Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

HAYLEY COLE

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

BELL CANADA

l'intimé

DÉCISION

2007 TCDP 07
2007/04/04

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[TRADUCTION]

I. LES FAITS 1

II. L'ANALYSE 14

A. Que doit démontrer Mme Cole en l'espèce afin d'établir qu'il y a eu discrimination? 14

B. La différence de traitement quant à l'allaitement constitue-t-elle de la discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille? 15

C. Existe-t-il une preuve prima facie démontrant que Mme Cole a été traitée de façon différente en cours d'emploi en raison de son sexe? 16

D. Quelle est la réponse de Bell à la preuve prima facie? 20

E. Bell a-t-elle prouvé qu'elle a pris toutes les mesures d'accommodement possibles sans qu'il en résulte pour elle une contrainte excessive? 26

F. Quelles redressements Mme Cole demande-t-elle? 28

(i) La délivrance d'une ordonnance en vertu de l'alinéa 53(2)a) de la Loi 28

(ii) Indemnité pour préjudice moral (alinéa 53(2)e)) 29

(iii) L'indemnité spéciale prévue au paragraphe 53(3) de la Loi 31

(iv) La perte de salaires 32

(v) Les intérêts 33

(vi) La déclaration de compétence par le Tribunal 34

[1] La plaignante, Hayley Cole, est une employée de Bell Canada (Bell) qui a pris un congé de maternité en 2000. Lors de son retour au travail à la fin de son congé de maternité, elle a demandé à Bell de lui accorder un horaire de travail qui lui permettrait de se rendre à la maison afin d'allaiter son enfant à chaque jour, à la même heure. Elle prétend que, en rejetant sa demande, Bell a refusé de l'accommoder. Selon elle, ce refus constitue de la discrimination fondée sur son sexe et sur son état matrimonial, et ce, en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[2] La Commission canadienne des droits de la personne a choisi de ne pas comparaître à l'audience. Mme Cole a plaidé sa cause elle-même, sans être représenté par quiconque. Bell était représenté par un avocat.

I. LES FAITS

[3] Mme Cole a commencé à travailler chez Bell en 1987 comme commis au service de la facturation. En 2000, elle travaillait au centre d'appels de Bell à Toronto (également appelé le Mass Queue), lequel fournissait des services aux clients de Bell. En février 2000, Mme Cole a pris un congé de maternité pour donner naissance à son deuxième enfant. Peu de temps avant de prendre son congé, Mme Cole a été informée qu'elle avait été acceptée au nouveau service de centre d'appels appelé le High Value Queue (HVQ). Ce service fut créé à l'époque comme projet pilote visant à fournir un service prioritaire aux clients les plus importants de Bell. Mme Cole n'avait pas encore commencé à travailler au service HVQ au moment de son départ en congé de maternité.

[4] Le fils de Mme Cole est né le 27 février 2000. Malheureusement, l'enfant est né avec une cardiopathie congénitale pour laquelle il a dû subir une angioplastie alors qu'il n'était âgé que de quatre mois. Mme Cole s'est fait dire par les médecins de son enfant que, lorsqu'il serait un peu plus âgé, il devrait probablement subir une intervention chirurgicale afin que l'on répare son cur défectueux. Compte tenu de l'état de son fils, les médecins ont recommandé à Mme Cole de l'allaiter le plus longtemps possible afin de renforcir son système immunitaire.

[5] Theresa Agnew, une infirmière de carrière, a été autorisée par le Tribunal à témoigner à l'audience comme experte en matière d'allaitement et de mastite. Mme Agnew est l'épouse du frère de Mme Cole. Bell n'a soulevé aucune objection à cet égard et, selon moi, son lien de parenté n'a eu aucune incidence sur sa crédibilité en tant que témoin expert. Mme Agnew a expliqué dans son témoignage que le colostrum dans le lait des mères possède de nombreuses propriétés immunologiques qui peuvent être très bénéfiques pour les enfants, notamment pour les enfants qui ont des problèmes de santé qui les rendent plus sensibles aux infections. Elle a affirmé dans son témoignage que les enfants qui souffrent d'une cardiopathie congénitale sont sujets aux infections bactériennes, à tel point que, par exemple, on prescrit souvent des antibiotiques pour ces enfants lorsqu'ils se font faire un simple nettoyage de dents chez le dentiste. Grâce à l'allaitement, ces enfants deviennent moins susceptibles de contracter ces infections et ils les combattent mieux dans les cas où ils les contractent.

[6] Mme Cole a suivi les conseils des médecins de son fils et a allaité ce dernier jusqu'à ce qu'il soit âgé d'environ sept mois, âge auquel elle a commencé à lui donner un peu de nourriture solide. À partir de janvier 2001, le fils de Mme Cole se faisait allaiter de façon régulière de trois à quatre fois par jour environ : à 6 h 30, à 16 h 30, entre 21 et 22 h 00 et parfois pendant la nuit entre 2 h 00 et 3 h 00.

[7] Vers le 20 janvier 2001, Mme Cole a appelé et laissé un message vocal à Elizabeth Long, la gestionnaire du mieux-être au centre d'appels Mass Queue où Mme Cole travaillait avant de prendre son congé de maternité. La gestionnaire du mieux-être était notamment chargée de traiter les problèmes des employés quant aux congés de maternité et quant aux congés d'invalidité ainsi que d'aider le directeur (ou chef d'équipe) du centre d'appels à contrôler la présence des employés ainsi que la constance de leur rendement. À ce titre Mme Long devait s'occuper d'environ 350 employés.

[8] Dans son message vocal, Mme Cole demandait l'autorisation de prendre un congé personnel non rémunéré (PNR) d'une heure par jour afin de pouvoir s'occuper de son bébé. Les superviseurs de Bell avaient le pouvoir discrétionnaire d'accorder aux employés des congés PNR pendant leurs heures normales de travail afin de leur permettre de vaquer à des occupations personnelles comme, par exemple, se rendre à un rendez-vous chez le médecin ou assister à une pièce de théâtre à l'école de son enfant. L'octroi d'un congé PNR n'a aucune incidence négative sur la fiche de travail d'un employé.

[9] Compte tenu de son ancienneté chez Bell, Mme Cole travaillait généralement sur des quarts de travail qui commençaient à 8 h 00 et qui se terminaient à 16 h 00, et ce, du lundi au vendredi. Selon Mme Cole, en de rares occasions, peut-être trois fois par année au maximum, elle travaillait sur le quart de travail de 8 h 15 à 16 h 15. La demande qu'elle a faite à Mme Long était la suivante : elle voulait quitter le travail une heure avant la fin normale de son quart de travail et inscrire ce temps comme congé PNR. Cette mesure lui aurait permis de se rendre chez sa gardienne afin d'allaiter son fils avant 16 h30, en conformité avec son horaire d'allaitement. Mme Cole a également expliqué que, généralement, lorsque l'heure de l'allaitement de l'après-midi approchait, son sein commençait à couler. En quittant le travail plus tôt, elle réduirait les écoulements qui se produisaient à son travail. Elle a parlé dans son témoignage de l'odeur qui se dégageait du lait maternel et de la gêne que cela lui causait lorsque que l'on pouvait voir, à travers ses vêtements, le lait s'écouler.

[10] Mme Cole savait qu'on avait déjà accordé à une autre employée, Barb Kustec, des congés PNR afin de lui permettre d'allaiter sa fille au travail. La fille de Mme Kustec souffrait de nombreuses allergies et on avait recommandé à cette dernière de continuer à l'allaiter le plus longtemps possible. En juin 2000, Mme Kustec avait demandé et avait obtenu l'autorisation de prendre quinze minutes de plus en congé PNR après sa pause-repas de 30 minutes. Son époux amenait l'enfant au bureau à cette heure-là et elle l'allaitait. Mme Cole a affirmé dans son témoignage qu'elle avait présumé que sa demande qu'on lui accorde un congé à la fin de la journée serait moins dérangeante pour Bell que la mesure d'accommodement qui fut accordé à Mme Kustec et dont celle-ci se prévalait durant l'heure achalandée du dîner alors que de nombreux employés prennent leur pause.

[11] Le 22 janvier 2001, Mme Long a répondu par courriel au message vocal de Mme Cole. Mme Long a souligné que lors de son retour de congé de maternité, Mme Cole devait se présenter directement au centre d'appels HVQ et que son dossier y avait été envoyé. Toute nouvelle demande devait être faite à sa nouvelle chef d'équipe à HVQ, Mme Maria Bozzelli.

[12] Bien que le dossier de Mme Cole se trouvât maintenant apparemment entre les mains de HVQ, Mme Long a néanmoins pris soin de faire des commentaires quant à la demande de congé PNR faite par Mme Cole. Elle a écrit ce qui suit :

[traduction]

Nous ne pouvons malheureusement pas donner suite à votre demande de congé. La solution de rechange serait de choisir plutôt l'heure du dîner, etc. etc., afin de répondre à vos besoins pour lesquels l'adjoint en dotation à HVQ pourrait vous aider.

