Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

YVONNE SUGIMOTO

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

BANQUE ROYALE DU CANADA

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE

2006 TCDP 2
2006/01/18

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

[TRADUCTION]

[1] L'intimée, la Banque Royale du Canada (BRC) a déposé une requête auprès du Tribunal pour lui demander de radier la nouvelle allégation de discrimination qu'a faite la plaignante en rapport avec le rachat d'années de service basé sur le sexe de 1996.

[2] Les motifs de la requête sont les suivants : la plaignante et la Commission ont récemment fait valoir un nouveau motif de discrimination qui ne faisait pas partie de la plainte initiale, la BRC n'a pas eu l'occasion de soulever l'objection que la nouvelle allégation est inopportune, et, le fait de soulever la nouvelle allégation de discrimination à ce moment-ci viole les règles de la justice naturelle et préjudicie grandement la BRC.

[3] La Commission canadienne des droits de la personne a déposé une requête en réplique que le Tribunal décline compétence d'entendre la requête de l'intimée, ou, à titre subsidiaire, déclare que la requête de l'intimée est prématurée et qu'il réserve le droit de l'intimée de plaider la requête à la fin de l'audience sur un dossier de preuve complet.

[4] La plainte mentionnée dans les requêtes est celle d'Yvonne Sugimoto, une employée à la retraite de la BRC. Sa plainte est datée du 9 décembre 2002.

[5] La plaignante prétend que la BRC a fait preuve de discrimination à son égard ainsi qu'à l'égard de 700 autres employés de sexe féminin qui sont actuellement à l'emploi de la BRC, et à l'égard d'anciens employés de sexe féminin, en les traitant d'une façon différente et défavorable en raison de leur sexe, et ce, en contravention des articles 7, 10 et 21 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP). La question en litige a trait à leur droit à une pension.

[6] La plaignante fait état, d'une manière très détaillée, de l'évolution du régime de retraite de la BRC entre 1970 et 2001, notamment des modifications aux critères de participation ainsi que des autres modifications apportées au régime.

[7] Sur le plan des allégations de discrimination, la plaignante prétend que la modification apportée au régime par la réouverture de septembre 2001est discriminatoire car la BRC a choisi de donner un avantage aux employés de sexe masculin, nés entre février 1950 et avril 1953, en leur permettant de prendre leur retraite avec pension complète à l'âge de 56 ans. Les employés de sexe féminin qui occupent des postes semblables ne peuvent prendre leur retraite avec pension complète qu'à l'âge de 61 ans et 10 mois.

[8] La genèse de la requête de l'intimée se trouve dans une lettre datée du 25 mai 2005 qu'elle a adressée à la Commission ainsi qu'à la plaignante. Dans sa lettre, la BRC mentionnait ce qui suit : [Traduction] Nous avons appris que la Commission et (ou) la plaignante prétendent que le rachat d'années de service basé sur le sexe de 1996 offert aux employés de sexe féminin de la banque, dont fait notamment partie la plaignante, était discriminatoire et contrevenait aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La BRC, dans sa lettre, a demandé à la Commission et à la plaignante de préciser leur position. La BRC ne mentionnait pas dans sa lettre à quel moment et de quelle manière le renseignement susmentionné a été porté à son attention.

[9] La précision apportée par la Commission, laquelle a été envoyée le 30 mai 2005, était que la conjugaison de la réouverture de 2001 et du rachat d'années de service basé sur le sexe de 1996 a eu un effet défavorable sur les femmes. Cet effet défavorable constitue en soi de la discrimination au sens des articles 7 et 10 de la LCDP.

[10] Le 31 mai 2005, la plaignante a répondu qu'elle a toujours prétendu que le rachat d'années de service basé sur le sexe de 1996 ainsi que la réouverture de 2001 sont des événements qui sont intimement liés et qui ne peuvent pas être dissociés. C'est la conjugaison de ces deux événements qui a eu un effet défavorable sur les femmes, en contravention des articles 7 et 10 de la LCDP. La plaignante a ajouté que, elle-même et d'autres femmes, auraient dû être admissibles au choix offert en 2001 quant au régime de retraite.

[11] La plaignante a été embauchée par la BRC le 23 février 1970. Elle est née le 4 octobre 1951. Lorsqu'elle s'est jointe à la BRC, elle avait 18 ans et 4 mois. En 1970, l'âge d'admissibilité au régime était de 21 ans pour les hommes et de 24 ans pour les femmes.

