Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

SATNAM VAID

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

CHAMBRE DES COMMUNES

- et -

HONORABLE GILBERT PARENT

les intimés

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE

Décision no 1

MEMBRES INSTRUCTEURS :

Opinion majoritaire :

Eve Roberts, c.r., membre instructeur

Mukhtyar Tomar, membre instructeur

Opinion dissidente :

Anne L. Mactavish, présidente

TRADUCTION

I. REQUÊTE PRÉSENTÉE

[1] Le plaignant, M. Vaid, travaillait comme chauffeur de l'intimé, M. Parent, le président de la Chambre des communes. M. Vaid a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) des plaintes alléguant qu'il avait été victime en cours d'emploi d'un acte discriminatoire fondé sur la race, la couleur et l'origine ethnique, en contravention des art. 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

[2] Les intimés ont signifié un avis indiquant que le Tribunal n'a aucune compétence à leur égard, pour le motif que la Chambre des communes et son président ne sont pas assujettis à la Loi en raison du privilège parlementaire.

II. ANALYSE

A. La Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) s'applique-t-elle à la Chambre des communes?

[3] L'art. 2 de la LCDP précise que la Loi a pour objet de donner effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, à certains principes d'égalité. Les intimés ont fait valoir que la Loi ne s'applique pas à la Chambre des communes du fait que celle-ci n'est pas un ouvrage fédéral ou une entreprise fédérale au sens de l'art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 et ne s'inscrit pas, par conséquent, dans son champ de compétence. Ils soutiennent également que, de par la Constitution, il faut préciser expressément qu'un privilège est annulé pour qu'il le soit effectivement; or, la LCDP ne mentionne pas expressément que la Chambre des communes est liée par la Loi.

[4] La Commission a allégué que les intimés sont soumis à la Loi en raison des art. 2 et 66 de la LCDP et de l'interprétation téléologique donnée à la législation quasi constitutionnelle sur les droits de la personne.

[5] Nous sommes d'accord avec la Commission. Le Parlement a légiféré à maintes reprises sur les relations avec ses propres employés, et nous estimons que cette question relève de la compétence législative du Parlement. Nous souscrivons aux motifs invoqués par le juge Sopinka plutôt qu'à ceux qu'a fait valoir le juge en chef Lamer dans New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative)(1) sur ce point. De l'avis du juge en chef Lamer, pour qu'une question relève de la compétence législative du Parlement, il faut qu'un ouvrage ou une entreprise au sens de l'art. 91 de la Constitution soit en cause, et la Chambre des communes n'est ni l'un ni l'autre. De l'avis du juge Sopinka, l'expression compétence législative signifie qu'il doit s'agir d'une question sur laquelle le Parlement est habilité à légiférer.

[6] Si le Parlement avait voulu conserver son privilège parlementaire à l'égard des droits de la personne, il l'aurait indiqué expressément, de la même manière qu'il l'a fait au paragraphe 4(1) de la Loi sur les relations de travail au Parlement(2). Dans Winnipeg School Division No. 1 c. Craton(3), la Cour suprême du Canada a déclaré :

Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d'intérêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions.

[7] Les intimés ont également soutenu que la Chambre des communes n'est pas un individu à l'encontre duquel on peut déposer une plainte conformément au paragraphe 40(1) de la LCDP. Ce point ne touche pas de la question du privilège parlementaire, et les intimés ne seront l'objet d'aucune violation de privilège si l'examen de cette question est reporté jusqu'à la tenue d'une audience où l'on pourra présenter une preuve à ce sujet.

[8] La question corollaire à savoir que le président ne peut être tenu personnellement responsable des actes du Bureau de régie interne de la Chambre des communes n'est pas en cause pour l'instant, le Bureau n'étant pas partie à la plainte.

B. Les intimés sont-ils protégés par le privilège parlementaire?

[9] Les intimés soutiennent qu'ils bénéficient du privilège parlementaire accordé par l'art. 5 de la Loi sur le Parlement du Canada(4). L'avocat a cité Soth v. Ontario (Speaker of the Legislative Assembly)(5) à l'appui de son argument selon lequel [Traduction] l'emploi d'individus à l'assemblée législative est soumis au privilège du président et n'est pas susceptible de révision judiciaire. Il a cité l'ouvrage de J. P. Maingot(6) (p. 192) :

En ce qui touche le personnel de chaque Chambre du Parlement, il semble que le souci naturel des tribunaux de ne pas se mêler de questions relevant de la régie interne de la Chambre implique les relations entre employeur et employés lorsqu'il peut être démontré qu'une Chambre a agi collectivement dans un domaine relevant de ses affaires internes.

[10] L'avocat des intimés a fait valoir que dans New Brunswick Broadcasting(7), la Cour suprême du Canada a conclu qu'un tribunal ne pouvait que s'interroger sur l'existence d'un privilège et ne pouvait pas déterminer si ledit privilège avait été exercé à bon escient. Il faut examiner si une question relève de la catégorie nécessaire de sujets sans lesquels l'efficacité et la dignité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues, et ne pas tomber dans le piège de déterminer si l'exercice d'un privilège est nécessaire. À son avis, il est bien établi que les relations de travail s'inscrivent dans la catégorie nécessaire et qu'il n'y a pas lieu de pousser plus loin notre investigation.

