Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,

DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER,

FEMMES-ACTION

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

BELL CANADA

l'intimée

DÉCISION À L'ÉGARD DES DOCUMENTS DE M. SHILLINGTON
PRÉPARÉS DANS SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES ET GTNO

2005 TCDP 4
2005/01/27

MEMBRES
INSTRUCTEURS :
J. Grant Sinclair, président
Pierre Deschamps, membre

[TRADUCTION]

INTRODUCTION

[1] La plaignante, CEP, a l'intention d'appeler comme témoin M. Richard Shillington et de le qualifier de témoin expert en statistique appliquée pour rendre un témoignage dans la présente audience. L'intimée, Bell Canada, demande la production de certains rapports préparés par M. Shillington pour la Commission canadienne des droits de la personne, des documents énumérés aux pages 14 et 15 de son curriculum vitæ, qui sont déposés comme pièce CEP-34. Bell affirme qu'elle veut utiliser ces documents aux fins du contre-interrogatoire de M. Shillington à l'égard de ses compétences en tant qu'expert.

[2] Avec le consentement des parties, le Tribunal a reçu des photocopies de ces rapports afin qu'il les examine de façon confidentielle. Aux fins de la présente décision, le Tribunal y renvoie en les nommant les pièces GNWT, CPC-1 et CPC-2.

LA PIÈCE GNWT

[3] Cette pièce est constituée de trois rapports, deux datés du 28 mars 2001 et un daté du 19 mars 2001. La Commission prétend qu'il existe un privilège à l'égard du règlement relativement à la pièce GNWT. Elle prétend que le privilège à l'égard du règlement est attribué à cette pièce parce que les rapports ont été préparés pour Ian Fine, l'avocat de la Commission, pour être utilisés et aux fins des négociations en vue d'un règlement dans l'affaire Alliance de la fonction publique du Canada c. Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Dans son affidavit déposé à l'égard de la présente requête, M. Fine affirme que la Commission s'est appuyée sur ces rapports pour établir sa position au cours des négociations en vue d'un règlement. Il affirme en outre que ces rapports confidentiels n'ont jamais été divulgués ou utilisés par la Commission autrement que dans le cours des discussions en vue d'un règlement.

ABSENCE DE PRIVILÈGE POUR LA Commission

[4] La Commission soutient qu'il existe un privilège relatif au litige pour les pièces CPC-1 et CPC-2. La pièce CPC-1 comprend cinq rapports préparés en 1996-1997 par M. Shillington. La pièce CPC-2 est un rapport de six pages daté du 28 mai 1999 préparé par M. Shillington. Il a témoigné que ces deux pièces avaient été préparées à la demande de Fiona Keith, l'avocate de la Commission dans l'affaire Société canadienne des postes.

[5] La première prétention de Bell est que la Commission ne peut prétendre en droit à l'existence d'un privilège relatif au litige ou d'un privilège à l'égard du règlement. Bell appuie sa prétention à cet égard sur la décision du Tribunal Dhanjal c. Air Canada (1996), 28 C.H.R.R. (TCDP), D/367, D/422-3.

[6] La décision Dhanjal ne comporte aucune question se rapportant au privilège. Dans l'addenda à sa décision, le Tribunal a fait des commentaires à l'égard du comportement de l'avocat de la Commission, comportement que le Tribunal a décrit comme excessivement accusatoire. Le Tribunal était d'avis que le rôle de l'avocat de la Commission ressemble au rôle de l'avocat de la Couronne dans une instance en matière criminelle, comme M. le juge Sopinka l'a décrit dans l'arrêt R c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326. Ce rôle est celui du ministre de la Justice qui représente l'intérêt public (page 341).

[7] L'arrêt Stinchcombe a établi qu'il existe une obligation générale pour la Couronne de divulguer à la défense les fruits de son enquête. La justification de cette obligation est que les renseignements à cet égard font partie du domaine public et ne doivent pas servir seulement à obtenir une déclaration de culpabilité, mais qu'ils doivent être utilisés de manière à s'assurer que justice soit rendue (page 333).

