Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

Micheline montreuil

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

BANQUE NATIONALE DU CANADA

l'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

2004 TCDP 7

2004/02/05

TRADUCTION

I. INTRODUCTION

A. Références à la plaignante dans la présente décision

B. Le rôle de la Commission canadienne des droits de la personne à l'audience

II. FAITS

A. Demande d'emploi de la plaignante

B. Première entrevue

C. Deuxième entrevue

D. Troisième entrevue

E. Communication à la plaignante du refus de l'embaucher

III. CADRE JURIDIQUE

IV. ANALYSE

A. Preuve prima facie

B. Appartenance de la plaignante à un des groupes désignés

C. La plaignante s'est portée candidate à un poste que l'employeur désirait pourvoir et possédait les compétences voulues

D. La plaignante était compétente, mais sa candidature a été rejetée

E. L'employeur continue de chercher des candidats ayant les compétences de la plaignante

F. Explication de l'intimée

V. REDRESSEMENT

I. INTRODUCTION

[1] La plaignante allègue dans sa plainte que l'intimée a refusé de l'employer parce qu'elle est une personne transsexuelle. Elle allègue que, ce faisant, l'intimée a exercé à son endroit une discrimination fondée sur le sexe.

[2] La Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi ) dispose que le fait de refuser d'employer une personne en raison de son sexe constitue un acte discriminatoire (art. 3 et 7). Le certificat de naissance de la plaignante indique que cette dernière est de sexe masculin. Dans le formulaire de plainte qu'elle a déposé en septembre 2001, la plaignante prétend qu'elle est une personne transsexuelle qui s'habille en femme et qu'elle était, à l'époque, dans une période de transition pour devenir une femme. L'intimée ne conteste pas la prétention de la plaignante voulant qu'une discrimination fondée sur l'état de personne transgenderiste constitue une discrimination sexuelle aux termes de la Loi.

[3] Cependant, à l'ouverture de l'audience en l'espèce, l'avocat de l'intimée a fait remarquer que dans une instance récente devant la Cour d'appel du Québec mettant en cause la plaignante1, celle-ci a apparemment admis devant la Cour qu'elle n'avait plus l'intention de subir les interventions chirurgicales nécessaires pour modifier ses organes sexuels. Par conséquent, l'avocat de l'intimée s'est réservé le droit de faire valoir, dans son plaidoyer final, que cette incohérence apparente par rapport aux allégations formulées dans sa plainte peut susciter des doutes quant à sa crédibilité.

A. Références à la plaignante dans la présente décision

[4] La plaignante a été partie à des instances devant plusieurs cours - notamment la Cour fédérale, la Cour supérieure du Québec et la Cour d'appel du Québec - portant sur des questions liées au nom qu'elle est autorisée à utiliser à des fins d'identification personnelle. Dans les jugements qui ont été rendus dans ces affaires, on a utilisé pour désigner la plaignante tantôt le sexe féminin tantôt le sexe masculin, selon l'organisme décisionnel. Par exemple, dans l'affaire Montreuil c. Directeur de l'état civil2, la juge Rousseau-Houle a utilisé le genre féminin, tandis que le juge Morin, faisant remarquer que la plaignante était encore physiquement un homme, a employé le genre masculin dans ses motifs dissidents.

[5] En ce qui concerne cette question d'identité sexuelle, je trouve particulièrement intéressante l'analyse présentée dans Sheridan v. Sanctuary Investments Ltd. No. 33, instance portant sur une plainte déposée par une personne transgenderiste. Le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a fait observer qu'il existe chez certains individus une [TRADUCTION] discordance entre les divers indicateurs du sexe . En ce qui concerne les transsexuels, il peut exister une dissociation complète entre le sexe physique et l'expérience subjective de leur masculinité ou féminité.

[6] L'intimée ne s'est pas prononcée dans un sens ou dans l'autre à ce sujet. En revanche, la plaignante a expliqué qu'elle désire qu'on utilise le genre féminin lorsqu'on parle d'elle. Dans les circonstances, je ne vois aucune raison de ne pas acquiescer à la demande de la plaignante. Par conséquent, j'utiliserai dans la présente décision le genre féminin pour désigner la partie plaignante.

B. Le rôle de la Commission canadienne des droits de la personne à l'audience

[7] La Commission s'est contentée de présenter à l'ouverture de l'audience un énoncé des principes qui, selon elle, revêtent une importance clé pour l'instruction de la plainte. L'avocat de la Commission a quitté la salle d'audience immédiatement après avoir lu l'énoncé en question et n'est pas revenu par la suite.

II. FAITS

A. Demande d'emploi de la plaignante

[8] Les antécédents scolaires et professionnels de la plaignante sont vastes et variés. Elle est membre du Barreau du Québec et est titulaire d'une maîtrise en administration des affaires de l'Université Laval ainsi que d'un Diplôme d'études supérieures spécialisées en ressources humaines, administration et organisation de l'Université de Paris - Panthéon-Sorbonne. En 1981, elle a suivi avec succès le cours sur les valeurs mobilières offert par l'Institut canadien des valeurs mobilières (ICVM). En plus de pratiquer le droit, elle a travaillé comme conseillère en gestion et enseigné de nombreux cours de droit, d'économie, de finances et de gestion à l'Université du Québec et dans plusieurs collèges (CÉGEPs). Dans les années 70, elle a exploité son propre restaurant à Québec. Elle est l'auteure de nombreuses publications et notamment de plusieurs articles portant sur l'industrie bancaire. Elle a même servi dans l'Armée canadienne. Qu'il suffise de dire que la plaignante a accumulé durant sa vie une vaste expérience.

[9] La plaignante a vécu la majeure partie de sa vie publique comme homme, sous le nom de Pierre Montreuil, tout en dissimulant son existence en tant que Micheline. Elle soutient qu'en 1997, le CÉGEP de la ville de Québec où elle travaillait comme chargée de cours l'a renvoyée parce qu'elle avait été vue en public, vêtue en femme, dans un centre commercial local. À ce moment-là, elle a décidé de ne plus cacher sa vraie identité et de commencer une nouvelle vie sous le nom de Micheline. Elle s'est départie de ses vêtements masculins et a opéré dans sa vie un changement radical qui impliquait notamment une réorientation professionnelle. Elle était alors convaincue que son renvoi l'empêcherait désormais d'enseigner dans le réseau des CÉGEPs.

[10] La plaignante a senti le besoin de quitter Québec pour s'établir dans un grand centre comme Montréal. Elle percevait la ville de Québec comme ayant une mentalité d'insulaire à l'endroit des personnes comme elle. En revanche, elle percevait Montréal comme une collectivité vaste et diverse où elle pourrait vivre sa vie davantage dans l'anonymat sans attirer autant d'attention négative. Au cours de son témoignage, elle a affirmé qu'il est normal que des personnes qui sont en voie de changer de sexe tournent radicalement le dos à leur passé et entreprennent une nouvelle vie, comme par exemple en déménageant à un autre endroit.

