu que les employés du CGE savaient que la Compagnie prenait des mesures d'accommodement pour des employés et que, parfois, ils étaient au courant de la situation de l'employé. En règle générale, les employés du CGE renvoient au superviseur un employé qui a fait une demande spéciale.

[212] Selon le témoignage de la plaignante, dans sa situation, la politique d'accommodement de la Compagnie n'a pas été respectée. Elle a ajouté qu'elle n'avait jamais eu de réunion avec son superviseur, le coordonnateur des trains à Jasper, et qu'elle n'avait jamais reçu de réponse aux lettres qu'elle avait envoyées à ses superviseurs ou aux gestionnaires de la Compagnie dans lesquelles elle expliquait sa situation. Rien ne donnait non plus à penser qu'elle avait eu une réunion avec quelqu'un des ressources humaines ou qu'on l'avait aiguillée vers une telle personne. La preuve montre clairement que la Compagnie n'a pas respecté les procédures établies dans sa propre politique et qu'elle avait décidé que la situation de famille, du moins en ce qui a trait aux obligations et aux responsabilités parentales, n'était pas un motif de discrimination pour lequel des mesures d'accommodement étaient requises. Il est aussi clair que la Compagnie n'a jamais effectué une évaluation individualisée de la situation de la plaignante, comme elle devait le faire.

[213] Dans sa lettre à M. Torchia, la plaignante a suggéré à titre d'accommodement possible qu'on lui accorde un congé de compassion pour la durée de la pénurie à Vancouver. La preuve montre, en fonction du retour à Jasper d'un autre employé qui a été envoyé à Vancouver, que ce retour aurait lieu vers mars 2006. Si le congé avait été accordé, la plaignante n'aurait pas travaillé pour la Compagnie et elle n'aurait pas gagné de salaire. La Compagnie n'a présenté aucune preuve permettant d'établir de quelle façon le fait d'accorder un congé à la plaignante lui aurait causé une contrainte excessive.

[214] Même si j'acceptais la preuve selon laquelle la Compagnie avait pris certaines mesures d' accommodement en accordant à la plaignante plus de temps pour se présenter à Vancouver, le défaut de la Compagnie de satisfaire à ses obligations procédurales découlant du devoir d'accommodement aurait en soi constitué une violation des droits de la personne de la plaignante. La Cour suprême du Canada a reconnu que tant le processus de décision que la décision finale doivent être examinés lorsqu'on analyse une EPJ. Dans l'arrêt Meiorin, la Cour suprême a déclaré au paragraphe 66 : il peut souvent se révéler utile, en pratique, d'examiner séparément, d'abord, la procédure, s'il en est, qui a été adoptée pour étudier la question de l'accommodement, et, ensuite, la teneur réelle d'une norme plus conciliante qui a été offerte ou, subsidiairement, celle des raisons pour lesquelles l'employeur n'a pas offert une telle norme. (Voir aussi Oak Bay Marina Ltd. c. British Columbia (Human Rights Tribunal) (no 2), 2004 BCHRT 225, aux paragraphes 84 à 86).

[215] Dans la décision Lane c. ADGA Group Consultant Inc., 2007 HRTO 34, au paragraphe 150, (décision maintenue par la Cour supérieure de justice de l'Ontario, Cour divisionnaire, à [2008] O.J. no 3076, 91 O.R.(3d) 649), le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario a déclaré que :

[TRADUCTION]

... Le défaut de respecter la dimension procédurale de l'obligation d'accommodement est une forme de discrimination. Elle prive la personne touchée des avantages de ce que la loi exige : la reconnaissance de l'obligation de ne pas faire preuve de discrimination et d'agir d'une telle manière à garantir qu'aucune discrimination n'a lieu.