[12] Le 1er mai 1974, la BRC a modifié le régime. L'âge d'admissibilité au régime a été porté à 30 ans, tant pour les hommes que pour les femmes. Le régime a également été modifié afin d'offrir un choix sans cotisation. Ce choix permettait aux employés qui cotisait au régime, mais qui n'avaient pas encore atteint l'âge de 30 ans, de continuer à cotiser ou de surseoir à leur cotisation jusqu'à qu'ils aient atteint l'âge de 30 ans. La plaignante ne s'est pas vu offrir ce choix de suspension de cotisation au régime. Elle ne cotisait pas au régime en date du 1er mai 1974. Elle n'avait pas 24 ans.

[13] Le 1er septembre 1980, le régime a été modifié une fois de plus et l'âge d'admissibilité a été porté à la date la plus rapprochée entre l'âge de 25 ans ou 5 années d'emploi continu à la BRC. À la date susmentionnée, la plaignante était à l'emploi de la BRC depuis plus de 10 ans et était âgée de 28 ans et 9 mois. Elle a commencé à cotiser au régime à compter du 1er mars 1980.

[14] En 1996, la BRC, afin de régler le problème de l'inégalité passée dans les prestations de retraite, a offert aux femmes qui avaient travaillé de façon continue pour la BRC depuis le 1er mai 1974, et qui avaient entre 21 et 24 ans le 1er mai 1974, une occasion unique de racheter jusqu'à trois années de cotisation au régime. C'est ce qu'on a appelé le rachat d'années de service de 1996 basé sur le sexe.

[15] La plaignante s'est prévalue de ce choix et le 29 janvier 1996 elle a racheté 19 mois de cotisation au régime de retraite moyennant le paiement d'une somme de 4 834 $. La plaignante s'est vu attribuer le 1er août 1978 comme date présumée de cotisation au régime.

[16] Le 12 juillet 1996, la plaignante a écrit à la BRC pour la féliciter quant à sa tentative d'élimination de la différence de traitement entre les sexes. Elle a toutefois souligné, dans sa lettre, que le rachat d'années de service basé sur le sexe n'avait pas éliminé la différence de traitement entre les sexes qui existait dans le régime entre le 1er mai 1974 et le 1er mars 1980. Le rachat d'années de service basé sur le sexe a réduit de 19 mois l'écart de traitement entre les sexes, mais il existait toujours un écart de 72 mois quant à l'âge et quant à l'emploi entre les hommes et les femmes qui occupaient des postes semblables à la BRC.

[17] La plaignante a conclu sa lettre en demandant à la BRC quels étaient les efforts qu'elle déployait afin d'éliminer cet écart dans les prestations de retraite.

[18] La BRC a répondu aux questions de la plaignante le 17 septembre 1996. Dans sa lettre, la BRC a souligné qu'elle avait examiné, lorsqu'elle a élaboré le rachat d'années de service basé sur le sexe de 1996, la possibilité de permettre aux employés de sexe féminin de racheter des années de service après le 1er mai 1974 jusqu'à l'âge de 30 ans. La BRC a toutefois conclu qu'il serait injuste d'agir de la sorte pour les autres employés qui ont cotisé au régime depuis le 1er mai 1974 et qui ont choisi de surseoir à leur cotisation jusqu'à l'âge de 30 ans.

[19] La plaignante n'a pris aucune autre mesure à cette époque en rapport avec ses préoccupations.

[20] Dans les années 90, la BRC a conclu que la modification du 1er mai 1974 peut être interprétée comme comportant un troisième choix. En vertu de ce troisième choix, un employé de la BRC, de sexe masculin ou de sexe féminin, âgé de moins de 30 ans le 1er mai 1974, qui cotisait au régime, pouvait continuer à participer au régime sans cotiser, et ce, jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 30 ans.

[21] Par conséquent, le 26 septembre 2001, la BRC a offert à tous les employés qui avaient été à son emploi sans interruption depuis le 1er mai 1974, et qui avaient choisi de surseoir à leur cotisation au régime jusqu'à l'âge de 30 ans, le choix de recevoir un service non cotisant égal à la période comprise entre la date de la suspension et la date où ils ont atteint l'âge de 30 ans (jusqu'à un maximum de 70 mois).