[11] Par conséquent, la plaignante a décidé de chercher un emploi en s'affichant désormais ouvertement comme femme dans un milieu totalement nouveau. Elle a vu dans l'édition du 2 mai 1998 du journal La Presse une annonce placée par l'intimée. Cette annonce indiquait que l'intimée recrutait pour son centre d'appels (connu sous le nom de TelNat ) des travailleurs à temps partiel (20 à 35 heures par semaine de cinq jours) qui pourraient éventuellement accéder à des postes à temps plein. L'intimée faisait état d'un taux de rémunération d'au moins dix dollars l'heure. Les fonctions consistaient à fournir des services à la clientèle et à vendre des produits bancaires. Les candidats devaient posséder au moins un diplôme d'études collégiales, être bilingues et avoir de l'expérience dans le service à la clientèle ou la vente. L'annonce précisait que l'intimée offrait des possibilités de carrière à la hauteur des compétences de l'employé(e), ainsi qu'une formation continue, un bel environnement de travail et un plan de rémuneration concurrentiel. Le lieu de travail indiqué pour ces postes était Montréal. L'intimée terminait son annonce en exhortant les personnes désireuses de relever un défi et de faire carrière au sein d'une entreprise de grande envergure à présenter une demande. Tout nouvel agent de TelNat était soumis à une période de stage de six mois au cours de laquelle l'intimée pouvait à son gré le renvoyer. Toutefois, cette condition d'emploi n'était pas précisée dans l'annonce.

[12] La plaignante a répondu à l'annonce par téléphone, après quoi elle a fait parvenir une version d'une page de son curriculum vitæ ainsi que des photocopies de son passeport, de son permis de conduire et de sa carte d'assurance sociale. Le nom qui figure sur ces derniers documents est Micheline Montreuil ou, dans le cas du passeport, Micheline Pierre Montreuil. Sur les photographies qui accompagnent ces documents, elle présente une apparence qu'on associe habituellement au sexe féminin. Toutefois, selon son permis de conduire et son passeport, elle appartient au sexe masculin.

[13] La plaignante avait déjà postulé différents emplois dans des établissements bancaires, mais ceux qu'offrait l'intimée étaient particulièrement attrayants à ses yeux. L'annonce précisait que l'intimée avait un effectif de 16 000 personnes et offrait la possibilité de faire carrière au sein de l'entreprise. La plaignante savait que le taux de roulement parmi les employés des centres d'appels était relativement élevé. Elle estimait qu'en tant qu'avocate ayant des compétences dans le domaine bancaire et dans celui des valeurs mobilières, elle pourrait gravir les échelons assez rapidement au sein de la banque et peut-être se joindre à son service du contentieux après quelques années.

B. Première entrevue

[14] L'intimée a invité la plaignante et une trentaine d'autres candidats à participer le 22 mai 1998 à une entrevue de présélection dans ses bureaux de la rue Metcalfe, à Montréal. À son arrivée, la plaignante a été priée de remplir un formulaire de demande. Elle a expliqué sur le formulaire qu'elle avait quitté l'emploi qu'elle occupait au CÉGEP parce qu'elle souhaitait changer sa vie complètement et réorienter sa carrière professionnelle. Dans l'espace réservé à l'ajout d'autres renseignements qui seraient utiles à l'évaluation de sa candidature, la plaignante a écrit qu'elle avait décidé de faire un gros changement dans sa vie et qu'elle espérait que l'intimée l'aiderait à concrétiser ce changement. Elle a ajouté qu'elle devait commencer au bas de l'échelle pour monter . Conformément à la politique d'équité en emploi de l'intimée, la plaignante a été priée de remplir un questionnaire d'auto-identification. Bien qu'elle ne se soit pas identifiée comme membre d'un des groupes désignés énumérés (Autochtones, minorité visible ou personnes handicapées), elle a inscrit, sous la rubrique Autre , qu'elle était une personne transgenderiste.

[15] Une fois le formulaire rempli, l'intimée a soumis la plaignante à une entrevue dite exploratoire . Le rapport de l'interrogateur précisait que sa candidature était acceptée, ce qui signifiait qu'elle pourrait participer à la prochaine étape du processus d'évaluation. Il était mentionné dans le rapport que la plaignante était un cas particulier et avait une motivation hors du commun. Après l'entrevue, la plaignante a subi une batterie de tests : test de mise en situation, test de raisonnement numérique et test de personnalité. La plaignante a réussi les deux premiers tests. Elle soutient avoir réussi également le test de personnalité à cette étape, mais je ne suis pas persuadé de la chose. La fiche synthèse établie après cette étape du processus d'évaluation indiquait que plusieurs éléments révélés par le test de personnalité devaient être vérifiés plus en détail durant la dernière entrevue que devaient mener les gestionnaires de TelNat. Cependant, il était précisé qu'on ne pourrait se fonder sur ces seuls éléments pour rejeter une candidature. Les éléments en question étaient son émotivité (empathie et sens de l'urgence) et sa désirabilité sociale .

C. Deuxième entrevue

[16] Une fois qu'un candidat a franchi l'étape de la présélection, l'intimée l'invite généralement à une dernière entrevue, que mène le gestionnaire qui dirige le service qui recrute. Cependant, en l'espèce, la directrice du service des ressources humaines de l'intimée, Suzanne Girard, a demandé à la plaignante de se présenter à nouveau aux bureaux de la rue Metcalfe pour une deuxième entrevue ou, si on préfère, pour une entrevue intermédiaire, avant de se soumettre à la dernière entrevue. À la demande de Mme Girard, Lisette Cloutier, qui dirigeait le service des ressources humaines de TelNat, a également participé à l'entrevue intermédiaire, qui a eu lieu le 8 juillet 1998. Mme Cloutier a expliqué au cours de son témoignage que l'intimée tient une entrevue intermédiaire dans certains cas - particulièrement lorsque le profil du candidat exige de vérifier plus en profondeur des éléments tels que le niveau d'instruction, le nombre d'années d'expérience ou même la situation personnelle . Mme Cloutier n'a pu préciser la raison précise pour laquelle Mme Girard a décidé de convoquer la plaignante à une telle entrevue, et Mme Girard n'a pas été citée comme témoin durant l'audience pour fournir des explications supplémentaires.

[17] L'entrevue a duré environ deux heures. Au dire tant de Mme Cloutier que de la plaignante, elle s'est bien déroulée dans l'ensemble. Mme Cloutier a trouvé que la plaignante était courtoise et s'exprimait bien. Selon elle, la plaignante n'a pas affiché une attitude arrogante à l'entrevue. Les interrogatrices ont discuté avec la plaignante de ses antécédents scolaires et professionnels, puis lui ont demandé pourquoi elle s'intéressait à un poste aussi peu élevé, compte tenu de ses vastes compétences. La plaignante a répondu qu'elle voyait l'emploi offert par TelNat comme une occasion de mettre les pieds dans l'entreprise et qu'elle nourrissait l'espoir de pouvoir gravir les échelons au fil du temps. Mme Cloutier a affirmé dans son témoignage qu'elle avait considéré cette réponse comme étant correcte . Elle a dit à la plaignante que, pour obtenir de l'avancement au sein de la banque, elle devait être prête à demeurer deux ou trois ans au poste d'entrée. La plaignante a répondu qu'elle était disposée à accepter cette condition et même à faire des heures de travail prolongées, si nécessaire.

[18] Selon la plaignante, il était évident d'après son apparence physique qu'elle était une personne transgenderiste. Afin de dissiper tout malentendu, elle a demandé franchement si sa situation posait problème à l'employeur. Mme Cloutier a expliqué que c'était elle qui s'occupait des cas particuliers , et elle a donné à la plaignante l'assurance que l'intimée appliquait une politique d'emploi sans aucune discrimination. La plaignante a jugé opportun à ce moment-là de remettre aux interrogatrices un document d'une page intitulé Firms that officially accept Transgendered" qui énumère les multinationales ayant leur siège aux États-Unis qui ont adopté des politiques libérales et ouvertes vis-à-vis des personnes transgenderistes. Parmi les entreprises mentionnées dans la liste figurait la Chase Bank. La liste en question a été transmise à la plaignante par une connaissance vivant aux États-Unis qui a milité en faveur de l'avancement des droits des personnes transgenderistes. La plaignante a dit qu'elle avait remis le document à Mmes Cloutier et Girard afin de rassurer l'intimée en lui montrant qu'elle ne serait pas la seule grande entreprise à adopter une politique d'ouverture à l'égard des personnes transgenderistes.

