Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE JACQUELINE BROWN

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

l'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Paul Groarke

2004 TCDP 5

04/02/04

[TRADUCTION]

I. INTRODUCTION

II. LES FAITS

A. Le processus de promotion

B. L'offre de mars 2000

C. La demande de la cap. Brown

D. La première série de promotions

E. La suite des événements

F. Le sergent d'état-major Wills

G. La deuxième série de promotions

H. Le congé de maladie

III. LE DROIT

IV. L'ANALYSE

V. CONCLUSIONS

A. L'article 10

B. L'article 7

C. Les mesures de redressement

(i) Excuses

(ii) Transfert de coûts

(iii) Indemnisation

(iv) Dépens

I. INTRODUCTION

[1] La plaignante est membre de la Gendarmerie royale du Canada. Le 14 mars 2001, elle a déposé devant la Commission des droits de la personne une plainte alléguant que la Gendarmerie a exercé à son endroit une discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille en la défavorisant dans l'application des conditions d'emploi, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette allégation découlait d'une demande de promotion de la plaignante. La plainte a été modifiée ultérieurement afin d'y ajouter une allégation aux termes de l'article 10.

[2] L'audience s'est déroulée à Vancouver en septembre 2003. La Commission n'y a pas participé, se contentant de présenter un aperçu général de l'état du droit. On remarquera que j'ai consulté son exposé des principes clés ainsi que les observations écrites de la plaignante et de l'intimée dans la préparation de l'énoncé des motifs de la présente décision.

II. LES FAITS

[3] La caporale Brown est membre de la GRC. Elle est mariée avec un autre membre de la Gendarmerie. Elle soutient que la Gendarmerie lui a préféré d'autres candidats en raison de son sexe et de son état matrimonial. L'intimée ne conteste pas l'allégation fondamentale et prétend simplement qu'il était raisonnable de tenir compte de son état matrimonial dans le processus de promotion. Elle affirme que le sexe n'est pas entré en ligne de compte.

A. Le processus de promotion

[4] Il convient d'examiner le processus de promotion à la GRC avant de se pencher sur les faits de l'espèce. Le sergent d'état-major Mitchell, qui agissait comme conseiller spécial auprès de l'Unité de gestion des carrières, a indiqué au Tribunal que la GRC a eu recours à trois systèmes différents de promotion. Le système initial était fondé sur l'examen du dossier personnel. Les officiers désireux d'obtenir de l'avancement présentaient une demande à un conseil de promotion chargé d'examiner chaque candidature.

[5] Ce système a été remplacé par celui des cycles , qui était fondé sur la publication de listes des affectations disponibles. Ces listes étaient transmises aux membres intéressés, qui pouvaient présenter une demande de promotion en indiquant leurs préférences. Le troisième système était probablement un amalgame des deux premiers.

[6] Le s.-é.-m. Wills était le représentant des relations fonctionnelles. Il s'agissait d'un poste électif à temps plein. Au cours de son témoignage, il a affirmé que les membres qui critiquaient le premier système le qualifiaient de vieille clique . Vers le milieu des années 80, on se plaignait que le système était injuste. On reconnaissait généralement que le processus devrait être axé plus sur les compétences essentielles que sur la supervision administrative. L'idée était d'en arriver à un système impartial.

[7] Le système des cycles a été instauré en 1994. Le mot cycle désigne un processus distinct d'offres de promotion d'une durée de deux ans. Il y a eu quatre cycles. Toutefois, le respect de l'échéancier posait problème. Ainsi, le troisième cycle, qui aurait dû prendre fin le 31 mars 2000, accusait du retard en raison, semble-t-il, d'un problème d'informatique. Le quatrième cycle avait déjà débuté et accusait lui aussi du retard. C'était une époque loufoque.

[8] Il y avait aussi d'autres préoccupations. Les cycles du printemps 2000 étaient les derniers avant la mise en place du nouveau système de promotion. On s'inquiétait, étant donné que les règles devant régir le nouveau système n'avaient pas encore été établies et que la nouvelle série de promotions ne pourrait avoir lieu avant un certain temps. L'Unité de gestion des carrières était confrontée à un vide .

[9] Il s'ensuit que les Services du personnel et des affectations subissaient énormément de pression. Lors de son témoignage, l'insp. Donovan a affirmé que l'Unité de gestion des carrières avait dépassé son budget et avait dû obtenir l'autorisation de mettre en uvre les dernières listes. Les mutations posaient un problème supplémentaire. Chaque transfert coûtait à la GRC 36 000 $ en moyenne et la Gendarmerie ne disposait pas d'un budget suffisant pour absorber le coût de tous les déménagements. Le s.é.-m. Mitchell avait reçu instruction d'aller de l'avant avec les promotions tout en veillant à assurer une gestion financière responsable.

[10] Il y avait d'autres pressions. Le processus de promotion de la GRC était géré à l'échelle des divisions. Le commandement en Colombie-Britannique est désigné sous le nom de Division E. Cette division était nettement en sous-effectif et tentait à l'époque de conserver le plus grand nombre possible de membres. Par conséquent, on voulait que les conjoints continuent de travailler. On éprouvait également de la difficulté à recruter des membres désireux d'obtenir une promotion dans le Lower Mainland. Cette situation tenait, semble-t-il, au coût de la vie dans cette région.

B. L'offre de mars 2000

[11] L'offre de promotion de mars 2000 de la Division E a été expédiée à 200 officiers, dont environ 60 caporaux. Les membres qui postulaient un poste voyaient leur nom être inscrit sur une liste de promotions. Les candidats dont les noms figuraient sur cette liste étaient classés en fonction d'un score cumulatif établi en se fondant sur leur rapport de rendement, les résultats d'un test et leur ancienneté. Il y a eu une deuxième série de promotions du fait qu'un certain nombre de caporaux avaient été promus au rang de sergent et qu'il fallait combler les postes de caporal devenus ainsi vacants. Les candidats ont été informés que le membre qui refuserait une affectation qu'il avait demandée verrait son nom être rayé de la liste de promotions.

[12] L'Unité de gestion des carrières de la Division E était dirigée par le surint. Schlecker. Deux inspecteurs relevaient de lui : l'insp. Donovan, qui était responsable du processus de promotion, et le s.-é.-m. Mitchell, qui relevait de l'insp. Donovan et qui avait la responsabilité immédiate du processus. Il incombait au s.-é.-m. Mitchell de passer au crible les listes et de faire des recommandations à ses supérieurs. Ses recommandations étaient examinées par l'insp. Donovan et approuvées par le surint. Schlecker. C'est ce dernier qui avait le dernier mot.

[13] Le s.-é.-m. Mitchell a indiqué lors de son témoignage qu'il regardait d'abord quel était le candidat qui s'était le mieux classé, puis procédait à son affectation; ensuite, il passait au candidat suivant. Certains postes exigeaient des compétences particulières. Cependant, dans la mesure où un candidat satisfaisait aux exigences, [TRADUCTION] il n'y avait aucune raison de ne pas le nommer . Une fois la liste de promotions approuvée par ses supérieurs, le s.-é.-m. Mitchell communiquait avec le superviseur du membre pour vérifier s'il y avait des raisons de ne pas lui accorder l'affectation choisie.

C. La demande de la cap. Brown

[14] La plaignante avait subi l'examen de caporal en 1997. Elle s'était classée dans le premier décile, mais elle n'avait pas présenté de demande de promotion. Elle avait alors d'autres chats à fouetter et, en 1999, son père était en phase terminale. Elle a demandé d'être mutée en Saskatchewan pour raisons de famille afin qu'elle puisse être près de son père. Son nom a été inscrit sur une liste humanitaire , mais on a refusé de lui accorder la mutation demandée.