[11] Enfin, les intimés ont soutenu que le Tribunal ne peut réserver sa décision au sujet du privilège parlementaire jusqu'à ce qu'il ait entendu la preuve sur le bien-fondé des plaintes, car l'audition de la preuve violerait le privilège.

[12] La Commission a fait valoir des positions contraires. D'abord, elle a prétendu que l'audition de l'objection relative à la compétence devrait être différée jusqu'à ce que la preuve et les soumissions aient été entendues. À son avis, le privilège ne s'applique aux plaintes uniquement si le critère de la nécessité peut être satisfait; or, pour prouver la nécessité, il faut présenter une preuve.

[13] Selon la Commission, le critère de la nécessité s'applique uniquement aux questions qui touchent à la dignité et au bon fonctionnement de la Chambre et non aux activités qui sont étrangères au rôle fondamental d'un parlement. La fonction de chauffeur n'est ni nécessaire ni fondamentale.

[14] L'avocat de la Commission a également fait valoir que la race et le sexe sont des éléments qui ne sont pas soumis aux règles de fonctionnement d'un parlement et qui, par conséquent, ne sont pas assujettis au privilège parlementaire.

[15] L'arrêt-clé à cet égard est New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative)(8). La société New Brunswick Broadcasting désirait filmer les débats de l'assemblée législative provinciale. Elle a fait valoir qu'on violerait le droit à la liberté de parole et le droit à la liberté de presse accordés par la Charte si on lui refusait l'autorisation de le faire. Le président avait invoqué son privilège pour refuser de laisser le radiodiffuseur filmer les débats s'il ne se soumettait pas à des restrictions établies par lui.

[16] Cinq membres de la Cour ont convenu que la Charte ne s'appliquait pas à une assemblée législative lorsque celle-ci exerçait ses privilèges inhérents puisque ces privilèges bénéficient d'un statut constitutionnel.

[17] Toutefois, ils ont également reconnu que, en vertu du par. 32 (1) de la Charte (dont le libellé est similaire à celui de l'art. 2 de la LCDP), une assemblée législative pourrait, dans certaines circonstances, être assujettie à la Charte selon une interprétation fondée sur le texte et l'objet visé.

[18] Cet arrêt rendu en 1993 a été suivi en 1996 d'un autre arrêt Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général)(9). Il s'agissait en l'occurrence de déterminer si l'exclusion d'un membre de l'Assemblée législative par suite d'une fraude électorale portait atteinte aux droits de l'intéressé aux termes de la Charte. La majorité a conclu qu'elle n'avait pas à se pencher sur la question du privilège parlementaire, étant donné que celle-ci n'avait été soulevée que par un intervenant et n'avait pas été débattue par les parties. Aussi a-t-elle décidé de trancher le litige en se fondant sur la Charte.

[19] La juge McLachlin a conclu en son nom personnel et en celui de la juge L'Heureux-Dubé que la déclaration d'inhabilité était assujettie au privilège de l'Assemblée législative et n'était pas susceptible de contrôle judiciaire. Elle a conclu qu'il fallait concilier la Charte et le privilège parlementaire de façon à préserver à la fois l'existence d'un privilège législatif utile et les valeurs démocratiques fondamentales garanties par la Charte. Voici ce qu'elle a affirmé au paragraphe 70 au sujet de la conciliation de l'art. 3 de la Charte et du privilège législatif :

… l'art. 3 de la Charte doit être interprété comme étant compatible avec le privilège parlementaire. Cependant, cela ne dépouille pas de tout sens l'art. 3, … cet article a encore pour effet d'empêcher que des citoyens deviennent inhabiles à occuper une charge pour des motifs non visés par les règles auxquelles le Parlement et les législatures assujettissent la conduite de leurs affaires, comme la race et le sexe.

[20] Au paragraphe 71, elle a ajouté :

Pour éviter que des abus sous le couvert d'un privilège éclipsent des droits légitimes garantis par la Charte, les tribunaux doivent examiner la légitimité d'une revendication de privilège parlementaire … Ce rôle de tamisage signifie que, lorsqu'on soutient qu'une personne a été expulsée ou déclarée inéligible pour des motifs non valides, les tribunaux doivent déterminer si la mesure prise est visée par le privilège parlementaire.

[21] Au paragraphe 88, elle répond à sa question à savoir si l'existence d'un privilège parlementaire a été établie en l'occurrence :

Je conclus que le pouvoir de frapper d'inhabilité des députés pour cause de corruption est nécessaire à la dignité, à l'intégrité et au bon fonctionnement d'une législature. Il est donc protégé par le privilège parlementaire et n'est pas visé par l'art. 3 de la Charte.

[22] Il est important de poser la bonne question. En l'espèce, plutôt que de se demander si les relations avec les employés sont assujetties au privilège parlementaire, il faut peut-être se demander si le pouvoir de ne pas tenir compte des droits de la personne est soumis au privilège parlementaire. Autrement dit, est-il nécessaire de ne pas être lié par les lois sur les droits de la personne pour assurer la dignité, l'intégrité et le bon fonctionnement de la Chambre?

[23] Quoi qu'il en soit, la juge McLachlin a statué sur la question lorsqu'elle a conclu que la race et le sexe ne sont pas des questions visées par les règles de fonctionnement du Parlement et des assemblées législatives.

