Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

l'intimée

PRODUCTION DES VERSIONS PRÉLIMINAIRES DE DOCUMENTS

Décision no 4
2001/10/23

MEMBRES INSTRUCTEURS : Benjamin Schecter, président

Elizabeth Leighton, membre

Gerald Rayner, membre

TRADUCTION

I. CONTEXTE

[1] L'intimée, la Société canadienne des postes, a demandé à l'Alliance de produire toutes les versions préliminaires des rapports ou réponses, ainsi que tous les commentaires, des trois membres du Comité d'évaluation au sujet des questions qu'elle a formulées par écrit (pièce R-554.6).

[2] La pièce R-554.6 représente la réponse conjointe du Comité d'évaluation aux questions écrites que l'intimée a posées durant l'interrogatoire de D. Martin Wolf à propos du rapport déposé en preuve (pièce PSAC-180).

[3] La pièce PSAC-180 a été décrite comme étant le fondement de la preuve présentée au nom de l'Alliance sous forme d'opinion d'expert dans le cadre de la réplique.

[4] C'est durant le contre-interrogatoire de D. Wolf, dans le cadre de la réplique, que certaines questions ont été rédigées par l'intimée, puis approuvées par l'Alliance et la Commission.

[5] Ces questions ont été posées au Comité d'évaluation; on espérait que les réponses fournies permettraient d'accélérer le contre-interrogatoire de D. Wolf.

[6] Il avait d'abord été convenu que le Comité d'évaluation tiendrait une réunion pour répondre aux questions posées.

[7] Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont modifié les plans du Comité d'évaluation; plutôt que de se réunir autour d'une table, les membres du Comité ont conversé en ligne pour élaborer les réponses déposées en preuve (pièce R-554.6).

[8] Par conséquent, l'intimée désire avoir accès à tout rapport ou réponse préliminaire aux questions que se sont échangés les membres du Comité d'évaluation, ainsi qu'à tout commentaire que D. Wolf a reçu de ses deux collègues au sujet des versions préliminaires du rapport déposé en preuve (pièce R-554.6).

II. ARGUMENTS DE L'INTIMÉE

[9] L'intimée a soutenu que l'accès à ces versions préliminaires des rapports ou réponses était nécessaire pour bien comprendre la démarche que le Comité d'évaluation a suivie pour en arriver à l'opinion d'expert présentée en preuve (pièce PSAC-180).

[10] En matière d'évaluation des emplois, la démarche suivie est, de l'avis de l'intimée, tout aussi importante que les conclusions énoncées. Aussi elle a soutenu que cette preuve documentaire relative à la démarche du Comité d'évaluation est extrêmement pertinente pour comprendre les conclusions auxquelles il est parvenu.

[11] En outre, compte tenu du fait qu'un membre du Comité d'évaluation a produit des réponses à des questions à la suite des délibérations d'un groupe, l'intimée a exprimé l'avis qu'elle devrait être mise au courant de tout échange de vues entre les membres qui a été enregistré.

[12] L'intimée a également fait remarquer qu'on a actuellement tendance au Canada à favoriser une vaste divulgation. De plus, elle est d'avis qu'on devrait soumettre un témoin expert à un contre-interrogatoire détaillé relativement à tous les documents et questions touchant le poids de la preuve qu'il présente.

III. ARGUMENTS DE L'ALLIANCE ET DE LA COMMISSION

[13] De l'avis de l'Alliance et de la Commission, un aspect clé de la demande de l'intimée consiste à s'interroger sur la pertinence des documents demandés, au regard de l'existence d'une réponse ou d'un rapport final (R-554.6).

[14] L'Alliance et la Commission ont émis l'avis que l'intimée n'a pas le droit d'avoir accès aux versions préliminaires de ce rapport final, qui énonce les réponses conjointes auxquelles tous les membres du Comité d'évaluation en sont arrivés sous le sceau du secret et qui ont été signifiées comme telles sous leur signature respective.

