Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

la plaignante

-et-

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

-et-

MINISTRE DU PERSONNEL DU

GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST,

À TITRE D'EMPLOYEUR

l'intimé

DÉCISION SUR L'ARTICLE 7 DE LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA

Décision no 9

2001/07/25

Membres instructeurs : Paul Groarke, président

Athanasios Hadjis, membre

Jacinthe Théberge, membre

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. QUESTIONS À EXAMINER

A. LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA S'APPLIQUE-T-ELLE AUX AUDIENCES DU TRIBUNAL?

i) La règle générale

ii) L'application de la Loi sur la preuve au Canada à la procédure en matière de droits de la personne

iii) L'application des dispositions de nature procédurale de la Loi sur la preuve au Canada

B. L'ARTICLE 7 DE LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA S'APPLIQUE-T-IL AUX AUDIENCES DU TRIBUNAL?

C. L'ARTICLE 7 DE LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA FAIT-IL MENTION DU NOMBRE TOTAL DE TÉMOINS QUI PEUVENT ÊTRE CITÉS OU DU NOMBRE DE TÉMOINS QUI PEUVENT ÊTRE CITÉS SUR UNE QUESTION DONNÉE?

i) L'arrêt Eli Lilly

ii) L'arrêt Eli Lilly a-t-il été rendu per incuriam?

III. L'INSTANCE DEVANT LE TRIBUNAL

IV. DÉCISION

I. INTRODUCTION

[1] Les circonstances à l'origine de la présente décision sont simples. Le 29 juin, l'intimé a fait parvenir à la plaignante et à la Commission une lettre renfermant la liste des témoins qu'il entendait citer, lettre dont il a transmis copie au Tribunal. Bien que la reconnaissance de certains témoins comme experts risque de prêter à controverse, il est évident d'après la lettre que l'intimé a l'intention de citer une dizaine de témoins experts. L'avocat de la plaignante a posé des objections, faisant valoir que l'intimé doit, en vertu de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, demander la permission de citer plus de cinq témoins experts si telle est son intention.

[2] Toutes les parties nous ont soumis un exposé écrit à ce sujet. Au cours du plaidoyer, d'autres questions ont été soulevées en ce qui concerne l'interprétation de l'article 7 et le statut d'un arrêt de la Cour fédérale.

II. QUESTIONS À EXAMINER

A. LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA S'APPLIQUE-T-ELLE AUX AUDIENCES DU TRIBUNAL?

[3] La question de procédure à trancher est relativement simple, mais le droit à cet égard n'a pas encore été arrêté. La première question qu'il faut se poser est la suivante : la Loi sur la preuve au Canada (L.R.C. 1985, c. C-15, version modifiée) s'applique-t-elle aux audiences du Tribunal?

i) La règle générale

[4] La règle générale veut qu'il faille, si possible, interpréter différentes lois dans un esprit de conciliation. Dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois, Pierre-André Côté écrit :

On suppose qu'il règne, entre les divers textes législatifs adoptés par une même autorité, la même harmonie que celle que l'on trouve entre les différents éléments d'une loi : l'ensemble des lois est censé former un tout cohérent. L'interprète doit donc favoriser l'harmonisation des lois entre elles plutôt que leur contradiction, car le sens de la loi qui produit l'harmonie avec les autres lois est réputé représenter plus fidèlement la pensée de son auteur que celui qui produit des antinomies(1).

Il s'ensuit que nous devrions présumer au départ que l'ensemble des lois et règlements forme un tout cohérent et harmonieux.

[5] Dans la troisième édition de son ouvrage Driedger on the Construction of Statutes, Ruth Sullivan émet une opinion similaire :

[Traduction] La présomption de cohérence et d'harmonie s'applique non seulement aux lois portant sur un même sujet mais aussi, dans une mesure moindre, à l'ensemble des lois adoptées par une législature(2).

À la page 184 de son ouvrage, Mme Sullivan reconnaît le statut particulier des dispositions législatives en matière de droits de la personne, qui [Traduction] ont préséance sur les dispositions législatives ordinaires, dans la mesure où cela est nécessaire pour éviter les contradictions. Cependant, ce principe ne s'applique que dans les cas où des lois se contredisent vraiment.

[6] Nonobstant la présomption générale d'harmonie, nous admettons qu'il est souventes fois impossible de concilier les dispositions de différentes lois. Toutefois, ces cas sont relativement rares. M. Côté a exprimé l'avis suivant :

Les précédents montrent que les tribunaux sont d'une extrême réticence lorsqu'il s'agit de conclure à la contradiction entre deux textes... il y a une présomption forte contre l'abrogation tacite d'un texte par un autre : elle ne doit jamais être encouragée. À l'inverse, toute interprétation qui permet d'éviter les conflits de lois doit être favorisée, car on présume qu'elle a plus de chances de refléter la volonté du législateur rationnel(3).

