Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

RICHARD WARMAN

le plaignant

- et -
COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -
ALEXAN KULBASHIAN,
JAMES SCOTT RICHARDSON, TRI-CITY SKINS.COM,
CANADIAN ETHNIC CLEANSING TEAM,
ET AFFORDABLE SPACE.COM

les intimés

DÉCISION SUR REQUÊTE

2006 TCDP 04
2006/01/30

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[TRADUCTION]

[1] L'instruction de la plainte déposée par M. Warman a commencé le 30 août 2004. Après 13 jours d'audience pour la présentation de la preuve, des observations finales présentées par toutes les parties ont été entendues du 23 février au 25 février 2005. Les parties ont eu par la suite une période additionnelle pour traiter par écrit de certaines questions, à savoir de deux décisions judiciaires qui venaient juste d'être rendues. M. Warman a déposé ses observations additionnelles le 2 mars 2005 et M. Kulbashian a fait de même le 21 mars 2005. La Commission a choisi de ne pas envoyer d'observations additionnelles. Je note que M. Kulbashian a profité de l'occasion pour présenter plusieurs arguments additionnels qui n'avaient pas de liens avec les décisions judiciaires auxquelles il était censé limiter ses commentaires.

[2] Le Tribunal a par la suite pris l'affaire en délibéré et n'a pas encore rendu sa décision.

[3] Le 3 janvier 2006, environ dix mois après que les observations finales eurent été présentées de vive voix, M. Kulbashian a déposé une [traduction] requête en vue d'interroger de nouveau un témoin, qui était principalement une demande présentée en vue d'appeler de nouveau à la barre M. Warman afin qu'il subisse un contre-interrogatoire par M. Kulbashian (première requête).

[4] Le 4 janvier 2006, M. Kulbashian a déposé une requête en vue d'[traduction] exclure la preuve contre Tri-City Skins.com et Affordablespace.com [traduction] de l'étape du jugement dans le processus du Tribunal (deuxième requête). Dans cette requête, M. Kulbashian prétendait essentiellement que ces deux intimés ne sont pas des entités pouvant faire l'objet d'une plainte suivant l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[5] Le 6 janvier 2006, M. Kulbashian a envoyé au Tribunal certains renseignements sur M. Warman et sur le témoin de la Commission, Terry Wilson, qui consistaient en fait en des éléments de preuve documentaire supplémentaires que M. Kulbashian tentait de présenter à l'égard de leurs témoignages (troisième requête).

[6] Une autre requête a été déposée le même jour, le 6 janvier 2006 (quatrième requête), bien que selon moi cette requête devrait plus judicieusement être décrite d'arguments additionnels. Ces arguments mentionnaient que le Tribunal n'a pas compétence pour traiter des messages Internet qui, selon ce qui était allégué, étaient des messages qui n'étaient pas expressément mentionnés dans la plainte ou dans le rapport de l'enquêteur de la Commission.

[7] Il semble que le Tribunal n'a pas transmis à la Commission et à M. Warman des exemplaires des troisième et quatrième requêtes, comme cela a été la pratique normale dans la présente affaire. Je donne au greffe du Tribunal la directive de transmettre sans délai à la Commission et à M. Warman des exemplaires de ces requêtes.

[8] Le 19 janvier 2006, M. Kulbashian a déposé une autre requête par laquelle il demandait que la preuve qui avait déjà été présentée lors de l'audience, preuve qui se rapportait à une copie du disque dur d'un ordinateur, soit maintenant [traduction] exclue de la présente instance devant le Tribunal (cinquième requête).

[9] Le 20 janvier 2006, la Commission et M. Warman ont déposé leurs observations en réponse aux deux premières requêtes de M. Kulbashian (datées du 3 et du 4 janvier 2006). Dans ses observations, la Commission se plaignait de la façon selon laquelle M. Kulbashian avait procédé quant à ses requêtes. La Commission prétend que ces dépôts successifs de requêtes, qui d'une certaine façon se répètent les unes les autres, constituent un abus de procédure. Juste au moment où l'avocat de la Commission se préparait à traiter d'une requête, une autre requête était déposée. La Commission demande au Tribunal de statuer sur les deux premières requêtes avant de l'obliger à consacrer des efforts additionnels à l'égard des requêtes subséquentes.

[10] Le 23 janvier 2006, M. Kulbashian a encore déposé une autre requête, demandant cette fois au Tribunal d'[traduction] exclure de l'étape du jugement dans le processus du Tribunal la preuve contre l'intimé C.E.C.T. (sixième requête). Les observations figurant dans cette requête ressemblent à celles figurant dans la requête de M. Kulbashian présentée précédemment le 4 janvier 2006.

