Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE:

GINO DUMONT

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

TRANSPORT JEANNOT GAGNON INC.

l'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

D.T. 2/02

2002/02/01

MEMBRE INSTRUCTEUR: Me Roger Doyon, président

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. LA PREUVE

A. Preuve de la Commission et du plaignant

B. Preuve de l'intimée T.J.G.

III. ANALYSE DE LA PREUVE

IV. RÉPARATIONS

A. Pertes salariales

B. Frais de déplacement

V. PRÉJUDICE MORAL

VI. INTÉRÊT

VII. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] Le 28 mars 1998, Gino Dumont a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) une plainte à l'encontre de son ancien employeur, Transport Jeannot Gagnon inc. (T.J.G.). Il soutient que T.J.G. a contrevenu aux dispositions de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) en refusant de continuer de l'employer en raison d'une déficience, soit un pneumothorax au poumon gauche.

[2] À l'audition, le Tribunal a permis à la Commission d'amender le motif de la plainte afin qu'il se lise ainsi : En raison d'une déficience ou d'une perception de déficience.

II. LA PREUVE

A. Preuve de la Commission et du plaignant

[3] En mars 1996, le plaignant, résidant à l'Isle-Verte, exerce le métier de chauffeur de camion de type semi-remorque affecté principalement au transport longue distance.

[4] Alors qu'il est temporairement sans emploi, Gino Dumont apprend que l'intimée, T.J.G., entreprise de transport routier dont le siège social est à Rivière-du-Loup, est à la recherche de chauffeurs de camion semi-remorque.

[5] Il communique avec le président de l'entreprise, Jeannot Gagnon, qui lui fixe un rendez-vous vers le 27 mars 1996. Lors de la rencontre, Gino Dumont répond aux questions du président et, en sa compagnie, il se soumet à un test routier avec un camion semi-remorque.

[6] Jeannot Gagnon est intéressé à embaucher le plaignant. Toutefois, comme il devra se rendre fréquemment aux Etats-Unis, il exige que Gino Dumont lui fournisse une preuve écrite attestant qu'il n'a aucun dossier judiciaire en matière criminelle. Sur remise de cette attestation, Jeannot Gagnon embauche le plaignant à compter du 31 mars 2001 en lui précisant que l'engagement est d'une durée indéterminée. Il lui mentionne toutefois que, s'il désire travailler, il aura du travail à temps plein et de façon continue.

[7] La rémunération du plaignant est de 0,17 $ du mille parcouru auquel s'ajoute un montant additionnel de 0,05 $ du mille parcouru pour défrayer le coût des repas et de l'hébergement.

[8] Gino Dumont est appelé à voyager pour la plupart du temps depuis le Québec jusqu'au Sud-Est des Etats-Unis et occasionnellement au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse.

[9] Le 2 juin 1996, le plaignant quitte Rivière-du-Loup pour une livraison de papier journal au Wall Street Journal à Bowling Green, Ohio. En arrivant à Bowling Green, le 4 juin 1996, il ressent un malaise passager au bas de l'épaule gauche.

[10] Rendu au Wall Street Journal, le malaise reprend de façon beaucoup plus aiguë et intensive accompagné de difficultés respiratoires. Craignant un problème cardiaque, il communique avec son employeur et sa conjointe pour les informer de son état de santé et de son hospitalisation. Il est transporté par ambulance au Wood County Hospital à Bowling Green.

[11] Les examens médicaux révèlent une perforation au poumon gauche ou pneumothorax. Comme le plaignant parle peu anglais, il apprécie la présence d'une interprète à l'emploi du Wall Street Journal qui demeure à son chevet pendant quelques heures. Il subit une intervention chirurgicale ou l'on procède à la pose d'un tube de drainage thoracique au poumon gauche.

[12] Au cours de sa période d'hospitalisation, le plaignant relate avoir reçu un appel téléphonique de son patron qui l'avise qu'il prend les dispositions pour lui faire acheminer ses effets personnels demeurés dans le camion et pour le retour du camion à son terminus. Il ajoute que l'incident survenu lui coûte cher.