Puis, à la page suivante, il a poursuivi en ces termes :

D'après une jurisprudence constante, on ne peut conclure au conflit entre deux lois simplement parce que l'une et l'autre occupent le même champ, traitent de la même matière, s'appliquent au même objet : il est en effet possible que les deux traitements soient entièrement conciliables.

Par conséquent, nous devrions favoriser des interprétations harmonieuses de la Loi sur la preuve au Canada et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

ii) L'application de la Loi sur la preuve au Canada à la procédure en matière de droits de la personne

[7] L'article 2 de la Loi sur la preuve au Canada, qui se trouve dans la même partie de la Loi que l'article 7, se lit comme suit :

2. La présente partie s'applique à toutes les procédures pénales et civiles ainsi qu'à toutes les autres matières de compétence fédérale.

Cette terminologie est similaire à celle qu'on retrouve dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. La version anglaise du paragraphe 48.9(1) de la Loi, qui porte sur le déroulement des audiences, fait référence aux proceedings before the Tribunal (procédures devant le Tribunal). Le libellé de l'article 2 est particulièrement inclusif, et le terme procédures civiles englobe normalement les différends juridiques entre employés et employeurs. Tout doute pouvant subsister à cet égard est dissipé par l'ajout des mots toutes les autres matières.

[8] L'usage courant nous conforte dans cette opinion. Ainsi, le Houghton Mifflin Canadian Dictionary of the English Language définit le terme juridique proceeding comme suit : [Traduction] action en justice; litige(4). Nous reconnaissons que c'est dans ce sens-là que ce terme été utilisé dans la Loi sur la preuve au Canada et l'article 48.9 (version anglaise) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il incombe au Tribunal de statuer sur les questions d'admissibilité, d'évaluer la preuve présentée par les parties, de tirer des conclusions de fait et d'assurer l'impartialité de la procédure. Ce sont là autant d'attributs propres au processus judiciaire.

[9] On nous a renvoyés à l'arrêt He c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 76 (C.F., 1re inst.) (QL). Dans cette affaire, la Cour fédérale s'est penchée sur la décision d'un agent des visas qui avait conclu au terme d'une entrevue avec le requérant que ce dernier n'avait pas le droit de demander le statut de résident permanent du Canada. Au paragraphe 14, le juge Teitelbaum écrit :

Une distinction doit être faite entre une instance devant un tribunal administratif et une procédure judiciaire régie par la Loi sur la preuve au Canada. Ainsi que l'a affirmé le ministre intimé, la Loi sur la preuve au Canada s'applique strictement aux procédures judiciaires, et non aux tribunaux administratifs.

Toutefois, comme l'a fait remarquer la Commission, on ne saurait comparer une audience du Tribunal avec une décision d'un fonctionnaire. Une audience se veut surtout un processus décisionnel plutôt qu'administratif.

[10] On ne peut guère contester la position adoptée par la Commission canadienne des droits de la personne, selon laquelle le Tribunal devrait, dans l'exercice de ses pouvoirs en matière de procédure, tenir compte des règles et principes fondamentaux de preuve énoncés dans la Loi sur la preuve au Canada. La Commission se fonde, tout comme nous, sur le caractère général de l'article 2 et soutient que rien n'empêche le Tribunal d'adapter, si nécessaire, les dispositions de la Loi aux besoins de la procédure en matière de droits de la personne. Il n'y a pas de raison que cela entrave le pouvoir du Tribunal d'établir ses propres normes et règles de procédure, s'il y a lieu.

[11] L'objectif général de la Loi sur la preuve au Canada paraît évident. Cette loi énonce un ensemble de principes fondamentaux qui s'applique à n'importe quelle procédure et qui protège, de façon implicite à tout le moins, la cohérence et l'intégrité du système dans son ensemble. Comme l'a fait remarquer la Commission, la Loi sur la preuve au Canada constitue [Traduction] un ensemble de règles de preuve très détaillé et mûrement arrêté, qu'on devrait normalement respecter. Il y a de nombreux avantages à le faire; toutefois, ce qui importe surtout, c'est qu'il s'agit d'une loi d'application générale qui ne devrait être éclipsée que si telle était manifestement l'intention du législateur.

[12] Lorsqu'on examine les différents articles de la Loi sur la preuve au Canada, on constate facilement que celle-ci renferme des dispositions variées. L'article 5 porte sur les déclarations incriminantes. Certaines dispositions traitent du droit d'une partie de contre-interroger ses propres témoins. D'autres dispositions portent sur les témoignages sous affirmation solennelle, le recours aux lois publiées et à des copies certifiées, la preuve relative aux décrets, les documents publics, les actes notariés, les pièces commerciales, etc. L'article 53 a trait aux affidavits recueillis à l'étranger par des fonctionnaires des services diplomatiques. Aucune raison évidente ne justifierait la non-application d'un bon nombre de ces dispositions à une audience relative aux droits de la personne.