[11] Je partage l'opinion de la Commission. M. Kulbashian a effectivement [traduction] inondé les autres parties d'une pluie de requêtes, au moment où la décision quant au bien-fondé de la plainte était sur le point d'être rendue. À mon avis, la procédure du Tribunal est mieux servie si le Tribunal rend immédiatement ses décisions quant à toutes les requêtes. Je n'estime pas qu'il soit nécessaire d'entendre d'autres observations à l'égard des requêtes de M. Kulbashian.

La première requête

[12] Dans l'affaire Vermette c. CBC (1994), 28 C.H.R.R. D/89 (T.C.D.P.), confirmée par (1996) 28 C.H.R.R. D/139 (C.F. 1re inst.), le Tribunal a traité de la question de la réouverture d'une instance afin de fournir des éléments de preuve additionnels. Se fondant sur le traité The Law of Evidence in Civil Cases, de Sopinka et Lederman, le Tribunal a mentionné que, sauf en cas de fraude ou de surprise, la preuve qu'une partie tente de présenter doit être une preuve nouvellement découverte et une preuve qui, avec une diligence raisonnable, n'aurait pas pu être découverte au cours de l'instruction. Il doit également s'agir d'une preuve telle qu'elle aurait été un facteur déterminant quant au résultat. Il a été reconnu qu'il existe un pouvoir discrétionnaire plus large dans les cas où la demande en réouverture est reçue avant que soit rendue la décision.

[13] Dans la présente affaire, M. Kulbashian ne tente pas de fournir une preuve nouvellement découverte comme il a lui-même reconnu à la page 2 de sa requête :

[traduction]

Au cours de l'audience du Tribunal, le demandeur a tenté d'interroger Richard Warman relativement à son association avec l'ARA. La Commission et le témoin se sont opposés et le Tribunal a statué qu'il n'y aurait pas de contre-interrogatoire à l'égard de son association avec l'ARA.

M. Kulbashian veut maintenant appeler de nouveau M. Warman à la barre des témoins pour lui faire subir un contre-interrogatoire à l'égard de ses liens avec le groupe ARA, ce qui en fait est une tentative de présenter de nouveau la même preuve. En agissant ainsi, M. Kulbashian demande au Tribunal de revoir sa décision par laquelle il maintient les objections des autres parties à cette série de questions. Je ne vois aucune raison de revoir la décision à cet égard. Les intimés ont présenté leurs observations à l'égard de ces objections lorsqu'ils ont tenté de fournir la preuve lors de l'audience. Le Tribunal a examiné leurs observations et a rendu une décision. Cette décision est maintenue. La première requête est rejetée.

La deuxième requête

[14] Cette requête me semble être plus une tentative de présenter des arguments additionnels qu'une requête présentée en vue d'[traduction] exclure la preuve. La réalité, c'est que la question à cet égard a déjà été traitée par les parties au cours de leurs observations finales. Je ne vois rien de fondamentalement nouveau dans l'argumentation que M. Kulbashian a présentée dans sa requête. De toute façon, je considérerais toute tentative de plaider de nouveau l'affaire à ce moment comme injuste et comme un abus de procédure.

[15] Des observations finales ont été présentées de vive voix pendant trois jours en février 2005. L'argumentation de M. Kulbashian a duré environ une heure la première journée, s'est déroulée durant toute la deuxième journée et s'est continuée pendant cinquante autres minutes la dernière journée. L'autre intimé, M. Richardson, a suivi avec sa propre argumentation pendant approximativement une heure et vingt minutes.

[16] À mon avis, M. Kulbashian a eu la possibilité entière de présenter tous ses arguments. En outre, il a profité de l'occasion que le Tribunal offrait à toutes les parties de déposer par écrit des observations complémentaires à l'égard de certaines décisions judiciaires récentes. Plutôt que de simplement faire des commentaires quant à ces décisions, M. Kulbashian a écrit presque deux pages à interligne simple d'observations finales additionnelles, qui n'avaient aucun lien avec les décisions en question. Par contre, M. Warman a respecté les directives établies par le Tribunal.

[17] Il est très injuste pour les autres parties que M. Kulbashian revienne maintenant, environ dix mois plus tard, et tente de plaider de nouveau sa cause, notamment puisque ces arguments se rapportent à des questions qui ont déjà été traitées ou qui auraient pu raisonnablement être soulevées au cours des trois jours d'audience pour la présentation des observations finales. La deuxième requête est rejetée.

La troisième requête

[18] En fait, M. Kulbashian n'a pas vraiment déposé une requête. Il a plutôt envoyé une série de documents au Tribunal, demandant qu'ils soient [traduction] présentés au membre instructeur du Tribunal qui avait entendu l'affaire. Je vais néanmoins traiter de ces documents comme s'il s'agissait d'une requête en réouverture de l'affaire présentée en vue de fournir de nouveaux éléments de preuve.