[216] Dans l'arrêt Meiorin, la Cour suprême a conclu que les questions suivantes sont pertinentes quant à l'analyse de la portion procédurale du processus d'accommodement suivi par l'employeur :

  1. L'employeur a-t-il cherché à trouver des méthodes de rechange qui n'ont pas d'effet discriminatoire, comme les évaluations individuelles en fonction d'une norme qui tient davantage compte de l'individu?
  2. Si des normes différentes ont été étudiées et jugées susceptibles de réaliser l'objet visé par l'employeur, pourquoi n'ont-elles pas été appliquées?
  3. Est-il nécessaire que tous les employés satisfassent à la norme unique pour que l'employeur puisse réaliser l'objet légitime qu'il vise, ou est-il possible d'établir des normes qui reflètent les différences et les capacités collectives ou individuelles?
  4. Y a-t-il une manière moins discriminatoire d'effectuer le travail tout en réalisant l'objet légitime de l'employeur?
  5. La norme est-elle bien conçue pour que le niveau de compétence requis soit atteint sans qu'un fardeau excessif ne soit imposé à ceux qui sont visés par la norme?
  6. Les autres parties qui sont tenues d'aider à la recherche de mesures d'accommodement possibles ont-elles joué leur rôle?

[217] Pour satisfaire à la composante procédurale de l'obligation d'accommodement, la Compagnie a l'obligation de démontrer qu'elle a examiné et a raisonnablement rejeté tout accommodement qui aurait répondu aux besoins de la plaignante.

[218] La seule preuve qu'une évaluation d'autres formes d'accommodement ait pu se produire est la preuve que le Syndicat a suggérée de solliciter les employés à Jasper pour voir si certains d'entre eux se porteraient volontaires pour répondre à la pénurie à la place de la plaignante, de Kasha Whyte et de Denise Seeley. Cependant, comme personne ne s'est porté volontaire, la sollicitation s'est arrêtée. Rien ne donne à penser que la Compagnie a effectué une évaluation individualisée de la situation de la plaignante ou a examiné d'autres mesures d'accommodement.

[219] J'examinerai maintenant la position de la Compagnie au sujet du fait qu'il s'agirait d'une contrainte excessive si l'on accordait à la plaignante le redressement qu'elle demande, parce qu'elle obtiendrait alors une super ancienneté fondée sur le simple fait qu'elle est mère.

[220] Selon Stephanie Ziemer, la Compagnie ne garde pas de renseignements au sujet du nombre de ses employés qui ont des enfants. Elle a ajouté que la seule façon d'obtenir ces renseignements serait d'examiner le dossier de chaque employé pour voir le nom des personnes que les employés ont déclarées à leur charge. Mme Ziemer a aussi ajouté que selon le régime de prestations d'assurance de groupe des employés de la Compagnie [TRADUCTION] nous pouvons déduire qu'environ 69 p. 100 de l'effectif [de la Compagnie] ont des enfants. La méthodologie utilisée par la Compagnie pour produire cette preuve a été éprouvée à l'audience par l'avocate de la plaignante. Cependant, sans compter les problèmes de méthodologie, le Tribunal conclut que cette preuve partiale est tout à fait insuffisante par rapport à la preuve que la Compagnie devrait produire pour justifier l'acte discriminatoire, selon la prépondérance des probabilités, en fonction du critère de l'EPJ en trois parties de l'arrêt Meiorin.

[221] Si le Tribunal acceptait l'argument de la Compagnie selon lequel, en raison du fait que la grande majorité de ses employés ont des enfants, le fait d'accommoder la plaignante lui causerait des contraintes excessives, cela signifierait que tout environnement de travail où un grand nombre de personnes font partie d'un groupe qui possède l'une des caractéristiques personnelles établies à l'article 3 de la LCDP serait automatiquement exempté de l'application de la loi. Par exemple, cela signifie que des femmes qui travaillent dans un milieu où la majorité des employés sont des femmes ne pourraient pas présenter une plainte de discrimination fondée sur le sexe. Le fait d'accepter l'argument de la Compagnie aurait l'effet de rendre impossible la présentation d'une plainte fondée sur le motif de la situation de famille - du moins, les questions de situation de famille qui comprennent les obligations et les responsabilités parentales - parce que la majorité des employés dans l'effectif ont des enfants et pourraient aussi suivre la même route.

