Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

SALVATORE MILAZZO

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

autocar connaisseur inc.

l'intimée

- et -

motor coach canada

la partie intéressée

DÉCISION CONCERNANT LA POLITIQUE

MEMBRES

INSTRUCTEURS: Pierre Deschamps, président

Michel Doucet, membre

2005 TCDP 5

2005/01/28

[TRADUCTION]

I. INTRODUCTION

II. LES QUESTIONS EN LITIGE

A. Les postes critiques pour la sécurité

B. Les mesures d'accommodement

III. CONCLUSIONS QUANT AUX FAITS TIRÉES LORS DE L'AUDIENCE INITIALE

IV. LA DÉCISION

V. CONCLUSION

I. INTRODUCTION

[1] Dans ses motifs de décision, datés du 6 novembre 2003 et qu'on retrouve à 2003 TCDP 37, le Tribunal a rendu une ordonnance enjoignant à :

[...] Autocar Connaisseur de prendre des mesures, de concert avec la Commission canadienne des droits de la personne, pour élaborer une politique qui fera en sorte que les personnes atteintes d'une déficience liée à l'usage d'alcool ou d'autres drogues qui obtiennent des résultats positifs à la suite d'un test de dépistage administré à la demande de l'employeur feront l'objet de mesures d'accommodement, sans qu'il en résulte pour la compagnie une contrainte excessive, conformément à la présente décision.

Et ordonnant que :

[...] dans les six mois suivant la date de la présente décision, les parties déposent devant le Tribunal des exemplaires de la politique révisée d'Autocar Connaisseur en matière de dépistage des drogues. Le Tribunal conserve sa compétence en l'espèce pour trancher toute question non réglée, dans le cas où les parties ne seraient pas capables de s'entendre sur les conditions de cette politique révisée.

[2] Bien qu'elles aient fait de nombreuses tentatives, tant par écrit qu'au cours de rencontres, les parties ont été incapables d'arriver à un consensus à l'égard de certaines questions se rapportant à la politique de l'intimée sur le dépistage de drogues et d'alcool.

[3] Compte tenu de l'impasse à laquelle les parties sont acculées, l'intimée, conformément à l'ordonnance du Tribunal, demande maintenant que le Tribunal lui donne des directives à l'égard de deux questions qui traitent, premièrement, de la définition de l'expression poste critique pour la sécurité et, deuxièmement, de la question des mesures d'accommodement .

II. LES QUESTIONS EN LITIGE

A. Les postes critiques pour la sécurité

[4] La [TRADUCTION] Politique sur les drogues et l'alcool envisagée par l'intimée définit l'expression [TRADUCTION] poste critique pour la sécurité comme un [TRADUCTION] poste dans lequel un individu a un rôle clé et direct dans une activité pour laquelle une diminution de rendement due à l'usage de drogues et d'alcool pourrait entraîner un incident ou un accident important causant des décès ou des blessures graves, des dommages matériels importants ou des dommages importants à l'environnement. Aux fins de cette politique, les employés qui doivent conduire un véhicule à moteur sous la garde ou le contrôle de l'entreprise, soit dans l'exercice de leurs fonctions habituelles, soit de temps à autre, sont considérés comme occupant un poste critique pour la sécurité .

[5] Dans une lettre datée du 15 mars 2004, la Commission a commenté comme suit cette définition :

[TRADUCTION]

«À l'égard de la définition de l'expression critique pour la sécurité, je remarque que cet article a été quelque peu modifié, mais la Commission aurait besoin d'obtenir l'assurance que Motor Coach Canada ne fera pas subir des tests de dépistage des drogues à ses mécaniciens qui font l'objet d'une surveillance régulière. Je suggère par conséquent que la définition soit modifiée de nouveau pour prévoir que : les employés qui doivent conduire un véhicule à moteur sous la garde ou le contrôle de l'entreprise, soit dans l'exercice de leurs fonctions habituelles, soit de temps à autre, et qui ne font pas l'objet d'une surveillance régulière, sont considérés comme occupant un poste critique pour la sécurité ».

[6] L'intimée indiqua ne pas partager l'opinion de la Commission à l'égard de cette suggestion puisqu'elle estimait qu'elle était ambiguë. Dans une lettre datée du 24 mars 2004, elle a répondu ce qui suit :

[TRADUCTION]

«À l'égard de la définition de l'expression poste critique pour la sécurité, notre cliente n'est pas disposée à accepter la modification proposée parce que la raison d'inclure les mécaniciens, qui dans l'exercice de leurs fonctions habituelles ou de temps à autre conduisent des véhicules, est que l'employeur a une obligation à l'égard de la sécurité publique et de l'intérêt du public. L'ajout proposé neutraliserait complètement l'objectif visé par ce qui est inclus puisqu'il est évident que les mécaniciens font l'objet de surveillance lorsqu'ils se trouvent dans les installations de notre cliente et qu'il est également évident qu'ils ne font l'objet d'aucune surveillance que ce soit lorsqu'ils doivent conduire un véhicule ».

[7] Selon l'intimée, la question n'est pas celle de savoir si les mécaniciens, en tant que mécaniciens, devraient faire l'objet de tests de dépistage, mais celle de savoir si les mécaniciens qui sont chauffeurs de véhicules à moteur commerciaux et qui, dans l'exercice de leurs fonctions, doivent conduire un véhicule à moteur commercial devraient être visés par la politique.

[8] L'intimée est d'avis que le Tribunal a clairement compétence pour rendre une décision à l'égard de cette question parce que lorsqu'un mécanicien, dûment autorisé à conduire un véhicule à moteur commercial, conduit un autobus, il ou elle est un chauffeur de véhicule à moteur commercial et non un mécanicien. L'intimée affirme qu'elle n'a pas l'intention que les mécaniciens qui ne sont pas des chauffeurs de véhicule à moteur commercial soient visés par sa [TRADUCTION] Politique sur le dépistage des drogues et de l'alcool .