[13] Mme Cole a répondu par courriel à Mme Long. Elle a écrit ce qui suit :

[traduction]

J'aimerais obtenir plus de renseignements quant à savoir pourquoi l'octroi d'un congé PNR de 60 minutes par jour pour allaiter mon bébé m'est refusé. Est-ce que toutes les demandes de congé PNR sont refusées? Pourrait-on m'accorder 15 minutes par jour? Trente minutes? Quarante-cinq minutes?

[14] Le 2 février 2001, Mme Long a répondu ce qui suit au courriel de Mme Cole :

[traduction]

Je vous recommande de présenter votre demande à votre nouveau service HVQ, car, nous, à Mass queue, sommes toujours en train d'embaucher et, par conséquent, nous ne pouvons pas justifier l'octroi d'un congé PNR.

[15] Mme Cole n'a plus parlé par la suite de sa demande à Mme Long. Elle est retournée au travail le 26 février 2001 et elle a immédiatement commencé à travailler au service HVQ. Quelques jours plus tard, Mme Cole s'est adressée à Mme Bozzelli afin de discuter de la question. Elle lui a parlé des problèmes cardiaques de son fils et de la recommandation de ses médecins, à savoir que celui-ci devrait être allaité le plus longtemps possible. Mme Bozzelli a affirmé dans son témoignage que, elle et Mme Cole, sont devenus très émues lors de cette conversation.

[16] Mme Cole avait interprété les réponses de Mme Long à ses demandes antérieures comme étant un refus de la part de Bell de lui accorder un congé PNR. Par conséquent, elle n'a pas répété sa demande à Mme Bozzelli. Mme Cole a plutôt demandé que ses quarts de travail se terminent toujours à 16 h 00. Elle espérait que, en portant des coussinets pour sein, elle pourrait retenir son lait maternel au travail et que, si elle quittait au plus tard à 16 h 00, elle serait auprès de son fils juste à temps pour son prochain allaitement.

[17] Mme Bozzelli a réalisé que Mme Cole demandait en fait qu'on lui accorde un quart de travail qui commencerait toujours à 8 h 00 et qui se terminerait toujours à 16 h 00. Elle a dit à Mme Cole que, compte tenu de la possibilité que les droits d'ancienneté des autres employés puissent être touchés, elle devait consulter son directeur de second niveau, M. Kam Rawal, avant d'accepter la demande. Mme Bozzelli a affirmé dans son témoignage qu'elle a communiqué avec M. Rawal en rapport avec la demande de Mme Cole. Elle prétend que M. Rawal lui a dit que comme Mme Cole demandait l'octroi d'une restriction médicale, des documents médicaux à l'appui devraient être fournis à Bell. M. Rawal n'a pas témoigné à l'audience.

[18] Mme Bozzelli a affirmé qu'elle avait ensuite communiqué avec Mme Cole afin de l'informer qu'elle devait soumettre des documents médicaux à l'appui de la mesure d'accommodement qu'elle demandait qu'on lui accorde en raison des problèmes de santé de son fils. Mme Bozzelli a garanti à Mme Cole que tant qu'elle n'aurait pas soumis ces documents, elle ne se verrait accorder que des quarts de travail de 8 h 00 à 16 h 00.

[19] Mme Cole n'a pas tout à fait le même souvenir de cette conversation. Elle a affirmé dans son témoignage qu'on lui avait tout simplement dit qu'un billet du médecin était exigé pour que sa demande soit acceptée. Elle a trouvé curieux qu'un billet du médecin soit exigé compte tenu que, à l'exception de peut-être trois jours par année, son quart de travail se terminait à 16 h 00. Néanmoins, elle a accepté de fournir un billet émanant de sa médecin.

[20] Le 23 mars 2001, Mme Cole a rencontré sa médecin de famille et celle-ci lui a remis un billet écrit sur son calepin de prescription. Il était mentionné ce qui suit sur le billet : [traduction] Je certifie que j'ai conseillé à Hayley Cole de quitter le travail tous les jours à 16 h 00, et ce, pour des raisons d'ordre médical. Le billet ne faisait aucune mention de l'enfant de Mme Cole, ni de ses problèmes cardiaques.

[21] Mme Cole a remis le billet de sa médecin à Mme Bozzelli, laquelle l'a envoyé au bureau du Groupe de gestion des invalidités (GGI) de Bell à Montréal. Le GGI s'occupe de toutes les demandes en matière d'invalidité, de santé au travail et d'accommodement présentées par les employés de Bell. Le personnel du GGI est composé de gestionnaires de cas qui examinent les renseignements médicaux et prennent des décisions, en collaboration avec un médecin, quant aux droits des employés à recevoir des prestations d'invalidité de courte ou de longue durée et quant aux droits des employés à bénéficier de mesures d'accommodement.

[22] Mme Bozzelli a affirmé dans son témoignage qu'elle n'a pas examiné le billet avant de l'envoyer au GGI. Afin de respecter la vie privée des employés de Bell, tous les renseignements fournis dans les documents médicaux soumis par ceux-ci ne sont consultés que par le GGI, et ce, en toute confidentialité. Par conséquent, si le GGI décide que, selon la preuve médicale soumise par un employé, l'octroi de restrictions médicales est justifié, le GGI informera tout simplement le superviseur de l'employé de la nature des restrictions et de la manière selon laquelle elles doivent être accommodées. Les détails concernant l'invalidité ou la maladie de l'employé sur laquelle la décision du GGI est fondée ne sont pas divulgués au superviseur.

[23] Le GGI a estimé que le billet de la médecin de Mme Cole ne comprenait pas suffisamment de détails. On a donc demandé à Mme Cole de fournir un autre billet dans lequel figurerait un diagnostic ainsi que le temps que dureraient les restrictions proposées quant à son horaire de travail. Le 11 mai 2001, Mme Cole est allée voir sa médecin de famille à nouveau et l'a informée de la demande du GGI, puis elle lui a demandé de lui donner un deuxième billet. La médecin a accepté et elle a préparé un autre billet, également écrit à la main, sur une feuille de son calepin de prescriptions. Le deuxième billet était ainsi libellé : [traduction] Je certifie que j'ai conseillé à Hayley Cole de quitter le travail à 16 h 00 à tous les jours pendant 12 mois, à compter d'aujourd'hui, afin de prévenir les mastites périodiques. Mme Cole a affirmé dans son témoignage que sa médecin avait fait mention de la mastite parce qu'[traduction] [elle] croyait peut-être que c'était ce que Bell voulait. La médecin de Mme Cole n'a pas témoigné à l'audience.

[24] Mme Agnew a déclaré dans son témoignage que la mastite est une infection du tissu mammaire qui est souvent causée par l'obstruction de canaux. Certains des facteurs qui peuvent mener à cet état sont l'engorgement du sein (lequel peut se produire lorsque le sein n'est pas vidé de son lait assez souvent), la fatigue et le stress, des crevasses dans les mamelons qui permettent aux bactéries de s'introduire et des modifications ou des diminutions de la fréquence des allaitements. Si on ne s'occupe pas de l'engorgement, des bactéries pénètrent dans les canaux et peuvent entraîner une infection locale et, dans les pires cas, des bactéries pénètrent dans le sang occasionnant ainsi une infection généralisée.

[25] Mme Cole a souffert d'une mastite vers le troisième ou quatrième mois après son accouchement. Sa médecin de famille lui a prescrit des antibiotiques et lui a conseillé de continuer à allaiter de façon régulière. Comme Mme Agnew l'a expliqué dans son témoignage, l'un des traitements habituels de la mastite est l'allaitement fréquent, surtout dans le cas du sein infecté. Après environ deux semaines, la mastite de Mme Cole est disparue. Elle n'a plus souffert d'aucune autre mastite après son retour au travail en février 2001. Mme Agnew a affirmé dans son témoignage qu'un faible pourcentage des mères souffrent d'une mastite chronique ou récurrente. La mastite est plus susceptible de se produire dans les premiers 24 mois après la naissance. Toutefois, si une femme souffre de mastites récurrentes au cours de cette période, l'infection peut réapparaître, même après le 24e mois, mais cela est très rare.

[26] Le GGI a examiné le deuxième billet de la médecin et a décidé que l'horaire de travail fixe recommandé constituait une mesure préventive qui, selon le GGI, devait, dans la mesure du possible, faire l'objet d'un accommodement. Dès qu'elle a reçu un message à ce sujet de la part du GGI, Mme Bozzelli a mis en application la recommandation et a vu à ce que Mme Cole se voit attribuer exclusivement des quarts de travail de 8 h 00 à 16 h 00 pendant une période de 12 mois se terminant le 24 mai 2002. Mme Bozzelli a affirmé dans son témoignage que d'autres employés du HVQ avaient remarqué que Mme Cole obtenait toujours les mêmes quarts de travail et ils se sont renseignés à ce sujet. Mme Bozzelli leur a expliqué que cette décision avait trait à une question propre à Mme Cole dont elle ne pouvait pas révéler les détails.

