Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE:

MARTIN GAGNON

Le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

La Commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES

L'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

D.T. 04/02

002/02/14

MEMBRE INSTRUCTEUR: Pierre Deschamps, président

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. LE CONTEXTE

III. LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

IV. LE DROIT

V, L'ANALYSE

VI. MESURES DE REDRESSEMENT

VII. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] Le Tribunal est saisi d'une plainte, déposée le 16 décembre 1996 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (ci-après la Commission), en vertu de laquelle le plaignant, Monsieur Martin Gagnon, allègue avoir été victime de discrimination fondée sur son état matrimonial en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (ci-après la Loi). À l'audience, le Tribunal a autorisé que la plainte soit amendée afin qu'il y soit ajouté comme autre fondement l'article 14.1 de la Loi.

[2] Dans sa plainte, M. Gagnon, qui est membre des Forces armées canadiennes, allègue qu'en raison de son implication dans un grief pour harcèlement sexuel et personnel, déposé en 1990 auprès des Forces armées par son épouse, elle-même membre des Forces armées, et d'une plainte pour harcèlement sexuel portée par elle devant la Commission en 1992, il fut lui-même l'objet de plusieurs incidents de nature discriminatoire impliquant ses supérieurs.

[3] M. Gagnon prétend, en outre, que ses affectations à la suite de son départ de la base d'Halifax en 1992 ont été faites dans l'intention de nuire à sa carrière, notamment en ce qu'elles ont été faites à l'extérieur de son champ d'expertise, soit celui du métier de commis-comptable. M. Gagnon prétend, enfin, que certaines positions au sein des Forces armées ne lui furent pas offertes, à la suite de son départ d'Halifax, afin de nuire à ses chances d'avancement au sein des Forces armées.

II. LE CONTEXTE

[4] La preuve révèle que M. Gagnon est marié depuis le 2 juillet 1977 à Mme June Gagnon (pièce C-2). Celle-ci fait partie de la force régulière des Forces armées canadiennes tout comme M. Gagnon. Elle y exerce le même métier que M. Gagnon, soit celui de commis-comptable. Madame Gagnon ne fut pas appelée comme témoin dans la présente instance.

[5] En ce qui concerne M. Gagnon, la preuve révèle que ce dernier est entré dans les Forces armées le 5 novembre 1970 en tant que commis-comptable au sein de l'élément Terre (pièce C-2). En 1986, M. Gagnon optait de se joindre à la Marine.

[6] Lors de son entrée dans les Forces armées, M. Gagnon fut intégré à la section qui regroupe tous les commis-comptables des Forces armées. Selon le témoin M. Delisle, qui fut gérant de carrière pour l'occupation de commis-comptable de 1990 à 1994, les commis-comptables s'occupent de comptabilité et de finances dans les sections de contrôleur au sein des Forces armées.

[7] Il appert de la pièce C-2 que, de 1971 à 1992, M. Gagnon fut stationné successivement à base de Shilo (1971-1975), à celle de Bagotville (1975-1979), sur le navire Skeena (1979-1981), à Ottawa (1981-1984), sur le navire Saguenay (1984-1986), à Ottawa (1986-1989), à Halifax (1989-1992). Le 15 juillet 1992, il était muté à Ottawa. Depuis lors, il y a occupé différents postes.

[8] Il appert, par ailleurs, de la pièce C-2 et de la pièce C-3 qu'entre 1970 et 1989, M. Gagnon fut successivement promu au rang de matelot de première classe (1974), de matelot-chef (1976), de maître de deuxième classe (1978), de maître de première classe (1986) et, finalement, de premier maître de deuxième classe (1989). La preuve révèle, par ailleurs, que, depuis 1989, M. Gagnon n'a reçu aucune promotion au sein des Forces armées. Selon M. Gagnon, il est devenu éligible au rang de premier maître de première classe en 1991.

[9] Les faits à l'origine de la plainte déposée en 1996 par M. Gagnon auprès de la Commission sont exposés ci-après.

[10] En juin 1990, l'épouse de M. Gagnon est, selon le témoignage de ce dernier, victime de harcèlement sexuel de la part d'un major et de harcèlement personnel de la part d'un capitaine. Mme Gagnon dépose alors un grief à travers le système de griefs des Forces armées.

[11] Il appert du témoignage de M. Gagnon qu'étant donné que le grief de son épouse concernait ses supérieurs immédiats, elle dut s'adresser au Colonel de qui elle relevait alors afin de lui expliquer la nature de son grief. Selon M. Gagnon, son épouse fut convoquée à une première entrevue en juin 1990, entrevue d'une durée de deux heures devant le Colonel McLean et l'Adjudant-chef Pike. Selon lui, son épouse eut une seconde entrevue une semaine plus tard. Dans son témoignage, M. Gagnon ne précise pas en présence de qui cette seconde entrevue se déroula.

[12] Selon M. Gagnon, à la suite de sa seconde entrevue, son épouse fut convoquée à une troisième entrevue à laquelle elle refusa de se présenter. Pour avoir défié l'ordre direct de se présenter à l'entrevue, Madame Gagnon fut, selon le témoignage de M. Gagnon, citée en discipline en juillet 1990.

[13] Dans son témoignage, M. Gagnon affirme qu'à la suite du grief déposé par son épouse au sein des Forces armées, il entreprit plusieurs démarches afin de supporter celle-ci, étant d'avis que le grief de cette dernière n'était pas traité de la bonne façon par les Forces armées.

[14] Dans son témoignage, M. Gagnon situe la première démarche qu'il entreprit en juin 1990, peu après la première entrevue à laquelle son épouse avait été convoquée. Il appert du témoignage de M. Gagnon que celui-ci intervient alors auprès du procureur de l'amiral Anderson, commandant du Commandement maritime à Halifax, pour lui demander conseil. S'estimant en conflit d'intérêts, le procureur de l'amiral Anderson, le Commander Barnes, le réfère alors au Major Hearst au bureau du Juge-Avocat général (JAG) à Gagetown.

[15] Vers la fin du mois de juin 1990, dans une seconde démarche, M. Gagnon communique avec le Major Hearst afin de recevoir des conseils légaux de sa part. Dans son témoignage, M. Gagnon affirme avoir communiqué avec le Major Hearst à deux reprises pour des conseils et à une reprise pour l'aviser que son épouse avait été citée en discipline. M. Gagnon affirme dans son témoignage que le Major Hearst lui a dit lors d'une conversation que ce qui se passait à propos de son épouse n'était pas correct. Le procureur de l'intimée s'est objecté à ce témoignage au motif qu'il s'agissait là de ouï-dire.

[16] M. Gagnon affirme, par ailleurs, avoir entrepris par la suite une troisième démarche auprès du Bureau des droits fédéraux afin d'obtenir des conseils de celui-ci. Lors de son témoignage, M. Gagnon est demeuré vague sur les conseils qui lui ont alors été fournis.

[17] M. Gagnon relate dans son témoignage qu'à la suite de la démarche précédente, il organise pour son épouse un rendez-vous avec l'Adjudant-chef du Commandement maritime. M. Gagnon situe cette démarche en juillet 1990. Selon M. Gagnon, son épouse obtient alors un certain support moral et reçoit quelques conseils.

[18] Voulant exercer une certaine pression sur les Forces armées, il appert du témoignage de M. Gagnon que son épouse approche, à sa suggestion, une députée fédérale libérale. M. Gagnon situe cette démarche au mois de février ou mars 1991. Une ou deux rencontres ont lieu. M. Gagnon affirme dans son témoignage ne pas avoir été présent à ces rencontres. Selon le témoignage de M. Gagnon, les choses se seraient améliorées par la suite.

[19] Dans son témoignage, M. Gagnon relate que son épouse put dans ses démarches de grief au sein des Forces armées bénéficier du soutien d'un officier assistant, en la personne du Lieutenant-commandant Joanne Thibault. Il affirme, en outre, que le Lieutenant-commandant Thibault lui a fait savoir, lors d'une conversation téléphonique, qu'il situe à l'automne 1990, qu'il serait préférable qu'il cesse de s'impliquer dans la plainte de son épouse. Le Lieutenant-commandant Thibault ne fut pas appelé comme témoin. À l'audience, le procureur de l'intimée s'est objecté au témoignage de M. Gagnon quant aux propos du Lieutenant-commandant Thibault alléguant qu'il s'agissait là de ouï-dire.

[20] Dans son témoignage, M. Gagnon rapporte, par ailleurs, que lors d'une conversation téléphonique avec le Lieutenant-commandant Thibault survenue le 21 février 1995, celle-ci lui fait part du fait qu'en juillet ou août 1990, lors d'une séance de jogging avec le Colonel McLean et le Commandant Smith, le Colonel McLean avait dit au Lieutenant-commandant Thibault que si M. Gagnon continuait à se mêler du cas de son épouse, cela allait détruire sa carrière. Ni le Colonel McLean, ni le Commander Smith ne furent appelés comme témoin. À l'audience, le procureur de l'intimée s'est objecté à l'admissibilité en preuve des faits relatés par M. Gagnon alléguant qu'il s'agissait là de ouï-dire.

[21] M. Gagnon rapporte finalement dans son témoignage qu'en 1994, son épouse reçut une lettre officielle du Chef d'état-major des Forces armées. Selon le témoignage de M. Gagnon, celui-ci se serait alors excusé et aurait admis que Madame Gagnon avait été harcelée sexuellement et personnellement. Selon le témoignage de M. Gagnon, son épouse se serait néanmoins adressée au ministre de la Défense étant donné qu'aucune action n'avait été prise contre le Colonel McLean pour intimidation et abus de pouvoir.

[22] Selon M. Gagnon, de juin à décembre 1990, il ne ressentit aucune conséquence du fait de son implication dans la plainte de son épouse. Durant cette période, il affirme s'être très bien accordé avec son supérieur immédiat, le Commander Andrea. Selon le témoignage de M. Gagnon, ce n'est que lorsqu'il a été affecté, en mai 1991, au Quartier général du Commandement maritime, dans la section logistique des coûts, sous l'autorité du Capitaine Jarvis, que ses problèmes ont commencé.