[222] La Compagnie n'a produit aucune preuve permettant de conclure qu'elle avait été inondée de demandes d'accommodement de la part de personnes dans la même situation que la plaignante. Dans l'arrêt Grismer, précité, au paragraphe 41, la Cour suprême du Canada a clairement déclaré que dans le contexte de l'accommodement la preuve, constituée d'impressions, d'une augmentation des dépenses ne suffit pas généralement. Dans la décision Lane, précitée, au paragraphe 117, la Cour divisionnaire de l'Ontario a ajouté :

[TRADUCTION]

On ne peut pas établir une contrainte excessive en se fondant sur une preuve constituée d'impressions ou d'anecdotes, ou de justifications après le fait. Les contraintes anticipées causées par une proposition d'accommodement ne devraient pas être maintenues si elles ne sont fondées que sur des préoccupations hypothétiques ou non corroborées que certaines conséquences négatives pourraient s'ensuivre si des mesures d'accommodement sont prises pour le plaignant.

[223] Peu importe le fondement particulier de l'argument de la Compagnie selon lequel elle subira des contraintes excessives, il est bien établi que l'analyse des contraintes excessives doit être appliquée dans le contexte d'une demande d'accommodement individuelle. Comme la Cour suprême l'a déclaré dans l'arrêt Grismer, précité, au paragraphe 19, l'accommodement doit être incorporé à la norme même afin de garantir que chaque personne est évaluée en fonction de ses propres habiletés personnelles, plutôt que d'être jugée en fonction de caractéristiques de groupe présumées, qui sont souvent fondées sur un parti pris et des préjugés. Par conséquent, l'évaluation individuelle d'un employé est une étape essentielle dans le processus d'accommodement, à moins que cette évaluation en elle même constitue une contrainte excessive pour l'intimée (voir Grismer, aux paragraphes 22, 30, 32 et 38; Meiorin, au paragraphe 65; Audet c. Chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 25, au paragraphe 61 et Knight c. Société des transports de l'Outaouais, 2007 TCDP 15, au paragraphe 72). Une fois de plus, cette évaluation individuelle n'a pas été effectuée dans le cas de la plaignante.

[224] En l'espèce, la Compagnie n'a pas présenté de preuve voulant que le fait de prendre des mesures d'accommodement pour la plaignante lui causerait une contrainte excessive en ce qui a trait aux coûts. La seule preuve présentée au sujet des coûts portait sur la formation des chefs de train et il n'y a eu aucune tentative de lier cette preuve à la situation en l'espèce. Il faut se souvenir que, pour que les coûts liés à l'accommodement soient considérés excessifs, ils doivent être importants. Dans la décision Quesnel c. London Educational Health Centre (1995), 28 C.H.R.R. D/474 (Commission d'enquête de l'Ontario), le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario a déclaré, au paragraphe 59 : [TRADUCTION] les coûts constituent une contrainte excessive seulement s'ils changent la nature essentielle de l'entreprise responsable de l'accommodement ou en changent de façon importante la viabilité. La Compagnie a reconnu ce fait dans sa propre politique d'accommodement, qui précise : [TRADUCTION] Les coûts encourus doivent être extrêmement élevés avant que le refus d'accommodement puisse être justifié. Le fardeau de justifier le refus revient à l'employeur. Les coûts doivent être quantifiables et doivent être liés à l'accommodement. Les rénovations ou l'équipement spécial peuvent être dispendieux, mais il est parfois possible d'obtenir une aide financière de diverses organisations. Aucune preuve de ce genre n'a été présentée à l'audience.

e) Conclusion

[225] Pour tous les motifs précédents, le Tribunal conclut que la preuve a établi que la Compagnie a violé les articles 7 et 10 de la LCDP. La pratique de la Compagnie d'exiger que la plaignante se présente à Vancouver pour répondre à la pénurie a eu un effet négatif sur elle en raison de sa situation de famille. La preuve démontre que la Compagnie a agi en contravention des articles 7 et 10 de la LDCP en usant de politiques et de pratiques qui ont privé la plaignante d'occasions d'emploi, en raison de sa situation de famille.