[13] La conjointe du plaignant lui téléphone et lui fait part des propos que lui aurait tenus Jeannot Gagnon à l'effet qu'il s'occupait du camion et qu'elle devait prendre charge de son conjoint.

[14] Le 7 juin 1996, le tube de drainage thoracique est enlevé et il obtient son congé de l'hôpital pour le 8 juin. Entre-temps, l'interprète du Wall Street Journal lui obtient un billet d'avion. À sa sortie de l'hôpital, un employé du Wall Street Journal le conduit à Détroit où il prend l'avion pour Montréal et il regagne sa résidence au cours de la soirée du 8 juin.

[15] Le 9 juin 1996 au matin, Gino Dumont ressent à nouveau un malaise au poumon gauche et des difficultés respiratoires. Sa conjointe le conduit à l'hôpital du Grand-Portage à Rivière-du-Loup. Le diagnostic médical démontre à nouveau un pneumothorax important au poumon gauche et le plaignant subit une intervention chirurgicale pour la pose d'un tube de drainage thoracique.

[16] Pendant son séjour à l'hôpital du Grand-Portage, Jeannot Gagnon communique avec le plaignant pour connaître son état de santé.

[17] Il est hospitalisé jusqu'au 12 juin 1996 et il est revu en clinique externe le 14 juin 1996 pour enlever le tube de drainage thoracique. Le médecin traitant estime qu'il n'y a pas d'évidence de récidive du pneumothorax mais il recommande au plaignant une période de repos jusqu'au 1er juillet mais sans remise d'une attestation écrite à cet effet.

[18] Le même jour, Gino Dumont se rend au siège social de son employeur pour obtenir une cessation d'emploi pour cause de maladie. Il rencontre Jeannot Gagnon qui lui mentionne que la quantité de travail a diminué. Le plaignant lui dit qu'il pourra reprendre le travail à compter du 1er juillet 1996. Jeannot Gagnon exige que le plaignant lui fournisse d'abord un certificat médical attestant qu'il est apte à reprendre le travail et qu'il prendra ensuite une décision.

[19] Gino Dumont rencontre son médecin traitant le 27 juin et il obtient un certificat médical lui permettant de reprendre le travail sans restriction. Il tente alors de communiquer à plusieurs reprises avec son patron mais ne peut lui parler. Le 5 juillet 1996, il se présente chez son employeur et remet le certificat médical en mains propres à Jeannot Gagnon. Il lui explique la maladie qu'il a vécue, l'assure qu'il est complètement rétabli et prêt à reprendre immédiatement le travail.

[20] Jeannot Gagnon lui rappelle qu'il a peu de travail en ce moment. Il lui annonce aussi qu'il a confié le camion que le plaignant conduisait à un autre chauffeur dont le camion est en réparations.

[21] Entre-temps, Gino Dumont apprend qu'il n'est pas éligible aux prestations de l'assurance-emploi et, étant sans revenu, il est très anxieux de reprendre le travail.

[22] Dans les jours qui suivent, Gino Dumont constate que le camion qu'il conduisait continue d'être assigné à un autre chauffeur. Il communique à nouveau avec son employeur pour obtenir du travail. Jeannot Gagnon lui répond qu'en raison du problème qu'il a vécu, il ne peut prendre le risque de lui offrir à nouveau un travail.

[23] Le plaignant comprend des propos de Jeannot Gagnon que son refus de le reprendre au travail repose uniquement sur le fait qu'il craint une récidive de sa maladie et qu'il doit se chercher un autre emploi.

