Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

BRUCE TWETEN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

RTL ROBINSON ENTERPRISES LTD.

l'intimée

MOTIFS DE DÉCISION

2005 TCDP 8
2005/02/11

MEMBRE INSTRUCTEUR : Shirish P. Chotalia

[TRADUCTION]

I. INTRODUCTION

II. LA PLAINTE DE DISCRIMINATION - LE 25 AOÛT 1997

III. LES FAITS 2

IV. LE FONDEMENT DE MES CONCLUSIONS QUANT AUX FAITS

A. Témoins profanes

B. Les conversations téléphoniques enregistrées

C. Le Dr Seto

V. LES QUESTIONS EN LITIGE

VI. LE DROIT

A. Le droit en matière des droits de la personne

VII. ANALYSE

A. Le défaut d'établir la preuve prima facie et le manquement par le plaignant à l'obligation de faciliter l'accommodement

I. INTRODUCTION

[1] Le plaignant, M. Bruce J. Tweten, a commencé à travailler pour l'intimée, RTL Robinson Enterprises Ltd. (RTL), le 13 novembre 1995. Au départ, il était apprenti journalier. Il a quitté RTL pendant une période et il a été engagé de nouveau en tant que mécanicien de machinerie lourde le 13 juin 1996.

[2] RTL exploite une entreprise de camionnage et son siège social est situé à Yellowknife dans les Territoires du Nord-Ouest. RTL a une succursale à Edmonton, en Alberta, qui a un service de camionnage qui ramasse, charge et transporte des marchandises. La succursale d'Edmonton comprend un service de réparation mécanique dans lequel M. Tweten réparait de l'équipement lourd.

[3] Malheureusement, alors qu'il travaillait chez RTL, M. Tweten s'est blessé au dos.

II. LA PLAINTE DE DISCRIMINATION - LE 25 AOÛT 1997

[4] M. Tweten s'est blessé au dos alors qu'il réparait une remorque le 25 août 1997. Il a commencé à souffrir de maux de dos. M. Tweten a consulté son médecin, le Dr Seto, le lendemain. Il a alors présenté une demande à la commission de l'indemnisation des accidentés du travail (la WCB). Cette demande a été acceptée par la WCB compte tenu de sa blessure au dos et il a commencé à recevoir des prestations de la WCB le 26 août 1997.

[5] M. Tweten s'est ensuite rendu à un centre de réadaptation et il a fait l'objet d'une évaluation par un orthopédiste. Le 14 novembre 1997, la WCB a conclu que M. Tweten était capable d'effectuer un travail [TRADUCTION] modifié et en a informé M. Art Brochu en répondant aux préoccupations de RTL se rapportant aux contributions de l'employeur. La WCB n'a pas fourni d'autres détails à M. Brochu à l'égard de l'état de M. Tweten. La lettre à cet égard n'énonce pas les limites physiques ou les capacités de M. Tweten, les fonctions modifiées ou les autres fonctions qu'il pourrait occuper.

[6] Conformément à son évaluation, la WCB a mis fin aux prestations de M. Tweten en date du 17 décembre 1997. Le gestionnaire de cas de la WCB était d'avis que la douleur dont M. Tweten se plaignait était subjective et que la WCB ne pouvait lui offrir d'autres traitements pour l'aider à l'égard de sa blessure étant donné qu'il avait participé sans succès à deux programmes de réadaptation. M. Tweten a contesté la décision à cet égard et il a finalement réussi à obtenir de nouveau des prestations de la WCB pour la période du 18 décembre 1997 au 2 juillet 1999.

[7] M. Tweten prétend que lorsqu'il a été mis fin aux prestations de la WCB, il pouvait soulever un poids maximal de 50 livres. Il prétend qu'il a informé RTL de cette limite physique et qu'il a demandé à Art Brochu de lui donner du travail léger à effectuer. Il prétend que RTL a refusé cette demande et qu'elle permettait qu'il reprenne son travail que s'il était capable de travailler à cent pour cent de ses capacités physiques et que s'il pouvait effectuer cent pour cent de ses fonctions. Il prétend que RTL a catégoriquement refusé de lui donner du travail modifié et qu'elle a plutôt mis fin à son emploi.