[8] Suivant l'article 51 de la LCDP, l'avocat de la Commission a le rôle de représenter l'intérêt public. Par analogie, Bell prétend que la Commission a la même obligation que la Couronne, à savoir l'obligation de divulguer tous les renseignements pertinents. Par conséquent, elle ne peut prétendre à aucun privilège.

[9] Selon le Tribunal, le fait que Bell s'appuie sur l'arrêt Stinchcombe entraîne une application erronée des faits de l'arrêt Stinchcombe à la présente affaire et une interprétation incomplète de Stinchcombe. Cet arrêt traite d'une instance en matière criminelle et établit un équilibre entre la Couronne et la défense, comme l'exige l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et ce qui en résulte.

[10] On retrouve une autre distinction entre une instance en matière criminelle et une instance devant le Tribunal dans les motifs du juge Sopinka lorsqu'il souligne qu'il n'existe pas une obligation pour la défense de divulguer quoi que ce soit à la poursuite (page 333). Bell n'a jamais adopté la position que, en tant qu'intimée lors de l'audience devant le Tribunal, elle n'a pas une obligation de divulgation.

[11] Ce qui est encore plus important, c'est que l'arrêt Stinchcombe n'affirme aucunement que la Couronne ne puisse jamais invoquer un privilège. Les motifs du juge Sopinka énoncent le contraire. Il établit très clairement que la Couronne a une obligation générale de divulguer les renseignements à moins que la non-divulgation puisse être justifiée par le droit au privilège (page 340).

ABSENCE DE PRIVILÈGE RELATIF AU LITIGE QUANT AUX PIÈCES CPC-1 OU CPC-2

[12] Bell prétend ensuite que même s'il existe un privilège, la Commission y a renoncé pour les pièces CPC-1 et CPC-2. Bell s'appuie sur les faits ci-après énoncés. L'avocat de l'Alliance de la fonction publique dans l'affaire Société canadienne des postes a demandé à M. Shillington de préparer pour lui une analyse. Selon les transcriptions de l'affaire Société canadienne des postes fournies au Tribunal, l'AFPC consultait M. Shillington. Il aidait l'AFPC à comprendre le rapport de M. Killingsworth et il l'aidait à l'égard du contre-interrogatoire de ce dernier, un statisticien expert appelé comme témoin par Postes Canada.

[13] M. Shillington, pour effectuer l'analyse, avait besoin de certains renseignements qu'il a demandés à M. Killingsworth qui les lui a remis. Il a ensuite préparé l'analyse qui consistait, selon les transcriptions, en cinq graphiques et en une feuille d'analyse Excel. Dans la présente décision, nous renvoyons à ces cinq graphiques et à cette feuille d'analyse Excel en les nommant le travail de juin 1999.

[14] Lors du contre-interrogatoire, l'avocat de l'AFPC a demandé à M. Killingsworth s'il reconnaissait que les graphiques et la feuille d'analyse étaient exacts et si ces documents lui semblaient raisonnables. M. Killingsworth a dit qu'il n'était pas en mesure de répondre à cette question, alors l'avocat de l'AFPC lui a demandé d'essayer de reproduire l'analyse de M. Shillington. M. Killingsworth a témoigné qu'il était capable de faire des graphiques très similaires, mais non identiques, en utilisant, selon ce qu'il a dit, les mêmes renseignements qu'il avait fournis à M. Shillington.

[15] Les graphiques et la feuille d'analyse préparés par M. Shillington n'ont pas été déposés en preuve. L'avocat de Postes Canada s'est opposé à ce qu'ils le soient. Les graphiques préparés par M. Killingsworth ont été déposés en preuve comme pièces 161, 162, 163, 164, etc., de l'AFPC.

[16] Bell soutient qu'une prétention selon laquelle il existe un privilège relatif au litige à l'égard du travail effectué par M. Shillington pour la Commission dans l'affaire Société canadienne des postes n'est pas défendable. Dans ses observations, Bell prétend qu'il est de notoriété publique que l'ensemble ou une partie de son travail pour la Commission a été déposé comme pièces 161, 162 et 163 de l'AFPC par l'avocat de l'AFPC lors du contre-interrogatoire de M. Killingsworth. Bell affirme que la Commission doit par conséquent avoir dévoilé le travail de M. Shillington à une autre partie, l'AFPC.