[24] Toutefois, il communique avec la Commission des normes du travail du Québec qui le réfère à la Commission canadienne des droits de la personne à laquelle il s'adresse par écrit le 2 août 1996. (Pièce HR-36)

[25] Gino Dumont obtient un emploi temporaire de chauffeur de camion semi-remorque longue distance chez Martillini inc. de Rivière-du-Loup et ce, du 14 juillet 1996 au 2 août 1996. (Pièce HR-37)

[26] Par la suite, il est embauché du 19 août 1996 au 1er novembre 1996 par Gervais Dubé inc. de Trois-Pistoles comme chauffeur de machinerie lourde. (Pièce HR-38) Bien que cet employeur ait une semaine additionnelle de travail à lui accorder, il quitte cet emploi pour aller travailler chez Alain Normand Transport inc. de Saint-Antonin. Des circonstances indépendantes de sa volonté l'empêchent de débuter le travail de chauffeur de camion semi-remorque longue distance avant le 5 janvier 1997. (Pièce HR-39)

[27] Entre-temps, Gino Dumont décroche un poste de chauffeur de camion semi-remorque longue distance du 6 novembre 1996 au 20 décembre 1996 chez Silva inc. de St-Clément.

[28] Le plaignant maintient son emploi chez Alain Normand Transport inc. jusqu'au 2 août 1998 alors qu'il décide de démissionner de son emploi car le métier qu'il occupe l'oblige à être constamment absent de son foyer. Comme il est devenu père de famille, il préfère effectuer un travail lui assurant une présence plus constante auprès de sa famille et ces emplois subséquents lui permettent d'atteindre son objectif.

[29] La conjointe du plaignant a été entendue. Essentiellement, son témoignage a révélé que Jeannot Gagnon lui avait mentionné au téléphone qu'il s'occupait de ramener son camion et qu'elle devait s'occuper de son conjoint.

B. Preuve de l'intimée T.J.G.

[30] L'intimée T.J.G. était représentée par son président et unique actionnaire. Jeannot Gagnon. Il a tenu à donner sa propre version des faits.

[31] Il corrobore la version du plaignant quant aux circonstances entourant son embauche. Il affirme également qu'il était satisfait du travail effectué par Gino Dumont.

[32] Concernant l'incident survenu le 4 juin 1996 à Bowling Green, Ohio, il reconnaît avoir reçu un appel téléphonique du plaignant l'avisant de son état de santé. Il prétend lui avoir dit de se rendre à l'hôpital, de le rappeler lorsqu'il serait rétabli et qu'il enverrait quelqu'un pour le ramener chez-lui. Jeannot Gagnon soutient que le plaignant ne l'a pas rappelé.

[33] Il raconte que les informations qu'il recevait concernant l'état de santé du plaignant lui parvenaient d'une personne au Wall Street Journal qui communiquait régulièrement avec sa secrétaire.

[34] Jeannot Gagnon est convaincu qu'il n'a jamais parlé au plaignant tant au cours de son hospitalisation au Wood County Hospital de Bowling Green que celle à l'hôpital Le Grand-Portage à Rivière-du-Loup.

[35] Le témoin soutient que le plaignant s'est présenté au siège social de l'entreprise le 13 ou le 14 pour obtenir une cessation d'emploi laquelle a été préparée et signée par le témoin le 13 juin 1996. (Pièce H.R. 4) Gino Dumont lui a fait part qu'il avait eu un malaise au poumon. Tout en admettant qu'il exigeait un certificat médical avant de permettre à un employé de reprendre le travail, il déclare

(note sténographiques page 271)

« Il est venu chercher sa cessation de travail, son congé de maladie autrement dit. C'est cette journée-là qu'on lui a donné sa feuille. Ça contredit complètement ce que monsieur vient de dire, parce que sa feuille de congé de l'hôpital, je ne l'ai jamais eue.

Parce que nous autres, on l'exige avant de prendre quelqu'un, il fait qu'il soit en bonne santé. C'est un peu normal. On l'exige cette feuille-là, on l'a jamais eue. Elle a peut-être été égarée mais, moi, je l'ai jamais vue.»

