Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien desdroits de la personne

ENTRE:

MICHEL BEAUREGARD

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

l'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet

2004 TCDP 4

2004/01/28.

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. LES FAITS

A. Les relations entre le plaignant et l'intimée

B. Les visites au docteur Allen Payne

C. La rencontre avec le docteur Marc Guérin

D. L'évaluation du docteur André Gamache

E. L'examen du docteur Gérard Cournoyer

F. L'évaluation du docteur Jacques Gagnon

III. OBSERVATIONS GÉNÉRALES À PROPOS DE LA CRÉDIBILITÉ DE

MICHEL BEAUREGARD À TITRE DE TÉMOIN

IV. LE DROIT

V. ANALYSE

VI. DISPOSITION

I. INTRODUCTION

[1] Le plaignant, Michel Beauregard ( Beauregard ) allègue avoir été victime de discrimination fondée sur une déficience en ce que l'intimée, la Société canadienne des postes ( la Société ), aurait refusé de l'accommoder et de continuer de l'employer contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, chap. H-6 ( la Loi ).

II. LES FAITS

A. Les relations entre le plaignant et l'intimée

[2] Beauregard a commencé à travailler pour l'intimée en 1993. Il a occupé, durant son emploi, différents postes dont ceux de chauffeur, de facteur et de commis. Le 31 août 1997, il applique pour un poste à la section mécanisée de l'établissement de traitement de lettres (ETL) de St-Laurent1. Il obtient ce poste et est affecté au quart de travail du soir avec un horaire de 15 h 30 à 23 h 30.

[3] Le 7 septembre 1997, il obtient une affectation temporaire dans l'équipe de relève de jour à l'établissement de traitement en vrac (ETV) dans le même établissement. Son affectation devait durer jusqu'au retour de l'employé affecté ordinairement à ce poste ou au plus tard, jusqu'au 5 septembre 1998. À ce poste, il travaille sur le quart de jour avec un horaire de travail de 7 h 30 à 15 h 30.

[4] Le 2 juillet 1998, il est prêté à l'équipe de relève de la direction des opérations de vente aux détails. La lettre qui confirme son prêt à cette direction indique vous êtes considéré prêté et demeurez titulaire de votre poste . Beauregard affirme avoir compris qu'il demeurait titulaire de son poste sur l'équipe de relève de jour, ce qui est pour le moins surprenant puisque cette affectation était temporaire et devait se terminer, au plus tard, le 5 septembre 1998.

[5] Le 14 septembre 1998, son employeur lui demande de retourner à son ancien poste à l'établissement de St-Laurent. Beauregard affirme qu'à son retour, il n'a pas réintégré son poste dans la section des colis (ETV) mais qu'il s'est plutôt retrouvé dans la section des lettres (ETL).

[6] Il dit s'être présenté au travail le matin du 14 septembre 1998, à la section ETV, à 7 h 30, et que les superviseurs lui ont indiqué qu'il n'avait pas d'affaire dans cette section mais que puisqu'il était là qu'il allait le garder pour la journée mais que le lendemain il devait retourner dans son poste à l'ETL, sur le quart de soir.

[7] Le lendemain, le 15 septembre, il s'est présenté à son travail, à l'ETL, à 15 h 30 mais affirme avoir peu après quitté le travail. Il témoigne qu'au début de son quart de travail le 15 septembre, Réal Caron, le surintendant du quart du soir, serait venu le voir et lui aurait dit Tu n'es pas ici pour venir faire le trouble, tu es ici pour venir travailler et j'espère que tu vas travailler pour que mes chiffres soient bons.

[8] Réal Caron témoignera qu'il ne connaissait pas le plaignant et qu'il n'avait jamais eu à travailler avec lui avant. Il affirme n'avoir été informé de son dossier que le 1er octobre 1998, lorsque Beauregard a laissé un message sur le répondeur indiquant qu'il ne rentrerait pas au travail en raison de maladie.

[9] Beauregard décrit ses conditions de travail à l'ETL comme suit: Ils nous surveillaient constamment. Il y avait des petits commentaires quand ils passaient dans ma section qu'ils me disaient. Il y avait une atmosphère, c'était très froid, il n'y a pas de fenêtres, il y a du bruit, il y a de la poussière, beaucoup de chaleur proche des machines où est-ce que les lettres sont traitées. Il y avait beaucoup de problèmes puis je ne me sentais vraiment pas bien à partir... le 14, le retour a été pénible, mais le 15 a fait déborder qu'est-ce qui s'était passé le 14 aussi. Il ajoute qu'il rentrait dans le plan à reculons et qu'il ne se sentait bien que le soir lorsqu'il en sortait : Quand je sortais le soir après le travail du plan, c'était très relaxant de sortir du plan comme tel. Un peu plus loin il ajoute : Bien, c'était un soulagement. On avait un terme entre employé qui se disait, c'est qu'à l'interne, c'est pratiquement une prison, mais pas de barreau. Alors, tout le monde employait ces mêmes termes-là et je pense même qu'un docteur a dit en dedans et en dehors. C'est un terme aussi, la même chose, qui veut décrire la différence de mentalité de travail entre le secteur des plans et le secteur des succursales postales. Alors, en dedans veut dire les plans et le dehors veut dire les succursales postales. Et on avait le terme employé qui était une prison pas de barreau, c'était le terme employé par tout le monde. En contre-interrogatoire, il précise : J'aurais préféré rester dans les succursales, bien évidemment. Alors, c'est un choix de carrière de travailler soit dans les succursales ou dans le plan. Dans les plans, il y en a du personnel qui adore ça. Moi, j'étais peut-être plus une personne faite pour l'extérieur.

[10] Après avoir quitté son travail le 15 septembre 1998, Beauregard n'y est pas retourné avant le 7 octobre 1998.

[11] Selon Réal Caron, rien de particulier ne fut porté à son attention concernant le plaignant entre le 15 septembre et le 1er octobre 1998. Le 5 octobre 1998, le plaignant indiquant toujours qu'il est malade, sa superviseure, Renée D'Amours, a cherché à le rejoindre, mais sans succès.

[12] Le 6 octobre 1998, le plaignant consulte un médecin, le docteur Allen Payne, en raison d'un problème de sinus mais également, selon lui, en raison d'un manque de sommeil, d'appétit et en raison de stress.

[13] Le 7 octobre 1998 il se présente au travail. Durant une partie de cette journée, il est en formation à l'extérieur du secteur mécanisé. Vers 19 h 00, après avoir terminé sa formation, il remet un certificat médical à sa superviseure. Dans les dix minutes qui suivent, Caron affirme que D'Amours l'a contacté. Caron est alors descendu sur le plancher pour rencontrer Beauregard puisque le document qu'il avait remis à D'Amours est un document d'accident de travail et que certains formulaires doivent dans ces cas être remplis. Le document est en fait un document officiel de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (la CSST ). Il a pour objet d'ouvrir un dossier de réclamation auprès de la CSST.

[14] Selon Caron, l'employeur doit remplir un rapport détaillant l'accident de travail. Il dit s'être rendu sur le plancher accompagné de D'Amours pour cette fin et avoir contacté le syndicat pour les informer de la situation. Richard Gagnon, un délégué syndical, s'est donc rendu sur les lieux. Beauregard ne s'est pas présenté. Caron, D'Amours et Gagnon furent informés que Beauregard était retourné chez-lui et qu'il venait d'appeler malade.

[15] Le 13 octobre 1998, Réal Caron fait parvenir une lettre, par poste prioritaire avec signature2, à Beauregard dans laquelle il lui demande de communiquer avec lui pour lui fournir plus d'information concernant son attestation médicale datée du 7 octobre 1998.

[16] Beauregard dit n'avoir reçu cette lettre que le 28 octobre 1998. La lettre lui a été envoyée par poste prioritaire avec signature et puisqu'il n'y avait personne à son domicile lorsque le facteur a tenté de la livrer, elle a été retournée au dépôt postal. Beauregard ajoute qu'il avait alors 15 jours pour aller la récupérer.3

[17] Le 14 et 15 octobre 1998, Caron dit avoir fait des tentatives pour communiquer par téléphone avec Beauregard. Le 14, il n'y avait aucune réponse. Le 15, il dit avoir parlé avec quelqu'un qu'il présume être le père de Beauregard et avoir laissé un message pour que celui-ci prenne contact avec lui. Le 16 octobre, Beauregard a contacté l'administration et a informé la réceptionniste que l'employeur ne devait plus téléphoner à son domicile. 4

[18] Le 19 octobre 1998, Caron fait parvenir une nouvelle lettre, poste prioritaire sans signature, à Beauregard. Dans cette lettre, Caron fait référence à nouveau à l'attestation médicale du 6 octobre 1998 et à une attestation médicale du 13 octobre 1998. Caron indique que Beauregard doit se conformer aux procédures en ce qui regarde les accidents de travail et précise qu'il lui donne 48 heures, dès la réception de la lettre, pour communiquer avec lui, sinon des mesures disciplinaires seraient alors envisagées.

[19] Le plaignant affirme avoir reçu cette lettre le 4 novembre 1998, soit exactement 15 jours après son envoi.

[20] Dans une troisième lettre datée du 23 octobre, envoyée par poste prioritaire avec signature, que Beauregard déclare avoir reçue le 28 octobre 19985, Caron l'avise qu'une suspension d'une journée lui est imposée pour ne pas avoir obéi à la requête contenue dans la lettre du 19 octobre. Il lui donne un nouveau délai de 48 heures pour communiquer avec lui.

[21] Le 23 octobre 1998, le service de Santé professionnelle, Sécurité et Environnement de l'ETC, à St-Laurent, fait parvenir une lettre, poste prioritaire avec signature, à Beauregard lui demandant de se présenter pour une expertise médicale, le 28 octobre, au bureau du docteur Marc Guérin. Un carton aurait été laissé par le facteur dans la boîte aux lettres le 26 octobre. La lettre a été réclamée au comptoir postal le 10 novembre, soit une journée avant que n'expire le délai de 15 jours.

[22] Le 28 octobre 1998, l'employeur fait parvenir à Beauregard une quatrième lettre mais cette fois par poste prioritaire sans signature. Celle-ci est donc laissée dans la boîte aux lettres et Beauregard dit l'avoir reçue le 29 octobre 1998. Dans cette lettre, Caron indique que puisqu'il ne s'est pas présenté au rendez-vous avec le docteur Guérin, l'employeur lui impose deux jours de suspension. Un autre rendez-vous pour l'expertise médicale est fixé pour le 6 novembre 1998.

[23] Le 3 novembre 1998, Beauregard se présente chez l'employeur pour remplir le document de la CSST intitulé Avis de l'employeur et demande de remboursement .

[24] Entre temps, il a également reçu une autre lettre le 29 octobre, par poste prioritaire sans signature. Il dit avoir reçu cette lettre le 30 octobre. Cette lettre l'avise d'une suspension de 3 jours, soit du 6 au 10 novembre. Ainsi, lorsqu'il s'est présenté à l'employeur le 3 novembre, il savait qu'il était suspendu pour trois jours. Il est donc surprenant qu'il affirme par la suite avoir été étonné de recevoir une lettre le 4 novembre indiquant qu'il était suspendu.

[25] Cette lettre du 4 novembre n'est toutefois qu'un amendement de la lettre du 29 octobre; elle ne fait que changer les dates de la suspension du 6 au 10 novembre, au 9 au 12 novembre, parce que, selon l'employeur, le 6 novembre Beauregard devait se présenter à un examen médical chez le docteur Guérin.

[26] Lors de la rencontre du 3 novembre 1998, Caron indique qu'il a demandé à Beauregard dans quelles circonstances s'est produit l'accident et qu'il lui a répondu c'est marqué sur la feuille . Par la suite, il lui a demandé à quel endroit s'est produit l'accident et il a répondu dans l'ETL . Caron lui a demandé des précisions et il lui a répondu j'ai pas à répondre à vos questions, c'est marqué sur la feuille .

[27] Beauregard réagit ainsi aux commentaires de Caron comme j'ai dit tantôt dans l'autre document, il voulait absolument que je précise une personne qui était dans mon problème. Il ne voulait pas que je précise un endroit de travail, mais une personne. Il avait l'air à vouloir que je trouve un nom et lui dire ce nom-là. Je lui ai dit que je n'avais pas de nom à formuler, mais c'était un endroit et un ensemble d'événements . Pourtant si nous nous référons aux notes prises par le docteur Payne concernant la consultation médicale du 6 octobre 1998, il indique a noté l'apparition des symptômes depuis son déplacement le 14-09-98 au plan, pas plaisant, son superviseur le stress beaucoup . (C'est moi qui souligne.)

[28] Le plaignant ajoute qu'il ne peut être plus précis car dans ses mots je n'avais pas d'exemple à lui donner . Toutefois, le 9 décembre 1998, dans une lettre à France Villeneuve de la CSST, il donne trois pages d'exemples avec des noms et des dates d'événements. Dans ce document, il ne relate toutefois aucun événement qui se serait produit au plan mécanisé le 14 septembre ou le 15 septembre 1998. Entre le 14 septembre et le 1er octobre, les seuls événements qu'il mentionne sont les suivants :

«Le 24, j'applique comme AP-2, représentant télémarketing, on m'avise que j'ai été sélectionné.

Le 28, pour le poste ci-haut mentionné, on m'informe que ma candidature n'a pas été retenue car je ne possède pas les exigences requises (bilingue impératif BBBB), c'est faux je parle anglais couramment. »

[29] Le 6 novembre 1998, Beauregard rencontre le docteur Guérin. Nous reviendrons sur cette rencontre un peu plus loin.

[30] Le 12 novembre 1998, une nouvelle lettre de Réal Caron, lui impose une nouvelle suspension de trois jours en raison de son attitude lors de son examen par le docteur Guérin.

[31] Lors d'une rencontre le 16 novembre, l'employeur informe Beauregard qu'il n'est toujours pas en mesure de savoir ce qu'il veut exactement en termes de redéploiement ou quelles sont ses limitations fonctionnelles. Beauregard mentionne qu'il voit son médecin le 19 novembre 1998 et qu'il sera alors mieux situé sur sa maladie.

[32] Le 25 novembre 1998, nouvelle rencontre pour discuter de son redéploiement. Caron présente à Beauregard une mutation pour Matane, dans un poste de commis plein temps. Beauregard déclare qu'il n'a jamais rempli de demande de mutation pour Matane. Confronté aux faits qu'il a préparé, le 16 mai 1997, une telle demande, il répond que cette demande n'est plus valide puisque selon la convention collective, une demande de mutation n'est bonne que pour une année.

[33] Ce refus de Beauregard d'accepter la mutation pour Matane est surprenant à la lumière de ses déclarations au docteur Payne et au docteur Gérard Cournoyer, psychiatre. Dans le cas du docteur Payne, lors d'une rencontre le 3 novembre 1998, soit quelques semaines avant l'offre de mutation à Matane, il aurait expliqué qu'en raison d'un problème d'ancienneté, il ne pouvait obtenir le genre de mutation qu'il désirait. Il aurait alors indiqué qu'il voulait aller à Baie Comeau, qu'il était prêt finalement à aller n'importe où pour sortir de Montréal.

[34] Au docteur Cournoyer, il mentionne qu'il est libre d'aller où il veut parce qu'il n'a pas de conjoint, ni d'enfants. Dans les mots du docteur Cournoyer dans son rapport il s'est mis en frais de remplir, en l'espace d'environ deux semaines quelques 240 demandes de mutation, assurant son employeur que véritablement il était prêt à aller travailler n'importe où au Québec, afin de ne plus être en-dedans , terme consacré dans le jargon des employés de la Société, pour parler du plan mécanisé où le milieu de travail est, aux yeux de plusieurs, beaucoup plus pénible qu'en dehors . Alors pourquoi, si tel est le cas, a-t-il refusé l'offre de mutation à Matane? Pourquoi ne pas avoir fait référence à cette offre lors de sa visite au docteur Cournoyer? À l'audience, il affirmera qu'il y avait, à ce moment, des changements dans sa vie affective et que c'est pour cela qu'il ne voulait pas aller à Matane. Mais, pourquoi ne pas avoir parlé de ces changements au docteur Cournoyer et avoir laissé celui-ci sous l'impression qu'il était libre d'aller n'importe où?

[35] Il affirme ne pas se souvenir des demandes de mutation parce que celles-ci ne sont bonnes que pour une année et qu'après il les jette. Il dit ne pouvoir dire si le chiffre de 240 est exact ou si c'est lui ou le docteur Cournoyer qui a proposé ce chiffre. Personnellement, je ne vois pas pourquoi et dans quel intérêt le docteur Cournoyer aurait parlé de 240 demandes de mutation si le plaignant n'avait pas soulevé ce chiffre.6

[36] Concernant les demandes de mutation, il ajoutera:

Q. Maintenant, je vois qu'il y a plein d'endroits, c'est marqué Trois-Rivières, Sept-Îles, Mont-Joli, Alma et on passe la pile au complet. Il y en a en Ontario.

R. Il y en a en Ontario, oui.

Q. Et il y en a une à Matane dans le haut de la pile. Après ça, je vois Roberval, tout ça.

R. Oui.

Q. Ça, c'est les endroits où vous étiez prêt à aller. C'est ça?

R. Au moment que j'ai signé cette demande de mutation-là, oui, selon les conditions que j'avais en 1997, mais au niveau syndical, quand on fait une demande de mutation, il n'y a rien qui nous oblige de l'accepter ou pas parce qu'il y a des fois des choses dans la vie qui peuvent changer d'une journée à l'autre.