[27] En mars 2002, alors que la période de 12 mois tirait à sa fin, l'agente de traitement des cas du GGI, Stéphanie Houle, a communiqué avec Mme Cole afin de l'informer que le billet de la médecin figurant au dossier ne serait bientôt plus valide. Si Mme Cole avait toujours besoin de travailler sur des quarts de travail fixes après le 24 mai 2002, sa médecin devrait déposer un nouveau rapport en remplissant un formulaire GGI appelé Rapport du médecin au Groupe de gestion des invalidités, également appelé par son numéro d'identification BC1935.

[28] Fait intéressant, selon les directives figurant sur le formulaire, l'employé doit remplir le formulaire dans le cas où il s'absente du travail pendant plus de sept jours civils pour des raisons de maladie et (ou) blessures hors travail ou pour une journée entière en raison d'une blessure hors travail et (ou) maladie professionnelle. Rien ne prouve que Mme Cole se soit absentée du travail pour des raisons de maladie ou de blessures, de la façon décrite dans le formulaire, après qu'elle soit retournée au travail après son congé de maternité. Le GGI lui a malgré tout demandé de soumettre le formulaire.

[29] La médecin de Mme Cole a rempli le formulaire le 22 mai 2002. Elle a décrit la nature et la fréquence du traitement de Mme Cole comme étant du travail selon des heures stables. En réponse à la question de savoir si un plan de retour progressif au travail était recommandé, la médecin a écrit ce qui suit : [traduction] Capable de travailler à temps plein, tâches complètes mais conserver l'horaire stable de 8 h 00 à 16 h 00 du lundi au vendredi. Bell avait récemment introduit les quarts de travail du samedi au centre d'appels HVQ et ceux-ci commençaient à 9 h 00 et se terminaient à 17 h 30. Si le quart de travail de Mme Cole devait se terminer aussi tard dans le jour, elle ne serait jamais capable d'aller voir son enfant à temps pour son allaitement de 16 h 30. Mme Cole prétend qu'elle a fait part de cette situation à sa médecin qui a par conséquent décider d'inscrire la mention du lundi au vendredi dans le rapport. Mme Cole a envoyé le formulaire BC1935 dûment rempli au GGI.

[30] La Dre Liliane Demers est médecin consultante pour le GGI. Elle a affirmé dans son témoignage que le GGI n'était pas prêt, après avoir examiné le formulaire BC1935, à appuyer l'octroi de mesures supplémentaires visant à accommoder Mme Cole. Elle a souligné que le diagnostic de mastite récurrente de la médecin de Mme Cole ne précisait pas le nombre d'épisodes qui s'étaient produits et ne faisait aucune description d'un quelconque traitement quant à ces épisodes. Le diagnostic ne faisait également aucune mention de rendez-vous de suivi avec la patiente. La Dre Demers a souligné que la mastite se produit le plus souvent dans les premiers six mois après la naissance. À ce moment-là, le fils de Mme Cole avait déjà plus de deux ans.

[31] La décision du GGI qu'il n'appuyait pas l'octroi d'autres mesures d'accommodement a apparemment été transmise à la direction du HVQ mais, selon Mme Cole, aucun des détails soulevés dans le témoignage de la Dre Demers ne lui a jamais été transmis. Au lieu de cela, elle prétend qu'elle s'est tout simplement fait dire par Mme Liz Brownrigg, la gestionnaire du mieux-être chargée de la présence à HVQ, que le rapport de sa médecin avait été rejeté. Il semble que la conversation qu'elle a eue avec Mme Brownrigg a principalement porté sur la question du quart de travail du samedi car dans un courriel daté du 31 mai 2002, Mme Cole a écrit ce qui suit à Mme Houle :

[traduction]

Liz m'a renvoyé à vous afin de savoir quels renseignements vous désirez obtenir de la part de ma médecin à l'appui de la dispense du samedi. Dois-je demander à ma médecin de remplir un autre formulaire 1935?

[32] Mme Houle a répondu ce qui suit par courriel le 3 juin 2002 :

[traduction]

Nous avons besoin de comprendre le trouble médical qui vous empêche de travailler le samedi (votre médecin traitante peut ajouter ce renseignement en marge sur le formulaire bc1935 [rempli et signé]).

[33] Mme Cole est donc retournée voir sa médecin et lui a demandé d'ajouter sur le même formulaire le renseignement supplémentaire exigé. La médecin a ajouté de nombreuses lignes dans la marge du formulaire et celui-ci était maintenant ainsi libellé :

[traduction]

Capable de travailler à temps plein, tâches pleines mais conserver l'horaire stable de 8 h 00 à 16 h 00, du lundi au vendredi, continuer les allaitements réguliers afin de prévenir la récurrence de la mastite, l'horaire de travail du samedi est différent, ne s'applique pas [sic].

[34] Mme Cole a envoyé le formulaire BC1935 révisée au GGI.

[35] Le 7 août 2002, Mme Houle a envoyé un courriel à Mme Brownrigg déclarant que bien qu'il fut recommandé que Mme Cole travaille selon un horaire stable, le GGI n'appuyait pas, du point de vue médical, la recommandation de la médecin que Mme Cole travaille selon des heures précises et (ou) selon des jours précis. Mme Houle a ajouté qu'il revenait aux gestionnaires de travail de Mme Cole de décider s'ils répondraient à cette demande d'attribution d'heures de travail précises ou de journées de travail précises. Mme Brownrigg, pour sa part, a informé verbalement Mme Cole que le GGI n'appuyait plus sa demande d'accommodement fondée sur des motifs d'ordre médical.

[36] Mme Cole a décidé de faire part de sa situation à la gestionnaire des communications en mieux-être à HVQ, Mme Melanie Blackall. Les tâches de Mme Blackall comprenaient notamment la gestion des besoins en dotation au sein du service. Mme Blackall a affirmé dans son témoignage que Mme Cole semblait déconcertée par la réponse du GGI et elle se demandait de quelle autre façon sa médecin pouvait écrire le rapport. Mme Blackall a répondu qu'elle n'en avait aucune idée, elle savait tout simplement que le GGI avait estimé que le deuxième rapport était insuffisant. Entre mai et septembre 2002, à trois reprises, Mme Cole était censée travailler pendant le quart de travail du samedi se terminant à 17 h 30, ce qu'elle a pu éviter de faire en utilisant ses journées de congé de maladie ou en échangeant ses quarts de travail avec d'autres employés. Ces ajustements n'ont eu aucune incidence sur son salaire. Quant aux jours de semaine, Bell a continué de faire travailler Mme Cole exclusivement sur le quart de travail de 8 h 00 à 16 h 00.

[37] Le 27 septembre 2002, Mme Cole a affirmé à Mme Blackall qu'elle avait pris un autre rendez-vous chez sa médecin pour le 7 octobre 2002 afin d'obtenir un autre rapport BC1935 qu'elle soumettrait au GGI. Tel qu'il fut confirmé dans un courriel ultérieur, Mme Blackall a informé Mme Cole que, à moins que le GGI ne modifie sa position après le dépôt du nouveau rapport, Mme Cole devait être prête à travailler selon l'horaire régulier à compter du 14 octobre 2002, et ce, sans bénéficier d'aucune des restrictions qui avaient été apportées à l'attribution de ses quarts de travail. Mme Cole a interprété les remarques de Mme Blackall comme signifiant qu'elle devait se préparer à ne plus allaiter car elle ne travaillerait plus exclusivement sur des quarts de travail se terminant à 16 h 00. Mme Blackall a reconnu dans son témoignage que, d'après son langage corporel et d'après le ton de sa voix, Mme Cole fut de toute évidence contrariée par cette nouvelle.

[38] Comme prévu, Mme Cole a rendu visite à sa médecin et a obtenu un autre rapport BC1935 dans lequel figuraient plus de renseignements que dans les rapports antérieurs. Sous l'en-tête Nature et fréquence du traitement actuel, la médecin a écrit ce qui suit : [traduction] travailler selon un horaire stable et bénéficier de jours de congés consécutifs. Sous l'en-tête Étendue de l'invalidité, la médecin a écrit que Mme Cole [traduction] peut effectuer l'ensemble des tâches mais doit travailler selon un horaire stable, c'est-à-dire de 8 h00 à 16 h00, tous les jours, et elle doit bénéficier de deux jours de congé consécutifs afin de conserver un horaire régulier d'allaitement et deux jours de congé pour recueillir du lait maternel et l'entreposer pendant le reste de la semaine afin d'éviter la mastite. La médecin a mentionné que ces restrictions s'appliqueraient pendant environ un an.

[39] Le rapport a été transmis au GGI. À la fin d'octobre, Mme Blackall a appris que le GGI avait décidé une fois de plus que les renseignements médicaux n'étayaient pas les restrictions recommandées par la médecin de Mme Cole. Mme Blackall a demandé des instructions à un gestionnaire d'un niveau plus élevé, soit Mme Karen Neave. Mme Neave l'a informée qu'elle s'occuperait de l'affaire à partir de ce moment et lui a enjoint de voir à ce que Mme Cole conserve entre-temps son horaire de 8 h 00 à 16 h 00.