[36] Il reconnaît toutefois qu'il est possible que le certificat médical exigé ait été remis à sa secrétaire. Le témoin soutient également que le plaignant l'aurait avisé qu'il serait en convalescence pendant six (6) mois. C'est ce qu'il prétend avoir compris.

[37] Il affirme qu'il avait du travail à fournir à Gino Dumont et que, malgré de nombreuses tentatives, il a été incapable de le rejoindre. Aussi, il en a conclu que le plaignant s'était trouvé un autre emploi.

[38] Interrogé sur la raison qui l'aurait motivé à ne pas reprendre le plaignant à son service, Jeannot Gagnon déclare : (notes sténographiques page 297)

« Pourquoi je ne l'ai pas repris, parce qu'il n'est pas venu me voir. Quant on tient à notre job, on retourne voir le jobber. Il n'est pas venu me voir, c'est moi le jobber.»

[39] Par ailleurs, il affirme qu'en aucun temps, la maladie du plaignant n'a été prise en considération et que Gino Dumont aurait à nouveau obtenu du travail s'il avait manifesté son intérêt en communiquant avec lui.

[40] En contre-interrogatoire, Jeannot Gagnon a reconnu avoir signé une lettre adressée à la Commission canadienne des droits de la personne le 9 juin 1998 (Pièce HR-42) dont le contenu sera considéré lors de l'analyse de la preuve.

III. ANALYSE DE LA PREUVE

[41] La preuve démontre que le 31 mars 1996 l'intimée T.J.G. a embauché le plaignant Gino Dumont comme chauffeur de camion semi-remorque. Le 4 juin 1996, le plaignant a subi un pneumothorax pendant qu'il était dans l'exécution de ses fonctions avec récidive le 9 juin 1996 et il n'a pas repris le travail chez l'intimée.

[42] Gino Dumont prétend qu'il a été victime de discrimination de la part de l'intimée qui a refusé de continuer de l'employer en raison d'une déficience ou d'une apparence de déficience soit le risque d'une récidive de sa maladie pulmonaire. Ainsi, l'intimée a contrevenu aux dispositions des articles 2 et 7a) de la Loi canadienne des droits de la personne.

[43] Il y a lieu de déterminer immédiatement si non seulement la déficience mais encore la perception de déficience peuvent constituer un motif de discrimination.

[44] Dans l'affaire City of Montreal and communauté urbaine de Montréal vs Commission des droits de la personne du Québec et Réjeanne Mercier (2000) 1, R.C.S. page 665, la Cour suprême devait se prononcer ainsi sur la portée du mot <handicap> comme motif de discrimination, page 666 :

« Le motif <handicap> ne doit pas être enfermé dans une définition étanche et dépourvue de souplesse. Il y a plutôt lieu d'adopter une approche multidimensionnelle qui tienne compte de l'élément socio-politique du motif. L'emphase est mise sur la dignité humaine, le respect et le droit à l'égalité, plutôt que sur la condition biomédicale tout court. Un handicap peut être soit réel ou perçu. Ainsi, une personne peut n'avoir aucunes limitations dans la vie courante sauf celles qui sont créées par le préjudice et les stéréotypes. Les tribunaux devront donc tenir compte non seulement de la condition biomédicale de l'individu mais aussi des circonstances dans lesquelles une distinction est faite. Un <handicap> n'exige pas obligatoirement la preuve d'une limitation physique ou la présence d'une affection quelconque. L'accent est mis sur les effets de la distinction, exclusion ou préférence plutôt que sur la cause ou l'origine précise du handicap.»

[45] Cette définition large et libérale trouve également son application pour le motif <déficience> qui doit s'étendre également au motif de <perception de déficience. >

[46] La Commission devait faire une preuve prima facie de discrimination. Cette preuve démontre que Gino Dumont a subi deux (2) pneumothorax entre le 4 et le 9 juin 1996. Le 14 juin 1996, il rencontre son employeur T.J.G. pour l'informer qu'il sera en convalescence jusqu'au 1er juillet 1996 et obtenir une cessation d'emploi pour cause de maladie.

