Tribunal canadien des droits de la personne

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Employment Equity Review Tribunal Tribunal de l'équité en matière d'emploi

ENTRE :

BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

l'employeur

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE

Décision no 1

2001/06/27

MEMBRE INSTRUCTEUR : Anne Mactavish, présidente

[1] La Banque Laurentienne a demandé une révision de l'ordre que la Commission canadienne des droits de la personne lui a donné en vertu du par. 25 (3) de la Loi sur l équité en matière d emploi. Conformément à l'art. 28 de la Loi sur l équité en matière d emploi, une fois saisi d'une telle demande, je suis tenue de constituer un tribunal de l'équité en matière d'emploi pour l'instruire.

[2] Tout en semblant chercher à obtenir d'un tribunal de l'équité en matière d'emploi un redressement, la Banque conteste la compétence du tribunal, invoquant son droit à une audience devant un tribunal autonome et impartial. Selon la Banque, un tribunal de l'équité en matière d'emploi ne constitue pas un tel tribunal. À cet égard, la Banque se fonde sur la décision récente de la Cour fédérale dans Bell Canada c. ACET, Femmes Action et Commission canadienne des droits de la personne (Bell Canada)(1). Dans Bell Canada, Madame la juge Tremblay-Lamer, de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a conclu que le Tribunal canadien des droits de la personne n'était pas un organisme indépendant ou impartial du point de vue institutionnel puisque la Commission canadienne des droits de la personne a le pouvoir de donner des directives qui ont pour lui un effet obligatoire(2). La juge Tremblay-Lamer a également conclu que l'autonomie du Tribunal était compromise du fait qu'il faut obtenir l'agrément de son président pour qu'un membre dont le mandat est échu puisse terminer une affaire dont il est saisi(3). Par conséquent, la juge Tremblay-Lamer a ordonné que l'on interrompe les procédures dans l'affaire Bell Canada jusqu'à ce que les problèmes qu'elle a soulevés en ce qui concerne le régime légal aient été réglés.

[3] La Banque soutient que sa demande de révision de l'ordre de la Commission devait être mise en veilleuse jusqu'à ce que l'on ait apporté les modifications législatives nécessaires pour remédier aux lacunes décrites par la juge Tremblay-Lamer.

[4] La Commission canadienne des droits de la personne est d'avis que la disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui confère à la Commission le pouvoir de donner au Tribunal canadien des droits de la personne des directives qui ont pour lui un effet obligatoire n'a aucun rapport avec les affaires relevant de la Loi sur l équité en matière d emploi, qui sont instruites par des tribunaux de l'équité en matière d'emploi.

[5] En ce qui concerne la capacité des membres de terminer des affaires une fois leur mandat échu, la Commission affirme que la Loi sur l équité en matière d emploi est muette là-dessus. Les dispositions de l'art. 48.2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui exigent l'agrément du président du Tribunal canadien des droits de la personne pour que des membres puissent terminer des affaires dont ils sont saisis ne s'appliquent pas aux tribunaux constitués en vertu de la Loi sur l équité en matière d emploi. D'après ce que je crois comprendre de l'argument de la Commission, celle-ci soutient que, par conséquent, le problème soulevé par la juge Tremblay-Lamer à cet égard ne se pose pas en ce qui concerne les tribunaux de l'équité en matière d'emploi.

[6] Le jugement rendu par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Bell Canada a été renversé par la Cour d'appel fédérale, peu après que les parties eurent déposé leur mémoire préliminaire relativement à cette affaire(4). Toutefois, nonobstant la décision de la Cour d'appel fédérale, la Banque estime qu'aucune mesure ne devrait être prise dans cette instance tant que le délai accordé pour interjeter appel de la décision Bell Canada devant la Cour suprême du Canada ne sera pas expiré.

[7] La Banque soutient également que la question de l'applicabilité de la Loi canadienne des droits de la personne de 1998 aux tribunaux de l'équité en matière d'emploi doit en tout état de cause être tranchée. Selon la Banque, si la position de la Commission est fondée et que le par. 48.2 (2) de la Loi canadienne des droits de la personne ne s'applique pas aux membres des tribunaux de l'équité en matière d'emploi, c'est au ministre de la Justice qu'échoit le pouvoir de proroger le mandat d'un membre pour lui permettre de terminer une affaire dont il est saisi. La Section de première instance de la Cour fédérale a déjà conclu que ce genre de structure n'assure pas le niveau requis d'autonomie institutionnelle(5). La Banque est d'avis que rien dans la décision la plus récente de la Cour d'appel fédérale dans Bell Canada ne modifie cette conclusion.