[40] Compte tenu de l'avis antérieur transmis par courriel de Mme Blackall que Mme Cole devait être prête à travailler selon des quarts de travail réguliers (c'est-à-dire qu'elle devrait peut-être travailler après 16 h 00) si le GGI ne modifiait pas sa position, Mme Cole a affirmé dans son témoignage qu'elle s'était résignée à travailler selon des quarts de travail plus longs. Elle a donc arrêté d'allaiter son fils à 16 h 30 le 8 ou le 9 octobre 2002. Avant Noël 2002, Mme Cole avait mis fin aux allaitements de 10 h 00 et en mars ou avril 2003, au plus tard, elle avait complètement cessé d'allaiter son fils.

[41] Le 4 novembre 2002, Mme Blackall a informé par courriel son directeur de la dotation en personnel que [traduction] à compter de maintenant, et ce, jusqu'à nouvel ordre, Hayley travailler[ait] de 8 h 00 à 16 h 00 en raison de ses restrictions médicales. Mme Cole affirme qu'on ne lui a jamais remis copie de ce courriel et qu'on ne lui a jamais donné ce renseignement. Elle a continué à travailler au centre d'appels HVQ jusqu'en janvier 2003, mois où ce centre fut aboli. Entre octobre 2002 et janvier 2003, Mme Cole n'a dû travailler que trois quarts de travail se terminant après 16 h 00, soit deux à la fin d'octobre et un au début de novembre. Après qu'elle eut informé Mme Blackall de cette situation, Mme Blackall a ramené la fin des quarts de travail à 16 h 00. Par conséquent, dans l'ensemble, entre mai 2002, mois où la période initiale des quarts de travail se terminant à 16 h 00 devait expirer et le 28 janvier 2003, mois où elle a quitté HVQ, Mme Cole n'a en fait travaillé aucun quart de travail se terminant après 16 h 00.

[42] Après que le centre d'appels HVQ fut aboli, Mme Cole a été affectée au Move Queue qui est apparemment un grand centre d'appels comme le Mass Queue. Mme Cole a affirmé dans son témoignage que, compte tenu du nombre plus élevé d'employés au Move Queue et compte tenu de son niveau d'ancienneté à ce moment-là, elle était certaine de se voir attribuer des quarts de travail de 8 h 00 à 16 h 00, du lundi au vendredi.

[43] La gestionnaire du mieux-être qui s'occupait du centre d'appels Move Queue était Mme Long, la même gestionnaire du mieux-être à qui Mme Cole avait adressé sa demande initiale de congé PNR. Mme Long a affirmé dans son témoignage que, en février 2003, elle a commencé à se concentrer sur l'amélioration de l'assiduité au travail dans les centres d'appels dont elle avait la responsabilité. L'une des mesures qu'elle a adoptées pour s'occuper de l'important problème de l'assiduité au travail était de travailler en étroite collaboration avec le GGI afin de s'assurer que tous les documents justificatifs relatifs aux personnes en congé de maladie étaient en ordre et que les employés retourneraient travailler dès que cela serait possible du point de vue médical. En effectuant son examen des employés pour lesquels des restrictions avaient été mises en place, elle a découvert que Bell continuait officiellement à imposer des restrictions quant aux quarts de travail de Mme Cole. Le GGI a informé Mme Long que plus aucun document versé au dossier n'étayait l'application de ces restrictions.

[44] Par conséquent, le 5 mars 2003, Mme Long a écrit un courriel à Mme Cole pour l'informer que, compte tenu des renseignements obtenus de la part du GGI, ses restrictions médicales quant à l'horaire de ses quarts de travail étaient abolies. Mme Long a ajouté que si Mme Cole estimait que les restrictions s'appliquaient toujours, elle devrait déposer un nouveau formulaire BC1935. Mme Long a affirmé dans son témoignage qu'elle n'a jamais reçu aucune réponse à ce courriel de la part de Mme Cole.

[45] Le 14 avril 2004, Mme Cole a déposé sa plainte en matière de droit de la personne auprès de la Commission.

II. L'ANALYSE

A. Que doit démontrer Mme Cole en l'espèce afin d'établir qu'il y a eu discrimination?

[46] Mme Cole prétend que, dans le cadre de son emploi, Bell a commis un acte discriminatoire au sens de l'alinéa 7b) de la Loi en la défavorisant en cours d'emploi par des moyens directs ou indirects, pour un motif de distinction illicite. Le sexe et le statut familial sont compris dans les motifs de distinction illicite énumérés à l'article 3 de la Loi.

[47] Les plaignants dans les causes en matière de droit de la personne doivent d'abord établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de l'intimé (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, paragraphe 28).

[48] Une fois que la preuve prima facie a été établie, il incombe à l'intimé de fournir des explications raisonnables ou satisfaisantes quant à la pratique par ailleurs discriminatoire (voir Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, paragraphe 23; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 154, paragraphes 26 et 27).

[49] Par ailleurs, la conduite d'un employeur ne sera pas considérée comme étant discriminatoire si celui-ci peut démontrer que ses refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences découlent d'exigences professionnelles justifiées (EPJ) (alinéa 15(1)a) de la Loi). Pour qu'une pratique soit considérée comme une EPJ, il doit être démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (paragraphe 15(2) de la Loi).

B. La différence de traitement quant à l'allaitement constitue-t-elle de la discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille?

[50] Mme Cole prétend que le traitement par Bell de la demande de congé qu'elle a faite pour lui permettre d'allaiter son fils constituait un acte discriminatoire fondé sur son sexe et sa situation familiale. Le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique, dans Poirier c. British Columbia (Ministry of Municipal Affairs, Recreation and Housing) (1997), 29 C.H.R.R. D/87 (T.D.P.C.B.), a traité de la question de savoir si la différence de traitement d'une femme en raison du fait qu'elle allaite est une forme de discrimination fondée sur le sexe. Le Tribunal a renvoyé à l'arrêt Brooks c. Canada Safeway Ltd. [1989] 1 R.C.S. 1219, dans lequel le juge en chef Dickson a déclaré que la possibilité de devenir enceinte est propre au sexe féminin. Une distinction fondée sur la grossesse est donc une distinction fondée sur le sexe. Le Tribunal de la Colombie-Britannique, dans Poirier, a décidé que le même raisonnement s'applique également à l'allaitement. La possibilité d'allaiter est propre au sexe féminin. Par conséquent, la discrimination fondée sur le fait qu'une personne allaite est une forme de discrimination fondée sur le sexe. Je souscris à cette interprétation.

[51] Il semble que l'on peut faire un parallèle avec le motif de la situation familiale. Comme Mme Cole était la mère de l'enfant qu'elle voulait allaiter, la traiter de façon différente à cet égard constituerait de la discrimination fondée sur sa situation familiale en tant que parent. Toutefois, Mme Cole n'a avancé aucun argument à l'audience quant au volet situation familiale de sa plainte et n'a pas non plus orienté le Tribunal vers un élément de preuve à l'appui de celui-ci. Ses observations ont principalement porté sur la proposition selon laquelle la présumée conduite discriminatoire était fondée sur le sexe. Je ne puis donc que présumer que Mme Cole a choisi de ne plus poursuivre le volet situation familiale de sa plainte. Dans les circonstances, selon moi, il s'agirait d'un manquement à l'équité et aux règles de la justice naturelle si je tentais, à ce stade-ci, de formuler des arguments à l'appui de ce volet de la plainte et tirais des conclusions à ce sujet (voir Maillet c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 48, paragraphe 8). La cause fondée sur la situation familiale est donc rejetée.

C. Existe-t-il une preuve prima facie démontrant que Mme Cole a été traitée de façon différente en cours d'emploi en raison de son sexe?

[52] Peu après être retournée au travail, Mme Cole a communiqué avec la direction de Bell (c'est-à-dire avec Mme Long) afin de présenter une demande spéciale à titre de mère allaitante. Elle désirait allaiter son fils lors de son heure d'allaitement de l'après-midi. Bell pouvait-elle l'autoriser à quitter le travail une heure plus tôt, à chaque jour, lui accordant ainsi suffisamment de temps pour aller voir son fils et l'allaiter? Bell n'était pas obligée de lui verser un salaire pendant qu'elle était absente du travail (congé PNR).

[53] La réponse initiale de Mme Long a été non ambiguë : [traduction] Votre demande de congé PNR ne peut malheureusement pas être honorée. Lorsque Mme Cole a demandé si ce refus était définitif ou si l'octroi d'un congé PNR plus court serait acceptable, Mme Long a répondu qu'au sein du service Mass Queue, on était toujours en train d'embaucher et qu'on ne pouv[ait] pas justifier l'octroi d'un congé PNR.

[54] Bell prétend que Mme Cole aurait dû ne pas tenir compte de ces remarques émanant de Mme Long étant donné qu'elle allait travailler au centre d'appels HVQ lors de son retour au travail, un service dont Mme Long n'avait pas la responsabilité. En effet, Mme Long a commencé ses observations dans le deuxième courriel en recommandant que Mme Cole présente sa demande au service HVQ.