[24] Le jugement le plus récent qui traite de ces questions est celui qui a été rendu dans l'affaire Thompson v. McLean(10). L'adjointe d'un ancien président d'une assemblée législative provinciale réclamait des dommages-intérêts pour congédiement injustifié ainsi que des dommages-intérêts par suite de la réponse de l'employeur aux allégations de harcèlement sexuel portées à l'encontre du président. Les intimés ont fait valoir que l'affaire ne pouvait faire l'objet d'un examen judiciaire en raison du privilège parlementaire.

[25] Le juge Campbell a conclu qu'il lui fallait examiner la portée de la relation d'employeur pour déterminer jusqu'où allait le privilège parlementaire. [Traduction] La traitement dont elle a été l'objet en cours d'emploi était-il, par rapport au travail de l'assemblée législative, crucial au point qu'on entraverait l'exercice de son rôle parlementaire fondamental si l'on permettait que l'affaire soit portée devant un tribunal?

[26] Dans son analyse, le juge a inclus la conduite automobile dans la liste des tâches exécutées par les employés d'une assemblée législative qu'il lui paraissaient étrangères au privilège législatif et parlementaire fondamental. Il a conclu que, dans certains cas, il faut s'appuyer sur une preuve pour déterminer si [Traduction] tous les aspects de la relation d'emploi échappent à la compétence du tribunal.

[27] Le juge Campbell a fait un certain nombre d'autres déclarations révélatrices par rapport à son opinion que les critères de la nécessité et de la portée sont tout aussi importants que le privilège parlementaire proprement dit. À la p. 177, il déclare :

[Traduction] Le privilège parlementaire n'est pas une fin en soi, mais simplement un moyen de faire en sorte que l'assemblée législative jouisse de toute la protection nécessaire pour s'acquitter de ses travaux parlementaires sans que les tribunaux lui prêtent des intentions.

[28] À la p. 178, il ajoute :

[Traduction] Tout en prenant soin de ne pas nuire aux travaux de l'assemblée législative, les tribunaux doivent veiller à ne pas étendre la portée du privilège parlementaire au point de porter atteinte indûment aux droits des citoyens de s'adresser aux tribunaux pour des questions qui n'entravent pas les travaux de l'assemblée législative.

[29] Au regard du critère de la nécessité énoncé par la juge McLachlin et de son exemple voulant que la race ne satisfasse pas à ce critère, et compte tenu de l'analyse du juge Campbell relative aux rôles fondamentaux et du fait qu'il a cité expressément l'exemple de la conduite automobile, il semble, selon ces deux critères, que la relation d'emploi du plaignant ne soit pas suffisamment nécessaire ou assez étroitement liée au rôle fondamental de la Chambre des communes pour justifier l'application du privilège parlementaire.

III. DÉCISION

[30] En conséquence, la requête est rejetée.


Eve Roberts, c.r., membre

Mukhtyar Tomar, membre

OTTAWA (Ontario)

Le 25 avril 2001

OPINION DISSIDENTE

D'ANNE MACTAVISH,

PRÉSIDENTE

[1] Satnam Vaid a déposé deux plaintes relatives aux droits de la personne dans lesquelles il allègue que la Chambre des communes et son ancien président, l'honorable Gilbert Parent, ont commis à son endroit un acte discriminatoire fondé sur la race, la couleur et l'origine nationale ou ethnique. Plus particulièrement, M. Vaid se plaint d'avoir été l'objet d'un traitement défavorable de la part des intimés, que M. Parent l'a harcelé en cours d'emploi et que la Chambre des communes a manqué à son obligation de lui offrir un milieu de travail exempt de harcèlement. À la suite d'une enquête de la Commission canadienne des droits de la personne, les deux plaintes ont été renvoyées au Tribunal canadien des droits de la personne.

[2] Les intimés allèguent que le Tribunal n'est pas habilité à instruire cette affaire en raison du privilège parlementaire qui, à leur avis, s'applique au fonctionnement interne de la Chambre des communes et du Bureau du président. Selon les intimés, les cours ou les tribunaux administratifs ne peuvent se pencher sur la régie interne du Parlement et la gestion de son personnel.

[3] J'ai eu l'occasion de prendre connaissance des motifs invoqués par mes collègues à l'appui de leur conclusion selon laquelle cette affaire devrait être instruite. Avec le plus grand respect, je ne partage pas leur avis. J'estime, pour les motifs énoncés ci-dessous, que le Tribunal canadien des droits de la personne n'a pas compétence pour instruire la plainte de M. Vaid.

I. Qu'est-ce que le privilège parlementaire?

[4] Le privilège parlementaire est un élément qui fait partie depuis longtemps du régime politique britannique. Il est fondé sur le principe que, pour remplir leurs fonctions, les assemblées législatives ont besoin d'un certain degré d'autonomie(11). À cet égard, ce concept s'apparente à celui de l'indépendance judiciaire(12).

[5] La Cour suprême du Canada a indiqué dans New Brunswick Broadcasting Co. que les organismes législatifs canadiens peuvent revendiquer en tant que privilèges inhérents les droits nécessaires à leur fonctionnement. Le critère appliqué est celui de la nécessité; autrement dit, pour déterminer si une revendication de privilège parlementaire est fondée, il faut établir si la question dont il s'agit relève de la catégorie nécessaire de sujets sans lesquels l'efficacité et la dignité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues(13).