[226] La preuve établit aussi que la plaignante a été désavantagée en raison de ses besoins spéciaux et de ses exigences. Les gestionnaires de la Compagnie ne l'ont jamais rencontrée. Ils ne lui ont jamais donné l'occasion de présenter et d'expliquer ses besoins et ils ne lui ont pas posé de questions pour mieux comprendre sa demande. Ils n'ont jamais demandé l'avis de leur propre service des ressources humaines. S'ils l'avaient fait, on leur aurait certainement recommandé de déclencher la politique, compte tenu du témoignage de Mme Ziemer selon laquelle la politique est utilisée dès qu'un employé présente un problème ou un besoin spécial, et compte tenu de son témoignage au sujet du fait que d'avoir à prendre soin d'un enfant malade, d'avoir des préoccupations au sujet d'une ordonnance de garde ou d'être un parent seul ouvrirait du moins la porte aux discussions.

D. REDRESSEMENTS

[227] La plaignante demande les redressements suivants : une indemnité pour la perte de salaire et d'avantages sociaux, une indemnité pour préjudice moral, une indemnité spéciale, les dépens et l'intérêt, ainsi qu'une ordonnance la rétablissant dans son poste à la Compagnie avec sa pleine ancienneté, ses avantages sociaux et toutes les autres occasions ou tous les autres privilèges dont elle a été privée. La CCDP demande aussi une ordonnance selon laquelle la Compagnie doit cesser tout comportement ou toute pratique discriminatoires et doit réviser sa politique d'accommodement.

(i) Une ordonnance visant à ce que la Compagnie révise sa politique d'accommodement

[228] La CCDP demande une ordonnance, en application de l'alinéa 53(2)a) de la LCDP, pour que la Compagnie prenne des mesures, en consultation avec la CCDP, afin de remédier à son défaut de prendre des mesures d'accommodement appropriées pour ses employés en raison de la situation de famille, y compris les questions d'obligations et de responsabilités parentales. Elle demande aussi une ordonnance pour qu'une formation appropriée en droits de la personne soit mise en place pour les gestionnaires, les employés des ressources humaines et le personnel de gestion des équipes de la Compagnie et que des séances d'information régulières sur les politiques d'accommodement soient offertes afin d'éliminer les attitudes et les présomptions discriminatoires liées à la situation de famille à titre de motif de discrimination.

[229] Bien que le Tribunal reconnaisse que la Compagnie a une bonne politique d'accommodement, il est clair qu'elle n'a pas été appliquée ou mise en uvre de façon appropriée dans les cas où la situation de famille constitue un motif de discrimination. Une partie de la preuve a aussi démontré que la politique n'avait pas été révisée depuis les décisions du Tribunal Audet c. Chemins de fer nationaux du Canada, [2006] TCDP 25 et Hoyt, précitée. Tout au plus, selon Cathy Smolynek, la directrice principale des services de santé au travail de la Compagnie, certains changements de processus ont été apportés à la question de la déficience dans la politique.

[230] J'ai mentionné les directives en matière d'accommodement dans ma décision et j'ai conclu que les gestionnaires et les superviseurs n'ont pas respecté la politique dans le cas de la plaignante. Après avoir examiné la preuve, je conclus que la demande de la CCDP est justifiée.