[47] Jeannot Gagnon exige la production d'un certificat médical avant de lui fournir du travail et il lui souligne que les affaires sont tranquilles. Le plaignant obtient un certificat médical le 27 juin 1996 qui indique : il pourra reprendre le travail le 1er juillet 1996. Ce certificat médical n'indique aucune restriction, ni limitation.

[48] Le plaignant tente de rejoindre son patron à plusieurs reprises, mais il lui est impossible de lui parler. Entre-temps, il a appris qu'il n'est pas éligible aux prestations de l'assurance-emploi et il désire reprendre le travail. Il décide de se présenter subitement au bureau de l'entreperise et Jeannot Gagnon le reçoit.

[49] Gino Dumont jure qu'il a remis le certificat médical à son patron qui lui a dit que <les affaires sont tranquilles et que le camion qu'il conduisait a été confié à un autre chauffeur. >

[50] Dans les jours qui suivent, le plaignant rejoint à nouveau son patron pour obtenir du travail mais ce dernier lui révèle qu'il ne peut le maintenir à son emploi en raison du problème qu'il a vécu.

[51] Le Tribunal est satisfait de la preuve prima facie soumise par la Commission et le plaignant. Il lui apparaît que le plaignant n'a pas été maintenu dans son emploi en raison d'une perception de déficience et qu'il a été victime d'un acte discriminatoire.

[52] Une fois la preuve prima facie reconnue comme bien fondée par le Tribunal, il appartenait à l'intimée de démontrer que son refus de maintenir le plaignant à son emploi ne constitue pas un acte discriminatoire mais qu'il repose plutôt sur une exigence professionnelle justifiée selon les dispositions de l'article 15 (1) a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[53] Le représentant de l'intimée, Jeannot Gagnon, ne fonde aucunement sa défense sur l'exigence professionnelle justifiée. Il prétend plutôt que Gino Dumont, par son comportement, a tout simplement abandonné son emploi.

[54] Au soutien de ses prétentions, il affirme avoir rencontré le plaignant le 14 juin 1996 lorsque ce dernier s'est présenté pour obtenir sa cessation d'emploi. Le plaignant lui aurait alors mentionné qu'il était en convalescence pour une période de six (6) mois. Contre-interrogé sur cette période de convalescence, il admet qu'il peut avoir mal compris les propos du plaignant et qu'il est possible que Gino Dumont lui ait mentionné qu'il était en convalescence pour un (1) mois. Comment le plaignant pouvait-il mentionner à l'intimée qu'il était en convalescence pour un (1) mois alors que le certificat médical (Pièce HR-42) indiquait jusqu'au 1er juillet 1996 ? Cette prétention de Jeannot Gagnon ne mérite pas d'être retenue.

[55] Jeannot Gagnon soutient qu'il n'a jamais revu le plaignant après sa visite du 14 juin 1996 et que ce dernier ne lui a jamais remis le certificat médical attestant qu'il était apte à reprendre le travail le 1er juillet 1996. Toutefois, en contre-interrogatoire, il reconnaît que ce certificat médical peut avoir été remis à sa secrétaire ou s'être égaré et il affirme ne l'avoir jamais vu. Les versions contradictoires de Jeannot Gagnon ne permettent pas de conclure que le certificat médical du plaignant n'a pas été porté à sa connaissance.

[56] Dans une lettre qu'il adresse à la Commission canadienne des droits de la persobnne le 9 juin 1998 (Pièce H.R. 42) on y lit :

« En aucun temps, nous n'avons pensé que Monsieur Dumont pouvait être victime d'une autre maladie pulmonaire car nous ne savions même pas de quoi celui-ci souffrait.»

[57] Or, à l'audition, Jeannot Gagnon a admis que sans connaître le terme médical exact, il savait que le plaignant avait eu des malaises pulmonaires.