[22] C'est la réouverture de 2001 qui, selon la plaignante, est discriminatoire. Elle prétend qu'elle accorde une prestation de retraite importante aux employés de sexe masculin de la BRC, nés entre février 1950 et avril 1953, qui ont travaillé de façon ininterrompue et que cette prestation n'est pas accordée aux employés de sexe féminin de la BRC nées entre ces dates et ayant à leur actif la même période de travail ininterrompu.

LA DÉCISION

[23] Selon moi, la requête de l'intimé est prématurée. Elle devrait être traitée dans le contexte d'une preuve complète après qu'une audience au fond de la plainte ait été tenue. J'affirme cela pour un certain nombre de raisons.

[24] Premièrement, on ne prétend aucunement dans la plainte que le rachat d'années de service basé sur le sexe de 1996 était discriminatoire en soi. Ni la Commission, ni la plaignante, dans leurs précisions, ne prétendent que le rachat d'années de service basé sur le sexe de 1996 est discriminatoire en soi.

[25] Pour la Commission, c'est le rachat d'années de service basé sur le sexe de 1996 conjugué avec la réouverture de 2001 qui sont discriminatoires. Pour la plaignante, ces deux modifications apportées au régime sont intimement liées et c'est la conjugaison de celles-ci qui est présumée source de discrimination. Selon moi, les positions de la Commission et de la plaignante sur cette question exigent des précisions additionnelles.

[26] Deuxièmement, et tout aussi pertinent, l'affirmation de la plaignante qu'elle a toujours prétendu que les modifications de 1996 et de 2001 étaient intimement liées. Le raisonnement est qu'aucune nouvelle allégation de discrimination n'est soulevée. La question de savoir si c'est le cas dans les faits et la question de savoir si l'intimée était au courant n'ont pas été traitées de façon adéquate par les parties à l'audience de la requête de l'intimée et doivent être étayées.

[27] Troisièmement, le processus normal de gestion de cas du Tribunal n'a pas été achevée. En vertu de ce processus, les parties doivent procéder à la divulgation. La divulgation comprend le dépôt des documents pertinents, la divulgation des témoignages et le dépôt d'un exposé des précisions.

[28] L'exposé des précisions s'apparente à une déclaration et à une défense dans une instance civile. L'exposé des précisions de la Commission et de la plaignante expose en détails les faits invoqués par ces deux parties, les questions en litige soulevées ainsi que le redressement demandé. L'exposé des précisions de l'intimée constituerait sa réponse comme c'est le cas de toute défense. Toute divulgation a été suspendue en attendant l'issu de la présente requête.

[29] L'intimée demande au Tribunal de radier la nouvelle allégation de discrimination avant qu'une plaidoirie ne soit déposée; l'allégation n'a été soulevée que dans la correspondance échangée entre les avocats des parties.

[30] En outre, selon le redressement demandé par la Commission et la plaignante, il ne sera peut-être pas nécessaire de décider si le rachat d'années de service basé sur le sexe de 1996 est discriminatoire.

[31] Il est toutefois possible que l'on me demande de rendre une décision de façon préliminaire qui tranchera la plainte sur le fond sans qu'une audience en bonne et due forme ne soit tenue. Il ne convient pas que le Tribunal rende une telle décision dans les circonstances susmentionnées.

[32] Par conséquent, je réserve ma décision quant à la requête de l'intimée et quant à la requête de la Commission jusqu'à ce qu'un dossier de preuve complet soit établi dans le cadre d'une audience.

[33] Cette décision ne préjudicie pas les droits de l'intimée et de la Commission de débattre leur requêtes respectives, sur un dossier complet, dans le cadre de leurs observations finales.

J. Grant Sinclair

Ottawa (Ontario)
Le 18 janvier 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1015/13504
INTITULÉ DE LA CAUSE : Yvonne Sugimoto c. La Banque Royale du Canada
DATE ET LIEU DE LA REQUÊTE PRÉLIMINAIRE:

Le 11 novembre 2005

Toronto (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 18 janvier 2006
ONT COMPARU :
M. Norman Grosman Natalie MacDonald
Pour la plaignante
Philippe Dufresne Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Stephen J. Shamie Elizabeth Brown Pour l'intimée
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