[19] Mme Cloutier a interprété le geste de la plaignante de façon différente. Elle s'est demandée si la plaignante désirait vraiment travailler comme employée dans un centre d'appels ou si sa véritable intention n'était pas de se faire embaucher pour promouvoir l'intégration des personnes transgenderistes au sein de l'organisation. Cependant, ni Mme Cloutier ni même Mme Girard n'a à aucun moment interrogé ouvertement la plaignante au sujet de ces préoccupations. Les interrogatrices ont finalement conclu que la plaignante répondait à tous les critères fondamentaux et que sa demande d'emploi devrait être soumise en vue de l'étape suivante - l'étape finale - du processus d'évaluation. Environ deux semaines plus tard, Mme Cloutier a téléphoné à la plaignante pour lui annoncer qu'elle avait réussi la deuxième entrevue.

D. Troisième entrevue

[20] Le 12 août 1998, Lise Roy, la superviseure de la section du contrôle de la qualité chez TelNat, a téléphoné à la plaignante pour l'inviter à la troisième et dernière entrevue. Durant la conversation, Mme Roy a discuté avec la plaignante de certaines conditions d'emploi, notamment la rémunération, l'horaire de travail, la formation nécessaire et les périodes de stage. Selon Mme Roy, on discute habituellement de ces questions avec toutes les candidates au cours de ces appels. La plaignante se souvient d'avoir expliqué à Mme Roy qu'elle déménagerait de Québec à Montréal dans le cas où l'intimée lui offrirait un poste.

[21] L'entrevue s'est déroulée le 20 août 1998 dans les bureaux de TelNat au siège social de l'intimée, au 500, Place d'Armes, dans le Vieux-Montréal. La plaignante a rencontré Mme Roy et Josée Lecompte, qui était chef d'équipe chez TelNat. Selon Mme Roy, l'entrevue s'est déroulée de la façon habituelle. Durant la première partie, qu'elle a qualifiée de formelle, les interrogatrices ont posé à la plaignante des questions visant à évaluer son intérêt à l'égard du poste et à déterminer si elle était apte à l'occuper. Ensuite, il y a eu une discussion informelle au cours de laquelle les interrogatrices ont demandé à la plaignante si elle avait des questions à leur poser. Cette deuxième étape visait à détendre l'atmosphère et à amener la candidate à faire un brin de conversation. Les candidats n'étaient pas tenus de poser des questions et certains s'abstenaient d'ailleurs de le faire. Il semble qu'il n'était pas obligatoire de participer aux conversations informelles pour être embauché. Toutefois, dans le cas de la plaignante, il y a bel et bien eu un échange informel qui, selon Mme Roy, s'apparentait à un bla-bla-bla entre femmes.

[22] Au dire de la plaignante, l'entrevue a été très positive. On lui a expliqué que les fonctions initiales du poste (au sein du service Ligne Express de TelNat) consistaient à fournir aux clients de l'intimée par téléphone des renseignements (p. ex., le solde de leur compte). Une fois que l'employé avait acquis une certaine expérience, on l'affectait aux appels plus complexes. Selon la plaignante, les interrogatrices, après avoir constaté qu'elle était titulaire d'une maîtrise en administration des affaires et qu'elle avait suivi le cours en valeurs mobilières de l'ICVM, l'ont informée qu'elle serait susceptible d'être promue à la direction des prêts et des placements au sein du service à la clientèle. À la fin de l'entrevue, la plaignante s'est fait dire qu'elle recevrait une réponse dans un délai de deux à trois semaines. Elle affirme qu'on lui a montré l'aire de travail de TelNat et qu'on lui a dit que c'est à cet endroit qu'elle travaillerait. Au sortir de l'entrevue, elle était convaincue qu'elle serait embauchée pour le poste.

[23] Mme Roy et Mme Lecompte nient avoir indiqué à la plaignante à quel endroit elle travaillerait ou lui avoir même donné à entendre qu'elle allait être embauchée. Elles ont affirmé au cours de leur témoignage qu'elles s'étaient assises pour discuter de la candidature de la plaignante immédiatement après son départ. Elles ont alors convenu d'indiquer au service des ressources humaines qu'il serait hasardeux d'embaucher la plaignante. Il a été décidé que Mme Lecompte, qui avait pris des notes durant l'entrevue, dactylographierait un compte rendu énonçant les motifs de leur décision. Ce n'était pas la coutume de rédiger un tel compte rendu; toutefois, elles ont senti le besoin de le faire en l'occurrence, en raison de certaines remarques formulées par la plaignante. Le compte rendu en question est reproduit ci-après dans son intégralité. Il n'a fait l'objet d'aucune modification en ce qui touche les passages soulignés ou mis en évidence.

MADAME MICHELINE MONTREUIL

01 septembre 98

Objet:

Compte-rendu de l'entrevue du 25 août 98 au centre d'appels Telnat, en présence de Josée Lecompte et Lise G. Roy. L'entrevue s'est déroulée en deux volets.

q Entrevue dite formelle

Au cours de cette entrevue, Madame Montreuil nous a démontré qu'elle était en mesure de suivre notre formation et d'occuper un poste de représentante au service à la clientèle de Telnat.

À notre avis, la candidate était surqualifiée pour un poste de représentante sur la Ligne Express. De part ses habiletés, ses connaissances et son expérience, elle nous a apparu être une candidate apte à occuper un poste à un secteur de services financiers. Cependant, nous avons perçu un ton condescendant, même suffisant, nous ayant mentionné: Si la Banque ne reconnaît pas mes capacités, un concurrent viendra me chercher.

q Entrevue, discussion libre

Nous voulions sensibiliser Madame Montreuil en ce qui a trait à sa surqualification, compte tenu de son expérience, et clarifier la possibilité que le poste puisse lui sembler inapproprié.

Et c'est sur cette lancée qu'elle nous a mentionné les différentes étapes de quarante dernières années dans les institutions financières en faisant allusion au racisme, au sexisme et autres discriminations.

Elle se voyait elle-même ambassadrice de son `type' dans l'industrie bancaire et mentionnait: Dans les années 50, non sans difficulté, les femmes ont joint le marché du travail. À la suite de ces dernières, dans les années 60, les Italiens et les Grecs ont été acceptés dans les entreprises. Dans les années 70, les Noirs et les Chinois faisaient leur entrée. C'est ensuite, dans les années 80, que les Gais étaient acceptés. Maintenant, c'est à mon tour, au même titre que les Martiens qui surprendront également tout le monde en 2010 avec leur petites antennes et leur corps vert.

Sur un ton de plaisanterie, elle a ajouté :

« Les portes, je les ouvre, mais je peux aussi les défoncer.»

Elle nous a fait également part de son passage au sein de Forces canadiennes et nous a présenté une photo où elle était vêtue en soldat avant la transformation physique qu'elle a subi.

La discussion s'est poursuivie et Madame Montreuil nous a demandé où se situait le palais de justice car elle devait s'y rendre pour plaider sa cause en ce qui concerne le changement de nom qu'elle a demandé (c'est-à-dire de Michel Montreuil à Micheline Montreuil).

Elle nous a mentionné à ce sujet :

« Je les aurai à l'usure ... je suis tenace.»

L'entrevue s'est conclue sur une note d'humour de la part de Madame Montreuil.

Sachant que Josée Lecompte avait également été membre des Forces canadiennes, elle a terminé: On peut dire que l'Armée forme de belles et grandes femmes!

Étant donné les propos tenus par Madame Montreuil, nous croyons qu'il serait hasardeux de lui offrir un poste de représentant au service à la clientèle.