[6] Le critère de la nécessité est d'ordre juridictionnel. Les pouvoirs du juge se limitent à déterminer si le privilège qui est revendiqué est un des privilèges nécessaires au fonctionnement de l'organisme législatif(14). Les juges n'ont pas le pouvoir de se pencher sur l'exercice des privilèges nécessaires dans des cas particuliers car, s'ils le faisaient, ces privilèges deviendraient inopérants(15).

II. Les questions d'emploi sont-elles assujetties aux privilèges de la Chambre des communes et de son président?

[7] La Commission canadienne des droits de la personne prétend que le privilège parlementaire ne s'applique pas à chaque acte que pose la Chambre des communes en ce qui touche les questions non liées à son rôle fondamental en tant qu'assemblée législative. Plus particulièrement, la Commission estime que les employés de la Chambre des communes ou de son président ne remplissent pas tous des fonctions faisant partie de la catégorie protégée par le privilège. Selon la Commission, nous devons entendre la preuve au sujet des fonctions et responsabilités de M. Vaid avant que nous puissions déterminer si la relation entre le président et son chauffeur/adjoint personnel était telle qu'elle s'inscrivait parmi les fonctions et responsabilités fondamentales protégées par le privilège parlementaire.

[8] Quoi qu'il en soit, la Commission estime qu'il n'est pas nécessaire au fonctionnement de la Chambre des communes que les députés puissent violer impunément les droits de la personne.

[9] À l'appui de sa prétention voulant que nous ayons besoin d'information au sujet des fonctions de M. Vaid avant de pouvoir nous prononcer en connaissance de cause sur la question du privilège, la Commission a cité le jugement rendu par la Cour de l'Ontario dans Thompson v. McLean(16). Dans Thompson, le juge Campbell a refusé d'annuler la réclamation à l'encontre du président de l'Assemblée législative de l'Ontario et du Procureur général de cette province présentée dans le cadre d'une action en dommages-intérêts fondée sur des allégations de harcèlement sexuel portées par Sandi Thompson contre Alastair McLean, le président de l'Assemblée législative à l'époque. Les défendeurs ont prétendu que la Cour n'avait pas compétence pour instruire l'affaire du fait que les actes du président et du Bureau de l'Assemblée n'étaient pas sujets à examen judiciaire en raison du privilège parlementaire.

[10] Dans son analyse, le juge Campbell a d'abord fait observer qu'on irait à l'encontre des principes modernes en matière d'emploi si l'on concluait que tous les employés d'un organisme législatif sont d'office dépouillés des garanties dont jouissent normalement les employés qui travaillent ailleurs, sans d'abord examiner soigneusement la demande, et ce à plus forte raison lorsque, comme dans le cas de Mme Thompson, on semble ne pas s'entendre sur les faits fondamentaux relatifs à la nature de la relation d'emploi. Il a formulé l'observation suivante :

[Traduction] Tout en prenant soin de ne pas nuire aux travaux de l'assemblée législative, les tribunaux doivent veiller à ce que le privilège parlementaire n'aille pas jusqu'à empiéter indûment sur les droits des citoyens de s'adresser à eux pour des questions qui n'entravent pas les travaux de l'assemblée législative(17).

[11] Pour déterminer si le privilège parlementaire s'applique, il fallait, de l'avis du juge Campbell, examiner l'étendue des responsabilités professionnelles de Mme Thompson de façon à déterminer si son travail était tellement essentiel par rapport au rôle politique fondamental de l'Assemblée législative que la Cour ne pouvait même pas instruire l'affaire en raison du privilège parlementaire absolu. En ce qui concerne la question du rapport entre les fonctions de l'employée et le rôle politique fondamental de l'Assemblée législative, le juge Campbell a déclaré :

[Traduction] Il est peut-être évident que les fonctions que remplit le premier greffier adjoint ou le sergent d'armes, ou encore l'adjoint législatif d'un leader parlementaire, ainsi que leur relation d'emploi touchent vraiment à l'essence même du privilège législatif et parlementaire. Il se peut que, dans leur cas, l'on puisse se prononcer en se fondant simplement sur les plaidoyers, sans s'appuyer sur une preuve. Il n'est peut-être pas aussi évident qu'un barman engagé pour servir des rafraîchissements, un jardinier, un responsable des activités sociales ou un pourvoyeur exerce des fonctions qui touchent vraiment à l'essence même du privilège parlementaire essentiel à l'exercice des fonctions législatives et politiques(18).

Le juge Campbell a conclu qu'il était impossible, sans évaluer la preuve au procès, de déterminer si la conduite du président et la relation d'emploi de Mme Thompson étaient protégées par le privilège parlementaire. Par conséquent, il a refusé d'annuler la réclamation.

[12] La Commission nous exhorte à ne pas nous prononcer sur la question du privilège pour l'instant. À son avis, le Tribunal devrait autoriser l'instruction de l'affaire de M. Vaid afin que l'on puisse présenter une preuve quant à la nature et à l'étendue de ses responsabilités professionnelles, et au degré de connexité entre ces responsabilités et le rôle législatif fondamental de la Chambre des communes et le travail de son président.