[23] Dans son témoignage, M. Gagnon fait état d'une série d'incidents survenus entre mai 1991 et mai 1992 alors qu'il était à Halifax, incidents qu'il relie à son implication dans la plainte déposée par son épouse. Trois de ces incidents impliquent le Capitaine Estey, les autres, le Capitaine Jarvis.

[24] Du témoignage de M. Gagnon, il ressort que le premier incident impliquant le Capitaine Estey s'est produit en mai 1991, une semaine ou deux après son entrée en fonction au Quartier général du Commandement maritime à Halifax. M. Gagnon relate ainsi le premier incident :

"Je travaillais au quatrième plancher. Puis il a fallu que je me rapporte... il a fallu que j'aille au cinquième plancher dans la shop du contrôleur de Commandement. Je cherchais la femme Adjudant-maître, Velma Walsh. Puis quand je suis arrivé au cinquième plancher, j'ai rencontré le Capitaine de Marine Estey. C'est lui qui était le contrôleur du Commandement. Ça, c'est l'équivalent de Colonel.

J'ai tout écrit ça en anglais. En français, il m'a demandé: Qui cherchez-vous, Chief ? J'ai dit: Je cherche l'Adjudant-maître, Velma Walsh. Bien, il m'a regardé: Ah, vous voulez dire la belle Adjudant-maître Velma Walsh. J'ai dit: Non, je cherche l'Adjudant-maître Walsh. Là, il m'a indiqué qu'elle était dans le bureau de l'Adjudant-chef Garrett.

J'ai procédé dans le bureau de l'Adjudant-chef Garrett. Velma Walsh était assise. On avait des demi-murs. Le Capitaine de Marine, Estey, une personne très grande, six pieds deux, six pieds trois, il s'est pointé dans la tête au-dessus du mur et puis là, il m'a demandé: Lorsque j'ai fait le commentaire Cherchez-vous la belle Adjudant-maître Walsh, est-ce que c'était du harcèlement sexuel ?

J'ai dit: Oui, ça l'est, mais c'est pas à moi à faire la plainte, c'est à Adjudant-maître Walsh de la faire. Il a parti (1)."

[25] M. Gagnon témoigne qu'à la suite de ce premier incident, il a perçu que le Capitaine Estey voulait ridiculiser la plainte de harcèlement sexuel de son épouse et son implication personnelle en rapport avec la plainte. Il déclare avoir trouvé sa remarque sarcastique.

[26] Selon M. Gagnon, un second incident s'est produit en juin 1991 impliquant encore une fois le Capitaine Estey. Dans son témoignage, M. Gagnon relate cet incident de la façon suivante :

"R. C'était un après-midi. Je sais que c'était vers 15 h 40. Je sortais de l'ascenseur à l'étage principal du Quartier général. Le Capitaine de Marine Estey est rentré dans l'ascenseur. Là, il m'a dit...

Q. Avant de nous le dire, c'était en quelle année, quel mois, savez-vous ?

R. Mai '91 le premier. Je pense que c'était juin, juin '91.

Q. O.K. Qu'est-ce qu'il vous a dit ?

R. Il m'a dit: Je souhaite que j'aimerais avoir vos heures d'ouvrage... vos heures de travail parce que je partais après à 15 h 40. J'ai avisé que je travaillais de 7 h 30 le matin jusqu'à 15h30 l'après-midi. J'ai fait dix minutes de surtemps parce que j'ai pas aimé son commentaire.

J'étais en train... je m'en allais et puis c'est là que je l'ai entendu me dire, je vais le dire en anglais: If I had you in my shop, I would show you how much sympathy I have for you. (2)"

[27] En ce qui concerne le troisième incident impliquant le Capitaine Estey, cet incident a eu lieu selon M. Gagnon, au mois de septembre 1991. Dans son témoignage, M. Gagnon relate ainsi cet incident :

"Je revenais du gymnase. Il était une heure de l'après-midi. Puis j'étais en train de faire des modificatifs de règlements de la Reine. Ça, c'est à toutes les fois les règlements changent, on doit faire des modificatifs, changer les règlements.

Je m'en rappelle, j'avais la tête baissée et puis le Capitaine de Marine Jarvis était en train de discuter avec le Commandant Banks et puis il était debout, juste avant... juste à l'entrée de son bureau, puis moi, je pouvais le voir assis de mon bureau, mais lui pouvait me voir.

Je suppose qu'il pensait que je dormais parce qu'il m'a crié, Wake up, Chief. If you... if going to the gymnasium makes you too tired, stop going. Moi, je lui ai répondu: Going to the gym does not make me tired. Contrary, ça me rend plus alerte. J'ai répondu ça en anglais. It makes me work better in the afternoon. (3)"

[28] Indisposé par ces divers incidents, M. Gagnon affirme dans son témoignage avoir pris la décision de s'adresser au Capitaine Jarvis pour l'aviser des trois incidents qui s'étaient produits avec le Capitaine Estey. Il appert du témoignage de M. Gagnon que le Capitaine Jarvis se situait au troisième échelon dans la chaîne de commandement.

[29] Lors d'une rencontre avec le Capitaine Jarvis, le 2 octobre 1991, à laquelle assistaient le Lieutenant-commandant Gregory et le Lieutenant Pacher, M. Gagnon affirme avoir avisé le Capitaine Jarvis de ce qui s'était produit avec le Capitaine Estey. Selon le témoignage de M. Gagnon, le Capitaine Jarvis lui fait alors savoir qu'il allait en parler au Capitaine Estey. M. Gagnon ajoute que le cas de son épouse fut soulevé durant sa conversation avec le Capitaine Jarvis. Selon M. Gagnon, le Capitaine Jarvis lui a alors dit que son implication dans le cas de son épouse était inappropriée et qu'il devait laisser faire le système.

[30] À la suite de cette rencontre, M. Gagnon fut appelé à rencontrer le Capitaine Estey avec qui il eut une conversation au sujet du cas de son épouse. Selon le témoignage de M. Gagnon, le Capitaine Estey se serait plus ou moins excusé. M. Gagnon lui aurait alors dit de le laisser tranquille. Selon M. Gagnon, il n'y aurait plus eu par la suite d'incident avec le Capitaine Estey.

[31] En ce qui concerne le Capitaine Jarvis, M. Gagnon fait état dans son témoignage de divers incidents l'impliquant personnellement. Selon M. Gagnon, ces petits incidents lui ont indiqué qu'il se passait quelque chose avec le Capitaine Jarvis.

[32] Selon M. Gagnon, le premier incident serait survenu en août ou septembre 1991. Dans son témoignage, M. Gagnon relate l'incident de la façon suivante :

"Un matin que je suis arrivé, ça, ça s'est passé l'automne, durant... ça, c'était l'automne '91, août, septembre. Un matin, je suis arrivé, je me suis empressé de lui dire un beau bonjour.

Q. À qui ?

R. Au Capitaine de Marine Jarvis. Il était proche. Il m'a regardé et puis il m'a pas répondu, il m'a ignoré.

Un autre matin, j'étais dans le passage où est-ce que je travaille au quatrième plancher. Je discutais avec l'Adjudant-chef Montbourquet. Puis le Capitaine de Marine Jarvis s'en venait et puis il s'est empressé de dire un beau bonjour à l'Adjudant-chef Monbourquet, en m'ignorant totalement. (4)"

[33] Selon le témoignage de M. Gagnon, c'est à la suite de cet incident qu'il décide de demander à être muté avec son épouse. Il demande alors d'avoir une deuxième rencontre avec le Capitaine Jarvis afin de l'aviser qu'il allait demander une mutation. La rencontre a lieu, selon le témoignage de M. Gagnon, à la fin du mois d'octobre ou au début du mois de novembre 1991 en présence du Lieutenant Pacher. Ce dernier ne fut jamais appelé comme témoin.

[34] Au cours de cette rencontre, M. Gagnon fait part au Capitaine Jarvis des raisons motivant sa demande de mutation. M. Gagnon affirme dans son témoignage qu'il a dit au Capitaine Jarvis qu'il était fatigué de l'animosité qui existait à son égard, que sa réputation avait été salie, qu'il passait pour un faiseur de trouble et qu'il était préférable pour lui d'aller ailleurs et de recommencer.

[35] Selon le témoignage de M. Gagnon, le Capitaine Jarvis lui a alors dit que la seule personne qu'il avait entendu faire des commentaires dérogatoires à son sujet avait été le Capitaine Hamilton. Ce dernier aurait insinué que c'était lui, M. Gagnon, qui aurait convaincu son épouse de porter plainte. À l'audience, le procureur de l'intimée s'est objecté à cette partie du témoignage de M. Gagnon au motif que les propos que rapportait M. Gagnon étaient du ouï-dire.

[36] Par ailleurs, M. Gagnon rapporte que, lors de cette deuxième rencontre, il a discuté du cas de son épouse plus en profondeur avec le Capitaine Jarvis. Il a alors remis au Capitaine Jarvis un document de cinq pages relatant tous les incidents relatifs à la plainte de son épouse. Selon M. Gagnon, le lendemain de cette rencontre, le Capitaine Jarvis lui a remis le document et lui a dit: I have a lot of sympathy for your wife, but I have none for you.

[37] La preuve révèle qu'à la suite des incidents relatés ci-dessus, M. Gagnon rencontre à l'automne 1991 son gérant de carrière de l'époque, M. Delisle, en compagnie de son épouse. Selon M. Delisle tous les deux expriment alors le désir d'être mutés à Ottawa. Selon M. Delisle, il y a lors de cette rencontre une discussion à propos de la plainte de l'épouse de M. Gagnon.