[15] En accordant un tel droit, on risquerait de créer un malheureux précédent - qui ne servirait pas l'intérêt public - quant à l'opportunité de divulguer les notes d'un expert, ses observations et ses ébauches et de les présenter au Tribunal.

[16] En fait, l'Alliance et la Commission ont fait valoir qu'une telle décision pourrait amener les experts à détruire systématiquement ces documents, une fois que leurs rapports finals auraient été rédigés et diffusés, afin d'éviter que la partie intimée présente une requête visant à y avoir accès.

[17] Leur prétention voulant qu'un tel droit n'existe pas est fondée sur le principe du privilège relatif à un litige qui, selon eux, est un prolongement du privilège du secret professionnel de l'avocat et qui, par conséquent, a une grande incidence sur la protection du caractère confidentiel des communications entre avocat et client, principe très important que les parties à un litige ne devraient pas perdre de vue.

IV. CONCLUSION

[18] Tous les avocats conviennent que la jurisprudence qui existe en ce qui concerne la diffusion des rapports préliminaires et des communications internes relatives aux rapports d'expert n'est pas concluante; en fait, il semble y avoir deux courants de jurisprudence.

[19] On a jugé dans certaines affaires que le privilège relatif au litige était un principe distinct de celui du privilège du secret professionnel de l'avocat et qu'on renonce automatiquement au privilège relatif au litige dès qu'un expert devient un témoin. Par contre, dans d'autres affaires, on a admis que le privilège relatif au litige est un prolongement du privilège traditionnel du secret professionnel de l'avocat et qu'il s'agit, par conséquent, d'un principe sacro-saint.

[20] Dans les cas où on a exigé la production de documents de travail ou d'autres documents connexes au rapport final d'un témoin expert, on a fait remarquer que la recherche de la vérité en ce qui touche la preuve d'un expert l'emporte sur l'intérêt qui pourrait être servi par la protection de ses travaux préliminaires.

[21] Dans les affaires récentes, on s'est fondé sur la nécessité de démontrer la pertinence des documents pour déterminer s'ils devraient être produits.

[22] La question que le Tribunal doit se poser est donc la suivante :

Est-ce que la demande de production des rapports ou réponses préliminaires ou des commentaires sur lesquels sont fondées les réponses données dans la pièce R-554.6 est pertinente par rapport à la teneur de l'opinion présentée dans la pièce PSAC-180?

[23] Le Tribunal est d'avis que la question de la pertinence est le facteur determinant. De plus, il estime que la compréhension ― à la faveur de la production des rapports et réponses préliminaires ou des commentaires qui ont mené au rapport déposé en preuve (pièce R-554.6) ― de la démarche que la Comité d'évaluation a suivie pour en arriver à l'opinion exprimée (pièce PSAC-180) présente une certaine pertinence. En dernière analyse, le Tribunal devra accorder à ces rapports ou réponses préliminaires ou à ces commentaires l'importance qu'ils méritent, comme il le fait pour tout autre élément de preuve.

[24] Par conséquent, le Tribunal ordonne que les rapports ou réponses préliminaires ou commentaires qui pourraient exister soient transmis à l'intimée, la Société canadienne des postes, que des copies soient fournies à toutes les autres parties et que ces documents, une fois identifiés par D. Wolf, soient déposés en preuve dans le cadre de cette audience.

Benjamin Schecter, président

Elizabeth Leighton, membre

Gerald Rayner, membre

OTTAWA (Ontario)

Le 23 octobre 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL NO : T299/1392

INTITULÉ DE LA CAUSE: Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

(17 octobre 2001)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 23 octobre 2001

ONT COMPARU :

James Cameron au nom de l'Alliance de la fonction publique du Canada

Fiona Campbell au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Joy Noonan et Jennifer Perry au nom de la Commission canadienne des postes

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