[9] Selon la Commission, la question soulevée par l'intimée est celle de savoir si la [TRADUCTION] Politique sur le dépistage des drogues et de l'alcool qui est proposée s'applique aux employés autres que les chauffeurs d'autobus commerciaux, à savoir aux employés qui n'étaient pas visés par l'audience initiale du Tribunal dans la présente affaire. La Commission adopte la position qu'il s'agit d'une question qui ne peut pas être tranchée par le Tribunal.

[10] La Commission renvoie au paragraphe 189 des motifs de la décision initiale du Tribunal dans lesquels le Tribunal a mentionné ce qui suit :

Avant de passer à la question du redressement, nous désirons formuler quelques commentaires au sujet de la nouvelle politique d'Autocar Connaisseur en matière de dépistage de l'alcool et des drogues. On se souviendra que cette politique, qui n'est entrée en vigueur qu'en mars dernier, s'applique non seulement aux chauffeurs de la compagnie mais aussi à ses mécaniciens. Cette politique n'est pas l'objet de la plainte de M. Milazzo et, à notre avis, nous outrepasserions notre compétence si nous étendions la portée de la présente instance pour nous interroger sur la légalité des tests de dépistage auxquels sont soumis les mécaniciens. Par conséquent, nous n'avons aucune conclusion à formuler au sujet de la nouvelle politique d'Autocar Connaisseur et, plus particulièrement, à propos de la question à savoir si les tests de dépistage administrés aux mécaniciens de la compagnie sont raisonnablement nécessaires.

[11] Le Tribunal a en outre mentionné qu'au cours de l'audience initiale, les parties ont consacré très peu de temps à la question des tests de dépistage pour les mécaniciens. Par conséquent, la Commission affirme que la seule directive que le Tribunal peut fournir aux parties dans les présentes circonstances porte sur le fait qu'elles ont tenté tout ce qu'elles ont pu et qu'elles n'ont pas réussi à s'entendre sur l'étendue de ce qui constitue un poste critique pour la sécurité .

[12] La Commission prétend, en outre, que les mécaniciens sont surveillés durant toute leur journée de travail sauf lorsqu'ils conduisent un autobus sur la route. La question dans la présente affaire consiste à tenter de trouver une façon de réussir systématiquement à attraper ceux qui peuvent représenter un risque pour l'entreprise. Il a été établi que lorsque les employés ne font pas l'objet de surveillance, ils devraient être soumis à la politique. Bien que ce soit le cas pour les chauffeurs, la Commission affirme que ce n'est pas le cas pour les mécaniciens. Afin de surmonter ce problème, la Commission a suggéré que les mots [TRADUCTION] et qui ne font pas l'objet d'une surveillance régulière soient ajoutés à la définition de [TRADUCTION] poste critique pour la sécurité .

B. Les mesures d'accommodement

[13] La question des mesures d'accommodement qui demeure non réglée se rapporte à la Partie IX de la [TRADUCTION] Politique sur les drogues et l'alcool , partie intitulée [TRADUCTION] Conséquences d'une violation de la politique . La toute dernière phrase de cette partie énonce que [TRADUCTION] le défaut de remplir ces conditions, y compris une deuxième violation de cette politique, entraînera la cessation de l'emploi conformément à l'entente . La Commission est d'avis que le mot [TRADUCTION] entraînera doit être remplacé dans cette phrase par les mots [TRADUCTION] peut entraîner . Selon la Commission, la conséquence rigoureuse imposée par la politique dans le cas d'une deuxième violation pour une déficience liée à la dépendance omet complètement de tenir compte de la loi et de l'obligation de prendre des mesures d'accommodement.

[14] Cette question a également soulevé la question de l'[TRADUCTION] Entente de la dernière chance . Ces ententes touchent l'intimée, le syndicat représentant les employés et l'employé qui a obtenu des résultats positifs et qui a suivi un processus de réadaptation. Selon cette entente, lorsqu'un employé qui a achevé son processus de réadaptation obtient de nouveau des résultats positifs, il sera mis fin à son emploi sans que d'autres mesures d'accommodement soient prises.

[15] Le mémoire d'entente ou l'[TRADUCTION] entente de la dernière chance déposée comme preuve lors de l'audience énonce, entre autres, ce qui suit : [TRADUCTION] Le syndicat et le chauffeur [employé] conviennent qu'il serait déraisonnable pour l'employeur de prendre à l'égard du rendement du chauffeur des mesures d'accommodement autres que celles prévues dans cette entente et ils conviennent que l'obligation de l'employeur de prendre des mesures d'accommodement destinées à répondre aux besoins de l'employé prévue par la Loi canadienne sur les droits de la personne a été remplie . Le paragraphe 7 prévoit de plus que : [TRADUCTION] Le syndicat et le chauffeur conviennent en outre que toutes autres mesures d'accommodement prises par l'employeur constitueraient une contrainte excessive au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne .

III. CONCLUSIONS QUANT AUX FAITS TIRÉES LORS DE L'AUDIENCE INITIALE

[16] Il est important, afin de mieux comprendre la décision du Tribunal à l'égard des questions en litige actuelles, de rappeler certaines conclusions quant aux faits retenus lors de l'audience initiale, à savoir :

[20] James Devlin et Brian Crowe ont témoigné au sujet de la situation dans l'industrie de l'autocar. M. Devlin est l'actuel président d'Autocar Connaisseur. M. Crowe est président de Motor Coach Canada, l'association professionnelle qui représente les compagnies d'autocars et les organisateurs de voyages en autocar du Canada. Motor Coach Canada représente environ 95 autocaristes et 115 organisateurs de voyages en groupe - de 75 % à 90 % de l'industrie canadienne de l'autocar.

[21] De façon générale, environ 75 % des employés des compagnies d'autocars sont des chauffeurs. Les mécaniciens représentent une autre tranche de 15 % ou de 20 %. Les autres travailleurs occupent des emplois de bureau. La plupart des compagnies d'autocars canadiennes sont relativement petites et sont des entreprises familiales.