[38] En janvier 1992, M. Gagnon est informé par M. Delisle qu'il y a un poste disponible à Ottawa à la Direction de la livraison des systèmes informatiques (Director Information System Delivery ou DIS DEL), poste que M. Gagnon estime, dans son témoignage, un peu en dehors de son métier. M. Gagnon accepte néanmoins la mutation. M. Gagnon souligne dans son témoignage que le Capitaine Jarvis a, à l'époque, supporté sa demande de mutation.

[39] Dans son témoignage, M. Delisle affirme que plusieurs facteurs ont influencé sa décision d'offir à M. Gagnon le poste à la Direction de la livraison des systèmes informatiques, notamment le besoin de service à Ottawa, ainsi que la préférence exprimée par M. Gagnon pour continuer sa carrière à Ottawa. Il affirme dans son témoignage qu'il ne fut alors l'objet d'aucune pression pour muter M. Gagnon à Ottawa, notamment de la part d'officiers supérieurs.

[40] La preuve révèle, par ailleurs, que deux autres incidents impliquant le Capitaine Jarvis surviennent par la suite. Dans son témoignage, M. Gagnon fait état d'un premier incident qui survient en mai 1992. M. Gagnon relate ainsi cet incident :

"R. O.K. C'était en '92, au mois de mai '92, le Premier maître de 2e classe Broyden avait été promu... recevait sa promotion de Premier maître de 1re classe. Puis c'est le Capitaine de Marine Jarvis qui procédait à la présentation. Puis il a enlevé les épaulettes de Premier maître de 2e classe des épaules du Premier maître de 1re classe Broyden et puis il a mis les nouvelles épaulettes avec le nouveau grade.

Ensuite, il a garoché les épaulettes de Premier maître de 2e classe par terre sur le plancher et puis il m'a dit... ça, je vais le dire en anglais... il m'a dit: Chief Gagnon, pick up that extra set of rank, you're going to need them. (5)"

[41] Dans son témoignage, M. Gagnon affirme que, compte tenu des incidents antérieurs, il a interprété le geste du Capitaine Jarvis comme voulant dire : Tu vas être Premier maître de 2e classe pendant longtemps et puis je vais m'en assurer .

[42] M. Gagnon fait enfin état dans son témoignage d'un dernier incident impliquant le Capitaine Jarvis, incident qu'il situe en juin 1992, quelques jours avant son départ pour Ottawa.

[43] Selon M. Gagnon, alors qu'il est en train de déchiqueter des documents confidentiels, le Capitaine Jarvis lui dit : Do you think your wife's case is finished because you're going to Ottawa . M. Gagnon affirme alors lui avoir répondu : No, I know it won't probably be finished because I know my reputation has been destroyed here, but at least if I go to Ottawa, I won't be able to defend myself and fight back alone. I'm going to have resources . Dans son témoignage, M. Gagnon affirme avoir trouvé la question du Capitaine Jarvis suggestive.

[44] La preuve révèle qu'en juillet 1992, M. Gagnon déménage à Ottawa avec son épouse. Il est affecté à la Direction de la livraison des systèmes informatiques (DIS DEL). Il y travaille comme soutien au système informatique. Dans son témoignage, M. Gagnon affirme qu'il n'avait aucun entraînement pour son nouveau travail et qu'il ne connaissait rien à ses nouvelles fonctions.

[45] La preuve révèle, par ailleurs, qu'à la suite de sa mutation à Ottawa en juillet 1992, M. Gagnon est l'objet de plusieurs mutations.

[46] La preuve révèle ainsi que M. Gagnon accepte, en 1993, d'être affecté à un projet spécial d'une durée d'un an portant sur la révision du métier de commis-comptable. Dans son témoignage, M. Delisle, le gérant de carrière de M. Gagnon à cette époque, affirme qu'il avait été contacté par le Contre-amiral Keeler qui lui avait demandé de désigner des sous-officiers seniors pour représenter le métier et faire la révision de l'occupation. Selon M. Delisle, M. Gagnon accepte très positivement ce qui lui est alors proposé. M. Delisle souligne, par ailleurs, que M. Gagnon n'était nullement obligé d'accepter le poste qui lui était offert. Selon M. Delisle, le poste était un poste d'envergure.

[47] Dans son témoignage, M. Delisle affirme avoir eu carte blanche pour choisir les candidats requis. Il affirme, en outre, avoir été guidé dans son choix de M. Gagnon pour le projet spécial par le fait que ce dernier avait été gérant de carrière, qu'il avait une bonne expérience du métier de commis-comptable, qu'il avait travaillé avec plusieurs éléments du métier et qu'il avait un bon dossier.

[48] Pour sa part, dans son témoignage, M. Gagnon relate que, selon lui, son nom avait été suggéré par le Contre-amiral Keeler. Il affirme avoir hésité alors à accepter cette affectation. Il précise qu'il a alors demandé à son gérant de carrière de l'époque, M. Delisle, s'il était obligé d'y aller. Dans son témoignage, M. Gagnon affirme ne pas se rappeler exactement de la réponse de M. Delisle, mais soutient qu'à son avis, elle revenait à dire que lorsqu'un Contre-amiral suggère ton nom, tu obéis". Dans son témoignage, M. Delisle a maintenu que le nom de M. Gagnon ne lui avait jamais été suggéré par le Contre-amiral Keeler.

[49] La preuve révèle qu'en 1994, à la fin du projet spécial sur la révision du métier de commis-comptable, M. Gagnon se voit offrir par son gérant de carrière, M. Delisle, le choix de retourner à la Direction de la livraison des systèmes informatiques ou d'aller à Montréal. Pour des raisons personnelles, M. Gagnon décide de demeurer à Ottawa. Il se voit alors confier la tâche d'apprendre par lui-même le langage informatique COBOL à l'aide d'un système de tuteur informatique. Dans son témoignage, M. Delisle affirme que M. Gagnon était d'accord pour retourner à la Direction de la livraison des systèmes informatiques.

[50] Dans son témoignage, M. Gagnon relate que l'apprentissage du langage COBOL durant une période d'environ sept mois s'est avéré tellement difficile qu'il n'ait pas réussi à l'apprendre. S'il avait réussi à apprendre ce langage, M. Gagnon affirme qu'il aurait alors pu être affecté au système d'information financière.

[51] La preuve révèle qu'en 1995, à la suite de l'abolition du poste qu'il occupait à la Direction de la livraison des systèmes informatiques, M. Gagnon accepte un poste au sein de la Direction générale du budget (pièce I-1). M. Gagnon y travaille sous l'autorité de deux personnes contre qui il a déposé un grief, soit le Commodore Jarvis et le Contre-amiral Keeler. Selon M. Doucet, le poste offert à M. Gagnon constituait pour lui une bonne opportunité d'avancement.

[52] La preuve révèle enfin qu'en juin 1997, M. Gagnon accepte d'être muté au Quartier général du groupe médical des Forces armées à Ottawa afin d'y remplacer pour une période d'un an un officier. M. Gagnon explique, dans son témoignage, que son gérant de carrière de l'époque, M. Doucet, lui fait alors savoir que la position qu'il occupait antérieurement avait été transférée du métier de finance au métier d'approvisionnement et qu'il fallait le muter ailleurs. La preuve révèle, par ailleurs, que M. Doucet lui a offert d'aller travailler, soit au Quartier général du groupe médical, soit au Quartier général de la Marine. M. Gagnon témoigne qu'en raison de la plainte qu'il avait déposée auprès de la Commission en décembre 1996, il n'était pas question pour lui d'aller travailler au Quartier général de la Marine.

[53] En 1998, M. Gagnon continue d'assumer les mêmes fonctions qu'il occupait en 1997 à la suite d'une réorganisation interne au sein du groupe médical. Selon la pièce C-2, il occupe aujourd'hui les mêmes fonctions qu'il occupait en 1998.

III. LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[54] Dans son exposé écrit, la Commission allègue qu'à la suite de l'implication de M. Gagnon dans la plainte déposée par son épouse pour harcèlement sexuel et personnel, M. Gagnon fut l'objet d'actes discriminatoires de la part des Forces armées. Elle relie ces actes au fait que M. Gagnon était l'époux de Madame June Gagnon.

[55] La Commission allègue, par ailleurs, que les faits mis en preuve sont suffisants pour faire naître une preuve prima facie de discrimination fondée sur l'état matrimonial obligeant l'intimée à fournir une explication raisonnable qui ne soit pas un prétexte en rapport avec le fait que M. Gagnon n'a pas été promu depuis 1989.

[56] Dans son exposé écrit, l'intimée allègue que M. Gagnon n'a pas fait l'objet de discrimination de la part des Forces armées, que les deux gérants de carrière de M. Gagnon assignèrent M. Gagnon à des postes pour lesquels M. Gagnon avait les qualifications requises, qu'en aucun temps ils ne firent preuve de discrimination à son égard en raison de son état matrimonial et que, si M. Gagnon ne fut pas promu, c'est en raison de la faiblesse de ses évaluations de rendement.

[57] Par ailleurs, l'intimée prétend que la plainte de M. Gagnon ne peut être retenue parce qu'elle ne répond pas au critère de fond de l'article 3 de la Loi étant donnée qu'elle se fonde non pas sur le fait que M. Gagnon est marié mais sur le fait qu'il est marié à une personne en particulier. La Commission et le plaignant contestent cette interprétation de la notion d'état matrimonial.

IV. LE DROIT

[58] L'article 7 de la Loi édicte que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu ou de le défavoriser en cours d'emploi. Selon l'article 3 de la Loi, constitue un motif de distinction illicite celui fondé notamment sur l'état matrimonial d'une personne.

[59] Quant à l'article 14.1 de la Loi, il établit que constitue un acte discriminatoire le fait pour la personne visée par une plainte déposée auprès de la Commission ou pour celle qui agit en son nom d'exercer ou de menacer d'exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

[60] En matière de discrimination, il est maintenant bien établi que le fardeau initial de preuve qu'une personne fut victime de discrimination en rapport avec l'un des motifs énoncés dans la Loi repose sur la personne qui allègue la discrimination. La norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités.

