Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Entre :

Cam-Linh (Holly) Tran

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

l’Agence du revenu du Canada

l'intimée

Décision

Membre : Edward P. Lustig
Date : Le 24 novembre 2010
Référence : 2010 TCDP 31

[1] Il s’agit d’une décision concernant la requête de la plaignante en modification de sa plainte pour y ajouter des motifs additionnels de discrimination illicites et une pratique discriminatoire supplémentaire.

[2] En août 2004, la plaignante a présenté sa candidature pour un poste d’agente des services à la clientèle au bureau des services fiscaux de Vancouver de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC ou l’intimée). Dans sa demande, la plaignante a fourni son numéro de téléphone, son adresse courriel et son adresse résidentielle à l’intimée.

[3] Le 28 juin 2005, la plaignante a été acceptée dans un large bassin de candidats qui avaient été jugés qualifiés pour le poste.

[4] Par la suite, l’intimée a tenté de communiquer avec la plaignante par téléphone, en utilisant les coordonnées qu’elle avait fournies, pour lui offrir le poste. Cependant, la plaignante avait alors un nouveau numéro de téléphone et une nouvelle adresse courriel, mais résidait toujours à la même adresse. Il était impossible de la joindre en utilisant le numéro de téléphone qu’elle avait inscrit dans sa demande.

[5] Le bassin de candidats qualifiés a expiré le 27 juin 2007.

[6] En septembre 2007, la plaignante a écrit une lettre à Rod Quiney, sous‑commissaire régional (région du Pacifique) pour l’intimée, lui demandant de l’embaucher directement pour un poste semblable à Victoria. Dans sa lettre, la plaignante s’est plainte du fait que l’intimée aurait dû utiliser son nouveau numéro de téléphone et sa nouvelle adresse courriel, mais elle n’a mentionné aucune autre plainte.

[7] En octobre 2007, M. Quiney a répondu à la lettre de la plaignante, refusant de l’embaucher. Il a donné plusieurs raisons pour justifier son refus, y compris le fait que le poste pour lequel elle s’était qualifiée était pour le bureau de Vancouver et que le bassin dans lequel elle avait été placée était expiré.

[8] Le 10 juin 2008, la plaignante a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) contre l’intimée, alléguant avoir été victime de discrimination en matière d’emploi fondée sur le motif de distinction illicite de la situation de famille et avoir été victime de représailles. Elle soutient dans sa plainte que l’acte discriminatoire a eu lieu à Vancouver, de septembre 2005 au 29 octobre 2007.

[9] La plaignante soutient que l’intimée a refusé de l’embaucher en raison de sa relation avec son beau‑frère Chris Hughes, qui la représente en l’espèce, et en représailles pour une autre plainte en matière de droits de la personne qu’elle avait déposée contre l’intimée auparavant. La plaignante soutient que plusieurs gestionnaires de l’intimée connaissent Chris Hughes, y compris Rod Quiney, parce que M. Hughes a déposé une plainte aux affaires internes (qui impliquait en partie la plaignante), a intenté des poursuites au civil, a déposé des plaintes en matière de droits de la personne, a demandé des contrôles judiciaires en Cour fédérale, a déposé des griefs et a déposé des plaintes au Conseil des relations de travail contre l’intimée, et qu’il était [Traduction] un divulgateur reconnu et l’ennemi no 1 de l’ARC.

[10] Le 12 décembre 2009, la plaignante a envoyé un deuxième formulaire de plainte à la Commission (la plainte modifiée). La plainte modifiée était identique au formulaire de plainte original, sauf l’ajout de deux paragraphes à la fin, dans lesquels la plaignante (1) alléguait que l’enquête avait révélé une discrimination non‑intentionnelle dans la façon dont l’intimée garde, met à jour et utilise les coordonnées et (2) déclarait que la plaignante s’était [Traduction] auto-identifiée comme étant une minorité visible, avait fourni un passeport qui montrait qu’elle était née au Vietnam, qu’elle est d’origine chinoise et que sa couleur de peau est jaune comme une asiatique. Dans la plainte modifiée, la plaignante demandait à la Commission d’enquêter dans ce dossier [Traduction] en tenant compte des motifs de distinction illicites additionnels suivants : l’origine nationale ou ethnique, la race et la couleur, et en tenant compte de l’alinéa 10a), en plus des représailles et du motif de distinction illicite de la situation de famille.

[11] Après avoir reçu la plainte modifiée, l’enquêteur de la Commission, Dean Steacy, aurait dit au représentant de la plaignante (Chris Hughes) que la plainte modifiée serait [Traduction] hors délai et causerait [Traduction] un long délai dans le dossier.

[12] Le 25 février 2010, M. Hughes, au nom de la plaignante, a retiré la plainte modifiée.

[13] Le 16 juillet 2010, la Commission a renvoyé la plainte d’origine au Tribunal pour instruction, en application de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP). La plainte modifiée ne faisait pas partie du renvoi.