III. LES FAITS

[8] En décembre 1997, après que la WCB l'eut informé qu'il serait mis fin à ses prestations, M. Tweten a communiqué avec M. Brochu pour lui demander de lui donner du travail léger à effectuer afin qu'il recommence à travailler. M. Brochu l'a informé qu'il n'existait pas de programme de travail léger pour un mécanicien d'équipement lourd. M. Brochu lui a dit qu'il exigeait qu'il lui fournisse une lettre de son médecin exposant ses limites physiques et le travail qu'il pouvait effectuer sans se blesser de nouveau. M. Brochu lui a dit qu'après qu'il aurait cette lettre, il établirait si RTL pouvait modifier un programme de travail pour lui. M. Tweten n'a jamais fourni une telle lettre à RTL. Il n'a pas non plus précisé à M. Brochu qu'il était capable de soulever un poids maximal de 50 livres.

[9] M. Tweten n'était pas content de cette proposition et il a présenté une demande de prestations d'invalidité de longue durée (LTD) le 26 janvier 1998 auprès d'UNUM Canada. Il a demandé à RTL de lui fournir la documentation nécessaire pour remplir sa demande de LTD et RTL a coopéré avec lui en fournissant à UNUM Canada les renseignements et les formulaires demandés. M. Tweten avait reçu des prestations intérimaires d'UNUM Canada du 26 août 1997 au 24 décembre 1997. Par la suite, UNUM Canada a refusé de lui verser d'autres prestations parce qu'il n'avait pas démontré qu'il était incapable d'effectuer chacune des fonctions importantes de son travail au cours de ce délai de carence de 120 jours.

[10] Entre-temps, le 6 février 1998, M. Brochu a téléphoné à M. Tweten et lui a demandé de venir à son bureau pour discuter de ce qui peut constituer un travail léger pour un mécanicien d'équipement lourd. M. Tweten était sur la défensive et a refusé de coopérer avec lui. M. Brochu lui a demandé de remettre la clé de l'entreprise qu'il avait encore en sa possession. M. Tweten a mentionné que son père rapporterait la clé le 16 février 1998.

[11] Le 13 février 1998, M. Brochu était à Calmar, en Alberta, où M. Tweten résidait. Il lui a téléphoné et lui a demandé de le rencontrer pour prendre un café. M. Tweten a refusé de le rencontrer ou de remettre la clé. M. Tweten a donné la clé à la GRC et il a dit à la GRC d'informer RTL qu'il ne voulait plus entendre parler de nouveau de RTL à moins que ce soit par écrit.

[12] Après cet incident, et compte tenu du fait que M. Tweten était allé chercher ses outils sur le site de travail de RTL en soirée en janvier 1998, RTL a jugé que les actions de M. Tweten équivalaient à ce qu'il ait quitté son emploi. RTL a par la suite rempli un dossier d'emploi selon lequel M. Tweten avait cessé de travailler pour RTL à compter du 1er septembre 1997.

[13] En résumé, M. Brochu a demandé à plusieurs reprises à M. Tweten de lui fournir un avis de son médecin mentionnant expressément le type de travail que M. Tweten était capable d'effectuer. Par la suite, il devait établir, le cas échant, les mesures d'accommodement que RTL pouvait prendre pour M. Tweten. En dépit de nombreuses demandes pour obtenir une lettre contenant un tel avis, M. Tweten n'a fourni à aucun moment à M. Brochu ou à quiconque à RTL une lettre comportant un avis médical ou d'autres renseignements exposant ses limites physiques.

[14] Bien que M. Tweten ait fourni à l'agent de RTL une autorisation d'accès à ses dossiers de la WCB, cette autorisation n'a été utilisée par RTL que pour traiter des questions de recouvrement de coûts devant la commission d'appel de la WCB et non pour vérifier son dossier pour obtenir des renseignements médicaux quant à ses limites physiques. Cette autorisation énonce expressément que la compagnie qui agit comme agent de RTL peut consulter le dossier afin de représenter les intérêts de RTL aux fins précédemment mentionnées. RTL n'avait pas demandé une autorisation à d'autres fins et n'avait pas non plus accès au dossier de la WCB à d'autres fins.

IV. LE FONDEMENT DE MES CONCLUSIONS QUANT AUX FAITS

[15] Les fondements de mes conclusions quant aux faits sont exposés ci-après.

