Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTRE DU PERSONNEL DU

GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST,

À TITRE D'EMPLOYEUR

l'intimé

DÉCISION SUR LES DOCUMENTS DE LA SIXIÈME

LISTE DE DOCUMENTS PRIVILÉGIÉS

Décision no 11
2001/11/13

MEMBRES INSTRUCTEURS

Paul Groarke, président

Athanasios Hadjis, membre

Jacinthe Théberge, membre

TRADUCTION

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. ANALYSE

A. PLAN HAY

B. PRIVILÈGE DE NÉGOCIATION COLLECTIVE

III. DÉCISION

I. INTRODUCTION

[1] La plaignante et la Commission ont émis le 24 septembre 2001 un avis de motion contestant un certain nombre de documents énumérés dans la sixième liste de documents privilégiés déposés par l'intimé. Cette liste, qui porte la date du 2 août 2001, a été déposée en preuve (pièce R-135). Les documents pertinents ont été identifiés par les numéros de rangée figurant dans l'avis de motion; ils font partie des rangées 7005 à 7021 et 7023 à 7038, inclusivement.

[2] L'intimé a refusé de divulguer les documents pour le motif que les discussions en vue d'un règlement, les documents internes préparés pour les fins générales du litige et les documents internes relatifs aux négociations collectives sont privilégiés. Les motifs des revendications de privilège applicables à certains documents sont précisés dans un affidavit signé par Gerald Lewis Voytilla, secrétaire du Conseil de gestion financière et contrôleur général du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. L'affidavit, qui a été établi sous serment le 24 septembre 2001, est similaire à ceux qui ont été produits dans le cas des motions antérieures.

[3] Par la suite, l'intimé a reconsidéré sa position puis a retiré sa revendication de privilège à l'égard d'un certain nombre de documents. Le 17 octobre, Me Karayannides a comparu devant le Tribunal; il nous a alors avisé que l'intimé était prêt à renoncer à sa revendication de privilège à l'égard des documents des rangées :

7007;

7011;

7012;

7013, à l'exception des quatrième et cinquième pages;

7014;

7015;

7016, à l'exception de la quatrième page;

7017, à l'exception des 11 dernières pages;

7018, à l'exception de la dernière page;

7019;

7020;

7021;

7023;

7026, à l'exception des pages 12 et 13;

7027;

7029;

7032;

7033;

7034;

7035; et

7037(1)

Nous nous sommes donc bornés à examiner les documents restants.

[4] L'intimé a fourni au Tribunal des copies des documents. Ces documents, qui sont classés par numéro d'onglet, sont regroupés dans trois volumes. En outre, le Tribunal a pu prendre connaissance d'exposés écrits des parties. Dans ses exposés, la plaignante fait valoir un certain nombre d'arguments juridiques. Dans chaque cas, toutefois, elle nous a demandé essentiellement de restreindre la portée de la revendication de privilège de l'intimé afin d'assurer une pleine divulgation. À notre avis, il s'agit dans la plupart des cas d'une question de jugement.

[5] Il y a lieu de mentionner deux points préliminaires. L'intimé a présenté deux ou trois revendications de privilège pour la plupart des documents. Sur le plan technique, nous avons rejeté certaines de ces revendications. Cependant, dans la mesure où les documents en question étaient soumis à un des privilèges, nous avons décidé de ne pas aborder la question. On n'a plus à débattre de ce point.

[6] En outre, le Tribunal désire souligner aux parties à titre d'information qu'il n'a à aucun moment prétendu que des documents pourraient être considérés comme privilégiés ou soustraits pour une autre raison à la divulgation [Traduction] simplement parce qu'ils renferment des aveux, comme l'a indiqué la plaignante au paragraphe 61 de ses exposés écrits. S'il est vrai qu'il a été fait mention de cette question dans l'avis de motion et les exposés écrits, on n'a jamais insisté là-dessus lors des plaidoyers. Nous croyons comprendre que la plaignante souhaite simplement être rassurée à ce sujet.