[22] L'industrie de l'autocar opère sur demande . Selon M. Crowe, une compagnie d'autocars typique fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Comme l'a indiqué M. Crowe, l'industrie fournit des services lorsque les gens désirent se déplacer. De ce fait, les itinéraires sont très imprévisibles; M. Crowe a donné comme exemple les voyages aux États-Unis, indiquant qu'il se peut fort bien qu'une entreprise n'aille pas du tout aux États-Unis un mois donné, puis y fasse 20 voyages le mois suivant, en raison de la demande de la clientèle.

[23] Selon M. Crowe, cette capacité de s'adapter rapidement à la demande des clients est l'une des forces de l'industrie de l'autocar.

[24] M. Crowe a décrit l'industrie canadienne de l'autocar comme une industrie en pleine maturité. Autrement dit, la croissance dans ce secteur est faible. En fait, l'industrie est en perte de vitesse. M. Crowe a expliqué que les fournisseurs canadiens de services de transport par autobus nolisé doivent faire concurrence à des fournisseurs de services de transport fortement subventionnés tels que les lignes aériennes et Via Rail. La conjoncture internationale, notamment la guerre du Golfe, les attaques du 11 septembre, la guerre en Irak, l'épidémie du SRAS et l'épisode de la vache folle dans l'Ouest canadien sont autant d'éléments qui ont grandement contribué à réduire l'activité touristique dans l'industrie de l'autocar.

[25] Les compagnies d'autocars éprouvent de sérieuses difficultés économiques en raison de l'état du marché. M. Crowe a expliqué qu'un autocar coûte 600 000 $. Les tarifs noliprix au Canada varient actuellement entre 500 $ et 700 $ par jour, avec le résultat que les compagnies d'autocars ont des marges très minces. Cette situation a fait que ces dernières années un certain nombre de compagnies d'autocars ont déclaré faillite.

[26] L'industrie canadienne de l'autocar est fortement réglementée. Autocar Connaisseur étant établi au Québec, c'est le cadre réglementaire de cette province qui est pertinent en l'espèce.

[27] La Loi concernant les propriétaires et exploitants de véhicules lourds (projet de loi 430) est entrée en vigueur au Québec en 1998. Elle a été adoptée par suite de l'accident d'autobus tragique survenu aux Éboulements, lequel avait fait 40 victimes. Le projet de loi, qui visait à accroître la sécurité routière, a institué un système administratif d'inscription des propriétaires et exploitants de machineries lourdes, y compris les autobus. Ce régime de réglementation prévoit notamment un suivi du comportement des exploitants inscrits. La Commission des transports du Québec est autorisée à imposer des mesures administratives aux exploitants dont la cote est conditionnelle ou insatisfaisante. Plus particulièrement, la Commission est habilitée à révoquer le permis d'exploitation des compagnies dont les comportements sur le plan de la sécurité sont jugés fautifs, mesure qui, dans les faits, se traduit par leur mise en faillite. Tel qu'expliqué plus loin dans la présente décision, Autocar Connaisseur faisait elle-même l'objet, en 1999, de procédures liées à la sécurité devant la Commission des transports et risquait de perdre son permis d'exploitation.

[28] L'une des mesures de sécurité instituées par le projet de loi 430 est l'exigence voulant que les compagnies d'autocars indiquent sur les formulaires d'inscription si elles se sont dotées d'un plan pour contrer la consommation d'alcool et de drogues chez les chauffeurs.

[29] Les exploitants d'autobus sont également soumis à de nombreuses autres obligations statutaires et, notamment, à celles prévues par le Code canadien du travail, la Loi sur le transport par véhicule à moteur (1987) fédérale et le Code civil du Québec.

[30] Le transport transfrontalier pose un défi particulier aux exploitants d'autobus étant donné que ces derniers sont également assujettis aux lois américaines, notamment à celles portant sur les tests de dépistage des drogues.

[...]

[32] La loi américaine exige que les chauffeurs qui conduisent des autobus aux États-Unis subissent des tests de dépistage des drogues préalables à l'emploi, effectués au hasard, à la suite d'un accident ou pour une raison valable. L'exécution de ces tests est régie par une réglementation stricte, et des protocoles rigoureux de collecte et d'analyse des échantillons ont été adoptés.

[33] Plusieurs témoins ont précisé que les tests de dépistage des drogues dans l'industrie des transports avaient été institués dans le cadre de la guerre antidrogue américaine. Quelles que soient les raisons de l'adoption de la loi, les chauffeurs qui conduisent des véhicules à moteur commerciaux aux États-Unis sont soumis à la réglementation du Département fédéral des transports sur le dépistage des drogues et de l'alcool. Cette réglementation s'applique également aux compagnies canadiennes dont les chauffeurs conduisent aux États-Unis, ainsi qu'à tout chauffeur canadien qui est [TRADUCTION] raisonnablement susceptible de traverser la frontière . Selon Mme Butler, [qui est reconnue experte en élaboration et mise en uvre de politiques sur les questions liées à l'alcool et aux drogues en milieu de travail] cela signifie tout chauffeur [TRADUCTION] qui peut être appelé à traverser la frontière, qui le fait ou qui le fera .

[34] Au cours de son témoignage, Mme Butler a indiqué que les autorités américaines ne traitent pas à la légère les infractions : les compagnies sont passibles d'amendes pouvant atteindre 10 000 $ (US), par chauffeur, par voyage, si un chauffeur pénètre en territoire américain sans avoir subi un test de dépistage des drogues et de l'alcool. Des vérificateurs du gouvernement américain rendent régulièrement visite aux compagnies d'autobus canadiennes afin de vérifier que les voyages transfrontaliers sont effectués conformément au régime réglementaire américain. Les infractions flagrantes à la réglementation américaine peuvent entraîner l'annulation de l'accréditation dont les compagnies d'autobus ont besoin pour circuler en territoire américain.

[...]

