Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ALETA GAUCHER

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION À l'ÉGARD DE LA REQUÊTE PRÉSENTÉE
PAR LA COMMISSION EN VUE DE MODIFIER LA PLAINTE

2005 TCDP 1
2005/01/13

MEMBRE INSTRUCTEUR : M. Paul Groarke

[TRADUCTION]

I. INTRODUCTION

[1] Aleta Gaucher a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en 1998 dans laquelle elle allègue avoir fait l'objet de discrimination en contravention de l'article 7 de la Loi. La Commission présente maintenant une requête en vue de modifier la plainte. La plaignante appuie la modification.

[2] Les documents déposés par la Commission ne sont pas complètement clairs. Selon ce que je comprends, la demande vise simplement à ajouter la mention de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans la clause d'allégation de la plainte, clause qui serait alors rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

J'ai fait l'objet de la part des Forces armées canadiennes de discrimination fondée sur le sexe, la race, l'origine nationale ou ethnique, l'état matrimonial, la situation de famille et l'âge du fait d'avoir été défavorisée, de ne pas avoir été promue et de ne pas avoir continué d'être employée en contravention de l'article 7 [et de l'article 10] de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Je demanderais que la Commission dépose à l'avenir un avis de requête incluant une annexe contenant le libellé exact de la modification proposée. Cette pratique serait conforme au paragraphe 3(1) des Règles de procédure du Tribunal.

A. La position de la Commission

[3] La Commission prétend que la plainte est fondée sur des allégations selon lesquelles les politiques d'emploi des Forces canadiennes pratiquent systématiquement de la discrimination à l'endroit des femmes, des femmes autochtones et des mères célibataires. Au paragraphe 26 de ses observations écrites, la Commission déclare que l'attention de l'intimée a été attirée sur cette situation de diverses façons, tant dans l'instance devant la Commission que dans une demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour fédérale.

[TRADUCTION]

26. Dans la présente affaire, l'intimée a été informée de la nature systémique de la plainte à l'étape préliminaire de la plainte au moyen de l'affidavit de la plaignante dans sa demande de contrôle judiciaire de même qu'au cours de toute l'enquête et de l'enquête additionnelle de la Commission.

Les observations écrites renvoient à de nombreux passages des documents actuels qui mentionnent la nature systémique de la plainte.

[4] L'intimée soulève une objection en affirmant que la plupart de ces passages sont extraits de l'affidavit qui a été fourni à la Cour fédérale. Malgré cela, il est évident que l'enquête a été ouverte à nouveau, à une étape relativement tardive, pour recueillir les renseignements se rapportant à cinq employés de sexe masculin qui ont soi-disant été promus avant la plaignante. C'est ce qui semblerait être le point de départ de toute instruction sur les aspects systémiques de la plainte. L'intimée était apparemment d'avis qu'elle ne pouvait pas fournir ces renseignements suivant la Loi sur la protection des renseignements personnels à moins d'avoir une assignation ou un mandat.

[5] Je pense que le facteur le plus important se trouve dans le processus de preuve. Je fais cette affirmation parce que la Commission soutient qu'il est difficile, voire impossible, de faire une enquête à l'égard de la plainte de Mme Gaucher sans examiner de nombreuses questions systémiques à l'égard du lieu de travail. Il s'agit d'une partie inévitable de la législation en matière des droits de la personne et c'est fréquemment le cas dans ces affaires soumises au tribunal. La Cour fédérale a statué que la Commission a le droit de déposer comme preuve circonstancielle de la preuve institutionnelle et systémique qui peut aider à établir qu'un plaignant a fait l'objet de discrimination.

B. La position de l'intimée

[6] L'intimée a contesté la demande. Elle prétend que la modification [TRADUCTION] modifierait de façon importante la nature de la plainte et prolongerait [TRADUCTION] la résolution définitive de cette plainte. Elle prétend essentiellement que le régime législatif doit être respecté. Le Tribunal ne peut instruire une plainte à moins qu'elle ait suivi le processus prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[7] L'intimée cite l'arrêt de la Cour d'appel de Nouvelle-Écosse IMP Group Limited c. Dillman [1995] N.S.J. no 326 (QL), au paragraphe 37, dans lequel la cour déclare ce qui suit :

[TRADUCTION] Ainsi que le dit l'avocat de la société, il ne s'est pas simplement agi d'une extension, élaboration ou clarification de la plainte de harcèlement sexuel déjà devant la commission d'enquête. Soulever une nouvelle plainte à l'étape de l'audience contournerait tout le processus législatif qui est structuré de manière à permettre des tentatives de conciliation et de règlement. Cette question n'a pas été l'objet des étapes préliminaires d'enquête, de conciliation et de renvoi par la Commission pour faire instruire la plainte en vertu de l'alinéa 32a) de la Loi. La commission d'enquête a traité d'une question dont elle n'avait jamais été saisie.