[19] M. Kulbashian déclare dans sa lettre de présentation que le premier ensemble de documents consiste en certains [traduction] affichages faits par M. Warman dans un [traduction] groupe de discussion de tenants de la suprématie blanche, sur Internet. M. Kulbashian prétend que les commentaires sur ces affichages contreviennent à l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. M. Kulbashian ne mentionne pas quelle est la pertinence avec la présente affaire et je n'en vois aucune. En renvoyant aux principes énoncés dans la décision Vermette, précitée, je ne vois pas quel facteur déterminant cet élément de preuve aurait quant à l'issue de la présente affaire. Comme j'ai rappelé à M. Kulbashian et à M. Richardson de façon répétée au cours de l'audience, l'affaire en litige qui a été soumise au Tribunal se rapporte aux actes discriminatoires qui auraient été exercés par les intimés, non par d'autres personnes.

[20] Le deuxième ensemble de documents joints à la troisième requête se rapporte à la plainte déposée par M. Kulbashian auprès du service de police de New Westminster, qui est l'employeur actuel du témoin de la Commission, Terry Wilson. Dans cette plainte, M. Kulbashian fait une série d'allégations contre M. Wilson. Une fois de plus, je ne vois rien de pertinent dans ces documents, en particulier étant donné qu'ils ne contiennent aucune conclusion de quelque autorité à l'endroit de M. Wilson. Il y a seulement une reconnaissance faite par l'organisme Office of the Police Complaint Commission (bureau de la commission des plaintes contre la police) selon laquelle les questions soulevées dans la plainte de M. Kulbashian peuvent être décrites comme des questions en matière de confiance du public. Comme dans le cas du premier ensemble de documents, je ne vois pas comment cet élément de preuve serait un facteur déterminant quant à l'issue de la présente affaire.

[21] En outre, j'estime qu'il est choquant que M. Kulbashian ait tenté dans sa correspondance au Tribunal de déposer au dossier des éléments de preuve qui n'avaient pas été correctement présentés au Tribunal lors de l'audience. Rien n'indique que l'un ou l'autre de ces documents ait déjà été antérieurement communiqué aux autres parties. De plus, il faut mentionner que l'audience tenue à l'égard de la présente affaire est terminée depuis plus de dix mois.

[22] La troisième requête est rejetée. La correspondance originale de M. Kulbashian peut demeurer dans le dossier officiel du Tribunal, mais les documents en question ne seront pas pris en compte dans ma décision définitive quant à l'affaire.

La quatrième requête

[23] Tout comme dans la deuxième requête, M. Kulbashian tente de plaider de nouveau sa cause. Comme je l'ai mentionné lorsque j'ai traité de la deuxième requête, M. Kulbashian a eu plus que la possibilité entière il y a dix mois de traiter de toutes les questions soumises au Tribunal. Ce serait une injustice envers toutes les parties et un abus de la procédure du Tribunal que de lui permettre de plaider de nouveau sa cause à cette étape tardive de l'instruction.

[24] La quatrième requête est rejetée.

La cinquième requête

[25] Cette requête est une fois de plus une tentative de faire examiner à nouveau la preuve présentée au cours de l'audience. Cette requête ou cette objection aurait pu être soulevée lorsque les éléments de preuve en question ont été présentés lors de l'audience ou, à tout le moins, aurait pu être débattue dans les observations finales. Ce n'est maintenant pas le temps, à cette étape extrêmement tardive de l'instruction, pour M. Kulbashian de tenter de revenir en arrière et de demander que des éléments de preuve soient exclus.

[26] La cinquième requête est également rejetée.

La sixième requête

[27] Cette requête consiste en des arguments additionnels qui ressemblent étroitement à ceux présentés dans la deuxième requête. Pour les motifs déjà énoncés à l'égard de la deuxième requête, la sixième requête est également rejetée.

[28] M. Kulbashian a déclaré dans des notes en bas de page de ses requêtes que la raison du [traduction] dépôt tardif de ses requêtes était qu'il n'avait pas d'expérience en matière juridique. Au cours de tout le processus d'instruction, le Tribunal a tenté d'accorder aux deux intimés non représentés de nombreux accommodements compte tenu de leur inexpérience en matière juridique. Cependant, de tels accommodements ne peuvent aller aussi loin que de rendre le processus injuste et préjudiciable aux autres parties.

[29] Compte tenu de mes conclusions selon lesquelles je rejette les six requêtes présentées par M. Kulbashian, les parties sont libérées de l'obligation de déposer les observations non encore déposées à l'égard de ces requêtes, comme le Tribunal avait demandé de le faire dans de la correspondance antérieure.

Athanasios D. Hadjis

Ottawa (Ontario)
Le 30 janvier 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T869/1903
INTITULÉ DE LA CAUSE : Richard Warman c. Alexan Kulbashian, James Scott Richardson, Tri-City Skins.com, Canadian Ethnic Cleansing Team et Affordable Space.com
DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 30 janvier 2006
ONT COMPARU :
Richard Warman Pour lui-même
Giacomo Vigna Ikram Warsame Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Alexan Kulbashian Pour lui-même
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