[55] Mme Cole a tout de même interprété la réponse de Mme Long comme étant un rejet de sa demande de congé PNR. L'interprétation de Mme Cole était-elle raisonnable? Celle-ci a affirmé dans son témoignage que, avant son retour au travail, elle croyait que son emploi était toujours lié au Mass Queue. Après tout, lorsqu'elle est partie en congé de maternité, elle travaillait toujours au Mass Queue. Par conséquent, elle a présumé que, jusqu'à ce qu'elle commence à travailler à HVQ, Mme Long serait sa gestionnaire du mieux-être.

[56] De plus, même si Mme Long a mentionné que le dossier de Mme Cole était maintenant entre les mains du HVQ, elle a tout de même pris la peine de discuter de la demande de congé PNR de Mme Cole dans ses deux courriels. Mme Cole s'est fait dire à deux reprises par cette gestionnaire de Bell que le congé PNR ne pouvait pas être honoré ou justifié. En effet, Bell décourageait fortement ses tentatives d'obtention de congé visant à lui permettre d'aller allaiter son enfant selon la formule qu'elle proposait. Dans les circonstances, selon moi, il était raisonnable que Mme Cole conclût que Bell ne lui accorderait aucun congé PNR afin de lui permettre d'allaiter son enfant.

[57] Mme Cole a donc décidé de ne pas faire valoir la solution du congé PNR auprès de Mme Bozzelli. Elle a réduit sa demande à ce qu'elle considérait comme étant, à tout le moins, une assurance que son quart de travail se terminerait à 16 h 00, ce qui lui permettrait de se rendre chez la gardienne de son enfant juste à temps pour allaiter ce dernier. La réaction de Bell à cette demande est d'une importance cruciale quant à l'issue de la présente cause. Plutôt que de traiter cette demande comme une demande de modification d'horaire de travail de la part d'une employée qui est à la fois une femme et une mère afin de lui permettre de pouvoir allaiter son enfant de façon régulière, Bell a choisi de traiter l'affaire comme s'il s'agissait d'une question d'ordre médicale. Mme Bozzelli s'est fait enjoindre de demander à Mme Cole de fournir des renseignements médicaux à l'appui de sa demande. Pourquoi cela était-il nécessaire? La Dr Demers a reconnu dans son témoignage, comme d'ailleurs l'avocat de Bell dans sa plaidoirie finale, que l'acte d'allaitement n'est pas une invalidité. Je vais revenir sur cette question plus loin dans la présente décision.

[58] À l'audience, Bell a souligné que Mme Cole avait en bout de ligne fait l'objet d'une mesure d'accommodement au cours de la première année car elle bénéficiait d'un horaire de travail garanti de 8 h 00 à 16 h 00. Cette mesure d'accommodement ne fut toutefois pas accordée comme étant une réponse à une demande d'allaitement de la part d'une mère mais comme étant une réponse à une demande formulée par une employée malade ou invalide qui a besoin de mesures d'accommodement afin d'éviter la récurrence d'une maladie. Cette approche à la demande de Mme Cole a eu pour résultat que, un an plus tard, celle-ci s'est fait dire que les mesures d'accommodement dont elle bénéficiait prendraient officiellement fin en raison du fait qu'il était improbable que la mastite réapparaisse, même si elle allaitait toujours son fils et demandait qu'on lui garantisse que son quart de travail se termine à 16 h 00 afin qu'elle puisse l'allaiter avant 16 h 30.

[59] Par conséquent, Bell n'a vraiment jamais traité la demande faite par Mme Cole en tant que mère qu'on lui accorde un quart de travail qui se termine à heure fixe de telle sorte qu'elle puisse allaiter son fils en après-midi. Ce fait établit-il prima facie que Mme Cole a fait l'objet de discrimination en raison de son sexe? Oui, selon moi.

[60] L'alinéa 7b) de la Loi mentionne que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects de défavoriser un individu en cours d'emploi. L'article 2 mentionne que la Loi a pour objet d'étendre la portée de l'application du principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur, notamment, le sexe.

[61] Dans le cadre de leur vie professionnelle, les femmes font face à des difficultés et à des obstacles particuliers auxquels les hommes ne sont pas confrontés. Une femme qui choisit d'allaiter son bébé assume une responsabilité à l'égard de son enfant qu'aucun homme ne pourra jamais assumer. Pour qu'une mère qui est sur le marché du travail puisse accorder à son enfant les avantages que peut procurer l'allaitement, elle peut avoir besoin d'un certain degré d'accommodement. Autrement, elle peut être confrontée à un choix difficile à faire qu'un homme n'aura jamais à faire. D'une part, elle peut cesser d'allaiter son enfant afin de continuer à travailler pour gagner sa vie et celle de sa famille. D'autre part, elle peut quitter son emploi afin de pouvoir allaiter son enfant. Ce ne sont que les travailleuses qui sont confrontées à ce dilemme et cela a pour conséquence qu'elles sont défavorisées en cours d'emploi. Cela peut avoir comme conséquence que l'on crée précisément le genre d'obstacle qui prive les femmes de leur droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement (article 2 de la Loi).

[62] En l'espèce, la réaction de Bell, qui, à tout le moins, a fortement découragé Mme Cole, en tant que mère, de demander un congé PNR pour allaiter son enfant, a eu pour effet de confronter Mme Cole à un dilemme auquel un collègue de sexe masculin ne peut pas être confronté. À ce titre, Mme Cole a fait l'objet d'un traitement défavorable.

[63] De plus, la demande ultérieure que Mme Cole a faite à Bell quant à l'octroi d'un ajustement relativement léger de son horaire de travail afin de lui permettre d'aller allaiter son fils a également été rejetée. Bell n'a jamais traité cette demande comme étant une demande faite par une mère allaitante. Au lieu de cela, en renvoyant l'affaire au GGI, Bell a traité Mme Cole comme une employée malade ou invalide. Mme Cole a dû se rendre chez sa médecin à plusieurs reprises afin d'obtenir des billets et des rapports. Par conséquent, en plus de vivement faire sentir à Mme Cole que sa demande initiale de congé PNR n'était pas la bienvenue, lorsque celle-ci a sensiblement réduit sa demande à une simple garantie que son quart de travail se terminerait à 16 h 00, Bell a soumis cette demande à des conditions et à des spécifications (c'est-à-dire au dépôt de rapports médicaux justifiant l'allaitement) auxquelles un employé de sexe masculin, chez Bell, n'aurait manifestement jamais été soumis. Le statut de mère allaitante de Mme Cole faisait partie intégrante de ses demandes et le rejet de ces demandes a eu une incidence tout à fait particulière sur Mme Cole en tant que femme, plus précisément en tant que mère allaitante. À ce titre, il existe un lien clair entre le traitement défavorable dont Mme Cole a fait l'objet et son statut de femme.

[64] Une preuve prima facie de différence de traitement fondée sur le sexe de Mme Cole a donc été établie.

D. Quelle est la réponse de Bell à la preuve prima facie?

[65] Comme Mme Cole a établi une preuve prima facie de discrimination, il incombe maintenant à Bell de répondre à cette preuve.

[66] Selon l'alinéa 15(1)a) de la Loi, le refus de Bell d'accorder un congé PNR ou les spécifications de Bell que Mme Cole obtienne un rapport médical justifiant sa demande de quitter le travail de bonne heure ne constitueraient pas une pratique discriminatoire s'ils étaient fondés sur une exigence professionnelle justifiée. Afin d'établir ce moyen de défense, Bell doit démontrer que la prise de mesures d'accommodement quant à la personne ou quant au groupe de personnes visées imposerait une contrainte excessive à Bell en matière de coûts, de santé et de sécurité (paragraphe 15(2)). En effet, comme la Cour Suprême l'a mentionné dans l'arrêt Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868, paragraphe 21 (Grismer), pour se prévaloir de ce moyen de défense, un employeur doit démontrer qu'il a pris toutes les mesures d'accommodement possibles tant qu'il n'en a pas résulté pour lui une contrainte excessive.

[67] Bell prétend toutefois que, avant que l'obligation d'offrir un accommodement naisse, un employé doit demander qu'on lui accorde une mesure d'accommodement et doit démontrer de façon objective qu'il est nécessaire que cette mesure soit accordée. De plus, Bell prétend que l'employé doit également fournir des renseignements pertinents à l'appui de sa demande et que ceux-ci doivent être clairs, détaillés et suffisent à étayer la demande.

[68] En l'espèce, Bell souligne que lorsque Mme Cole a parlé pour la première fois à Mme Bozzelli, elle lui a expliqué qu'elle demandait qu'un ajustement soit apporté à son horaire de travail afin de lui permettre d'allaiter son fils et pouvoir ainsi augmenter l'immunité de ce dernier aux infections. Celui-ci était particulièrement susceptible à contracter des infections en raison de ses problèmes cardiaques. S'il s'agissait là du besoin qui devait faire l'objet d'une mesure d'accommodement, Bell prétend que Mme Cole n'a pas fourni suffisamment de renseignements afin de l'étayer. Lorsque Bell lui a demandé de fournir un billet du médecin à l'appui de sa demande, les documents médicaux produits par Mme Cole ne faisaient aucune mention de l'état de santé de son fils. Aucun membre du GGI n'avait jamais entendu parler que celui-ci était malade. Si des membres du GGI en avaient entendu parler, il est possible que le GGI aurait tiré une conclusion différente en 2002 et peut-être qu'il aurait continué à appuyer la demande d'accommodement de Mme Cole sans demander que celle-ci fournisse des documents médicaux additionnels.

