Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,

DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER,

FEMMES-ACTION

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

BELL CANADA

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE À L'ÉGARD
DE LA DIVULGATION DE DOSSIERS MÉDICAUX

2005 TCDP 9
2005/02/11

MEMBRES INSTRUCTEURS : J. Grant Sinclair, président
Pierre Deschamps, membre

[TRADUCTION]

[1] CEP a l'intention d'appeler sept témoins au soutien de sa prétention de préjudice moral suivant l'alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Bell Canada demande que le Tribunal rende une ordonnance obligeant ces témoins à divulguer leurs dossiers médicaux couvrant les années 1990 à 2004.

[2] Les dossiers médicaux que Bell tente d'obtenir incluent toutes les notes cliniques consignées et tous les rapports préparés par tout médecin traitant, psychiatre ou autre professionnel de la santé et tous les dossiers de la RAMO ou de la RAMQ se rapportant à chacun des témoins. Bell tente en outre d'obtenir tous les dossiers médicaux dont tout hôpital ou tout autre établissement de santé a la possession ou la garde, y compris toutes les notes cliniques consignées et tous les rapports préparés par tout médecin, psychiatre ou autre professionnel de la santé travaillant pour tel hôpital ou tel établissement de santé, ou faisant partie de son personnel, au cours de la période, et tous les dossiers de la RAMO ou de la RAMQ dont tel hôpital ou tel autre établissement de santé a la possession ou la garde.

[3] Dans sa lettre datée du 20 novembre 2003 envoyée à Bell, CEP déclare que les témoins qui seront appelés rendront des témoignages à l'égard des conséquences émotionnelles, psychologiques et financières qu'a eu sur eux la décision de Bell de ne pas mettre en application les résultats de l'étude conjointe. Dans une lettre subséquente datée du 1er octobre 2004, CEP ajoute que ces témoins fourniront de façon générale de la preuve à l'égard de l'atteinte à la dignité et à l'estime de soi, des difficultés financières, du stress et de la frustration causés à eux et à d'autres membres de l'unité de négociation en raison de la discrimination qu'ils ont subie.

[4] Bell soutient que ces témoins, par leur prétention de préjudice moral, ont forcément mis leur état de santé respectif en cause et qu'ils doivent divulguer leurs dossiers médicaux.

[5] CEP s'oppose à la demande de Bell en soutenant qu'une demande d'indemnité pour préjudice moral ne touche pas nécessairement l'état de santé d'un individu et ne donne pas automatiquement droit à la divulgation des dossiers médicaux. CEP affirme ne pas avoir l'intention de présenter de la preuve médicale au soutien de sa prétention de préjudice moral. Ses témoins n'allégueront pas qu'ils ont obtenu des soins médicaux en raison de la discrimination et, selon CEP, la demande de Bell est une intrusion inutile dans leur vie privée.

[6] La Commission canadienne des droits de la personne s'oppose également à la requête de Bell. Elle adopte intégralement les observations de CEP.

[7] Au soutien de sa demande, Bell s'appuie principalement sur la décision du Tribunal McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd., non publiée, 3 janvier 2001 (T558/1600) (TCDP). Les avocats de Bell renvoient en outre le Tribunal aux arrêts Hay c. University of Alberta Hospital (1990), 69 D.L.R. (4th) 755, Frenette c. Métropolitaine, Cie d'assurance-vie, [1992] 1 R.C.S. 647, et A.(M.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157.

[8] Au soutien de ses prétentions, CEP s'appuie essentiellement sur l'arrêt Ryan de la Cour suprême du Canada.

[9] Le Tribunal n'est pas d'avis qu'une prétention de préjudice moral met nécessairement l'état de santé en cause et nécessite la présentation des dossiers médicaux.

[10] Le Tribunal a déjà accordé une indemnité pour préjudice moral sans avoir entendu de témoignage se rapportant à de la preuve médicale et sans avoir ordonné la divulgation de dossiers médicaux (voir Druken et al. c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), 8 C.H.R.R. D 4379, Warman c. Kyburz, 2003 TCDP 18, 9 mai 2003, Vlug c. SRC, D.T. 6/00, 15 novembre 2000, et Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 21, 5 juin 2003). Les tribunaux et les cours s'appuient souvent sur le témoignage d'une personne de même que sur l'ensemble de la preuve pour accorder une indemnité pour préjudice moral.

[11] Cela ne veut pas dire que l'état de santé d'un individu et que ses dossiers médicaux ne seront jamais pertinents dans une prétention de préjudice moral. Des affaires comme l'affaire McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd, 15 novembre 2001 (TCDP), illustrent cette possibilité.

[12] Dans la décision McAvinn, la plaignante a clairement mis son état de santé en cause lorsqu'elle a témoigné qu'elle avait obtenu des soins médicaux pour l'anxiété dont elle avait souffert en raison de la discrimination alléguée.

[13] À cette étape de l'instance, contrairement à l'affaire McAvinn, le Tribunal ne dispose pas de preuve démontrant que les témoins que CEP a l'intention d'appeler ont déjà obtenu des soins médicaux à l'égard du préjudice moral. En fait, CEP a clairement adopté la position que ces témoins n'allégueront pas avoir reçu des soins médicaux en raison de la discrimination dont ils prétendent avoir fait l'objet de la part de Bell.

[14] Cependant, les deux lettres de CEP montrent que les témoins qui doivent être appelés ont l'intention de rendre un témoignage à l'égard des conséquences émotionnelles, psychologiques et financières reliés à la décision de Bell de ne pas se conformer aux résultats de l'étude conjointe (la lettre de CEP datée du 23 novembre 2003) et propose de fournir de la preuve à l'égard de l'atteinte à la dignité et à l'estime de soi, des difficultés financières, du stress et de la frustration causés à eux et à d'autres membres de l'unité de négociation (la lettre de CEP datée du 1er octobre 2004).

[15] À notre avis, il n'est pas évident que les dossiers médicaux des individus qui seront appelés à rendre un témoignage fourniraient des renseignements pertinents quant aux difficultés financières que ces individus ont pu avoir en raison du comportement de Bell. On peut dire la même chose à l'égard de la frustration et de l'atteinte à la dignité et à l'estime de soi.

[16] Les conséquences émotionnelles et psychologiques du comportement de Bell pour ces témoins et le stress qu'ils ont pu subir en raison de ce comportement sont plus problématiques. À cet égard, les dossiers médicaux des témoins peuvent ou non être utiles à la défense de Bell. En effet, Bell peut peut-être mieux atteindre ses buts par un contre-interrogatoire que par la divulgation des dossiers médicaux et l'intrusion dans la vie privée des témoins qui y est rattachée.

[17] Le Tribunal n'est pas en mesure en ce moment de rendre une décision sur requête à l'égard de la divulgation des dossiers médicaux quant à ce qui touche les conséquences psychologiques et émotionnelles ou le stress. Toute décision sera, si nécessaire, rendue dans le contexte du témoignage de chaque témoin et suivant la façon selon laquelle la preuve sera exposée.

Signé par
J. Grant Sinclair, président

Signé par
Pierre Deschamps, membre

Ottawa (Ontario)

Le 11 février 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T503/2098

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, Femmes-action c. Bell Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 29 novembre 2004 Ottawa (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 11 février 2005

ONT COMPARU :

Peter Engelmann

Pour le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier

Andrew Raven
Patrick O'Rourke
K.E. Ceilidh Snider

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Peter Mantas
Guy Dufort
Robert Grant

Pour Bell Canada

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