[231] Par conséquent, j'ordonne à la Compagnie de travailler en collaboration avec la Commission afin de garantir que la pratique et le comportement discriminatoires ne se poursuivent pas et de veiller à ce que :

  1. les politiques, pratiques et procédures appropriées sont en place
  2. la Compagnie, en collaboration avec la CCDP, embauche les personnes appropriées pour donner une formation en milieu de travail aux gestionnaires, aux employés des ressources humaines, aux employés du CGE et à tous les autres employés visés au sujet des questions de discrimination et de droits de la personne, et particulièrement au sujet de l'accommodement pour le motif de la situation de famille.

(ii) Rétablissement

[232] La plaignante demande au Tribunal, en application de l'alinéa 53(2)b) de la LCDP, d'ordonner à la Compagnie de la rétablir dans son poste de chef de train au sein de la Compagnie. L'alinéa 53(2)b) de la LCDP précise que, lorsque le Tribunal juge la plainte fondée, il peut ordonner à l'intimée d'accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l'acte discriminatoire l'a privée.

[233] Pour que ce redressement soit appliqué en l'espèce, la plaignante doit donc être rétablie dans son poste sans perte d'ancienneté. Par conséquent, le Tribunal ordonne à la Compagnie d'affecter la plaignante à titre de chef de train au terminal de Jasper, après qu'elle ait mis à jour, au besoin, sa fiche de règles et sa fiche médicale.

[234] Il y a trois dates de début possibles que le Tribunal pourrait utiliser pour rétablir la plaignante. La première date est celle du 2 juillet 2005, qui peut être vue comme la date d'application de la demande de la plaignante d'être accommodée en étant affectée à un poste à temps plein à Jasper. Le Tribunal n'accepte pas cette date parce que rien ne prouve que la plaignante aurait été affectée à un poste à temps plein à Jasper à cette époque ou que cela aurait été une mesure d'accommodement appropriée. Rien ne donne à penser que des employés ont été affectés à Jasper à cette époque.

[235] La deuxième date est celle du 1er mars 2006. Selon la preuve, il s'agit de la date à laquelle un autre employé mis à pied à Jasper, qui avait été rappelé et s'était présenté à Vancouver, a été affecté à Jasper. Comme seulement quatre employés de Jasper, la plaignante, Denise Seeley, Kasha Whyte et cet autre employé, ont été rappelés à Vancouver, il pourrait être raisonnable de s'attendre que les quatre employés auraient aussi été affectés à Jasper vers mars 2006. Mme Storms a témoigné que [TRADUCTION] comme l'ancienneté de la plaignante est très près de celle [de l'autre employé qui a été affecté], on peut conclure qu'elle aurait été rappelée à Jasper au même moment.

[236] Enfin, un élément de preuve a été présenté selon lequel en mars 2007, la Compagnie a embauché de nouveaux chefs de train à Jasper et qu'un grand nombre de ces nouveaux chefs de train ont depuis été affectés. Par conséquent, il est raisonnable de conclure que la plaignante avait, à l'époque, une priorité d'ancienneté sur ces nouveaux chefs de train et qu'elle aurait été affectée à Jasper avant eux.

[237] Compte tenu de l'aveu de Mme Storms, on peut conclure que la plaignante aurait probablement été affectée en mars 2006 si elle n'avait pas été congédiée, et cette date est donc celle retenue pour son rétablissement.

[238] En ce qui a trait à son ancienneté, comme l'ancienneté continue même lorsqu'un employé est en mise à pied, elle continuera de s'accumuler comme s'il n'y avait jamais eu de rupture dans sa relation avec la Compagnie le 2 juillet 2005.