Q. Je comprends.

R. Alors, il n'y a rien qui nous oblige à l'accepter ou pas. Mais c'est une demande pour garder notre nom sur la liste. Alors, on s'inscrit sur la liste de, exemple, Matane et au moment que quelqu'un nous offre l'emploi ... ça, c'est bon pour un an. Alors, un an à partir du 16 mai 1997. Mais ce n'est pas une obligation en rien. C'est juste pour se garder un choix advenant qu'on ait besoin de ce choix-là.

[...]

Q. Mais disons, monsieur Beauregard, que si vous faites des demandes comme ça à Matane, à Sept-Îles, Roberval, Guelph puis que dans le fond, vous n'êtes pas intéressé à aller à aucune de ces places-là, on pourrait dire que ces demandes-là seraient faites de mauvaise foi?

R. On ne peut pas dire qu'elles sont faites de mauvaise foi parce qu'on les remplit et on attend de savoir qu'est-ce qu'il y a de disponible à cet endroit-là, si ça fait notre affaire ou pas. Alors, c'est pour un choix d'améliorer notre sort. Alors, si on regarde la route qui nous est présentée à ce moment-là et cette route-là ne fait pas notre affaire, on a le droit de le refuser.

Q. Mais par exemple, monsieur Beauregard, ça, je comprends pour un facteur de Montréal qui fait une demande pour une route de facteur à Matane, il peut regarder quelle route qui ferait son affaire à Matane, mais pour un employé qui est dans les plans mécanisés à St-Laurent puis qui ne veut rien savoir puis qui n'aime pas être dans les plans mécanisés à St-Laurent, une route de facteur à Matane, est-ce qu'on la choisit en fonction des nombres d'étages ou des nombres d'escaliers?

R. Oui. On la choisit en nombres d'étages justement et nombres d'escaliers et chaque pas est compté. Alors, si c'est une route, par exemple, qui a, comme j'ai déjà fait à Youville, 230 escaliers dans la journée, à ce moment-là, on va y penser.

Q. Vous aimez mieux rester dans le plan.

R. Et aussi le nombre de portes. Alors, le nombre de portes est très variable selon les routes et aussi la quantité de tri à faire le matin. Alors, si c'est une route qui a beaucoup de tri ou pas beaucoup de tri, c'est toutes ces choses-là qu'il faut analyser au moment que l'employeur nous offre une position.

[37] Le 20 novembre 1998, suite à des rencontres avec la psychologue Léoline Daigle7, le 2 novembre, avec le docteur Luc Morin, le 18 novembre, et avec le docteur Payne, le 19 novembre, il fait parvenir une lettre à Réal Caron dans laquelle il demande un redéploiement en vertu de l'article 54.02b) de la convention collective.8 Cet article prévoit que lorsqu'un employé est atteint d'une incapacité physique en raison de problèmes de santé et que le besoin d'une affectation s'appuie sur un certificat délivré par un médecin qualifié, l'employé peut, sur demande écrite, être affecté à n'importe quel poste vacant approprié de son groupe. D'après Beauregard, les résultats du docteur Payne montrent qu'il ne peut réintégrer ses fonctions dans l'un ou l'autres des plans mécanisés. Je n'ai pas l'intention de traiter dans la présente décision de la question du redéploiement en vertu de l'article 54 de la convention collective puisque cette question a déjà été traitée par l'arbitre du grief9.

[38] Le 1er décembre 1998, Georges Dolan, gestionnaire au quart du soir, remet à Beauregard une copie du rapport d'expertise médicale du docteur Guérin. Dolan lui demande également si les docteurs Payne et Guérin peuvent se rencontrer pour échanger sur son cas. Beauregard a, dans un premier temps, répondu oui à cette requête. Toutefois, lorsque Dolan lui présente les autorisations pour sa signature, il demande de pouvoir rencontrer ses représentants syndicaux avant de signer les documents.

[39] Il affirme avoir discuté de la question avec son syndicat et que celui-ci lui a suggéré de ne pas signer ces autorisations. Il a donc refusé de le faire.

[40] Le 3 décembre 1998, il informe Georges Dolan, par lettre, qu'il a revu le docteur Payne depuis la rencontre du 1er décembre et que celui-ci lui a confirmé à nouveau qu'il pouvait reprendre le travail en dehors des deux plans mécanisés sans restrictions. Cette lettre est contre-signée par le docteur Payne.

[41] Le 9 décembre 1998, Caron répond à la lettre du 3 décembre et indique que rien dans celle-ci ne montre que Beauregard ne peut effectuer le travail dans le poste qu'il occupe. Il lui ordonne donc de se présenter, le 14 décembre 1998, à son poste sur son quart de travail sans quoi des mesures disciplinaires n'excluant pas le congédiement seront envisagées . Beauregard réplique que cette demande est contraire à la recommandation du docteur Payne et que de plus la CSST n'a pas [encore] rendu sa décision .10

[42] Le 16 décembre 1998, Caron avise Beauregard que son emploi avec l'intimée est terminé à compter du 17 décembre 1998.11

B. Les visites au docteur Allen Payne

[43] Le docteur Allen Payne est un médecin généraliste. Il pratique la médecine générale et, selon ses propres mots, il fait également de la médecine CSST depuis 1995. Lorsqu'un patient vient le voir suite à un accident de travail, il devient le médecin traitant aux fins de la CSST. Il assure tout le suivi médical. Il n'a aucune spécialité particulière en psychologie ou en psychiatrie.

[44] En 1998, le docteur Payne travaille à la fois dans sa clinique de médecine générale et à la Polyclinique Médicale Populaire sur la rue Sainte-Catherine, à Montréal. Les gens peuvent se présenter à la Polyclinique sans rendez-vous. La Polyclinique est surtout fréquentée par des travailleurs. Le docteur Payne indique que la Polyclinique traite une quantité industrielle de dossiers de la CSST.

[45] Le docteur Payne dit avoir vu Beauregard le 6 octobre 1998. Celui-ci dit s'être rendu à cette clinique parce qu'il devait aller cette journée-là conduire quelqu'un au métro Papineau près de la clinique et que c'était une clinique recommandée par le syndicat. Il affirme qu'il se sentait en confiance d'y aller.

[46] Il admettra, en contre-interrogatoire, qu'il avait déjà consulté le docteur Payne. En effet, le docteur Payne reconnaît avoir vu le plaignant en 1997 pour un autre problème. Toutefois, sur les deux rapports médicaux remplis sur des formulaires de la CSST lors de visites en 1997, on peut lire dans la section intitulée Diagnostic et évolution de la pathologie et des traitements l'expression état dépressif situationnel . Interrogé sur ces visites, le plaignant affirme ne pas se souvenir de ces documents parce que les copies, affirme-t-il, ne sont pas lisibles. Ses réponses sur les événements entourant les visites qu'il a fait au docteur Payne en 1997 sont vagues et peu convaincantes. Il est également surprenant que dans son témoignage le docteur Payne n'a pas fait de lien entre les rapports médicaux de 1997 et ceux de 1998 puisqu'il était dans les deux cas le médecin traitant.

[47] Quoiqu'il en soit, le plaignant se présente donc le 6 octobre 1998, à la Polyclinique avec ce que le docteur Payne qualifie d' un tableau de congestion sinusal, éveil nocturne, absence de récupération, baisse d'appétit, aplatissement du moral, voudrait se coucher après avoir été debout que 2 heures; a noté l'apparition des symptômes depuis son déplacement le 14-09-98 au plan pas plaisant, son superviseur le stress beaucoup problème d' inside , cours et contenu de sa pensée au ralenti, essaiera un retour au travail au mois de décembre, présence de céphalée quotidienne, n'aime pas trop les médicaments, rendez-vous Dr Morin psychiatre le 18-11-98 . (C'est moi qui souligne.)

[48] Lorsqu'en contre-interrogatoire l'avocat de l'intimée demande à Beauregard à quel superviseur il fait référence; il déclare ne pas s'en souvenir. D'ailleurs, il ajoute avoir parlé en général , que ce n'était pas un superviseur en particulier qui le stressait mais le lieu de travail. Toutefois, selon les notes du docteur Payne c'est un superviseur qui le stress beaucoup .

[49] Le docteur Payne déclare avoir passé de 10 à 15 minutes avec Beauregard lors de sa visite du 6 octobre. Beauregard dit avoir expliqué toute sa situation au docteur Payne lors de cette rencontre. Cependant, il affirme avoir omis d'informer le docteur Payne qu'il est en arrêt de travail pour maladie depuis le 1er octobre. Le docteur Payne admet que la consultation fut rapide parce qu'il y a d'autre monde qui attendent .

[50] Dans son témoignage, le docteur Jacques Gagnon, un témoin qualifié d'expert en psychiatrie, indique que pour faire un bon examen psychiatrique, il faut entre 40 à 50 minutes. Il est d'avis qu'un examen fait en dix minutes n'est pas complet et que le jugement qui est porté n'est sûrement pas basé sur des données probantes. Il ajoute que le diagnostic doit s'appuyer sur un minimum de symptômes d'ampleur significative. Un autre psychiatre, le docteur Gérard Cournoyer, témoin de la Commission et de Beauregard, ajoute qu'il ne pense pas qu'on puisse, en l'espace de quelques minutes, faire un examen psychiatrique. Il ajoute qu'un tel examen devrait durer au moins une heure et parfois plus. Il affirme qu'avant, d'émettre une opinion, il faut qu'on soit convaincu qu'on a vraiment recueilli toute l'information sur laquelle on va baser son opinion. À son avis, la première visite devrait durer, en moyenne, au moins une heure, une heure et demie parce qu'il faut parcourir toute l'histoire de la personne, son histoire médicale et ses antécédents.

[51] Le docteur Payne affirme être arrivé à son diagnostic en posant certaines questions à Beauregard. Il ajoute que ce qu'il cherche c'est à évaluer les fonctions mentales supérieures du patient, le risque suicidaire et ce qu'il appelle l' inside c'est-à-dire la capacité d'introspection du patient par rapport à sa situation. Il déclare vouloir à ce moment recueillir des données sur les circonstances et le contexte qui entoure les symptômes.

[52] Il dit se souvenir de l'état de Beauregard en regardant ses notes, mais il ajoute qu'il n'y avait pas quelque chose de particulier. Vous comprendrez qu'à 50, 60, 70 patients par jour, disons...il n'y avait pas nécessairement quelque chose de plus particulier avec Beauregard qu'un autre . Il ajoute qu'il est venu le voir d'abord pour un problème de sinus puis qu'il a dit Ah, en passant, docteur, je me sens pas bien, puis et caetera . Il déclare pouvoir arriver à cette conclusion en regardant ses notes [p]arce que j'ai marqué raison de consultation, congestion puis après, j'ai commencé à parler. Donc, ça veut dire que logiquement, il m'a abordé sur son problème de sinus puis là, a découlé, en le questionnant un peu plus, qu'il ne se sentait pas bien, qu'il n'avait pas d'appétit, et caetera, comme j'ai noté dans mes notes . Il ajoute que le problème de sinus n'était pas relié à l'état psychologique de Beauregard.

[53] Le docteur Payne affirme avoir posé une série de questions complètes tel qu'exigé par le régime d'assurance maladie du Québec (le RAMQ ). Il reconnaît que les consultations effectuées par les psychiatres sont biens différentes. Il dit avoir demandé à Beauregard comment il se sentait. Beauregard mentionne qu'il s'éveille la nuit, qu'il a de la difficulté à récupérer, qu'il a une baisse d'appétit, qu'il a un moral qu'il décrit comme étant à plat, qu'il a de la fatigue, qu'il veut se coucher tout de suite après deux heures. Il dit qu'il a ces symptômes depuis le 14 septembre 1998.

[54] Le docteur reconnaît qu'il est important dans le cas d'un patient qui se présente dans un état de dépression de connaître son état d'esprit, son psychique ou sa condition mentale. À cet égard, il note que Beauregard ne pleure pas et qu'il n'a pas mentionné qu'il pleurait à l'occasion. Il ajoute que pour en arriver à déterminer l'état psychique, il regarde si l'information est délirante. Est-ce que le débit verbal est normal ou ralenti ? Le patient a-t-il de la difficulté à faire des liens ?

[55] En dix minutes, avec ce type de question, il affirme avoir suffisamment d'information pour pouvoir porter un diagnostic à l'effet que Beauregard semble avoir une dépression reliée à la situation qu'il vit au travail.

[56] Dans l'attestation médicale12 du 6 octobre 1998, le docteur Payne note comme diagnostic État dépressif réactionnel . La date de l'événement est indiquée comme étant le 14 septembre 1998. Celle-ci fut fixée par le docteur Payne en se basant sur ce que Beauregard lui a dit : C'est le travailleur qui détermine finalement la date d'événement . Il ajoute que dans un cas psychologique la date de l'événement est basée habituellement sur la mémoire du travailleur quant à la date où les symptômes auraient commencés.

[57] Sur l'attestation médicale le docteur Payne a également indiqué RT 71098 , pour retour au travail le 7 octobre 1998 . Dans ses notes il indique essaiera un retour au travail au mois de décembre . Il affirme que c'est Beauregard qui a dit cela. Le docteur Payne a, pour sa part, écrit sur le rapport médical que le retour au travail est prévu pour le lendemain. Il ajoute que puisqu'il ne s'agissait pas d'une dépression majeure, mais d'un problème situationnel, il pouvait y avoir des aménagements administratifs. Il y avait donc une possibilité d'un retour au travail assez rapide. Dans son interrogatoire, Beauregard déclare que c'est lui qui a insisté pour retourner au travail le 7 octobre. Il affirme avoir dit au docteur Payne : Bon, j'ai eu quelques jours de répit. Alors, je voudrais réessayer le 7 à travailler et à fonctionner normalement.

[58] Je n'ai aucune raison de mettre en doute la version du docteur Payne et je retiens que c'est le docteur Payne qui a suggéré un retour au travail le lendemain et non Beauregard.

[59] Si nous comparons les différentes copies de l'attestation médicale émise par le docteur Payne le 6 octobre 1998, nous constatons que sur les copies du travailleur et de l'employeur il y a une annotation que nous ne trouvons pas sur celle du médecin. Cette annotation ajoute suggérons changer endroit travail . Beauregard dit ne pouvoir expliquer comment cet ajout s'est retrouvé sur ces copies et non sur celle du médecin. Aucune explication satisfaisante n'a pu également être donnée par le docteur.

[60] Le docteur Payne émet également le 6 octobre 1998 un autre document intitulé Rapport médical , encore sur un formulaire de la CSST. Le docteur Payne explique qu'en 1998, étant donné que le formulaire d'attestation médicale n'avait pas de case pour indiquer si on référait le patient à des spécialistes, alors les médecins préparaient un rapport médical qui lui avait une case à cet effet. Dans le cas qui nous intéresse, Beauregard est référé au docteur Luc Morin, un psychiatre.

[61] Le docteur Morin, à l'époque, est psychiatre à la Polyclinique. Il a quitté la Polyclinique en décembre 2001. Le docteur Morin ne fut pas appelé à témoigner. Il semble, selon le docteur Payne, qu'il est soit décédé ou très malade.

[62] Le docteur Payne dit avoir décidé de référer Beauregard au docteur Morin parce qu'il présentait un problème d'ordre psychiatrique. Il ajoute également que le fait qu'il suggère de changer l'endroit de travail l'a également influencé à faire cette référence car [ça] peut être une suggestion qui peut ou non déplaire à l'employeur ou amener des problèmes, amener des contre-expertises et tout ça. Donc, à ce moment-là, il y a une question aussi de couverture, on pourrait dire, par un spécialiste. C'est une procédure standard de la part des généralistes . (C'est moi qui souligne.)

[63] Le 13 octobre 1998, nouvelle visite au docteur Payne. Lors de celle-ci le docteur Payne prépare un Rapport médical d'évolution . Le diagnostic y est toujours le même état dépressif situationnel avec l'ajout cette fois des mots (travail) et (endroit) pour, selon le docteur Payne, donner des précisions à l'effet que la situation est reliée au travail. En dessous de ces annotations, il ajoute : rendez-vous, arrêt de travail, le 20 octobre 1998 . Il prolonge donc le congé de maladie jusqu'au 20 octobre. Cette rencontre n'a durée que 5 minutes. Le docteur Payne admet ne pas avoir refait d'examen.

[64] Dans ses notes, le docteur Payne indique accepte de voir psychologue, référé à madame Daigle, rayon X des sinus 13.

[65] Lors de cette visite le docteur Payne affirme ne pas avoir été surpris d'apprendre qu'il n'est pas retourné au travail le 7 octobre 1998. Beauregard lui explique que la gestion de sa situation est complexe et qu'elle nécessite plus de temps pour être réglé sur le plan administratif, ce qui n'est pas possible dans 24 heures. Le docteur Payne dit avoir prolongé son arrêt de travail parce que le problème n'est pas encore réglé au point de vue administratif.

[66] Le docteur Payne ajoute que le diagnostic de trouble d'adaptation est surtout un problème de gestion administrative pour lequel on ne prescrit pas de médicament. On donne plutôt le temps à la gestion administrative de régler le problème.