A. Témoins profanes

[16] Étant donné que les événements se sont produits il y a de nombreuses années, et parce qu'il y a une contradiction entre les témoignages rendus de vive voix par les témoins, j'accorde plus d'importance à la lettre du 18 février 1998 d'Art Brochu à Christine Papenhuyzen1. Une copie de cette lettre a été remise à M. Tweten, mais il n'en a pas contesté le contenu par écrit à ce moment. J'estime que cette lettre contient la meilleure preuve à l'égard des événements qui sont survenus à l'époque pertinente. De plus, lorsqu'il y a une contradiction entre le témoignage de M. Tweten et celui de M. Art Brochu, un ancien employé de RTL qui travaillait en tant que gérant de la sécurité au cours des périodes pertinentes, je préfère le témoignage de ce dernier qui est le témoin de RTL. J'estime que M. Brochu est un témoin franc et direct. J'estime qu'il a agi de façon raisonnable dans ses relations avec M. Tweten tant avant qu'après la blessure au dos d'août 1997. Après que M. Tweten a été blessé et qu'il a été mis fin aux prestations de la WCB, il n'a pas informé M. Tweten qu'il ne pouvait pas recommencer à travailler. Au contraire, il a essayé de le rencontrer pour discuter de la situation. En outre, il ne travaille pas actuellement pour RTL et il a fourni un récit indépendant des événements qui étaient survenus. De plus, son témoignage est demeuré le même au cours du témoignage principal et du contre-interrogatoire.

[17] Inversement, j'estime que le témoignage de vive voix de M. Tweten n'est pas digne de foi compte tenu de nombreux facteurs. Premièrement, il avait un intérêt plus personnel dans la plainte. Il était sur la défensive et il avait une mémoire limitée quant aux événements pertinents. Son témoignage n'était pas logique quant à des points importants. Par exemple, il a témoigné qu'il a demandé au Dr Seto de lui fournir une lettre exposant ses limites physiques (contrairement au témoignage et aux notes du Dr Seto), mais il n'a pas expliqué de façon satisfaisante pourquoi il n'avait jamais fourni une telle lettre à RTL. Un autre exemple est qu'il a témoigné qu'il ne comprenait pas pourquoi il devait remettre les clés de l'entreprise à RTL après une absence de 6 mois. Il n'a pas non plus fourni une explication logique quant à la raison pour laquelle il n'avait enregistré que certaines des conversations qu'il avait eues avec M. Brochu.

B. Les conversations téléphoniques enregistrées

[18] M. Tweten a enregistré certaines conversations téléphoniques qu'il a eues avec M. Brochu entre le 14 janvier 1998 et le 2 février 1998 et il a déposé les transcriptions de ces conversations comme pièces. J'estime que ces conversations avaient été délibérément engagées par M. Tweten pour obtenir une réponse précise de M. Brochu, à savoir que M. Tweten souhaitait enregistrer une déclaration de M. Brochu selon laquelle il exigeait que M. Tweten puisse effectuer cent pour cent de ses fonctions avant qu'il puisse recommencer à travailler. Je remarque qu'en dépit d'une telle déclaration, M. Brochu confirme qu'il exige une note du médecin de M. Tweten déclarant qu'il était apte à recommencer à travailler. Je n'estime pas que ces conversations soient utiles et je ne leur accorde aucune importance.

C. Le Dr Seto

[19] J'ai de sérieuses réserves à l'égard de l'indépendance du Dr Seto. Au moins l'un des rapports médicaux du Dr Seto mentionne des éléments qui ne sont pas inscrits dans ses notes au dossier. Bien que je lui aie donné la directive d'apporter son dossier original à l'audience afin que l'avocat de RTL puisse l'examiner, le Dr Seto n'a pas suivi cette directive. Par la suite, il a informé la formation du Tribunal qu'il ne pouvait pas trouver le dossier et il a par conséquent évité de déposer le dossier aux fins d'examen par l'avocat de RTL. Le Dr Seto a témoigné à l'égard d'événements qui n'étaient pas inscrits dans ses notes. Il s'est contredit à plusieurs reprises. Dans l'ensemble, j'ai estimé qu'il avait été vague et qu'il n'était pas digne de foi. Même M. Tweten a reconnu que le Dr Seto était réceptif à des suggestions et il partageait mon opinion selon laquelle je ne pouvais accorder aucune importance à son témoignage2. En outre, je n'accorde aucune importance à son dossier et je mets en doute l'authenticité et la fiabilité de ce dossier.