(iii) Indemnité pour perte de salaire

[239] La plaignante demande une indemnité pour tout le salaire et les avantages qu'elle a perdus, en application de l'alinéa 53(2)c) de la LCDP. Compte tenu de ma conclusion au sujet de la date de rétablissement, j'ordonne que la plaignante soit indemnisée pour toute perte de salaire et d'avantages à partir du 1er mars 2006 jusqu'à ce jour. J'ordonne aux parties de calculer le montant du salaire en fonction de la formule prévue dans la convention collective. En ce qui a trait aux paiements supplémentaires qu'un chef de train peut recevoir, comme il serait difficile pour le Tribunal d'établir un montant, le Tribunal ordonne aux parties qu'elles établissent ce montant en examinant les montants supplémentaires qui ont été payés pendant cette période à un conducteur travaillant dans le terminal qui aurait une ancienneté semblable, en supposant que le chef de train n'avait pas d'absences inhabituelles. Par exemple, les parties pourraient tenir compte des paiements supplémentaires qui ont été payés à l'employé qui a été affecté à Jasper en mars 2006.

[240] En 2006, le salaire de la plaignante était de 18 233,96 $. Pendant cette période, la plaignante occupait deux emplois, un emploi de serveuse et un autre dans un centre de rénovation. En 2007, elle a obtenu une promotion au poste de gérante adjointe au centre de rénovation et son salaire était alors de 33 172,58 $. En 2008, elle occupait le même poste avec un salaire de 37 365,44 $. En juillet 2009, elle a obtenu une autre promotion au poste de gérante. Depuis juillet, elle gagne 17 $ de l'heure et elle travaille 40 heures par semaine. Pendant les premiers mois de 2009, elle gagnait 15,50 $. Elle n'a reçu aucun autre avantage dans cet emploi.

[241] Par mesure d'atténuation, ces montants devraient donc être déduits du montant de la perte de salaire.

[242] Quand à la demande pour la perte de salaire du 2 juillet 2005 au 1er mars 2006, la preuve ne permettait pas de conclure que la plaignante aurait travaillé pendant cette période. Même si on lui avait permis de rester au tableau des urgences, aucune preuve n'a été présentée qui permettrait au Tribunal d'établir un montant, alors le Tribunal ne rend aucune ordonnance pour cette période.

(iv) Préjudice moral

[243] Le paragraphe 53(2) de la LCDP prévoit une indemnité pour le préjudice moral que la victime a subi en raison de la pratique discriminatoire, jusqu'à concurrence de 20 000 $.

[244] La plaignante a témoigné qu'entre le moment où elle a été avisée qu'elle devait se présenter à Vancouver et la date à laquelle elle a été congédiée, la situation n'a pas été très difficile pour elle, parce qu'elle croyait sincèrement que tout allait être résolu. Cependant, après son congédiement, la vie a été difficile pour elle et ses enfants parce qu'elle ne savait pas ce qui allait se passer. Elle a ajouté que la décision de la congédier l'avait beaucoup affectée. Elle avait cru qu'elle était très près d'être affectée et que maintenant, cette occasion avait disparu. Elle a décrit la décision de la congédier comme étant une [TRADUCTION] situation qui [l]'avait totalement dépassée et un [TRADUCTION] dur coup pour les finances et la famille. Elle a ajouté qu'elle avait été en [TRADUCTION] déni et qu'elle [TRADUCTION] ne croyait pas que c'était possible. Elle s'est [TRADUCTION] sentie rejetée comme lorsqu'on perd un époux, un partenaire.

[245] Bien qu'aucune preuve médicale n'eût été produite à l'audience, le Tribunal conclut que le comportement et l'attitude nonchalante de la Compagnie envers la situation de la plaignante l'ont bouleversée. Par conséquent, le Tribunal ordonne à la Compagnie de payer à la plaignante 15 000 $ en indemnité pour préjudice moral.

(v) Acte délibéré ou inconsidéré

[246] Le paragraphe 53(3) de la LCDP prévoit une indemnité supplémentaire lorsque la pratique discriminatoire de l'intimé a été délibérée ou inconsidérée, jusqu'à concurrence de 20 000 $.

