Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

SANDRA CULIC

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

POSTES CANADA

l'intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE

2006 TCDP 06
2006/02/16

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

[TRADUCTION]

[1] Mme Sandy Lipp (née Culic, ci-après appelée Mme Lipp) a commencé à travailler pour Postes Canada en 1990 comme employée temporaire. En 1993, elle est devenue commis des postes à temps partiel à Regina (Saskatchewan). Vers 1994 ou 1995, Mme Lipp a éprouvé des problèmes de santé qui ont nécessité un aménagement en milieu de travail.

[2] Puis, en 2001, Mme Lipp a été diagnostiquée comme souffrant d'une dépression importante ainsi que de troubles d'anxiété qui, dans une certaine mesure, étaient liés à des conflits qu'elle avait avec son superviseur à Postes Canada. Elle a cessé de travailler pendant un certain nombre de mois. À la même époque elle est tombée enceinte.

[3] À l'automne 2001, Mme Lipp a tenté de retourner au travail, mais Postes Canada lui a dit qu'on avait besoin de plus de renseignements médicaux avant qu'elle ne puisse retourner au travail. La Société craignait manifestement que Mme Lipp ne soit pas assez guérie de sa dépression et de ses troubles anxieux pour qu'on lui permette de retourner au travail. On a cru que Mme Lipp était prête à faire fi de ses problèmes psychologiques afin d'enregistrer le nombre d'heures de travail exigé pour pouvoir être admissible aux prestations d'assurance-emploi durant son congé de maternité.

[4] La Société n'a pas été satisfaite des renseignements fournis par le médecin de Mme Lipp sur la capacité de cette dernière à reprendre le travail. Par conséquent, en novembre 2001, Postes Canada a pris des dispositions pour que Mme Lipp puisse se soumettre à un examen médical indépendant (EMI) de deux jours, lequel examen serait fait par des médecins à Winnipeg. Mme Lipp a affirmé qu'elle ne pouvait pas se rendre à Winnipeg pour un certain nombre de raisons, notamment parce qu'elle avait des problèmes avec sa grossesse et parce qu'elle avait peur des voyages.

[5] Postes Canada était disposée à envoyer Mme Lipp en avion à Winnipeg, à lui payer un voyage en autobus ou à lui louer une voiture, à la payer, elle et son copain, pour qu'ils puissent se rendent à l'EMI. Toutefois, Postes Canada n'était pas prête à retirer l'exigence qu'elle se soumette à un EMI à Winnipeg et l'a prévenue que si elle ne s'y soumettait pas, elle se verrait imposer une suspension sans solde.

[6] Mme Lipp ne s'est pas soumise à l'EMI les 22 et 23 novembre 2001. Par conséquent, elle s'est vu imposer une suspension sans solde jusqu'à ce que Postes Canada reçoive les résultats d'un EMI concernant sa capacité de retour au travail.

[7] Par le biais de son syndicat, Mme Lipp a déposé, le 7 novembre et le 19 décembre 2001, des griefs dans lesquels elle prétend que Postes Canada a contrevenu à la convention collective en accusant un retard déraisonnable à la réintégrer dans ses fonctions et en lui imposant une suspension sans solde.

[8] Le 16 avril 2004, un arbitre a rejeté les griefs de Mme Lipp. L'arbitre a décidé que Postes Canada avait raison d'exiger que Mme Lipp se soumette à un EMI afin de prendre une décision quant à sa capacité de retour au travail. Par conséquent, l'arbitre a rejeté l'affirmation qu'on avait accusé un retard déraisonnable à réintégrer Mme Lipp dans ses fonctions. Quant au deuxième grief, l'arbitre a décidé que, compte tenu de l'attitude cavalière de Mme Lipp à l'égard de l'EMI, l'imposition d'une suspension sans solde était justifiée.