Lise Roy, Directrice d'équipe Josée Lecompte, Directrice d'équipe

Mme Roy et Mme Lecompte ont indiqué dans leur témoignage qu'en écrivant qu'il serait hasardeux d'offrir un poste à la plaignante, elles recommandaient en fait de ne pas l'embaucher.

[24] La plaignante s'est inscrite en faux contre la manière dont ses prétendues remarques ont été présentées dans le compte rendu. Elle a relevé dans le texte plusieurs erreurs qui font douter de l'exactitude des faits et des déclarations dont il fait état. Par exemple, il est possible que la plaignante ait parlé aux interrogatrices du litige en instance concernant sa requête visant à faire changer officiellement son nom, mais elle nie avoir jamais demandé comment se rendre au Palais de justice de Montréal. La plaignante a fait remarquer qu'elle est allée au Palais de justice de Montréal à de nombreuses reprises durant sa carrière d'avocate et qu'elle sait parfaitement où il se trouve. De plus, sa requête avait été déposée et présentée devant la Cour supérieure à Québec et non à Montréal. Elle a également fait observer que le nom qu'elle voulait faire modifier n'était pas Michel, comme l'indiquait le compte rendu, mais bien Pierre. La plaignante a indiqué que ces erreurs sont la preuve que le compte rendu ne rend pas compte fidèlement des observations qu'elle a formulées durant l'entrevue, laissant entendre qu'elle a été citée hors contexte.

[25] De même, la plaignante a présenté une version quelque peu différente du commentaire qu'elle aurait formulé au sujet de l'embauche de membres de diverses minorités visibles au sein du secteur bancaire. Elle a allégué que cette partie de la conversation a été beaucoup plus détaillée et qu'elle avait indiqué qu'au cours des 40 dernières années, un groupe minoritaire après l'autre avait réussi à s'intégrer dans l'industrie, malgré le mouvement de résistance initial attribuable à idées fausses et à des préjugés. Elle a soutenu que sa remarque à propos des Martiens qui pourraient un jour chercher eux aussi à s'y faire intégrer avait pour but d'illustrer, avec une pointe d'humour, comment les entreprises s'adaptent constamment aux besoins de divers groupes au sein de la société. La plaignante a souligné le fait que cette conversation a eu lieu durant l'entrevue libre - la partie de la rencontre que Mme Roy a qualifiée de bla-bla-bla entre femmes.

[26] La plaignante n'avait jamais vu ce compte rendu avant l'audience; en fait, l'intimée ne lui a divulgué le document qu'après qu'elle eut commencé son témoignage.

E. Communication à la plaignante du refus de l'embaucher

[27] Le 10 septembre 1998, soit exactement trois semaines après la troisième entrevue de la plaignante, l'intimée n'avait toujours pas communiqué avec cette dernière pour lui indiquer si elle était embauchée. Cependant, un événement très important dans la vie de la plaignante est survenu ce jour-là. La Cour supérieure du Québec a rendu un jugement confirmant la décision de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) de supprimer le nom de Micheline sur son permis de conduire. À l'insu de la plaignante et, en fait, avant qu'elle ait elle-même eu vent de la décision de la Cour, deux journaux de Québec ont publié le matin même des articles au sujet de la décision rendue. Dans le courant de la journée, d'autres journaux ainsi qu'une foule de stations de radio et de réseaux de télévision de diverses régions de la province ont communiqué avec elle. Elle s'est pliée à toutes les demandes d'interview. Elle jugeait important de présenter sa version des faits, sachant très bien que son état de personne transgenderiste qui, de surcroît, est avocat de profession prête facilement au sensationnalisme. Elle a également fait remarquer que les premiers articles de journaux qui ont paru ne présentaient pas son point de vue sur les questions soulevées et contenaient plusieurs erreurs importantes.

[28] La plaignante a dit qu'elle n'avait jamais communiqué auparavant avec la presse au sujet des procédures concernant son changement de nom, tout en soulignant qu'elle n'avait pas sollicité la couverture dont elle a fait l'objet à la suite de la publication de la décision le 10 septembre. Toutefois, elle a reconnu n'avoir refusé aucune demande d'interview des médias. D'autres articles ont été publiés à son sujet au cours du mois d'octobre 1998 et, le 7 octobre 1998, elle a fait la manchette du Journal de Montréal et du Journal de Québec. Elle a été interviewée dans le cadre de diverses émissions de télévision populaires ( Point J , JE en direct , etc.).

[29] Durant toute cette période, la plaignante n'avait toujours pas reçu de nouvelles de la part de l'intimée au sujet de sa demande d'emploi. Le 14 octobre, elle s'est rendue au siège social de l'intimée à la Place d'Armes, soit l'endroit où s'était tenue sa troisième entrevue, et a demandé à parler à Mme Roy. La plaignante s'est fait dire que Mme Roy n'était pas disponible et qu'elle recevrait par la poste une réponse le ou avant le 19 octobre. En dépit de ces assurances, la plaignante n'a reçu aucune correspondance de la part de l'intimée au cours du mois d'octobre. Entre-temps, elle a remarqué que l'intimée continuait de faire paraître dans le journal La Presse l'annonce qu'elle avait vue en mai à propos du recrutement de nouveaux employés pour son centre d'appels TelNat.

[30] Le 10 novembre 1998, la plaignante s'est rendue au centre de recrutement de l'intimée dans ses bureaux de la rue Metcalfe, où avaient eu lieu ses deux premières entrevues. On lui a fixé un rendez-vous en vue d'une rencontre avec Mme Girard plus tard cette semaine-là. Entre-temps, la plaignante a rédigé et livré à l'intimée une lettre de trois pages décrivant en détail chacune de ses interactions avec l'intimée depuis la présentation de sa demande d'emploi. À la fin de sa lettre, la plaignante demandait qu'on veuille bien lui indiquer où en était sa demande d'emploi. Elle affirmait, en termes non équivoques, qu'elle désirait travailler pour l'intimée. Elle se disait prête à occuper n'importe quel poste pour lequel elle avait les compétences voulues selon l'intimée, précisant qu'elle comprenait que la plupart des postes autres que ceux qui sont au niveau d'entrée sont comblés grâce au recrutement interne. Elle faisait remarquer que c'était précisément la raison pour laquelle elle souhaitait obtenir un poste chez l'intimée au niveau d'entrée, peu importe la faible rémunération qui s'y rattache.

[31] Lorsque la plaignante s'est présentée à son rendez-vous avec Mme Girard le 13 novembre, cette dernière lui a dit qu'une décision avait été prise et qu'elle recevrait une réponse écrite sous peu. En fait, la plaignante a effectivement reçu à son domicile une lettre de l'intimée en date du 6 novembre 1998, mais elle a soutenu ne pas l'avoir reçue avant le 18 ou 19 novembre. Dans sa lettre, l'intimée explique, dans deux courts paragraphes, qu'après avoir interviewé la plaignante, elle n'a malheureusement pas pu retenir sa candidature parce que ses compétences ne rencontraient pas les exigences du poste. Fait intéressant, la lettre est adressée à Monsieur Pierre Montreuil et non à Micheline Montreuil .

[32] La plaignante a été grandement offusquée par l'utilisation de ce nom, faisant valoir à l'audience que cela démontrait que la décision de l'intimée avait été influencée par la couverture médiatique dont elle avait fait l'objet. Dans tous les documents qu'elle avait présentés à l'intimée, elle n'avait jamais utilisé le prénom de Pierre - uniquement celui de Micheline . Cependant, la preuve a révélé qu'un rapport établi à la suite de la vérification d'antécédents effectuée par l'intimée au moment où la plaignante a présenté initialement sa demande d'emploi indiquait que son nom à la naissance était Pierre Montreuil . L'intimée a allégué qu'elle a simplement jugé opportun de s'adresser à la plaignante par son nom officiel, tel qu'il figurait dans les registres à l'époque. Je ne suis pas persuadé que l'usage du prénom de Pierre dans la lettre témoigne du désir de l'intimée d'insulter la plaignante, ou que cela prouve que sa décision de ne pas l'embaucher résultait de la publicité à son sujet.