[15] L'officier de gestion des carrières de la cap. Brown était le sergent Kimoto. Ce dernier travaillait au sein des Services du personnel et des affectations depuis 1993. Il a conseillé à la cap. Brown de participer au cycle de promotion de 2000, étant donné qu'il s'agissait probablement du dernier. La cap. Brown a donc postulé un certain nombre d'affectations à une distance raisonnable en voiture de Calgary, où son père était hospitalisé à l'occasion. Bien que ce détail importe peu par rapport aux aspects juridiques de la situation, il explique dans une certaine mesure sa réaction aux événements ultérieurs.

[16] La cap. Brown était 47e dans la liste des candidats. Elle a postulé 37 postes, les énumérant par ordre de préférence. Ses cinq premiers choix étaient Columbia Valley, Whistler, Gibson's Landing, Prince George et un poste de détective à Coquitlam. Elle désirait obtenir le poste de Columbia Valley, car cette localité était située à quatre heures de Calgary. Son 17e choix était un poste aux services généraux à Coquitlam. J'ai tendance à croire que les cadres supérieurs des Services du personnel et des affectations estimaient qu'on lui avait attribué un rang trop élevé, ce qui pourrait expliquer dans une large mesure la suite des événements.

[17] Il ne fait aucun doute que la cap. Brown a fait une erreur en postulant trop de postes, dont certains ne l'intéressaient guère. Ce fait témoigne à mon avis d'un manque de confiance, qui a inévitablement joué dans les décisions prises par l'Unité de gestion des carrières. L'idée qu'elle ne semblait pas savoir ce qu'elle voulait n'était pas dénuée de tout fondement. Le serg. Kimoto estimait que sa palette de choix quant aux affectations qui l'intéressaient dans le Lower Mainland était immense .

[18] La cap. Brown et son mari craignaient néanmoins que la direction ne la laisse simplement à Coquitlam, si elle incluait cet endroit dans ses choix. Ils ont donc parlé au serg. Chris Deevy, l'officier responsable de l'Unité de gestion des carrières, qui leur a donné l'assurance qu'il n'y aurait pas de saute-mouton . Colin Brown a vérifié la chose auprès du s.-é.-m. Mitchell et avait confiance qu'un officier qui s'était moins bien classé que sa femme n'aurait pas préséance sur celle-ci.

[19] Lors de son témoignage, le serg. Deevey a indiqué que la cap. Brown lui avait téléphoné le 3 mai 2000 pour lui poser une question ressemblant à celle-ci : [TRADUCTION] Si je suis la première candidate qualifiée pour un poste, va-t-on me le donner? Il a simplement répondu oui. Il s'agit là d'un détail crucial pour la suite. En réalité, la cap. Brown s'est fiée beaucoup trop au conseil du serg. Deevey et du gend. Lou, un autre agent de dotation, qui l'ont simplement encouragée à postuler le plus grand nombre de postes possible. Il convient de souligner que le serg. Deevey ne donnerait pas le même conseil aujourd'hui.

[20] À l'audience, une bonne partie de la preuve a porté sur le classement des candidats. Le s.-é.-m. Kimoto a exprimé l'avis que la personne ayant obtenu le meilleur rang était celle qui obtiendrait normalement le poste, dans la mesure où elle avait les compétences nécessaires. Il a néanmoins reconnu que l'Unité de gestion des carrières jouissait, aux termes du sous-alinéa 134(4)d)(1) du Manuel de gestion des carrières, du pouvoir discrétionnaire d'accorder un poste à un autre candidat. Il a précisé que ce sous-alinéa avait été invoqué de temps à autre avant l'affaire Brown.

D. La première série de promotions

[21] L'insp. Donovan et le s.-é.-m. Mitchell ont décrit la première série de promotions. Le s.-é.-m. Mitchell a fourni à l'insp. Donovan une liste des candidats - énumérés dans l'ordre où ils s'étaient classés, sur laquelle il avait indiqué pour chacun la promotion qu'il proposait. Ils ont examiné la liste ensemble. Une fois rendus au nom de la cap. Brown, qui figurait au 47e rang dans la liste, ils ont passé en revue ses choix un à un. Même si la plaignante arrivait en première place pour au moins cinq de ses choix antérieurs, le s.-é.-m. Mitchell a recommandé qu'on lui propose une affectation aux services généraux à Coquitlam - son 17e choix. L'insp. Donovan n'a pas vu d'objection et le surint. Schlecker a ultérieurement confirmé la recommandation.

[22] Columbia Valley était le deuxième choix de la plaignante. Le s.-é.-m. Mitchell et l'insp. Donovan ont tous deux affirmé lors de leur témoignage que le poste a été confié à quelqu'un d'autre parce qu'il avait été impossible de trouver un poste pour son mari. Le coût des réaffectations posait aussi problème. Lorsqu'un membre est réaffecté à un endroit situé à plus de 40 kilomètres de son lieu d'affectation, le processus de réinstallation se trouvait enclenché, lequel entraînait des coûts variant entre 28 000 et 40 000 $. Le problème qui se pose dans le cas de la réaffectation d'un membre dont le conjoint fait lui aussi partie de la GRC est que la direction risque d'avoir à déménager le couple une deuxième fois, si aucun poste ne devient disponible pour le conjoint. C'est le coût du deuxième déménagement qui préoccupait l'Unité de gestion des carrières.

[23] L'Unité de gestion des carrières craignait de ne pouvoir trouver un poste au mari de la cap. Brown, si sa femme était mutée à un petit détachement. Il s'agissait là d'un problème général de dotation qui se posait dans les petits détachements, où la Gendarmerie ne peut selon les règles affecter, semble-t-il, des membres d'une même famille. D'autre part, il était beaucoup plus commode de laisser le couple Brown dans le Lower Mainland.

[24] Les demandes d'affectation à Columbia, Gibson's Landing, Whistler et Prince George ont été rejetées pour à peu près les mêmes raisons. Il n'y avait pas à proprement parler de stratégie pour restreindre les coûts de déménagement. On faisait simplement du cas par cas. Si on pouvait garder quelqu'un à son lieu d'affectation, c'est ce qu'on faisait. La preuve a révélé que l'Unité de gestion des carrières était sous le coup de terribles restrictions financières à l'époque. Elle avait reçu l'ordre de réduire ses coûts le plus possible.

[25] Le s.-é.-m. Mitchell a candidement reconnu que la cap. Brown avait présenté trop de choix. Si elle avait mentionné simplement Columbia Valley, elle aurait obtenu l'affectation, d'après ce qu'il a affirmé. L'Unité de gestion de carrière n'aurait pas alors eu le choix. Elle avait droit à une promotion. Si elle a obtenu une autre affectation, c'est simplement parce qu'elle avait indiqué d'autres choix.

[26] Le 14 mars, le s.-é.-m. Mitchell a transmis à la plaignante un courriel l'informant de la recommandation voulant qu'elle obtienne une promotion à son lieu d'affectation - Coquitlam. Son mari resterait là où il était. La cap. Brown a été étonnée, car elle croyait que le classement des candidats faisait foi aux fins des affectations.

E. La suite des événements

[27] La cap. Brown et son mari ont rencontré le s.-é.-m. Mitchell le lendemain. Ce dernier a confirmé qu'elle s'était classée première pour Invemere. Il a également informé le couple qu'on craignait de ne pouvoir trouver un autre poste à son mari. La cap. Brown et son mari ont ensuite parlé au surint. Schlecker. Ils voulaient régler la question avant que la liste officielle soit diffusée et qu'il soit trop tard pour changer les choses.