[13] Il convient d'ajouter que de nombreuses dispositions visent à rendre la procédure judiciaire plus efficace et pratique et à éviter l'application stricte de règles juridiques et sont, de ce fait, tout à fait conformes à la nature de la procédure relative aux droits de la personne et complémentaires aux audiences prévues par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ce serait néanmoins une erreur que d'étendre la portée de la présente décision au-delà du champ d'application de l'article 7. Aussi laissons-nous à d'autres membres du Tribunal le soin de déterminer, dans les instances où cela s'avérera nécessaire, la pertinence de dispositions particulières par rapport à la procédure relative aux droits de la personne.

iii) L'application des dispositions de nature procédurale de la Loi sur la preuve au Canada

[14] Par ailleurs, on craint que les dispositions de nature procédurale de la Loi sur la preuve au Canada aient une incidence sur les pouvoirs du Tribunal en matière de procédure. Cette crainte est attribuable au fait que beaucoup de dispositions de la Loi ne traitent pas expressément de l'admissibilité de la preuve. Les articles 3 à 16, par exemple, portent sur divers aspects de la Loi relatifs aux témoins. Il y a une différence entre les dispositions sur la preuve, qui régissent l'admissibilité de certaines formes de preuve, et les dispositions de nature procédurale, qui traitent de la façon de présenter la preuve.

[15] Les dispositions ou règles légales qui ont rapport à la contraignabilité des témoins ou à la manière de présenter un témoignage ou une autre preuve sont de nature procédurale plutôt que probatoire. C'est le cas notamment des dispositions ayant trait aux témoins et à certaines restrictions quant au recours à des experts. Dans Porto Seguro c. Belcan S.A. [1996] 2 C.F. 751 (C.A.F.), [1996] A.C.F. no 422 (QL), par exemple, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la règle de la common law empêchant une partie de citer des experts dans une instance dont la Cour de l'Amirauté était saisie. Toutefois, au paragraphe 7, le juge Pratte a formulé des commentaires au sujet de l'article 7, précisant que cet article ne s'applique que dans les cas où la preuve par experts est admissible. Il a donc établi une distinction entre la question de l'admissibilité et la règle énoncée à l'article 7.

[16] La décision rendue par la Cour d'appel dans Porto Seguro a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour suprême du Canada -- [1977] 3 S.C.R. 1278. Dans un jugement unanime, la juge McLachlin (actuellement juge en chef), a soutenu que la règle de la common law empêchant le recours à des témoins experts constituait en soi une règle procédurale. À la page 1286, elle affirme :

À mon avis, il s'agit d'une règle de procédure. C'est une règle portant sur la conduite du procès et non sur les questions litigieuses opposant les parties.

Ce même commentaire est encore plus pertinent dans le cas de l'article 7, qui ne devrait pas être considéré comme énonçant une règle de preuve fondamentale.

[17] Cet élément est pertinent dans le cas qui nous occupe, car on a fait valoir que l'article 7 portait implicitement atteinte aux pouvoirs que confère à un membre instructeur l'alinéa 50(3)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui précise qu'un membre instructeur a le pouvoir :

c) de recevoir, sous réserve des paragraphes (4) et (5), des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu'il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.

Les paragraphes (4) et (5) traitent des questions de privilège et des témoignages des conciliateurs, lesquels ne nous concernent pas. Il est vrai que le libellé de cette disposition est très général et que le mot recevoir est utilisé dans un sens très large : l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada n'empêche toutefois pas un membre instructeur de recevoir le témoignage de témoins experts supplémentaires et exige simplement qu'il examine la question. Les restrictions énoncées à l'article 7 ont trait à la pratique et à la procédure plutôt qu'à l'admissibilité de la preuve et ne dérogent pas aux pouvoirs que l'alinéa 50(3)c) confère à un membre instructeur.

[18] Voilà qui soulève une question d'un autre ordre, à savoir les pouvoirs du Tribunal en matière de procédure. L'intimé a cité l'extrait suivant de l'arrêt Bombardier c. Commission sur les pratiques restrictives de commerce (1980), 48 C.P.R. (2e) 248 (C.F., 1re inst.) (page 256) :

Il est en général admis qu'un tribunal administratif est a priori libre de choisir ses procédures, que la loi lui en donne ou non le pouvoir. On entend dire fréquemment à cet égard qu'il est l'auteur de ses propres procédures, sauf bien entendu lorsque la loi qui le régit prévoit des dispositions expresses en ce qui le concerne.

Il semblerait selon cet extrait qu'un tribunal ne soit pas lié par les dispositions de nature procédurale d'une loi telle que la Loi sur la preuve au Canada.

[19] Dans l'arrêt Bombardier, la Cour s'est exprimée en des termes très généraux, ajoutant aussitôt ce qui suit :

Sauf disposition expresse d'une loi, il est en général admis sans ambiguïté que ces tribunaux ne sont pas tenus de suivre les procédures formelles des cours de justice.