[40] Tel qu'indiqué précédemment, l'industrie du transport par autobus au Québec est sous la surveillance de la Commission des transports du Québec. Vers la fin de 1997, M. Devlin a appris que la Société de l'assurance-automobile du Québec (SAAQ) avait entrepris des procédures contre Autocar Connaisseur devant la Commission des transports. De toute évidence, la SAAQ cherchait à faire annuler le permis d'exploitation d'Autocar Connaisseur en raison de la façon dont l'entreprise gérait ses affaires. Les nouveaux propriétaires d'Autocar Connaisseur ont découvert que l'entreprise avait auparavant perdu son droit de certifier le bon état de ses autobus, en raison de démêlés antérieurs avec la Commission des transports. Au dire de M. Devlin, on a sérieusement songé à ce moment-là à mettre la clé dans la porte; finalement, il a été décidé d'essayer de travailler avec la SAAQ à corriger la situation.

[41] Lors de son témoignage, M. Devlin a précisé qu'il avait assisté à une audience de justification de la Commission des transports en janvier 1999. À cette audience, M. Devlin a décrit les différents programmes qu'il entendait mettre en oeuvre au sein de la compagnie, programmes qui portaient sur la sécurité des véhicules et la formation des chauffeurs. M. Devlin a informé la Commission qu'il faudrait de six à neuf mois à la compagnie pour se conformer totalement à la réglementation pertinente. À la suite de l'audience, Autocar Connaisseur a été informée que toute autre infraction entraînerait l'annulation automatique de son permis d'exploitation. Une telle mesure sonnerait le glas d'Autocar Connaisseur.

[42] L'une des mesures prises par Autocar Connaisseur pour se conformer aux engagements pris envers la Commission des transports consistait à réviser l'application de la politique de la compagnie en matière de dépistage des drogues. [...]

[...]

[104] Finalement, il appartient à Autocar Connaisseur d'établir que son refus de tolérer des employés qui ont des métabolites de drogues dans leur système alors qu'ils sont au travail est raisonnablement nécessaire pour atteindre l'objectif de la compagnie de promouvoir la sécurité routière en empêchant que des chauffeurs conduisent avec les facultés affaiblies. Afin de démontrer que la norme de la tolérance zéro est raisonnablement nécessaire, il faut prouver qu'Autocar Connaisseur est dans l'impossibilité d'accommoder les employés atteints d'une déficience dont les tests de dépistage des drogues donnent des résultats positifs, sans qu'il en résulte pour l'entreprise une contrainte excessive.

[105] Afin de déterminer si la politique d'Autocar Connaisseur sur le dépistage des drogues est raisonnablement nécessaire pour promouvoir la sécurité routière, il faut d'abord examiner le contexte professionnel dans lequel travaillent les chauffeurs d'Autocar Connaisseur.

[106] M. Devlin a décrit les fonctions liées à la conduite d'un autocar, expliquant que la vivacité d'esprit ainsi que la capacité d'exécuter de multiples tâches sont des éléments essentiels. En plus d'avoir à conduire un véhicule lourd à travers la circulation, les chauffeurs doivent en tout temps être conscients de la présence des passagers. Par exemple, M. Devlin a dit que le chauffeur doit être sur ses gardes lorsqu'un passager quitte son siège pour aller à la toilette, car une manoeuvre brusque de sa part pourrait lui causer de graves blessures.

[107] En outre, le contexte dans lequel travaillent les chauffeurs d'autocar fait en sorte qu'il est très difficile pour les compagnies d'autocars de s'assurer que ceux-ci sont toujours à la hauteur de la tâche.

[108] En ce qui concerne la jurisprudence portant sur le dépistage des drogues, les employés étaient soumis à une surveillance relativement étroite du fait qu'ils travaillaient dans les bureaux d'une banque (Banque Toronto-Dominion), dans des raffineries (Entrop) ou dans les bureaux administratifs d'une bande indienne (Elizabeth Métis Settlement), contrairement aux chauffeurs d'Autocar Connaisseur qui passent une grande partie de leur temps sur la route, loin de l'oeil vigilant de leur supérieur. Les chauffeurs affectés à la desserte du Casino et des aéroports sont sur la route la majeure partie de la journée, tandis que ceux qui sont affectés à des voyages nolisés peuvent être éloignés des bureaux d'Autocar Connaisseur pendant des périodes pouvant aller jusqu'à 30 jours. Bien que les chauffeurs communiquent chaque jour par téléphone avec les répartiteurs d'Autocar Connaisseur, la compagnie n'est pas en mesure de vérifier s'ils ont bel et bien fait les vérifications nécessaires avant le départ, ou s'ils sont vraiment aptes à conduire leur véhicule.

[...]

[110] Cette impossibilité pour les dirigeants d'Autocar Connaisseur d'exercer une étroite surveillance sur les employés de la compagnie pose des difficultés particulières lorsqu'il s'agit de surveiller leur rendement. Ces difficultés sont d'autant plus grandes qu'une grande partie de l'effectif d'Autocar Connaisseur est en quelque sorte de passage puisque beaucoup de chauffeurs travaillent sur une base saisonnière.

[111] M. Crowe a décrit la situation économique précaire dans laquelle se trouve l'industrie canadienne de l'autocar, indiquant que la situation chez Autocar Connaisseur n'était pas différente de ce qu'elle était chez les autres compagnies d'autocars canadiennes. Comme l'a expliqué M. Devlin, la capacité d'Autocar Connaisseur d'exercer une surveillance sur ses employés était aussi limitée par les contraintes financières auxquelles l'entreprise faisait face. M. Devlin a indiqué dans son témoignage que le parc d'Autocar Connaisseur comprenait 125 autobus en 1999. Même si les recettes brutes de la compagnie en 1998 ont été de l'ordre de 10 millions de dollars, Autocar Connaisseur a en fait essuyé d'importantes pertes. M. Devlin a vite constaté que le marché des services d'autocars nolisés au Québec était tout simplement insuffisant pour soutenir un parc de cette taille. Devant ce constat, Autocar Connaisseur a pris la décision de réduire la taille de son parc; la compagnie compte actuellement 29 véhicules.

[...]