V. LES QUESTIONS EN LITIGE

[20] Sur le fondement de mes conclusions quant aux faits, je vais traiter maintenant des questions de droit qui sont soulevées.

[21] La compétence du Tribunal résulte de la plainte de M. Tweten datée du 9 septembre 1998. Le point crucial de la plainte de M. Tweten porte sur la décision factuelle de savoir si RTL a refusé de prendre des mesures d'accommodement quant à sa blessure au dos.

[22] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. RTL a-t-elle fait preuve de discrimination à l'endroit de M. Tweten en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne3?
  2. Si la réponse à cette question est affirmative, RTL a-t-elle établi un moyen de défense fondé sur l'exigence professionnelle justifiée (EPJ) en vertu de l'alinéa 15a) de la Loi? RTL a-t-elle refusé de prendre à son endroit des mesures d'accommodement comme la Loi l'exige?
  3. Si RTL a manqué à son obligation de prendre des mesures d'accommodement, quelles sont les mesures de redressement qui devraient être accordées à M. Tweten?

VI. LE DROIT

A. Le droit en matière des droits de la personne

[23] M. Tweten a déposé une plainte en vertu de l'article 7 de la Loi, comme elle existait en date du 9 septembre 1998, se plaignant à l'égard d'événements survenus à la fin de 1997. L'article 7 de la Loi actuelle énonce que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi.

La déficience est l'un des motifs de distinction illicite.

L'alinéa 15(1)a) énonce le moyen de défense fondé sur les exigences professionnelles justifiées.

Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées.

Le paragraphe 15(2) énonce ce qui suit :

Les faits prévus à l'alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l'alinéa (1)g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

Le paragraphe 15(8) confirme que l'article 15 s'applique à la discrimination directe et à la discrimination par suite d'un effet préjudiciable.

[24] La Loi, comme elle existait au moment de la discrimination alléguée, ne comportait pas de dispositions équivalentes aux paragraphes 15(2), 15(8) et 15(9) actuels. Les modifications à cet égard ont pris effet en date du 30 juin 19984.

[25] En 1999, la Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Services Employees' Union (B.C.G.S.E.U.), [1999] 3 R.C.S. 3, [Meiorin] et l'arrêt Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868, [Grismer]. Dans ces deux arrêts, la Cour suprême du Canada a remplacé par une méthode unifiée l'ancienne distinction faite par la jurisprudence entre la discrimination directe et la discrimination indirecte. Suivant la méthode unifiée, il appartient toujours au plaignant d'établir une preuve prima facie de discrimination. Une preuve prima facie est une preuve qui couvre les allégations faites et qui, si on y ajoute foi, est suffisante et complète pour justifier une décision favorable au plaignant en l'absence d'une réponse de l'intimé. Après qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie par le plaignant, il incombe alors à l'intimé de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la norme ou la politique discriminatoire est une EPJ. Afin de démontrer qu'il s'agit d'une EPJ, l'intimé doit prouver ce qui suit :

  1. il a adopté la norme dans un but ou objectif rationnellement lié aux fonctions exercées. À cette étape, l'analyse porte non pas sur la validité de la norme particulière, mais sur l'objet plus général, comme le besoin de travailler d'une manière sûre et efficace. Lorsque l'objet général est d'assurer l'exécution sûre et efficace du travail, il ne sera pas nécessaire de consacrer beaucoup de temps à cette étape;
  2. il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail, sans qu'il ait eu l'intention de faire preuve de discrimination envers le demandeur. À cette étape, l'analyse passe de l'objet général de la norme à la norme particulière elle-même;
  3. la norme contestée est raisonnablement nécessaire pour que l'employeur puisse atteindre l'objet qu'il vise, c'est-à-dire l'exécution sûre et efficace du travail. L'employeur doit établir qu'il lui est impossible de prendre des mesures pour accommoder le demandeur et les autres personnes lésées par la norme sans subir une contrainte excessive. L'employeur doit s'assurer que la procédure, s'il en est, d'examen de la question de l'accommodement traite de la possibilité de discrimination inutile fondée sur un motif illicite. De même, la teneur réelle d'une norme plus conciliante offerte par l'employeur doit tenir compte de l'individu. Subsidiairement, l'employeur doit justifier les raisons pour lesquelles il n'a pas offert une telle norme.

