Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

BRIGITTE LAVOIE

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LE CONSEIL DU TRéSOR DU CANADA

l'intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

2007 TCDP 3
2007/02/05

[TRADUCTION]

[1] Il s'agit d'une décision rendue à l'égard d'une requête préliminaire demandant le rejet sans audience d'une plainte déposée contre l'intimé, le Conseil du Trésor du Canada. La plaignante, Mme Brigitte Lavoie, a porté plainte contre le Conseil du Trésor, alléguant le caractère discriminatoire de la nouvelle Politique sur l'emploi pour une période déterminée mise en uvre par l'intimé. Cette politique ne tient pas compte de la durée d'un congé de maternité ou d'un congé parental dans le calcul des trois années cumulatives de service exigées pour passer du statut d'employé nommé pour une période déterminée à celui d'employé nommé pour une période indéterminée (permanent) dans la fonction publique fédérale.

[2] Le Conseil du Trésor allègue que le Tribunal n'a pas compétence pour entendre la plainte puisque le règlement d'une plainte antérieure fait en sorte qu'il n'y a plus de litige actuel à résoudre. L'intimé estime donc que l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 s'applique et que la plainte est sans objet.

Contexte

[3] Mme Lavoie a été embauchée par Industrie Canada en août 2000 comme programmeuse-analyste, en vertu d'un contrat d'un an. Son contrat a été renouvelé en août 2001, et de nouveau en août 2002. Le 19 août 2002, Mme Lavoie est partie en congé de maternité et est rentrée au travail le, ou vers, le 5 août 2003.

[4] Avant de rentrer au travail, Mme Lavoie a appris de son employeur qu'elle aurait la possibilité de participer aux concours ouverts pour plusieurs postes permanents (à durée indéterminée) à Industrie Canada et que les personnes qui ne seraient pas retenues disposeraient de trois semaines pour trouver un nouveau poste. Mme Lavoie n'a pas remporté le concours visant à doter plusieurs postes pour one période indéterminée. Son contrat avec Industrie Canada a pris fin en août 2003 et n'a pas été renouvelé.

[5] Avant que Mme Lavoie parte en congé de maternité, son emploi était assujetti à la politique du Conseil du Trésor sur les emplois pour une période déterminée, laquelle stipulait que si une personne avait travaillé pour un même ministère comme employé nommé pour une période déterminée équivalant au total à cinq ans sans interruption de service de plus de soixante jours, le ministère était tenu de nommer cet employé à un poste de durée indéterminée de niveau égal à celui de son poste d'attache. Le temps passé en congé sans solde comptait alors dans le calcul des cinq années consécutives exigées en vue de la nomination pour une période indéterminée. Les congés de maternité et les congés parentaux étaient considérés comme des congés sans solde.

[6] La politique du Conseil du Trésor sur l'emploi pour une période déterminée a toutefois changé pendant que Mme Lavoie était en congé de maternité. Les cinq années requises ont été ramenées à trois, mais la durée d'un congé sans solde ne compte plus dans le calcul de la période cumulative de travail. Sans ce congé de maternité ou congé parental d'une année, Mme Lavoie aurait été admissible à un poste de durée indéterminée en vertu de la nouvelle politique du Conseil du Trésor.

[7] Le 10 juillet 2003, Mme Lavoie a porté plainte à la Commission canadienne des droits de la personne contre Industrie Canada, alléguant que la nouvelle politique du Conseil du Trésor était discriminatoire. Elle considérait aussi comme discriminatoire la façon dont Industrie Canada a tenu les concours pour les poste de durée indéterminée. Elle demandait entre autres réparations d'être nommée à un poste de durée indéterminée à Industrie Canada.

[8] Le 20 octobre 2003, Mme Lavoie est parvenue à un règlement extrajudiciaire avec Industrie Canada, acceptant de retirer sa plainte en échange de certaines concessions. Plus précisément, Industrie Canada lui a accordé un poste de durée indéterminée de programmeuse-analyste, avec effet le 17 novembre 2003. Mme Lavoie a accepté le règlement comme indemnisation intégrale et finale à l'égard de tous les incidents évoqués dans sa plainte contre Industrie Canada, se réservant toutefois le droit de porter plainte contre le Conseil du Trésor relativement à la nouvelle Politique sur l'emploi pour une période déterminée.

[9] Le 19 janvier 2004, Mme Lavoie a saisi la Commission canadienne des droits de la personne d'une nouvelle plainte, contre le Conseil du Trésor cette fois, alléguant le caractère discriminatoire de cette nouvelle Politique sur l'emploi pour une période déterminée. Bien que les conséquences du caractère discriminatoire présumé de la politique aient été compensées depuis, puisqu'elle est titulaire d'un poste de durée indéterminée à Industrie Canada, Mme Lavoie dit souffrir encore d'autres conséquences négatives de la politique, pour lesquelles elle n'a pas été indemnisée. Elle demande en outre au Tribunal d'obliger le Conseil du Trésor à modifier sa Politique sur l'emploi pour une période déterminée de sorte que la durée d'un congé de maternité ou d'un congé parental compte dans le calcul de la période de travail cumulative.