[33] À la date du 4 mars 1999, la plaignante avait écrit à l'intimée pas moins de trois lettres demandant des nouvelles au sujet de sa demande d'emploi. Dans aucune de ces lettres, elle ne reconnaît avoir reçu la lettre de refus de l'intimée en date du 6 novembre 1998. La plaignante a affirmé dans son témoignage qu'elle n'avait jamais pensé que cette lettre lui était destinée puisqu'elle était adressée à Monsieur Pierre Montreuil. Le 16 mars 1999, la plaignante a reçu une autre lettre de l'intimée, signée celle-là par le vice-président (Ressources humaines), Santo Alborino. Cette lettre, qui était adressée précisément à Madame Micheline Montreuil, indiquait qu'une réponse lui avait déjà été transmise (la lettre du 6 novembre) et que, par conséquent, l'intimée considérait le dossier comme étant clos.

[34] Le 13 avril 1999, la plaignante a déposé la première version de sa plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. La Commission a initialement décidé que la plainte était inadmissible du fait que la plaignante ne l'avait pas fait enregistrer sous son nom légal, tel qu'il figurait à l'époque dans les registres. La plaignante a présenté une requête en contrôle judiciaire à la Cour fédérale et a obtenu gain de cause. La Cour a ordonné à la Commission d'admettre la plainte de la plaignante. Elle a également ordonné que la plainte soit rédigée en utilisant le nom de Joseph Yves Pierre Papineau Montreuil, connu sous le nom de Micheline Montreuil . La plainte dont je suis saisi et qui a été rédigée conformément à l'ordonnance a été signée et déposée auprès de la Commission le 4 septembre 2001. Le 15 avril 2003, le Tribunal a accordé la demande de la plaignante de modifier l'intitulé de cause afin de l'identifier uniquement sous le nom de Micheline Montreuil .

[35] Depuis le 3 juin 2002, la plaignante travaille comme agent des recouvrements d'impôt au centre d'appels du ministère du Revenu du Québec. Ses fonctions consistent à téléphoner aux contribuables qui ont des impôts impayés et à prendre des dispositions en vue du recouvrement des sommes dues. Aucun détail ne m'a été fourni quant aux emplois que la plaignante a pu occuper avant cette date.

III. CADRE JURIDIQUE

[36] En vertu de la Loi, le fait de refuser d'embaucher une personne en raison de son sexe (art. 3 et 7) constitue un acte discriminatoire. Dans Kavanagh c. Procureur général du Canada4, une affaire mettant en cause une transsexuelle au stade postopératoire, le Tribunal canadien des droits de la personne a statué que la discrimination fondée sur le transsexualisme constitue une discrimination sexuelle. Dans l'affaire Sheridan5 en Colombie-Britannique, qui avait trait à une transsexuelle au stade préopératoire, une conclusion similaire a été énoncée. Comme je l'ai déjà indiqué, l'intimée ne conteste pas le principe selon lequel le refus d'embaucher une personne en raison de son état de personne transgenderiste constitue une discrimination sexuelle.

[37] Il incombe, dit-on, à la partie plaignante d'établir l'existence d'une preuve prima facie de discrimination6. Dans ce contexte, la preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée. Une fois que l'existence d'une preuve prima facie de discrimination a été établie, il revient à la partie intimée de fournir une explication raisonnable de la conduite qui serait par ailleurs discriminatoire. Si une telle explication est présentée, la partie plaignante doit démontrer que celle-ci ne constitue qu'un prétexte et que la conduite de l'employeur était effectivement empreinte de discrimination7.

[38] Il n'est pas nécessaire que les considérations discriminatoires soient le seul motif des actes reprochés pour que la plainte soit jugée fondée. Il suffit que la discrimination ait été l'un des éléments qui ont motivé la décision de l'employeur8. La norme de preuve dans les affaires de discrimination est la prépondérance des probabilités.

[39] Dans Basi9, le Tribunal canadien des droits de la personne a affirmé que la discrimination s'exerce souvent de manière subtile. Il a ajouté que rares sont en fait les cas de discrimination où l'on peut démontrer grâce à une preuve directe que la discrimination est exercée à dessein. Le tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances afin de déterminer s'il existe de subtiles odeurs de discrimination .

[40] Dans le contexte de l'emploi, deux critères ont été élaborés dans la jurisprudence, servant à guider le tribunal dans la détermination de l'existence ou non d'une preuve prima facie de discrimination10. Le premier de ces critères a été défini dans Shakes c. Rex Pak Ltd11. Dans cette affaire, la commission d'enquête de l'Ontario a statué que, pour établir l'existence d'une preuve prima facie, il faut prouver :

  1. que le plaignant avait les compétences voulues pour l'emploi dont il s'agit;
  2. que le plaignant n'a pas été embauché;
  3. qu'une personne qui n'était pas plus compétente, mais qui ne présentait pas le trait distinctif à l'origine de la plainte en matière de droits de la personne, a obtenu le poste.

[41] Dans Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne12, le Tribunal canadien des droits de la personne a énoncé un deuxième critère qui s'applique aux situations où le plaignant a les compétences requises mais n'est pas embauché et où l'employeur continue de chercher un candidat compétent. Dans ces cas-là, il faut, pour établir l'existence d'une preuve prima facie, démontrer :

  1. que le plaignant appartient à l'un des groupes désignés dans la Loi;
  2. que le plaignant a posé sa candidature à un poste pour lequel il était compétent et que l'employeur désirait combler;
  3. que, même s'il était compétent, le plaignant a vu sa candidature rejetée;
  4. que, par la suite, l'employeur a continué de chercher des candidats possédant les compétences du plaignant.

[42] Dans plusieurs décisions subséquentes rendues par le TCDP, il est précisé que, bien que les critères énoncés dans les affaires Shakes et Israeli soient des guides utiles, aucun des deux ne devrait être appliqué d'office de manière rigide et arbitraire dans une affaire d'embauchage13. Il faut tenir compte des circonstances entourant chaque affaire pour déterminer s'il convient d'appliquer, en tout ou en partie, l'un ou l'autre critère.

IV. ANALYSE

A. Preuve prima facie

[43] La plaignante a postulé l'emploi en mai 1998. Si elle avait été embauchée, elle serait entrée en fonctions en même temps que de nombreuses autres nouvelles recrues qui devaient recevoir une formation d'environ une semaine en septembre et commencer à répondre à des appels peu de temps après. Il ne semble pas qu'il y avait un nombre déterminé de postes à pourvoir. Au contraire, l'intimée faisait passer régulièrement des annonces en vue de recruter de nouveaux employés de TelNat. Le taux de roulement annuel chez TelNat se situait entre 20 % et 30 %, d'où la nécessité pour l'intimée de chercher constamment à pourvoir des postes pour être en mesure de servir ses clients. De plus, TelNat prenait à l'époque de l'expansion, situation qui, peut-on présumer, exigeait la présence d'un nombre croissant de représentants au service à la clientèle. Par conséquent, bien que certains membres de la cohorte de candidats dont faisait partie la plaignante ont éventuellement été embauchés, l'intimée a continué par la suite de chercher d'autres candidats.