[13] De toute évidence, les parlementaires eux-mêmes estiment que la nomination et le contrôle de leur personnel font partie de leurs privilèges, même si tous ne partagent pas nécessairement cette opinion(19). Cela ne suffit pas, toutefois, pour qu'une question relève exclusivement de la compétence de la Chambre des communes. Lorsqu'un juge est saisi d'une revendication de privilège, il lui appartient de déterminer l'existence du privilège. Comme l'a fait observer le juge en chef Lamer dans New Brunswick Broadcasting Co., la Chambre des communes, s'il en était autrement, … pourrait soumettre une question à sa compétence simplement en déclarant que cette question relève effectivement de sa compétence(20).

[14] Dans son ouvrage intitulé Le privilège parlementaire au Canada, Joseph Maingot fait observer que le privilège de régir ses propres affaires et délibérations est l'un des attributs les plus importants de toute institution législative indépendante(21). Selon Maingot, le droit de la Chambre des communes de réglementer ses propres affaires internes, sans ingérence extérieure, englobe le droit de nommer et de diriger son personnel. La Cour d'appel fédérale a souscrit à ce point de vue. En effet, dans son jugement concordant rendu dans Chambre des communes c. Conseil canadien des relations de travail, le juge d'appel Hugessen a déclaré : … il me semble que l'un de ces privilèges est précisément que la Chambre doit pouvoir diriger et contrôler son personnel tout comme elle dirige et contrôle ses fonctionnaires, le greffier et le sergent d"armes …(22).

[15] Bien que je souscrive à l'opinion du juge Campbell voulant qu'il soit quelque peu inconvenant d'appliquer la notion de privilège parlementaire à un employeur de la fonction publique moderne, je ne crois pas que l'approche qu'il a adoptée dans l'affaire Thompson soit pertinente en l'espèce. L'examen du jugement Thompson révèle que le critère que le juge Campbell a appliqué était celui de la fonctionnalité; autrement dit, il s'est demandé si le fait d'instruire l'affaire gênerait l'Assemblée législative dans son fonctionnement même(23). Je ferai remarquer avec le plus grand respect que les juges majoritaires dans New Brunswick Broadcasting Co. ont formulé la question très différemment au regard du critère énoncé. Selon la Cour suprême du Canada, nous devons nous demander si la question dont il s'agit, c'est-à-dire le pouvoir de nommer et de gérer son personnel, s'inscrit dans la catégorie nécessaire de sujets sans lesquels l'efficacité et la dignité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues. À cet égard, l'opinion qui prévaut dans les décisions judiciaires et arbitrales veut que la nomination et la gestion du personnel s'inscrivent vraiment dans le privilège parlementaire de la Chambre des communes et de son président (24). Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que le critère de la nécessité a été satisfait.

[16] Si l'on admet que le pouvoir général de la Chambre des communes et de son président de nommer et de gérer leurs employés est assorti du privilège parlementaire, l'approche Thompson devient problématique. Cette approche exige que le Tribunal se livre à un examen des responsabilités professionnelles de M. Vaid au regard de leur évolution au cours de la période visée par les plaintes, ainsi que du degré de connexité entre ces responsabilités et le rôle législatif fondamental de la Chambre des communes. Il me semble qu'on soumettrait ainsi inévitablement les actes de la Chambre des communes et de son président à l'examen du Tribunal, ce qui rendrait tout privilège parlementaire inopérant(25).

[17] Quant à l'argument de la Commission voulant qu'il ne soit pas nécessaire au fonctionnement de la Chambre des communes que des membres puissent violer impunément les droits de la personne, cet argument, ferai-je remarquer avec respect, implique que nous nous interrogions non pas sur la nécessité du privilège proprement dit en l'occurrence, le pouvoir de nommer et de gérer le personnel mais plutôt sur la façon dont ce pouvoir a été exercé en l'espèce(26). Comme la Cour d'appel de l'Ontario l'a fait remarquer dans Zündel, un tribunal ne peut examiner le caractère licite ou illicite d'un acte dans les cas où le privilège parlementaire est revendiqué. C'est le cas en l'espèce, à moins que l'on puisse démontrer que la Loi canadienne sur les droits de la personne éclipse le privilège parlementaire, de sorte qu'elle s'applique aux employés de la Chambre des communes et de son président. Ce point est examiné dans la prochaine section.

III. Est-ce que le privilège de nommer et de gérer le personnel constitue un privilège inhérent ou un privilège d'origine législative?

[18] Afin de déterminer si la Loi canadienne sur les droits de la personne éclipse le privilège parlementaire, il faut examiner si le privilège de nommer et de gérer le personnel est un privilège inhérent de la Chambre des communes et de son président, ou s'il a été institué par une loi. Au dire de la Commission, ce privilège est purement d'origine législative et est de ce fait soumis à la Loi canadienne sur les droits de la personne, vu la suprématie de la législation sur les droits de la personne(27). À cet égard, la Commission cite la Loi sur le Parlement du Canada(28), qui prévoit notamment ce qui suit :

4. Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants :

a) d'une part, ceux que possédaient, à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi;

b) d'autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu'ils n'excèdent pas ceux que possédaient, à l'adoption de ces lois, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.

5. Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie intégrante du droit général et public du Canada et n'ont pas à être démontrés, étant admis d'office devant les tribunaux et juges du Canada.