Analyse

[10] L'intimé soutient que, en acceptant le règlement d'octobre 2003 avec le Conseil du Trésor, la plaignante a renoncé à son droit de réclamer une réparation individuelle à l'égard des allégations contenues dans la première plainte. L'intimé fait valoir que, puisque les allégations et le redressement demandé dans la première plainte sont semblables, voire identiques, à ceux de la seconde plainte, la plaignante ne peut pas réclamer de réparation individuelle dans le second cas. L'intimé évoque par ailleurs le principe de l'indivisibilité de la Couronne.

[11] L'intimé fait valoir que même si la plaignante s'est réservée le droit de porter plainte contre le Conseil du Trésor à l'égard de la Politique sur l'emploi pour une période déterminée, il n'y a plus de litige actuel entre la plaignante et lui, puisque la plaignante n'a pas d'intérêt personnel dans la résolution de la plainte. Sans cet intérêt personnel, soutient le Conseil du Trésor, la plainte n'a qu'un caractère théorique et ne peut pas être entendue par ce Tribunal. Enfin, l'intimé soutient que d'autres tribunaux ont déjà statué sur les allégations relatives à la nature discriminatoire de la nouvelle politique et que l'intervention de ce Tribunal ne servirait pas l'intérêt public.

[12] Pour les raisons que j'expose ci-dessous, j'estime que ces arguments sont sans fondement.

[13] D'abord, la Loi n'exige pas qu'une plainte vise l'obtention d'une réparation individuelle pour le plaignant. De fait, elle n'exige même pas que le plaignant soit victime des pratiques discriminatoires alléguées. Selon l'article 40, un individu ou un groupe d'individus ayant des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission. De plus, l'article 53 confère au Tribunal le pouvoir d'ordonner, si la plainte est fondée, une réparation qui, sans être de nature personnelle, sert un objectif d'intérêt public étendu dans les mesures correctives qu'elle offre. Il n'est donc pas nécessaire que la plainte soit déposée en vue d'une réparation individuelle pour que le Tribunal soit habilité à l'entendre.

[14] Deuxièmement, ce Tribunal a déjà déterminé que l'évolution de la situation après le dépôt d'une plainte ou le règlement des intérêts personnels ne le prive pas de son pouvoir d'entendre une plainte (Parisien c. OC Transpo, 15 juillet 2002; TCDP, par. 42; et Kavanagh c. Canada (Service correctionnel) 31 août 2001; TCDP, par. 7 à 9). Il s'agira alors de déterminer quelle est la réparation appropriée si la plainte est fondée.

[15] Selon le formulaire de plainte, il semble que Mme Lavoie réclame des mesures de réparation en sus de ce qu'elle a demandé à la première occasion. Il appartient au Tribunal de déterminer si elle a droit ou non de le faire, si sa plainte se révèle fondée, étant donné le règlement conclu avec Industrie Canada.

[16] À l'occasion du règlement extrajudiciaire, Mme Lavoie s'est expressément réservé le droit de porter plainte contre le Conseil du Trésor à l'égard de sa nouvelle Politique sur l'emploi pour une période déterminée. Le caractère discriminatoire de la politique n'a donc pas été examiné. Par ailleurs, je souscris aux arguments du conseiller juridique de Mme Lavoie, selon lesquels aucune décision exécutoire n'a été rendue à ce jour à l'égard de la question précise dont Mme Lavoie a saisi ce Tribunal dans le cadre de sa plainte. Outre Braconnier c. Conseil du Trésor, 2006 CRTFP 109, aucune des sources évoquées par l'intimé ne traite de la politique visée par la plainte. Du reste, dans Braconnier, l'arbitre n'a pas examiné le caractère éventuellement discriminatoire de la nouvelle politique puisqu'il a conclu qu'il n'avait pas compétence pour le faire en vertu de l'article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Le caractère discriminatoire ou non de la Politique sur l'emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor est donc un litige actuel qui reste à trancher.

[17] Pour toutes les raisons qui précèdent, je conclus que la requête de l'intimé demandant le rejet de la plainte parce que les questions soulevées auraient été réglées et seraient maintenant sans objet ne peut être accueillie. La requête est donc rejetée.

Karen A. Jensen

Ottawa (Ontario

Le 5 février 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1154/3606

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Brigitte Lavoie c. Le Conseil du trésor du Canada

DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE DU TRIBUNAL :

Le 5 février 2007

ONT COMPARU :

Lise Leduc

Pour la plaignante

Giacomo Vigna

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Vincent Veilleux

Pour l'intimé

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