[28] Le surint. Schlecker a invoqué plusieurs motifs pour justifier la décision de laisser la cap. Brown à Coquitlam. L'un d'eux était le coût. Un autre motif était le fait qu'ils étaient mari et femme. Il était prudent selon lui de les laisser à Coquitlam. Le mari de la cap. Brown a réagi en demandant un congé sans solde. Le surint. Schlecker n'était pas prêt à envisager la chose. La rencontre a duré environ une heure. Le surint. Schlecker a accepté de discuter de la question avec son personnel, mais il était fermement convaincu que Coquitlam était un bon endroit où travailler .

[29] Après sa rencontre avec la cap. Brown et son mari, le surint. Schlecker a eu un entretien avec le s.-é.-m. Mitchell et l'insp. Donovan. Le serg. Kimoto était peut-être présent lui aussi. Le surint. Schlecker leur a fait part du mécontentement de la cap. Brown et de son mari. Le groupe a analysé la question et déterminé qu'il était impossible de modifier la décision. L'élément le plus crucial était le mari de la plaignante. Il n'y avait pas d'autres postes de caporal dans la région et il était illogique d'affecter la cap. Brown à Columbia Valley, étant donné qu'il leur faudrait réaffecter ultérieurement son mari. Un tel scénario entraînerait d'autres frais de déménagement.

[30] Je ne crois pas que la question du sexe ait été abordée lors de la discussion. On a discuté de la possibilité d'accorder au mari de la plaignante un congé sans solde. Cette solution ne ferait que retarder le problème de trouver un poste au mari et entraînerait ultérieurement des frais de déménagement. Je sens ici le besoin d'ajouter que ce genre de solution sur mesure, qui impliquait de contourner le processus officiel de dotation, aurait été inapproprié.

[31] À mon avis, les circonstances indiquent clairement qu'un autre élément est entré en ligne de compte. Le consensus était que la décision avait déjà été prise et qu'on ne reviendrait pas en arrière. Une volte-face aurait eu des répercussions sur un trop grand nombre d'autres décisions. Un courriel attendait les Brown à leur retour à Coquitlam. Le message indiquait que la plaignante serait promue à son lieu d'affectation. La cap. Brown et son mari étaient fâchés et déçus. Ils estimaient avoir été trahis par le processus.

F. Le sergent d'état-major Wills

[32] La chronologie exacte des événements n'est pas tout à fait claire dans mon esprit. La cap. Brown et son mari ont également discuté de la question avec le s.-é.-m. Wills, le délégué du personnel. Ce dernier leur a dit qu'il y avait des postes disponibles pour le mari de la plaignante suffisamment proches de Whistler, Gibson's Landing et Prince George pour qu'elle puisse obtenir l'une de ces affectations. Il a indiqué lors de son témoignage qu'il y avait cinq postes de caporal disponibles à une distance de moins d'une heure d'Invermere en voiture.

[33] Le s.-é.-m. Wills connaissait le sergent Kalin, qui était le commandant du détachement de Columbia Valley. Il lui a donc téléphoné pour s'enquérir des possibilités. Le serg. Kalin lui a dit qu'il ne voulait pas plus de femmes. Le s.-é.-m. Wills a répondu : [TRADUCTION] Ed, tu ne peux pas tenir ce genre de discours. Le serg. Kalin a dit qu'il s'en foutait. Il y avait déjà dans son service deux membres en congé de maternité; de ce fait, il manquait de personnel. Aussi ne voulait-il plus de femmes. Il en avait soupé des quarts de nuit. Le problème était qu'il n'y avait pas à l'époque de mécanisme pour remplacer un membre en congé de maternité. Beaucoup de détachements manquaient de personnel à cause de cela.

[34] Le s.-é.-m. Wills a raconté à la cap. Brown, sa conversation avec le serg. Kalin. La cap. Brown a naturellement conclu que cela expliquait ce qui s'était produit. Je crois comprendre que la conversation a également été racontée au s.-é.-m. Mitchell, qui l'a rapportée à ses supérieurs. La preuve démontre clairement, toutefois, que l'Unité de gestion des carrières n'a communiqué avec personne à Columbia Valley, et je ne partage pas l'opinion voulant que les vues du serg. Kalin soient entrées en ligne de compte. Au cours de son témoignage, le serg. Kimoto a indiqué que le commandant du détachement d'accueil n'a pas grand-chose à dire dans le choix des membres promus qui sont affectés à son service.

[35] Le s.-é.-m. Wills a rencontré le s.-é.-m. Mitchell pour discuter de la situation. Les deux hommes ont passé en revue un à un les choix indiqués par la cap. Brown. Le s.-é.-m. Wills a dit qu'il y avait un poste disponible à Columbia Valley. Le s.-é.-m. Mitchell a répondu qu'il y avait un problème à cause du mari. Un seul poste de caporal était disponible. Le s.-é.-m. Wills a dit au s.-é.-m. Mitchell qu'il ne pensait pas que la cap. Brown serait la bienvenue à Columbia Valley, faisant allusion aux commentaires du serg. Kalin.

[36] Il a été question du poste de détective à Coquitlam. Au dire du s.-é.-m. Wills, ce poste était disponible et la cap. Brown avait les compétences voulues. Pourquoi ne pouvait-elle pas l'obtenir? Le s.-é.-m. Mitchell a dit qu'elle n'avait pas l'étoffe d'une enquêteuse générale. Le s.-é.-m. Wills a contesté cette affirmation, faisant remarquer qu'elle avait déjà mené des enquêtes sur de graves infractions contre la personne. Ses évaluations de rendement étaient satisfaisantes. Il a aussi été question des autres affectations possibles, qui ont fait l'objet du même genre d'analyse.

[37] Le groupe a discuté des transferts de coûts. Le s.-é.-m. Wills a indiqué que le membre ayant obtenu l'affectation à Ridge Meadows représentait un transfert de coûts et qu'il en était de même de celui qui avait été nommé enquêteur général à Coquitlam. Dans le cas de Columbia Valley, c'était la même chose. Le s.-é.-m. Wills a reconnu que le problème du mari et de la femme se posait dans ce cas. Toutefois, à son avis, on n'avait pas bien examiné la question, car il y avait plusieurs solutions possibles. Une de ces solutions consistait à accorder un congé au mari de la plaignante.

[38] Une foule de possibilités ont été examinées lors de la discussion. Les deux hommes n'étaient pas sur la même longueur d'ondes quant à la difficulté de trouver un poste au mari de la cap. Brown à Whistler. Selon le s.-é.-m. Wills, on aurait pu lui attribuer un des postes de Prince George. C'était un gros détachement. Il devait y avoir une quinzaine de caporaux au sein de ce détachement, sans compter les caporaux du quartier général de district. Pourquoi ne pourrait-on pas trouver une place à son mari là-bas?

[39] Le s.-é.-m. Wills était mécontent des réponses qu'il recevait. Selon son calcul, on aurait sauté sept fois par-dessus la cap. Brown. Les deux hommes ont discuté de ses compétences. Le s.-é.-m. Mitchell a convenu qu'elle était un jeune officier compétent qui travaillait fort. Par conséquent, le s.-é.-m. Wills désirait savoir pourquoi on ne voulait pas l'aider? Le s.-é.-m. Mitchell lui a répondu à peu près ce qui suit : [TRADUCTION] Elle veut être partout et nulle part à la fois. Elle n'a aucune idée de ce qu'elle fait. Le s.-é.-m. Wills a alors dit qu'il passerait par-dessus la tête du s.-é.-m. Mitchell.

[40] Le s.-é.-m. Wills a rencontré le surint. Schlecker environ une semaine plus tard. Il désirait qu'on lui fournisse une explication logique . Le surint. Schlecker s'est évertué à expliquer qu'il avait dû faire des choix difficiles . Devant l'insistance de son interlocuteur, il a invoqué le sous-alinéa 134(4)d)(1) du Manuel de gestion des carrières. Le s.-é.-m. Wills a déclaré lors de son témoignage qu'il n'avait eu connaissance d'aucun autre cas où cette disposition avait été invoquée.