[19] La prémisse que les privilèges de la Chambre des communes et de son président sont d'origine législative repose vraiment sur des textes faisant autorité. L'art. 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 précise notamment ce qui suit :

Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada … [C'est moi qui mets en italique.]

[20] Dans New Brunswick Broadcasting Co., le juge en chef Lamer a conclu que cet article consacrait non pas les privilèges parlementaires de la Chambre des communes, mais plutôt le pouvoir du Parlement d'adopter des lois lui accordant ces privilèges(29). Sur ce point, toutefois, le juge en chef Lamer parlait en son propre nom; les juges majoritaires dans New Brunswick Broadcasting Co. ont conclu que les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges inhérents qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement et que ces privilèges bénéficient d'un statut constitutionnel.

[21] Ayant déjà conclu que le pouvoir de nommer et de gérer le personnel est nécessaire au bon fonctionnement du Parlement et qu'il fait partie, par conséquent, des privilèges de la Chambre des communes et de son président, je suis liée par l'arrêt majoritaire de la Cour suprême du Canada selon lequel ces privilèges inhérents jouissent d'un statut constitutionnel.

IV. La Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique-t-elle à la Chambre des communes et à son président?

[22] Compte tenu de ma conclusion que le pouvoir de nommer et de gérer le personnel est un privilège inhérent de la Chambre des communes et de son président, lequel privilège jouit d'un statut constitutionnel, il me reste à déterminer si ce privilège a été abrogé par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[23] Une loi peut effectivement abroger un privilège du Parlement ou de ses membres. Toutefois, pour ce faire, il faut y inclure une disposition claire à cet effet (30). À cet égard, la Commission invoque l'art. 2 de la Loi, qui précise que celle-ci a pour objet d'émettre, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, …(31). Le Parlement possède et exerce le pouvoir de légiférer au sujet des privilèges de la Chambre des communes et de son président(32); par conséquent, la Commission soutient que la Loi s'applique à des questions comme celles soulevées par les plaintes de M. Vaid.

[24] Dans New Brunswick Broadcasting Co., on a invoqué un argument similaire au sujet de la portée de la Charte canadienne des droits et libertés. Le libellé de l'article 32 de la Charte est analogue à celui de l'art. 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il prévoit notamment ce qui suit :

32. La présente charte s'applique :

a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour les domaines relevant du Parlement …

[25] Dans New Brunswick Broadcasting Co., la Cour suprême du Canada devait se pencher sur les mesures prises par l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse afin d'exclure les caméras de télévision de l'Assemblée, à la lueur de la garantie que donne la Charte en ce qui touche la liberté d'expression. La juge McLachlin a fait observer qu'un organisme législatif pouvait être un acteur gouvernemental et être, par conséquent, assujetti à un examen fondé sur la Charte. En l'absence de termes spécifiques contraires dans la Charte, cependant, on ne saurait écarter à la légère la longue tradition de retenue judiciaire à l'égard de l'indépendance du corps législatif et des droits nécessaires à son fonctionnement(33). Elle a conclu que la Charte ne s'appliquait pas aux mesures prises par l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse pour exclure les caméras de télévision de l'Assemblée, puisque les mesures en question avaient été prises conformément à un droit constitutionnel, lequel ne pouvait être abrogé par la Charte(34).

[26] Il me semble que si l'on ne peut étendre la portée d'un document constitutionnel tel que la Charte canadienne des droits et libertés de façon à réglementer l'exercice des privilèges inhérents de la Chambre des communes et de son président, on ne peut certes pas le faire dans le cas des lois quasi constitutionnelles comme la Loi canadienne sur les droits de la personne(35).

[27] La Commission a aussi attiré notre attention sur certaines observations formulées par la juge McLachlin en son nom personnel et en celui de Madame la juge L'Heureux-Dubé dans Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général)(36). L'arrêt Harvey traitait du pouvoir des tribunaux de se pencher sur l'expulsion d'un membre de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick reconnu coupable d'un acte illicite en vertu des lois électorales provinciales. À propos du lien entre la Charte et le privilège parlementaire, la juge McLachlin a déclaré que les garanties démocratiques prévues par l'art. 3 de la Charte doivent être interprétées en fonction de l'objet visé et que cette interprétation doit être compatible avec le privilège parlementaire. Elle a fait observer que bien que l'expulsion d'un membre d'une assemblée législative puisse échapper à l'application de la Charte si l'on conclut qu'elle relève du privilège parlementaire, la Charte a encore pour effet d'empêcher que des citoyens deviennent inhabiles à occuper une charge pour des motifs non visés par les règles auxquelles les assemblées législatives assujettissent la conduite de leurs affaires. Elle a cité, comme exemples de motifs entrant dans cette catégorie, la race et le sexe(37).

[28] J'ai examiné très soigneusement les observations de la juge McLachlin en vue de déterminer si elles étaient pertinentes en l'espèce. Je ferai remarquer que ses observations ont été formulées dans le cadre de l'examen d'un régime statutaire codifiant les motifs d'expulsion de membres de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick. Dans ce contexte, il semble que la juge McLachlin ait envisagé des situations où l'adoption de mesures législatives repose de toute évidence sur des considérations illicites comme la race ou le sexe. Dans un cas aussi flagrant, les mesures adoptées par l'Assemblée législative seraient à mon avis incompatibles avec les principes enchâssés dans la Charte.