[9] Le 18 mars 2003, Mme Lipp a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne dans laquelle elle a prétendu avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe (grossesse) et la déficience (blessures au cou et à l'épaule, fibromyalgie). La prétendue conduite discriminatoire est composée des éléments suivants : le refus de Postes Canada, en octobre 2001, de réintégrer Mme Lipp dans son ancien poste, l'exigence qu'elle se soumette à un EMI à Winnipeg, la façon dont la réunion avec le directeur de l'usine s'est déroulée, la mesure disciplinaire prise contre elle lorsqu'elle a refusé de se soumettre à un EMI à Winnipeg et d'autres aspects de la manière selon laquelle Postes Canada a traité Mme Lipp à partir d'octobre 2001.

[10] La plainte a été renvoyée au Tribunal le 28 septembre 2005. Postes Canada a ensuite déposé une requête demandant que la plainte soit rejetée sur le fondement du principe de la chose jugée.

I. LA QUESTION EN LITIGE

[11] La seule question à trancher en l'espèce est celle qui consiste à savoir si le principe de la chose jugée ou l'abus de procédure s'applique à la présente plainte.

[12] Je conclus que le principe de la chose jugée ne s'applique pas dans les circonstances de la présente affaire. Il est loin d'être certain que les questions en litige dans la plainte ont été tranchées par l'arbitre. Pour cette raison également, le fait que le Tribunal entende la plainte ne constituerait pas un emploi abusif de la procédure. Par conséquent, il ne s'agit pas d'un cas où il convient de rejeter la plainte sur le fondement de l'un ou de l'autre principe.

II. L'ANALYSE

Le principe de la chose jugée

[13] La principe de la chose jugée est un outil juridique utilisé pour mettre fin irrévocablement à un litige. C'est une façon de garantir que dès qu'une décision finale a été rendue, les mêmes questions en litige entre les mêmes parties ne seront pas débattues à nouveau dans un autre forum (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460).

[14] Toutefois, on doit faire preuve de prudence et de retenue dans l'application du principe de la chose jugée au règlement des plaintes en matière de droits de la personne car le rejet d'une plainte entraîne la privation de la possibilité d'être entendu (Cremasco c. Société canadienne des postes 2002/09/30 - Décision no1, au paragraphe 83, confirmée par 2004 CAF 363 et Buffet c. Canada (Forces armées canadiennes) 2005 TCDP 16, au paragraphe 40). Pour ce motif, il a été dit qu'une plainte ne devrait être rejetée pour cause de chose jugée que dans les cas les plus clairs (Cremasco, précitée, au paragraphe 106).

[15] Le principe de la chose jugée comporte deux volets principaux. Le premier volet est connu sous le nom de préclusion découlant d'une question déjà tranchée. La préclusion découlant d'une question déjà tranchée s'applique lorsqu'il y a des questions communes à deux instances. Selon la nature de la question à l'égard de laquelle la préclusion découlant d'une question déjà tranchée est soulevée, la préclusion pour question déjà tranchée peut empêcher la remise en cause d'une question spécifique ou elle peut empêcher la tenue d'une deuxième instance dans son ensemble (Hough c. Brunswick Centres Inc., (1997) 9 C.P.C. (4th) 111 (Cour Ont. (Div. gén.), aux paragraphes 24 et 25).

[16] Le deuxième volet du principe de la chose jugée est connu sous le nom de l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action. En l'espèce, les parties n'ont pas prétendu que l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action s'applique. Par conséquent, je limiterai mon analyse à l'application de l'irrecevabilité pour question déjà tranchée.

A. La préclusion découlant d'une question déjà tranchée : le critère

[17] Le critère à deux volets quant à l'application du principe de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée est bien connu : (1) les critères de la préclusion pour question déjà tranchée doivent être satisfaits; et (2) si les critères sont satisfaits, le Tribunal doit décider, selon certains facteurs discrétionnaires, s'il est approprié, dans les circonstances, d'appliquer le principe (Danyluk, précité, au paragraphe 33).

[18] Les critères à satisfaire quant à l'application du principe de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée sont les suivants :

  1. les mêmes questions sont en litige dans les deux instances;
  2. la décision judiciaire qui est censée créer la préclusion est finale;
  3. les parties ou leurs ayants droit sont les mêmes.