L'intimée cite en outre ma propre décision dans Cook c. Onion Lake First Nation, TCDP 2002/04/22, dans laquelle j'ai écrit qu'il existe un point où une modification introduit fondamentalement une nouvelle plainte.

[8] J'ai naturellement la même opinion à l'égard de ces déclarations de droit. Le fond de la plainte doit suivre le processus de renvoi. La Commission ne peut présenter une nouvelle plainte après le renvoi, sous le prétexte d'une modification, et contourner son propre processus de renvoi. La situation était cependant plutôt différente dans l'arrêt Dillman, dans lequel la modification se rapportait à une allégation à l'égard de faits qui n'étaient pas inclus dans la plainte initiale. D'un autre côté, il existe des cas qui semblent plus près de la situation qui m'est soumise. Dans la décision Woiden c. Lynn, TCDP 2002/01/23, par exemple, le membre instructeur a permis que la plainte soit modifiée pour inclure une mention à un article additionnel de la Loi parce que les faits dont le Tribunal disposait resteraient les mêmes.

II. ANALYSE

[9] La compétence du Tribunal en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne vient du fait que la Commission a renvoyé la plainte. Cela donne le contexte général dans lequel toute demande de modification doit être examinée. La Commission, lorsqu'elle a renvoyé la plainte au Tribunal, doit avoir examiné la situation essentielle qui constitue le sujet de l'affaire à instruire. Cela crée certaines limites à l'égard des modifications qui doivent avoir leur historique dans les circonstances soumises à la Commission.

[10] Ce n'est toutefois qu'un aspect de l'affaire. Je pense qu'il faut être conscient de la réalité de la situation lors de l'examen d'une demande de modification. Le formulaire de plainte existe principalement pour les besoins de la Commission. Il est une première étape nécessaire qui soulève une série de faits qui requièrent une enquête plus à fond. Le formulaire de plainte fournit un point de départ important et il est approximatif en soi. Il n'a jamais eu pour but de servir aux fins d'une plaidoirie dans un processus adjudicatif qui mène à une audience. Ce sont les exposés des précisions, plutôt que la plainte initiale, qui énoncent les conditions plus précises de l'audience.

[11] Les parties doivent être conscientes qu'il n'y a rien d'inhabituel dans la demande d'une modification. Les formulaires soumis au Tribunal sont habituellement remplis avant que la plainte ait été correctement examinée et que tous les faits pertinents soient exposés. Il est inévitable que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances soient souvent révélés au cours de l'enquête. Il s'ensuit que les plaintes sont susceptibles d'être précisées. Dans la mesure où le fond de la plainte initiale est respecté, je ne vois pas pourquoi la plaignante et la Commission ne devraient pas être autorisées à clarifier et à expliquer les allégations initiales avant la tenue d'une audience à l'égard de l'affaire.

[12] Je pense que les tribunaux qui traitent des droits de la personne ont adopté une démarche libérale à l'égard des modifications. Ce choix est conforme à la Loi canadienne sur les droits de la personne qui est une loi réparatrice. Elle ne devrait pas être interprétée d'une manière étroite ou technique. Dans l'arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 A.C.S. no 75 (QL), au paragraphe 50, par exemple, la Cour suprême a approuvé une modification à une plainte qui a simplement rendu la plainte conforme aux procédures. Je pense que la situation qui m'est soumise est similaire. Il s'agit simplement de s'assurer que la forme de la plainte reflète avec précision le fond des allégations qui ont été renvoyées au Tribunal.

[13] La Cour fédérale a également souscrit à cette démarche. Dans la décision La Commission canadienne des droits de la personne et al. c. Bell Canada, 2002 CFPI 776, au paragraphe 31, M. le juge Kelen suggère que la règle devant le Tribunal et la Cour fédérale devrait être la même. La jurisprudence en matière des droits de la personne :

[...] est reprise dans les décisions de la Cour fédérale quant aux modifications de plaidoirie selon la règle 75 des Règles de la Cour fédérale (1998). Je fais référence à l'arrêt Rolls Royce plc c. Fitzwilliam (2000), 10 C.P.R. (4th) 1 (C.F. 1re inst.), dans lequel le juge Blanchard a établi, en tant que règle générale, que les modifications proposées soient autorisées lorsque la partie adverse ne subit aucun préjudice [...]