[14] Dans son avis de requête, la plaignante déclare :

[Traduction]

Maintenant que le dossier est devant le Tribunal, nous demandons que le Tribunal accueille la présente requête pour ajouter les motifs suivants, qui viennent s’ajouter au motif actuel fondé sur la situation de famille et aux représailles :

sexe (féminin), origine nationale ou ethnique, race, couleur (car la plaignante est une femme) d’origine chinoise/asiatique née au Vietnam) ;

et l’alinéa 10a), en raison des pratiques et des politiques d’embauche de l’intimée qui ont empêché une femme pleinement qualifiée et appartenant à une minorité visible de recevoir une offre d’emploi.

[15] Les observations de la plaignante à l’appui de sa requête, datées du 16 septembre 2010, et en réponse aux observations de l’intimée, datées du 24 octobre 2010, se résument comme suit :

  1. Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de modifier une plainte afin de traiter des motifs additionnels de distinction illicite et des allégations additionnelles, tant que le fond de la plainte d’origine est respecté et qu’un avis suffisant ait été donné à la partie intimée pour qu’elle puisse se défendre adéquatement.
  2. La plainte n’ajoute aucun nouvel événement, mais ne fait qu’ajouter des motifs de discrimination illicite à la plainte d’origine.
  3. La Commission a commis une erreur en avisant la plaignante que sa requête en modification de la plainte était [Traduction] hors délai.
  4. Le fond de la plainte d’origine est respecté, puisque les motifs de distinction illicites additionnels peuvent être dérivés de renseignements que la plaignante a fournis dans sa demande d’emploi et dans la plainte d’origine.
  5. L’intimée ne subit pas de préjudice découlant de la présentation des motifs additionnels de distinction illicite.

Dans sa réponse aux observations de l’intimée, la plaignante a retiré l’origine ethnique des motifs additionnels.

[16] Les observations de l’intimée, datées du 15 octobre 2010, en réponse à la requête de la plaignante, se résument ainsi :

  1. La modification proposée ne divulgue pas le fond des allégations.
  2. La compétence du Tribunal ne lui permet pas d’instruire de nouvelles plaintes.
  3. La modification change fondamentalement les allégations et constitue une nouvelle plainte.
  4. L’objectif de l’ajout de nouvelles allégations n’est pas atteint en l’espèce.
  5. Le fait d’accepter la modification causerait un préjudice à l’intimée.

[17] Les faits établis dans la plainte d’origine sont résumés au paragraphe 9 des présentes. Ce sont les faits au sujet desquels la Commission a fait enquête et a fait rapport, qui ont entraîné le renvoi de la plainte au Tribunal pour instruction, comme je l’ai décrit au paragraphe 13 des présentes. À mon avis, il n’est pas possible de lier de façon logique ces faits aux allégations de motifs additionnels de distinction illicite et aux allégations de pratique discriminatoire additionnelle que la plaignante propose d’ajouter par la présente requête, comme ils ont été décrits dans la plainte modifiée et au paragraphe 10 des présentes, ainsi que dans l’avis d’appel et au paragraphe 14 des présentes. En l’absence d’un tel lien, il n’existe aucun pouvoir légal pour que le renvoi au sens de l’alinéa 44(3)a) de la LCDP s’applique à la modification proposée, qui est la seule façon dont le Tribunal obtient le pouvoir de tenir une instruction. Lorsqu’un nouveau motif proposé est plus qu’une simple modification et qu’il s’agit essentiellement d’une nouvelle plainte, ce qui à mon avis est le cas en l’espèce, on ne peut pas dire que la Commission a demandé l’instruction de cette plainte et alors, le Tribunal ne peut pas procéder à une instruction. Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1991] A.C.F. no 334 [Q.L.], 43 F.T.R.

Pour ce motif, le Tribunal a correctement établi la limite suivante pour les modifications :

La Commission, lorsqu’elle a renvoyé la plainte au Tribunal, doit avoir examiné la situation essentielle qui constitue le sujet de l’affaire à instruire. Cela crée certaines limites à l’égard des modifications qui doivent avoir leur historique dans les circonstances soumises à la Commission. Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1

[18] Il sera conclu qu’une plainte est nouvelle lorsqu’elle n’a aucun lien factuel ou logique, ou tout autre lien, avec la plainte d’origine, comme c’est le cas en l’espèce pour les modifications proposées. Comme les modifications proposées constituent une nouvelle plainte sur laquelle la Commission n’a pas enquêté et qu’elle n’a pas renvoyée au Tribunal, elle outrepasse la compétence du Tribunal et doit être rejetée.

[19] Pour toutes ces raisons, la requête en modification est rejetée.

Signée par

Edward P. Lustig
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 24 novembre 2010

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1486/3210

Intitulé de la cause : Cam-Linh (Holly) Tran c. l’Agence du revenu du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 24 novembre 2010

Comparutions :

Chris Hughes, pour la plaignante

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sally Rudolf, pour l'intimée

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