[67] Le 13 octobre 1998, le docteur Payne constate un état dépressif qui n'a pas pu être géré et qui se continue. Cet état se caractérise par le fait que Beauregard dit ne pas avoir d'appétit, ne pas avoir de moral, manquer d'énergie; les mêmes caractéristiques qu'il avait identifiées lors de l'examen du 6 octobre 1998. Toutefois, il admet en contre-interrogatoire que ce n'est pas Beauregard qui lui a décrit ces symptômes mais que dans, les cinq minutes qu'a duré la visite, il aurait constaté qu' il avait l'air un peu abattu, il avait l'air d'avoir les mêmes genres de symptômes .

[68] Beauregard est toujours, lors de cette rencontre, en attente de voir un psychiatre et le docteur Payne l'invite également à prendre rendez-vous avec la psychologue, Léoline Daigle.

[69] Beauregard revoit le docteur Payne le 20 octobre 1998. Entre le 13 et le 20 octobre, il dit avoir eu un rendez-vous avec la psychologue Daigle, toutefois aucune preuve de cette rencontre ou de ce qui s'est dit lors de celle-ci n'a été présentée à l'audience. Il affirme qu'il a également, pendant cette période, pris rendez-vous avec le docteur Morin pour le 18 novembre. Pourtant dans ses notes pour le 20 octobre 1998, le docteur Payne indique va prendre rendez-vous avec le psychiatre Morin . Il semble donc qu'au 20 octobre 1998, il n'y a toujours pas de rendez-vous de fixer avec le docteur Morin.

[70] Dans le Rapport médical que le docteur Payne a rempli lors de la visite du 20 octobre 1998, le diagnostic est toujours le même état dépressif situationnel ; l'arrêt de travail est prolongé jusqu'au 5 novembre 1998.

[71] Le 3 novembre 1998, nouvel examen par le docteur Payne qui a duré cette fois à peu près 10 minutes. Selon le docteur Payne, Beauregard a le même état psychologique que lors de sa première visite le 6 octobre 1998. Le docteur dit en être arrivé à cette conclusion en le regardant agir, par le ton qu'il utilise, par la façon qu'il a de raconter les événements et par l'abondance de détails qu'il utilise. Il en conclut que Beauregard a un affect perturbé. Il affirme ne pas être en mesure de donner un signe clinique objectif de cet affect perturbé car la psychiatrie est, selon lui, rarement objective. Il ajoute, de plus, que Beauregard ne souffre pas d'une dépression majeure.

[72] Il dit être beaucoup plus en mesure d'identifier des signes subjectifs d'un affect perturbé. Entre autres, il note que Beauregard a ce qu'il caractérise comme de la circonstancialité . Il ajoute que sa pensée n'est pas délirante, mais elle n'est pas focussée non plus. Il n'a aucune obsession. Il utilise une abondance de détails pour décrire une situation qui peut être résumée en quelques mots.

[73] Le docteur Payne recommande un arrêt de travail en raison d'un état dépressif réactionnel ou situationnel qui selon lui sont la même chose. Il ajoute qu'aujourd'hui il qualifierait son diagnostic de trouble d'adaptation . Le docteur Payne n'utilisera jamais cette expression dans ses diagnostiques. Elle apparaît pour la première fois dans la note du docteur Luc Morin.

[74] Selon le docteur Payne l' état dépressif réactionnel ou situationnel ou le trouble d'adaptation sont des équivalents dont les signes et les symptômes sont subtils et discrets par opposition aux dépressions majeures. Il ajoute qu'ils ne se traitent pas par des médicaments.

[75] Pour sa part, le docteur Gagnon témoigne à l'effet que le trouble d'adaptation est réactionnel à un événement significatif dans la vie de quelqu'un. Le tout rentre habituellement dans l'ordre assez rapidement dès qu'on enlève le facteur de stress. Il ajoute que dans le cas de Beauregard, dès qu'il a été retiré de son milieu de travail, il aurait dû retrouver un fonctionnement normal dans seulement quelques jours et non pas dans six semaines comme l'indique le docteur Payne.

[76] Le docteur Marc Guérin, autre témoin qualifié d'expert en psychiatrie, mentionne que la dépression peut prendre plusieurs formes mais qu'elle est essentiellement caractérisée par un trouble de l'humeur c'est-à-dire que l'humeur est triste; tristesse qui est généralement accompagnée d'un niveau plus ou moins important d'anxiété. Les symptômes principaux de la dépression sont la tristesse et l'anxiété. Ces deux symptômes amènent l'apparition de d'autres symptômes comme, par exemple, des difficultés de concentration. Quelqu'un qui est trop anxieux a de la difficulté à se concentrer. Ce qui entraîne un effritement du contrôle émotionnel. Les gens qui sont tristes vont souvent pleurer, ils se contrôlent moins bien, ils sont plus sensibles. L'anxiété va amener généralement de l'insomnie. Dans les cas de dépression, ce qu'on observe le plus souvent, c'est une insomnie qui est initiale ou une insomnie qui est matinale, la personne se réveille très tôt et n'arrive plus à se rendormir. Il constate que la majorité des gens connaissent des périodes durant lesquelles ils se réveillent la nuit mais ils arrivent à se rendormir. Dans ce cas ce n'est pas pathologique. Ce qui est plus caractéristique de la dépression, c'est l'insomnie initiale ou terminale. L'insomnie à long terme va accroître les difficultés de concentration parce qu'il y a une fatigue mentale qui s'installe et les gens vont aussi se plaindre d'une fatigue physique. Il y a également des problèmes d'appétit. Les gens soit perdent l'appétit, ce qui est le plus fréquent, ou mangent plus, ils deviennent boulimique. Dans les cas plus importants, lorsque ça devient invalidant, il peut apparaître des problèmes d'agitation ou des retards psychomoteurs. Les gens sont tellement angoissés qu'ils sont agités, ils sont incapables d'arrêter de bouger ou ils sont au ralenti mentalement et physiquement. Nous sommes dans ces cas devant une pathologie qui peut être qualifié d'importante.

[77] Le docteur Guérin poursuit en indiquant que le trouble d'adaptation est une forme moins importante de la dépression. Dans la classification américaine, les symptômes du trouble d'adaptation sont essentiellement les mêmes que nous venons de décrire mais avec une intensité relativement plus faible. Le trouble d'adaptation est généralement directement lié à quelque chose d'identifiable, des préoccupations familiales, financières ou des problèmes au travail. C'est quelque chose qui est à la limite de ce qui est normal.

[78] Lorsque la pathologie s'entretient d'elle-même, on parle alors de trouble dépressif soit situationnel ou névrotique c'est-à-dire que les symptômes ne sont plus proportionnels à ce que vit la personne dans le monde extérieur. Les gens se sentent tristes même s'il n'y a plus vraiment de raison de se sentir triste. La pathologie est plus importante parce qu'elle n'est pas proportionnelle ou explicable par une réaction de l'ordre des réactions normales ou naturelles des individus. À l'extrême, le docteur Guérin parle des personnes qui sont sur le point de perdre le contact avec la réalité. Ils sont tellement tristes qu'ils vont commencer à s'accuser de tous les maux. Leur situation est pratiquement délirante.

[79] Selon le docteur Guérin, il existe une gradation dans la symptomatologie dépressive. Lorsqu'un patient vient voir son médecin et lui dit: Bon, bien, écoutez, j'ai tel, tel symptôme, par exemple, je dors moins bien... j'ai un peu moins d'intérêt, je suis préoccupé, j'ai des difficultés de concentration , le médecin doit le questionner pour savoir s'il y a d'autres symptômes associés à cet état. Il doit essayer de vérifier jusqu'à quel point les symptômes sont importants. Le docteur Guérin constate qu'il y a des gens qui disent: J'ai des difficultés à me concentrer , mais après une demi-heure d'entrevue, le médecin constate qu'ils se concentrent bien, qu'ils ne perdent pas le fil de leurs idées, qu'ils répondent bien aux questions. Si quelqu'un dit: J'ai peu d'appétit , le médecin doit essayer de vérifier s'ils ont perdu du poids. Ce sont là des choses que le médecin doit faire, selon le docteur Guérin, afin d'essayer d'objectiver la pathologie.

[80] Le 19 novembre 1998, le plaignant retourne voir le docteur Payne. Selon le docteur Payne cette rencontre aurait duré à peu près cinq minutes. Lors de cette rencontre le docteur Payne prépare un rapport final. Un tel document est émis lorsqu'un patient a atteint, selon les termes de la CSST, un état de consolidation . Le rapport final est différent des autres documents parce qu'il pose des questions différentes et spécifiques. Par exemple, est-ce qu'il va y avoir une atteinte permanente? si la case oui est cochée, alors on poursuit : est-ce qu'il va y avoir des limitations fonctionnelles ? . Si oui , alors : est-ce qu'on parle d'une aggravation des limitations fonctionnelles antérieures? . Si on répond oui, il faudra produire un rapport d'évaluation. Dans le cas de Beauregard, ce rapport d'évaluation ne sera jamais produit.

[81] En réponse à la question pourquoi il n'avait jamais produit ce rapport d'évaluation, le docteur Payne répond : Très bonne question. Est-ce que c'est une question de ne pas avoir rejoint monsieur Beauregard, est-ce que c'est une question de manque de disponibilité, est-ce que c'est parce que monsieur Beauregard avait un processus administratif puis j'attendais peut-être ça, je ne peux vous répondre là.

[82] La date de consolidation sur le rapport final est indiquée comme étant le 23 novembre 1998. Le docteur Payne affirme ne pouvoir dire avec certitude comment il est arrivé à cette date. Selon lui, d'un point de vue administratif, il arrive régulièrement que les patients vont être consolidés deux ou trois jours après leur visite. Il ajoute également : Ça peut être parce que c'est un jeudi, par exemple, puis on consolide le lundi. Puis c'est logique, si le 19, c'est un jeudi, le 20, le 23, ça donne un lundi. C'est habituellement des raisons administratives uniquement qui font qu'on va mettre la date de consolidation une couple de jours après.

[83] Questionné à savoir s'il est normal que la date de consolidation soit fixée en fonction d'une journée de la semaine, il répond ça dépend. Ici, on parle d'une gestion administrative, donc une gestion administrative ça implique aussi qu'il va y avoir une consolidation administrative et pas juste médicale. La consolidation doit également se faire sur le plan administratif c'est-à-dire lui donner le temps de contacter son employeur .

[84] Pourtant la date de consolidation , pour les fins de la CSST, se définit comme étant la date du plateau thérapeutique d'une lésion professionnelle. Le docteur Payne définit le concept de plateau thérapeutique d'une façon plus large que strictement médical. Il conçoit cette date comme celle où il est plus convenable et pratique pour le travailleur de retourner au travail, surtout dans un cas comme celui-ci, parce que le problème est, de son avis, plus administratif que médical. D'ailleurs, le docteur Payne qualifie les examens psychologiques du plaignant de ventilation, je ne suis pas sûr qu'on parlerait d'un très gros traitement médical .

[85] Par un problème de nature administratif, il affirme vouloir dire que la gestion et le règlement sont essentiellement administratifs. Il ajoute nous nous retrouvons donc avec un problème qui est surtout administratif et un peu médical. ... Si on veut donner des pourcentages, on pourrait peut-être dire 80 [administratif]-20 [médical] ou 85-15.

[86] Le docteur Payne a de la difficulté à expliquer quel était le problème que le plaignant avait avec son travail : ça semblait être un problème de relations de travail avec différentes personnes qui étaient difficiles . Pourtant dans son compte rendu écrit de la rencontre du 6 octobre 1998, il note son superviseur le stress beaucoup , au singulier. Beauregard ne lui a pas donné de nom, ni ne lui a-t-il dit lors de leurs rencontres ce qui lui déplaisait dans cette ou ces individus. Mais, il est clair pour le docteur Payne que le problème en est un de relations de travail. Pourtant, Beauregard semble dire que c'est le plan mécanisé qui est le problème pas de fenêtres, bruyant, poussiéreux .

[87] Le rapport médical du 19 novembre indique le diagnostic suivant état dépressif situationnel. Retour au travail selon l'article 54.02b) hors 2 plans sans horaire de nuit. Jour ou soir 23-11-98, ceci de façon permanente selon avis psychiatrique . Pourquoi parle-t-on de deux plans?

[88] Le docteur Payne affirme avoir fait ce nouveau diagnostic suite à la rencontre entre Beauregard et le docteur Morin. En ce qui concerne l'article 54.02b) de la convention collective, le docteur Payne témoigne que c'est le plaignant qui lui a demandé d'y faire référence car lui-même ne connaissait pas l'existence de cette disposition.

[89] Il ajoute avoir recommandé que le plaignant travaille à l'extérieur des deux plans en raison de la recommandation du docteur Morin. Cependant si le problème en est un de relations de travail avec différentes personnes, il est difficile de voir comment cette recommandation réglerait le problème surtout si les superviseurs ne sont pas les mêmes dans les deux plans .

[90] Il précise qu'il a fait ces recommandations pour les deux plans parce que les deux plans ont les mêmes caractéristiques de travail et que c'est cela qui amenait le problème. Ainsi, le problème n'en est plus un de conflits de travail avec des superviseurs mais un problème de lieu de travail.

[91] Le docteur Payne témoigne que le docteur Morin recommande également un travail hors des deux plans . Toutefois, si nous nous référons à la note manuscrite du docteur Morin préparé suite à son examen de Beauregard nous constatons que celui-ci parle de plan au singulier et non au pluriel : Rec : Changement de poste et de milieu (plan) . D'ailleurs, rien ne laisse croire que le docteur Morin connaissait l'existence du deuxième établissement.

[92] Le docteur Payne admettra finalement que c'est Beauregard qui lui a demandé de l'exclure, par un certificat médical, des deux plans et du travail de nuit, mais il ajoute que ce n'est pas sur cette demande qu'il a fondé sa recommandation, sans donner d'autres explications. Il admet également que c'est Beauregard qui lui a expliqué qu'il avait fait une demande en vertu de l'article 54.02b) de la convention collective et qui lui a demandé d'écrire cette recommandation sur le certificat. Le docteur Payne admet ne pas connaître l'article en question et reconnaît que ce n'est pas une prescription médicale, tout en ajoutant que c'est toutefois la gestion administrative qui est recherchée pour ce dossier.

[93] Il dit avoir suggéré sans horaire de nuit parce qu'il considère Beauregard comme fragile, ce qui lui occasionne plus de difficultés à s'adapter à un horaire de nuit. Le bruit, l'isolation, le stress et le travail nocturne sont, selon lui, des facteurs qui risquent d'amener une rechute. Il reconnaît toutefois qu'il se peut également que ce soit Beauregard qui lui ait demandé de l'exclure du quart de nuit mais il n'est pas aussi affirmatif à ce sujet qu'il ne l'était en ce qui concerne la suggestion relative aux deux plans .

[94] En ce qui concerne la rencontre avec le docteur Morin, les seules preuves que nous avons sur celle-ci sont le témoignage de Beauregard et la note préparée par le docteur Morin. Cette rencontre aurait durée à peu près 45 minutes. Les questions posées par le docteur Morin portent spécifiquement sur l'endroit de travail et l'état du plaignant lorsqu'il se trouve à l'intérieur de son lieu de travail et lorsqu'il se trouve à l'extérieur. Beauregard indique que le docteur Payne avait posé une question spécifique au docteur Morin, à savoir : Est-ce que le patient devrait être transféré ou muté ou travailler en dehors des deux plans , et la réponse du docteur Morin a été dans l'affirmative. Pourtant le docteur Payne n'a jamais fait référence à cette question ni dans son témoignage, ni dans ses notes. En ce qui a trait aux deux plans , rappelons que le docteur Morin dans sa note ne parle que de plan au singulier.

[95] D'ailleurs la note du docteur Morin est très brève et je la reproduis en entier : Travaille à Postes Canada depuis juin 93 dans un plan mécanique qui traite le courrier. Se plaint de harcèlement de la direction. A fait des remplacements dans des succursales postales. Considérait que l'ouvrage était plaisant surveillant Æ surintendant. Accident de travail : état dépressif situationnel relié au travail (docteur Payne) versus suspension d'après la direction. Milieu (le plan) : bruit - isolation - stress. Diagnostic : stress aigu + trouble d'adaptation dans le milieu de travail avec humeur anxio-dépressive. Recommandation changement de poste et de milieu (plan) .

[96] Le diagnostic du docteur Morin parle d'un stress aigu . Selon l'interprétation du docteur Payne, un stress aigu c'est quelque chose qui s'est passé dans un court lapse de temps et qui a amené un affect émotif. Dans l'examen qu'il a fait de Beauregard le lendemain de sa rencontre avec le docteur Morin, le docteur Payne affirme qu'il n'a pas constaté de stress aigu. Pour sa part le docteur Gagnon, affirme que c'est difficile de retenir un diagnostic de stress aigu car il manque l'élément premier : une réaction à un événement. Une réaction de stress aigu c'est l'équivalent d'un état de stress postraumatique, mais de courte durée. Dans le cas de Beauregard, il n'y a jamais eu d'événement traumatisant.

[97] Lors de la rencontre du 19 novembre 1998, le docteur Payne affirme que Beauregard est un peu agité. Il est resté debout pendant toute l'entrevue. Le docteur Payne affirme toutefois n'avoir posé aucune question au patient puisqu'il avait été vu la veille par le docteur Morin. La rencontre a duré de 2 à 5 minutes. Dans cette courte période de temps, le docteur Payne a complété un rapport médical et le rapport final. Dans le rapport final, il reconnaît avoir coché oui à toutes les questions dans la section intitulée atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et limitations fonctionnelles . Il dit toutefois avoir commis une erreur en cochant oui à la question si oui, ces limitations ont-elles aggravé des limitations fonctionnelles antérieures puisque normalement cette question s'adresse à des individus qui ont déjà eu un accident de travail. Il dit que cette erreur peut être dûe à un manque d'attention car il devait agir rapidement mais qu'elle pourrait également s'expliquer par le fait qu'à ce moment il était moins familier avec les rouages administratifs.