[17] Bell prétend ensuite que, lors de l'examen de la question du privilège, l'ensemble du travail effectué par M. Shillington pour la Commission dans l'affaire Société canadienne des postes se rapportant aux questions générales de parité salariale doit être traité comme un tout. C'est-à-dire, il y a un lien qui est établi entre le travail de juin 1999 et les pièces CPC-1 et CPC-2 par le renvoi à la question visée, à celui qui a préparé le travail et à la nature des questions.

[18] La dernière prétention de Bell est qu'il doit être présumé que la Commission, puisqu'elle a renoncé au privilège à l'égard du travail de juin 1999 effectué par M. Shillington, a renoncé au privilège à l'égard de l'ensemble du travail qu'il a effectué pour la Commission dans l'affaire Société canadienne des postes se rapportant à la parité salariale.

[19] Le Tribunal n'accepte pas ces prétentions. Premièrement, les transcriptions dans l'affaire Société canadienne des postes montrent que les graphiques et la feuille d'analyse préparés par M. Shillington n'étaient pas du travail effectué pour la Commission, mais qu'ils avaient été préparés à la demande de l'avocat de l'AFPC.

[20] Deuxièmement, Bell a dénaturé les faits. Il n'est pas exact que l'ensemble ou une partie du travail effectué par M. Shillington pour la Commission a été déposé comme pièces 161, 162, 163, etc., de l'AFPC. Les faits sont qu'aucune partie de son travail n'a été déposée en preuve. Les pièces 161, 162, 163, etc., de l'AFPC ont été préparées par M. Killingsworth.

[21] Troisièmement, il est clair que l'avocat de l'AFPC n'avait pas l'intention de protéger le travail de M. Shillington d'un examen minutieux par l'autre partie lorsqu'il a présenté ce travail à M. Killingsworth aux fins du contre-interrogatoire et il n'a pas fait de prétentions à cet égard.

[22] Finalement, même si on tient pour acquis que le travail de M. Shillington pour l'AFPC a été préparé pour la Commission et a été communiqué à l'avocat de l'AFPC et rendu public, le Tribunal ne partage pas l'opinion qu'il existe un lien suffisant entre ce travail et les pièces CPC-1 et CPC-2. Bell, il faut convenir, n'a pas de précédents jurisprudentiels pour appuyer sa prétention selon laquelle l'ensemble du travail de M. Shillington doit être considéré comme un tout. La prétention de Bell ne peut pas s'appuyer sur une simple affirmation, sans plus.

ABSENCE DE PRIVILÈGE À L'ÉGARD DU RÈGLEMENT - PIÈCE GNWT

[23] Quant à la pièce GNWT, Bell conteste l'affirmation de la Commission portant sur le privilège à l'égard du règlement. Bell affirme que le règlement est un document public; il a été largement répandu dans le public, en particulier auprès des employés actuels et des anciens employés au moyen d'une campagne d'information, et il y a des documents qui sont joints à l'entente de règlement qui traitent des questions techniques et statistiques, y compris de la méthodologie et du fondement.

[24] La politique sous-tendant le privilège à l'égard du règlement est qu'on devrait encourager des parties à régler leurs litiges sans procès. Il s'ensuit alors que l'intérêt public, en encourageant le règlement des litiges, exige que des documents créés ou des communications faites aux fins des négociations de règlement fassent l'objet d'un privilège. (Voir l'arrêt Pirie c. Wyld, [1886] O.J. 188; Sopinka et al., Law of Evidence in Canada, (2e éd. 1999), aux paragraphes 14. 201 et
14. 213.)

[25] Il est également bien établi en droit que le privilège à l'égard du règlement s'applique aux communications faites avec l'intention expresse ou implicite qu'elles ne soient pas divulguées et qu'il ne prend pas fin si les négociations en vue du règlement échouent ou si le règlement est conclu. Le privilège s'étend à des instances subséquentes qui n'ont pas de liens avec le litige antérieur. (Voir Sopinka et al., aux paragraphes 14.216 et 14.224; Middelkamp c. Fraser Valley Real Estate Board, [1992] B.C.J. no 1947; 71 B.C.L.R. (2nd) 276 (C.A.C.B.).)

