Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

Titre : Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2013 TCDP 32

Date : le 13 décembre 2013

Numéro de dossier : T1810/4012

Entre :

Première Nation des Mississaugas de New Credit

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Procureur général du Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig

 



I.  La plainte

[1]  En 2008, la plaignante affirme que deux jeunes membres de sa communauté atteints du syndrome de Down avaient besoin de mesures d’éducation spécialisées qui n’étaient pas disponibles à l’école située dans la réserve. Il s’ensuit qu’ils ont été envoyés à une école provinciale située hors réserve. Selon la plaignante, bien que le gouvernement fédéral ait fourni un certain soutien financier pour le transport par autobus et pour les frais de scolarité provinciaux ordinaires, il a refusé de payer les 80 000 $ nécessaires pour les besoins en matière d’éducation spécialisée.

[2]  La plaignante prétend que le refus de l’intimé de fournir un soutien financier pour les besoins en matière d’éducation spécialisée de ses deux membres constitue un acte discriminatoire fondé sur la race et sur la déficience au titre de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 (la Loi). À plus grande échelle, la plaignante affirme que les lacunes dans le Programme d’éducation spéciale pour les Premières Nations du gouvernement fédéral donnent lieu à de la discrimination systémique à l’égard des parents et des enfants des Premières Nations. En d’autres mots, les mesures de soutien à l’éducation spécialisée dont bénéficient les enfants membres de Premières Nations qui vivent dans une réserve ne sont pas de la même qualité que celles dont bénéficient leurs homologues non membres de Premières Nations qui vivent hors réserve.

II.  La requête

[3]  La plaignante affirme que l’intimé n’a pas répondu de manière adéquate aux demandes de divulgation de documents formulées par elle-même ainsi que par la Commission dans la préparation en vue de l’audience dans la présente affaire.

[4]  Plus particulièrement, dans une lettre adressée à l’intimé et datée du 1er août 2013, la plaignante a réitéré une demande qu’elle avait formulée le 21 décembre 2012, par laquelle elle sollicitait la divulgation de documents supplémentaires. La plaignante affirme que l’intimé a mentionné, dans une lettre datée du 23 janvier 2013, qu’elle produirait ces documents; toutefois, il ne l’a pas fait. La plaignante a produit, en se fondant sur son examen des pièces déjà produites par l’intimé, un tableau dans lequel elle expose les documents qui, selon elle, n’ont toujours pas été divulgués.

[5]  La plaignante demandait aussi, dans sa lettre datée du 1er août 2013, la production de documents qui expliquent comment le gouvernement fédéral établit les budgets globaux annuels, autant à l’échelle nationale qu’à l’échelle de l’Ontario, du Programme d’éducation spéciale pour les Premières Nations d’Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (« AADNC »). La plaignante dresse une liste des documents qui, selon elle, existent probablement, mais qui n’ont pas été divulgués.

[6]  En dernier lieu, après avoir passé en revue les pièces qui avaient jusque-là été divulgués par l’intimé, la plaignante demande de plus, dans la lettre du 1er août 2013, des documents supplémentaires en ce qui a trait à certains des pièces déjà produites, dont notamment : des versions lisibles de certains documents, les pages manquantes de certains documents, les explications des acronymes apparaissant dans certains documents, les versions non caviardées de certains documents, la raison pour laquelle pourquoi certains documents ont été envoyés en double, des documents expliquant l’origine ou le contexte de certains documents, les documents auxquels il fait allusion dans des documents déjà produits, mais qui n’ont pas été divulgués, et les détails concernant les paramètres de recherches employés par l’intimé pour trouver les documents pertinents.