II. ANALYSE

[7] La plaignante a soutenu que l'affidavit de M. Voytilla est insuffisant. Cela ne semble guère préoccupant en l'espèce puisque nous avons déjà été saisis des documents. Bien que l'affidavit définisse les paramètres généraux des revendications de l'intimé, c'est la teneur des documents qui importe. Comme nous l'avons indiqué dans le passé, nous n'avons pas vraiment eu de difficulté à déterminer les cas où un privilège s'applique. Il s'agit d'exercer son jugement, ce qui ne peut être fait qu'à la lumière des circonstances entourant chaque document.

[8] Nous désirons souligner que le seul point en litige en ce moment, hormis la question des privilèges, est l'obligation pour l'intimé de divulguer les documents. Le critère à cet égard consiste à déterminer si l'on estime que les documents en question sont pertinents en l'espèce. Nous ne nous sommes donc pas prononcés sur leur admissibilité en preuve à l'audience.

A. PLAN HAY

[9] Deux questions nécessitent de plus amples commentaires. D'abord, il y a le plan Hay. Il semble y avoir dans cette instance un différend au sujet de l'importance du plan Hay. L'employeur a soutenu que le syndicat avait convenu, au moment de la ratification de la dernière convention collective, que le plan Hay était également applicable aux hommes et aux femmes. La plaignante exprime des réserves. Il est évident que les conclusions et précisions déposées par l'intimé ne cernent qu'un certain nombre des problèmes entourant l'étude conjointe sur la parité salariale et le plan Willis. Toutefois, la situation a beaucoup évolué au cours de l'audience, et il paraît maintenant évident que l'intimé souhaite se servir du plan Hay pour discréditer l'étude conjointe sur la parité salariale et le plan Willis. L'argument semble être que le plan Hay est supérieur aux deux premiers exercices et fournit une évaluation plus précise de tout écart salarial.

[10] Il s'ensuit que l'efficacité d'un plan dépend logiquement de l'échec des autres. Il appartient aux parties de décider quelle preuve il y a lieu de présenter, et il est trop tôt pour prédire où la preuve nous mènera. Néanmoins, il est évident, à ce stade de l'audience, que la crédibilité de chacun des trois exercices est en cause, du moins implicitement. Par conséquent, on pourrait soutenir que les documents relatifs au plan Hay et au processus interne d'adoption de ce plan sont pertinents en l'espèce, du moins sur le plan de la validité de l'étude conjointe sur la parité salariale.

[11] Il faut établir une distinction entre les mesures prises par le gouvernement dans le cadre de la gestion de sa fonction publique et celles prises dans le contexte d'un litige. On ne doit pas oublier que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest ne pourrait fonctionner en tant qu'important employeur sans un régime de classification des emplois. Lorsque le gouvernement a pris conscience qu'il fallait instaurer un nouveau régime de classification pour régler la question de la parité salariale, il a mis en branle un processus relativement vaste de consultation interne et externe, qui l'a amené à remplacer le régime de classification en place. Il a alors fallu recenser tous les employés de la fonction publique tout en appliquant le système d'évaluation des emplois décrit dans le plan Hay. Il va sans dire que ce fut une énorme tâche, qui a donné lieu à l'établissement d'un grand nombre de documents.

[12] D'autre part, il se peut que certains documents relatifs au plan Hay aient surtout été établis pour les besoins du litige, de la négociation d'un règlement ou de la négociation collective et qu'ils soient par conséquents privilégiés. Nous n'avons pas eu de difficulté à distinguer ces diverses catégories de documents lorsque nous nous sommes penchés sur les documents qui nous ont été soumis. Il y a des documents internes qui portent sur le plan Hay et qui revêtent un caractère nettement stratégique. Ces documents qui traitent du différend et qui peuvent être qualifiés de privés, du fait qu'ils ont été établis à titre confidentiel, ont été rédigés en tenant pour acquis qu'ils ne seraient pas communiqués aux parties adverses.