[61] Suivant la jurisprudence, la personne qui allègue la discrimination est tenue de présenter une preuve prima facie de discrimination (6). En l'espèce, il revient à la Commission et à M. Gagnon de présenter une telle preuve.

[62] Selon l'arrêt O'Malley, une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire ou preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant en l'absence de réplique de l'intimée (7).

[63] La jurisprudence reconnaît que, dès lors qu'un plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, il s'opère alors un renversement du fardeau de la preuve, renversement qui oblige l'intimé à fournir une explication jugée raisonnable, selon le critère de la balance des probabilités, c'est-à-dire une explication qui ne soit pas considérée comme un simple prétexte (8). Il appartient au plaignant et à la Commission de prouver, une fois l'explication fournie, que celle-ci est un prétexte et que la motivation réelle derrière les actes posés par l'intimé est, en fait, discriminatoire.

[64] La preuve d'un acte discriminatoire peut être directe ou circonstancielle. Compte tenu que la discrimination n'est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme le souligne la décision Basi, qu'elle est très souvent exercée de façon voilée, cachée voire subtile (9), il est rare qu'on puisse prouver par des preuves directes qu'un acte discriminatoire a été commis intentionnellement (10).

[65] Selon B. Vizkelety, dans le contexte d'une preuve circonstancielle, pour qu'un tribunal puisse conclure à la discrimination, il faut que la preuve présentée à l'appui des prétentions du plaignant rende cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible (11).

[66] Enfin, il n'est pas nécessaire pour la personne qui allègue avoir été l'objet de discrimination de prouver que la discrimination constitue le seul et unique fondement des actes reprochés à l'intimé. Il suffit qu'elle prouve qu'elle constitue l'un des fondements de sa conduite (12).

V. L'ANALYSE

[67] Avant d'analyser les faits particuliers de la présente instance, il importe pour le Tribunal de statuer sur la question de savoir si le fait pour quelqu'un d'être marié à une personne en particulier et non le simple fait d'être marié constitue un motif de distinction illicite envisagé à l'article 3 de la Loi. Plus particulièrement, le Tribunal doit déterminer si l'identité du conjoint peut être incluse dans la notion d'état matrimonial que l'on y trouve.

[68] À cet égard, l'intimée allègue que la plainte de M. Gagnon est mal fondée en droit parce qu'elle repose non pas sur son statut de personne mariée mais plutôt sur le fait qu'il soit marié à une personne en particulier. Selon l'intimée, l'expression état matrimonial que l'on trouve à l'article 3 de la Loi ne peut être interprétée comme incluant, comme motif de distinction illicite, le fait d'être marié à quelqu'un en particulier.

[69] Au soutien de cette prétention, l'intimée invoque la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Cashin (13), ainsi que celle rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire Le Blanc (14).

[70] S'appuyant plus particulièrement sur l'opinion exprimée par M. le juge McGuigan dans l'affaire Cashin, l'intimée soutient que l'identité d'un conjoint particulier ne peut être comprise dans la notion d'état matrimonial parce que cette identité est purement individuelle. Il se réfère, à cet égard, au passage suivant de l'opinion de M. le juge McGuigan :

"En fin de compte, ce que la Loi (Loi canadienne sur les droits de la personne) vise à décourager, c'est la distinction dirigée contre une personne individuelle non pas en raison de son individualité, mais parce qu'elle constitue un spécimen d'un groupe identifié par une caractéristique donnée. En conséquence, l'identité d'un conjoint particulier ne peut être comprise dans la notion d'état matrimonial parce que cette identité est purement individuelle et n'a pas trait à un aspect de la vie partagée par un groupe " (15) .

[71] Selon l'intimée, l'appartenance à un groupe clairement identifié par une caractéristique donnée est essentielle pour donner prise à un recours fondé sur l'un des motifs de distinction illicite prévus à l'article 3 de la Loi. À cet égard, l'intimée souscrit à l'opinion émise par M. le juge McGuigan selon laquelle la Loi canadienne sur les droits de la personne n'offre une protection que contre certaines formes particulières de discrimination qui ont en commun d'être fondées sur une appartenance à un groupe quelconque, que ce soit un groupe naturel, tels ceux qui sont fondés sur la race et la couleur, ou encore une association choisie librement telles celles dont découle l'état matrimonial (16).

[72] Le plaignant et la Commission ne souscrivent évidemment pas aux prétentions de l'intimée sur ce point. S'appuyant notamment sur l'arrêt rendu en 1988 par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Brossard (17), de même que sur la décision rendue en 2000 par la Cour d'appel de l'Ontario dans Ontario (Human Rights Commission) v. Mr. A et al. (18), le plaignant et la Commission allèguent qu'une plainte fondée sur le fait qu'une personne soit mariée à une personne en particulier entre dans la catégorie des plaintes fondées sur l'état matrimonial.

[73] En ce qui concerne l'arrêt Brossard, il importe de souligner que M. le juge Beetz, sans décider de la question, envisage que la notion d'état matrimonial puisse englober le fait d'être marié à quelqu'un. À cet égard, le Tribunal croit pertinent de reproduire les deux extraits suivants de l'opinion de M. le juge Beetz :

"Il n'est pas nécessaire de décider en l'occurrence si l'identité d'un conjoint particulier est incluse dans la notion d'état matrimonial ou d'état civil et je m'abstiens de le faire. Je suis néanmoins porté à croire que dans certaines circonstances l'identité d'un conjoint particulier pourrait être comprise dans l'état matrimonial ou civil.

(…)

Il se peut en outre qu'un employeur exclue un candidat à un poste en raison de l'animosité particulière qu'il a pour le conjoint de ce candidat. L'exclusion de ce dernier repose alors sur l'identité du conjoint et rien d'autre. Cela pourrait bien constituer de la discrimination fondée sur l'état matrimonial ou civil, mais je le répète, il n'est pas nécessaire de trancher cette question en l'espèce (19) .

[74] Il ressort de ces deux extraits que, selon M. le juge Beetz, il est envisageable que, dans certaines circonstances, l'identité d'un conjoint particulier puisse être comprise dans l'état matrimonial. Ces circonstances ne sont cependant pas précisées. M. le juge Beetz évoque néanmoins l'exemple de l'employeur qui exclut un candidat à un poste en raison de l'animosité particulière qu'il peut avoir pour le conjoint.

[75] Même si le Tribunal devait considérer qu'au sens strict, le fait d'être marié à quelqu'un n'est pas envisagé par l'expression état matrimonial, il n'en demeure pas moins que, selon la jurisprudence, dans certaines circonstances, le fait d'être marié à quelqu'un pourra, si d'autres conditions existent, être une condition pouvant donner ouverture à une plainte de discrimination fondée sur l'état matrimonial. Cela a été notamment reconnu dans les affaires Cashin et Le Blanc.

[76] Dans l'affaire Cashin, la Cour d'appel fédérale a conclu au bien-fondé d'une plainte reposant sur l'état matrimonial d'une personne étant d'avis qu'au-delà du fait que la plaignante était mariée à une personne en particulier, la preuve révélait que l'intimée établissait une distinction défavorable à l'égard des femmes mariées qui adoptaient le nom de famille de leur mari. M. le juge McGuigan a conclu qu'il s'agissait là d'un acte discriminatoire fondé sur un accessoire primordial de l'état matrimonial et que la discrimination ainsi exercée avait trait à un groupe plutôt qu'à un individu.

[77] Dans l'affaire Le Blanc, le Tribunal canadien des droits de la personne, qui s'est dit lié par la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Cashin, a également conclu qu'il y avait, dans ce cas, discrimination fondée sur l'état matrimonial, s'appuyant en cela sur le fait que Marie Louise était une employée syndiquée et que M. Le Blanc était superviseur pour le même employeur dans le même milieu de travail (20). En outre, selon le Tribunal, le traitement discriminatoire dont fut victime M. Le Blanc n'aurait pas eu lieu en l'absence de cette relation entre un membre de la direction et un employé syndiqué au même lieu de travail (21).

[78] Il appert donc que, dans l'affaire Le Blanc, le Tribunal a considéré comme déterminant le fait que les conjoints aient eu le même employeur, ainsi que le même milieu de travail au moment où est survenu l'acte discriminatoire dont fut victime M. Le Blanc à la suite du dépôt par sa conjointe de plaintes auprès de la Commission.

[79] En l'espèce, le Tribunal est d'avis qu'il existe une similarité de faits entre l'affaire Le Blanc et la présente instance en ce que les deux conjoints impliqués dans la présente affaire ont le même employeur, soit les Forces armées canadiennes, et travaillaient au même endroit au moment où sont survenus plusieurs des événements perçus comme discriminatoires, soit la base militaire d'Halifax. Tous ces éléments pris ensemble amènent le Tribunal à conclure que M. et Mme Gagnon appartiennent à un groupe particulier, soit celui des conjoints faisant partie des Forces armées canadiennes.

[80] Sur la base des principes établis par M. le juge McGuigan dans l'affaire Cashin et par M. le juge Beetz dans l'affaire Brossard, de même que de leur application dans l'affaire Le Blanc, le Tribunal conclut que le motif sur lequel repose la présente plainte, à savoir la discrimination fondée sur l'état matrimonial, est, dans les circonstances, bien fondé.

[81] Le Tribunal se doit, par ailleurs, de souligner que la portée de la notion d'état matrimonial que l'on trouve dans plusieurs lois portant sur les droits de la personne est une question qui devrait prochainement être tranchée par la Cour suprême du Canada (22).