À notre avis, la Cour n'entendait pas donner à penser que les dispositions légales régissant le fonctionnement du Tribunal du point de vue procédural doivent être énoncées dans une seule loi. Aucune raison évidente n'empêche d'énoncer des règles de procédure dans une loi complémentaire.

[20] Il ne fait aucun doute que le Tribunal canadien des droits de la personne est maître de sa propre procédure. Ainsi, le paragraphe 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne se lit comme suit :

48.9(1) L'instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique.

Le Tribunal a le pouvoir d'établir ses propres règles de pratique. Le paragraphe 48.9(2) de la Loi donne au président du Tribunal le pouvoir d'établir des règles de pratique.

[21] Le Tribunal s'est doté d'un ensemble de règles provisoires, qui n'ont pas été publiées en vertu du paragraphe 48.9(3). L'alinéa 6(1) f) des Règles prévoit que chaque partie doit communiquer un avis écrit indiquant :

f) les noms des témoins qu'[elle a] l'intention de faire entendre, y compris les témoins qualifiés d'experts, et un résumé de leur témoignage.

Le paragraphe 6(4) des Règles traite des rapports d'expert, mais il ne précise pas le nombre de témoins experts que chaque partie peut citer.

[22] À l'heure actuelle, le statut des Règles est incertain puisque celles-ci n'ont pas été officiellement publiées. Le paragraphe 48.9(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne dispose que les règles doivent être publiées dans la Gazette du Canada afin de donner aux intéressés la possibilité de présenter des observations à leur sujet. Cependant, on ne sait trop si la publication des Règles aurait modifié la situation, étant donné qu'elles ne précisent pas le nombre de témoins experts qu'une partie peut citer. Il s'agit, par conséquent, de déterminer si la lacune apparente résultant de l'absence de règles est comblée par les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada.

[23] Pour ce faire, il faut examiner les dispositions de la Loi. Toutefois, de façon générale, nous ne croyons pas que les dispositions de nature procédurale de la Loi sur la preuve au Canada doivent déroger aux pouvoirs du Tribunal en matière de procédure. Nous sommes peu disposés à considérer que la Loi sur la preuve au Canada et la Loi canadienne sur les droits de la personne sont contradictoires. Nous préférons adopter la position voulant que les Règles soient complémentaires aux dispositions de la Loi sur la preuve au Canada. Même si le président du Tribunal a clairement le pouvoir d'établir les règles de pratique à suivre pour appeler des témoins experts, nous ne sommes pas persuadés que la Loi sur la preuve au Canada ait jamais été conçue dans le dessein de l'empêcher de le faire.

B. L'ARTICLE 7 DE LA LOI SUR LA PREUVE S'APPLIQUE-T-IL AUX AUDIENCES DU TRIBUNAL?

[24] La question qu'il nous faut trancher a trait à l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada. Tout compte fait, il faut se demander si cet article est complémentaire à la procédure en matière de droits de la personne et aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cela implique d'examiner l'article, qui se lit comme suit :

7. Lorsque, dans un procès ou autre procédure pénale ou civile, le poursuivant ou la défense, ou toute autre partie, se propose d'interroger comme témoins des experts professionnels ou autres autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d'opinion, il ne peut être appelé plus de cinq de ces témoins de chaque côté sans la permission du tribunal, du juge ou de la personne qui préside.

Cet article ne renferme aucune disposition empêchant une partie de citer plus de témoins : il exige simplement que la partie demande la permission et explique pourquoi il est nécessaire d'alourdir ainsi la procédure.

[25] La raison d'être de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada semble sauter aux yeux. Comme Sopinka et Lederman l'ont écrit dans la deuxième édition de leur ouvrage The Law of Evidence in Canada (par. 12.134) :

[Traduction] Ces restrictions qu'énonce la Loi visent à épargner du temps au tribunal tout en reconnaissant le fait que ce n'est pas le nombre d'experts appelés de chaque côté qui déterminera l'issue de l'instance. Elles accordent au juge d'instance le pouvoir discrétionnaire de restreindre le nombre d'experts, afin de ne pas s'exposer à un contrôle en appel à cause du rejet d'éléments de preuve pertinents(5).

Par conséquent, l'article 7 confère au membre instructeur le pouvoir de rejeter des éléments pertinents et probatoires, pour le motif qu'ils revêtent un caractère répétitif ou qu'ils sont inutiles pour trancher l'affaire.

[26] C'est un point délicat. Au paragraphe 12 de la décision R. v. Higgins (citée ci-dessous), le juge Limerick pose la question en ces termes :

[Traduction] Je suis d'avis par ailleurs que cette disposition vise à empêcher qu'on abuse du droit d'appeler des témoins experts. En l'absence d'une telle disposition, une partie pourrait citer autant de témoins qu'elle le désire et le tribunal ne pourrait refuser de les entendre, dans la mesure où leur témoignage est pertinent, sans risquer de prêter le flanc à des allégations voulant qu'il ait rejeté à tort des éléments de preuve.