[44] Le critère Shakes semble s'appliquer aux cas où un plaignant rivalise avec d'autres candidats pour l'obtention d'un ou plusieurs postes particuliers. Cependant, il ne semble pas qu'il puisse s'appliquer aux situations permanentes de recrutement, étant donné que, peu importe si les personnes embauchées à un moment donné ne présentent pas le trait distinctif du plaignant, il existe d'autres postes à pourvoir, pour lesquels le plaignant pourrait être éventuellement embauché. En revanche, le critère Israeli, compte tenu de son quatrième élément, s'applique aux situations où l'employeur continue de chercher des candidats. Par conséquent, le critère Israeli est mieux adapté aux faits dont je suis saisi. Aussi, je suivrai aux fins de mon analyse les étapes qu'il implique.

B. Appartenance de la plaignante à un des groupes désignés

[45] Comme je l'ai déjà mentionné, il n'est pas contesté en l'espèce qu'à titre de personne transgenderiste au stade préopératoire, la plaignante appartenait au groupe contre lequel il est interdit en vertu de la Loi d'exercer une discrimination fondée sur le sexe.

C. La plaignante s'est portée candidate à un poste que l'employeur désirait pourvoir et possédait les compétences voulues

[46] La plaignante a posé sa candidature à un poste que l'intimée souhaitait à coup sûr pourvoir. L'intimée avait mis sur pied une campagne permanente de recrutement d'agents de TelNat, et la plaignante a cherché à se faire embaucher à titre d'agent. Avait-elle les compétences nécessaires pour occuper le poste?

[47] La plaignante avait franchi la première étape du processus de sélection. Même si sa fiche de synthèse précisait qu'il fallait vérifier son émotivité et sa désirabilité sociale lors de la dernière entrevue, il y était également mentionné que sa candidature ne saurait être rejetée en raison strictement de ces éléments. La plaignante a été priée par la suite de se soumettre, exceptionnellement, à une deuxième entrevue - dite intermédiaire . Elle a également franchi cette étape.

[48] L'intimée a donné à entendre à l'audience que la plaignante n'avait pas une expérience suffisante de la vente et du service à la clientèle, ce qui était une condition fondamentale selon l'annonce publiée dans les journaux. Les faits ne confirment pas cette prétention. Sa connaissance de la vente résidait dans son expérience des affaires, qu'elle avait acquise principalement en exploitant un restaurant. Cette information était fournie dans les deux premières versions du curriculum vitæ qu'elle a transmises à l'intimée par courrier au début de mai 1998, et était répétée dans la version plus complète du document qui a été remise à l'intimée en juillet lors de la deuxième entrevue. De plus, aucun des documents d'évaluation de la plaignante ne fait état d'une faiblesse dans ce domaine. Au contraire, on trouve dans les notes manuscrites que Mme Cloutier a prises lors de la deuxième entrevue la mention suivante : vente = OK . Les dossiers de l'intimée confirment que la plaignante répondait également aux deux autres exigences minimales énoncées dans l'annonce, soit être titulaire d'un diplôme d'études collégiales et être bilingue.

[49] Dans le rapport préparé après la troisième entrevue, Mme Lecompte et Mme Roy ont indiqué que la plaignante avait démontré qu'elle était en mesure de suivre la formation dispensée par l'intimée et d'occuper le poste de représentant au service à la clientèle de TelNat. Selon Mme Roy, le poste exigeait que les candidats puissent suivre toute la formation nécessaire afin d'être en mesure de bien répondre aux demandes des clients. Mme Roy a affirmé dans son témoignage que la plaignante avait sans aucun doute les compétences nécessaires pour exécuter toutes ces tâches. Les préoccupations exprimées par Mme Roy et Mme Lecompte en ce qui touche la candidature de la plaignante résidaient plutôt dans le fait qu'elle était surqualifiée pour le poste. À leur avis, les employés surqualifiés ont plus tendance à perdre leur motivation et, partant, à en venir à fournir un piètre rendement ou à quitter prématurément leur emploi.

[50] Si le plaignant ou la plaignante est surqualifié, cela signifie-t-il qu'il ou elle n'est pas compétent aux fins de la satisfaction du deuxième élément du critère Israeli? Je ne crois pas. Il semble contre-intuitif de s'attendre à ce que la plaignante, à laquelle incombe le fardeau de démontrer qu'elle avait les compétences voulues pour le poste convoité, fasse montre d'une certaine retenue dans la présentation de la preuve relative à ses compétences, par crainte de franchir un Rubicon imaginaire au-delà duquel elle sera soudainement réputée être surqualifiée et, partant, pas qualifiée du tout.

[51] À mon avis, une fois que la plaignante a établi qu'elle avait les compétences voulues pour occuper le poste, et dans l'hypothèse où l'existence d'une preuve prima facie a été établie à tous autres égards, il devrait alors incomber à l'employeur de démontrer, dans son explication, que la plaignante était surqualifiée pour le poste et que, par conséquent, son refus de l'embaucher était justifié. Par ailleurs, du point de vue pratique, l'employeur serait certes mieux placé pour démontrer en quoi la plaignante est surqualifiée pour le poste - mieux placé que la plaignante ne l'est pour démontrer qu'elle n'est pas surqualifiée. Par exemple, dans le cas qui nous occupe, la preuve révèle que la plupart des employés de TelNat sont des étudiants d'université. Un certain nombre d'agents sont titulaires d'un baccalauréat, et le centre d'appels a compté dans son effectif au moins un titulaire de maîtrise. M. Alborino a déclaré dans son témoignage qu'il était possible selon lui que TelNat ait déjà eu à son service des titulaires de doctorat. Comment peut-on alors s'attendre à ce que la plaignante démontre qu'elle n'est pas surqualifiée alors que, compte tenu de ces faits, il n'y a pas de point vraiment apparent au-delà duquel un candidat devient surqualifié pour occuper un poste chez TelNat?

[52] En ce qui concerne le deuxième élément du critère Israeli, je conclus donc que la plaignante a postulé un poste que l'intimée désirait pourvoir et qu'elle avait les compétences nécessaires.

D. La plaignante était compétente, mais sa candidature a été rejetée

[53] L'intimée a rejeté la candidature de la plaignante, bien que plusieurs mois se soient écoulés avant qu'elle soit officiellement informée de sa décision.

E. L'employeur continue de chercher des candidats ayant les compétences de la plaignante

[54] L'intimée a continué tout au cours de 1998 et après le début de 1999 de publier ses annonces en vue de recruter des représentants au service à la clientèle chez TelNat. Le taux de roulement annuel de 20 % à 30 % nécessitait un renouvellement continu du personnel. Toutes les annonces de l'intimée étaient presque identiques et n'ont comporté aucun changement en ce qui touche les compétences professionnelles nécessaires. Par conséquent, je suis convaincu que l'intimée a continué de chercher des candidats ayant les mêmes compétences que celles que possédait la plaignante.

[55] Toutes les conditions d'application du critère Israeli étant remplies, je conclus que la plaignante a établi l'existence d'une preuve facie case de discrimination.

F. Explication de l'intimée

[56] Essentiellement, l'intimée a présenté trois explications pour justifier sa décision de ne pas embaucher la plaignante.

  1. la plaignante était surqualifiée pour le poste.
  2. l'attitude de la plaignante au cours de la dernière entrevue n'était pas celle d'une personne désireuse de servir le public, mais plutôt celle d'une personne condescendante et centrée sur elle-même.
  3. la véritable motivation de la plaignante était de décrocher le poste afin de promouvoir les droits des personnes transgenderistes.