[98] Dans le rapport final, il a également coché oui à la question produirez-vous le rapport d'évaluation en conformité avec le barème des dommages corporels mais admet que ce rapport n'a jamais été produit.

[99] Comme j'en ai déjà fait mention, lors de la rencontre du 19 novembre, le docteur Payne a encore une fois diagnostiqué un état dépressif situationnel. Selon le docteur Gagnon, un tel diagnostic à cette date (Beauregard ne travaille plus depuis le 1er octobre) est pour le moins surprenant car, selon lui, une personne qui souffre de trouble d'adaptation ou d'une dépression réactionnelle ou situationnelle, voit son état s'améliorer dès qu'elle est sortie de la situation qui cause le trouble puisque le facteur stress n'existe plus. Il ajoute qu'il est difficile de croire qu'un état dépressif existe encore quelques semaines plus tard et que le médecin traitant n'a pas posé de gestes, sur le plan médical, pour traiter cette dépression.

[100] Le 26 novembre 1998, un nouveau rapport médical est préparé par le docteur Payne. Pour la préparation de ce rapport, il n'y a pas eu de visite ou d'examen clinique. Le document est, selon le docteur Payne, un certificat administratif qui réitère les recommandations déjà faites. Dans le diagnostic nous pouvons lire consolidé le 19-11-98, arrêt de travail selon article 54.02b), hors 2 plans et caetera, ad mise en application selon 08665 . Ce que ce document veut dire, selon le docteur Payne, c'est que jusqu'à ce que l'on rende effectives ce qu'il qualifie comme des limitations permanentes du plaignant, ce dernier reste en arrêt de travail.

[101] Un rapport médical est préparé le 15 décembre 1998. Le diagnostic de ce document indique travail hors plan obligatoire selon article 54. État dépressif connu . Le docteur Payne dit avoir indiqué obligatoire parce qu'il est évident qu'il y a des problèmes du point de vue de la gestion administrative du dossier du plaignant et que le travail hors plan est finalement, à son avis, la solution.

[102] Dans ses notes, le docteur Payne écrit pour le 15 décembre 1998, rechute récidive, aggravation car a été remis au plan . Selon lui, Beauregard recommence à être dans un état psychologique plus difficile parce qu'on l'a remis au plan. En contre-interrogatoire, il précise que c'est une erreur de considérer cette situation comme une rechute et qu'il aurait dû plutôt indiquer que c'est la continuation du même problème.

C. La rencontre avec le docteur Marc Guérin

[103] Le docteur Marc Guérin est un médecin psychiatre. Son expérience professionnelle est surtout dans trois domaines : la pratique de la psychiatrie et de la psychanalyse en milieu hospitalier et en bureau privé; l'enseignement de la psychiatrie à l'Université McGill et de la psychanalyse à l'Institut canadien de psychanalyse; et l'expertise médico-légale, qui est devenue depuis la fin 1996, son seul champ d'exercice. Le docteur Guérin dit avoir vingt années d'expérience dans les entrevues ou l'expertise du genre de celui qu'il a eues avec Beauregard. Il ajoute avoir rencontré durant sa vie professionnelle au moins 10 000 patients en expertise, soit à peu près 500 par année.

[104] Le docteur Guérin est qualifié d'expert en psychiatrie.

[105] Le docteur Guérin a rencontré Beauregard le 6 novembre 1998, dans le cadre d'une expertise demandée par l'intimée. L'entrevue fut très courte. Elle n'a pas duré plus de 15 à 20 minutes puisque Beauregard a refusé de collaborer et de répondre aux questions du docteur. Le docteur Guérin n'a donc pas cru bon de s'obstiner et il a mis fin à l'entrevue. Beauregard explique sa réticence par le fait qu'il n'a pas été préparé et renseigné sur ce qu'est une expertise médicale psychiatrique. Il dit mieux comprendre maintenant ce qui est attendu de lui et c'est pourquoi il a demandé par la suite à revoir le docteur Guérin et a déclaré qu'il était prêt à collaborer à 100% avec celui-ci. L'intimée ne donnera pas suite à cette demande, ce qui à mon avis est malheureux, mais sans conséquence pour la disposition finale de la présente affaire.

[106] La façon dont le docteur Guérin a procédé pour préparer son expertise est celle qu'il dit adopter dans tous les cas. Il commence par s'identifier. Il présente ensuite au patient son mandat. Il explique quelles sont les questions qui lui seront posées. Il dit vouloir s'assurer que la personne sait qui l'a référé. Il explique également qu'il va préparer un rapport après l'examen. Il remet ensuite un formulaire sur lequel il donne les coordonnées de la personne à qui il va adresser son rapport. Enfin, il procède avec son questionnaire. Il commence par prendre les données factuelles : âge, date de naissance, etc... Ensuite, il questionne le patient sur ses antécédents tant médicaux que psychiatriques et sur le problème qui l'a amené devant lui.

[107] Il dit avoir procédé exactement de cette façon avec Beauregard mais que celui-ci n'a pas voulu répondre à ses questions. Tout ce qu'il lui a dit, c'est qu'il ne pouvait pas travailler sur les plans mécanisés; qu'il y avait un conflit sans toutefois élaborer sur la nature de ce conflit.

[108] Quand il l'a questionné sur ses symptômes, le plaignant aurait répondu qu'il ne peut pas m'en dire davantage avant d'avoir vu son médecin . Cette réponse est selon le docteur Guérin très inhabituelle. Il reconnaît que les gens qui viennent le voir en expertise ne viennent pas de leur plein gré, ils sont toujours envoyés par quelqu'un. Ils arrivent donc avec un peu d'appréhension et un certain degré de réticence. Mais il ajoute que lorsqu'il leur explique son mandat et son rôle, en général, les gens collaborent bien. Il dit qu'il arrive à l'occasion qu'il y ait des gens qui collaborent moins bien. Cependant, des gens qui ne collaborent pas au point qu'il ne puisse procéder à un questionnaire et faire un examen complet ou satisfaisant, c'est très rare. Il dit que cela lui est arrivé seulement quelques fois en 20 ans de pratique.

[109] Le docteur Guérin mentionne que habituellement les gens qui viennent le voir sont envoyés parce qu'ils ont un problème et son rôle, est d'essayer d'identifier le problème et, le cas échéant, de faire des suggestions pour le traitement. Les gens, même s'ils arrivent avec une certaine réticence, savent qu'ils sont devant un médecin qui va essayer dans la mesure du possible de les aider. Ils ont donc intérêt à collaborer et acceptent, malgré les hésitations du départ, de relater leurs symptômes.

[110] Le docteur Guérin témoigne qu'il n'a pas réussi, lors de son examen, à mettre en évidence de pathologie psychiatrique pour Beauregard. Ce qu'il dit avoir retiré de la discussion avec lui, c'est qu'il est malheureux à son travail et qu'il semble y avoir une forme de conflit. Beauregard ne rapporte aucun symptôme psychiatrique au docteur Guérin. Le docteur observe qu'il n'a pas de signe évident de pathologie psychiatrique : son discours était cohérent; il était vif et bien orienté; et il n'a pas présenté en cours d'entrevue de problème de concentration ou de pathologies.

[111] Dans son rapport le docteur Guérin admet qu'il est clair que Beauregard est malheureux dans son travail et qu'il ne veut pas travailler au poste qu'il occupe dans le plan mécanisé. Il ajoute qu'il lui a mentionné qu'il a dû quitter son travail en raison du stress interne et de la pression dans les plans mécanisés. Toutefois il n'a pas voulu élaborer sur ces questions et lorsque le docteur Guérin l'a questionné sur ces symptômes, il a répondu qu'il devait revoir son médecin et qu'il saurait alors quoi lui dire.

[112] De son bref entretien, le docteur Guérin a pu noter que Beauregard se présente bien et qu'il semble en bonne santé. Le sensorium, c'est-à-dire son orientation dans le temps, lui est apparu clair. Il n'a noté aucune anomalie des fonctions cognitives c'est-à-dire les capacités de concentration, la mémoire et la compréhension. Il n'a pas non plus d'agitation, ni de retard psychomoteur, qui sont des signes que l'on note lorsqu'une personne est atteinte, par exemple, d'un syndrome anxio-dépressif assez important. Dans ces cas, on constate soit une agitation motrice et psychologique causée par l'anxiété ou soit un retard dans les cas de dépression profonde. Beauregard ne présente ni l'un, ni l'autre.

[113] Son humeur est normale; il n'a pas l'air triste. L'affect est, dans les mots du docteur Guérin, mobilisable . Il en conclut qu'il n'y a pas d'évidence d'une pathologie qu'on pourrait qualifier de trouble de l'humeur dans le genre des dépressions ou de manies. Durant l'examen, Beauregard n'est pas apparu anxieux. La forme de la pensée est normale, le discours cohérent. Il n'a toutefois pas été possible pour le docteur Guérin de se faire une bonne idée des contenus psychiques puisqu'il refuse de répondre aux questions. Mais, il ajoute que de toute évidence il n'est pas délirant et il ne présente pas de pensées suicidaires.

[114] Puisqu'il ne constate pas de pathologie évidente, le docteur Guérin affirme ne pouvoir émettre de restrictions ou de recommandations de traitement. Il n'y a donc pas d'évidence d'invalidité et pas d'évidence de restrictions pour causes psychiatriques quant à son travail. S'il y a un problème, il est, selon le docteur Guérin, de nature administrative et il va falloir adresser ce problème sur le plan administratif ce qui ne relève pas de la médecine. Il rejoint ainsi en quelque sorte les conclusions du docteur Payne.

[115] Si la question était médicale, le docteur Guérin indique que, dans le cas de symptômes anxio-dépressifs, les deux formes de traitements les plus répandues sont la psychothérapie et la pharmacothérapie. Il y a des médicaments, soit des tranquillisants ou des antidépresseurs, qui peuvent être prescrits si les symptômes sont suffisamment importants pour justifier une telle prescription. Tous ces médicaments entraînent des effets secondaires donc ils ne vont pas être prescrits si la personne n'est pas suffisamment perturbée. Dans le cas présent, l'absence totale de traitement laisse croire, selon le docteur Guérin, à une déficience très légère, s'il y a une déficience.

[116] Beauregard n'informe pas le docteur Guérin qu'il a vu une psychologue le 2 novembre 1998, soit à peine quatre jours avant sa rencontre avec lui. Il n'a pas non plus indiqué qu'il allait voir le docteur Morin le 18 novembre 1998. Rien n'indique également dans les notes du docteur Morin, qu'il ait informé celui-ci qu'il a vu le docteur Guérin le 6 novembre 1998.

[117] Dans son rapport, le docteur Guérin conclut que l'examen bref auquel il a procédé ne lui a pas permis d'arriver à un diagnostic psychiatrique. En conséquence, il indique que l'opinion qu'il émet est basée sur le court entretien qu'il a eu avec Beauregard et qu'il faut donc prendre son opinion sous toutes réserves parce que c'est possible qu'il ait eu des problèmes particuliers dont il ne lui a pas parlé.

D. L'évaluation du docteur André Gamache

[118] Le docteur André Gamache est un médecin psychiatre. Il a été appelé comme témoin par la Commission et le plaignant. Toutefois, ni la Commission, ni le plaignant n'ont jugé bon de le qualifier à titre de témoin expert. Je dois donc, sans remettre en doute ses compétences de psychiatre, prendre sous réserve les opinions émises par le docteur lors de son témoignage.

[119] En 1999, le docteur Gamache travaille à l'Hôpital Louis-H. Lafontaine, à Montréal, comme psychiatre à l'urgence. De 1999 à 2001, il travaille également au Bureau d'évaluation médical (BEM), en moyenne une journée par semaine, où il pratique des expertises. Le BEM est un organisme gouvernemental. Des médecins de différentes spécialités y travaillent en tant qu'arbitres dans les litiges relatifs aux dossiers de la CSST. C'est une commission d'arbitrage à qui on fait appel lorsque des rapports de médecins sont divergents. Un comité conjoint employeurs-employés nomme les médecins au BEM. Ces médecins sont indépendants et ne sont à la solde ni de l'employé, ni de l'employeur, ni d'un syndicat et ils doivent procéder à un examen neutre pour régler un litige. Ils doivent finalement dire qui a raison entre deux médecins. Dans le cas qui nous intéresse, le docteur Gamache devait trancher entre les évaluations des docteurs Payne et Guérin.

[120] La procédure prévoit que le médecin du BEM peut être appelé à se prononcer sur plusieurs questions qui relèvent de la Loi sur les accidents de travail et maladies professionnelles14. Dans le cas de Beauregard, cinq questions sont posées au docteur Gamache. Elles portent sur le diagnostic, la date de consolidation, les soins ou traitements, l'atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

[121] Dans la section de son rapport, préparé le 26 février 1999, intitulée Historique de la problématique , le docteur Gamache relate :

«Le 14 septembre, on lui [Beauregard] aurait demandé de retourner au travail dans les plans mécanisés comme commis aux lettres. C'est à ce moment-là dit-il qu'il a ressenti de la part de son employeur des moyens de pression. Il me donne aujourd'hui quelques exemples comme par exemple son employeur qui se tenait debout derrière lui et qui le surveillait. On vérifiait également le fait s'il prenait trop de temps soit pour aller aux toilettes ou la pause-café. Il me mentionne également qu'il ne pouvait pas parler à ses voisins, ne serait-ce que pour demander des informations au niveau de son travail. Il me fait part, comme exemple, lorsqu'il avait un colis où il ne savait pas comment le trier, et bien il demandait à son voisin le travail à faire dans de telles situations. On lui aurait interdit de faire cela et de demander plutôt à son superviseur. On lui aurait même dit et, me mentionne-t-il, preuve à l'appui, que son superviseur lui aurait mentionné que s'il ne faisait pas cela comme ça (son travail), on va le "crisser" dehors. » (C'est moi qui souligne)

[122] Ainsi, selon l'historique que Beauregard a relaté au docteur Gamache, c'est le 14 septembre que les moyens de pression de son employeur auraient commencé. Il mentionne ensuite une série d'événements qui ne peuvent s'être produits le 14 septembre ou après, puisqu'il a quitté son travail le 15 septembre pour ne revenir que pour une partie de la journée le 7 octobre. D'ailleurs, dans sa lettre à France Villeneuve, de la CSST, datée du 9 décembre 1998, dans laquelle il donne trois pages d'exemples avec des noms et des dates d'événements, aucun événement n'est identifié pour les 14 et 15 septembre 1998. Finalement, les propos qu'un superviseur aurait tenus à son endroit qui sont repris dans la dernière phrase de cette section du rapport du docteur Gamache, ne lui ont pas été adressés directement. Selon les témoignages de Réal Caron et de Richard Gagnon, ces propos auraient été tenus le 7 octobre lorsque, Caron, Gagnon et D'Amours attendaient pour lui et qu'il ne s'est pas présenté. De plus, Caron, sans nier qu'il ait utilisé ces mots, affirment les avoir dit à sa collègue D'Amours et non à Gagnon et encore moins à Beauregard qui n'était pas présent.

[123] Dans son rapport, le docteur Gamache note également que le médecin traitant mentionne trouble d'adaptation dans le milieu de travail avec humeur anxio-dépressive...atteinte permanente à l'intégrité psychique : 5% . Ce qui veut dire qu'au moment où le docteur Payne l'a examiné, il présentait des séquelles psychologiques dues à son trouble d'adaptation. À cinq pourcent, il est d'accord pour dire que l'on parle d'une névrose mineure.

[124] Dans l' évolution de la problématique le docteur Gamache indique tout d'abord dans un premier temps, ce fut assez difficile avec monsieur Beauregard de savoir de quoi il souffrait exactement en date du 1er octobre 1998. Je mentionnerais qu'au début de l'entrevue, il était un peu méfiant mais que la méfiance s'est estompée par la suite . Il ajoute que cette difficulté est semble-t-il normal au début mais une fois expliquée le rôle du BEM, la méfiance s'estompe. En contre-interrogatoire, le docteur Gamache a reconnu qu'il ne note l'état de méfiance d'un patient que dans les cas où il considère que c'est important.

[125] Le docteur Gamache indique qu'un psychiatre qui évalue un patient doit poser un certain nombre de questions. Toutefois, il admet n'avoir posé aucune question sur le comportement psychosocial de Beauregard notamment en ce qui concerne le genre de personne qu'il est, comment il se comporte en société, quels sont ses traits de personnalité, quelles sont ses particularités psychologiques ou de personnalité. Il reconnaît que compte tenu de la problématique soulevée que ces questions auraient pu permettre de connaître comment Beauregard réagit par rapport à l'autorité en milieu de travail surveillé et par rapport aux directives ou aux ordres; informations qui auraient pu servir dans le diagnostic.

[126] Le docteur Gamache ajoute dans son rapport il me mentionne que son médecin traitant a écrit un papier à ce sujet où il parlait d'une réaction anxio-dépressive due à un stress au travail. Je lui mentionne toutefois que le docteur Payne n'a mentionné aucune des symptomatologies et que je voudrais l'investiguer avec lui . (C'est moi qui souligne.) Le docteur Gamache ne pouvait donc identifier aucun symptôme dans les rapports médicaux du docteur Payne.