[7]  La Commission a elle aussi envoyé une lettre à l’intimé, lettre datée du 9 août 2013, dans laquelle elle appuie la demande de la plaignante exposée dans la lettre du 1er août 2013 en vue d’obtenir des documents supplémentaires. Dans sa lettre, la Commission demande aussi à l’intimé de divulguer d’autres pièces. La lettre de la Commission contient une liste détaillée des documents supplémentaires dont elle demande la divulgation; cette liste a été dressée en fonction de l’examen effectué par la Commission relativement aux pièces produites par l’intimé jusqu’à ce moment-là.

[8]  La plaignante affirme que l’intimé n’a pas répondu à sa lettre du 1er août 2013, ni à celle de la Commission datée du 9 août 2013. Elle a par conséquent présenté la requête en l’espèce en vue d’enjoindre à l’intimé de procéder à une divulgation supplémentaire et plus approfondie.

[9]  Dans le cadre de sa requête, la plaignante demande aussi à l’intimé de mentionner ce qui suit : (i) les documents supplémentaires demandés qui peuvent être trouvés et ceux qui ne peuvent l’être; (ii) les demandes formulées dans la lettre de la plaignante datée du 1er août 2013 et dans la lettre de la Commission datée du 9 août 2013 auxquelles se rapportent chacun des documents supplémentaires, et (iii) une description des recherches effectuées par l’intimé pour les pièces qui n’ont pu être trouvées.

III.  La réponse

[10]  Dans sa réponse à la requête de la plaignante, l’intimé mentionne qu’il s’engage à faire en sorte que le dossier de preuve soit exhaustif dans la présente affaire. À cet égard, l’intimé est disposé à divulguer les renseignements demandés par la plaignante et par la Commission. Il prévoit être capable de divulguer la plupart des pièces demandées d’ici la mi‑janvier 2014.

[11]  En ce qui a trait à la documentation se rapportant au budget global annuel à l’échelle nationale du Programme d’éducation spéciale pour les Premières Nations, l’intimé ne s’oppose pas à cette demande, quoiqu’il affirme que la production de ces pièces pourrait prendre un certain temps. Il estime que cette demande vise un nombre important de documents (documents électroniques, documents papier et courriels) et que ceux‑ci devront être examinés, ce qui nécessitera considérablement de temps et de ressources. Il suggère que la date limite de production de ces documents soit fixée au 30 avril 2014.

[12]  L’intimé ajoute que la plaignante et la Commission ont toutes les deux demandé la production d’observations et de décisions du Conseil du Trésor. Selon l’intimé, ces documents sont des documents confidentiels du Cabinet et ils ne peuvent être divulgués ou produits. Six de ces documents ont été repérés et ont été transférés au Bureau du Conseil privé en vue qu’une attestation soit délivrée au titre de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada.

[13]  Puisque l’intimé est disposé à divulguer les documents visés dans la requête de la plaignante, il est d’avis qu’il n’est pas nécessaire que le Tribunal rende une ordonnance dans la présente affaire.

IV.  La réplique

[14]  La plaignante et la Commission affirment qu’une ordonnance officielle est tout de même requise dans la présente affaire, et ce, malgré la volonté de l’intimé de produire les documents demandés dans la requête.

[15]  La plaignante réitère que la vaste majorité des pièces visées par la requête en l’espèce avait été demandée à l’intimé précédemment. Malgré qu’il se soit engagé, le 23 janvier 2013, à produire ces pièces, l’intimé ne les a pas encore produites. La plaignante est d’avis que l’engagement de l’intimé à produire les pièces en question ne s’est manifestement pas avéré suffisant.

[16]  La Commission soutient que, puisqu’il y a déjà eu un certain nombre de demandes ainsi qu’une série de production de pièces au cours de la dernière année, la délivrance de l’ordonnance officielle aura l’avantage de clarifier (i) ce qui doit être produit exactement, et (ii) d’ici quelle date.