[69] L'argument de Bell ne tient toutefois pas compte d'un point fondamental. Pourquoi la santé du fils de Mme Cole consituerait-elle un élément d'appréciation de la demande de Mme Cole? Cela peut-il faire une différence quant à la motivation qu'a pu avoir cette mère lorsqu'elle a présenté sa demande de congé afin de pouvoir aller allaiter son enfant? L'objectif principal de Mme Cole était d'augmenter l'immunité de son fils compte tenu de sa tendance à contracter des infections et compte tenu de la possibilité d'une future intervention chirurgicale. Mme Kustec avait comme motivation d'aider sa fille à combattre ses allergies. Comme Mme Agnew l'a mentionné dans son témoignage d'expert, les avantages procurés par l'allaitement sont nombreux et ne bénéficient pas seulement à l'enfant et à la mère mais également à la société de son ensemble. Comme il fut également souligné dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) et Giguère c. Montréal (Ville) (2003), 47 C.H.R.R. D/67, 2003 QCTDP 88, paragraphes 53 à 57, ces avantages ont été reconnus à l'échelle internationale dans la Convention relative aux droits de l'enfant qui a été ratifiée par le Canada en 1991. La promotion de l'allaitement est l'un des principaux objectifs visés par l'Organisation mondiale de la Santé depuis près de trois décennies.

[70] Par conséquent, bien que Mme Cole ait informé la direction de Bell quant à la raison principale pour laquelle elle voulait continuer à allaiter son bébé après être retournée au travail, la réaction de Bell n'aurait dû être que d'examiner cette demande comme étant une demande faite par une mère qui demande à son employeur de lui accorder des mesures qui lui permettraient de continuer à allaiter son enfant. L'exigence de Bell que Mme Cole fournisse une preuve médicale afin d'étayer sa demande n'était pas justifiée. Bell aurait peut-être eu une certaine raison pour imposer cette condition si elle avait quelque raison de douter que Mme Cole avait accouché 12 mois auparavant ou de douter de sa sincérité lorsqu'elle a expliqué qu'elle allaitait toujours son enfant. Je ne suis saisi d'aucune preuve dans cette affaire que Bell a pu entretenir de telles questions ou de tels doutes.

[71] La décision prise par Bell d'exiger une preuve médicale de la part de Mme Cole était malheureuse car elle a en bout de ligne créé la possibilité que Mme Cole perde, en mai 2002, les quarts de travail garantis dont elle bénéficiait. Je suis convaincu, d'après le témoignage de Mme Cole, qu'elle fut surprise par la demande initiale de Bell voulant qu'elle présente un billet du médecin et qu'elle ne savait pas vraiment quoi faire. Elle a cependant décidé d'acquiescer à cette demande. Son principal souci était le bien-être de son enfant. Si la direction de Bell insistait pour obtenir un billet du médecin, elle lui en fournirait un.

[72] Je souligne en passant que compte tenu de ma conclusion que la demande de production d'un billet du médecin était injustifiée, rien ne porte vraiment sur la question de savoir si Mme Bozzelli a oui ou non vraiment précisé à Mme Cole que le billet du médecin devait faire précisément mention de la maladie de son fils. Quoi qu'il en soit, j'estime que le témoignage de Mme Cole a été plus crédible à cet égard. Mme Bozzelli est demeurée dans la salle d'audience pendant que Mme Cole et tous les autres témoins déposaient. Mme Bozzelli a donc eu l'avantage d'entendre la version des faits de Mme Cole avant de rendre son propre témoignage. De plus, compte tenu du désir et de la volonté de Mme Cole de faire tous les efforts nécessaires afin de s'assurer qu'elle puisse allaiter son fils, il semble fort improbable, comme il m'appert de l'ensemble de son témoignage, qu'elle aurait omis de donner suite à la demande quant à ce type de renseignement médical si Mme Bozzelli avait vraiment été aussi précise qu'elle le prétend.

[73] Au contraire, il ressort très clairement du peu de renseignements fournis dans le premier billet de la médecin que ni Mme Cole, ni sa médecin, n'ont compris ce que Bell demandait exactement. Mme Cole avait déjà expliqué sa situation à sa directrice. Néanmoins, Bell demandait des renseignements supplémentaires sur la raison pour laquelle Mme Cole avait besoin qu'on lui accorde des mesures d'accommodement en raison de sa santé. En effet, le formulaire BC1935 qu'on lui avait demandé de remplir en 2002 ne portait que sur la maladie ou l'invalidité des employés. Il ne traitait pas des maladies des membres des familles des employés et pourquoi aurait-il dû l'être? Le rôle du GGI consistait à évaluer les restrictions médicales des employés de Bell. Mme Cole ne faisait pas l'objet d'aucune restriction médicale, mais la demande de Bell l'a en fait contraint de trouver une restriction médicale (la mastite) pour obtenir les mesures d'accommodement qu'elle cherchait à obtenir afin de pouvoir répondre aux besoins de son fils. Toutefois, comme il était peu probable que la mastite se produise à nouveau après les premiers 24 mois suivant la naissance (un point sur lequel Mme Agnew et la Dr Demers s'entendent), il était certain que la demande d'accommodement présentée par Mme Cole serait refusée dès que l'enfant aurait atteint l'âge de deux ans en 2002.

[74] En ce sens, le GGI était justifié de refuser de continuer à appuyer l'octroi de mesures d'accommodement à Mme Cole. Mais l'opinion du GGI aurait dû être sans importance. Tout d'abord le GGI n'aurait jamais dû être saisi de cette affaire car Mme Cole était ni malade, ni invalide. Elle était une mère allaitante qui n'avait aucun problème de santé.

[75] Bell convient que l'acte d'allaitement n'est pas une invalidité mais prétend qu'un employeur a le droit de demander à une employée qui demande l'octroi d'une mesure d'accommodement afin de pouvoir nourrir son enfant de soumettre une preuve à l'appui objective. L'employée doit faire la preuve d'un besoin et non pas d'une simple préférence. Afin de remettre les choses dans le contexte de la présente affaire, une mère peut préférer allaiter un enfant à une certaine heure de la journée, mais est-il nécessaire qu'elle le fasse à cette heure-là? Bell prétend que c'est à l'employée qu'il incombe de faire cette preuve car, selon elle, un employeur n'est pas tenu d'accepter sans examen la demande d'un employé. L'avocat de Bell a proposé que l'on fasse une analogie avec la situation où un employé demande qu'on lui accorde une mesure d'accommodement d'ordre religieux (un congé pour motifs d'ordre religieux par exemple). Un employeur serait justifié de demander une confirmation à l'ecclésiastique de l'employé quant à l'authenticité de la pratique religieuse de ce dernier. De même, Bell a prétendu qu'un employeur serait justifié de demander à une femme de fournir une preuve médicale que l'accommodement d'allaitement qu'elle demande est nécessaire. Bell n'a fourni aucun fondement juridique à l'appui de cet argument.

[76] De plus, je ne souscris pas à la prémisse de cette analogie. Dans Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, paragraphe 43, une affaire qui portait sur la liberté de religion, la Cour suprême a jugé que l'accent dans une telle affaire porte sur le choix personnel exercé à l'égard des croyances religieuses. Un expert ou une autorité en droit religieux ne saurait remplacer l'affirmation par l'intéressé de ses croyances religieuses. Exiger la preuve des pratiques établies d'une religion pour apprécier la sincérité de la croyance diminue la liberté même que l'on cherche à protéger. Le demandeur peut présenter une preuve d'expert pour démontrer que ses croyances correspondent aux pratiques et croyances des autres disciples de sa religion. Bien qu'une telle preuve puisse être pertinente pour établir la sincérité de la croyance, elle n'est pas nécessaire (Syndicat Northcrest, paragraphe 54).

[77] Si on se fie à l'analogie de Bell, s'il n'est pas nécessaire qu'un revendicateur de la liberté de religion présente une soi-disante preuve objective de pratique religieuse pour établir la sincérité de ses croyances religieuses, pourquoi alors une mère devrait-elle produire une preuve objective afin de prouver sa sincérité lorsqu'elle déclare qu'elle allaite son enfant et qu'elle a besoin de mesures d'accommodement pour pouvoir continuer à l'allaiter après son retour au travail? Selon moi, en l'absence d'une preuve contraire qui amènerait l'employeur à douter de la sincérité de l'affirmation de l'employée (c'est-à-dire qu'elle a un enfant et qu'elle allaite), la mère ne devrait pas avoir à prouver à son employeur qu'il est nécessaire qu'elle allaite son enfant. Comme il a été souligné dans la cause en matière d'arbitrage Re : Carewest and H.S.A.A. (2001), 93 L.A.C. (4th) 129, page 160, l'allaitement, qui, de toute évidence, est propre à la femme, est aussi intimement lié à la naissance que la grossesse et devrait être protégé de la même manière (voir également Giguère, précitée, paragraphe 60).