G. La deuxième série de promotions

[41] Les efforts du s.-é.-m. Wills sont demeurés vains. La cap. Brown a refusé le poste aux services généraux à Coquitlam et retiré son nom du processus de promotion. La direction a interprété ce geste comme un refus d'être promue. Ils se sont ensuite adoucis et lui ont permis de participer à la deuxième série de promotions, qui était nécessaire pour combler les vacances résultant de la promotion de caporaux au grade de sergent. Cette initiative a été perçue comme une certaine reconnaissance par l'Unité de gestion des carrières que le processus initial avait mal tourné.

[42] À mon avis, cette série de promotions revêt beaucoup d'importance par rapport à la plainte dont je suis saisi. La cap. Brown est d'avis qu'elle aurait dû recevoir une affectation aux drogues. Toutefois, ses antécédents de travail s'inscrivaient dans les domaines de la circulation, des services de police communautaires et du développement communautaire. Le gend. Lou connaissait son dossier personnel et n'avait souvenance de rien indiquant qu'elle avait l'expérience nécessaire au niveau des enquêtes pour travailler dans la Section des enquêtes générales ou dans la Section antidrogue. Le serg. Kimoto n'avait pas lui non plus souvenance qu'elle justifiait d'une vaste expérience dans le domaine des enquêtes et il n'avait pas l'impression qu'elle avait beaucoup d'expérience en ce qui touche les infractions en matière de drogue.

[43] La décision voulant que la cap. Brown ne possédait pas les compétences nécessaires à une affectation à la Section antidrogue est raisonnable et peut certes résister à un examen. Je ne vois rien d'inéquitable dans la façon dont le concours s'est déroulé et je soupçonne que les allégations qui ont été formulées à cet égard soient le reflet de la détérioration continuelle des relations entre les parties. À mon avis, le véritable problème réside dans le fait qu'il n'y avait pas suffisamment de postes vacants pour offrir à la cap. Brown une affectation satisfaisante.

H. Le congé de maladie

[44] À l'issue de la deuxième série de promotions, la plaignante s'est vu offrir un poste de caporal au détachement de Burnaby. Elle a été officiellement promue le jour de son arrivée au détachement, c'est-à-dire le jour où elle a signé son rapport de mutation A22A. C'était le 12 avril 2001. Le lendemain, elle s'est déclarée malade. Au dire de l'intimée, son geste était délibéré. Si elle s'était déclarée malade le 6 avril plutôt que le 13 avril, elle aurait été rémunérée à titre de gendarme.

[45] Je préfère croire que la cap. Brown avait un sentiment partagé à l'égard de son nouveau poste et qu'elle a constaté qu'elle ne pouvait faire face à ses responsabilités. Lorsqu'elle était à la barre des témoins, la cap. Brown a affirmé qu'elle s'était rendue chez son médecin, la Dre Susan Buchan, et qu'elle lui avait dit qu'elle ne pourrait retourner au travail si les choses ne changeaient pas. Elle avait des migraines et des étourdissements. En outre, elle était inquiète au sujet de son père. Le Dr Bowman, le psychologue régional de la Gendarmerie, a ensuite communiqué avec elle. Il a dirigé la cap. Brown vers le Dr Hannah, un autre psychologue. Le Dr Hannah a pensé que ce serait une bonne idée qu'elle rende visite à son père. Elle a alors passé l'été en congé de maladie en Saskatchewan.

[46] Je n'entends pas passer en revue la preuve médicale, ne serait-ce que sommairement. Cette preuve suffit à prouver que la cap. Brown était fort perturbée. Elle souffrait depuis longtemps de migraine et avait déjà présenté des troubles psychologiques. Son état dépressif s'expliquait en partie par la maladie de son père. Je crois néanmoins que les sentiments de la cap. Brown à l'égard de son emploi étaient très simples. Elle se croyait incapable de retourner au travail tant que la Gendarmerie n'aurait pas avoué qu'elle avait été traitée injustement.

[47] À la barre des témoins, la cap. Brown a affirmé qu'elle avait fait une erreur en consultant un psychologue nommé par la Gendarmerie. Son mari ne semblait pas partager son opinion. Je ne sympathise pas avec eux sur ce point, la contre-preuve ayant révélé qu'elle ne se soignait pas. Elle a dit qu'elle refusait de prendre les médicaments qu'on lui avait prescrits parce qu'elle craignait leurs effets secondaires. C'est peut-être vrai, mais il est clair à mon avis que la cap. Brown cherchait à gagner du temps. Elle avait présenté un grief à propos de la première série de promotions et espérait obtenir une décision en sa faveur avant de retourner au travail. Cet espoir s'est envolé lorsque son grief a été rejeté.

[48] L'insp. Donovan a éventuellement communiqué avec la cap. Brown afin de régler la situation. Lors de son témoignage, il a fait valoir l'importance que les employés reviennent au travail le plus vite possible. Certains éléments de preuve donnent à croire que d'autres membres de la Gendarmerie lançaient des rumeurs et des insinuations malveillantes. Je fais mienne l'opinion de l'insp. Donovan voulant que la véritable solution à ce genre de problème de nature sociale est de faire en sorte que le membre se retrouve dans un milieu de travail sain à son retour. Je reconnais que l'insp. Donovan a vraiment fait des efforts pour donner à la cap. Brown et à son mari des affectations qui leur conviendraient. Aussi a-t-il obtenu l'autorisation de leur offrir des postes de caporal à la Section du radar photo à Kamloops avant que ces postes soient offerts aux autres membres de la Gendarmerie. La cap. Brown et son mari ont refusé ces affectations parce qu'ils estimaient que le programme de radar photo serait supprimé après les élections.

[49] L'insp. Donovan a aussi offert à la cap. Brown une affectation à Castlegar. Le couple était disposé à accepter cette offre, à la condition que le mari puisse prendre un congé sans solde jusqu'à ce qu'un poste devienne disponible. Cela a semblé être la solution jusqu'à ce que la cap. Brown constate qu'il lui fallait renoncer à son grief. C'était trop lui demander. Aussi l'offre a-t-elle été rejetée.

[50] La cap. Brown était d'avis qu'il y avait quelque chose de sinistre dans le fait d'exiger qu'elle renonce à son grief. Je ne partage pas ce sentiment. Il n'y avait rien de mal à ce que la GRC tente de régler ainsi le problème. La situation demeure entière. La cap. Brown voulait que la GRC admette ouvertement qu'elle avait été victime de discrimination et qu'elle avait eu raison d'insister sur ce point. Bien qu'on puisse s'interroger à savoir si la cap. Brown a pris la bonne décision, elle était en droit de rejeter l'entente pour le motif qu'elle ne comportait pas l'aveu souhaité.

[51] Le refus de la cap. Brown de signer l'entente a mis un terme aux négociations avec l'insp. Donovan. Il ne fait aucun doute que ce dernier a été froissé et qu'il a trouvé la plaignante déraisonnable. Voilà qui mettait un terme à l'affaire. L'insp. Donovan a informé la plaignante qu'elle recevrait l'ordre de rentrer au travail. La Dre Buchan en était arrivée à l'opinion que la cap. Brown était apte à travailler, mais qu'elle ne voulait pas reprendre le collier tant que son différend avec la Gendarmerie n'aurait pas été réglé. Il y a là-dedans une certaine vérité morale selon moi. De toute évidence, les deux parties se sont montrées très entêtées.

[52] Lorsque les négociations avec l'insp. Donovan ont échoué, le dialogue entre la cap. Brown et son employeur a été rompu. À mon avis, il est raisonnable de dire qu'à ce moment-là, le manque de confiance de la plaignante envers son employeur était tel qu'elle se méfiait de tout effort pour résoudre la situation. Lorsque le Dr Hannah lui a dit qu'elle était apte à faire du travail de bureau, elle a cru qu'il avait subi des pressions. Je ne vois aucune raison de mettre en doute la bonne foi d'un des médecins ou des psychologues.