[82] Cela dit, le Tribunal est d'avis qu'en matière de discrimination, compte tenu de l'objet poursuivi par la Loi et de l'importance qu'il y a à s'attaquer à toute forme de discrimination au sein de la société canadienne, il importe que les tribunaux, comme cela a été maintes fois dit, donnent une interprétation large et libérale aux dispositions relatives aux droits de la personne. Il ne faut donc pas être surpris qu'en matière de discrimination fondée sur l'état matrimonial, on constate depuis quelques années un courant jurisprudentiel soutenu qui reconnaît que le fait d'être marié à une personne en particulier peut être la source d'une plainte fondée sur l'état matrimonial (23).

[83] Ayant disposé de la question de la portée de l'expression état matrimonial que l'on trouve à l'article 3 de la Loi, il faut maintenant au Tribunal déterminer, sur la base des faits mis en preuve, si M. Gagnon fut effectivement victime de discrimination en raison de son état matrimonial, plus particulièrement, si le fait de n'avoir reçu aucune promotion depuis 1989 résulte d'actes discriminatoires posés à son endroit par l'intimée.

[84] Il importe de rappeler ici que M. Gagnon et la Commission ont le fardeau initial de prouver que M. Gagnon a été victime de discrimination et que, éventuellement, la discrimination dont il fut l'objet est l'une des causes pouvant expliquer pourquoi il n'a reçu aucune promotion depuis 1989.

[85] M. Gagnon prétend qu'il n'a reçu aucune promotion depuis 1989 à cause de son implication dans le grief et la plainte de son épouse. Il prétend, en outre, que les Forces armées ont délibérément nui à ses chances d'avancement au sein des Forces armées et détruit sa réputation (pièce C-1).

[86] Au soutien de ses prétentions, M. Gagnon fait référence dans son témoignage à une série d'incidents survenus après qu'il se soit impliqué dans le grief et la plainte de son épouse, incidents qui mettent en cause certains de ses supérieurs, notamment le Capitaine Estey, le Capitaine Jarvis, le Colonel McLean et le Lieutenant-commandant Thibault. Fait à souligner, aucune de ces personnes ne fut appelée comme témoin pour contredire les propos de M. Gagnon.

[87] M. Gagnon s'appuie également sur le fait qu'à la suite de son départ d'Halifax, survenu en 1992, il fut constamment muté et délibérément affecté à des postes qui ne convenaient pas à ses compétences, ce qui eut pour effet direct de nuire à ses chances de promotion au sein des Forces armées.

[88] Le Tribunal entend examiner tour à tour les incidents survenus après le dépôt de la plainte de l'épouse de M. Gagnon auxquels M. Gagnon fait référence et les différentes mutations auxquelles il fut assujetti après son départ d'Halifax afin de déterminer si M. Gagnon fut ou non victime de discrimination de la part de l'intimée.

[89] De l'avis du Tribunal, les incidents auxquels M. Gagnon s'est référé au cours de son témoignage ne sauraient être tous considérés comme des actes discriminatoires posés à son endroit. Comme le souligne, à juste titre le procureur de l'intimée, certains ont un caractère trivial.

[90] Il ne fait pas de doute dans l'esprit du Tribunal que le fait pour M. Gagnon de s'être mêlé du grief et de la plainte déposés par son épouse n'a pas plu à certains de ses supérieurs. Certains ne se sont pas gênés pour le lui faire savoir.

[91] Ainsi, la remarque faite par le Capitaine Estey à propos de l'adjudant-maître Walsh apparaît au Tribunal directement relié au fait que M. Gagnon se soit impliqué dans le grief et la plainte de son épouse. De toute évidence, cette remarque visait à narguer M. Gagnon. Saurait-on pour autant la considérer comme un acte discriminatoire relié à son état matrimonial ? Le Tribunal ne le croit pas. Toute déplacée qu'elle fut, elle ne constitue pas pour autant une parole de nature discriminatoire.

[92] En ce qui concerne les deux autres incidents impliquant le Capitaine Estey, soit sa remarque sur les heures de travail de M. Gagnon et celle sur son manque d'énergie au travail, il est difficile de les relier de façon claire à l'implication de M. Gagnon dans le grief et la plainte de son épouse. Elles laissent à tout le moins transparaître une certaine animosité entretenue par le Capitaine Estey à l'endroit de M. Gagnon.

[93] Il convient de souligner ici qu'à la suite de la rencontre que M. Gagnon eut avec le Capitaine Jarvis en octobre 1991, M. Gagnon rencontra le Capitaine Estey qui, selon M. Gagnon, se serait plus ou moins excusé auprès de lui pour sa conduite à son égard. La preuve ne fait ressortir aucun autre incident impliquant le Capitaine Estey et demeure silencieuse quant au rôle qu'aurait pu jouer ce dernier dans le processus de mutations et le système de promotion.

[94] En ce qui concerne le Capitaine Jarvis, le Tribunal ne peut considérer comme gestes discriminatoires reliés au statut matrimonial de M. Gagnon le fait que le Capitaine Jarvis n'ait pas, en une occasion, daigné lui adresser la parole et le fait qu'il lui ait dit qu'il n'éprouvait aucune sympathie à son égard. De l'avis du Tribunal, la preuve présentée par M. Gagnon et la Commission n'est pas suffisamment étayée pour conclure qu'à ces incidents se rattache une odeur de discrimination pour reprendre les termes utilisés dans Basi.

[95] Pour ce qui est du fait que le Capitaine Jarvis a signifié à M. Gagnon qu'il désapprouvait son implication dans le grief et la plainte de son épouse, le Tribunal y voit là l'expression d'une opinion personnelle qui reflète le point de vue du Capitaine Jarvis. Saurait-on y voir une menace de représailles ou un acte de discrimination à l'endroit de M. Gagnon ? Le Tribunal ne le croit pas.

[96] Il en va tout autrement, toutefois, du geste posé par le Capitaine Jarvis lors de la cérémonie de promotion du premier maître de 2e classe Broyden. Le Tribunal n'a aucune raison de douter que l'incident, tel que décrit par M. Gagnon dans son témoignage, se soit produit. M. Gagnon est apparu tout au long de son témoignage comme un témoin crédible qui n'était pas porté à l'exagération. Du reste, l'intimée, si elle avait voulu contredire le témoignage de M. Gagnon sur ce point, aurait pu faire témoigner le Capitaine Jarvis, aujourd'hui devenu Commodore. Capitaine Jarvis ne fut pas appelé comme témoin pour établir qu'il n'avait pas posé le geste décrit ci-dessus ou en expliquer le sens.

[97] Dans son témoignage, M. Gagnon rapporte qu'il a interprété le geste de Capitaine Jarvis comme voulant dire qu'il allait être premier maître de deuxième classe pendant longtemps et qu'il allait s'en assurer. En l'absence d'explication de la part de l'intimée, il est difficile pour le Tribunal d'interpréter autrement le geste posé par Capitaine Jarvis.

[98] Le Tribunal conclut qu'il était de l'intention du Capitaine Jarvis de nuire à la carrière militaire de M. Gagnon à la suite de son implication dans le grief, puis la plainte, déposés par son épouse. La preuve présentée ne permet cependant pas de déterminer la nature des gestes concrets qui ont pu être posés par la suite par le Capitaine Jarvis pour ce faire. Cela dit, le Tribunal doit néanmoins examiner la portée du geste posé par le Capitaine Jarvis dans le contexte plus global du système de mutations et de promotion en vigueur au sein des Forces armées.

[99] Par ailleurs, de l'avis du Tribunal, il est un autre événement troublant impliquant l'un des officiers supérieurs de M. Gagnon qui mérite d'être analysé. Il s'agit de celui impliquant le Colonel McLean.

[100] Dans son témoignage, M. Gagnon, rapportant les propos du Lieutenant-commandant Thibault, affirme que celle-ci lui a dit que, lors d'une séance de jogging à laquelle elle avait participé, le Colonel McLean lui aurait dit que si M. Gagnon continuait de se mêler du cas de son épouse, cela allait détruire sa carrière. Dans la présente instance, ni le Colonel McLean, ni le Lieutenant-commandant Thibault ne furent appelés comme témoin pour infirmer les dires de M. Gagnon.

[101] Lors du témoignage de M. Gagnon, le procureur de l'intimée s'est objecté à cette partie de son témoignage au motif qu'il s'agissait là de ouï-dire. Suivant l'article 50 de la Loi, la preuve par ouï-dire est admissible devant le Tribunal. Cela dit, le Tribunal est conscient qu'il doit, dans les circonstances, faire preuve de prudence dans sa détermination quant à savoir si ce qui est rapporté par le témoin est digne de foi. En l'espèce, le Tribunal ne voit aucune raison de douter de l'exactitude des propos rapportés par M. Gagnon qui est apparu au Tribunal, comme il fut dit précédemment, comme un témoin crédible qui n'avait aucune propension à l'exagération.

[102] La remarque faite par le Colonel McLean, si elle est vraie, et le Tribunal est d'avis qu'elle l'est, est tellement lourde de conséquences qu'elle appelle une explication. Or, aucun témoin ne fut appelé à l'audience pour infirmer les propos rapportés par M. Gagnon dans son témoignage. Le Tribunal est convaincu que M. Gagnon n'a pu inventer de tels propos et que si ces propos avaient été non conformes à la réalité, l'intimée aurait sans aucun doute appelé les auteurs de ces propos pour contredire M. Gagnon.

[103] Dans les circonstances, le Tribunal conclut, en s'appuyant sur une doctrine qui fait autorité, que les personnes qui ne furent pas appelées comme témoin n'auraient pas contredit le témoignage de M. Gagnon (24).

[104] Le Tribunal est d'avis que les deux incidents relatés ci-dessus indiquent que tant le Capitaine Jarvis que le Colonel McLean n'ont pas apprécié que M. Gagnon s'implique dans le grief, puis la plainte, déposés par l'épouse de ce dernier et qu'ils envisageaient lui en faire payer le prix sans qu'il soit possible pour le Tribunal de déterminer de quelle façon.