[78] Je ne souscris donc pas à la prétention de Bell qu'un employeur est justifié de demander à son employée de fournir une preuve indépendante de son besoin d'allaiter son enfant. Par conséquent, la demande de Bell, en l'espèce, que Mme Cole produise une preuve médicale à l'appui de sa demande d'accommodement n'était pas justifiée. Bell ne peut donc pas faire valoir, comme explication raisonnable ou satisfaisante, que Mme Cole n'a soumis au GGI aucun document médical quant à l'état de santé de son enfant.

E. Bell a-t-elle prouvé qu'elle a pris toutes les mesures d'accommodement possibles sans qu'il en résulte pour elle une contrainte excessive?

[79] En l'espèce, non seulement Bell n'a pas prouvé qu'elle a pris toutes les mesures d'accommodement possibles sans qu'il en résulte pour elle une contrainte excessive, mais rien n'indique qu'elle a tenté d'accommoder Mme Cole en tant que mère qui allaite son enfant. La demande initiale d'octroi de congé PNR présentée par Mme Cole fut très mal accueillie. Sa demande ultérieure qu'on lui garantisse que son quart de travail se termine à 16 h 00 n'a pas été traitée de façon appropriée. Bien qu'il soit vrai que, en fait, on lui a accordé des quarts de travail à heure fixe pour l'année suivante, cela ne fut pas fait dans le but de répondre à ses besoins en tant que mère, mais plutôt à ses besoins en tant que personne invalide ou malade. Comme je l'ai déjà expliqué, cette qualification erronée a éventuellement résulté en une perte potentielle pour Mme Cole de ses quarts de travail garantis et a obligé cette dernière à retourner à plusieurs reprises chez sa médecin afin d'obtenir sans cesse un nouveau rapport médical.

[80] Il n'est pas étonnant que Bell n'ait pas répondu à la demande d'accommodement de Mme Cole, compte tenu du fait que, comme la Dr Demers l'a affirmé dans son témoignage, Bell n'a établi aucune politique quant à la prise de mesures visant à accommoder les employées qui allaitent leur enfant. Les décisions sont prises au cas par cas par les gestionnaires. Nous savons, par exemple, que Bell a répondu à la demande d'accommodement de Mme Kustec. Mme Long a dit à Mme Cole qu'elle n'accorderait aucun congé PNR pour allaitement aux employées qui travaillaient dans son service, mais qu'elle envisageait la possibilité de tenter de trouver des solutions de rechange heure du dîner etc., etc..

[81] Non seulement Bell n'a pas tenté d'accommoder Mme Cole en tant que mère, mais la preuve déposée devant le Tribunal donne à penser que l'attribution à Mme Cole d'un quart de travail qui se termine à 16 h 00 n'aurait occasionné aucune contrainte à Bell, encore moins une contrainte excessive. Compte tenu de son ancienneté, Mme Cole avait droit qu'on lui accorde, à quelques exceptions près, ces quarts de travail garantis à tous les jours. Mme Bozzelli a fait allusion dans son témoignage à certains commentaires que certains autres employés ont apparemment faits lorsqu'ils ont remarqué que les quarts de travail de Mme Cole se terminaient toujours à 16 h 00. Aucun autre détail n'a toutefois été donné à propos de ces commentaires et aucune preuve n'a été déposée quant à des conséquences qui auraient découlé de ces observations faites par les autres employés. Aucune preuve n'a donc été produite quant à une incidence possible sur les droits d'ancienneté des autres employés.

[82] De plus, Bell n'a même pas démontré que la demande de Mme Cole qu'on lui accorde un quart de travail qui se termine plus tôt (voir même une heure plus tôt) était déraisonnable. L'employeur n'aurait pas eu à verser un salaire à Mme Cole pendant qu'elle était absente car cette absence aurait été considérée comme étant un congé PNR. De plus, l'absence aurait eu lieu à la fin de la journée. Mme Cole a affirmé dans son témoignage que, selon son expérience, il n'y avait d'ordinaire pas plus d'une personne en pause à 15 h 45. Un plus grand nombre de personnes étaient absentes de leur poste de travail à l'heure du dîner, moment auquel Mme Kustec s'est vu accorder son congé PNR afin de pouvoir allaiter son enfant. La seule preuve de Bell à cet égard est un commentaire fait par Mme Long selon quoi il lui était difficile de prédire les besoins lorsque Mme Cole a présenté sa demande. Mme Long a ajouté que, actuellement (c'est-à-dire en novembre 2006, lorsqu'elle a témoigné), Bell a vraiment besoin que ses employés soient présents entre 16 h 00 et 17 h 00 et que l'heure du dîner n'a jamais posé de problème.

[83] Selon moi, Bell n'a pas établi selon la prépondérance des probabilités que, en 2002, les absences quotidiennes de Mme Cole, lesquelles pouvaient commencer jusqu'à une heure avant la fin de son quart de travail ordinaire, lui aurait imposé une contrainte excessive.

[84] Je conclus par conséquent que Bell n'a pas établi la défense prévue à l'alinéa 15(1)a) ainsi qu'au paragraphe 15(2) de la Loi.

[85] Comme aucune autre explication raisonnable ou satisfaisante et comme aucune exemption n'ont été établies afin de réfuter la preuve prima facie de discrimination, je conclus que Mme Cole a fait l'objet de discrimination de la part de Bell en raison de son sexe, au sens de l'article 7 de la Loi, et que sa plainte est donc fondée.

F. Quelles redressements Mme Cole demande-t-elle?

(i) La délivrance d'une ordonnance en vertu de l'alinéa 53(2)a) de la Loi

[86] Mme Cole demande que le Tribunal ordonne à Bell, en vertu de l'alinéa 53(2)a) de la Loi, qu'elle prenne des mesures afin d'empêcher que la pratique discriminatoire qui s'est produite en l'espèce ne se reproduise plus. Elle souligne que Bell n'informe pas ses employées qui retournent au travail après leur congé de maternité de la possibilité de lui demander des accommodements afin d'allaiter leur enfant. Mme Cole prétend que si elle avait été au courant de ses droits à cet égard, elle aurait présenté sa demande plus énergiquement, par exemple en n'annulant pas sa demande initiale de congé PNR.

[87] Comme je l'ai déjà souligné, Bell reconnaît qu'elle n'a mis en place aucune politique officielle en matière d'accommodement des employées qui désirent allaiter. Les demandes sont traitées au cas par cas. Bell n'a produit aucune preuve indiquant qu'elle fournit actuellement des renseignements à ses employés quant à cette forme d'accommodement.

[88] Selon moi, la demande de délivrance de l'ordonnance susmentionnée présentée par Mme Cole est raisonnable. La direction de Bell et l'ensemble de son personnel bénéficieraient d'une plus grande compréhension de leurs obligations et de leurs droits respectifs prévus dans la Loi quant à cette question particulière. Cela pourrait à son tour empêcher que des pratiques discriminatoires, semblables à celle en l'espèce, se produisent dans l'avenir.

[89] J'ordonne donc que Bell prenne, en conformité avec l'alinéa 53(2)a), en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures destinées à prévenir que des actes semblables ne se reproduisent. Ces mesures doivent comprendre la mise en place d'une politique relative aux demandes d'accommodement présentées par les employés de Bell en rapport avec l'allaitement qui est compatible avec les conclusions de la présente décision. Les employés de Bell, notamment les parents qui sont les plus susceptibles d'être touchés par la politique, devraient être informés de façon appropriée quant à la teneur de cette politique.

(ii) Indemnité pour préjudice moral (alinéa 53(2)e))

[90] Mme Cole demande que Bell soit condamnée à l'indemniser pour le préjudice moral qu'elle a subi en raison de la pratique discriminatoire. Elle réclame le montant d'indemnité maximum prévu à l'alinéa 53(2)e), soit 20 000 $.

[91] Une partie du prétendu préjudice subi par Mme Cole a trait au fait que celle-ci n'a pas obtenu une heure de congé PNR à la fin de ses quarts de travail. En étant obligée de quitter son travail au plus tôt à 16 h 00, elle ne pouvait se rendre voir son fils que tout juste avant son prochain allaitement et environ 12 heures après son dernier allaitement. Par conséquent, le lait de Mme Cole avait tendance à s'accumuler et, tôt ou tard, il se mettait à couler. Mme Cole portait des coussinets pour sein afin d'empêcher que l'écoulement paraisse sur ses vêtements. L'écoulement provoquait des odeurs. Mme Cole a qualifié cette situation d'humiliante. Elle a reconnu que les écoulements pouvaient se produire à n'importe quel moment de la journée, mais elle a prétendu que ceux-ci devenaient plus fréquents au fur et à mesure que l'heure du prochain allaitement de son fils approchait.