[119] Les Drs Baker et Chiasson ont tous deux décrit dans leur témoignage les effets de la consommation de cannabis sur le cerveau humain. Une fois de plus, ils ont essentiellement été d'accord sur de nombreux points. L'ingrédient actif du cannabis est le delta-9-tétrahydrocannabinol ou 9-THC. La concentration de 9-THC dans le cannabis qui circule au Canada aujourd'hui est beaucoup plus élevée que par le passé, d'où sa puissance accrue.

[...]

[125] Les Drs Baker et Chiasson s'accordent à dire que les personnes qui occupent des postes critiques pour la sécurité, c'est-à-dire des postes qui peuvent mettre en danger leur propre sécurité ou celle d'autrui, devraient s'abstenir d'accomplir des tâches comme la conduite d'un véhicule à moteur lorsque leur faculté de conduire est affaiblie par l'usage de cannabis.

[...]

[128] En ce qui concerne l'industrie des transports, Mme Butler a affirmé que peu de recherches ont été faites au Canada dans le domaine du dépistage de l'alcool et des drogues du fait que le gouvernement canadien s'est abstenu d'intervenir au plan réglementaire. Elle a cité une étude menée par la British Columbia Trucking Association en 1989. Au dire de Mme Butler, les trois quarts des chauffeurs sondés ont déclaré que l'alcool avait compromis la sécurité, et un chauffeur sur neuf a admis avoir lui-même joué avec la sécurité au travail en consommant de l'alcool. Sept chauffeurs sur dix ont déclaré avoir travaillé alors qu'ils étaient sous l'influence de l'alcool, et la moitié des chauffeurs ont dit connaître d'autres chauffeurs qui buvaient au travail. En ce qui concerne les drogues, les trois quarts des chauffeurs sondés ont déclaré que l'usage de drogues avait mis en péril la sécurité, et un chauffeur sur douze a reconnu avoir lui-même compromis la sécurité au travail en consommant de la drogue.

[129] Ces données incitent certes à croire que la consommation de drogues chez les chauffeurs dans l'industrie des transports constitue un problème véritable qui comporte d'importantes répercussions au niveau de la sécurité du public.

[...]

[168] Il ressort clairement des témoignages des Drs Baker et Chiasson qu'il n'existe aucune façon idéale de dépister les employés ayant les facultés affaiblies ou de repérer ceux qui sont davantage susceptibles d'être intoxiqués au travail. Bien que l'approche prônée par le Dr Baker soit bonne, en principe, il est évident d'après le témoignage du Dr Chiasson qu'elle ne permettra pas nécessairement d' attraper tous les employés qui risquent de mettre en danger la vie des passagers. En outre, nous ne sommes pas persuadés non plus que la méthode du Dr Baker aurait été applicable dans le contexte dans lequel Autocar Connaisseur se trouvait à l'été 1999.

[169] D'abord, la méthode du Dr Baker repose dans une large mesure sur les observations des superviseurs. S'il est vrai qu'une telle méthode puisse bien fonctionner dans une usine ou un bureau où les employés font l'objet d'une étroite surveillance, elle est moins pratique dans un milieu de travail comme celui qui existe chez Autocar Connaisseur, où les chauffeurs ne sont pas surveillés la majeure partie du temps.

[...]

[171] Même si le fait d'obtenir des résultats positifs à la suite d'un test de dépistage des drogues n'indique pas nécessairement, pour les raisons dont nous avons fait état ci-haut, que les facultés du chauffeur pris en défaut étaient vraiment altérées durant son travail, nous sommes persuadés que de tels résultats constituent un drapeau rouge , pour reprendre le terme utilisé par le Dr Chiasson. La présence de métabolites de cannabis dans l'urine d'un employé aide à repérer les chauffeurs qui sont particulièrement susceptibles d'avoir des accidents.

[172] De surcroît, nous avons conclu que la présence d'une politique de dépistage des drogues contribue à dissuader au moins certains employés de consommer de l'alcool ou des drogues au travail et de compromettre ainsi leur propre sécurité et celle d'autrui.

[173] Pour ces motifs, nous croyons que la politique de dépistage des drogues d'Autocar Connaisseur est raisonnablement nécessaire pour atteindre la fin légitime liée au travail que poursuit la compagnie, soit promouvoir la sécurité routière.

[174] Une autre raison nous amène à conclure que la politique de dépistage des drogues d'Autocar Connaisseur est raisonnablement nécessaire : l'obligation pour la compagnie de se conformer à la réglementation américaine en matière de dépistage des drogues. [...]

[175] Pour ces motifs, nous estimons qu'Autocar Connaisseur s'est acquittée de son fardeau consistant à prouver que le fait de soumettre ses employés à des tests de dépistage préalables à l'emploi ou effectués au hasard est une façon légitime de promouvoir la sécurité routière.

[176] Toutefois, notre analyse n'est pas terminée. Selon les arrêts Meiorin et Grismer de la Cour suprême, Autocar Connaisseur, pour satisfaire au troisième élément du moyen de défense fondé sur une exigence professionnelle justifiée, doit prouver qu'elle est dans l'impossibilité d'accommoder les employés dont les tests de dépistage des drogues sont positifs et qui souffrent d'une déficience liée à l'usage des drogues, sans imposer à l'entreprise une contrainte excessive.

[...]

[186] Toutefois, une compagnie comme Autocar Connaisseur devrait à tout le moins offrir aux chauffeurs qui ont une dépendance à l'égard de l'alcool ou des drogues et dont les tests se révèlent positifs les mêmes chances qu'à ceux qui, de leur propre initiative, s'auto-identifient comme des alcooliques ou des toxicomanes. Autrement dit, ces personnes devraient avoir la possibilité de suivre un programme de réadaptation et de retourner au travail lorsqu'elles seront aptes à le faire. À notre avis, la compagnie serait également justifiée de se doter d'un mécanisme de suivi pour s'assurer que l'individu fautif continue de s'abstenir de consommer de l'alcool ou des drogues. Enfin, Autocar Connaisseur est peut-être en mesure de mettre fin à l'emploi des personnes qui ne se réadaptent pas après s'être vu offrir une chance raisonnable de le faire; toutefois, chaque cas doit être soigneusement examiné.