[26] Les arrêts de la Cour suprême Meiorin et Grismer nous renseignent également par leur évaluation de la question de savoir si un moyen de défense quant à une contrainte excessive a été établi. Dans l'arrêt Meiorin, la Cour suprême a fait remarquer que l'utilisation de l'adjectif excessive suppose qu'une certaine contrainte est acceptable; seule la contrainte excessive répond à ce critère5. Du point de vue de l'employeur, il peut être idéal d'avoir une norme d'une rigidité absolue. Mais, pour être justifiée en vertu de la législation en matière des droits de la personne, la norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques de chaque personne ainsi que de leur valeur et leur dignité inhérentes, dans la mesure où cela n'impose aucune contrainte excessive. La Cour suprême a fait remarquer en outre qu'afin de prouver qu'une norme est raisonnablement nécessaire, un intimé doit toujours démontrer que la norme comporte toute possibilité d'accommoder sans qu'il en résulte une contrainte excessive. L'intimé est tenu de démontrer qu'il a envisagé et rejeté raisonnablement toute forme possible d'accommodement. Il incombe à l'intimé de démontrer qu'il était impossible d'incorporer dans la norme des aspects d'accommodement individuel sans qu'il en résulte une contrainte excessive.

[27] Dans certains cas, un coût excessif peut justifier un refus de prendre des mesures d'accommodement à l'endroit de ceux qui souffrent d'une déficience. Cependant, il faut se garder de ne pas accorder suffisamment d'importance à l'accommodement. Il est beaucoup trop facile d'invoquer l'augmentation des coûts comme motif de refus d'accorder un traitement égal. L'adoption de la norme de l'intimé doit être appuyée par des éléments de preuve convaincants. La preuve constituée d'impressions d'une augmentation des coûts ne suffit généralement pas6. Des solutions non monétaires, nouvelles et pratiques doivent être examinées. Finalement, des facteurs comme le coût des méthodes d'accommodement devraient être appliqués d'une manière souple et conforme au bon sens en fonction des faits examinés7. Comme M. le juge Cory l'a fait remarquer dans l'arrêt Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, ce qui peut être parfaitement raisonnable en période de prospérité est susceptible d'imposer à un employeur un fardeau financier déraisonnable en période de restrictions budgétaires ou de récession. Je remarque que l'expression contrainte excessive n'est actuellement pas définie dans la Loi. Finalement, les employés ont une obligation d'aider à arriver à des mesures d'accommodement appropriées et de faciliter la recherche de mesures d'accommodement8. Dans la décision Butler c. Nenqayni Treatment Centre Society, [2002] T.C.D.P. no 25, l'ancienne présidente du Tribunal, alors qu'elle occupait cette fonction, a déclaré que l'omission de la plaignante d'avoir fourni à l'intimée les renseignements médicaux demandés à l'égard de ses limites physiques constituait un manquement de la plaignante à son obligation de faciliter la recherche d'une mesure d'accommodement. En résumé, la recherche de l'accommodement exige que toutes les parties touchées par le processus fassent des concessions. Cela fonctionne dans les deux sens.