[127] À l'examen, le docteur Gamache admet qu'il n'a pas constaté la présence des symptômes qui sont nécessaires pour poser un diagnostic de trouble d'adaptation et puisqu'il ne peut pour arriver à sa conclusion que Beauregard souffre d'un trouble d'adaptation, s'en remettre aux symptômes notés sur les rapports médicaux du docteur Payne, il dit s'en être remis à ce que Beauregard lui a décrit comme étant ses symptômes.

[128] Dans son diagnostic, le docteur Gamache conclut d'à mon avis, monsieur Beauregard a présenté un trouble de l'adaptation avec à la fois anxiété et humeur dépressive, code 309.21 . Le code 309.21 se réfère au manuel DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual for Mental Disorders) qui contient la nomenclature des maladies mentales avec les différents diagnostics. Le DSM-IV est un document utilisé en clinique, dans les expertises et dans les rapports médicaux. Le docteur Gamache dit en être arrivé à cette conclusion parce que Beauregard lui a dit qu'en date du 1er octobre 1998, il avait des problèmes au niveau du sommeil, des réveils fréquents et qu'il se sentait épuisé, fatigué, anxieux. Il ajoute, de plus, que sur les plans mécanisés, il n'a pas l'impression d'être traité comme un humain d'abord, il ne voit absolument rien à l'extérieur, il n'y a aucune fenêtre, qu'il y a beaucoup de poussière, ils sont constamment surveillés, brefs robotisés. Que pour lui, c'était une situation intenable et qu'en vertu d'un article dit-il 54 de la Convention collective, il a demandé un redéploiement à plusieurs reprises. Il me mentionne donc qu'il voulait bien travailler mais pas à un endroit où pour lui il ne sent pas bien psychologiquement, c'est que son employeur a toujours refusé ce redéploiement au niveau de son emploi .

[129] Les symptômes étaient donc, selon le docteur Gamache, la fatigue, l'épuisement et l'anxiété. Le docteur ajoute que l'on peut conclure que quelqu'un qui est dans une situation de stress et qui en raison de ce stress développe dans les semaines, dans les jours, dans les mois qui suivent ces symptômes souffre d'un trouble de l'adaptation avec une humeur anxio-dépressive.

[130] À l' avis motivé dans son rapport, le docteur Gamache conclut qu'il est d'accord avec le diagnostic retenu au dossier par le docteur Payne. Il donne, cependant, comme diagnostic un trouble d'adaptation avec à la fois anxiété et humeur dépressive et ne retient pas l'état dépressif situationnel ou réactionnel qui n'est pas un diagnostic codé dans le DSM-IV. Selon lui, les symptômes correspondent plus au code de trouble de l'adaptation avec une humeur anxio-dépressive. Encore une fois, la symptomatologie qui lui permet d'arriver à cette conclusion lui vient de Beauregard.

[131] Le trouble d'adaptation est caractérisé, selon le docteur Gamache, par l'apparition de symptômes de nature anxieuse ou dépressive ou les deux suite à un stress vécu par l'individu. Il ajoute qu'en psychiatrie, il n'existe pas d'examen objectif, comme une prise de sang, pour permettre de poser un diagnostic. Le psychiatre doit se fier à ce que lui dit le patient et à ce qu'il peut comprendre de la nature humaine. D'après le docteur Gamache, il est fort probable que Beauregard ait présenté un trouble de l'adaptation suite aux événements qu'il dit avoir vécus.

[132] Au moment où le docteur Gamache a évalué Beauregard le 25 février 1999, celui-ci ne fait aucun cauchemar, son humeur est bonne, son sommeil est bon de même que son appétit. Il n'a donc à ce moment pas de problème psychique, il n'a pas de séquelles ce qui confirme, à son avis, qu'une fois le stress parti les symptômes disparaissent. Toutefois, il ajoute que si le stress réapparaît, il existe une possibilité que les symptômes reviennent. Il témoigne : Bien, écoutez, d'après ce que j'ai lu de mon évaluation, monsieur Beauregard, donc mentionnait que sur les plans mécanisés où il travaillait à l'époque, si je me souviens bien, c'est que c'était surtout l'attitude de son employeur, qui comme j'ai mentionné, de le surveiller: As-tu pris 15 minutes pour aller aux toilettes ou, bon, des choses comme ça. Donc, ça, évidemment, c'était quand même très difficile pour lui à accepter. Donc, pour lui, c'était un stress et en plus, bien, il travaillait de nuit, si j'ai bien compris, il travaillait sur les plans mécanisés, il n'y a pas de lumière, de la poussière. Je ne me souviens pas s'il travaillait de nuit, de jour ou de soir, mais pour lui, c'était un stress aussi. Donc, c'était une multitude de facteurs qui faisaient qu'il vivait sur les plans mécanisés où il travaillait une situation stressante et le fait de l'enlever de ça, le fait de l'enlever, donc à ce moment-là, il n'en a plus de symptôme. Mais si on le replace, si vous voulez, il y a possibilité de réapparition de... je ne sais pas si c'est clair. (C'est moi qui souligne.)

[133] Selon le docteur Gamache, il n'y a aucun traitement, psychothérapie ou pharmacothérapie, pour cette situation. Même si on prescrivait des anxiolytiques ou des antidépresseurs, cela ne changerait rien. Seul le temps peut arranger les choses et enlever le stress. Lorsqu'une personne vit un trouble de l'adaptation, on enlève le stress et ensuite les symptômes disparaissent. Pourtant, au mois de novembre 1998, Beauregard n'est plus dans le plan mécanisé depuis la mi-septembre 1998 et le docteur Payne diagnostique toujours un trouble d'adaptation.

[134] Au moment où il examine Beauregard, le docteur Gamache dit qu'il n'a pas d'atteinte, qu'il a un élément mental dans la normale. Il ne voit donc pas de séquelles, ni de limitations fonctionnelles, puisqu'il n'a pas de problèmes de sommeil, ni d'attention ou de concentration, ni d'humeur. Il est dans la normale et prêt à travailler, mais, selon le docteur Gamache, pas dans le même travail qu'avant.

[135] Dans la section de son rapport intitulée Nature, necessité, suffisance ou durée de soins , le docteur Gamache indique nil parce que le stress est parti. Il ajoute qu'on ne peut pas suggérer à quelqu'un un traitement lorsqu'il n'a pas de symptômes.

[136] Un peu plus loin dans la section Existence ou pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité psychique du travailleur , le docteur Gamache indique aucun . Dans son rapport médical du 1er janvier 1999, le docteur Payne avait pourtant indiqué que Beauregard a un pourcentage d'atteinte permanente de 5%. Le 26 février 1999, le docteur Gamache indique qu'il n'y en a pas. Le docteur Gamache dit ne pas se souvenir pourquoi le docteur Payne avait fixé ce pourcentage. Toutefois, il ajoute que même s'il n'y a pas d'atteinte permanente, cela ne veut pas dire que Beauregard peut retourner dans les plans mécanisés car il y a toujours une possibilité de rechute.

[137] Dans son contre-interrogatoire, le docteur Gamache admet qu'une atteinte permanente n'est pas quelque chose qui disparaît dans quelques semaines. Ainsi, puisque le docteur Payne a déterminé qu'il y a une atteinte psychique permanente chez Beauregard et que le docteur Gamache, un mois plus tard, dit qu'il n'y a pas d'atteinte permanente alors, il est clair que le docteur Payne doit s'être trompé ou que c'est le docteur Gamache qui se trompe. J'ai tendance toutefois à préférer, sur ce point, le diagnostic du docteur Gamache.

[138] Ensuite dans Existence ou évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur , il conclut que le plaignant ne présente aucune limitation fonctionnelle du point de vue psychiatrique. Au moment où le docteur Gamache l'a examiné, son sommeil est bon, son appétit est bon, il n'est pas anxieux, il est bien orienté, il a un affect mobilisable . Il a un examen mental dans la normale. Il dit être prêt dès demain, dit-il, à aller travailler mais dans un autre endroit... . Il n'est pas symptomatique.

[139] Le docteur Gamache mentionne ... il y aurait intérêt qu'il y ait une entente administrative avec son employeur pour un changement de poste et de milieu de travail tel que stipulé par son médecin traitant ... . Mais il prend soin d'ajouter : Cependant, je le répète du point de vu psychologique actuellement, son état mental est normal et il n'y a aucune limitation fonctionnelle. Par l'expression entente administrative il affirme ne pas vouloir dire que le problème est uniquement administratif. Ce qu'il suggère c'est qu'il y ait un dialogue entre Beauregard, son employeur et son syndicat pour décider s'il est possible, en raison de son trouble d'adaptation, de lui trouver un poste ailleurs.

E. L'examen du docteur Gérard Cournoyer

[140] Le docteur Gérard Cournoyer est médecin psychiatre à l'Hôpital Louis-H. Lafontaine depuis 20 ans. Il n'a pas été qualifié à titre de témoin expert et son témoignage, en ce qui concerne les opinions qu'il pourrait émettre, devra être pris sous réserve.

[141] Selon le docteur Cournoyer, il lui est arrivé à quelques reprises dans sa carrière d'accepter des mandats d'expertises psychiatriques. C'est d'ailleurs dans cette capacité qu'il a rencontré Beauregard le 25 septembre 2000, à la demande de Me Marie-Christine Dufour, avocate du Syndicat des employés des postes. L'examen a duré deux heures.

[142] Le mandat accepté par le docteur Cournoyer lui demandait d'émettre une opinion sur la capacité de son retour au travail en tenant compte de la présence ou de l'absence d'une limitation fonctionnelle. Le 28 septembre 2000, il a remis son rapport d'expertise psychiatrique.

[143] Le fait que Beauregard a fait 240 demandes de mutation a laissé une forte impression chez le docteur Cournoyer. Lorsqu'il a questionné Beauregard à ce sujet, celui-ci a expliqué que rien dans la convention collective ne limite le nombre de demandes de mutation qu'un employé peut faire. Il lui a dit qu'il est tout à fait libre d'aller où il veut parce qu'il n'a pas de conjoint, ni d'enfants.

[144] Dans son contre-interrogatoire le docteur Cournoyer affirme l'avoir questionné sur ses véritables intentions concernant ces demandes de mutation.

Q. D'ailleurs, vous notez à votre examen que dans les 240 demandes de mutation de monsieur, c'était pour aller à peu près n'importe où au Québec. C'est lui qui vous a dit ça?

R. Oui, parce que je lui avais posé la question parce que je trouvais que c'était beaucoup de demandes. En fait, ce que je voulais vérifier, c'est est-ce qu'il faisait des demandes juste pour faire des demandes ou si vraiment, c'était concrètement possible pour lui d'accepter un emploi n'importe où au Québec, en français, en anglais. Il m'a dit: Oui. Moi, je n'ai pas de préférence. Tout ce que je veux, c'est un poste à temps complet et je ne suis pas marié, je n'ai pas d'enfants, je suis disponible pour y aller.

[145] Pourtant nous avons vu que Beauregard parle de changements dans sa vie affective pour justifier son refus d'aller à Matane. Il est donc surprenant qu'il n'a pas fait mention de ce fait au docteur Cournoyer.

[146] Le docteur Cournoyer poursuit :

Si ma mémoire est fidèle, je ne sais pas comment... je pense que ses patrons aussi lui avaient posé la question. Ça m'apparaissait être une question de gros bon sens, si quelqu'un faisait autant de demandes, de dire: Écoute, vous jouez à quoi? Es-tu sérieux? Tu pourrais aller n'importe où? Si la personne dit: Oui, je suis sérieux, je pourrais aller n'importe où. Bien là, je pense que c'est plus, on va prendre les demandes plus au sérieux puis on ne va pas se mettre à croire qu'il fait des demandes.

[...]

Q. Est-ce que dans votre opinion à vous, dans l'évaluation de la situation cette journée-là, est-ce que vous avez cru monsieur Beauregard quand il vous a dit: Moi, j'étais disponible pour aller n'importe où ? Vous l'avez cru sur la bonne foi?

R. Je l'ai cru, il m'a convaincu de ça quand il m'a dit qu'il n'avait ni femme ni enfant, ce qui, pour la plupart des gens, c'est des facteurs limitants dans le choix du travail (C'est moi qui souligne.)

[147] Beauregard explique au docteur Cournoyer que dans le plan mécanisé à Ville St-Laurent, il y a des sections qui sont très bruyantes et, qu'en général, les employés aiment mieux ne pas travailler dans ce plan. Ils aiment mieux travailler ailleurs soit sur la route, comme facteur, sur les camions, dans les succursales ou encore dans les bureaux de postes.

[148] Toutefois, le docteur Cournoyer ne croit pas que travailler dans un environnement tel que décrit par le plaignant puisse entraîner un trouble de l'adaptation puisqu'il y a plein de gens qui travaillent dans des endroits très bruyants et s'il fallait que tout ce monde-là aient des troubles d'adaptation... Je ne dis pas que ça ne peut pas arriver pour quelqu'un, mais en général, non. Dans mon esprit, bon, le bruit, ce n'était certainement pas quelque chose d'agréable, mais c'était beaucoup plus le climat conflictuel qui était à l'origine le facteur de stress que j'ai identifié que le bruit . (C'est moi qui souligne.).

[149] Le diagnostic du docteur Cournoyer est [qu'en] septembre 1998, M. Beauregard a souffert d'un trouble d'adaptation et ce trouble persiste dans la mesure où il est confronté à la possibilité de réintégrer le travail au plan mécanisé . Pour en arriver à ce diagnostic il dit s'être fondé sur l'histoire que lui a relaté Beauregard et sur ses symptômes d'ordre émotionnel qui ont été documentés par le docteur Payne.

[150] Le docteur Cournoyer indique qu'il y a en l'espèce un facteur de stress identifiable soit la situation difficile que le plaignant vivait au travail. Il constate que docteur Luc Morin a diagnostiqué une réaction de stress aigu et que Beauregard a des symptômes d'anxiété et une humeur dépressive. Selon le docteur Cournoyer cette symptomatologie cadre bien avec un diagnostic de trouble d'adaptation.

[151] Le symptôme le plus important d'un état de détresse psychologique importante se trouve, selon le docteur Cournoyer, dans l'affirmation du plaignant à l'effet qu'il ne peut plus fonctionner normalement. Dans son rapport, il note le 6 octobre 1998, lorsqu'il consulte le Dr Allen Payne, il ne fonctionne plus normalement . C'est-là, selon lui, une symptomatologie conciliable avec une détresse psychologique importante. Si quelqu'un dort mal, n'a pas un sommeil récupérateur, perd l'appétit, a un aplatissement du moral, cette personne a un affect assez dépressif. Quand deux heures après s'être levée, cette même personne affirme se sentir tellement fatiguée qu'elle sent le besoin de se recoucher, alors c'est, selon le docteur Cournoyer, assez important parce que cette situation l'empêche de fonctionner durant une journée normale. Ajoutez à cela, qu'il y a des facteurs de stress car cette même personne se sent anxieuse à l'idée d'être au travail, qu'elle a un ralentissement de la pensée ainsi que des maux de tête. Selon le docteur Cournoyer, si le docteur Payne l'a mis en congé de maladie, c'est parce que Beauregard n'arrive plus à fonctionner normalement. Il ajoute que c'est l'importance des symptômes cliniques puis l'altération du fonctionnement global de la personne qui va être le motif d'arrêt de travail.

[152] Selon le docteur Cournoyer, le qualificatif aigu du stress se réfère au fait que les symptômes sont apparus rapidement. La symptomatologie rapportée dans le dossier du docteur et les faits tels que rapportés par Beauregard sont, à son avis, compatibles avec un diagnostic de stress aigu.

[153] Le docteur Cournoyer est d'avis que le plaignant est porteur d'une limitation fonctionnelle qui l'empêche de travailler dans le plan mécanisé même si à l'époque où il l'a examiné, il avoue qu'il n'y a aucun symptôme. Son analyse psychologique de la situation est fondée sur la situation conflictuelle que Beauregard dit vivre à son travail et qui le rend psychologiquement incapable d'y retourner. Pour le docteur Cournoyer l'élément stresseur est le conflit de travail.

[154] Le docteur Cournoyer ajoute qu'il peut arriver que des gens vivent des situations conflictuelles assez importantes pour leur causer des problèmes d'ordre psychologiques et que la seule façon de régler le problème est de les enlever de la situation de conflit. Il considère illusoire de penser qu'au niveau psychologique que Beauregard peut retourner au même endroit avec les mêmes personnes, où il y a toute un histoire compliquée et désagréable qui s'est déroulée pour tout le monde .

[155] Dans son rapport, il dit avoir constaté [q]uand on aborde la possibilité qu'il puisse un jour retourner travailler au plan mécanisé, on le sent tendu, anxieux et il dit, qu'à cette seule idée, il commence à avoir mal à la tête .