[57] L'intimée a soutenu qu'elle n'aurait en aucune circonstance embauché la plaignante parce qu'elle était surqualifiée. Elle a fait valoir que les employés dont le bagage de connaissances et de compétences est trop grand par rapport aux exigences du poste sont plus susceptibles de perdre intérêt à l'égard de leur travail et de fournir un piètre rendement, ou même de quitter carrément leur emploi. L'intimée ne pouvait se permettre de se placer dans une telle situation, étant donné les coûts qu'implique la formation d'un employé au centre d'appels TelNat, sans parler des difficultés opérationnelles qu'entraîne la perte soudaine d'un employé.

[58] Cette explication semble raisonnable; toutefois, je conclus, pour les raisons énoncées ci-après, qu'elle n'est en fait qu'un prétexte. Au cours de toutes les entrevues qu'elle a subies, la plaignante a répondu directement aux préoccupations de l'intimée à l'égard de sa stabilité éventuelle. La plaignante a déclaré à plusieurs reprises qu'elle désirait faire un changement dans sa vie, qu'elle déménagerait à Montréal à cette fin et qu'elle demeurerait en poste aussi longtemps qu'on le voudrait (pendant même deux ou trois ans) avant de chercher à obtenir de l'avancement. L'intimée a reconnu que, dans les faits, de nombreux employés de TelNat réussissent à obtenir de l'avancement au sein de la banque.

[59] En outre, dans l'hypothèse où la plaignante était vraiment susceptible de quitter prématurément son emploi, comme l'affirme l'intimée, pareil résultat n'aurait pas été extraordinaire. La plupart des agents au centre d'appels TelNat sont des étudiants, et un bon nombre d'entre eux restent généralement en poste moins de deux ans. En fait, le taux de roulement annuel de 20 % à 30 % indique qu'un grand nombre des employés, voire la majorité, ne demeurent pas en poste longtemps. Mme Roy a dit lors de son témoignage que, dans le cas d'un employé du centre d'appels, une période de 24 mois est considérée comme une longue période de service.

[60] La plaignante était pleinement consciente des tâches, si modestes soient-elles, qui sont exécutées dans un centre d'appels de première ligne. Néanmoins, il était évident qu'elle cherchait délibérément à obtenir cet emploi afin d'opérer un changement dans sa vie, dans l'espoir, voire dans l'attente, qu'une personne de sa compétence réussirait éventuellement à gravir les échelons dans l'entreprise. Après tout, les annonces que l'intimée faisait paraître dans les journaux précisaient clairement que les employés auraient la possibilité de suivre un plan de carrière à la hauteur de leurs compétences. M. Alborino a précisé dans son témoignage que la plupart des postes à doter, à l'exception de ceux aux niveaux d'entrée inférieurs, sont comblés grâce au recrutement interne. Si les efforts de recrutement à l'interne ne portent pas fruit, un concours externe est mis sur pied. La plaignante a démontré dans sa preuve qu'elle était consciente qu'il existait de telles possibilités d'avancement et qu'elle avait abordé cette question lors de sa conversation avec les interrogatrices.

[61] Par conséquent, compte tenu de l'engagement déclaré de la plaignante à demeurer en poste au moins aussi longtemps qu'il le faudrait pour répondre à toutes les attentes de l'employeur à cet égard, pourquoi l'intimée ne l'a-t-elle pas prise au mot?

[62] La réponse réside dans la troisième explication fournie par l'intimée pour justifier le rejet de la candidature de la plaignante. D'après les témoignages de Mme Roy, de Mme Lecompte et de Mme Cloutier, il est évident qu'elles avaient de la difficulté à comprendre pourquoi une personne possédant les titres de compétence de la plaignante opterait pour un poste au niveau d'entrée. Comme l'a dit Mme Lecompte, elle était perplexe face à la décision de la plaignante. Cette dernière devait être animée d'un autre motif. Mme Roy et Mme Lecompte ont pensé avoir trouvé la réponse au cours de la conversation informelle qui a eu lieu à la fin de l'entrevue. En entendant les commentaires de la plaignante au sujet des progrès réalisés par les groupes minoritaires durant le dernier siècle, ainsi que sa déclaration voulant qu'elle soit une personne tenace prête à défoncer des portes, Mme Roy et Mme Lecompte ont conclu que sa véritable motivation était la promotion des droits des personnes transgenderistes. Il y a lieu de souligner que les interrogatrices ont décidé de terminer le compte rendu en disant qu'il serait hasardeux d'embaucher la plaignante, compte tenu des propos tenus et non en raison de ses compétences.

[63] En fait, Mme Roy a affirmé dans son témoignage qu'après avoir entendu ces commentaires, elle a conclu que si la plaignante désirait obtenir un poste au niveau d'entrée, c'était en fait parce qu'elle voulait devenir une pionnière dans la promotion du transgenderisme. Mme Roy a ajouté que l'intimée ne recrute pas d'employés pour leur permettre de mener une croisade . Cependant, les deux interrogatrices ont reconnu que la plaignante n'avait jamais dit qu'elle était animée d'une intention du genre. Dans leur compte rendu, il est précisé que la plaignante leur avait dit qu'elle se considérait une ambassadrice de son type , mais Mme Lecompte a admis à l'audience que c'est elle-même qui lui avait prêté ces propos et que la plaignante n'avait jamais fait une telle affirmation.

[64] De surcroît, elles n'ont jamais fait part directement de leurs préoccupations à la plaignante afin que celle-ci puisse y réagir. La plaignante n'a jamais été interrogée au sujet de ses véritables motifs ou si elle avait l'intention de se servir de son poste comme outil de promotion. J'accepte l'explication de la plaignante au sujet de ses commentaires relatifs aux progrès accomplis par divers groupes minoritaires au sein de la société. Dans le cours de la conversation portant sur des sujets légers - le bla-bla-bla -, la plaignante a voulu souligner, sur un ton badin, qu'il était opportun que l'intimée permette à des personnes transgenderistes de se joindre à son effectif, de la même façon qu'on avait ouvert la porte à d'autres par le passé.

[65] M. Alborino, en sa qualité de vice-président (Ressources humaines) de l'intimée, a abordé dans le même sens que Mme Roy et de Mme Lecompte. À son avis, la plaignante était en quête d'une espèce de plate-forme pour promouvoir des intérêts personnels, et il a affirmé lors de son témoignage qu'une telle activité n'avait pas sa place au sein de la banque. Toutefois, lorsqu'on a insisté pour obtenir des éclaircissements, ni lui ni aucun autre des témoins n'a été en mesure d'expliquer de façon satisfaisante comment un agent du centre d'appels dont les fonctions consistent à répondre aux appels des clients de la banque à propos de ses succursales, des soldes bancaires, etc., pourrait se servir de son poste pour promouvoir les droits des personnes transgenderistes. Personne n'a donné à entendre, par exemple, que la plaignante pourrait entraîner des clients dans des conversations portant sur les droits des personnes transgenderistes. Les inquiétudes de l'intimée avaient trait essentiellement, semble-t-il, à sa motivation à l'égard du poste; alors que l'intérêt des autres employés de TelNat, notamment des étudiants d'université, était présumément de toucher un salaire en retour du travail accompli, l'intérêt de la plaignante devait se situer ailleurs.

[66] Je trouve cette prétention inquiétante. En supposant que la plaignante attache vraiment de l'importante au fait qu'elle puisse devenir la première personne s'affichant ouvertement comme transgenderiste à être embauchée par l'intimée ou même par une autre banque canadienne, doit-on pour autant mettre en doute son engouement pour le poste ainsi que sa sincérité? Si la cause des droits de la personne a pu progresser au fil du temps, c'est grâce aux initiatives des nombreux individus qui ont forcé les barrières au prix d'immenses efforts et sacrifices. On peut penser ici à l'accès à certaines écoles ou au droit de s'asseoir sur les banquettes avant d'un autobus. Leur motivation principale dans ces cas-là a peut-être été de mettre un terme à la discrimination, mais est-ce qu'il faut nécessairement en conclure que ces gens-là n'étaient pas intéressés également à s'instruire ou à traverser la ville?