[28] En retournant à la première question à trancher, soit celle de savoir si le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, le tribunal doit instruire la plainte suivant les articles 49 et 50. Cette instruction doit être indépendante, impartiale et tenir compte de la preuve présentée et de la législation pertinente. Le Tribunal est lié par l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Hutchinson c. Canada (Ministre de l'Environnement) (C.A.), [2003] 4 C.F. 580. La Cour d'appel a confirmé que les arrêts Meiorin et Grismer ont tous deux examiné la question des effets des normes ou des politiques distinctes ou explicites qui servent d'outil de sélection, c'est-à-dire une norme de la capacité aérobique qui constitue de la discrimination à l'endroit des femmes par suite d'un effet préjudiciable et une norme d'acuité visuelle pour la délivrance de permis de conduire qui constitue de la discrimination directe. La Cour d'appel fédérale a fait une distinction entre ces cas et ceux dont les rapports entre les parties ne sont pas dictés par une politique préexistante. Plutôt, il y avait une ligne de conduite selon laquelle les parties se fondaient sur une interprétation des droits et obligations qu'elles avaient respectivement. Dans l'arrêt Hutchinson, il était difficile d'isoler et de déceler une politique ou une norme particulière. Dans l'arrêt Meiorin, la Cour a commencé son analyse en concluant que la politique en question faisait une distinction entre des personnes qui étaient touchées d'une façon préjudiciable pour un motif de distinction illicite. La Cour d'appel fédérale a statué que lorsqu'il est question d'une ligne de conduite, la question la plus pertinente consiste à savoir si les rapports entre les parties, considérés dans leur ensemble, entraînent un traitement préjudiciable fondé sur un motif de distinction illicite. Si les rapports considérés dans leur ensemble ne révèlent aucun traitement préjudiciable, l'examen prend fin. S'il est démontré qu'il existe un traitement préjudiciable fondé sur un motif de distinction illicite, on procède à l'examen des trois questions dont l'analyse de la Cour suprême était composée dans l'arrêt Meiorin. Dans l'arrêt Hutchinson, la Cour d'appel fédérale a statué qu'il était raisonnablement loisible pour la Commission de conclure que les rapports entre l'appelante et l'intimée, considérés dans leur ensemble, ne révélaient aucun traitement préjudiciable.

[29] En outre, dans l'arrêt Hutchinson la Cour d'appel fédérale a confirmé qu'un plaignant n'a pas le droit de tenir ferme quant à la solution de rechange préférée. Dans cette affaire, l'intimée a fait des efforts pour accommoder la déficience de la plaignante en l'installant ailleurs, en l'employant sur une base saisonnière, en encourageant un environnement libre d'odeurs et en offrant à la plaignante d'effectuer du télétravail. La Cour d'appel fédérale a suivi l'arrêt Ontario (Ministry of Community and Social Services) c. OPSEU (2000), 50 O.R. (3d) 560, dans lequel la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que la [TRADUCTION] Politique relative à l'observation religieuse de l'employeur était suffisante pour accommoder les besoins individuels des personnes pratiquant une religion minoritaire. Un employé avait revendiqué le droit d'avoir un congé payé pour lui permettre d'observer onze congés religieux. La politique de l'employeur prévoyait deux jours de congé payés pour l'observation religieuse et accordait des jours de congé additionnels au moyen de changements d'horaire et de jours de congé accumulés au moyen de la semaine de travail comprimée. L'employé a pris la position selon laquelle ses jours de congé accumulés grâce à la semaine de travail comprimée étaient des jours qu'il pouvait utiliser comme il le jugeait bon, l'employeur pouvant lui accorder onze jours de congé payés pour l'observation religieuse sans contrainte excessive. La Cour a statué qu'étant donné que la politique de l'employeur était suffisamment inclusive pour accommoder l'intéressé, la question de l'accommodement au point où il y avait contrainte excessive ne se posait pas. La Cour d'appel fédérale a statué que l'un des corollaires de cette position est que l'intéressé ne peut pas refuser une solution raisonnable pour le motif que la solution de rechange qu'il préfère n'imposera pas une contrainte excessive à l'employeur.

VII. ANALYSE

A. Le défaut d'établir la preuve prima facie et le manquement par le plaignant à l'obligation de faciliter l'accommodement

[30] Dans la présente affaire, les rapports, considérés dans leur ensemble, entre M. Tweten et RTL ne constituaient pas un traitement préjudiciable par RTL à l'endroit de M. Tweten. RTL a reconnu la déficience de M. Tweten et elle a tenté de façon diligente de le rencontrer pour discuter d'accommodement. M. Tweten a refusé de faciliter une telle rencontre et a omis de fournir à RTL les renseignements médicaux quant à ses limites physiques.

[31] En particulier, à l'égard de l'alinéa 7a) de la Loi, M. Tweten avait une blessure au dos et avait par conséquent une déficience au sens de la Loi. Cependant, RTL n'a pas refusé de l'employer en raison de sa blessure. Plutôt, M. Tweten a volontairement choisi de quitter RTL. Il n'a pas pris contact avec RTL à l'égard d'un retour au travail. Il ne s'est pas présenté au travail en décembre 1997 ou par la suite et il est allé chercher ses outils en janvier 1998.