[53] Dans un effort ultime pour dénouer l'impasse, Colin Brown a communiqué avec le serg. Haggymasy, qui était adjoint au commandant responsable des ressources humaines. Une rencontre à trois a été organisée. Durant cette rencontre, la plaignante a clairement précisé qu'elle n'entendait pas renoncer à la plainte présentée à la Commission. Il a ensuite été question de ses compétences. Le serg. Haggymasy a constaté que la cap. Brown possédait un diplôme en commerce et a proposé une affectation à l'Unité intégrée des produits de la criminalité. Il s'agissait d'un poste convoité . La cap. Brown s'est éventuellement vu attribuer le poste et a été louangée pour son travail dans ce service. Le serg. Haggymasy a aussi eu l'amabilité de trouver un poste à son mari.

III. LE DROIT

[54] L'analyse des questions de droit en l'espèce implique d'établir quatre points. Le premier point consiste simplement à préciser que la plaignante n'est pas tenue de prouver l'existence d'une motivation discriminatoire. Il s'agit là d'une règle de droit bien connue qui a été énoncée dans O'Malley c. Simpson Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536.

[55] Le deuxième point a trait à l'allégation de la cap. Brown selon laquelle elle a été victime d'une discrimination fondée sur la situation de famille aux termes de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission a cité l'arrêt B. c. Ontario (Commission des droits de la personne) (2002), 44 C.H.R.R. D/1 (CSC), dans lequel les juges Iacobucci et Bastarache soutiennent que l' état familial et l' état matrimonial ne se limitent pas au seul fait d'être marié ou d'appartenir à un certain type de famille. Ces termes englobent le statut particulier dont jouit une personne du fait qu'elle est mariée à un individu donné.

[56] Le troisième point ne prête pas lui non plus à controverse. La Commission a cité Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (CAF), p. D/15, à l'appui de son argument selon lequel il n'est pas nécessaire que la discrimination soit le seul facteur qui explique la façon dont la partie intimée a traité la partie plaignante. C'est là un élément important, ne serait-ce que parce que le cas qui nous occupe s'en trouve simplifié. Si la situation de famille de la plaignante a été l'un des éléments ayant joué dans la décision de lui refuser une promotion particulière, cela est suffisant pour prouver la discrimination aux fins de la Loi.

[57] Voilà qui m'amène à la question de droit plus fondamentale qui se pose en l'espèce, c'est-à-dire l'obligation de la plaignante d'établir l'existence d'une preuve prima facie de discrimination. Dans Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029, par exemple, ce Tribunal a affirmé ce qui suit :

Le fardeau et l'ordre de la preuve dans les causes de discrimination pour refus d'embaucher sont des mécanismes d'ores et déjà bien établis dans toutes les provinces canadiennes : le plaignant doit d'abord établir que l'acte reproché a toutes les apparences d'un acte discriminatoire; après quoi, il incombe aux mis en cause de fournir une explication raisonnable de l'acte qui lui est reproché.

En supposant que l'employeur ait fourni une explication, il revient alors au plaignant de démontrer que celle-ci ne constitue qu'un prétexte et que le comportement de l'employeur était effectivement empreint de discrimination.

Cette analyse est un moyen pratique de déterminer s'il y a eu discrimination dans un cas particulier. Elle ne doit toutefois pas être faite de manière rigide ou mécanique.

[58] La commission d'enquête de l'Ontario qui a statué sur Shakes v. Rex Pak Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/1001, précise à la p. D/1002 les conditions à satisfaire pour établir l'existence d'une preuve prima facie :

[TRADUCTION] Dans une plainte qui a trait à l'emploi, la Commission établit habituellement l'existence d'une preuve prima facie en démontrant :

  1. que le plaignant avait les compétences requises pour l'emploi;
  2. que le plaignant n'a pas été engagé; et
  3. qu'une personne qui n'était pas mieux qualifiée mais qui ne possédait pas la caractéristique dont il est question dans le principal chef d'accusation de la plainte relative aux droits de la personne a obtenu le poste.

Si ces éléments sont prouvés, il incombe alors à l'intimé de fournir une explication ... quant à ce qui s'est produit.

L'élément essentiel des affaires telles que Shakes est qu'il n'est pas nécessaire de prouver quoi que ce soit d'autre que le fait qu'une personne qui n'était pas mieux qualifiée que le plaignant a été engagée ou promue.

[59] La situation est plus simple dans les cas où une personne moins qualifiée a été engagée. La justification habituelle du critère de la preuve prima facie ne semble guère utile dans ce contexte.

Ainsi, dans Basi, le Tribunal a soutenu (paragraphe 38481) ce qui suit :

... le plaignant serait confronté à une tâche herculéenne s'il devait prouver, à l'aide de preuves directes, que la discrimination est l'élément qui a motivé la décision de l'employeur. La discrimination n'est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu'on puisse prouver par des preuves directes qu'un acte discriminatoire a été commis intentionnellement.

Cet énoncé ne tient pas compte du fait que le plaignant n'est pas tenu de prouver que la discrimination a été un élément conscient dans la décision d'engager quelqu'un d'autre. Bien que l'intention du présumé auteur d'un acte discriminatoire puisse être un élément important dans certains aspects du processus, il n'est pas nécessaire de prouver un état mental pour qu'une plainte de discrimination soit jugée fondée.

[60] Dans les anciens précédents, on parlait de discrimination indirecte ou par suite d'un effet préjudiciable . Ainsi, dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, la Cour posait à la p. 173 la question suivante :

Que signifie le terme discrimination? C'est le plus souvent dans l'examen des lois sur les droits de la personne que cette question s'est posée et le concept général de discrimination en vertu de ces lois a été assez bien circonscrit. Vu les arrêts rendus par cette Cour, identifier une définition acceptable présente peu de difficulté. Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 551, voici comment elle décrit le terme discrimination (dans cette affaire, il s'agissait de discrimination par suite d'un effet préjudiciable) : Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte . . . une règle ou une norme . . . qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés . Dans cette affaire, la Cour a également conclu que l'intention n'était pas requise comme élément de la discrimination puisque c'est essentiellement l'effet de la disposition ou de la mesure discriminatoire sur la personne touchée qui est déterminant dans l'examen de toute plainte.

Le volet probatoire de l'instruction a toujours mis l'accent sur les effets des faits et gestes de l'employeur. La même approche a été adoptée dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission des droits de la personne) (1987) 1 C.H.R.R. D/1014 (paragraphe 30).

[61] La jurisprudence plus récente a renforcé cette approche. Dans Colombie-Britannique c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, arrêt mieux connu sous le nom de Meiorin, la Cour suprême affirme qu'il n'y a pas de raison d'établir une distinction entre la notion de discrimination directe et celle de discrimination par suite d'un effet préjudiciable , et ce, tant dans le contexte de la Charte des droits que dans celui de la législation sur les droits de la personne. Au paragraphe 47, la Cour écrit ce qui suit : ... la distinction entre la discrimination directe et la discrimination par suite d'un effet préjudiciable peut avoir une certaine importance sur le plan analytique, mais, puisque la principale préoccupation est l'effet de la loi contestée, cette distinction a peu d'importance sur le plan juridique . Au paragraphe 48, elle poursuit :

...notre Cour a conclu depuis longtemps que le fait qu'un effet discriminatoire n'était pas voulu n'est pas déterminant pour les fins de son analyse générale fondée sur la Charte et que cela n'est sûrement pas décisif quant à la réparation possible : Law, précité, au par. 80, le juge Iacobucci; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, aux pp. 174-175, le juge McIntyre; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, au par. 62, le juge La Forest. Dans des arrêts comme O'Malley, précité, et Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 2 R.C.S. 561, notre Cour s'est efforcée d'appliquer le même principe dans son analyse des lois sur les droits de la personne. (30)

Il s'agit d'un thème constant dans la jurisprudence. Si la doctrine de l'effet discriminatoire s'applique, la preuve de l'existence de motifs illégitimes est un aspect de la discrimination plutôt qu'une particularité déterminante.