[92] Mme Cole a également témoigné qu'il arrivait parfois, vers la fin de son quart de travail, qu'elle soit en train de parler avec un client et qu'elle ne puisse pas mettre fin immédiatement à la conversation. Par conséquent, il arrivait parfois qu'elle aille voir son fils avec 15 minutes de retard. Ce retard avait pour conséquence que ses seins s'engorgeaient davantage, ce qui lui occasionnait certaines douleurs physiques.

[93] Mme Cole a également décrit les désagréments que lui ont occasionné les visites répétées qu'elle a dû faire chez sa médecin afin d'obtenir des billets et des rapports dans le but de justifier les mesures d'accommodement qu'elle voulait obtenir même si elle n'était ni malade, ni invalide. Elle a également parlé de l'angoisse et de l'incertitude qu'elle a éprouvées lorsqu'elle a appris, en mai 2002, que les mesures d'accommodement qui lui avaient été accordées jusque là, prendraient bientôt fin, à moins qu'elle ne fournisse une preuve médicale qui satisfasse Bell et le GGI.

[94] De plus, Mme Cole a expliqué la souffrance morale et le sentiment de perte que lui a occasionné le fait de devoir cesser d'allaiter son fils en octobre 2002, à la suite des remarques faites par Mme Blackall le 27 septembre 2002. Je ne suis toutefois pas convaincu que ces remarques ont été la cause de la décision de Mme Cole d'arrêter d'allaiter son enfant en octobre 2002. Bien qu'il soit vrai que les remarques de Mme Blackall reflètent le fait que Bell n'a pas réussi à répondre adéquatement aux demandes de Mme Cole, on doit également souligner que Mme Blackall n'a jamais vraiment dit à Mme Cole que ses quarts de travail se terminant à heure fixe prendraient fin. En effet, Mme Cole n'a jamais été affectée, après novembre 2002, sur un quart de travail se terminant après 16 h 00, et, officiellement, Bell n'a pas mis fin à l'accommodement d'ordre médical avant février 2003. Mme Cole devait en fait savoir, ou à tout le moins se douter, que Bell n'avait pas officiellement modifié sa position à cet égard. C'est ce qui ressort du fait que, à trois reprises, en octobre et novembre 2002, alors qu'on l'avait affectée à certains quarts de travail qui se terminaient après 16 h 00, elle a immédiatement communiqué avec Mme Blackall, laquelle a rapidement corrigé le problème et a vu à ce que ses quarts de travail se terminent au plus tard à 16 h 00.

[95] Mme Cole a reconnu que ce fut toujours elle qui pouvait décider quand arrêter l'allaitement. Le pédiatre de son enfant lui avait tout simplement conseillé de continuer l'allaitement tant et aussi longtemps que cela conviendrait à elle et à son fils.

[96] Je ne suis pas convaincu que la décision prise en bout de ligne par Mme Cole de mettre fin à l'allaitement fut vraiment liée à l'avis de Mme Blackall; c'est plutôt par choix personnel que Mme Cole a mis fin à l'allaitement. Le préjudice moral qui a été occasionné à Mme Cole en raison de sa décision de ne plus allaiter son enfant en octobre 2002 a été, selon moi, trop indirect pour être attribué à la conduite discriminatoire de Bell.

[97] Enfin, je ne peux pas ignorer le fait important que, de mai 2001 à février 2003, mois où Mme Cole a quitté le service HVQ, elle n'a jamais dû travailler sur un quart de travail qui devait se terminer après 16 h 00. Il est arrivé à quelques reprises que, afin de terminer à 16 h 00, Mme Cole a dû utiliser des journées de congé de maladie ou échanger ses quarts de travail avec d'autres employés, mais il n'en reste pas moins qu'elle n'a jamais travaillé sur un quart de travail qui devait se terminer après 16 h 00.

[98] Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, j'ordonne à Bell de verser à Mme Cole la somme de 5 000 $ au titre de l'indemnité prévue à l'alinéa 53(2)e) de la Loi.

(iii) L'indemnité spéciale prévue au paragraphe 53(3) de la Loi

[99] Mme Cole sollicite l'adjudication d'une indemnité spéciale en conformité avec le paragraphe 53(3) de la Loi. Elle prétend que Bell a commis un acte discriminatoire inconsidéré contre elle. En refusant avec désinvolture de lui accorder aussi peu qu'un congé PNR de 15 minutes, sans évaluer davantage sa situation, et, au cours de la seconde étape, en qualifiant mal sa situation comme étant celle d'une employée invalide ou malade et en l'obligeant à retourner à de nombreuses reprises chez sa médecin, Bell a agi de façon inconsidérée

[100] Selon le Black's Law Dictionary, un acte inconsidéré est un acte qui fait preuve d'indifférence à l'égard des conséquences. Le mot recklessly dans la version anglaise de la Loi est traduit dans la version française par le mot inconsidéré, lequel semble envisager un acte qui a été commis de façon irréfléchie (qui témoigne d'un manque de réflexion; qui n'a pas été considéré, pesé : Le petit Robert de la langue française - 2006).

[101] Selon moi, dans une langue ou l'autre, le qualificatif peut être attribué à l'acte discriminatoire commis par Bell en l'espèce. Mme Long n'a pas semblé avoir réfléchi aux conséquences de sa réponse plutôt abrupte à la demande de congé PNR de Mme Cole. La décision ultérieure de Bell de traiter le cas de Mme Cole comme étant un cas d'ordre médical a également été prise sans que l'on se demande d'abord si l'allaitement devrait être traité de la même manière qu'une invalidité ou qu'une maladie. Cette décision a donné lieu à un certain nombre de conséquences fâcheuses pour Mme Cole, notamment que celle-ci a dû se rendre inutilement à de nombreuses reprises chez sa médecin.

[102] Le paragraphe 53(3) mentionne qu'une indemnité maximale de 20 000 $ peut être accordée. Compte tenu de l'ensemble des circonstances en l'espèce, notamment du fait que les actes discriminatoires commis par Bell n'étaient pas vraiment délibéré ou malveillants, j'ordonne à Bell de payer à Mme Cole la somme de 2 000 $ au titre de l'indemnité spéciale prévue au paragraphe 53(3).

(iv) La perte de salaires

[103] Mme Cole demande, en vertu de l'alinéa 53(2)c), qu'on lui accorde une indemnité pour les salaires qu'elle a perdus en raison de l'acte discriminatoire. Cette demande peut être divisée en trois catégories. La première catégorie a trait aux cas où Mme Cole a dû quitter le travail sans rémunération afin de se rendre chez sa médecin dans le but d'obtenir les billets médicaux et de faire remplir les formulaires comme le GGI lui avait demandé. La deuxième catégorie de demande a trait au temps que Mme Cole a passé en dehors du travail afin de se présenter à l'audience de sa plainte et a trait également aux deux séances de médiation qui ont précédé l'audience. Enfin, Mme Cole demande également qu'on lui accorde une indemnité pour les trois jours qu'elle a consacrés à sa préparation pour l'audience (l'une de ces journées était une journée de travail qu'elle a prise en congé PNR).

[104] En ce qui concerne la première catégorie de réclamation, j'ordonne à Bell de payer à Mme Cole les salaires qu'elle a perdus en se rendant à des rendez-vous chez sa médecin afin d'obtenir les billets médicaux et les rapports demandés.

[105] En ce qui concerne les deux autres types de réclamations, selon moi, je ne suis saisi, en l'espèce, d'aucune circonstance exceptionnelle qui justifierait l'octroi de telles indemnités (voir Canada (P.G.) c. Lambie (1996), 124 F.T.R. 303, [1996] A.C.F. no 1695 (C.F. 1re inst.); Woiden c. Lynn (2002), 43 C.H.R.R. D/296 (T.C.D.P.)). Les réclamations de Mme Cole au titre de ces chefs de dommage sont donc rejetées.

(v) Les intérêts

[106] Des intérêts sont payables sur les montants d'indemnité accordés dans la présente décision (paragraphe 53(4) de la Loi). Les intérêts sont calculés conformément au paragraphe 9(12) des Règles de procédures du Tribunal, mais compte tenu du dépôt relativement tardif de la plainte en matière de droits de la personne de Mme Cole en rapport avec l'acte discriminatoire, les intérêts courent à compter de la date du dépôt de la plainte, soit le 14 avril 2004.

(vi) La déclaration de compétence par le Tribunal

[107] Le Tribunal conservera sa compétence à recevoir des témoignages, à entendre des arguments supplémentaires et à rendre des ordonnances supplémentaires en ce qui a trait aux conflits ou aux problèmes découlant de l'interprétation ou de l'application des redressements ordonnés.

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)
Le 4 avril 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1114/9505

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Hayley Cole c. Bell Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 14 au 17 novembre 2007

Le 20 novembre 2007

Toronto (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 4 avril 2007

ONT COMPARU :

Hayley Cole

Pour elle-même

Aucun représentant

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Johanne Cavé

Pour l'intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.