[...]

[189] Avant de passer à la question du redressement, nous désirons formuler quelques commentaires au sujet de la nouvelle politique d'Autocar Connaisseur en matière de dépistage de l'alcool et des drogues. On se souviendra que cette politique, qui n'est entrée en vigueur qu'en mars dernier, s'applique non seulement aux chauffeurs de la compagnie mais aussi à ses mécaniciens. Cette politique n'est pas l'objet de la plainte de M. Milazzo et, à notre avis, nous outrepasserions notre compétence si nous étendions la portée de la présente instance pour nous interroger sur la légalité des tests de dépistage auxquels sont soumis les mécaniciens. Par conséquent, nous n'avons aucune conclusion à formuler au sujet de la nouvelle politique d'Autocar Connaisseur et, plus particulièrement, à propos de la question à savoir si les tests de dépistage administrés aux mécaniciens de la compagnie sont raisonnablement nécessaires.

IV. LA DÉCISION

[17] Nous traiterons d'abord de la question de la définition de l'expression poste critique pour la sécurité . Dans son projet de politique, l'intimée a proposé que la politique s'applique aux [TRADUCTION] employés qui doivent conduire un véhicule à moteur sous la garde ou le contrôle de l'entreprise, soit dans l'exercice de leurs fonctions habituelles, soit de temps à autre . La Commission a suggéré que les mots suivants soient ajoutés à cette définition :

[TRADUCTION]

«et qui ne font pas l'objet de surveillance régulière ».

[18] Le tribunal ne partage pas l'opinion de la Commission selon laquelle ces mots sont nécessaires dans le présent contexte. La preuve présentée lors de l'audience initiale a établi clairement que l'une des raisons pour lesquelles l'intimée voulait soumettre ses chauffeurs à des tests de dépistage des drogues et de l'alcool était que les chauffeurs d'autobus passent une grande partie de leur temps sur la route, loin de l'il vigilant de leur supérieur. Les chauffeurs peuvent être sur la route pendant la plus grande partie de la journée ou pendant de plus longues périodes. Dans ces situations, l'entreprise est incapable de surveiller correctement ses chauffeurs. Le Tribunal est d'avis que le fait d'ajouter les mots que la Commission a suggérés ne ferait rien de plus que créer de l'incertitude à l'égard du sens de l'expression surveillance régulière .

[19] Il a été bien établi dans la preuve présentée lors de l'audience initiale que l'incapacité de l'intimée de surveiller étroitement son personnel présente des défis particuliers pour l'entreprise. De plus, il a également été établi que la capacité de l'intimée de surveiller son personnel est limitée par les contraintes financières de l'exploitation de l'entreprise.

[20] Avant de passer à l'autre question en litige, le tribunal souhaite ajouter que la définition de l'expression poste critique pour la sécurité s'applique seulement aux employés qui ont un permis de chauffeur d'autobus et qui doivent conduire un autobus, soit dans l'exercice de leurs fonctions habituelles, soit de temps à autre. Elle s'applique par conséquent aux mécaniciens qui ont un permis de chauffeur d'autobus et doivent conduire un autobus dans l'exercice de leur travail.

[21] Cela dit, nous réitérons que le Tribunal outrepasserait sa compétence s'il étendait la portée de la présente instance pour s'interroger sur la légalité des tests de dépistage pour les mécaniciens ou d'autres employés qui n'ont pas de permis de chauffeurs d'autobus. Par conséquent, nous ne tirons aucune conclusion à l'égard de la question de savoir si les tests de dépistage pour ces employés sont raisonnablement nécessaires.

[22] Quant à la deuxième question en litige, elle concerne la Partie IX de la politique, partie intitulée [TRADUCTION] Conséquences d'une violation de la politique . La dernière phrase de cette partie énonce que [TRADUCTION] le défaut de remplir ces conditions, y compris une deuxième violation de cette politique, entraînera la cessation de l'emploi conformément à l'entente .

[23] Le Tribunal est d'avis que l'utilisation du mot [TRADUCTION] entraînera impose une conséquence inflexible à l'égard d'une deuxième violation se rapportant à une déficience liée à la dépendance. Dans notre décision initiale, nous avons clairement mentionné, au paragraphe 186, que l'intimée est peut-être en mesure de mettre fin à l'emploi des personnes qui ne se réadaptent pas après s'être vu offrir une chance raisonnable de le faire; toutefois, chaque cas doit être soigneusement examiné . [Non souligné dans l'original.] Il est clair que, bien que nous avions l'impression que l'intimée puisse être justifiée de mettre fin à l'emploi d'un employé qui ne s'est pas réadapté, nous étions d'avis que chaque situation devait être examinée et justifiée au cas par cas. Par conséquent, afin de nous conformer à notre décision initiale, nous ordonnons que les mots peut entraîner remplacent le mot [TRADUCTION] entraînera dans la dernière phrase de la partie intitulée [TRADUCTION] Conséquences d'une violation de la politique , étant la Partie IX de la [TRADUCTION] Politique sur les drogues et l'alcool .

[24] La présente affaire soulève en outre la question de l' entente de la dernière chance . Comme la preuve présentée lors de l'audience l'a établi, l'intimée exige maintenant de ses employés qui reviennent travailler après avoir suivi un programme de réadaptation pour les toxicomanes et les alcooliques qu'ils signent une [TRADUCTION] Entente de la dernière chance , également appelée [TRADUCTION] Mémoire d'entente . L' Entente de la dernière chance prévoit qu'aucune autre mesure d'accommodement ne sera envisagée et qu'il sera mis fin à l'emploi chez l'intimée si un employé obtient des résultats positifs lors de tests de dépistage de l'alcool et des drogues après avoir suivi un programme de réadaptation.

[25] Le Tribunal canadien des droits de la personne n'a pas traité de telles ententes dans le passé. Toutefois, des arbitres et des commissions et des tribunaux provinciaux traitant des droits de la personne ont examiné des ententes de la dernière chance .