[58] L'intimée n'a pas réussi à démontrer au tribunal que le plaignant a abandonné son emploi. La prépondérance de la preuve est plutôt à l'effet que l'intimée a refusé de continuer d'employer Gino Dumont parce qu'il avait souffert d'une maladie pulmonaire et qu'elle craignait une récidive.

[59] Pour tous ces motifs, le Tribunal accueille la plainte de Gino Dumont.

IV. RÉPARATION

[60] Après avoir conclu au bien-fondé de la plainte, il appartient au Tribunal de discuter de la réparation qui s'impose.

A. Pertes salariales

[61] La preuve a révélé que l'emploi du plaignant s'est terminé le 5 juillet 1996 et que, de fait, il a abandonné sa carrière de chauffeur de camion semi-remorque longue distance le 3 mai 1998.

[62] Par conséquent, l'analyse des pertes salariales se situent entre le 5 juillet 1996 et le 2 mai 1998. Au cours de cette période, le plaignant a obtenu différents emplois avec une rémunération équivalente ou supérieure à celle qu'il recevait chez l'intimée.

[63] La rémunération que lui versait l'intimée était de 0,17 $ du mille parcouru et le plaignant parcourait en moyenne 2 500 milles par semaine pour une rémunération de 425 $.

[64] Le plaignant a été effectivement sans emploi au cours de la période ci-avant mentionnée, du 5 au 14 juillet 1996, du 2 au 19 août 1996 et du 20 décembre 1996 au 5 janvier 1997, soit quatre (4) semaines. Le Tribunal ordonne à T.G.J. de payer à Gino Dumont un montant de 1 700 $ pour pertes salariales.

B. Frais de déplacement

[65] À sa sortie du Wood County Hospital à Bowling Green, Ohio, le plaignant a dû assumer le coût du billet d'avion pour se rendre à Montréal et ses frais de déplacement pour regagner son domicile à l'Isle-Verte. Il en réclame le remboursement à l'intimée. L'article 53 (2) c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne accorde au Tribunal la compétence d'accorder au plaignant une indemnité pour les dépenses entraînées par l'acte discriminatoire reproché.

[66] Les frais de déplacement réclamés par le plaignant sont antérieurs à l'acte discriminatoire reproché et le Tribunal rejette cette réclamation.

V. PRÉJUDICE MORAL

[67] La Loi canadienne sur les droits de la personne permet au Tribunal d'accorder une indemnité maximale de 20 000 $ pour préjudice moral. Le témoignage de Gino Dumont à cet égard n'a pas démontré qu'il avait subi un préjudice moral justifiant le droit à une indemnité.

VI. INTÉRÊT

[68] Le plaignant a droit au paiement d'un intérêt sur le montant accordé pour pertes salariales suivant la règle 9 (12) des Règles provisoires de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne. L'intérêt doit être versé à compter du 5 janvier 1997 jusqu'à la date à laquelle le paiement sera effectué à Gino Dumont.

VII. ORDONNANCE

[69] Ayant accueilli la plainte de Gino Dumont, le Tribunal ordonne ce qui suit :

  1. Que T.J.G. paie à Gino Dumont un montant de 1 700 $ ;
  2. Que T.J.G. paie sur le montant de 1 700 $ un intérêt conformément à la règle 9 (12) des Règles provisoires de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne. L'intérêt doit être versé à compter du 5 janvier 1997 jusqu'à la date à laquelle le paiement sera effectué à Gino Dumont.

"Originale signée par"

Me Roger Doyon, Président

OTTAWA (Ontario)

Le 1er février 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DU TRIBUNAL: T639/2701

INTITULÉ DE LA CAUSE: Gino Dumont c. Transport Jeannot Gagnon Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE: Rivière-du-Loup (Québec)

Les 29 et 30 octobre 2001.

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL: Le 1er février 2002

COMPARUTIONS:

Gino Dumont Pour lui-même

Me Giacomo Vigna Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jeannot Gagnon Pour Transport Jeannot Gagnon Inc.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.