[62] Il me semble que cette question devrait être le véritable objet de l'analyse. La première tâche du Tribunal dans l'examen d'une affaire comme celle dont je suis saisi est de déterminer s'il existe des preuves crédibles que les actes de l'intimée ont eu les effets requis sur la plaignante. En fait, la discrimination est souvent une réalité théorique, qui existe à tout le moins en droit de par les conséquences qui en découlent. D'après mon interprétation de la jurisprudence, il est suffisant que la plaignante prouve qu'elle a subi les effets nécessaires. L'inférence de discrimination existe déjà en droit substantiel. Cela suffit.

[63] Il n'y a rien de très compliqué dans une telle affirmation. Dans une large mesure, c'est comme si l'on disait que la plaignante est tenue de produire des preuves démontrant qu'elle a été victime de discrimination. Elle n'a pas non plus de répercussions sur l'analyse standard, étant donné que la doctrine de l'effet discriminatoire et le critère de la preuve prima facie appliquent le même principe de responsabilité objective au processus des droits de la personne. S'il existe une explication raisonnable de ce qui semble à première vue être un comportement discriminatoire, il incombe à l'intimée de fournir cette explication. Cependant, il n'est pas nécessaire de considérer la preuve d'une telle conduite comme une preuve circonstancielle d'une intention frauduleuse.

[64] De façon générale, on estime que toute personne qui s'adresse aux tribunaux a l'obligation de prouver les éléments de la cause qu'elle entend présenter. Il incombe à l'intimée de répliquer. C'est ce que l'on appelle souvent la preuve prima facie, qui n'implique pas de se lancer dans une appréciation un tant soit peu approfondie de la preuve proprement dite. Je ne crois pas que la charge de la preuve, qui incombe à la partie plaignante tout au cours du processus, s'en trouve altérée. Si la partie plaignante n'a pas prouvé à la fin du processus, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle a subi un effet discriminatoire, la plainte doit être rejetée.

[65] C'est un principe de droit fondamental, qui découle de la prémisse simple voulant que la partie poursuivante prouve le bien-fondé de sa cause. Selon la jurisprudence, la situation est différente lorsque la partie intimée invoque un moyen statutaire de défense. Tout ce que je puis dire, c'est que ce n'est pas le cas en l'espèce et qu'il faut pousser plus loin l'analyse. Dans une affaire comme celle dont je suis saisi, le tribunal ne peut à mon avis qu'apprécier la preuve et la contre-preuve afin de déterminer si la plaignante a prouvé sa cause selon la prépondérance des probabilités. C'est un moyen irrésistible et sûr de déterminer l'issue appropriée de la cause, un moyen qui permet d'éviter que des considérations externes interviennent dans le processus. La jurisprudence générale reconnaît qu'il est préférable de faire en sorte que la tâche consistant à apprécier la preuve demeure la plus simple possible.

[66] En l'espèce, la dynamique juridique est extrêmement simple. Le témoignage démontre qu'on a passé par-dessus la plaignante dans le processus de promotion parce qu'elle était mariée avec un autre membre de la Gendarmerie. La plaignante n'a pas eu de difficulté à présenter une preuve crédible en l'espèce. La question qu'il faut se poser au plan probatoire est donc la suivante : l'intimée a-t-elle été en mesure de fournir une explication raisonnable au sujet de ce qui s'est produit et à dépouiller la plaignante de son fardeau juridique du point de vue de la prépondérance de la preuve? Par suite du défaut de l'intimée de fournir pareille explication, la cause de la plaignante reste entière.

IV. L'ANALYSE

[67] La Loi canadienne sur les droits de la personne a pour objet de remédier au problème de la discrimination. La plaignante doit prouver qu'elle a été défavorisée par rapport aux autres candidats en raison de son sexe ou de son état matrimonial. Elle doit aussi prouver que ces différences ont joué contre elle. L'affaire dont je suis saisi est remarquablement simple. La cap. Brown figurait au 17e rang dans la liste des candidats, et l'intimée n'a pas contesté ce classement. La preuve de part et d'autre indique que l'Unité de gestion des carrières était tenue de donner préséance aux candidats qui s'étaient le mieux classés. Les postes étaient attribués strictement en fonction de l'ordre hiérarchique.

[68] Je suis prêt à reconnaître que la direction jouissait d'un certain pouvoir discrétionnaire dans l'attribution des postes. Des facteurs contextuels - et non pas strictement la situation du candidat - doivent être pris en compte dans le processus promotionnel. Le sous-alinéa 134(4)d)(1) du Manuel de gestion des carrières précise la chose. Cependant, les prérogatives de la direction n'en sont pas moins limitées, les compétences des candidats devant l'emporter sur les autres considérations. À mon avis, c'est là l'aspect positif de la législation sur les droits de la personne. L'employeur ne doit pas simplement s'abstenir d'exercer une discrimination contre ses employés dans l'octroi des promotions. Il est tenu de respecter le principe du mérite.

[69] L'Unité de gestion des carrières était fondée à tenir compte d'un certain nombre de facteurs dans la décision d'accorder à la cap. Brown une affectation particulière. Elle devait notamment tenir compte du fait que la cap. Brown était mariée avec un autre membre de la Gendarmerie. Il en résultait pour la Gendarmerie un certain nombre de conséquences. En outre, il est évident que les compétences et la situation particulières des autres candidats devaient être prises en compte. Ainsi, la preuve a révélé que les membres affectés à des postes de durée limitée avaient droit à une mutation. Il était raisonnable à mon avis que l'Unité de gestion des carrières tienne compte, dans l'exercice de ses prérogatives, des frais de déménagement, de la nécessité de répondre aux besoins du conjoint et de la situation particulière des autres candidats.

[70] Il s'ensuit que l'Unité de gestion des carrières avait le pouvoir d'accorder une affectation à un candidat qui s'était moins bien classé, si elle avait des raisons valables de le faire. Cependant, il ne faut pas pousser trop loin ce raisonnement. Il était peut-être raisonnable de ne pas tenir compte des premiers choix de la cap. Brown. Cet argument perd toutefois de sa force plus on descend dans la liste. Passé un certain point dans le processus, l'argument n'est plus soutenable.

[71] Il est évident que plus on fait fi des premiers choix du candidat, plus sa cause s'en trouve renforcée. La deuxième fois qu'on passe par-dessus le candidat, la direction devrait prendre note de la chose. Avant de le faire une troisième fois, on devrait bien peser la décision. Le système de classement doit être respecté. L'Unité de gestion des carrières n'a tout simplement pas respecté ses obligations juridiques à cet égard. La meilleure preuve réside probablement dans le fait que le 14e choix de la cap. Brown a été accordé à un candidat qui s'était classé au 96e rang, soit près de 50 rangs derrière elle. C'est inimaginable. La prérogative de la direction de refuser à la cap. Brown une des promotions demandées était épuisée bien avant qu'elle en arrive à son 17e choix.

[72] L'un des problèmes que pose l'argument selon lequel l'intimée a le droit de nommer des candidats qui se sont moins bien classés est que cette logique ne peut être réservée à d'autres candidats. Elle s'applique aussi à la cap. Brown. Si un candidat qui s'était moins bien classé bénéficiait parfois d'une promotion en passant par-dessus un candidat qui s'était mieux classé, force est de conclure que l'intimée avait toute la latitude voulue pour accorder à la cap. Brown un de ses premiers choix.