[26] Le témoignage d'Ian Fine est que les rapports de M. Shillington ont été préparés pour apporter une aide dans les négociations en vue du règlement. On n'a jamais eu l'intention qu'ils soient rendus publics ni qu'ils soient utilisés ou divulgués à des fins autres que celles d'un règlement.

[27] Le fait que le règlement conclu entre les parties soit de notoriété publique signifie-t-il que tous les documents utilisés lors des négociations qui ont conduit au règlement perdent leur caractère confidentiel? C'est ce que Bell prétend et, au soutien de cette prétention, Bell a renvoyé à deux affaires, à savoir : Hill c. Gordon-Daly Grenadier Securities, (2001) 56 O.R. (3rd) 388, et Gay c. UNUM Life Insurance Co. of America, [2003] N.S.J. no 442.

[28] Selon le Tribunal, aucune de ces affaires n'est utile à la prétention de Bell. La décision Hill se rapportait à une poursuite suivant la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario pour un abus de confiance. En vue d'une entente de règlement entre la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario et les défendeurs, ces derniers ont fait certaines admissions dans l'entente de règlement. Compte tenu de ces admissions, la CVMO a conclu que les défendeurs n'avaient pas agi de façon juste et honnête avec certains de leurs clients.

[29] Ces clients ont présenté un recours collectif contre les défendeurs et, au soutien de ce recours, ils voulaient s'appuyer sur les admissions des défendeurs contenus dans l'entente de règlement. Les défendeurs invoquaient l'existence d'un privilège à l'égard de tous les documents de règlement. La Cour divisionnaire de l'Ontario a statué que le privilège ne s'appliquait pas dans ces circonstances.

[30] La Cour a soutenu que les directives de la CVMO prévoyaient que toute entente de règlement serait de notoriété publique. Les défendeurs ont conclu l'entente de règlement en sachant parfaitement que tout ce qu'ils admettraient serait rendu public. Il serait présumé qu'ils avaient renoncé à toute prétention de confidentialité ou à tout privilège.

[31] Cette affaire est clairement différente des faits dans l'affaire GTNO. Le règlement dans l'affaire GTNO n'a pas été conclu suivant un texte législatif. On ne peut pas conclure, comme on l'a fait dans la décision Hill, que toute attente à l'égard de la confidentialité ou d'un privilège tombe lorsque le règlement lui-même, non les négociations ayant conduit au règlement, a été rendu public.

[32] Dans la décision Gay, la plaignante avait déposé une action contre la défenderesse, UNUM Life Insurance Company, en réclamant les bénéfices d'assurance contre les accidents. Cette action faisait suite à une action qu'elle avait déposée contre certains médecins et un hôpital pour faute professionnelle. L'action pour faute professionnelle a été réglée en médiation. Le contrat de médiation contenait une clause de confidentialité prévoyant que toutes les communications entre les parties faisaient l'objet d'un privilège et étaient faites sous réserve de tous les droits.

[33] Aux fins de la médiation, les médecins défendeurs avaient divulgué à la plaignante des rapports se rapportant à la question de leur responsabilité professionnelle qui avaient été préparés par leurs experts. La compagnie d'assurance défenderesse demandait la production des rapports préparés par les experts. La Cour en a ordonné la production en soutenant qu'une fois que les rapports des experts étaient divulgués à la plaignante, la confidentialité tombait qu'il soit ou non prévu une réserve de tous les droits.

[34] Selon le Tribunal, les faits dans l'affaire GTNO sont si différents de ceux de la décision Gay qu'ils rendent non applicable la conclusion de la décision Gay.

[35] Pour les motifs précédemment énoncés, la requête présentée par Bell est rejetée.

J. Grant Sinclair, président

Pierre Deschamps, membre

Ottawa (Ontario)

Le 27 janvier 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T503/2098

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, Femmes-Action c. Bell Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 30 novembre 2004 Le 1er décembre 2004 Ottawa (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 27 janvier 2005

ONT COMPARU :

Peter Engelmann

Pour le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier

Andrew Raven
Patrick O'Rourke
K.E. Ceilidh Snider

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Peter Mantas
Guy Dufort
Robert Grant

Pour Bell Canada

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