[26] La décision ontarienne Ontario Human Rights Commission et al. and Gaines Pet Foods Corp. et al. (1993), 16 O.R. (3d) 290, établit le droit fondamental à l'égard de cette question. Dans cette décision, une entente de la dernière chance a été jugée illégale et inapplicable dans le cas d'une employée aux prises avec une déficience à son retour sur les lieux de travail. Dans cette affaire, la cour était préoccupée par le retour sur les lieux de travail, après une longue absence due à ses traitements contre le cancer, d'une employée souffrant d'un cancer. À son retour au travail, l'employeur a imposé une condition restrictive à ce qu'elle continue à travailler, soit qu'elle devait maintenir un niveau de présence [TRADUCTION] égal ou supérieur à la moyenne des employés horaires dans l'usine . Tout défaut de satisfaire à cette norme entraînerait la fin de son emploi.

[27] La cour a conclu que [TRADUCTION] la cause directe si elle n'était pas la cause principale de la condition restrictive [...] résultait directement de l'absence de Mme Black en raison de sa déficience [...] et que l'imposition de la condition restrictive était discriminatoire, découlant comme elle le faisait directement de son absence en raison de sa déficience [...]. Il s'agissait d'une condition qui n'était exigée d'aucun autre employé et elle comportait la sanction d'une cessation d'emploi immédiate dans l'éventualité d'un manquement .

[28] La cour a de plus ajouté que [TRADUCTION] même si on pouvait dire qu'elle avait consenti à la condition restrictive, une telle entente serait inapplicable comme l'a déclaré la Cour suprême du Canada, dans une opinion incidente, dans l'arrêt Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, dans lequel la Cour suprême a statué que la législature [...] a adopté [la loi en matière des droits de la personne] dans l'intérêt de l'ensemble de la collectivité et de chacun de ses membres, et il est évident que cette loi tombe dans la catégorie des lois auxquelles on ne peut renoncer ou qu'on ne peut modifier par contrat privé [...] .

[29] La question d'un employé souffrant d'une dépendance à l'alcool et de l'[TRADUCTION] entente de la dernière chance a également été examinée dans la décision arbitrale Re: Camcar Textron Canada Ltd. and United Steelworkers of America Local 0222 (Commerford), (2001) 90 L.A.C. (4th) 305. Dans cette affaire, un employé était retourné au travail suivant une entente de la dernière chance à l'égard de retards et d'absences. À la suite des observations présentées à l'égard du motif ultime du congédiement de l'employé et de la question de savoir si les absences ou les retards étaient dus à l'alcoolisme, l'arbitre a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] pour les motifs examinés dans la décision Ottawa-Carleton, et qui résultent de la méthode adoptée dans la décision Gaines Pet Foods [...], la question a un effet limité étant donné que le manquement au Code résulte de l'imposition au plaignant, pour des motifs découlant de sa déficience, d'une norme, pour laquelle un manquement pour tout motif non expressément exempté entraînerait des conséquences des plus graves, qui n'a pas été imposée à d'autres employés. Il ne peut y avoir de doutes que le manquement à cette norme était la cause, en fait en l'espèce la seule cause, invoquée pour sa mise à pied, et par conséquent l'application de la norme discriminatoire, indépendamment des motifs qui ont conduit à son manquement par le plaignant, doit faire l'objet d'un examen minutieux des dispositions du Code à l'égard de la discrimination fondée sur la déficience.

[30] Bien que ces décisions soient d'une certaine façon passablement différentes de celle qui nous est soumise, elles soulèvent effectivement une question importante à l'égard de la légalité et de l'applicabilité de l' entente de la dernière chance et de la possibilité que les parties se soustraient à la législation en matière des droits de la personne ou renoncent à certains droits prévus par cette législation.

[31] Dans la décision Re: Canadian Pacific Railway Company and Canadian Counsel of Railway Operating Unions (United Transportation Union) (2002), C.R.O.A., no 3269, (Picher), l'arbitre mentionne que bien que les ententes de la dernière chance aient un rôle important à jouer comme outil de réadaptation et dans certaines circonstances comme forme d'accommodement pour un employé souffrant d'une dépendance, le manquement à une telle entente ne peut légalement résulter en un renvoi automatique. Chaque cas doit être examiné selon son bien-fondé et une conclusion selon laquelle un accommodement entraîne une contrainte excessive doit être tirée pour que le congédiement d'un employé souffrant d'une déficience soit justifié.

[TRADUCTION]

La jurisprudence canadienne ne confirme pas, cependant, que la violation d'une entente du type qui fait l'objet du grief doit automatiquement entraîner le congédiement d'un employé. Il est bien établi que chaque cas doit être examiné selon le bien-fondé de ses faits particuliers et que, de toute façon, l'application d'une telle entente ne peut contrevenir à l'obligation de fournir un accommodement à un employé qui souffre d'une déficience, dans le respect de la législation en matière des droits de la personne comme la Loi canadienne sur les droits de la personne (Re Toronto Transit Commission and Amalgamated Transit Union, Local 114, (1990) 75 L.A.C. (4th) 180 (Davie); Re Regional Municipality of Ottawa-Carleton and Ottawa-Carleton Public Employees Union, Local 503 (2000) 89 L.A.C. (4th) 412 (Mitchnick); Re Camcar Textron Canada Ltd. and United Steelworkers of America, Local 3222, (2001) 99 L.A.C. (4th) 305 (Chapman)).

Comme la jurisprudence le reflète, dans de nombreux cas, les arbitres concluront que les antécédents à l'égard du traitement des employés, qui mènent à une entente de la dernière chance, démontrent qu'il y a eu suffisamment de mesures d'accommodement pour appuyer la conclusion que le fait de poursuivre une relation d'emploi entraînerait une contrainte excessive pour l'employeur. C'est l'analyse qui doit être effectuée dans chaque cas. Le simple fait qu'il y ait une entente de la dernière chance ne confirme pas, en soi, s'il y a eu un respect suffisant de l'obligation de prendre des mesures d'accommodement établie par la législation d'application générale en matière des droits de la personne, législation à laquelle les parties ne peuvent pas se soustraire comme l'a statué la Cour suprême du Canada (Etobicoke (Municipalité) c. Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne), [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 213.