[17]  La plaignante et la Commission font aussi remarquer que la requête ne demande pas uniquement à l’intimé de produire les documents visés, mais aussi de préciser la façon dont les pièces produites correspondent aux demandes formulées. Elles sont d’avis que les observations de l’intimé n’offrent aucune garantie que de telles explications seront produites. Selon la plaignante, ces renseignements sont nécessaires pour que le Tribunal, la plaignante et la Commission : a) comprennent quels pièces l’intimé ne peut trouver, par opposition aux pièces qu’elle refuse de produire (p. ex., pour des motifs liés à la confidentialité); b) comprennent comment l’intimé s’est conformé à l’ordonnance de production; c) vérifient la conformité à l’ordonnance de production, et d) examinent la question de savoir si la recherche effectuée pour trouver les éléments de preuve était adéquate.

[18]  En ce qui concerne la proposition de l’intimé de produire d’ici le 30 avril 2014 la documentation se rapportant au budget global annuel à l’échelle nationale du Programme d’éducation spéciale des Premières Nations, ni la plaignante ni la Commission ne croient que cette date limite est raisonnable. Elles sont d’avis que les procédures ont déjà trop été retardées en raison des questions liées à la divulgation. En ce qui a trait à la dernière demande de documents, l’intimé est au courant de son existence au moins depuis la réception des lettres du 1er et du 9 août 2013. Donner à l’intimé jusqu’au 30 avril 2014 pour produire ces documents voudrait dire qu’il aura eu presque neuf mois pour répondre à la demande. Étant donné que la plainte a été déposée en 2009 et qu’elle se rapporte à des allégations de discrimination continue, la plaignante soutient que des retards supplémentaires pourraient entraîner un préjudice irréparable pour certains enfants membres de Premières Nations et que ces retards risquent aussi de discréditer l’administration de la justice.

[19]  Selon la plaignante, donner à l’intimé jusqu’à la fin de l’année pour se conformer à la demande devrait suffire s’il affecte assez de ressources à la tâche. Cependant, compte tenu des calendriers de vacances et des autres engagements, la Commission affirme qu’elle ne pourrait vraisemblablement pas commencer son examen des éléments de preuve avant la mi‑janvier ou la fin janvier. Par conséquent, une directive portant que les documents demandés doivent être divulgués d’ici le 31 janvier 2014 lui conviendrait.

V.  Décision

[20]  Conformément au paragraphe 48.9(1) de la Loi, l’instruction des plaintes devant le Tribunal se fait de la façon la plus expéditive possible. De plus, au titre du paragraphe 50(1) de la Loi, les parties devant le Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de faire valoir leur position. Cela nécessite que les parties divulguent les renseignements qui pourraient être pertinents.

[21]  Depuis le dépôt de leur exposé des précisions en octobre et en novembre 2012, il y a de cela plus d’un an, les parties ont été incapables de franchir l’étape de la divulgation dans la présente instance. Cela s’explique par le fait que la plaignante et la Commission ont demandé à l’intimé de divulguer des renseignements supplémentaires, renseignements qu’elles affirment ne pas avoir encore reçus. L’intimé ne conteste pas la pertinence des renseignements supplémentaires et il a consenti à les divulguer. Les parties ont tenté de régler les questions liées à la divulgation de manière informelle; toutefois, cela n’a pas eu pour effet de faire avancer la présente instance de manière expéditive. De plus, la plaignante et la Commission estiment qu’elles n’ont pas la possibilité pleine et entière de faire valoir leur position si ces renseignements supplémentaires ne sont pas divulgués. Par conséquent, je crois qu’une directive du Tribunal est nécessaire pour garantir que la présente instance progresse de manière expéditive et équitable.

[22]  Puisque l’intimé ne conteste pas la possible pertinence des documents demandés dans la lettre de la plaignante datée du 1er août 2013 et dans celle de la Commission datée du 9 août 2013, je lui enjoins de divulguer ces documents, conformément aux alinéas 6(1)d) et 6(1)e) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04). À la lumière des observations des parties, je crois que le 17 janvier 2014 serait une date limite raisonnable pour que l’intimé se conforme à la présente directive en ce qui concerne tous les documents, exception faite de ceux se rapportant au budget global annuel à l’échelle nationale pour le Programme d’éducation spéciale des Premières Nations. Ces documents devront être produits d’ici le 7 mars 2014.