I. Analyse

[8] Les deux parties ont abordé la question en posant l'hypothèse qu'aucune disposition de la Loi sur l équité en matière d emploi ne traite expressément de ce qui se produit dans le cas où le mandat d'un membre d'un tribunal de l'équité en matière d'emploi expire au milieu d'une instance. Ni l'une ni l'autre des parties ne semble au courant du par. 28 (4.1) de la Loi sur l équité en matière d emploi, qui faisait partie des modifications corrélatives apportées à la Loi sur l équité en matière d emploi par suite de l'adoption du projet de loi S-5(6).

[9] Le par. 28 (4.1) de la Loi sur l équité en matière d emploi se lit en partie comme suit :

Le membre dont le mandat est échu peut, avec l'agrément du président [du Tribunal canadien des droits de la personne], terminer les affaires dont il est saisi ...

[10] Le libellé du par. 28 (4.1) de la Loi sur l équité en matière d emploi est très similaire à celui du par. 48.2 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans sa récente décision dans l'affaire Bell Canada, la Cour d'appel fédérale a conclu que le pouvoir qu'exerce le président du Tribunal canadien des droits de la personne en vertu du par. 48.2 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne porte pas un coup fatal à l'autonomie du Tribunal canadien des droits de la personne. La Cour a fait remarquer que le président est suffisamment protégé du pouvoir exécutif, soutenant que le pouvoir qui lui est dévolu aux termes du par. 48.2 (2) de la Loi canadienne des droits de la personne ne compromet pas l'autonomie ou l'impartialité du Tribunal canadien des droits de la personne.

[11] Ce raisonnement s'applique également aux tribunaux de l'équité en matière d'emploi.

[12] Enfin, la Banque est d'avis qu'aucune mesure ne devrait être prise dans cette affaire tant que le délai accordé pour interjeter appel de la décision Bell Canada devant la Cour suprême du Canada ne sera pas expiré. Le fait que Bell Canada puisse décider de demander l'autorisation d'en appeler de la décision de la Cour d'appel fédérale n'est pas pertinent. Pour l'instant, la décision de la Cour d'appel fédérale constitue un jugement formel valide et représente l'état actuel du droit. Il n'y a aucune raison à mon avis de retarder à nouveau l'instruction de cette affaire.

II. Ordonnance

[13] Eu égard aux motifs énoncés ci-dessus, la requête de la Banque est rejetée. Le greffe du Tribunal communiquera avec les parties pour s'enquérir des dates qui conviendraient pour l'audience.


Anne L. Mactavish, présidente

OTTAWA, Ontario

Le 27 juin 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : E004/0101

INTITULÉ DE LA CAUSE : Banque Laurentienne du Canada c. Commission canadienne des droits de la personne

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : 27 juin 2001

ONT COMPARU :

Dominique Monet Pour la Banque Laurentienne du Canada

René Duval Pour la Commission canadienne des droits de la personne

1. Dossier T-890-99, 2 novembre 2000.

2. Voir les par. 27 (2) et 27 (3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

3. Par. 48.2 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

4. 2001 CAF 161.

5. Bell Canada c. Association canadienne des employés du téléphone, [1998] 3 C.F. 244 (1re inst.), le juge McGillis. En fait, la prérogative de nommer des membres du Tribunal en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne appartient au gouverneur en conseil et non au ministre de la Justice; il en était ainsi avant les modifications de 1998 et il continue d'en être ainsi. C'est le pouvoir du gouverneur en conseil de proroger le mandat de membres du Tribunal afin de leur permettre de terminer une audience qui, de l'avis de Madame la juge McGillis, compromettait l'autonomie des membres du Tribunal, compte tenu de la structure qu'avait celui-ci avant 1998. Le par. 48.2 (2) a été incorporé à la Loi canadienne sur les droits de la personne à la suite de la décision de la juge McGillis.

6. Voir la Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, et d autres matières, et modifiant d autres lois en conséquence, L.C. 1998, chap. 9, par 39 (1).

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