[67] Si, en fait, on suit le raisonnement présenté, seul un membre du groupe désigné (les personnes transgenderistes, en l'occurrence) ne peut être embauché par l'intimée, étant donné que la probabilité est que ce serait ce même membre qui célébrerait sa victoire ou qui s'en vanterait. En appliquant un tel raisonnement, l'intimée a effectivement tenu compte, dans sa décision de ne pas embaucher la candidate, de son appartenance au groupe désigné. Il va sans dire qu'un candidat semblable qui ne présenterait pas le trait distinctif qui caractérise la plainte relative aux droits de la personne, ne serait pas privé pour ce motif de la même possibilité d'emploi. Ce qui est plus inquiétant en l'espèce, c'est que la décision de l'intimée a été fondée strictement sur sa perception que la plaignante adopterait un comportement qu'elle considérait inacceptable, sans jamais avoir vérifié cette perception en interrogeant directement la plaignante à ce sujet.

[68] Pour toutes ces raisons, je suis persuadé que le sexe de la plaignante a joué dans la décision de l'intimée de refuser de lui offrir le poste chez TelNat.

[69] L'intimée a fait valoir que la plaignante n'aurait pas été embauchée de toute façon en raison du ton suffisant et condescendant que les interrogatrices avaient perçu au cours de la première partie - soi-disant formelle - de l'entrevue. Cependant, je ne suis pas persuadé que cette conclusion était fondée strictement sur les observations recueillies durant la première partie de l'entrevue. Mme Roy a indiqué dans son témoignage qu'elle en était venue à cette conclusion en raison notamment des commentaires de la plaignante relativement aux changements qu'elle avait apportés à son apparence physique ainsi que de ses remarques à propos de ses antécédents militaires. Mme Roy a également fait état de la photographie d'elle-même vêtue en soldat, prise avant sa transformation physique, que la plaignante a présentée. Tout cela s'est produit durant la partie informelle de l'entrevue.

[70] Mme Roy a expliqué que le problème avec les agents du centre d'appels qui sont centrés sur eux-mêmes et qui aiment s'entendre parler est qu'ils engagent parfois des conversations futiles qui leur font perdre du temps ainsi qu'aux clients. Cependant, il semble que cette tendance n'ait pas empêché d'autres personnes d'être embauchées au centre d'appels. Mme Roy a souligné qu'elle doit occasionnellement travailler sur cet aspect avec certains de ses employés. Le fait que ces personnes soient néanmoins employées par TelNat nous amène à nous demander si cette explication de l'intimée quant à son refus d'embaucher la plaignante ne constitue qu'un prétexte.

[71] Cependant, il n'importe pas en fin de compte que l'explication fournie soit considérée ou non comme un prétexte. J'ai déjà conclu que la discrimination était un élément sous-jacent aux deux autres explications fournies. Le fait que, comme le prétend l'intimée, le principal motif du refus d'embaucher la plaignante était la prétendue tendance à être centré sur soi-même est sans importance. Comme l'a souligné la Cour d'appel fédérale dans Cranston c. Canada14, la notion de cause immédiate n'est aucunement pertinente en vertu de la Loi. Pour conclure à la discrimination, il suffit que la discrimination ait été un des motifs de la décision de l'employeur; il n'est pas nécessaire que ce soit le seul et unique motif15.

[72] Bien que j'aie conclu que la conduite de l'intimée était discriminatoire, je ne crois pas que ses représentants aient eu quelque intention d'exercer une discrimination à l'endroit de la plaignante. Au contraire, je n'ai aucune raison de douter de leur prétendu esprit d'ouverture à l'égard de son état de personne transgenderiste. Cependant, il est bien établi en droit que l'intention d'exercer une discrimination n'est pas une condition préalable pour conclure à la discrimination16.

[73] En résumé, je suis persuadé, au regard de l'ensemble de la preuve, que la décision de l'intimée de ne pas embaucher la plaignante comme agente au centre d'appels TelNat a été influencée, du moins en partie, par des considérations discriminatoires liées au sexe. Par conséquent, le Tribunal fait droit à la plainte.

V. REDRESSEMENT

[74] Durant l'audience, la plaignante a demandé que le Tribunal se prononce uniquement sur la question de la responsabilité à ce moment-ci. Dans le cas où il conclurait à la responsabilité, le Tribunal conserverait sa compétence pour entendre ultérieurement la preuve et les arguments des parties sur la question du redressement. L'intimée ne s'étant pas opposée à cette requête, j'y ai fait droit. Compte tenu de ma présente conclusion, à savoir que la plainte est fondée, je conserve ma compétence à l'égard de toute mesure de redressement à laquelle la plaignante peut avoir droit en vertu de la Loi. Si elles ne peuvent parvenir à une entente à ce sujet, les parties peuvent communiquer avec le greffe du Tribunal afin qu'il puisse fixer de nouvelles dates d'audience.

Signée par


Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)

Le 5 février 2004

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T795/4503

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Micheline Montreuil c. Banque nationale du Canada

DATE ET LIEU DE LA CAUSE :

Du 18 au 22 août 2003

Montréal (Québec)

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL :

Le 5 février 2004

ONT COMPARU :

Micheline Montreuil

En son propre nom

Céline Harrington

Pour la Commission canadienne des droits de la

personne

André Giroux

Pour l'intimée

1Montreuil c. Directeur de l'état civil, REJB 2002-35333, [2002] J.Q. no 5004 (C.A.Q.) (QL).

2 bid.

3 (1999), 33 C.H.R.R. D/467, par. 92 (T.D.P.C.-B.). Voir aussi Kavanagh c. Procureur général du Canada (2001), C.H.R.R. D/119, par. 11 à 18 (T.C.D.P.).

4 Ibid.

5 Ibid.

6 Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, par. 28 [ O'Malley ].

7 Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (no 1) (1988), 9 C.H.R.R. D/5029, par. 38474 (T.C.D.P.); Singh c. Canada (Statistique Canada) (1998), 34 C.H.R.R. D/203, par. 162 (T.C.D.P.), confirmée [2000] A.C.F. no 417 (C.F., 1re inst.) (QL); Premakumar c. Air Canada, [2002] D.C.D.P., par. 78 (T.C.D.P.) (QL).

8 Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12, par. 7, (C.A.F.); Pitawanakwat c. Canada (Secrétariat d'État) (1992), 19 C.H.R.R. D/10, par. 85 (T.C.D.P.).

9 Précitée, note 7, par. 38481.

10Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2003 C.F. 1156.

11 (1981), 3 C.H.R.R. D/1001, par. 8918 (comm. d'enq. de l'Ont.).

12 (1983), 4 C.H.R.R. D/1616, p. 1618 (T.C.D.P.), confirmée (1984), 5 C.H.R.R. D/2147 (T.C.D.P. - Tribunal d'appel).

13 Singh, précitée, note 7, par. 161 (T.C.D.P.); Premakumar, précitée, note 7, par. 77; Martin c. Bande de Saulteaux [2002] D.C.D.P. no 4, par. 27 (TCDP) (QL); International Longshoremen & Warehousemen Union (Section maritime), section locale 400 c. Oster [2002] 2 CF 430, par. 33 à 35 (C.F., 1re inst.).

14 [1995] A.C.F. no 1719, par. 10 (C.A.F.).

15 Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) c. Lang, [1991] 3 C.F. 65, par. 2 (C.A.F.).

16 O'Malley, précitée, note 6, par. 14; Chopra c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 787, par. 62.

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