[29] L'application de cette approche en l'espèce pose le même problème que celui qui s'est posé dans l'affaire Thompson : il n'est aucunement évident que les mesures qu'a pu prendre la Chambre des communes ou son président l'ont été en raison de la race, de la couleur ou de l'origine nationale ou ethnique de M. Vaid. En fait, l'instruction de l'affaire par le Tribunal aurait pour objet de déterminer si de telles considérations ont influencé le traitement dont M. Vaid dit avoir fait l'objet en cours d'emploi. Nous ne pouvons nous prononcer là-dessus sans examiner attentivement toutes les circonstances qui ont entouré les faits décrits dans la plainte de M. Vaid. Cela implique forcément d'examiner les rouages internes de la Chambre des communes et du Bureau du président par rapport à la gestion de leurs employés; or, j'ai déjà conclu que ces questions sont visées par les privilèges des intimés.

[30] Autrement dit, il est difficile de voir comment nous pouvons déterminer si la race, la couleur ou l'origine nationale ou ethnique de M. Vaid ont influé sur le traitement dont il dit avoir fait l'objet en cours d'emploi, sans abroger du même coup les privilèges des intimés.

[31] Quoi qu'il en soit, je suis d'avis que les observations formulées par la juge McLachlin dans Harvey ne s'appliquent pas en l'espèce. Madame la juge McLachlin tentait de concilier des normes constitutionnelles concurrentes, c'est-à-dire les privilèges inhérents de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick et les droits démocratiques et les droits à l'égalité garantis par la Charte. Nous ne sommes pas en présence en l'espèce de deux normes constitutionnelles concurrentes. Nous sommes en présence d'un conflit entre la norme constitutionnelle du privilège parlementaire, et les normes quasi constitutionnelles établies par la Loi canadienne sur les droits de la personne. En vertu du droit constitutionnel canadien, le statut constitutionnel du privilège parlementaire de nommer et de gérer le personnel éclipse certes les lois quasi constitutionnelles sur les droits de la personne.

[32] Je ferai remarquer que mes conclusions à cet égard sont conformes à des décisions rendues antérieurement en ce qui concerne l'application de la législation sur les droits de la personne à des questions visées par le privilège parlementaire. Dans Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission)(38), l'opinion majoritaire de la Cour divisionnaire était que les questions relevant des privilèges de l'Assemblée législative de l'Ontario n'étaient pas susceptibles d'examen en vertu du Code des droits de la personne de la province (39). De même, dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Lane (40), la Cour d'appel fédérale a pris soin d'établir la distinction entre le poste de directeur général des élections et celui de président avant de conclure que la Loi canadienne sur les droits de la personne s'appliquait aux mesures prises par le directeur général des élections (41).

[33] Eu égard à ces motifs, j'estime que le Tribunal canadien des droits de la personne n'a pas compétence pour instruire la plainte de M. Vaid.

V. La Chambre des communes est-elle une personne morale?

[34] La Chambre des communes conteste également la compétence du Tribunal canadien des droits de la personne pour le motif qu'elle n'est pas un individu au sens du par. 40 (1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et qu'elle ne peut, par conséquent, faire l'objet d'une plainte relative aux droits de la personne. À cet égard, la Chambre des communes se fonde sur un arrêt de la Cour d'appel fédérale (Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail, supra). Compte tenu de mes conclusions au sujet de la question du privilège parlementaire, je n'ai pas à me prononcer sur ce point.

VI. Conclusion

[35] Je suis pleinement consciente du fait que ma conclusion voulant que le Tribunal canadien des droits de la personne n'ait pas compétence pour instruire cette plainte représente un résultat draconien pour M. Vaid. Contrairement aux autres Canadiens qui travaillent dans le giron fédéral, il ne serait pas en mesure de bénéficier de la protection que constituent les garanties à l'égalité prévues par la Loi canadienne sur les droits de la personne, loi qui a été décrite comme … le dernier recours de la personne défavorisée et de la personne privée de ses droits de représentation (42).

[36] Le milieu universitaire et la magistrature ont commenté abondamment la question du privilège parlementaire (43). On s'est demandé si la préservation de ce que Gibson a qualifié de coquerelle constitutionnelle du privilège parlementaire est compatible avec le principe de la primauté du droit. Il s'agit là à mon avis d'une question pertinente, mais le principe du privilège parlementaire demeure un élément qui fait partie du paysage constitutionnel canadien. Si le Parlement désire que la Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique à la Chambre des communes et à son président, il lui appartient de veiller à ce que la Loi reflète cette intention (44). À défaut d'une disposition à cet effet, le Tribunal canadien des droits de la personne outrepasserait son mandat constitutionnel légitime s'il cherchait à entraver le pouvoir de la Chambre des communes et de son président de nommer et de gérer leur personnel.


Anne L. Mactavish, présidente

OTTAWA (Ontario)

Le 25 avril 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T592/5000

INTITULÉ DE LA CAUSE : Satnam Vaid c. Chambre des communes et honorable Gilbert Parent

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

le 26 mars 2001

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 25 avril 2001

ONT COMPARU :

Satnam Vaid pour lui-même

René Duval et Philippe Dufresne pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jacques Emond et Lyne Poirier pour la Chambre des communes et l'honorable Gilbert Parent

1. [1993] 1 R.C.S. 391.