[73] Il est évident que la liste des choix de la cap. Brown dénotait une certaine indécision. J'ai déjà fait remarquer que son manque de confiance expliquait en partie cette situation. Ses choix étaient partout et nulle part à la fois . Cela n'a pas d'importance. C'est à elle qu'il incombait d'exprimer les choix en question et personne, surtout pas moi, n'est autorisé à mettre en doute les raisons pour lesquelles elle a privilégié certains postes plutôt que d'autres. Je n'ai été saisi d'aucun élément de preuve donnant à croire que d'autres candidats se sont vu accorder leur 17e choix. En fait, la preuve démontre le contraire. Le cas de la plaignante est dans une catégorie à part.

[74] Le s.-é.-m. Mitchell a candidement reconnu que la cap. Brown aurait obtenu une des affectations qu'elle convoitait particulièrement si elle avait restreint ses choix. En définitive, ce sont les derniers choix dans la liste de ses préférences qui ont eu raison d'elle. Le processus a été travesti. La cap. Brown n'a pas indiqué ses préférences supplémentaires afin que son employeur puisse passer par-dessus elle et attribuer les postes qui l'intéressaient à des candidats qui s'étaient classés moins bien qu'elle.

[75] Je suis persuadé que la décision d'attribuer à la cap. Brown le poste à Coquitlam a été motivée davantage par une question de coûts et les besoins de la Gendarmerie que par les intérêts légitimes du processus de promotion. Il était commode de laisser la cap. Brown et son mari dans le Lower Mainland, où la direction avait de la difficulté à garder des officiers. Cela allait à l'encontre de l'esprit du processus de promotion, qui était censé être fondé sur les préférences des membres individuels. L'intimée ne m'a donné aucun autre exemple de candidat mieux qualifié qui s'était vu accorder un choix aussi bas dans le classement.

[76] Je ne puis dire si le surint. Schlecker et son personnel ont délibérément traité la cap. Brown de façon injuste. Cependant, il s'agit là d'un thème commun dans les affaires de discrimination. Le visage de la discrimination a un côté invisible, ce qui n'aide en rien à atténuer les effets. Il est suffisant de dire que la décision d'accorder à la cap. Brown une promotion à son lieu d'affectation était manifestement injuste. Il est évident également que son état matrimonial a été l'élément crucial dans cette décision. Vu ce constat, qui est plus que suffisant pour que la plainte soit jugée fondée, la Loi canadienne sur les droits de la personne entre en jeu.

V. CONCLUSIONS

A. L'article 10

[77] À mon avis, la présente instance ne soulève pas de questions de principe importantes. La preuve a démontré qu'il y a eu une injustice personnelle plutôt que systémique dans le processus. Les décisions dans le cadre du processus de promotion ont été prises en fonction de chaque cas. Les préoccupations de politique générale sont accessoires et ne font qu'éclairer le contexte dans lequel s'inscrit la plainte personnelle. Le bien-fondé des allégations formulées aux termes de l'article 10 n'a pas été prouvé.

B. L'article 7

[78] Passons maintenant à l'examen de la plainte relevant de l'article 7, dans laquelle la cap. Brown allègue qu'elle a été défavorisée dans le processus de promotion en raison de son sexe et de son état matrimonial. L'allégation de discrimination fondée sur le sexe n'a jamais été prouvée. Des preuves ont démontré que la GRC éprouve encore des difficultés à intégrer les femmes, ne serait-ce que parce que des membres du sexe opposé estiment qu'elles bénéficient d'un traitement préférentiel. Cependant, cette réalité se situe dans une large mesure en arrière-plan.

[79] Le s.-é.-m. Mitchell a reconnu que les commentaires du serg. Kalin avaient suscité certaines plaisanteries, mais il semblerait que celles-ci avaient été faites à son sujet. On donnerait une trop grande importance au serg. Kalin dans l'analyse si on laissait croire que le s.-é.-m. Mitchell se souciait de ce qu'il pensait. Le s.é.-m. Mitchell subissait beaucoup trop de pressions pour se préoccuper des préférences personnelles des commandants des détachements. L'idée que le surint. Schlecker et l'insp. Donovan aient pu tenir compte du point de vue du serg. Kalin dans l'examen d'un ensemble complexe de demandes de promotion ne résiste pas à l'analyse.

[80] À mon avis, le personnel de l'Unité de gestion des carrières était consciente de sa responsabilité de faire en sorte que les décisions relatives aux promotions ne soient pas empreintes de discrimination à l'endroit des membres de sexe féminin. Il peut exister des relents du préjugé historique à l'égard des membres de sexe féminin, particulièrement aux échelons inférieurs. Cependant, je n'ai été saisi d'aucun élément de preuve convaincant démontrant que cet élément a joué dans le processus de promotion. Je fais mienne l'affirmation du s.-é.-m. Mitchell selon laquelle l'élément sexe n'est pas intervenu et n'a pas influé sur le processus de promotion.

[81] Il reste l'allégation voulant que la cap. Brown ait fait l'objet d'une discrimination fondée sur l'état matrimonial. Je suis persuadé que cet aspect de la plainte a été prouvé. Les témoins ont ouvertement reconnu que l'état matrimonial avait été le principal facteur dans la décision, et aucune explication véritable n'a été fournie par l'intimée, si ce n'est qu'il en coûtait cher de réaffecter un membre. L'Unité de gestion des carrières avait reçu l'ordre formel de ne pas dépenser d'argent. Toutefois, il s'agissait d'une crainte sans fondement et rien dans la preuve ne justifie du point de vue légal la décision de laisser la plaignante dans le Lower Mainland.

[82] Je ne suis pas persuadé que j'ai eu droit à toute l'histoire. Le serg. Deevey a encore de la difficulté à expliquer ce qui s'est produit. Le s.-é.-m. Wills a affirmé lors de son témoignage qu'il n'avait jamais obtenu d'explications satisfaisantes quant à ce qui s'était produit. Il ne fait aucun doute que le s.-é.-m. Wills a peut-être développé une certaine méfiance à l'égard de la direction en raison de son rôle de délégué du personnel. Toutefois, même si on tient compte de cet élément, il est évident que la situation appelle une explication.

[83] Il est probable que divers éléments - légitimes ou illégitimes - aient contribué au processus de prise de décisions. Toutefois, la réalité est que des candidats moins qualifiés ont passé par-dessus la cap. Brown. Le caractère injuste du processus était flagrant. Il ne fait aucun doute que la plaignante a établi l'existence d'une preuve prima facie. En fait, c'est le moins qu'on puisse dire. L'affaire dont je suis saisi exige une réponse, que l'intimée n'a jamais fournie.

[84] Soit dit en passant, le processus de promotion a été mal conçu au départ. Les officiers de l'Unité de gestion des carrières subissaient d'énormes pressions et le processus était soumis à trop de contraintes. Somme toute, il était plus facile de maintenir le statu quo et de se défiler. Je fais mienne la remarque laconique du s.-é.-m. Wills, à savoir qu'il aurait fallu un effort gigantesque pour stopper le processus et corriger l'erreur. Les témoignages des autres témoins mettent en relief ce constat.

C. Les mesures de redressement

(i) Excuses

[85] Les efforts de l'employeur pour composer avec la plaignante et corriger l'injustice initiale ont été non négligeables. Malheureusement, ces efforts ont été faits sans reconnaître que la cap. Brown avait été traitée injustement. C'est ce qui est devenu à mon avis la principale pomme de discorde. Lorsqu'on a demandé à Colin Brown pourquoi sa femme avait refusé l'affectation à Castlegar, il a répondu qu'il s'agissait pour elle de retrouver sa dignité . Elle avait besoin qu'on admette que les décisions prises lui avaient causé une injustice.