L'article 7 vise en apparence à établir un équilibre entre deux intérêts opposés. Les parties à l'instance devraient avoir amplement l'occasion de présenter une preuve sur les questions à débattre, mais on ne devrait pas leur permettre de transformer l'instance en un vitrine d'experts.

[27] Nous ne voyons aucunement pourquoi l'article 7 compromettrait la compétence du Tribunal en matière de procédure. Du fait qu'il donne au Tribunal plus d'autorité pour restreindre le nombre d'experts appelés, en dépit de l'admissibilité de leur témoignage, on peut soutenir qu'il accroît ses pouvoirs. Cette autorité accrue est complémentaire aux pouvoirs qu'accorde au Tribunal le paragraphe 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personnes, qui se lit comme suit :

48.9(1) L'instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique.

À notre avis, l'article 7 vise à garantir que l'instruction des plaintes relatives aux droits de la personne se fera de façon expéditive et à améliorer l'efficacité des audiences. Comme la plaignante l'a soutenu, l'assignation de témoins supplémentaires accroît forcément les coûts et retarde l'issue d'une instance, question particulièrement préoccupante en l'espèce.

[28] Dans la pratique, la question est la suivante : la partie qui demande d'assigner un certain nombre de témoins experts doit-elle solliciter la permission ou l'autre partie doit-elle élever une objection? L'article 7 représente un compromis raisonnable. À toutes fins utiles, il donne à l'intimé le droit de citer jusqu'à cinq témoins experts. Il faut tracer la ligne quelque part et nous ne voyons aucunement pourquoi une partie ne devrait pas démontrer pourquoi il est nécessaire de recourir à des experts supplémentaires. L'article repose sur des bases saines du point de vue procédural, car il oblige toutes les parties à l'instance à se pencher sur la question avant de citer les témoins. Cela permet à la partie qui demande la permission de réviser sa liste de témoins, avant leur assignation, en fonction de la décision du tribunal.

C. L'ARTICLE 7 DE LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA FAIT-IL MENTION DU NOMBRE TOTAL DE TÉMOINS QUI PEUVENT ÊTRE CITÉS OU DU NOMBRE DE TÉMOINS QUI POUVENT ÊTRE CITÉS SUR UNE QUESTION DONNÉE?

i) L'arrêt Eli Lilly

[29] On nous a cité un certain nombre de textes faisant autorité en ce qui touche l'interprétation à donner à l'article 7. Le principal point de désaccord entre les parties concerne l'obligation de se conformer à la décision rendue par la Cour fédérale dans Eli Lilly c. Novopharm Ltd. (1997), 147 D.L.R. (4e) 673 (C.F., 1re inst.), une affaire complexe dans laquelle la Cour a entendu une foule de témoins experts et reçu 51 rapports d'expert. Cette cause a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour d'appel fédérale -- [2000] A.C.F. no 2090 (QL) -- et la Cour suprême du Canada -- [2001] A.C.S.C. no 100 (QL), mais ni l'une ni l'autre n'a émis de commentaires au sujet de l'interprétation de l'article 7. La plaignante et la Commission ont soutenu que l'arrêt Eli Lilly représente une décision rendue per incuriam (par inadvertance).

[30] La controverse entre les parties découle des extraits suivants du jugement de la juge Reed, de la Section de première instance :

L'art. 7 a été interprété comme ne s'intéressant qu'aux témoignages d'opinion d'expert et comme limitant à cinq le nombre de témoins par sujet ou par question de fait soulevés dans une cause, non à cinq témoins au total (Buttrum v. Udell, [1925] 3 D.L.R. 45 (C.S. Ont.), Re Scamen v. Canadian Northern Railway Co. (1912), 6 D.L.R. 142 (C.S. Alb. en banc), Fagnan v. Ure, [1958] R.C.S. 377, Hamilton v. Brusnyk (1960), 28 D.L.R. (2d) 600 (C.S. Alb.), R. c. Morin, [1991] A.O. no 2528, B.C. Pea Growers Ltd. c. City of Portgage La Prairie (1963) 43 D.L.R. (2d) 713 (C.B.R. Man.)).

Avant que l'avocat des défenderesses n'appelle un de ses témoins experts, l'avocat des demanderesses s'est inquiété parce qu'il lui semblait que les défenderesses entendaient citer plus que cinq témoins par côté sur une question de fait…(6).

À notre avis, le problème c'est que toutes les parties à l'instance ont présumé qu'il s'agissait là d'un exposé exact du droit.

[31] Or, maintes difficultés se posent en ce qui touche les sources citées par la juge Reed. Comme les parties le savent, la décision rendue dans Buttrum v. Udell a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour d'appel de l'Ontario (1925, 57 O.L.R. 97), qui l'a renversée. En l'occurrence, le litige résultait d'une différence entre les articles pertinents de la Ontario Evidence Act, R.S.O. 1914, et de la Alberta Evidence Act, R.S.A. 1912, c. 87. Comme l'a souligné l'avocate de la plaignante, l'article de la loi albertaine ne renfermait aucune disposition autorisant le tribunal à accorder à une partie la permission de citer plus de trois témoins.