2. L.R.C. 1985, c. P-1.

3. [1985] 1 R.C.S. 150, 6 C.H.R.R. D/435, p. 156.

4. L.R.C. 1985, c. P-1.

5. (1997) 32 O.R. (3e) 440.

6. Maingot, J.P., Le privilège parlementaire au Canada, (2e éd.), Chambre des communes et Presses universitaires McGill-Queen's, 1997.

7. Supra, note 1.

8. Supra, note 1.

9. [1996] 2 R.C.S. 876.

10. C.C.E.L. (2e) 170 (Division générale, Cour de l'Ontario).

11. New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, pp. 378 et 379, juge McLachlin. Voir aussi Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, Chambre des communes et Presses universitaires McGill-Queen's, 1997, où le privilège parlementaire est défini en ces termes : ... Le privilège parlementaire est l'indispensable immunité que le droit accorde aux membres du Parlement ... pour leur permettre d'effectuer leur travail législatif.

12. New Brunswick Broadcasting Co., supra, note 1, p. 354, le juge en chef Lamer.

13. Ibid., pp. 381 à 383, juge McLachlin.

14. Ibid., p. 384, juge McLachlin.

15. Zündel v. Boudria, (1999) 46 O.R. (3e) 410 (Cour d'appel de l'Ontario).

16. (1998), 37 C.C.E.L. 170 (Division générale, Cour de l'Ontario).

17. Ibid., p. 178.

18. Ibid., pp. 181 et 182. Compte tenu des observations du juge Campbell au sujet des fonctions d'un barman, il convient de noter qu'un tribunal britannique a conclu sans difficulté que la vente d'alcool par les employés d'un comité parlementaire relevait de la régie interne de la Chambre des communes britannique. Dans R. v. Graham Campbell, ex parte Herbert, [1935] 1 K.B.D. 594, la cour a conclu qu'une telle activité relevait de la régie interne de la Chambre des communes et était, par conséquent, assujettie au privilège parlementaire. En conséquence, les tribunaux n'avaient pas compétence pour intervenir.

19. Dans Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail, [1986] 2 C.F. 372, le juge en chef Pratte a émis le commentaire suivant : … les parlementaires considèrent, à tort ou à raison, que le droit de la Chambre et du Sénat de nommer et de contrôler les membres de leur personnel fait partie de leurs privilèges. (C'est moi qui mets en italique.)

20. Supra, note 1, p. 349.

21. Maingot, supra, note 1, p. 183. Voir également Beauchesne, Règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, 4e éd. (Toronto : Carswell, 1964), p. 337, par. 446.

22. Supra, note 9, p. 11. Voir aussi Soth v. Ontario (Speaker of the Legislative Assembly), (1997) 32 O.R. (3e) 440 (Cour divisionnaire de l'Ontario).

23. Supra, note 6, p. 178.

24. Voir Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail, supra, note 9, Soth, supra note 12, et Association des employés du Service de sécurité du Sénat c. Sénat du Canada, 15 février 2001, sentence arbitrale LEFP (Nadeau).

25. Voir Huet c. Canada (Ministre du Revenu national), (1994), 85 F.T.R. 171, p. 197, où le juge Noël cite une décision antérieure -- Stockdale v. Hansard (1839), 9 Ad. & E. 1, 112 E.R. 1112, dans laquelle on fait remarquer que si les tribunaux devaient examiner les détails entourant dans chaque cas l'exercice d'un privilège valide et considérer que dans certains cas son exercice n'est pas valide, ils éclipseraient la compétence exclusive de l'organisme législatif, après avoir admis que le privilège en question est soumis à la compétence exclusive de cet organisme.

26. Pour un examen de la distinction entre l'existence du privilège proprement dit et la façon dont ce privilège peut avoir été exercé dans un cas particulier, voir le passage portant sur le fruit de l'arbre à la p. 392 de l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. supra, note 1.

27. Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150.

28. L.R.C. 1985, c. P-1 (version modifiée).

29. Dale Gibson a exprimé une opinion similaire dans Monitoring Arbitrary Government Authority: Charter Scrutiny of Legislative, Executive and Judicial Privilege (1998), 61 Sask. L. Rev. 297.

30. La décision Duke of Newcastle v. Morris, (1870) L.R. 4 H.L. 661, a été citée et approuvée par le juge Pratte dans Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail, supra, note 9, p. 490.

31. Il convient également de citer l'art. 66 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui prévoit que la Loi lie Sa Majesté du chef du Canada. À mon avis, cet article n'est pas pertinent en l'espèce, puisqu'il est ici question de la Chambre des communes et de son président, et non du gouvernement du Canada. (Voir Association des employés du Service de sécurité du Sénat c. Sénat du Canada, supra, note 14, p. 23.)

32. Outre la Loi sur le Parlement du Canada, dont il a déjà été fait mention, voir aussi la Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. 1985, c. 33 (2e supp.); la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. 1985, c. P-36, par. 3(1); la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, c. F-11, art. 2; la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État, L.R.C. 1985, c. G-5, art. 2; la Loi sur le Bureau de la traduction, L.R.C. 1985, c. T-16, art. 4; la Loi sur la rémunération du secteur public, 1991, c. 30, art. 1 à 22, prenant effet le 3 octobre 1991; la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions

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