[105] Le Tribunal conclut que les deux incidents décrits ci-dessus impliquant le Capitaine Jarvis et le Colonel McLean sont suffisants pour établir une preuve prima facie de discrimination à l'endroit de M. Gagnon en raison de son lien matrimonial avec Madame Gagnon et de son implication dans le grief et la plainte celle-ci. Il appartenait dès lors à l'intimée de fournir une explication raisonnable pouvant justifier le comportement discriminatoire du Capitaine Jarvis et du Colonel McLean à l'endroit de M. Gagnon. Or, l'intimée n'a apporté aucune explication à leur comportement, aucun des deux militaires n'ayant été appelé comme témoin.

[106] Avant de statuer toutefois sur la portée de ces deux incidents quant au fait que M. Gagnon n'a pas été promu au rang de premier maître de première classe après son implication dans le grief et la plainte de son épouse, il importe que le Tribunal analyse les autres incidents invoqués par M. Gagnon au soutien de sa plainte.

[107] Outre les incidents décrits ci-dessus, M. Gagnon allègue, au soutien de sa plainte, qu'après sa mutation à Ottawa, en 1992, il a été placé dans des positions qu'il ne connaissait pas, qu'il fut muté cinq fois en six ans et que cela a grandement nui à ses évaluations de rendement et compromis ses chances de promotion. M. Gagnon allègue, en outre, que les mutations dont il fut l'objet ont été motivées par une volonté de nuire à ses chances d'avancement en raison de son implication dans le grief et la plainte déposée par son épouse.

[108] Afin d'évaluer le bien-fondé de ces allégations, il importe que le Tribunal examine le système de mutations en vigueur au sein des Forces armées canadiennes au cours des années 1990 à la lumière de la preuve présentée en l'espèce.

[109] En ce qui concerne les mutations d'un militaire, la preuve révèle qu'au sein des Forces armées, un gérant de carrière est assigné à chaque militaire non officier. À cet égard, la preuve révèle que M. Jean-Eudes Delisle fut le gérant de carrière de M. Gagnon de 1990 à 1994 alors que M. Alain Doucet le fut de 1994 à 1998. La preuve révèle également que M. Gagnon fut lui-même gérant de carrière de 1984 à 1989. Tant M. Doucet que M. Delisle furent appelés comme témoin par l'intimée. Tous les deux ont témoigné de façon posée et mesurée et le Tribunal ne voit aucune raison de mettre en doute leur témoignage.

[110] Il appert du témoignage de M. Delisle qu'un gérant de carrière a pour fonction de s'occuper des affectations du personnel au sein des Forces armées, notamment d'envoyer les personnes dont il gère la carrière sur des cours. Il s'assure également que ces personnes ont les qualifications requises pour fins de mutation et de promotion.

[111] Selon M. Delisle, le gérant de carrière est appelé à rencontrer à tous les deux ans les personnes dont il gère la carrière afin de discuter avec elles de leur choix d'option de carrière, de leurs mutations, de leurs affectations eu égard à leurs désirs.

[112] Selon M. Doucet, la personne qui n'est pas d'accord avec une proposition de mutation peut déposer un grief. Elle peut également en faire part à son commandant. Dans son témoignage, M. Doucet affirme qu'il a lui-même rencontré très peu de militaires qui ont refusé l'affectation qui leur était proposée.

[113] Dans leurs témoignages, tant M. Delisle que M. Doucet affirment qu'en tant que gérants de carrière, ils étaient les seuls à décider des mutations concernant les personnes dont ils géraient la carrière et que leurs décisions n'étaient pas sujettes à révision, sauf s'il y avait une plainte.

[114] Appelé dans son témoignage à expliquer de quelle façon se font les mutations, M. Delisle explique que le gérant de carrière a connaissance des postes qui deviennent disponibles. La procédure normale veut que le gérant de carrière contacte par l'entremise de son sous-officier supérieur la personne ayant manifesté lors d'une entrevue un intérêt pour un poste et qu'il lui offre le poste. Il ressort du témoignage tant de M. Delisle que de M. Gagnon que l'offre de mutation est fonction des besoins de mutation d'une personne après une certaine période de temps dans la même région ou de la préférence exprimée par une personne pour une certaine région.

[115] Lors de leur contre-interrogatoire, tant M. Delisle que M. Doucet sont venus préciser que le gérant de carrière n'a pas la description de tâches du poste où est mutée une personne. Le gérant de carrière travaille uniquement avec une liste qui identifie le poste, l'endroit où il se situe, le rang requis pour pouvoir l'occuper, les qualifications spéciales exigées. La description de tâches se trouve au sein des organisations. Selon M. Delisle, bien qu'un gérant de carrière ne possède pas pour les fins de son travail la description de tâches d'un poste donné, rien n'empêche la personne visée par une mutation de s'enquérir elle-même des tâches se rapportant au poste.

[116] Par ailleurs, M. Delisle précise dans son témoignage qu'une personne à qui un poste est proposé peut manifester qu'elle n'est pas intéressée au poste qui lui est offert et peut, pour des raisons notamment familiales, refuser le poste. Dans son témoignage, M. Delisle affirme, par ailleurs, que lorsqu'une personne est mutée, l'approbation de ses supérieurs n'est pas requise.

[117] En ce qui concerne M. Gagnon, M. Delisle, qui fut le gérant de carrière de M. Gagnon de 1990 à 1994, affirme que celui-ci n'a jamais manifesté quelque réticence que ce soit vis-à-vis les postes qui lui ont été offerts. Ceci ne fut jamais contredit par M. Gagnon. Selon M. Delisle, M. Gagnon ne lui a jamais manifesté le désir d'avoir un poste spécifique ou un poste dans lequel il pouvait développer une expertise particulière. Il ne lui a jamais demandé non plus d'obtenir des postes où il aurait eu à superviser des subalternes. Quant à M. Doucet, celui-ci affirme catégoriquement dans son témoignage que M. Gagnon n'a jamais refusé les propositions de mutation qui lui furent présentées alors qu'il était son gérant de carrière entre 1994 et 1998. Du reste, la preuve démontre que M. Gagnon a toujours accepté les mutations qui lui étaient proposées.

[118] Lors du contre-interrogatoire de M. Delisle, le procureur de la Commission a tenté d'obtenir de ce dernier une opinion en ce qui concerne le nombre normal de mutations durant une période de temps donnée, de même que sur le temps normal pour obtenir une promotion. M. Delisle affirme dans son témoignage qu'il n'est pas usuel qu'un militaire ait cinq mutations en six ans mais que cela peut survenir dans un contexte de coupures, de restrictions budgétaires, sans pouvoir apporter plus de précisions. En ce qui concerne M. Doucet, celui-ci souligne dans son témoignage que certains changements d'affectation peuvent être attribués à une restructuration qui survient au sein de l'organisation ou à des coupures de postes au sein des Forces armées.

[119] À la lumière de ces faits, le Tribunal conclut que M. Gagnon a toujours accepté les mutations qui lui furent proposées par ses deux gérants de carrière, qu'il n'a jamais déposé de grief en rapport avec l'une ou l'autre de ses mutations, que, pour des raisons personnelles, il n'a jamais voulu, à la suite de sa mutation d'Halifax à Ottawa, quitter Ottawa, qu'il n'y a eu aucune ingérence manifeste de la part de haut-gradés des Forces armées pour influencer les deux gérants de carrière de M. Gagnon quant aux mutations proposées à ce dernier. À cet égard, le Tribunal ne voit aucune raison de ne pas croire les deux gérants de carrière de M. Gagnon qui sont venus affirmer qu'ils avaient eux-mêmes pris les décisions concernant les mutations relatives à ce dernier.

[120] Dans ce contexte, le Tribunal ne peut conclure que les mutations qui furent proposées à M. Gagnon entre 1992 et 1997 par ses deux gérants de carrière l'ont été dans le but de nuire délibérément à sa carrière et à ses chances d'avancement au sein des Forces armées et qu'elles indiquent une quelconque discrimination exercée à son endroit en raison de son état matrimonial ou encore qu'elles constituent des actes de représailles exercés à l'endroit de M. Gagnon à cause de son implication dans le grief et la plainte déposée par son épouse.

[121] Le Tribunal conclut donc que le plaignant et la Commission n'ont pas établi de preuve prima facie de discrimination en ce qui concerne les diverses mutations dont M. Gagnon fut l'objet après son départ d'Halifax.

[122] Compte tenu des autres allégations formulées par M. Gagnon dans sa plainte, le Tribunal doit maintenant examiner si M. Gagnon fut victime de discrimination en rapport avec le système de promotion en vigueur au sein des Forces armées au cours des années 1990.

[123] Il ressort de la preuve que le système de promotion en vigueur au cours des années 1990 au sein des Forces armées repose essentiellement sur l'évaluation qui est faite annuellement des membres non-officiers des Forces armées.

[124] À cet égard, le Tribunal retient du témoignage de M. Gagnon que chaque membre non officier des Forces armées fait, en principe, l'objet d'une évaluation annuelle au sein de son unité par un comité. Cette évaluation porte tant sur la performance du militaire que sur son potentiel. Elle culmine dans la rédaction d'un rapport d'appréciation du rendement (pièce C-4).

[125] Le rapport d'appréciation du rendement comporte une série de sections se rapportant à l'évaluation d'un militaire. On y trouve, notamment, des sections sur l'identification du militaire, sur son type d'emploi et ses qualifications, sur l'appréciation de sa performance par son superviseur, sur l'évaluation de son potentiel pour fin de promotion par l'officier de qui il relève, ainsi qu'une recommandation de la part du commandant de l'unité en ce qui concerne une éventuelle promotion.

[126] Selon M. Gagnon, avant même de procéder à l'évaluation formelle d'un militaire, un consensus est établi au sein de l'unité quant aux candidats qui devraient figurer en tête de la liste de mérite de l'unité afin de pouvoir espérer obtenir une promotion l'année suivante. Une fois identifiés au sein de l'unité les individus qui devraient être recommandés pour une promotion, ceux-ci se voient attribués un pointage fondé sur la performance et le potentiel susceptible de les mettre en compétition avec les candidats d'autres sections et d'autres unités.

