Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

CAROL RAMPERSADSINGH

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

DWIGHT WIGNALL

l'intimé

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE

Décision no 1

2001/01/24

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair, vice-président

I. Introduction

[1] Carol Rampersadsingh a déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne une plainte en date du 29 mars 1996 à l'encontre de Dwight Wignall, un employé de la Société canadienne des postes. Dans sa plainte, Mme Rampersadsingh allègue que M. Wignall a exercé à son endroit une discrimination dans l'emploi fondée sur l'origine nationale ou ethnique et le sexe en contravention de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission a renvoyé sa plainte devant le Tribunal canadien des droits de la personne le 6 octobre 2000.

II. Position de l'intimé

[2] M. Wignall, l'intimé dans cette affaire, s'oppose à ce que le Tribunal entende cette plainte. Il invoque l'arrêt rendu par la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Bell Canada c. ACET, SCEP, Femmes-Action et Commission canadienne des droits de la personne (1). Dans Bell Canada, la Section de première instance de la Cour fédérale a conclu que le Tribunal n'était pas un organisme autonome et impartial du point de vue institutionnel. Cette conclusion s'appuyait notamment sur le motif que la Commission a le pouvoir de donner des directives relativement à l'application de la Loi, lesquelles ont un effet obligatoire pour le Tribunal (2).

III. Position de la Commission

[3] La Commission, pour sa part, soutient que l'arrêt Bell Canada ne s'applique pas à cette plainte du fait que l'intimé n'a pas soulevé la question de l'autonomie à la première occasion et qu'il a, par conséquent, renoncé à son droit de s'opposer. En outre, la Commission est d'avis que le Tribunal est lié la décision rendue antérieurement par ce Tribunal dans l'affaire Stevenson c. Service canadien du renseignement de sécurité (3); en l'occurrence, le Tribunal a statué que l'arrêt Bell Canada ne s'applique pas aux cas où la Commission n'a pas donné de directives en ce qui concerne l'objet de la plainte.

[4] Enfin, la Commission soutient que non seulement l'arrêt Bell Canada est en instance d'appel, mais aussi que l'intérêt de la justice et la doctrine de nécessité militent en faveur de l'audition de la plainte par le Tribunal.

IV. Le pourvoi contre l'arrêt Bell Canada

[5] À mon avis, le fait que l'arrêt Bell Canada soit en instance d'appel est sans conséquence. Il s'agit d'un jugement de la Cour fédérale qui lie le présent Tribunal à moins que le jugement rendu dans Bell Canada ne s'applique pas en l'espèce pour d'autres motifs.

V. L'arrêt Bell Canada s'applique-t-il?

[6] À mon avis, l'arrêt Bell Canada ne s'applique pas uniquement aux catégories de cas où la Commission a exercé son pouvoir aux termes de la Loi et donné des directives ayant un effet obligatoire. Avec respect, je ne partage pas à cet égard le raisonnement adopté par le Tribunal dans Stevenson et je ne me considère pas lié par cette décision. Je préfère plutôt le raisonnement énoncé dans d'autres instances où le Tribunal a eu à se pencher sur cette question. Dans ces cas-là, le Tribunal a statué que le problème d'autonomie découle du pouvoir de la Commission de donner des directives et non de l'existence des directives proprement dites (4). Aux termes de la Loi, le pouvoir de donner des directives qui ont un effet obligatoire pour le Tribunal s'applique à toutes les catégories de cas. Je conclus donc que l'arrêt Bell Canada s'applique en l'espèce et que cette plainte ne devrait être instruite à ce moment-ci qu'en cas de renonciation, ou si l'intérêt de la justice ou la doctrine de nécessité exige qu'il en soit autrement.

VI. L'intimé a-t-il renoncé à son droit de s'opposer?

[7] La Commission a simplement affirmé que l'intimé a renoncé à son droit de s'opposer aux procédures du Tribunal; elle n'a pas cité de faits ni de dispositions législatives à l'appui de cet argument. Le Tribunal ne saurait accepter cette prétention puisqu'elle ne repose sur aucun fondement. De plus, l'examen du dossier indique que l'intimé n'a rien fait pour justifier la conclusion qu'il a admis implicitement la compétence du Tribunal.

VII. Le critère de l'intérêt de la justice ou de la doctrine de nécessité s'applique-t-il?

[8] Tout comme pour son argument relatif à la renonciation, la Commission n'a pas expliqué en quoi ou pourquoi l'intérêt de la justice ou la doctrine de nécessité exigerait que la plainte soit instruite. Je ne puis donc évaluer les prétentions de la Commission et je n'ai d'autre choix que de conclure qu'elle n'a pas établi le bien-fondé de son argument. Toutefois, je puis affirmer que la Commission a déjà invoqué la doctrine de nécessité dans MacBain c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (5) et que la Cour d'appel fédérale a alors rejeté son argument. En l'occurrence, la Cour a confirmé que le Tribunal n'était pas suffisamment autonome et impartial et déclaré certaines dispositions de la Loi inopérantes, avec le résultat que les procédures ont été suspendues jusqu'à ce que la Loi ait été modifiée.

[9] Enfin, pour ce qui est de l'intérêt de la justice, cette notion n'implique pas simplement une justice rapide. Elle englobe également le droit à une audience devant un tribunal autonome et impartial.

VIII. Conclusion

[10] Eu égard aux motifs énoncés ci-dessus, cette instance est ajournée sine die jusqu'à ce que les problèmes soulevés dans Bell Canada en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne aient été réglés.


J. Grant Sinclair, vice-président

OTTAWA (Ontario)

Le 24 janvier 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL NO : T591/4900

INTITULÉ DE LA CAUSE: Carol Rampersadsingh c. Dwight Wignall

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL: le 24 janvier 2001

ONT COMPARU :

Carol Rampersadsingh pour la plaignante

Tripti Prinja pour la Commission canadienne des droits de la personne

Dwight Wignall pour l'intimé

1. Dossier T-890-99, 2 novembre 2000.

2. Paragraphes 27(2) et 27(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

3. Motifs de décision, 7 novembre 2000 (TCDP).

4. voir Nancie Martin c. Administration locale indienne de Saulteaux, Décision no 1, 8 décembre 2000; Kevin Houlihan, Daniel A. Simms, Bill Darrington, Carl. P. Haley, Perry D. Mercer c. Halifax Employer's Association et Association internationale des débardeurs, Section locale 269, Décision no 1, 8 décembre 2000; Diane J. Eisler c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Décision no 1, 12 décembre 2000; Patrick E. Quigley c. Ocean Construction Supplies, Décision no 1, 18 décembre 2000; Patrick J. Eyerley c. Seaspan International Limited, Décision no 4, 19 décembre 2000.

5. [1985] 1 C.F. 856 (C.A.F.)

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