[247] La Compagnie possède une politique d'accommodement, qui établit les procédures à suivre en ce qui a trait à un employé qui signale un problème ou un besoin spécial. Cette politique a clairement ciblé la situation de famille comme motif de discrimination. Pourtant, la Compagnie et les gestionnaires supérieurs qui ont agi dans cette affaire ont décidé qu'ils n'avaient pas à se préoccuper de la situation de famille et n'ont pas tenu compte de leurs responsabilités prévues par la politique. Ils n'ont fait aucun effort pour essayer de comprendre la situation de la plaignante. Ils n'ont pas tenu compte de ses lettres et ont décidé de traiter son cas comme étant simplement un cas de [TRADUCTION] problème de garde d'enfants. Ils étaient d'avis qu'ils savaient, sans avoir parlé à la plaignante, ce qui était mieux pour elle et ce dont elle avait besoin. Ces actes, à mon avis, étaient inconsidérés.

[248] Compte tenu des circonstances, j'ordonne à la Compagnie de payer à la plaignante la somme de 20 000 $ en indemnité spéciale au sens du paragraphe 53(3) de la Loi.

(vi) Indemnité pour les dépenses

[249] Dans ses conclusions finales, l'avocate de la plaignante a demandé que le Tribunal accorde les dépens. La question de savoir si le Tribunal a compétence pour accorder des dépens et si cette compétence relève de l'alinéa 53(2)c) de la Loi, qui autorise le Tribunal à indemniser un plaignant pour toutes les dépenses encourues en raison de l'acte discriminatoire, a été tranchée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, décision qui a été rendue dans les derniers jours de l'audience.

[250] Après avoir analysé le Code des droits de la personne de diverses provinces, qui permettait d'accorder des dépens, et après avoir analysé l'intention du législateur, la Cour d'appel fédérale a conclu au paragraphe 95 :

La recherche vise à déterminer si le législateur voulait investir le Tribunal du pouvoir d'accorder des dépens au plaignant ayant gain de cause. Pour les motifs exposés ci dessus, je conclus que le législateur n'avait pas l'intention d'investir, et n'a pas investi, le Tribunal du pouvoir d'accorder des dépens. Conclure que le Tribunal peut accorder des dépens au titre des dépenses entraînées par l'acte aurait pour effet d'introduire indirectement dans la Loi un pouvoir qui ne correspondait pas à l'intention du législateur.

[251] Tenant compte de la décision de la Cour d'appel fédérale, le Tribunal ne peut pas accueillir la demande de la plaignante quant à l'ordonnance que la Compagnie lui paie ses dépens.

[252] La plaignante et Kasha Whyte ont présenté des menues dépenses d'un montant de 336,68 $, chacune des plaignantes demandant la moitié de ce montant. En application de l'alinéa 53(2)c) de la LCDP, le Tribunal ordonne à la Compagnie de rembourser la moitié du montant à la plaignante.

(vii) Intérêts

[253] En ce qui a trait aux intérêts, ils sont exigibles pour toutes les indemnités accordées dans la présente décision (paragraphe 53(4) de la LCDP). Il s'agit d'intérêts simples calculés annuellement, à un taux équivalant au taux d'escompte (données de fréquence mensuelle) établi par la Banque du Canada. En ce qui a trait à l'indemnité pour préjudice moral (alinéa 53(2)e) de la LCDP) et à l'indemnité spéciale (paragraphe 53(3)), les intérêts commenceront à courir à partir de la date de la plainte, et pour la perte de salaire, ils commenceront à courir à partir de la date de rétablissement.

Signée par
Michel Doucet
OTTAWA (Ontario)
Le 29 septembre 2010

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1356/8608

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Cindy Richards c. La compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 22 au 24 septembre 2009
Les 8 et 9 octobre 2009

Jasper (Alberta)

Le 22 octobre 2009
Ottawa (Ontario)

Les 26 au 30 octobre 2009
Les 12 et 13 novembre 2009
Jasper (Alberta)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 29 septembre 2010

ONT COMPARU :

Leanne Chahley

Pour la plaignante

Sheila Osborne-Brown

Samar Musallam

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Simon-Pierre Paquette

Johanne Cavé

Pour l'intimée

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