[156] Le conflit, l'agent stresseur selon le docteur Cournoyer, trouve sa source dans le fait que Beauregard désire un poste à temps complet. Selon les faits qu'il a relatés au docteur Cournoyer, vers 1995 ou 1996, il obtient ce poste à temps complet, mais au bout de trois semaines on l'informe qu'en raison d'une erreur administrative, il est muté à un autre poste, perdant son statut d'employé à temps complet. À l'été 1998, il travaille comme commis en succursale en remplacement d'employés en vacances. De retour au plan mécanisé, le 14 septembre 1998, il dit ne pas avoir réintégré le poste qu'il occupait dans la section des colis avant l'été. Il s'est retrouvé plutôt dans la section des lettres. Toutefois, il n'informe pas le docteur Cournoyer que ce poste est temporaire et que son affectation devait se terminer au plus tard le 5 septembre 1998. Insatisfait de ce milieu de travail et préférant de beaucoup sortir du plan mécanisé, il dit qu'il s'est mis à remplir des demandes de mutation. Toutefois, le docteur Cournoyer est d'avis que ces seuls faits ne seraient pas suffisants en soi pour en arriver à un diagnostic de trouble d'adaptation.

[157] Comme autre élément du conflit de travail, le docteur Cournoyer identifie un appel fait par le plaignant au vice-président de l'intimée15, une action qui aurait créé, selon Beauregard, une certaine tension entre ses supérieurs et lui. À partir de ce moment-là, il raconte au docteur Cournoyer qu'il est ciblé dans son milieu de travail par ses superviseurs. De plus, en septembre 1998, il se sent mal de retourner au plan mécanisé, à un travail qu'il n'aime pas où il doit à nouveau faire face à des cadres avec lesquels il a déjà été en conflit.

[158] Le docteur Cournoyer conclut: En effet, il me semble illusoire de penser que cet homme pourra fournir une prestation de travail normale, vu le stress psychologique que cela pourrait engendrer dans les circonstances exceptionnelles que l'on connaît. Par circonstances exceptionnelles , il dit se réfèrer au conflit de travail. Qu'un employé qui a un conflit fasse un appel au vice-président de la Société c'est, aux yeux du docteur Cournoyer, exceptionnel; que cette même personne fasse 240 demandes de mutation, c'est également exceptionnel. Le fait d'être dans un plan mécanisé et qu'il y ait des surveillants n'a cependant rien d'exceptionnel. Le fait d'avoir des griefs contre son employeur et des insatisfactions personnelles n'a rien d'exceptionnel. Ce qui est exceptionnel dans le cas présent, selon le docteur Cournoyer, c'est l'accumulation des faits relatés dans l'histoire du conflit. Cette accumulation laisse l'impression qu'il y a de l'adversité dans le milieu de travail.

[159] Cette adversité est due à des personnes, selon le docteur Cournoyer. Ainsi, puisqu'on se retrouve dans une impasse et que ce n'est plus vivable psychologiquement, qu'il y a des gens qui ne sont plus capables de se tolérer, la solution c'est d'essayer de séparer les protagonistes, mais au niveau médical, ça ne serait pas une raison de dire: Pour éviter la chicane, on va mettre une limitation fonctionnelle . Ça, ce ne serait pas honnête de dire ça . (C'est moi qui souligne.)

[160] Dans sa conclusion, le docteur Cournoyer ajoute toutefois je suis d'avis que M. Beauregard est porteur d'une limitation fonctionnelle pour travailler dans le plan mécanisé . En contre-interrogatoire, en réponse à la question à savoir si Beauregard aurait pu travailler dans un autre plan mécanisé, le docteur Cournoyer a répondu que cette question n'a jamais effleuré son esprit, mais que s'il se l'était posé il aurait probablement dit qu'il pouvait le faire puisque, selon lui, tout ce qui est arrivé, met en scène des personnes qui travaillent dans un plan mécanisé en particulier. Le docteur Cournoyer ne semble pas au courant de l'existence d'un autre plan mécanisé au centre-ville. Pourtant Beauregard affirme lui en avoir parlé tout en précisant qu'il se peut qu'il n'ait pas mentionné spécifiquement le plan mécanisé du centre-ville, mais qu'il est certain d'avoir indiqué au docteur Cournoyer qu'il y avait d'autres plans mécanisés à Ottawa, Québec ou Trois-Rivières!

[161] La conclusion du docteur Cournoyer à l'effet que l'agent stresseur découle d'un conflit de travail est incompatible avec le témoignage de Beauregard qui lui identifie le lieu de travail comme l'élément stresseur et non un ou des superviseurs. La conclusion du docteur étant fondée sur les faits que lui a relatés Beauregard, m'apparaît incompatible avec les faits présentés à l'audience et qui n'identifient aucune situation conflictuelle entre Beauregard et son surintendant ou sa superviseure à partir du 14 septembre 1998. Il se peut très bien que sur les faits retenus par le docteur Cournoyer qu'il soit possible d'identifier une symptomatologie de trouble d'adaptation mais encore faut-il que ceux-ci soient conformes à ce qui s'est véritablement déroulé. Je ne jette toutefois aucunement le blâme pour cette situation sur le docteur Cournoyer qui, de bonne foi, s'est fié à ce que Beauregard lui a dit.

F. L'évaluation du docteur Jacques Gagnon

[162] Le docteur Jacques Gagnon pratique la médecine depuis 1965 : de 1965 à 1970 à titre de médecin et, depuis 1970, à titre de spécialiste en psychiatrie. Il consacre actuellement le deux tiers de son temps à la psychiatrie. Il s'occupe d'un hôpital de jour (HMR) où il voit surtout des gens qui ont des troubles d'humeur. Il a également mené une carrière dans l'enseignement (plus de 25 ans). Il est professeur adjoint de clinique à l'Université de Montréal. Il fait de l'enseignement auprès des résidents en psychiatrie et auprès des externes et des internes en médecine familiale. Il a aussi fait de la médecine administrative à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont qui est un hôpital d'enseignement. Depuis 1995, il a fait plus d'une centaine d'expertises par année tout en conservant un volet clinique.

[163] Le docteur Gagnon est qualifié à titre d'expert en psychiatrie.

[164] Le docteur Gagnon a examiné Beauregard le 17 novembre 2000, dans le cadre d'une expertise pour l'intimée. La question principale posée au docteur Gagnon était de savoir si Beauregard souffre de limitations fonctionnelles de nature psychologique permanentes comme l'indique le docteur Cournoyer. C'est la première fois qu'il le rencontre.

[165] Le docteur Gagnon dit se souvenir de cette rencontre, même si elle remonte à trois ans, parce qu'il a été l'un des patients les plus difficiles que j'ai eu à interroger dans l'ensemble de ma pratique . Beauregard se montre réticent. Il refuse de signer une note d'autorisation de communiquer les renseignements mais il accepte quand même que le docteur Gagnon procède à l'examen et qu'il fasse un rapport.

[166] Le docteur Gagnon explique qu'il arrive que des patients soient réticents mais une fois qu'ont leur a expliqué les raisons de l'examen et une fois les premières réserves passées, les gens acceptent généralement de collaborer. Avec Beauregard, le docteur Gagnon dit avoir eu l'impression de marcher sur des ufs et d'avoir à fournir le maximum de confort et d'y aller le plus possible avec des gants blancs pour obtenir sa coopération . Malgré tout, il a réussi à maintenir l'entrevue pendant à peu près une heure.

[167] Dans le rapport préparé suite à cet examen, le docteur Gagnon note sur la demande16 de l'employé, on faisait mention d'un état dépressif situationnel...et que ce trouble persistait dans la mesure où il est confronté à la possibilité de réintégrer le travail au plan mécanisé . Un peu plus loin ...monsieur Beauregard a présenté un trouble d'adaptation avec à la fois anxiété et humeur dépressive . Le docteur Gagnon reconnaît qu'il n'est pas, avec les renseignements qu'il a en sa possession, en mesure de poser un diagnostic sur l'état de santé du plaignant en 1998.

[168] Toutefois, le docteur Gagnon ajoute que, selon lui, l'élément qui génère son problème est clairement sa perception de son milieu de travail. Beaucoup de ses doléances sont dûes au fait qu'il se considère sous surveillance par ses supérieurs. Il en déduit que c'est une stratégie de harcèlement de la part de l'employeur. Pour le docteur Gagnon toutefois les faits qu'il relate n'ont rien d'inhabituels.

[169] Lorsque le docteur Gagnon lui demande de quoi il souffre, il lui répond qu'il a un état dépressif situationnel. Selon le docteur Gagnon c'est évidemment une réponse apprise parce que la personne ordinaire ne mentionnerait pas ça comme une souffrance. Les gens vont plutôt dire qu'ils sont tristes ou anxieux ou qu'ils sont nerveux, qu'ils dorment mal ou qu'ils mangent mal. Il faut toutefois reconnaître que le plaignant, depuis plus d'un an, sait que c'est le diagnostic qu'a posé les docteurs Payne et Morin et il ne fait donc que répéter l'information qu'il a reçu de ses médecins, ce qui me semble parfaitement normal dans les circonstances.

[170] Le docteur Gagnon dit que les réponses à ses questions durant l'examen sont demeurées vagues et laconiques.

[171] Reprenant ensuite la liste des symptômes identifiés par le docteur Payne, il mentionne que la simple affirmation d'une personne qu'elle souffre d'insomnie n'est pas suffisante. Il faut savoir si c'est une insomnie initiale ou une insomnie terminale, ce qui n'a pas la même signification. Il ajoute que le fait qu'une personne se réveille la nuit mais qu'elle se rendorme par la suite est une situation normale. Ainsi, pour savoir si quelqu'un a vraiment de l'insomnie, il faut poser plusieurs questions et pas juste se contenter qu'elle nous dise qu'elle a des problèmes de sommeil.

[172] Aux questions portant sur ses problèmes de sommeil et d'appétit, Beauregard précise qu'il se réveille parfois la nuit et que son appétit est variable. En ce qui concerne son poids, il indique qu'il ne se pèse pas mais qu'il a constaté qu'il a réduit sa taille d'un trou de ceinture . En ce qui a trait à son humeur, il a surtout parlé de son irritabilité au travail, une agressivité qu'il dit cependant contrôlable. Il ne pleure pas et ne se montre pas particulièrement triste.

[173] Le docteur Gagnon considère que ce sont là des questions qu'il faut toujours poser si l'on cherche à diagnostiquer la dépression; il faut alors identifier un trouble de l'humeur significatif qui est soit de la tristesse ou de l'irritabilité. Il ajoute que si quelqu'un ne pleure pas, ne se montre pas triste, cela diminue de beaucoup les chances qu'il ait eu une vraie dépression.

[174] Le docteur Gagnon dit lui avoir posé des questions sur sa concentration. Il répond que, en dehors du plan mécanisé, il va bien. Selon le docteur Gagnon, les personnes qui sont déprimées de façon significative ont des problèmes de concentration. Si une personne dit que, en dehors du travail, elle peut se concentrer alors son manque de concentration au travail ne mène pas nécessairement au diagnostic d'un état dépressif; ce manque de concentration peut s'expliquer par d'autres facteurs.

[175] Le docteur Gagnon l'a également questionné sur la présence d'idées de persécution parce qu'il peut arriver qu'une personne se sente épiée dans le sens pathologique du terme. Elle peut penser que certaines personnes montent des complots contre elle, qu'elles lui en veulent, qu'elles le suivent partout. Ce n'est pas le cas ici.

[176] Il n'a pas non plus de phénomènes hallucinatoires, ni d'obsessions. Le docteur Gagnon indique que les personnes qui souffrent de problèmes d'anxiété peuvent parfois souffrir d'un trouble obsessif compulsif. Il mentionne que ce sont là des questions de routine dans un examen de ce genre.

[177] Il dit avoir constaté que Beauregard a une préoccupation, son milieu de travail, qu'il considère indigne. Ce qui n'est pas, selon le docteur Gagnon, une obsession au sens médical du terme.

[178] Le docteur Gagnon l'a également questionné sur l'existence de phobies parce qu'il y a des personnes qui peuvent souffrir d'une incapacité partielle ou totale suite à des phobies - c'est-à-dire des peurs spécifiques qui sont exagérées - qui sont importantes. Par exemple dans le cas de quelqu'un qui a une phobie des hauteurs, il ne faudrait pas dans ce cas le placer dans un milieu de travail où il aurait à travailler en hauteur. Dans le cas de Beauregard, il n'y a pas de phobies.

[179] Il note que Beauregard n'a pas de pensées délirantes; aucun délire de persécution. Il n'a pas ce que le docteur Gagnon a qualifié de phénomènes schneidériens, c'est-à-dire des phénomènes de psychose; pas d'hallucinations; pas d'obsessions; pas de phobies.

[180] Toujours selon le docteur Gagnon, il a une bonne vigilance. Il est attentif et capable de se concentrer. Sa mémoire est fonctionnelle, c'est-à-dire que pendant toute la durée de l'entrevue il est en parfait contrôle de ce qu'il veut dire. L'examen des facultés mentales supérieures montre que ces facultés sont dans les limites de la normale.

[181] Le docteur Gagnon considère que son questionnaire était assez complet, mais que malgré tout, il aurait pu être plus satisfaisant. Son insatisfaction provient de la rigidité mentale et de la méfiance de Beauregard pendant l'examen.

[182] Le docteur Gagnon reconnaît que la crise d'anxiété, les idées de persécution, les phénomènes hallucinatoires, les phobies, ou encore les phénomènes d'obsession ne sont pas essentiels à un diagnostic de trouble d'adaptation. Il ajoute toutefois que lorsque l'on fait un examen mental, il faut poser ces questions pour déterminer si l'anxiété provient d'une maladie plus grave. Ainsi, pour faire une bonne évaluation d'un trouble d'adaptation, il faut quand même éliminer des diagnostics de maladies plus graves dont la dépression majeure, le trouble anxieux sévère, le trouble de panique, les troubles phobiques, les troubles obsessifs compulsifs ou les troubles psychotiques.

[183] Pour le docteur Gagnon un trouble majeur de la personnalité, c'est une personne qui, tout au long de sa vie adulte, a des difficultés d'adaptation en raison de la façon dont elle transige avec les autres. Il y a plusieurs prototypes de trouble majeur de la personnalité. Lors de son examen, le docteur Gagnon affirme ne pas avoir détecté de trouble majeur de personnalité. Il a constaté cependant certains éléments au niveau de la personnalité du plaignant : la froideur, la rigidité de la pensée et la méfiance.

[184] Il dit l'avoir questionné sur les traitements qu'il a reçus. Il constate qu'on ne lui a prescrit aucun médicament - Beauregard lui mentionne d'ailleurs qu'il est contre le fait de prendre des médicaments - et aucune psychothérapie17. Selon le docteur Gagnon, si on parle d'une dépression majeure le traitement reconnu est les antidépresseurs, lesquels ont un effet anxiolytique. En l'espèce, avec les quelques symptômes qui ont été rapportés, il n'y avait pas lieu, d'après le docteur Gagnon, de prescrire des médicaments et ni de prescrire un traitement quelconque. L'absence de prescription de médicaments est toutefois révélatrice, selon lui, de l'ampleur de la maladie. Si quelqu'un est malade longtemps ou sévèrement on s'attend normalement à ce qu'il reçoive un traitement médical approprié.

[185] Un aspect qui, selon le docteur Gagnon, sort un peu de l'ordinaire dans l'examen qu'il a fait de Beauregard est son attitude de méfiance, mais pour le reste tout est dans les limites de la normale.

[186] L'examen du docteur Gagnon n'a démontré aucune pathologie active mais il estime néanmoins qu'il y a probablement un problème de personnalité qui peut expliquer l'ampleur du conflit. Il dit avoir utilisé l'expression probablement parce qu'il n'avait pas tous les éléments en main pour se prononcer. Par problème de personnalité, il dit se référer à un conflit qui n'est pas encore réglé. Il indique cependant qu'il ne parle pas d'un diagnostic de trouble de la personnalité lorsqu'il parle d'un problème de personnalité.

[187] Le docteur Gagnon conclut que Beauregard n'a pas de pathologie active de nature psychiatrique. Il est en bonne santé. Il se peut qu'il éprouve des petits troubles d'ajustement mais, selon le docteur Gagnon, ces troubles ne sont pas une maladie.

[188] Le docteur Gagnon ajoute que quand quelqu'un se montre froid ou méfiant on va dire, au minimum, qu'il y a certains traits mésadaptifs . Il ajoute toutefois qu'il n'est pas nécessairement possible d'en conclure qu'il souffre d'un trouble majeur de la personnalité, il faut nuancer. Sous toute réserve, il estime que Beauregard présente certaines caractéristiques de la personnalité paranoïde, laquelle est basée sur la méfiance. Les gens qui ont un problème de personnalité paranoïde ont peur de se faire jouer dans le dos, elles ont peur que les autres soient contre elle. Cependant, il ajoute qu'une personnalité paranoïde n'atteint pas un niveau psychotique, c'est-à-dire que ce ne sont pas des gens qui délirent, mais ce sont des gens qui ont un mode de fonctionnement très réservé, très méfiant. Il dit cependant que le manque de collaboration de Beauregard lors de l'examen l'oblige à émettre cette opinion avec réserve.

[189] Le docteur Gagnon constate également que Beauregard n'ouvre pas tellement la porte sur ce qui concerne sa vie personnelle. La seule chose qu'il a évoquée avec beaucoup d'importance, selon le docteur, c'est son sentiment d'indignité dans son milieu de travail. Dans son rapport, il précise il parle du stress relié au bruit, du stress relié au travail indigne et de l'agressivité entre employés et parties syndicales . Le seul facteur de stress qu'il évoque est donc sa difficulté à composer avec son milieu de travail. Ainsi, dès qu'il est retiré de son milieu de travail, on peut s'attendre à ce que son anxiété disparaisse dans les jours ou semaines qui suivent.