(i) Les mêmes questions sont en litige dans les deux instances

[19] Pour que cette exigence soit satisfaite, le règlement de la question en litige dans la première instance doit avoir été essentiel au résultat (Minott c. O'Shanter Development Co. (1999), 42 O.R. (3d) 321 (C.A.O.), au paragraphe 23). En d'autres mots, la préclusion pour question déjà tranchée vise les questions fondamentales tranchées dans la première instance, c'est-à-dire les questions qui étaient essentielles à la décision.

[20] Selon moi, ce volet du critère exige une analyse attentive. Bien qu'il ne soit pas nécessaire que l'arbitre emploie la même méthode et la même terminologie qui serait utilisée par le Tribunal, il doit être clair que l'arbitre a traité dans l'instance des mêmes questions en matière de droits de la personne (Rasanen c. Rosemount Instruments Ltd. (1994), 112 D.L.R. (4th) 683, à la page 703). Les droits de la personne sont des droits quasi-constitutionnels. Par conséquent, il est de la plus haute importance que personne ne se voit refuser la possibilité de voir à ce que ces droits ont été respectés (Cremasco, précité, par. 83 et Buffet, précité, au paragraphe 40).

[21] Dans sa plainte, Mme Lipp prétend que Postes Canada a fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa déficience (blessures au cou et à l'épaule, fibromyalgie) et de son sexe (grossesse). Mme Lipp prétend que la manière selon laquelle Postes Canada a mené l'enquête quant à sa capacité de retourner au travail a été discriminatoire; elle a été traitée d'une manière différente durant le processus parce qu'elle était enceinte et(ou) parce qu'elle souffrait d'une déficience.

[22] Cependant, dans les deux griefs qui ont fait l'objet des procédures d'arbitrage, la discrimination n'a pas été alléguée d'une façon précise. Dans ses griefs, Mme Lipp a fait valoir son droit, en vertu de la convention collective, d'être réintégrée dans ses fonctions modifiées dès qu'elle aura démontré qu'elle en est psychologiquement capable. Par conséquent, la question fondamentale visée par la procédure d'arbitrage est différente de celle visée par la plainte en matière de droits de la personne; la capacité de Mme Lipp à retourner au travail et la justification de Postes Canada à demander une preuve supplémentaire quant à cette capacité étaient les questions en litige dans la procédure d'arbitrage.

[23] Postes Canada prétend que même si l'arbitre n'a pas procédé, en tant que telle, à une analyse en matière de droit de la personne et que même s'il n'a pas non plus mentionné les mots discrimination ou accommodement, ses conclusions essentielles sont néanmoins déterminantes quant aux questions en litige dans la plainte de Mme Lipp.

[24] Quelles étaient les conclusions essentielles de l'arbitre? L'arbitre a conclu que la demande de Mme Lipp d'être réintégrée dans ses anciennes fonctions était probablement plus motivée par le désir d'être admissible à l'assurance-emploi que par une véritable amélioration de sa santé psychologique. Il a conclu que Postes Canada avait le droit de savoir si Mme Lipp était vraiment capable de réintégrer ses anciennes fonctions. Compte tenu du manque de confiance de Postes Canada dans les rapports des médecins de Mme Lipp, l'arbitre a conclu que la tenue d'un EMI était justifiée.

[25] L'arbitre a conclu que Postes Canada était justifiée d'exiger que Mme Lipp se soumette à un EMI à Winnipeg. Il a souligné que le médecin de Postes Canada estimait que ce n'était qu'à Winnipeg qu'elle pouvait se soumettre à un EMI. Il a également souligné que Postes Canada avait offert à Mme Lipp un certain nombre de choix quant au déplacement.

[26] L'arbitre a implicitement conclu que les événements qui ont prétendument fait partie du retard étaient des étapes essentielles dans le processus d'obtention des renseignements dont Postes Canada avait besoin. Par conséquent, il a conclu que Postes Canada n'a pas accusé un retard indu à réintégrer Mme Lipp dans son ancien poste.