[127] Il appert, par ailleurs, de la preuve que, suivant le système de promotion en vigueur au sein des Forces armées, un plafond de points est fixé pour chaque unité de sorte qu'il existe au sein d'une unité un quota de personnes pouvant être recommandées pour une promotion.

[128] Une fois complétée l'évaluation d'un militaire au sein d'une unité donnée, il ressort du témoignage de M. Gagnon que les rapports d'appréciation du rendement sont transmis à un comité de promotion. C'est à ce comité que revient la tâche de procéder au classement national des candidats par catégories d'emploi, par exemple celle de sergent finance. Dans son témoignage, M. Delisle explique toutefois qu'avant de pouvoir être promu à un grade supérieur, un militaire doit avoir servi un certain temps dans un rang donné. Seules les personnes éligibles pour une promotion voient leur dossier soumis au comité de promotion.

[129] Selon le témoignage de M. Delisle, il revient au gérant de carrière de préparer les dossiers à être soumis au comité de promotion. En outre, le gérant de carrière a l'opportunité de désigner deux des membres du comité de promotion pour un métier donné, tel que le métier de commis-comptable. Selon le témoignage de M. Gagnon, le gérant de carrière ne participe jamais aux délibérations du comité de promotion.

[130] Selon le témoignage de M. Gagnon, un comité de promotion est composé de quatre personnes. Le président du comité est généralement l'officier le plus haut gradé. Selon M. Delisle, le comité de promotion pour un métier donné se réunit une fois par année à l'automne. Selon M. Gagnon, le comité analyse les trois derniers rapports d'évaluation des candidats. Pour sa part, M. Delisle affirme que, lors de son évaluation, le comité a devant lui tous les rapports d'appréciation du rendement d'un militaire. Il précise dans son témoignage que le but visé en ayant tous les rapports est de ne pas pénaliser une personne en ne tenant compte que d'une seule évaluation. Selon lui, le comité prend connaissance de l'ensemble de la carrière d'une personne. Sur ce point, le Tribunal est d'avis que le témoignage de M. Delisle doit être préféré au témoignage de M. Gagnon.

[131] Chaque membre du comité est, selon M. Gagnon, autorisé à accorder huit points quant à la performance d'un militaire au cours des douze derniers mois en se basant sur le rapport d'appréciation. Par ailleurs, deux autres points servent à évaluer le potentiel du militaire.

[132] Selon M. Gagnon, le pointage attribué à un militaire au point de vue potentiel est décidé par le président du comité après consultation avec les autres membres du comité. Sont pris en considération au chapitre du potentiel le bilinguisme, le degré d'éducation, l'expérience acquise au fil des ans, le conditionnement physique.

[133] Dans son témoignage, M. Gagnon dit ignorer si les performances de commandement font partie de l'évaluation de la performance ou du potentiel. Selon lui, des points supplémentaires sont accordés pour cet aspect par le comité de promotion. Par ailleurs, selon le témoignage de M. Gagnon, il ne peut y avoir une trop grande disparité dans l'évaluation faite par chacun des membres. Il doit y avoir entente des membres sur le pointage final qu'il convient d'accorder à un individu.

[134] La preuve révèle que le comité de promotion établit, au terme de ses délibérations, une liste de mérite pour les promotions de l'année suivante. Les candidats sont classés par le comité par ordre décroissant, les candidats les plus méritants étant classés au haut de la liste.

[135] Interrogé quant au rôle joué par les gérants de carrière par rapport au comité de promotion, M. Gagnon affirme catégoriquement que le gérant de carrière ne participe pas au processus de délibération du comité de promotion. Selon lui, le gérant de carrière ne peut d'aucune façon s'immiscer dans le processus d'évaluation et, par exemple, prendre partie pour un candidat qu'il connaîtrait. Dans son témoignage, M. Delisle ajoute que le rôle du gérant de carrière par rapport au comité de promotion est de préparer les dossiers pour le comité.

[136] À la lumière de ces faits, il importe maintenant pour le Tribunal d'examiner les rapports d'appréciation de rendement de M. Gagnon pour la période 1990-2000 et d'évaluer si les éléments mis en preuve établissent une preuve prima facie de discrimination en ce qui concerne l'évaluation de la performance de M. Gagnon.

[137] Les rapports d'appréciation du rendement mis en preuve par la Commission (pièce C-4) révèlent que M. Gagnon a eu des évaluations de 7.8 en 1990, de 7.9 en 1991, de 8.0 en 1992, de 7.6 en 1993, de 7.4 en 1994 et de 7.3 en 1995. Ces évaluations portent sur le travail accompli l'année précédente. Après 1995, la preuve révèle que le système de pointage fut aboli.

[138] En ce qui concerne le rapport d'appréciation pour l'année 1990, le Tribunal note que M. Gagnon est considéré par son officier commandant, le Commander Andrea, comme un excellent choix pour une promotion au rang de premier maître de première classe; celui-ci le recommande hautement. En 1991, le Commander Andrea recommande à nouveau que M. Gagnon soit promu au rang de premier maître de première classe. Dans ces deux rapports d'appréciation de rendement, M. Gagnon est considéré comme ayant une aptitude élevée pour une promotion. En ce qui concerne son rapport d'appréciation pour l'année 1992, son officier commandant, le Capitaine Jarvis, le recommande hautement pour une promotion.

[139] En 1993, soit après son départ d'Halifax, le rapport d'appréciation de rendement de M. Gagnon ne fait qu'énoncer que celui-ci est recommandé pour une promotion sans plus. Son officier commandant, M. E. Gyalokay, ne fait aucune recommandation particulière. En 1994, l'officier commandant de M. Gagnon le recommande pour une promotion, sans plus. Dans son rapport d'appréciation de rendement de M. Gagnon pour l'année 1995, l'officier commandant de M. Gagnon, M. E. Gyalokay, le considère comme prêt à assumer des responsabilités reliées à un rang plus élevé.

[140] En 1996, année où disparaît le système de pointage, le rapport d'appréciation de rendement de M. Gagnon le situe dans la catégorie Normal. Aucune recommandation de promotion n'apparaît sur son rapport d'appréciation de rendement. Il en va de même pour l'évaluation de 1997. En 1998, le rapport d'appréciation de rendement de M. Gagnon laisse voir une évaluation qui se situe au niveau élevé. En outre, l'évaluation écrite fait état du fait qu'il a le potentiel pour accéder à un rang supérieur et qu'il est prêt à assumer les responsabilités associées au rang de premier maître de première classe.

[141] En 1999, l'évaluation faite par le superviseur de M. Gagnon est très positive. En ce qui concerne son potentiel pour une promotion, M. Gagnon est considéré comme prêt à être promu. En ce qui concerne l'année 2000, l'évaluation faite par le superviseur de M. Gagnon est positive. M. Gagnon est considéré par l'officier réviseur de son dossier comme prêt à être promu.

[142] Dans son témoignage, M. Gagnon affirme que le pointage de 7.8 obtenu en 1990 est, à son avis, très élevé, de même que celui de 7.6 obtenu en 1993. Il considère également que le pointage de 7.3 obtenu en 1995 comme un bon pointage. Le Tribunal doit noter ici que M. Gagnon considère ces pointages comme très élevés ou bons compte tenu des circonstances, notamment du fait qu'il était affecté à un secteur où ses compétences de commis-comptable n'étaient pas exploitées et qu'il n'avait eu à superviser personne.

[143] Il appert, par ailleurs, du témoignage de M. Gagnon que, jusqu'à ce que soit aboli, en 1996, le système de pointage, pour espérer être promu, un candidat devait avoir un pointage de 8.3 ou de 8.5 et même un pointage supérieur. Un pointage de 8.3 ou de 8.5 constituait, aux dires de M. Gagnon, une évaluation hors pair. Ce point de vue est partagé par M. Delisle. Celui-ci affirme dans son témoignage qu'un premier maître de deuxième classe qui présente dans ses rapports d'appréciation de rendement des pointages successifs de 7.6, 7.4 et 7.3 n'a pas de chance d'être promu, cette séquence démontrant que la personne ne progresse plus.

[144] M. Delisle reconnaît dans son témoignage que, lorsqu'une personne change d'emploi, il y a une période d'apprentissage et que cela peut affecter son pointage lors d'une évaluation. M. Delisle affirme que c'est la raison pour laquelle le comité de promotion doit regarder tous les rapports d'appréciation de rendement.

[145] Sur la base de ces éléments, le Tribunal conclut qu'au cours de la période 1990-1996, M. Gagnon n'a pas obtenu le pointage requis pour espérer pouvoir être promu et figurer au haut de la liste nationale de mérite. Pour ce qui est de ses évaluations subséquentes, la preuve ne permet pas au Tribunal de conclure que M. Gagnon aurait du être promu.

[146] Dans son plaidoyer oral, le procureur de la Commission a tenu à souligner que M. Gagnon a eu tout au long de sa carrière dans les Forces armées des promotions de façon presque régulière. À cet égard, le Tribunal tient à souligner qu'il aura fallu à M. Gagnon huit ans, soit de 1978 à 1986, pour accéder au rang de maître de première classe.

[147] Par ailleurs, le fait que d'autres membres des Forces armées ayant le rang de premier maître de deuxième classe aient été promus au rang de premier maître de première classe en moyenne 4,2 années après avoir atteint le rang de premier maître de deuxième classe (pièce C-6) ne constitue pas en lui-même une preuve que M. Gagnon a été l'objet de discrimination en matière de promotion de la part des Forces armées. La preuve présentée par la Commission en l'espèce ne permet pas de connaître où se situaient ces personnes sur la liste nationale de mérite. En l'espèce, aucune liste de mérite ne fut mise en preuve.