[32] Le Tribunal est en outre d'avis que même sans la signature d'une entente de la dernière chance, dans de nombreux cas, les antécédents à l'égard du traitement des employés, le contexte de l'environnement de travail des chauffeurs d'autobus, l'importance de promouvoir la sécurité routière et l'environnement réglementaire de l'industrie du transport, comme ils ont été présentés en preuve lors de l'audience initiale, refléteront, selon les mots de la décision Re: Canadian Pacific Railway Company and Canadian Counsel of Railway Operating Unions (United Transportation Union), qu'il y a eu [TRADUCTION] suffisamment de mesures d'accommodement pour appuyer la conclusion que le fait de poursuivre une relation d'emploi entraînerait une contrainte excessive pour l'employeur . Mais, une fois de plus, nous répétons que cette analyse doit être effectuée au cas par cas.

[33] Le fait que les parties aient convenu d'une entente de la dernière chance qui prévoit qu'ils ont décidé qu'il serait déraisonnable pour l'employeur de prendre des mesures d'accommodement autres que celles initialement prises et que toute autre mesure constituerait une contrainte excessive au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, [TRADUCTION] ne confirme pas, en soi, s'il y a eu un respect suffisant de l'obligation de prendre des mesures d'accommodement établie par la législation d'application générale en matière des droits de la personne, législation à laquelle les parties ne peuvent pas se soustraire . (Arrêt Etobicoke (Municipalité) c. Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne), [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 213.

[34] Par conséquent, le Tribunal est d'avis que l' entente de la dernière chance est inapplicable en fonction de la Loi. Comme la jurisprudence l'indique, une analyse doit être effectuée dans chaque cas afin d'établir s'il est possible pour l'employeur de prendre des mesures d'accommodement sans qu'il en résulte une contrainte excessive. Bien qu'il soit certainement loisible à l'intimée de mettre en garde ses employés qui reviennent au travail après avoir suivi un programme de réadaptation que toute rechute pourrait entraîner leur congédiement, l'imposition d'une entente de la dernière chance ne peut servir à neutraliser l'obligation de prendre des mesures d'accommodement établie suivant la législation en matière des droits de la personne.

[35] Le Tribunal reconnaît que le concept de l'accommodement a ses limites. Ce point de vue a récemment été exprimé par Mme la juge Heneghan de la Cour fédérale dans la décision Ville d'Ottawa c. Desormeaux et Ville d'Ottawa c. Parisien, [2004 CF 1778]. Dans cette décision, la Cour fédérale a souscrit à ce que la Cour d'appel fédérale a déclaré, à l'égard de la question de l'accommodement quant à l'absentéisme, dans l'arrêt Scheuneman c. Canada (procureur général), (2000) 266 N.R. 154 (C.A.F.), dans lequel une autorisation d'interjeter appel à la Cour suprême du Canada a été refusée, [2001] C.S.C.R. no 9 , à savoir que :

« [...] L'un des éléments fondamentaux de la relation employeur-employé est que l'employé soit capable d'accomplir un travail pour l'employeur ou de recommencer à travailler dans un délai raisonnable, s'il est temporairement invalide pour une cause médicale. Le congédiement d'une personne qui ne remplit pas cette condition ne constitue pas de la discrimination fondée sur une déficience physique au sens de la Constitution ».

La juge Heneghan a ensuite déclaré qu'[TRADUCTION] il arrive un moment où l'employeur peut légitimement dire que le marché ne peut pas être complètement exécuté .

[36] Par conséquent, en tant qu'employeur, l'intimée n'a pas à subir un processus de réadaptation sans fin. Il est bien possible qu'une deuxième violation de la politique entraînera la cessation de l'emploi qu'occupe une personne dans l'entreprise. Comme il a été mentionné précédemment, la décision à cet égard devra être prise au cas par cas.

V. CONCLUSION

Par conséquent, le Tribunal conclut ce qui suit :

(1) La définition de l'expression [TRADUCTION] poste critique pour la sécurité qui énonce qu'un poste critique pour la sécurité est un [TRADUCTION] poste dans lequel un individu a un rôle clé et direct dans une activité pour laquelle une diminution de rendement due à l'usage de drogues et d'alcool pourrait entraîner un incident ou un accident important causant des décès ou des blessures graves, des dommages matériels importants ou des dommages importants à l'environnement. Aux fins de cette politique, les employés qui doivent conduire un véhicule à moteur sous la garde ou le contrôle de l'entreprise, soit dans l'exercice de leurs fonctions habituelles, soit de temps à autre, sont considérés comme occupant un poste critique pour la sécurité , est conforme à la décision initiale du Tribunal.

(2) Bien que le Tribunal soit d'avis que l'intimée puisse être justifiée de congédier un employé qui n'a pas réussi sa réadaptation, il est également d'avis que chaque situation doit être examinée et justifiée au cas par cas. Par conséquent, le Tribunal ordonne que les mots peut entraîner remplacent le mot [TRADUCTION] entraînera à la Partie IX, intitulée [TRADUCTION] Conséquences d'une violation de la politique de la [TRADUCTION] Politique sur l'alcool et les drogues de l'intimée.

Pierre Deschamps, président

Michel Doucet, membre

OTTAWA (Ontario)

Le 28 janvier 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T713/1802

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Salvatore Milazzo c. Autocar Connaisseur Inc.

DATE ET LIEU

DE L'AUDIENCE :

Le 22 juin 2004

Montréal (Québec)

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL :

Le 28 janvier 2005

ONT COMPARU :

Daniel Pagowski

Pour la Commission canadienne des droits de la

personne

Louise Baillargeon/

Philippe-André Tessier

Référence : 2003 TCDP 37

Le 6 novembre 2003

Pour l'intimé

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