[27] Quant au deuxième grief déposé par Mme Lipp, l'arbitre a conclu que cette dernière a été prévenue que si elle refusait de se soumettre à un EMI à Winnipeg elle ferait l'objet d'une suspension sans solde. Il a déclaré que toute imprécision dans la lettre adressée à Mme Lipp expliquant pourquoi un EMI était essentiel était attribuable aux exigences visant à protéger la vie privée de Mme Lipp. Par conséquent, l'arbitre a conclu que Postes Canada était justifiée d'imposer une suspension sans solde à Mme Lipp.

[28] Ces conclusions sont-elles déterminantes quant aux questions soulevées dans la plainte de Mme Lipp? Dans une plainte de cette nature, le Tribunal examinera si Mme Lipp a été traitée différemment des autres employés et, le cas échéant, il examinera si ce traitement différent était fondé, du moins en partie, sur le fait qu'elle souffrait d'une déficience, qu'elle était enceinte ou pour ces deux motifs. Pour avoir gain de cause, un plaignant n'a qu'à démontrer que le motif allégué était un facteur parmi d'autres dans la conduite de l'intimé; ce facteur n'a pas à être l'unique facteur ou le facteur déterminant : Martin c. Carter Chevrolet Oldsmobile, 2001 BCHRT 37, au paragraphe 21; Cooke c. Vancouver Island Aids Society (1999), 35 C.H.R.R. D/56, au paragraphe 52 (B.C.H.R.T.); Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12, au paragraphe 7 (C.A.F.).

[29] Le Tribunal examinera ensuite si Postes Canada a fourni une explication crédible, non discriminatoire, quant à sa conduite. La preuve sera examinée dans son ensemble et non pas comme une suite d'événements distincts qui n'ont aucun rapport entre eux.

[30] Le Tribunal peut également être appelé à décider si une exigence occasionne une discrimination par suite d'un effet préjudiciable ou discrimination indirecte. Si l'effet d'une exigence apparemment non discriminatoire consiste à imposer un fardeau plus lourd à un employé ou de priver un employé d'un avantage en raison de sa déficience et (ou) de son sexe, alors à moins que l'exigence ne soit une exigence professionnelle justifiée, elle sera jugée discriminatoire. Le facteur clé lorsqu'il s'agit de décider si une exigence est une exigence professionnelle justifiée est celui qui consiste à savoir si l'employeur a répondu aux besoins de l'employé sans subir de contrainte excessive (Voir : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 49; Gosselin c. Québec (Procureur général) [2002] 4 R.C.S. 429, au paragraphe120). La participation de l'employé aux efforts d'accommodement est également un facteur dont le Tribunal tiendra compte dans son analyse.

[31] Peut-on dire que dans sa décision l'arbitre a traité de ces questions expressément ou implicitement? Pour les motifs suivants, la réponse à cette question est non.

[32] Premièrement, l'arbitre n'a pas examiné si Mme Lipp a été traitée d'une manière différente en raison de sa grossesse et (ou) de sa déficience. Bien qu'il ait conclu que Mme Lipp désirait probablement retourner travailler parce qu'elle était enceinte et qu'elle avait besoin d'argent, il n'est pas allé jusqu'à analyser si ce fait, ainsi que la déficience de Mme Lipp, ont pu influencer la manière selon laquelle Postes Canada a mené l'enquête quant à son retour au travail et ont pu influencer l'exigence qu'elle se soumette à un EMI à Winnipeg. L'arbitre ne s'est pas demandé, en examinant l'ensemble du processus, si Mme Lipp a été traitée différemment des autres employés parce que, du moins en partie, elle souffrait d'une déficience et était enceinte. En effet, on n'a pas demandé à l'arbitre de trancher cette question et il n'était pas nécessaire que celui-ci le fasse pour décider si Postes Canada a tardé de façon indue à réintégrer Mme Lipp dans son ancien poste.