[13] Les documents que nous divulguons, par ailleurs, ont été établis par l'employeur dans le cours normal de ses activités à ce titre. Ils n'ont pas été rédigés pour les fins du litige et ce n'est qu'accessoirement qu'ils ont rapport aux négociations collectives. Il est vrai qu'ils ont été rédigés dans le contexte du litige général, mais ils n'ont pas été produits pour les fins de celui-ci. Le fait qu'ils puissent avoir eu une certaine utilité pour se préparer à l'audience ou aux négociations collectives est accessoire et n'influe pas sur leur caractère essentiel.

[14] Les documents des onglets 4, 5, 6 et 20 ont été établis dans le cadre de l'adoption du plan Hay. De ce fait, ils font naturellement et nécessairement partie du processus interne que tout grand employeur doit suivre pour apporter des changements aussi fondamentaux à son système de classification des emplois. Le fait qu'un document ait été produit dans le contexte du litige et des commentaires exprimés sur les questions qui ont surgi dans ce contexte n'est pas suffisant. Il doit y avoir un lien de causalité, qu'on ne trouve pas dans les documents que nous divulguons. Ces documents, qui n'ont pas été établis pour les fins du litige, de la négociation collective ou de discussions en vue d'un règlement, n'ont rien de stratégiques en soi.

[15] Nous avons fait droit à la revendication de privilège à l'égard d'autres documents faisant partie des trois volumes que nous avons reçus. Ainsi que nous l'avons reconnu dans les décisions antérieures, chaque partie au litige a droit à une certaine sphère de confidentialité afin de pouvoir évaluer sa stratégie et examiner les options qui s'offrent à elle. Cela est particulièrement vrai dans le cas d'un gouvernement ou d'une grande société, qui doivent s'en remettre aux communications internes entre cadres pour échanger sur ces questions. Le droit reconnaît qu'il est dans l'intérêt public d'avoir les discussions les plus franches possible dans un tel contexte. Cela cadre avec l'objectif général qu'on poursuit dans un litige, soit résoudre les différends le plus efficacement possible.

[16] Nous n'avons pas trouvé difficile de distinguer les documents qui sont assortis d'un privilège relatif à un litige des documents que nous divulguons. Les documents des onglets 23 et 25, par exemple, revêtent un caractère stratégique marqué. Ils ont servi à des consultations internes. Ils satisfont donc aux critères énoncés dans la jurisprudence et au critère Wigmore.

B. PRIVILÈGE DE NÉGOCIATION COLLECTIVE

[17] Le privilège de négociation collective, pour reprendre le terme utilisé par les avocats, pose également problème. Toutes les parties à cette instance ont adopté, au début du processus de divulgation, la position qu'il est important de protéger les relations entre le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et sa fonction publique. Cela suppose de reconnaître qu'il est généralement dans l'intérêt public de protéger l'efficacité du processus de négociation collective. La reconnaissance d'une réalité : [Traduction] qui s'apparente au privilège relatif à un litige protège dans une certaine mesure les relations entre les parties, qu'une divulgation exagérée risquerait de détériorer. L'intérêt public à l'égard de telles relations semble d'autant plus incontournable lorsqu'il est question des négociations collectives entre un gouvernement et sa fonction publique.

[18] De façon générale, nous souscrivons à la position que les différents avocats ont présentée lors des plaidoyers et nous avons fait le nôtre la position des parties. Il est trop tard pour que les parties puissent modifier leur position sans démontrer que des circonstances exceptionnelles les autorisent à le faire. En toute équité, la plaignante semble s'être contentée de l'argument que tout privilège de négociation collective devrait être interprété de façon relativement étroite. Elle a fait valoir deux arguments fondamentaux dans ce contexte. Le premier de ces arguments veut que le privilège de négociation collective ne s'applique qu'aux négociations et non à l'administration de la convention collective.