[190] Le docteur Gagnon affirme avoir de la difficulté avec l'opinion des médecins qui ont retenu un diagnostic de trouble d'adaptation. Ils auraient dû au contraire indiquer qu'il souffre, tout au plus, d'une anxiété d'anticipation, une anxiété liée à sa perception de son milieu de travail. Les personnes apprennent normalement à gérer cette anxiété qui n'est pas une maladie. Si on retient un diagnostic de trouble d'adaptation chronique on comprend alors que l'individu souffre continuellement de troubles de sommeil, de troubles d'appétit ou de fonctionnement, ce qu'aucun des médecins ayant examiné Beauregard n'a mentionné.

[191] Il ajoute que lorsqu'une personne souffre de l'anxiété d'anticipation, cela peut être en raison de préférences personnelles ou encore de difficultés à gérer un conflit. S'il y a un conflit au travail, alors l'employeur devrait essayer de régler ce conflit. Toutefois, si on veut en faire une maladie, il faudra alors s'appuyer sur des symptômes qui nous mèneront à cette conclusion.

[192] Selon le docteur Gagnon on doit interpréter les démarches du plaignant, en l'espèce, comme un grand désir d'aller ailleurs , mais il ajoute qu'il y a des mécanismes prévus dans les conventions collectives pour ces situations. Ce n'est pas du ressort médical. Si un médecin détermine que le problème est de nature administrative, il doit le signaler à l'employeur ou à la partie intéressée, retournant ainsi le problème à ceux qui administrent l'entreprise. Ce n'est pas au médecin à déterminer si quelqu'un doit travailler à un tel plan ou à un tel endroit à moins que l'on puisse démontrer l'existence d'une pathologie.

[193] Il poursuit en disant qu'en cas de maladie, si une personne a la volonté de retourner dans son milieu de travail elle peut, par exemple, prendre une médication afin de calmer son anxiété ou apprendre avec un psychologue de quelle façon elle peut gérer la situation. Toutefois, si l'employé ne veut pas reprendre son travail c'est alors difficile de lui offrir les traitements et le soutien qu'il faut.

III. OBSERVATIONS GÉNÉRALES À PROPOS DE LA CRÉDIBILITÉ DE MICHEL BEAUREGARD À TITRE DE TÉMOIN

[194] J'ai dû pour beaucoup d'éléments de preuve, faire un choix entre le témoignage de Beauregard et ceux de d'autres témoins. Je me dois à ce moment d'expliquer pourquoi, dans les cas de conflit, j'ai retenu les témoignages des autres témoins plutôt que celui de Beauregard. Sans mettre en doute son honnêteté à d'autre égard, Beauregard ne m'est pas apparu à l'audience comme un témoin crédible. Plusieurs exemples appuient cette conclusion.

[195] Prenons en premier lieu, la raison qu'il a donnée pour avoir choisi le docteur Allen Payne comme médecin traitant. Le plaignant, lorsque interrogé à ce sujet par l'avocate de la Commission, semble attribuer au hasard ce choix. Il accompagnait quelqu'un de sa famille au métro Papineau et il dit avoir remarqué dans un carnet remis par son syndicat que la Polyclinique se trouve pas loin. Il oublie cependant d'ajouter que déjà en 1997, il a été traité par le docteur Payne pour une épicondylite du coude droit et un état dépressif situationnel. Lorsque questionné à ce sujet par l'avocat de l'intimée, il dira qu'il ne s'en souvient plus.

[196] Il a témoigné également que la première fois où il entendait parler d'une dépression situationnelle c'était en octobre 1998. Pourtant nous venons de voir que c'est ce diagnostic que le docteur Payne avait également posé en 1997.

[197] Autre exemple : le 25 novembre 1998, l'intimée lui présente une mutation pour Matane. Il déclare, premièrement, qu'il n'a jamais rempli de demande de mutation pour Matane. Confronté aux faits qu'il avait préparé le 16 mai 1997 une telle demande, il répond maintenant que cette demande n'est plus valide puisque selon la convention collective une demande de mutation n'est bonne que pour une année. Il ajoute ensuite qu'il vivait à cette époque des changements dans sa vie affective ce qui faisait qu'il ne voulait pas accepter une mutation hors de Montréal. Il mentionne également que plusieurs autres facteurs doivent être pris en considération avant d'accepter une mutation et que finalement il n'est pas obligé de l'accepter.

[198] Cette réponse est pour le moins surprenante à la lumière de ses déclarations au docteur Gérard Cournoyer à qui il mentionne qu'il est libre d'aller où il veut parce qu'il n'a pas de conjoint, ni d'enfants, qu'il serait prêt à aller n'importe où afin de sortir du plan mécanisé. Alors pourquoi, si tel est le cas, a-t-il refusé l'offre de mutation à Matane? Pourquoi ne pas avoir fait référence de cette offre lors de sa visite au docteur Cournoyer? Pourquoi ne pas avoir mentionné au docteur Cournoyer les changements dans sa vie affective?

[199] En ce qui concerne les 240 demandes de mutation, il dit, dans un premier temps, ne pas se souvenir de ces demandes de mutation parce que celles-ci ne sont bonnes que pour une année et qu'après il les jette. Il ajoute ensuite ne pouvoir dire si le chiffre de 240 est exact ou si c'est lui ou le docteur Cournoyer qui a proposé ce chiffre.

[200] En réaction au fait que le docteur Cournoyer ait affirmé lors de son témoignage qu'il ne savait pas qu'il existait un autre plan au centre-ville, il déclare, dans un premier temps, lui en avoir parlé. Puis, il ajoute qu'il se peut qu'il n'ait pas mentionné spécifiquement le plan mécanisé du centre-ville, mais qu'il est certain d'avoir indiqué au docteur Cournoyer qu'il y avait d'autres plans mécanisés à Ottawa, Québec ou Trois-Rivières.

[201] Sur plusieurs autres points, il existe des inconsistances dans son témoignage, mais je ne vais pas en faire une liste détaillée. Je passerai également sous silence l'imbroglio qui subsiste en ce qui concerne les dates de réception du courrier qui lui était adressé par l'intimée. Je me permet un seul commentaire, soit mon étonnement devant l'attitude du plaignant. S'il est vrai qu'il avait, selon les règlements, quinze jours pour récupérer ses lettres, n'était-ce pas dans son intérêt d'agir dans les meilleurs délais et de collaborer avec l'intimée afin que sa situation soit traitée le plus rapidement possible?

IV. LE DROIT

[202] Avant d'aborder les questions soulevées par la Loi, je tiens à disposer d'un argument préliminaire présenté par l'avocat de l'intimée, à l'effet que l'arbitre du grief, Me R. Blouin, a été saisi de la même question. En conséquence, l'intimée soutient que le Tribunal n'aurait pas compétence pour juger de la présente affaire. Une lecture attentive des deux décisions rendues par l'arbitre Blouin montre que les griefs qu'il était demandé de trancher ne soulèvent aucune question de discrimination ou d'allégations de violation de droits de la personne et l'arbitre n'a, en effet, tranché aucune question de ce genre. Les questions soumises à l'arbitre et celles que je dois trancher en l'espèce sont très différentes. En conséquence, je rejette cet argument préliminaire de l'intimée, sans m'y attarder plus longuement.

[203] La plainte de Monsieur Beauregard a été présentée en vertu de l'article 7 de la Loi qui précise que le fait de défavoriser un individu en cours d'emploi constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite.

[204] Selon l'article 3 de la Loi, la déficience constitue un motif de distinction illicite. L'article 25 indique que déficience englobe la déficience mentale. La première question que j'ai donc à répondre est de savoir si Beauregard souffrait, au moment pertinent en l'espèce, d'une déficience mentale et, en conséquence, d'une déficience au sens de la Loi.

[205] Dans une affaire de ce genre, il incombe premièrement à la partie plaignante d'établir une preuve prima facie de discrimination.18 Le cas échéant, il revient à la partie intimée de fournir une explication raisonnable de la conduite jugée répréhensible.19

[206] La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée.20 Les allégations faites par la partie plaignante doivent être dignes de foi afin de justifier la conclusion qu'une preuve prima facie a été établie.21

V. ANALYSE

[207] La Commission et le plaignant n'ont pas réussi, en l'espèce, à établir une preuve prima facie de discrimination parce que je ne suis pas convaincu qu'ils ont réussi à établir l'existence d'une déficience chez le plaignant.

[208] Je tiens à préciser que la conclusion à laquelle j'arrive dans la présente affaire ne met aucunement en question la possibilité qu'un trouble d'adaptation puisse, dans les bonnes circonstances, constituer une déficience suffisante au sens de la Loi. 22 La Loi ne contient pas une liste de déficiences mentales acceptables et une liste de déficiences mentales inacceptables. Ce ne sont pas seulement les déficiences mentales les plus sévères ou sérieuses qui donnent droit à un redressement sous la Loi. Également, ce ne sont pas uniquement celles qui portent une atteinte permanente qui doivent être considérées. Dans les cas appropriés, même des déficiences mentales qualifiées de mineures sans atteintes permanentes pourraient donner droit à un redressement sous la Loi. Mais, encore faut-il qu'une preuve suffisante soit présentée pour étayer l'existence de cette déficience.

[209] Dans la plupart des cas, la question à savoir si nous sommes en présence d'une déficience n'est pas contentieuse. Toutefois, en l'espèce l'intimée soutient que le plaignant ne souffrait pas d'une déficience.

[210] Beauregard allègue qu'il a été victime le 14 septembre 1998, d'un accident au travail et qu'il s'est blessé23. Conséquemment, il dit avoir été absent du travail du 1er octobre 1998 jusqu'au 17 décembre 1998. Son médecin traitant, au fin d'une réclamation à la CSST, a diagnostiqué une dépression situationnelle qui l'a laissé avec des limitations fonctionnelles permanentes, à savoir qu'il ne peut plus travailler dans l'un ou l'autre des deux établissements de l'intimée à Montréal, soit celui du centre-ville et celui de ville St-Laurent, sur les quarts de nuit. Pour la Commission et le plaignant, cette condition constitue une déficience au sens de la Loi.

[211] Le plaignant allègue également qu'en ordonnant son retour au travail le 9 décembre 1998, et en le congédiant le 16 décembre 1998, pour avoir refusé de revenir au travail, l'intimée a contrevenu à l'article 7 de la Loi.

[212] Pour sa part, l'intimée soutient que le plaignant ne souffre d'aucune déficience au sens de la Loi et qu'elle ne peut donc pas avoir commis à son égard d'actes discriminatoires.

[213] Il ne fait aucun doute qu'un diagnostic de trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive ou encore une dépression dite situationnelle ou réactionnelle est une pathologie psychologique qui peut entrer dans la définition de déficience au sens de la Loi.

[214] Toutefois, je suis d'accord avec l'intimée lorsqu'elle affirme qu'il ne suffit pas qu'un médecin affirme qu'une personne souffre de cette condition pour en reconnaître automatiquement l'existence. Encore faut-il que la preuve présentée au Tribunal soutienne des caractéristiques propres à cette pathologie et le mène à la conclusion de l'existence de cette maladie.

[215] Quelles sont, selon la preuve soumise au Tribunal, les caractéristiques propres à un trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive? Pour répondre à cette question, il nous faut reconnaître en premier lieu qu'une pathologie, quelle qu'elle soit, est d'abord accompagnée de symptômes et d'une cause.

[216] La preuve présentée à l'audience a permis de retenir les symptômes suivants pour un trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive24 : une perte d'appétit, une perte de poids, une perte de sommeil, un humeur triste, une perte de concentration et un stress.

[217] Seuls les docteurs Payne, Morin et Guérin ont examiné le plaignant à une époque contemporaine aux événements. Dans ses rapports médicaux, le docteur Payne ne relate aucun symptômes. D'ailleurs, il reconnaîtra que le plaignant était venu le voir pour un problème de sinus puis qu'il aurait dit Ah, en passant, docteur, je me sens pas bien, puis et caetera . Il ajoute que le problème de sinus n'était pas lié à l'état psychologique du plaignant. Dans une note préparée le 8 juin 1999, il constate à son entrée pour le 6 octobre 1998, éveil nocturne, absence de récupération, baisse d'appétit, aplatissement du moral ... depuis son déplacement le 14-09-98 au plan . Toutefois, il ne donne aucun détail sur ces symptômes. Le docteur Gamache, qui a vu le plaignant après les événements, affirme ne pouvoir identifier de symptômes dans les rapports du docteur Payne. Dans sa courte note, le docteur Morin n'identifie également aucun symptôme. Pour sa part, le docteur Guérin conclut suite à son examen qu'il n'existe dans le cas du plaignant aucune pathologie active.

[218] Personne ne rapporte d'humeur triste chez le plaignant. En ce qui concerne ses pertes de sommeil, il y a très peu, pour ne pas dire aucun, détail. Le docteur Payne affirmera que la pensée du plaignant semble au ralenti; alors que le docteur Guérin affirme le trouver normal à cet égard. Aucune preuve de perte de concentration.

[219] Tous les experts et médecins psychiatres ont témoigné à l'effet que les symptômes de trouble d'adaptation disparaissent généralement lorsque l'agent stresseur disparaît. Pourtant le docteur Payne indique que le plaignant démontre encore des signes anxio-dépressifs en novembre 1998, plus d'un mois après avoir cessé de travailler. Si tel est le cas, la situation m'apparaît beaucoup plus grave que premièrement diagnostiqué et aurait dû nécessiter un traitement plus agressif sur le plan médical et pourtant aucun traitement n'est prescrit. D'ailleurs cette conclusion du docteur Payne en novembre est pour le moins surprenante puisque lors de la première visite du plaignant la dépression alléguée était tellement mineure, selon son témoignage, qu'il a prescrit un retour au travail le lendemain.

[220] Dans la décision Chamberlin citée par la Commission, le plaignant avait également été diagnostiqué par son médecin avec un trouble d'adaptation. Les symptômes et causes sont décrits au paragraphe 11 et 12 de la décision. Dans ce cas, dont les faits semblent décrire une situation plus sévère que celle en l'espèce, le médecin traitant avait prescrit deux à quatre semaines de congé et une réévaluation à la fin de cette période afin de déterminer si le plaignant était apte à retourner à son travail. Nous pouvons donc en conclure que si la situation avait été sérieuse le docteur Payne aurait prescrit un plus long congé et que s'il a jugé qu'une journée était suffisante c'est parce qu'il considérait la dépression, s'il y avait dépression, comme étant mineure.

[221] D'ailleurs, les diagnostics du docteur Payne doivent être pris avec une certaine réserve sur le plan factuel. De son propre aveu, les examens du plaignant à la Polyclinique devaient être faits assez rapidement puisque de nombreux patients attendaient; la Polyclinique traite une quantité industrielle de dossier de la CSST, selon l'expression utilisée par le docteur Payne. Aucune des rencontres avec le plaignant n'a dépassé 10 à 15 minutes, certaines ne dureront que 2 à 5 minutes et un rapport médical sera émis sans examen. Le docteur Payne admet que certains commentaires dans ses diagnostics lui étaient suggérés par le plaignant notamment en ce qui concerne la limitation hors des deux plans , la référence à un article de la convention collective et la limitation quant à l'horaire de nuit. Je constate également qu'une annotation qui apparaît sur les copies du rapport médical du 6 octobre 1998, de l'employeur et de l'employé mais qui n'apparaît par sur celle du médecin demeure inexpliquée. Sur d'autres rapports médicaux, il reconnaîtra avoir commis certaines erreurs. Finalement, il admettra que le problème du plaignant est surtout administratif et un peu médical .

[222] J'en conclus qu'à l'automne de 1998, il n'y avait aucune preuve que le plaignant avait des symptômes d'un trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive ou autre symptomatologie psychiatrique et donc qu'il n'y a avait pas de déficience au sens de la Loi.

[223] Examinons néanmoins la preuve présentée et qui expliquerait les causes de la condition alléguée du plaignant, si jamais ma conclusion concernant les symptômes s'avérait inexacte. Les causes d'un trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive peuvent être multiples.25 Les témoins experts ont tous témoigné à l'effet que pour déclencher un trouble d'adaptation il faut la présence d'un agent stresseur.

[224] Le docteur Cournoyer a témoigné à l'effet que le lieu de travail du plaignant ne peut être retenu comme agent stresseur. Le docteur Guérin abonde dans le même sens en indiquant que le genre d'endroit où travaille le plaignant ne peut pas à lui seul créer une pathologie comme celle alléguée ici.

[225] Ce que le docteur Cournoyer retient comme agent stresseur, c'est un conflit de travail. Toutefois, à la lecture de l'histoire du conflit, telle que relatée par le docteur Cournoyer dans son rapport, force nous est de constater qu'il a bénéficié d'une version des faits qui, sur plusieurs points, est divergente de celle qu'a entendue le Tribunal. Dans ce cas c'est soit le docteur Cournoyer qui a été induit en erreur ou le Tribunal.

[226] Le docteur Cournoyer, de bonne foi, a construit son opinion médicale sur ces faits. Il était convaincu, entre autres, que lorsque le plaignant a quitté son poste le 15 septembre 1998, qu'il était entouré de superviseurs qui le harcelaient et le surveillaient. Pourtant la preuve, non contredite à l'audience, a démontré qu'avant le 15 septembre, Réal Caron ne connaissait pas le plaignant et qu'il n'avait pas eu à travailler avec lui. De plus, aucune preuve n'a été présentée relatant des événements à partir du 14 septembre 1998, qui me permettrait d'arriver aux mêmes conclusions que le docteur Cournoyer à ce sujet.