Le juge Kelen cite ensuite l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), à la page 10, au même effet. Dans la mesure où elles peuvent se retrouver dans les allégations et les faits soumis à la Commission et où elles ne portent pas préjudice à l'intimée, les modifications devraient être autorisées. Cela aide toutes les parties à déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties.

[14] Selon moi, la Commission veut simplement, avant l'audience, clarifier la légalité de la situation de façon à ce que toutes les parties soient informées que la plainte soulève des questions systémiques plus profondes. Il s'agit d'une mesure louable. Il est préférable d'être explicite. Je n'accepte pas la façon selon laquelle l'intimée décrit la demande de modification, soit comme une demande visant à ajouter à l'instruction une nouvelle plainte de nature systémique. La chose ou la responsabilité ou le délit soumis au Tribunal demeurera le même qu'avant qu'une modification ait été autorisée. Le fond de la plainte demeurera le même qu'avant qu'une modification ait été autorisée.

[15] Je dois ajouter que je pense que la Commission pourrait agir sans une modification. Les dispositions de l'article 53 qui traitent de redressement ne font pas de distinction entre les aspects personnels et les aspects systémiques d'une plainte et c'est une erreur que de faire une certaine dichotomie stricte entre les plaintes suivant l'article 7 et celles suivant l'article 10. La Loi est réparatrice et requiert une conception organique plus large. Comme règle générale, le Tribunal est tenu de suivre le fond de la plainte, peu importe où il conduit. La question à l'égard de la réparation est simplement celle de savoir si l'action réparatrice que la Commission demande résulte naturellement des allégations soumises au Tribunal. Cela est généralement établi par les faits de l'affaire plutôt que par l'article en vertu duquel la plainte a été déposée.

[16] L'arrêt de la Cour d'appel fédérale Canada (Procureur général) c. Robinson, [1994] 3 C.F. (C.A.F.) 228, à la page 248, appuierait, du moins implicitement, la prétention selon laquelle l'étendue du pouvoir réparateur exercé par le Tribunal est établie par les dispositions de l'article 53, comme je l'ai suggéré, plutôt que par l'article en vertu duquel la plainte a été déposée. Il s'ensuit que des redressements systémiques sont offerts si la plainte, l'enquête qui en résulte et le processus de divulgation devant le Tribunal montrent qu'ils sont appropriés. Si la source de la discrimination alléguée suivant l'article 7 se trouve dans le processus de promotions, je pense que le Tribunal a l'obligation d'examiner ce processus.

[17] Les exposés des précisions dans la présente affaire n'ont pas été échangés. Il s'ensuit que toutes les questions se rapportant à la preuve que la Commission souhaite présenter et que le redressement précis qu'elle tente d'obtenir devront être traités un autre jour. D'un point de vue pratique, cependant, on doit se demander comment il est possible de tenir une instruction à l'égard du processus de promotions quant à la façon selon laquelle il touche la plaignante sans examiner le processus de promotions de façon plus générale. Si la preuve établit qu'il existe des failles dans ce processus, il m'apparaît que la Commission a le droit de faire corriger le processus en vertu de l'article 53 de la Loi. C'est clairement ce que la Loi envisage.

[18] La véritable question dans une affaire comme celle qui m'est soumise est celle de savoir si la modification est préjudiciable à l'intimée. Cette situation nécessite un exercice de jugement plutôt qu'une analyse logique ou linguistique de la plainte originale. La question est celle de savoir si la modification proposée mine sérieusement l'équité du processus. Le principe de base est assez simple. Si une modification proposée ouvre une nouvelle voie non prévue à l'égard d'une instruction, elle ne devrait pas être autorisée. La question pratique est habituellement celle de savoir si l'avis qu'a reçu l'intimée était suffisant pour respecter les exigences de justice naturelle.

[19] Je ne vois rien dans la modification demandée par la Commission qui soit préjudiciable dans ce sens. La modification est par conséquent autorisée selon les conditions que j'ai exposées.

Signé par

M. Paul Groarke

Ottawa (Ontario)

Le 13 janvier 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T903/2304
INTITULÉ DE LA CAUSE : Aleta Gaucher c. Forces armées canadiennes
DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 13 janvier 2005

ONT COMPARU :

Dennis Callihoo Pour la plaignante
Leslie Reaume Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Doreen Mueller Pour l'intimée
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