[33] Peut-on dire que la conclusion de l'arbitre que Postes Canada n'a pas tardé de façon indue à réintégrer Mme Lipp dans son ancien poste constitue une conclusion implicite que Postes Canada n'a pas fait preuve de discrimination à l'égard de Mme Lipp? Après tout, en tirant cette conclusion, l'arbitre a explicitement rejeté l'argument du syndicat qu'on avait érigé obstacle après obstacle afin d'empêcher Mme Lipp de retourner travailler. Le rejet de cet argument constitue-t-il une conclusion implicite que Postes Canada n'a pas fait preuve de discrimination à l'égard de Mme Lipp? Selon moi, il est impossible d'affirmer cela. L'arbitre a clairement interprété les évènements qui se sont produits comme étant des étapes dans le processus visant à obtenir plus de renseignements quant à la santé psychologique de Mme Lipp. Compte tenu de cette conclusion, les événements ont été considérés comme justifiables. Toutefois, cela n'amène pas nécessairement à la conclusion que le processus, ou des parties du processus, n'étaient pas discriminatoires.

[34] Dans le contexte des droits de la personne, une plainte peut être jugée fondée même si la discrimination n'est qu'un facteur parmi d'autres facteurs qui influencent la conduite reprochée. Par conséquent, il est possible de prétendre que le désir d'obtenir plus de renseignements peut ne pas avoir été le seul facteur qui a influencé la conduite de Postes Canada envers Mme Lipp; la discrimination peut également avoir joué un rôle. Selon moi, il doit y avoir dans les motifs de l'arbitre une certaine indication qu'il a traité cette question et l'a rejetée avant que l'on puisse affirmer que la question de la discrimination a été tranchée de façon définitive. Autrement, la possibilité que la discrimination ait joué un rôle dans le traitement de Mme Lipp demeure toujours une question litigieuse que le Tribunal doit traiter durant son instruction sur la plainte.

[35] De plus, alors que l'arbitre a conclu que, selon les dispositions de la convention collective et la jurisprudence en matière d'arbitrage, Postes Canada était justifiée d'exiger des renseignements médicaux additionnels, rien n'indique qu'il a examiné la question de savoir si cette exigence a occasionné de la discrimination indirecte. À cet égard, on peut faire valoir que bien que, à première vue, l'obligation de se rendre à Winnipeg pour se soumettre à un EMI est sensée pour les motifs énumérés par l'arbitre, elle a, néanmoins, un effet discriminatoire car elle impose un fardeau plus lourd à Mme Lipp qu'aux autres employés en raison du fait qu'elle est enceinte. Il ne semble pas que l'arbitre ait examiné la possibilité qu'il y ait eu discrimination par suite d'un effet préjudiciable.

[36] La prochaine étape dans l'analyse en matière de droits de la personne consiste à examiner si Postes Canada était tenue d'accommoder Mme Lipp quant à sa grossesse et, le cas échéant, l'a-t-elle fait sans subir de contrainte excessive. Rien n'indique que l'arbitre a examiné si, par exemple, en exigeant que Mme Lipp se soumette à un EMI à Winnipeg, Postes Canada était tenue d'accommoder Mme Lipp quant à sa grossesse. Il a été souligné que de nombreux choix quant au déplacement ont été offerts à Mme Lipp pour qu'elle puisse aller se soumettre à un EMI à Winnipeg et que le directeur d'usine a rejeté la proposition du syndicat que le psychiatre de Winnipeg soit envoyé par avion à Regina. Toutefois, on ne sait pas si ces choix ont été offerts pour répondre à la peur des voyages de Mme Lipp ou pour répondre à des problèmes liés à sa grossesse. Selon moi, l'arbitre n'a pas traité de la question de l'accommodement expressément ou implicitement.

[37] Enfin, Postes Canada a prétendu que la conclusion de l'arbitre que la tenue d'un EMI était nécessaire avant que le processus d'accommodement ne soit entrepris est exactement la même question que le Tribunal aurait à traiter dans le cadre du règlement de la plainte de Mme Lipp. En effet, Postes Canada va jusqu'à prétendre que si l'arbitre n'avait pas conclu que la tenue d'un EMI était justifiée, il aurait conclu qu'elle a manqué à son obligation d'accommoder Mme Lipp. Par conséquent, la conclusion que la tenue d'un EMI était justifiée fait obstacle à toute analyse que le Tribunal pourrait entreprendre.