[19] L'autre argument veut que tout privilège de négociation collective soit limité dans le temps. Au paragraphe 19 de son plaidoyer écrit, la plaignante déclare : [Traduction] Le privilège de négociation collective ne devrait s'appliquer qu'à la ronde de négociations collectives en cours et devrait, comme tout privilège relatif à un litige, s'éteindre avec le différend. Le plaignant a cité trois décisions, qui représentent en apparence la proposition, au paragraphe 21, [Traduction] qu'une négociation collective ou le privilège de relations de travail se rattachent seulement aux différends. Le problème que pose un tel argument est qu'il existe dans le cas qui nous occupe une controverse entre le syndicat et l'employeur à propos de la question de l'équité salariale.

[20] L'historique de cette instance révèle que le différend en matière de parité salariale déborde le cadre d'une seule et même ronde de négociations collectives, quels qu'en soient les résultats. Le syndicat lui-même a prétendu que le plan Hay a été imposé unilatéralement tout en indiquant, du moins implicitement, qu'il a encore le droit de le contester. À notre avis, les restrictions que veut nous imposer la plaignante soulèvent des préoccupations légitimes en ce qui concerne la possibilité d'élargir la définition des différents types de privilège au-delà des paramètres fixés. Il est important de préserver la transparence du processus d'audience, qui aide toutes les parties à établir la vérité.

[21] Cela étant dit, il ne serait pas opportun à notre avis de nous lancer dans une longue discussion au sujet de la portée exacte du privilège de négociation collective dans cette instance. Il ne semble pas y avoir de raison de le faire. La plaignante convient qu'il s'agit de déterminer si les documents satisfont aux critères généraux de Wigmore ainsi qu'aux préoccupations exprimées dans la jurisprudence. Il est donc suffisant de dire que ce sont là les éléments auxquels nous nous sommes attardés lors de l'examen des documents. Il y a peut-être lieu d'ajouter, dans ce contexte, que nous avons évalué l'effet possible de la divulgation sur l'état actuel des relations entre les parties.

[22] Il est devenu évident, durant l'audience, que les questions dont le Tribunal a été saisi sont encore très délicates. De ce fait, les documents internes à caractère stratégique qui pourraient influer sur les relations entre les parties doivent faire l'objet d'une certaine protection de part et d'autre. Nous réitérons du même souffle la position que nous avons adoptée dans notre décision initiale, où nous avons essentiellement reconnu que les aspects sensibles du processus de négociation collective méritent une certaine protection en vertu des critères Wigmore.

III. DÉCISION

[23] Le Tribunal est d'avis que les autres documents qui ont été contestés sont privilégiés.

[24] Le Tribunal ordonne donc à l'intimé de fournir à la plaignante et à la Commission, avant le mercredi 14 novembre, des copies des documents énumérés ci-dessus ainsi que des copies des documents pour lesquels la revendication de privilège a été retirée. Les avocats auront ainsi l'occasion d'examiner les documents avant la conférence de cas qui doit avoir lieu le 21 novembre.

[25] Le Tribunal demandera au registraire de garder tous les documents en lieu sûr d'ici à ce que le processus de divulgation soit terminé.

Paul Groarke, président

Athanasios Hadjis, membre

Jacinthe Théberge, membre

OTTAWA (Ontario)

Le 13 novembre 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL NO : T470/1097

INTITULÉ DE LA CAUSE: Alliance de la fonction publique du Canada c. Ministre du Personnel du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, à titre d'employeur

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

(le 17 octobre 2001)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 13 novembre 2001

ONT COMPARU :

Judith Allen au nom de l'Alliance de la fonction publique du Canada

Ian Fine au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Joy Noonan et George Karayannides au nom du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest

1. Voir la transcription de l'audience, vol. 101, pp. 12194 à 12200.

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