[148] De la preuve soumise, le Tribunal conclut donc que la raison fondamentale pour laquelle M. Gagnon n'a pas été promu au rang de premier maître de première classe après sa mutation à Ottawa en 1992 tient au fait que M. Gagnon n'a pas atteint, au cours de la période 1990-2000, le pointage ou le niveau requis pour espérer être promu. En elles-même, les évaluations positives du rendement de M. Gagnon au cours des dernières années ne permettent pas au Tribunal de conclure que M. Gagnon aurait dû être promu lorsque l'on considère le fonctionnement du système de promotion établi par la preuve.

[149] Le Tribunal en vient, par ailleurs, à la conclusion qu'il n'y a pas en l'espèce de preuve tangible d'ingérence de la part de la hiérarchie militaire dans le processus d'évaluation du rendement de M. Gagnon au cours des années 1990. La preuve est silencieuse sur le rôle que le Capitaine Jarvis, le Colonel McLean ou d'autres membres des Forces armées auraient pu jouer dans le processus de promotion en vigueur au sein des Forces armées afin de nuire aux chances de promotion de M. Gagnon ou encore de l'empêcher d'obtenir la promotion qu'il convoitait.

[150] Le Tribunal conclut donc que la Commission n'a pas établi de preuve prima facie de discrimination à l'endroit de M. Gagnon eu égard au processus de promotion décrit précédemment.

[151] Ayant, par ailleurs, conclu précédemment que M. Gagnon et la Commission avaient réussi à établir une preuve prima facie de discrimination en rapport avec les incidents impliquant le Capitaine Jarvis et le Colonel McLean et que l'intimée n'avait fourni aucune explication raisonnable quant à leur comportement jugé discriminatoire, il y a lieu pour le Tribunal de statuer sur les mesures de redressement auxquelles M. Gagnon a droit.

VI. MESURES DE REDRESSEMENT

[152] En ce qui concerne les mesures de redressement que le Tribunal peut ordonner s'il conclut qu'il y a eu discrimination, celles-ci sont décrites principalement à l'article 53 de la Loi.

[153] Il convient de signaler que l'article 53 de la Loi a été modifié en 1998 (25) et que le Tribunal a aujourd'hui des pouvoirs accrus en matière de redressement. Toutefois, compte tenu du fait que la plainte fut déposée avant l'entrée en vigueur de ces modifications, le Tribunal appliquera en l'espèce les mesures de redressement en vigueur avant les modifications législatives de 1998.

[154] En vertu de l'article 53 de la Loi, tel qu'il se lisait avant les modifications législatives de 1998, le Tribunal peut notamment :

  1. accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l'acte (discriminatoire) l'a privée;
  2. indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte (discriminatoire);
  3. ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 5 000 $ pour compenser le préjudice moral que cette dernière a pu subir.

[155] Dans son exposé écrit, la Commission recherche comme redressement de la part du Tribunal :

  1. une ordonnance à l'effet que M. Gagnon soit promu au rang de premier maître de première classe en date du 16 décembre 1996 avec tous les avantages et les privilèges associés à ce rang;
  2. une ordonnance pourvoyant à la correction du dossier militaire de M. Gagnon afin que celui-ci reflète sa promotion au rang de premier maître de première classe en date du 16 décembre 1996;
  3. une ordonnance pourvoyant au versement à M. Gagnon d'une indemnité pour pertes de salaires couvrant la période allant du 16 décembre 1996 au 19 avril 2001;
  4. une ordonnance contraignant l'intimée à ajuster la pension du plaignant et les autres avantages dûs au plaignant afin de refléter sa promotion en date du 16 décembre 1996;
  5. une ordonnance suivant l'article 53, paragraphe 2, sous-paragraphe e) de la Loi pour compenser le préjudice moral subi par le plaignant;
  6. une ordonnance contraignant l'intimée à faire des excuses au plaignant;
  7. une ordonnance obligeant les membres des Forces armées impliqués dans la carrière du plaignant depuis 1990 à se soumettre à un programme de sensibilisation à la discrimination à caractère sexuel;
  8. les intérêts sur les dommages spéciaux décrits ci-dessus à partir de la date de la plainte en application de l'article 53, paragraphe (4) de la Loi;
  9. toute autre mesure de redressement que le Tribunal considère appropriée.

[156] Ayant conclu que l'intimée a fourni une explication raisonnable en ce qui concerne pourquoi M. Gagnon n'a pas été promu au rang de premier maître de première classe après 1989, il n'y a pas lieu pour le Tribunal d'ordonner que M. Gagnon soit promu au rang de premier maître de première classe.

[157] En revanche, ayant conclu que certains officiers supérieurs, soit le Capitaine Jarvis et le Colonel McLean ont fait preuve de discrimination à l'égard de M. Gagnon en raison de son implication dans la plainte de son épouse et qu'aucune explication ne fut avancée par l'intimée pour contredire ou expliquer leurs comportements, comportements que le Tribunal considère indignes de la part d'officiers des Forces armées canadiennes, le Tribunal ordonne que des excuses soient formulées à l'endroit de M. Gagnon de la part du haut-commandement des Forces armées.

[158] La preuve ayant révélé, par ailleurs, que M. Gagnon avait été profondément blessé et humilié par les comportements discriminatoires inacceptables tant du Capitaine Jarvis que du Colonel McLean, le Tribunal ordonne à l'intimée de verser à M. Gagnon la somme de 3 000 $ pour compenser le préjudice moral résultant de ces comportements.

VII. ORDONNANCE

[159] Eu égard aux motifs énoncés ci-dessus, le Tribunal accueille en partie la plainte de M. Gagnon et ordonne :

  1. que le haut-commandement de l'intimée fournisse une lettre d'excuses à M. Gagnon pour le comportement discriminatoire inacceptable que deux de ses officiers, soit le Capitaine Jarvis et le Colonel McLean, ont eu à son endroit dans les trente jours de la présente décision;
  2. que l'intimée verse au plaignant la somme de 3 000 $ pour compenser le préjudice moral subi par ce dernier en raison de la discrimination dont il fut l'objet;
  3. que l'intimée verse des intérêts à l'égard de l'indemnité accordée pour préjudice moral, conformément au taux prescrit à la règle 9 (12) des Règles de procédure provisoires du Tribunal et ce, à compter du 16 décembre 1996;
  4. et, que le montant total accordé pour compenser le préjudice moral, y compris les intérêts, ne dépasse pas la somme de 5 000 $.

«Original signé par »


Pierre Deschamps, Président

OTTAWA (Ontario)

Le 14 février 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DU TRIBUNAL : T619/0701

INTITULÉ DE LA CAUSE : Martin Gagnon c. Forces armées canadiennes

DÉCISION DU TRIBUNAL EN DATE DU : Le 14 février 2002

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

Les 21 et 22 et les 25 et 27 juin 2001

COMPARUTIONS :

Martin Gagnon Le plaignant

Me Patrick O'Rourke Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Me Sébastien Gagné et Me Martin Lamontagne Pour les Forces armées canadiennes

1. 1 Transcription, pp. 137-138.

2. 2 Transcription, p. 140.

3. 3 Transcription, p. 141.

4. 4 Transcription, p. 145.

5. 5 Transcription, p. 151.

6. 6 Ontario Human Rights Commission c. Etobicoke, (1982) 3 C.H.R.R. D/781 (C.S.C.); Ontario Human Rights Commission et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd, (1986) 7 C.H.R.R. D/3102 (C.S.C.); Basi c. Canadian National Railway Company (No. 1), (1988) 9 C.H.R.R. D/5029 (C.H.R.T.), paragraphe 38474.

7. 7 Ontario Human Rights Commission et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd, supra note 6, paragraphe 24782.

8. 8 Basi c. Canadian National Railway Company (No. 1), supra note 6, paragraphe 38474, Grover c. National Research Council of Canada, (1992) 18 C.H.R.H.H. D/1 (C.H.R.T.), paragraphe 152.

9. 9 Grover c. National Research Council of Canada, supra note 8, paragraphe 158.

10. 10 Basi c. Canadian National Railway Company (No. 1), supra note 6, paragraphe 38481.

11. 11 B. Vizkelety, Proving Discrimination in Canada. Toronto, Carswell, 1987, p. 142.

12. 12 Holden c. Canadian National Railway, (1990) 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), paragraphe 8.

13. 13 Cashin c. Canadian Broadcasting Corp., (1988) 9 C.H.R.R. D/5343.

14. 14 Le Blanc c. Canada Post Corp., (1992) 18 C.H.R.R. D/57.

15. 15 Cashin c. Canadian Broadcasting Corp., supra, note 13, paragraphe 40117.

16. 16 Idem, paragraphe 40115.

17. 17 Brossard (Ville de) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279.

18. 18 50 O.R. (3d) 737. Cette décision fait actuellement l'objet d'un appel devant la Cour suprême: B. c. Ontario (Human Rights Commission), [2001] C.S.C.A. no 29, dossier no 28383.

19. 19 Brossard (Ville de) c. Québec (Commission des droits de la personne), supra note 17, à la page 299.

20. 20 Le Blanc c. Canada Post Corp., supra note 14, paragraphe 65.

21. 21 Ibidem.

22. 22 B. c. Ontario (Human Rights Commission), supra note 18.

23. 23 Cashin c. Canadian Broadcasting Corp., supra, note 13; Brossard (Ville de) c. Québec (Commission des droits de la personne), supra note 17, Le Blanc c. Canada Post Corp., supra note 14, Ontario (Human Rights Commission) c. Mr. A, supra note 13; Dewetter c. Northland Security Guard Services Ltd., (1996) 29 C.H.R.R. D/8 (B.C.C.H.R); J. c. London Life Insurance Co., (1999) 36 C.H.R.R. D/43 (B.C.H.R.T).

24. 24 Sopinka, J., Lederman, S.N. and Bryant, A.W., The Law of Evidence in Canada. 2nd Ed. Toronto, Butterworths, 1999, paragraphe 6.321.

25. 25 L.C. 1998, chap. 9.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.