[32] L'article 10 de la loi ontarienne, sur lequel le tribunal s'est penché dans Buttrum, se lisait comme suit :

[Traduction] 10. Lorsqu'une partie se propose d'interroger comme témoins des experts autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d'opinion, il ne peut être appelé plus de trois de ces témoins de chaque côté sans la permission du juge ou de la personne qui préside, ladite permission devant être obtenue avant l'interrogatoire de l'un quelconque de ces témoins.

Dans Buttrum (page 100), le juge Ferguson a rejeté la position énoncée par les tribunaux albertains dans Scamen et soutenu que l'article de la loi ontarienne faisait mention du nombre total de témoignages d'opinion :

[Traduction] … je ferai respectueusement remarquer que le remède proposé par ces tribunaux est pire que le mal proprement dit, et qu'il est de beaucoup préférable que le nombre de ces témoins cités durant un procès soit limité à trois de chaque côté et que le nombre de témoins supplémentaires de ce genre que le tribunal peut, sur demande, permettre de citer ne devrait être limité que par le nombre de questions de fait qui sont susceptibles d'être soulevées dans le cours d'un procès ou qui, selon des arguments raisonnables des avocats, le seront ou l'ont été durant le procès.

Cela permettrait de citer un nombre presque illimité de témoins au cours d'un procès, particulièrement dans une affaire complexe, et priverait le tribunal de son pouvoir de réglementer le déroulement de la procédure.

[33] La source la plus convaincante citée par la juge Reed est Fagnan v. Ure puisqu'il s'agit d'un jugement de la Cour suprême du Canada. Cet arrêt porte sur le même article de la Alberta Evidence Act que celui auquel il est fait référence dans Scamen, bien que l'article en question se retrouve dans une version ultérieure. Cet article se lisait comme suit :

10. Lorsqu'une partie se propose d'interroger comme témoins des experts autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d'opinion, il ne peut être appelé plus de trois de ces témoins de chaque côté.

En réalité, le juge Cartwright a soutenu que c'était une erreur que de qualifier de témoin expert l'un des témoins de la partie demanderesse et il a jugé que l'article en question n'avait pas été enfreint. Il a néanmoins admis que cet article fait mention du nombre de témoins qui peuvent être cités sur une question de fait, plutôt que du nombre total de témoins. À l'appui de sa conclusion, il a invoqué la décision rendue par la Cour suprême de l'Alberta en banc dans l'affaire Scamen.

[34] L'avocate de l'intimé a également cité la décision rendue par la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick dans R. c. Higgins (1979), 28 N.B.R. (2d) 450, ainsi que celle de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick dans R. v. Turner, [1995] N.B.J. No. 534 (QL), et celle de la Cour de l'Ontario (Division générale) dans Gordon v. Snell (1997), 10 C.P.C. (4th) 325. Toutefois, ces décisions s'inspirent simplement du jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans Ure v. Fagnan et n'ajoutent rien à l'analyse. Les jugements du Nouveau-Brunswick traitent par ailleurs de questions criminelles, qui soulèvent des préoccupations d'un tout autre ordre.

[35] Ce n'est pas tout. Dans R. v. Morin, le tribunal acquiesce simplement à la demande de la Couronne de citer 28 experts : bien qu'il fasse en passant mention de l'arrêt Fagnan v. Ure, le tribunal ne fournit pas de lignes directrices quant à l'interprétation à donner à l'article 7. Il est vrai que la décision B.C. Pea Growers porte sur un article de la Manitoba Evidence Act, qui donne au tribunal le pouvoir discrétionnaire de permettre à une partie d'appeler des témoins supplémentaires. Cette décision a toutefois fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour d'appel du Manitoba -- (1964), 49 D.L.R. (2d) 91 --, qui a fait sienne la conclusion du tribunal dans Buttrum et soutenu que la portée des décisions rendues dans Scamen et Fagnan v. Ure devrait être limitée aux dispositions législatives albertaines.

[36] Par conséquent, deux des six décisions citées par la juge Reed n'appuient pas la thèse qu'elle soutient. En fait, elles appuient la thèse contraire. Trois des autres affaires ont trait aux dispositions albertaines, qui diffèrent sensiblement de celles de l'article 7. La décision restante est muette. La plaignante a également invoqué la décision Rex v. Barrs, [1946] 2 D.L.R. 655, dans laquelle la Cour d'appel de l'Alberta elle-même précise (p. 660) que la décision Scamen [Traduction] ne peut s'appliquer à l'article 7 de la Loi fédérale. Les jugements les plus pertinents appuient la théorie opposée qui se dégage de la jurisprudence et portent sur des articles qui permettent à une partie de demander la permission d'appeler des témoins supplémentaires.