[227] De plus, le plaignant n'a pas expliqué au docteur Cournoyer pourquoi le 14 septembre 1998, il devait se rapporter à l'ETL, sur l'horaire de soir, et non à l'ETV, laissant l'impression que l'employeur le traitait arbitrairement alors que les faits montrent que son affectation temporaire à l'ETV était terminée.

[228] Le plaignant n'a pas cru bon, non plus, d'informer le docteur Cournoyer de l'existence à Montréal d'un deuxième plan comme celui à Ville St-Laurent. Lorsque informé de cette situation à l'audience, le docteur Cournoyer reconnaît que le plaignant aurait pu travailler dans cet autre plan car il n'y a aucune raison de croire que le conflit avec les superviseurs du plan à Ville St-Laurent - l'agent stresseur - se transposerait dans cet autre plan .

[229] Le docteur Gamache qui, pour sa part, affirme ne trouver aucun des symptômes de trouble d'adaptation dans les rapports médicaux du docteur Payne, dit s'être fié, pour son examen, sur les faits tels que relatés par le plaignant et il conclut que l'agent stresseur est un problème de relation de travail. Dans son rapport il note que les problèmes auraient débuté le 14 septembre 1998, lorsque l'intimée aurait demandé au plaignant de retourner au travail dans les plans mécanisés comme commis aux lettres. Encore, une fois le plaignant n'explique pas les circonstances qui entourent cette situation telles qu'elles ont été relatées au Tribunal. Ensuite, le docteur Gamache reprend des exemples que le plaignant lui aurait donnés de situations qui à partir de cette date montrent que l'employeur exerçait sur lui des moyens de pression. Aucun de ces exemples, à l'exception d'un, ne fut repris à l'audience. D'ailleurs, la preuve retenue montre qu'aucun de ces événements, à l'exception d'un, ne peut s'être produit après le 14 septembre 1998. Un seul, le dernier événement que le docteur Gamache mentionne, s'est produit après le 14 septembre 1998 : On lui aurait même dit et, me mentionne-t-il, preuve à l'appui, que son superviseur lui aurait mentionné que s'il ne faisait pas cela comme ça (son travail), on va le crisser dehors . Réal Caron n'a pas nié avoir utilisé les mots on va le crisser dehors , mais il affirme avoir dit cela à Renée D'Amours, le 7 octobre 1998, soit la soirée où il cherchait à rencontrer le plaignant pour discuter du rapport médical que l'employeur venait de recevoir. D'ailleurs, nous nous souviendrons que Gagnon, le représentant syndical, avait entendu ces propos qu'il a noté, chose surprenante, à la fin de son compte rendu de la réunion du 1er décembre 1998. Quoiqu'il en soit, ces propos n'ont jamais été adressés directement au plaignant qui d'ailleurs n'était pas présent lors la rencontre du 7 octobre.

[230] Ainsi, pour le docteur Gamache, les problèmes ont débuté le 14 septembre et c'est sur les faits tels que relatés par le plaignant qu'il a, de bonne foi, préparé son rapport médical.

[231] Les docteurs Payne, Cournoyer et Gamache étaient donc tous sous l'impression qu'en septembre 1998, il y avait entre le plaignant et son superviseur ou des superviseurs un conflit de travail lequel était l'événement - l'agent stresseur - qui justifie un diagnostic de trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive.

[232] Le plaignant témoigne lui-même que ses problèmes ont commencé à l'ETL, St-Laurent, le 14 septembre 1998. Pourtant dans une lettre à France Villeneuve de la CSST, le 9 décembre 1998, où il dit relater les faits détaillés de ce qui l'a amené à faire une dépression situationnelle, il n'y a aucun fait significatif pour la période entre le 15 septembre et le 1er octobre et certainement aucun fait montrant l'existence d'un conflit avec son ou ses superviseurs à l'ETL. D'ailleurs, les noms de Réal Caron, son surintendant, et de Renée D'Amours, sa superviseure, n'apparaissent nulle part pendant cette période.

[233] Face à la preuve qui m'a été présentée, je dois retenir que l'agent stresseur allégué ou la cause alléguée de la pathologie est un conflit de travail à l'ETL, St-Laurent. Toutefois, sur l'existence de ce conflit de travail, je ne dispose d'aucune preuve qui me permette de conclure si ce conflit de travail est réel ou uniquement une perception. La preuve ne me permet pas de conclure à l'existence de l'agent stresseur allégué pour justifier éventuellement un stress psychologique et donc une déficience au sens de la Loi.

[234] Je suis convaincu que le plaignant était malheureux dans un travail qu'il n'aimait pas et qu'il trouvait déshonorant , selon sa propre expression. Le plan est pour lui une source de frustration et d'insatisfaction sur le plan professionnel. Toutefois, cela ne justifie aucunement une conclusion qu'il existe en l'espèce une déficience au sens de la Loi.

VI. DISPOSITION

[235] En raison de ce qui précède, la plainte de Michel Beauregard sous l'article 7 de la Loi est rejettée.

Signée par


Michel Doucet

OTTAWA (Ontario)

Le 28 janvier 2004.

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

PARTIES INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T761/1103

INTITULÉ DE LA CAUSE : Michel Beauregard c. Société canadienne des postes

DATES ET LIEU Montréal (Québec)

DE L'AUDIENCE : (les 3 au 5 septembre 2003,

les 22 au 26 septembre 2003)

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL : le 28 janvier 2004

ONT COMPARU :

Michel Beauregard En son propre nom

M e Céline Harrington Pour la Commission canadienne des droits de la personne

M e Marc Santerre Pour l'intimée

M e Richard Pageau

1 L'établissement de St-Laurent se divise physiquement en trois sections : la section administrative, le dépôt ouest, qui est un dépôt de facteurs, et à l'intérieur de l'établissement une autre section à deux vocations, l'une pour le traitement des lettres (ETL) et l'autre pour le traitement des colis (ETV, aujourd'hui connue comme l'ETC).

1L'ETL est organisé en plusieurs secteurs de travail : le secteur manuel, le secteur mécanisé, la section des expéditeurs et la section de l'international. À l'ETV, il y a la section médiaposte , la section réception et distribution et la section surdimensionnée . Du côté du colis, il y a également une section qui s'appelle messagerie prioritaire qui a été créée en 1997.

1L'ETV et l'ETL sont physiquement séparés par un mur de ciment dans lequel il y a environ cinq portes. En terme de dimension, l'ETL fait environ 500 pieds par 672 pieds et l'ETV, 800 pieds par 672. Dans l'ETV, il y a des convoyeurs et une trieuse de colis. Le bruit y serait plus fort. À l'ETL, il y a également de la mécanisation mais elle est différente de l'ETV.

1Sur le plan de l'organisation du travail, les employés de l'ETL s'occupent du courrier qui est ramassé dans les boîtes aux lettres et de celui qui est déposé à l'établissement même. Les employés s'occupent essentiellement de la préparation du courrier et de son traitement pour la livraison. Certains employés font le traitement manuel des lettres; d'autres, les codeurs, ont une formation pour faire le traitement du courrier à partir de machines. Il y a également des appareils à lecteur optique à caractère multiligne ou machines de tri de codes à barres qui accélèrent le traitement du courrier.

1Du côté de l'établissement traitement en vrac ou colis (ETV), des remorqueuses transportent les colis, lesquels sont ensuite traités pour l'expédition. Le travail y est moins mécanisé. Les employés travaillent plus physiquement. Il y a également des commis dans le secteur des colis surdimensionnés, lesquels traitent les colis hors normes. Du côté des quais, les expéditeurs font le chargement et le déchargement des remorqueuses.

1À l'ETV et à l'ETL, le travail est organisé sur trois quarts : l'horaire de jour de 7 h 30 à 15 h 30; l'horaire du soir de 15 h 30 à 23 h 30 et l'horaire de nuit de 23 h30 à 7 h 30. Sur le quart du soir il y a entre 125 à 150 employés. Chaque quart de travail a ses surintendants. Il y a également des superviseurs qui relèvent des surintendants. Les surintendants et les superviseurs sont attitrés soit à l'ETL ou soit à l'ETV. En haut des surintendants, sur le plan hiérarchique, se trouve les gestionnaires : deux à l'ETL et deux à l'ETV. Au haut de la hiérarchie se trouve le directeur.

2 Dans le cas d'une lettre par poste prioritaire avec signature, le facteur doit aller au domicile du destinataire et obtenir sa signature avant de lui remettre la lettre. Si le destinataire n'est pas à son domicile, une carte lui indiquant où il peut récupérer la lettre est laissée dans sa boîte aux lettres.

3 Dans le bordereau d'objets livrés de Poste-Canada, il est indiqué que Beauregard a pris livraison de cette lettre, le 29 octobre et non le 28. Beauregard affirme que la date sur le bordereau est inexacte. Pourtant Danielle Billod, la préposée au comptoir de Postes Canada, au dépanneur Bachir à Anjou, où Beauregard allait récupérer son courrier, a témoigné à l'effet qu'il insistait pour qu'elle remplisse le document devant lui afin qu'il puisse s'assurer qu'il n'y ait pas d'erreur. Lorsqu'il est allé chercher cette lettre au comptoir postal, le plaignant affirme ne pas se souvenir s'il y avait là une autre lettre pour lui. Madame Billod affirme pour sa part que lorsqu'il passait chercher son courrier, le plaignant ne prenait pas nécessairement tout le courrier qui lui était adressé; il se contentait de prendre l'information et disait qu'il repasserait plus tard. Il arrivait parfois qu'il prenne certaines enveloppes et en laisse d'autres.

4 En ce qui concerne les moyens que pouvaient utiliser l'employeur pour le contacter, Beauregard témoigne qu'il ne voulait pas qu'on appelle chez-lui car ce numéro de téléphone appartient à son père et que celui-ci n'aime pas recevoir des appels. De plus, il ajoute utiliser son cellulaire pour ses appels personnels mais ne pas avoir autorisé l'employeur à le contacter à ce numéro. Il ajoute que si l'employeur veut le rejoindre, il doit le faire par écrit. Selon lui, la meilleure manière de communiquer avec lui c'est par poste prioritaire sans signature. Dans ce cas, la lettre sera livrée le lendemain dans la boîte aux lettres à son domicile.

5 Toutefois selon le système de pistage et repérage - messageries prioritaires de Postes Canada, cette lettre aurait été livrée le 26 octobre 1998.

6 Le témoignage de Beauregard quant au nombre de demandes de mutation qu'il aurait préparées est pour le moins vague. À un endroit, il affirme qu'il pouvait faire, bon an mal an, de 20 à 40 demandes de mutation par année. En contre-interrogatoire il dira qu'il ne sait plus si c'est lui ou le docteur Cournoyer qui a parlé de 240 demandes de mutation. Il affirme qu'il n'avait pas avec lui ses demandes de mutation lors de cette rencontre mais uniquement un formulaire vide, à titre d'exemple. Un peu plus loin il dira qu'il a rempli ces demandes dans l'intervalle d'une quarantaine de demandes par semaine, donc dans 6 semaines; à un autre endroit, il parle de 40 demandes par jour, donc dans 6 jours. Si l'on regarde le nombre impressionnant de demandes de mutation qui a été présenté en preuve lors de l'audience, toutes ces demandes sont datées du 16 mai 1997.

7 Aucune preuve de cette rencontre ne fut présentée à l'audience autre que la conclusion de Beauregard selon laquelle madame Daigle est arrivée au même diagnostic que le docteur Payne, à savoir qu'il devrait y avoir un changement d'endroit de travail.

8 54.02 Réintégration à la main-d'uvre active des employés des groupes 1, 3, 4, et 5.Lorsqu'une employée ou un employé est atteint d'une incapacité physique en raison

8a) d'un accident du travail donnant droit à un indemnisation; ou

8b) de problèmes de santé ne donnant pas droit à indemnisation, et que le besoin d'une affectation s'appuie sur un certificat délivré par une ou un médecin qualifié, elle ou il pourra, sur demande écrite, être affecté à n'importe quel poste vacant de son groupe. Lorsqu'un tel poste vacant est visé par les dispositions de l'article 43, la première affectation ne se fera que pour la période nécessaire à la mise en application de cet article. Toutefois, si l'employée ou l'employé accepte une nomination dans la classe d'emplois assignée, elle ou il appartient à la classe d'emplois assignée et les règles normales d'ancienneté sont applicables.

9 Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes (grief de Beauregard, STTP 350-95-18617, Blouin, arbitre), [2001] D.A.T.C. no. 645.

10 Le 29 décembre 1998, la CSST l'informe qu'elle ne peut accepter sa réclamation puisqu'il ne s'agit pas d'un accident de travail. Selon la CSST, le dossier ne permet pas de conclure à l'existence d'un événement imprévu et soudain. En conséquence, aucune indemnité ne sera versée. Dans une lettre datée du 10 mars 1999, France Villeneuve de la CSST affirme que le diagnostic retenu est un trouble de l'adaptation avec à la fois anxiété et humeur dépressive, code 309.21 . Selon la CSST, cette lésion n'a pas entraîné d'atteinte permanente. Un peu plus loin, elle conclut que, compte tenu de la date de consolidation de la lésion et de l'absence de limitations fonctionnelles, Beauregard est capable d'exercer son emploi.

11 Les mesures disciplinaires prises par l'intimée contre Beauregard ainsi que son congédiement feront l'objet de deux décisions arbitrales. Dans une première décision rendue le 21 juillet 2000, (Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes (grief de Beauregard, STTP 350-95-18617, Blouin, arbitre), [2000] D.A.T.C. no. 467), l'arbitre du grief R. Blouin, décide que le congédiement et les mesures disciplinaires prises contre lui sont injustifiés. Il ordonne sa réintégration et la radiation de son dossier des lettres disciplinaires. L'arbitre réserve toutefois sa compétence sur les difficultés pouvant résulter de l'exécution de sa décision. Dans une deuxième décision en date du 7 septembre 2001 (Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes (grief de Beauregard,STTP 350-95-18617, Blouin, arbitre), [2001] D.A.T.C. no. 645), qui traitait de la demande de redéploiement et de la question des quantum de dommages, l'arbitre décide, en ce qui a trait à la première question, que l'élément stresseur est un conflit de travail au plan mécanisé et qu'il pourrait s'agir d'un conflit de personnalité. Il ajoute ne disposer d'aucune preuve sur l'existence d'un conflit de travail. Il constate qu'il a été question que Beauregard se sentait surveillé, épié, mais il déclare qu'il n'y a pas de preuve destinée à vérifier s'il s'agit de perceptions ou de réalités. En somme, il conclut que la preuve ne lui permet pas de conclure à l'existence de l'agent stresseur allégué pour justifier éventuellement un stress psychologique. La demande de redéploiement sous l'article 54 n'est donc pas justifiée. La demande en quantum de dommages est également intimement liée à la question du redéploiement et puisque celle-ci n'est pas justifiée l'arbitre conclut que Beauregard ne peut fonder une réclamation monétaire sur celle-ci. De plus, puisque l'employeur l'a considéré en absence maladie sans salaire et puisqu'il n'avait plus de crédits de maladie, il ne peut également recouvrer sous ce chef.

12 L'attestation médicale initiale est un document de la CSST préparé en cinq copies. Les copies 1 et 2 vont à la CSST, la copie 3 est la copie du médecin, la copie 4 celle du travailleur et la copie 5 va à l'employeur. C'est le travailleur qui doit remettre la copie cinq à l'employeur.

13 Le docteur Payne lui prescrit lors de cette visite du Flonase, un médicament pour les sinus. Le plaignant ne s'est pas objecté à la prescription, mais il ne semble pas qu'il ait pris le médicament, ni qu'il soit allé pour le rayon X. Le problème de sinus semble s'être réglé tout seul.

14 L.R.Q., c. S-2.1.

15 En effet, le 28 avril 1998, Beauregard a communiqué par téléphone avec un certain Monsieur Blanchette, vice-président de l'intimée, afin de lui faire part de certains griefs.

16 Il reconnaît que cette constatation est mal formulée; il aurait dû parler plutôt du formulaire de l'employé.

17 Il ne mentionne pas sa rencontre avec la psychologue.

18 Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, p. 208, et Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, p. 558

19 Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne, 4 C.H.R.R. D/1616, p. 1617 (confirmée 5 C.H.R.R. D/2147 (tribunal d'appel).

20 O'Malley, précitée, p. 558.

21 Singh c. Statistique Canada, [1998] T.C.D.P. no 7, confirmée [2000] A.C.F. no 417 (C.F., 1re inst.), et Dhanjal c. Air Canada, [1997] A.C.F. no 1599, (1997) 139 F.T.R. 37.

22 Voir à cet effet Boucher c. Canada (Correctional Service) (1988), 9 C.H.R.R. D/4910; Chamberlin c. 599273 Ontario (1989), 11 C.H.R.R. D/110; et, Zaiyski c. Loftsgard (1995), 22 C.H.R.R. D/256.

23 Voir le formulaire de plainte

24 La preuve a également démontré que tous ces symptômes n'ont pas besoin d'être présents pour qu'il y ait un diagnostic de trouble d'adaptation.

25 Voir Chamberlin c. 5992273 Ontario Limited, supra, par. 30

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.