[32] RTL n'a pas non plus contrevenu à l'alinéa 7b) de la Loi. RTL n'a pas défavorisé M. Tweten. Plutôt, RTL a coopéré avec M. Tweten en lui conservant son poste dans l'attente de son retour au travail après sa blessure et en l'aidant à l'égard des formulaires d'invalidité de longue durée. De plus, RTL a essayé à plusieurs reprises, sans succès, de rencontrer M. Tweten pour discuter du statut de son emploi et de retour au travail, mais M. Tweten a refusé de rencontrer M. Brochu.

[33] Par conséquent, le plaignant n'a pas réussi à établir une preuve prima facie de discrimination au sens de l'alinéa 7a) ou de l'alinéa 7b) de la Loi.

[34] Finalement, même si RTL avait fait preuve de discrimination à l'endroit de M. Tweten, comme il a été discuté, RTL a fait des efforts pour rencontrer M. Tweten pour discuter de ses besoins d'accommodement même après que M. Tweten eut omis de fournir une lettre exposant ses limites physiques. En omettant de répondre à cette demande légitime de RTL, M. Tweten a manqué à son obligation de faciliter la recherche d'un accommodement valable. RTL a agi de bonne foi en tout temps. Dans les circonstances de la présente affaire, je ne suis pas d'avis que l'autorisation à l'égard de la WCB donnait à RTL ou à son agent un accès illimité au dossier de M. Tweten. M. Tweten prétend que suivant l'ancien article 141 de la Workers' Compensation Act de l'Alberta, RTL avait le droit de consulter son dossier médical. Cet article limite clairement l'accès de l'employeur aux renseignements qui sont pertinents à une question faisant l'objet d'un contrôle ou d'un appel et restreint le droit de la commission des accidentés du travail de divulguer des renseignements à un employeur à des points se rapportant à une telle question. Les questions des besoins d'accommodement sur les lieux de travail d'un employé ne sont pas visées par l'étendue de cet article et le régime législatif envisagé par cette loi. De plus, il n'est pas raisonnable dans les circonstances de la présente affaire d'exiger que RTL écrive à la WCB pour vérifier ses dossiers afin d'établir les limites physiques de M. Tweten. M. Brochu a fait de bonne foi des efforts pour obtenir directement de M. Tweten les renseignements médicaux demandés. Tout ce que M. Tweten devait faire c'était obtenir de son propre médecin une déclaration exposant ses limites physiques. Même après que M. Tweten eut omis de fournir une lettre à cet égard, M. Brochu, de bonne foi, a fait de nombreux efforts pour le rencontrer et discuter de son emploi et des mesures d'accommodement qu'il demandait. Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel M. Tweten a souffert de déficience mentale qui l'a empêché de coopérer dans la recherche d'un accommodement. M. Tweten n'a aucunement contribué à la tâche à laquelle toutes les parties en cause devaient prendre part, soit trouver une mesure d'accommodement valable. Il ne s'est aucunement engagé sur une voie bilatérale.

[35] Par conséquent, je rejette la demande de M. Tweten dans son ensemble.

Shirish P. Chotalia

Ottawa (Ontario)

Le 11 février 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T842/9203
INTITULÉ DE LA CAUSE : Bruce Tweten c. RTL Robinson Enterprises Ltd.
DATE ET LIEU
DE L'AUDIENCE :
Les 1 au 5 novembre 2004
Edmonton (Alberta)
DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :
Le 11 février 2005

ONT COMPARU :

Bruce Tweten En son propre nom
Barry D. Young Pour RTL Robinson Enterprises Ltd.

1 Pièce R-1, onglet 10, également comprise dans la pièce R-2.

2 Transcription, page 1141, lignes 21 à 25; page 1142, lignes 1 à 23.

3 L.R.C. 1985, ch. H-6 [la Loi].

4 EEV, 1998, ch. 9, articles 9 à 34, en vigueur le 30 juin 1998, voir TR/98-79.

5 L'arrêt Meiorin adopte la position de l'arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 984.

6 Arrêt Grismer, aux paragraphes 41 et 42.

7 Arrêt Meiorin, au paragraphe 63.Voir également l'arrêt Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, à la page 546.

8 Arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.