[37] On nous a également remis le jugement rendu par la Cour de l'Ontario (Division générale) dans Bank of America v. Montreal Trust (1998), 39 O.R. (3d) 134, [1998] O.J. No. 1524 (QL), dans lequel on examine l'article pertinent de la Loi sur la preuve ( L.R.O. 1990, c. E.23). C'est une décision utile, qui retrace l'historique des affaires Scamen et Fagnan. À la page 138, on y indique que ces décisions [Traduction] devraient être reléguées au cabinet de curiosités, car il s'agit de jugements périmés qui étaient nécessaires pour corriger une bizarrerie historique que contenait la loi albertaine à l'époque.

ii) L'arrêt Eli Lilly a-t-il été rendu per incuriam?

[38] La plaignante a fait valoir que l'arrêt Eli Lilly a été rendu per incuriam. Cette théorie est née de la nécessité d'admettre des exceptions au principe du stare decisis. Dans son ouvrage Rédaction et interprétation des lois, Louis-Philippe Pigeon explique qu'un arrêt per incuriam est un arrêt rendu par oubli(7). Cela est conforme aux éxposés qu'on retrouve dans la jurisprudence.

[39] Le juge Pigeon donne deux exemples d'arrêts rendus per incuriam. Le premier est intéressant en l'espèce. Le juge Pigeon affirme ce qui suit :

D'abord l'arrêt rendu en oubliant de tenir compte d'une décision antérieure à laquelle la doctrine du stare decisis s'applique. Quel que soit le soin que les avocats et les juges puissent mettre à fouiller la jurisprudence, errare humanum est, et il arrive parfois qu'un arrêt ne soit pas indexé de façon à révéler le point qui a été tranché et qu'on oublie. Alors, un arrêt, rendu contrairement à un arrêt antérieur qui devrait être considéré comme binding et dans l'ignorance de cet arrêt-là, c'est-à-dire sans qu'on en parle, doit être considéré comme rendu per incuriam, et donc comme ne faisant pas autorité(8).

C'est là un principe d'interprétation naturel qui permet à des organismes juridiques de remédier à des erreurs relativement évidentes que renferme la jurisprudence.

[40] Il convient d'abord de faire observer que le Tribunal canadien des droits de la personne est d'abord et avant tout un organisme d'enquête factuelle qui est lié par les jugements de la Cour fédérale. Par conséquent, le Tribunal doit faire montre d'une certaine prudence lorsqu'il s'agit de déterminer si une théorie comme celle de l'arrêt per incuriam devrait s'appliquer dans tel ou tel cas particulier. Cette théorie ne devrait s'appliquer que dans le cas d'un oubli manifeste de la part des tribunaux et ne devrait pas être invoquée de manière à miner le principe du stare decisis.

[41] On trouve du côté de la Cour fédérale quelques rares cas où la théorie de l'arrêt per incuriam a été appliquée. Dans Tetzlaff c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1991] 2 C.F. 212 (C.F., 1re inst.), par exemple, le juge Muldoon s'est penché sur la question à savoir si la Saskatchewan Water Corporation pourrait être réintégrée dans sa qualité d'intimée. Il s'agissait d'une question délicate. La Cour d'appel a unanimement décidé de la réintégrer dans sa qualité d'intimée, apparemment après qu'elle ait été rayée à ce titre par la Section de première instance. Le juge Muldoon a néanmoins soutenu que l'arrêt avait été rendu per incuriam, pour le motif que la Cour d'appel n'avait pas invoqué l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, qui limitait la compétence de la Cour aux entités fédérales.

[42] Dans Armstrong Cork c. Domco Industries, [1981] 2 C.F. 510 (QL), la Cour d'appel fédérale s'est demandée si le principe du stare decisis s'appliquait aux tribunaux d'appel intermédiaires. Au paragraphe 19, elle fait sien l'extrait suivant de l'arrêt Murray c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1979] 1 C.F. 518, où la Cour d'appel fédérale fait valoir (aux pages 519 et 520) qu'elle est tenue de se conformer à ses décisions récentes, quel que soit le statut d'un principe comme celui du stare decisis devant une cour d'appel.

... mais devant un arrêt aussi récent et aussi précis de la Cour, j'estime qu'il faut s'y conformer, non pas en raison du principe du stare decisis que la Cour, à mon avis, n'est pas tenue d'appliquer d'une manière rigide, mais bien par souci d'une bonne administration de la justice. Bien entendu, la Cour pourrait écarter les conclusions d'une de ses récentes décisions si la décision ne portait pas sur le même point litigieux ou encore si la Cour était convaincue que cette décision était fondée sur une erreur patente de raisonnement.

Voilà qui semble bien résumer ce qui s'est produit essentiellement dans l'affaire Eli Lilly.