[86] Je suis persuadé que la cap. Brown est devenue davantage intéressée à prouver un point moral plutôt qu'à résoudre les questions de fond dont j'ai été saisi. Les deux parties se sont montrées particulièrement entêtées. Cela ne change pas toutefois ma perception de la situation. Que la discrimination fût délibérée ou le résultat d'un concours de circonstances n'importe pas. Le fait est que la cap. Brown a été traitée injustement dans le processus de promotion.

[87] Bien qu'il s'agisse exactement du genre d'affaire qui semblerait justifier des excuses de la Gendarmerie, l'arrêt rendu par la Cour fédérale dans Procureur général (Canada) c. Stevenson 2003 CFPI 341 (C.F., 1re inst.) m'empêche d'ordonner que des excuses soient présentées. Voilà qui ne clôt pas pour autant le débat, étant donné que rien n'interdit à l'intimée de poser un tel geste. J'invite les parties à présenter des observations quant à savoir si la conduite de l'intimée à cet égard comporte des conséquences en ce qui concerne l'indemnité à laquelle la plaignante peut avoir droit aux termes de l'article 53.

[88] Lors de l'audience, j'ai exprimé une certaine frustration du fait que les parties n'ont pas été en mesure de régler la plainte à l'amiable. Je continue de croire qu'il aurait été possible de trouver un règlement. Il se peut cependant que l'aveu que la cap. Brown cherchait à obtenir ait tout simplement été quelque chose d'illusoire. Le cas échéant, il faudra se contenter de ma décision. Elle constitue une conclusion de droit que la GRC a exercé une discrimination à l'endroit de la cap. Brown.

[89] J'espère que la Gendarmerie prendra les mesures correctives nécessaires en négociant un règlement final du différend, dans un esprit de réconciliation. J'estime par ailleurs que la cap. Brown doit tourner la page. Son mari et elle sont des officiers dévoués, et il n'y a pas de raison qu'ils ne connaissent pas une carrière professionnelle gratifiante au sein de la Gendarmerie.

(ii) Transfert de coûts

[90] La cap. Brown a droit au transfert de coûts qui lui a été refusé dans le processus de promotion. Par conséquent, j'ordonne que la GRC lui donne une autre affectation, de préférence au détachement de Saskatoon ou à celui de Calgary. Je crois comprendre que l'une ou l'autre affectation lui conviendrait. J'hésite à entrer davantage dans les détails, car cette question relève de la compétence discrétionnaire raisonnable de la direction.

[91] J'ai été prié néanmoins de conserver ma compétence relativement à cet aspect de l'affaire. Si les parties ne peuvent convenir d'une affectation appropriée dans un délai de quatre mois, je suis prêt à réexaminer la question à la demande de l'une d'elles. Je demanderais à l'intimée, par souci de bonne foi, d'offrir des perspectives raisonnables au mari de la cap. Brown. La preuve démontre qu'il ne devrait pas être difficile de trouver un poste à chacun d'eux dans un grand centre.

(iii) Indemnisation

[92] Il est nécessaire à mon avis d'entendre d'autres observations au sujet du quantum des dommages-intérêts ainsi que des dépens en l'espèce. Je préférerais traiter ces questions en même temps. Il est peut-être utile, cependant, de faire quelques commentaires sur cet aspect de l'affaire.

[93] Un certain nombre d'observations ont été présentées. La plaignante invoque le fait qu'elle a été en congé de maladie pendant plus d'un an. L'intimée rétorque qu'elle est tombée en congé de maladie le jour qui a suivi son retour au travail et qu'elle a continué de toucher sa rémunération jusqu'au jour de son retour. Par conséquent, elle n'a subi aucune perte salariale. Cette situation est bizarre à maints égards. La GRC a refusé d'admettre ouvertement qu'elle avait exercé une discrimination à l'endroit de la cap. Brown. Toutefois, elle lui a volontiers payé des congés de maladie, qui peuvent être reliés directement aux souffrances provoquées par la discrimination dont elle a été l'objet.

[94] La plaignante a droit à une indemnité pour préjudice moral. Elle a eu peine à témoigner et elle a encore vivement l'impression d'avoir été trahie. Le différend a nui à son bien-être émotif, psychologique et physique. Elle a perdu confiance en elle et a été atteinte de dépression. Son mariage et sa famille ont souffert. J'aimerais entendre les opinions des parties quant à l'importance de ces éléments aux fins de l'évaluation des dommages-intérêts.

[95] Il y a des points en faveur de l'autre partie. À mon avis, la GRC était en droit d'insister pour que la cap. Brown retourne au travail. Il n'était pas raisonnable que le cap. Brown exige que la plainte soit réglée avant qu'elle réintègre ses fonctions. Tout processus institutionnel prend du temps, et l'employée ne pouvait s'attendre d'être payée indéfiniment alors qu'elle refusait, somme toute, de travailler.

[96] Je fais mienne l'observation de l'insp. Donovan selon laquelle la chose la plus importante pour rétablir les ponts entre un employeur et un employé est de faire en sorte que l'employé revienne au travail. Le temps ne favorise pas le rétablissement d'une relation de travail harmonieuse. Il est évident d'après le témoignage de la cap. Brown qu'elle se tire bien d'affaire dans son nouveau poste et que ce processus s'est à tout le moins amorcé.

[97] La plaignante soutient également que ses perspectives de carrière au sein de la Gendarmerie se sont dégradées du fait qu'elle a rué dans les brancards. Cependant, je ne suis pas prêt à présumer que la Gendarmerie agira de mauvaise foi; compte tenu des répliques de l'intimée, il me semble qu'elle a obtenu un poste très convoité au sein de la Section intégrée des produits de la criminalité. Je fais mienne l'observation de l'intimée selon laquelle elle a obtenu un poste enviable.

[98] On a fait valoir également que la cap. Brown a fait l'objet de commérages en milieu de travail. Cela est inévitable, et la preuve indique que la GRC est contre l'idée de débattre en public de questions ayant trait au dossier personnel d'un officier. La Gendarmerie n'est pas responsable du commérage illicite des autres officiers et employés.

(iv) Dépens

[99] Dans une situation normale, je serais enclin à adjuger à la plaignante des dépens raisonnables. L'intimée m'a toutefois demandé de réserver ma décision à ce sujet, pour le motif que la plaignante aurait, semble-t-il, rejeté une offre raisonnable de règlement avant l'audience. Je crains toutefois que les faits pertinents à cet égard soient contestés. Il se peut par ailleurs qu'il faille se pencher sur des questions de confidentialité ou de privilège. Je demanderais donc aux parties de m'indiquer si une preuve sera nécessaire avant d'aller plus avant.

[100] Il se peut qu'il faille examiner d'autres questions. Ainsi, la cap. Brown m'a demandé d'ordonner à la GRC de verser une copie de ma décision dans son dossier personnel. Il est préférable selon moi d'examiner cette requête après que j'aurai entendu les parties au sujet des questions en suspens en matière de redressement. Par conséquent, j'invite les parties à informer le Tribunal de la façon dont elles entendent procéder. Je conserve ma compétence pour examiner toute question découlant de la présente décision.

Signée par


Paul Groarke

OTTAWA (Ontario)

le 4 février 2004

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T769/1903

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jacqueline Brown c. Gendarmerie royale du Canada

DATE ET LIEU

DE L'AUDIENCE :

Les 25 au 29 août 2003

Les 2, 3 et 5 septembre 2003

Vancouver (Columbie Britannique)

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL :

Le 1 septembre 2004

ONT COMPARU :

Chris Finding

Pour la plaignante

Ronald Snider

Keitha Richardson

Pour la Commission canadienne des droits de la

personne

Pour l'intimée

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