[23]  En réponse à la directive du Tribunal concernant la divulgation des pièces supplémentaires, la plaignante et la Commission demandent aussi que l’intimé précise : (i) les documents supplémentaires demandés qui peuvent être trouvés et ceux qui ne peuvent l’être; (ii) les demandes formulées dans la lettre de la plaignante datée du 1er août 2013 et dans la lettre de la Commission datée du 9 août 2013 auxquelles se rapportent chacun des documents supplémentaires, et (iii) une description des recherches effectuées par l’intimé en ce qui concerne les pièces qui n’ont pu être retrouvés. Il s’agit d’une demande raisonnable, compte tenu de la grande quantité de documents supplémentaires devant être divulgués. Cette façon de procéder donnera de plus l’assurance que la divulgation et la production de tout document supplémentaire suffiront pour permettre à la plaignante et à la Commission d’avoir la possibilité pleine et entière d’être entendues.

[24]  Le Tribunal a adopté une stratégie similaire dans l’affaire Grand chef Stan Louttit et al. c. PGC, 2013 TCDP 27 (Louttit). Pour éviter la situation avec laquelle le Tribunal a dû composer dans cette décision ainsi que tout retard supplémentaire dans la présente instance en raison des questions liées à la divulgation, j’enjoins à l’intimé de produire une explication au sujet de la manière avec laquelle elle a répondu aux demandes de divulgation formulées par la plaignante et par la Commission.

[25]  Par conséquent, le Tribunal délivre les directives suivantes :

  1. L’intimé effectuera une recherche diligente pour trouver les documents énumérés dans la lettre de la plaignante datée du 1er août 2013; elle produira une liste révisée des documents, laquelle comprendra les documents supplémentaires, et elle produira les documents en question à l’égard desquels aucun privilège de non-divulgation n’est revendiqué.

  2. L’intimé effectuera une recherche diligente pour trouver les documents énumérés dans la lettre de la Commission datée du 9 août 2013; elle produira une liste révisée des documents, laquelle comprendra les documents supplémentaires, et elle produira les documents en question à l’égard desquels aucun privilège de non‑divulgation n’est revendiqué.

  3. L’intimé mentionnera par écrit au Tribunal et à toutes les parties, (i) les documents supplémentaires demandés qui peuvent être trouvés et ceux qui ne peuvent l’être; (ii) les demandes formulées dans la lettre de la plaignante datée du 1er août 2013 et dans la lettre de la Commission datée du 9 août 2013 auxquelles se rapportent chacun des documents supplémentaires (iii) une description des recherches effectuées par l’intimé en ce qui concerne les éléments de preuve qui n’ont pu être trouvés.

  4. L’intimé se conformera, d’ici le 17 janvier 2014, aux directives 1, 2 et 3 ci‑dessus pour tous les documents, exception faite de ceux se rapportant au budget global annuel à l’échelle nationale pour le Programme d’éducation spéciale des Premières Nations.

  5. L’intimé se conformera, d’ici le 7 mars 2014, aux directives 1, 2 et 3 ci‑dessus pour les documents se rapportant au budget global annuel à l’échelle nationale pour le Programme d’éducation spéciale des Premières nations.

  6. Dans les quatre (4) semaines suivant la réception de la réponse de l’intimé à la directive 5 ci‑dessus, la plaignante et la Commission mentionneront par écrit au Tribunal et à toutes les parties s’il reste d’autres points laissés en suspens en ce qui a trait à la divulgation dans la présente affaire.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre instructeur

Ottawa (Ontario)

Le 9 décembre 2013

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 9 décembre 2013

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