[43] En fin de compte, il s'agit de se demander si l'arrêt Eli Lilly a été rendu per incuriam, sans vraiment consulter la jurisprudence. À la lecture du jugement, il est évident que les avocats dans cette affaire ont essentiellement présumé que l'interprétation de l'article 7 avait été déterminée par la jurisprudence. Cela s'est avéré, en fait, une hypothèse creuse plutôt qu'une interprétation exacte de la jurisprudence. Il est révélateur, dans ce contexte, que la jurisprudence citée dans la décision de la juge Reed n'ait fait l'objet d'aucune analyse. L'examen des décisions citées aurait vite permis de constater l'erreur. Dans les circonstances, il est évident que l'arrêt Eli Lilly ne fait qu'aggraver une erreur que renferme la jurisprudence existante.

[44] Nous ne voyons pas de raison de nous conformer aveuglément à l'arrêt Eli Lilly. Le Tribunal est maître de sa propre procédure. Nous estimons que ce serait une erreur que de recréer dans le domaine des droits de la personne la confusion qui existe actuellement. Par conséquent, nous sommes d'avis que l'arrêt Eli Lilly a été rendu per incuriam et peut être écarté sans risque. Cette opinion s'appuie sur les termes sans équivoque que renferme l'article 7, qui est clair et net, pour reprendre l'expression utilisée par la cour dans Buttrum (précité), à la page 100. Rien dans cet article ne donne à croire qu'on fait référence au nombre de témoins experts qui peuvent être cités sur une question de fait particulière.

III. L'INSTANCE DEVANT LE TRIBUNAL

[45] En conséquence, nous sommes d'avis que l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada s'applique à une audience du Tribunal. On ne devrait pas pour autant permettre que cela entrave la procédure en matière de droits de la personne, et il n'y a pas de raison de se montrer trop formaliste à cet égard. Il est plus important de respecter l'esprit plutôt que la lettre de la Loi, et il peut être suffisant, du moins dans certains cas, qu'aucune des parties ou le membre instructeur ne soulève d'objection à propos des listes de témoins. On pourra se demander à un autre moment si cela constitue une forme de permission implicite.

[46] Il conviendrait de procéder à l'examen de ce genre de question par voie d'avis de motion; toutefois, nous sommes en territoire vierge du point de vue de l'application des Règles provisoires. L'avocate de l'intimé nous a déjà informés qu'elle demandait la permission, si nous estimions que cela était nécessaire. Nous sommes donc prêts à passer outre aux formalités et à faire comme si un avis de motion avait été présenté au Tribunal. L'avis de motion a pour objet d'informer le Tribunal et les autres parties suffisamment à l'avance du point à débattre. En l'occurrence, cela n'est pas nécessaire puisque les autres parties connaissent bien la nature de la demande.

[47] Lorsqu'il doit déterminer s'il convient d'autoriser une partie à citer des témoins experts supplémentaires, le membre instructeur doit se reporter au paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui se lit en partie comme suit :

50(1) . . . il donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter . . . des éléments de preuve ainsi que leurs observations. (C'est nous qui mettons en italique.)

Le texte français va plus loin que la version anglaise correspondante, qui se lit comme suit :

50(1) . . . shall give all parties . . . a full and ample opportunity . . . to appear at the inquiry, present evidence and make representations.

Comme l'intimé l'a fait valoir en reprenant les termes utilisés par la Cour suprême dans l'arrêt Porto Seguro, le tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à ne pas nier le droit fondamental d'une partie d'être entendue.

IV. DÉCISION

[48] Nous avons conclu qu'une partie qui désire appeler plus de cinq témoins experts lors d'une audience doit demander la permission en vertu de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada. Comme nous sommes disposés à tenir pour acquis que nous avons été saisis d'une demande, nous aimerions que la question soit examinée à la prochaine séance. L'intimé a déjà indiqué qu'il était prêt à fournir au Tribunal et aux autres parties une lettre précisant les motifs de l'assignation de chacun des témoins experts ainsi que les questions sur lesquelles porteront leur témoignage. Nous demandons donc que la lettre soit fournie avant le 3 août 2001, soit le vendredi précédant la prochaine séance.

Paul Groarke, président

Athanasios Hadjis, membre

Jacinthe Théberge, membre

OTTAWA (Ontario)

LE 25 JUILLET 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T470/1097

INTITULÉ DE LA CAUSE : Alliance de la fonction publique du Canada c. Ministre du Personnel du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, à titre d'employeur

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

les 4 et 5 juillet 2001

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 25 juillet 2001

ONT COMPARU :

Judith Allen et Elizabeth Drent Au nom de la plaignante

Ian Fine Au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Joy Noonan et Annette Bouzi Au nom de l'intimé

1. Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Éditions Yvon Blais Inc., 1990, p. 323.

2. Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (Toronto et Vancouver : Butterworths, 1994), p. 288.

3. Côté, p. 442.

4. (1969, 1980)

5. John Sopinka, Sidney N. Lederman et Alan W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2d) (Toronto: Butterworths, 1998).

6. Eli Lilly c. Novopharm, précité, p. 714.

7. Louis-Philippe Pigeon, Rédaction et interprétation des lois, Publications du Québec, 1986, p. 101.

8. ibid., pp. 101 et 102.

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