[38] Je ne suis pas de cet avis. Dans sa plainte, Mme Lipp n'a pas prétendu que Postes Canada a omis de l'accommoder quant à sa dépression et quant à ses troubles d'anxiété. Elle a invoqué la discrimination en raison de son sexe (grossesse) et de ses déficiences liées à des blessures au cou et à l'épaule ainsi qu'à une fibromyalgie. À ce titre, la conclusion de l'arbitre que la tenue d'un EMI était nécessaire n'empêche pas de faire une analyse de la question de savoir si la présumée discrimination s'est produite ou non.

[39] Selon moi, il est hypothétique d'affirmer que si l'arbitre avait conclu que la tenue d'un EMI n'était pas nécessaire, il aurait conclu que Postes Canada a manqué à son obligation d'accommoder Mme Lipp. Rien dans les motifs de l'arbitre n'indique, et rien ne découle implicitement de ses conclusions, qu'il aurait tiré une conclusion quant à l'obligation d'accommodement de Mme Lipp. Dans son grief, Mme Lipp a fait valoir qu'elle était capable de réintégrer ses fonctions modifiées. Elle n'a pas prétendu qu'elle avait besoin d'accommodement en raison de ses problèmes psychologiques. Si l'arbitre avait conclu que la tenue d'un EMI n'était pas justifiée, il aurait probablement ordonné que Mme Lipp soit réintégrée dans ses anciennes fonctions et indemnisée pour perte de salaire. Je ne crois pas qu'il soit possible, selon l'analyse de l'arbitre, d'émettre des hypothèses quant à l'une ou l'autre conclusion qu'il aurait pu tirer.

[40] Pour ces motifs, bien que la terminologie et la méthodologie soient différentes, je ne crois pas qu'il s'agisse en l'espèce d'un cas où les questions de droits de la personne ont été discutées d'une certaine manière par l'arbitre. Selon moi, l'arbitre n'a pas été appelé à décider si la conduite de Postes Canada envers Mme Lipp était discriminatoire. La question était de savoir si Postes Canada a accusé un retard indu et si la mesure disciplinaire était justifiable. Il s'agit-là de questions différentes de celles que le Tribunal serait appelé à examiner. On ne peut pas non plus affirmer que l'une ou l'autre des questions soulevées dans la plainte en matière de droits de la personne de Mme Lipp ont été décidées implicitement dans l'arbitrage. Par conséquent, ce volet du critère n'a pas été satisfait.

III. LA CONCLUSION CONCERNANT LE PRINCIPE DE LA CHOSE JUGÉE

[41] Le principe de la chose jugée ne s'appliquera pas à moins que l'ensemble des trois critères aient été satisfaits. Par conséquent, compte tenu de ma conclusion que le premier critère n'a pas été satisfait, il n'est pas nécessaire que j'examine le deuxième et le troisième volet du critère. En outre, un examen des facteurs discrétionnaires quant à l'application des principes n'est également pas nécessaire.

A. Abus de procédure

[42] Postes Canada a également prétendu que ce serait un abus de procédure que de permettre que l'affaire soit entendue par le Tribunal car l'arbitre a tranché d'une façon définitive les questions mêmes qui seraient traitées par le Tribunal. Postes Canada déclare que Mme Lipp cherche à ce que le Tribunal tire une conclusion différente de celle tirée par l'arbitre et qu'il s'agit clairement d'un abus de procédure.

[43] Toutefois, pour les motifs susmentionnés, la tenue d'une audience devant le Tribunal ne constituerait pas une nouvelle audition des mêmes questions qui ont été tranchées par l'arbitre. Par conséquent, je conclus que ne constituerait pas un abus de procédure le fait que le Tribunal entende la présente plainte.

B. ORDONNANCE

[44] Pour l'ensemble des motifs qui précédent, la requête de Postes Canada est rejetée.

Karen A. Jensen

Ottawa (Ontario)
Le 16 février 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1083/6405
INTITULÉ DE LA CAUSE : Sandy Culic c. Postes Canada
DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 16 février 2006
ONT COMPARU :
Sandy Lipp (Culic) Pour elle-même
Daniel Pagowski Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Zygmunt Machelak Pour l'intimé
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