Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence :2025 TCDP 101

Date : Le 10 octobre 2025

Numéro du dossier : HR-DP-2974-23

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Arianna Nolet

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Forces armées canadiennes

la partie intimée

Décision sur requête

Membre : Anthony Morgan

 



I. NATURE DE LA REQUÊTE

[1] La plaignante, Mme Arianna Nolet, a déposé une requête en vue d’obtenir du Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») des ordonnances accordant les mesures de réparation suivantes :

i. une suspension de toutes les mesures de recouvrement prises par la partie intimée, les Forces armées canadiennes (les « FAC »);

ii. une conclusion selon laquelle les mesures de recouvrement des FAC constituent des représailles prima facie au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

iii. une directive à l’intention de la partie intimée afin qu’elle confirme si des renseignements issus de la procédure ont été utilisés à mauvais escient;

iv. un élargissement de la portée de la plainte de manière à ajouter les [traduction] « mesures de recouvrement en guise de représailles » et la [traduction] « représentation du ministère de la Justice par les mêmes avocates dans différentes instances comme preuve supplémentaire de mauvais traitements, de discrimination et de représailles systémiques »;

v. la révocation des avocates des FAC pour [traduction] « conflit d’intérêts, manquement à l’équité procédurale et utilisation abusive de renseignements sensibles ».

[2] La présente décision sur requête traite de la requête de Mme Nolet et des ordonnances sollicitées.

II. DÉCISION

[3] Lors d’une conférence de gestion préparatoire tenue le 23 septembre 2025, j’ai informé les parties de ma décision de rejeter la requête de Mme Nolet. Les motifs de ma décision sont exposés dans les paragraphes qui suivent.

[4] La requête de Mme Nolet est rejetée au motif que le Tribunal n’a pas compétence pour suspendre les mesures de recouvrement prises par les FAC. Le Tribunal n’a pas non plus le pouvoir de conclure à l’existence de représailles prima facie sans qu’une audience sur le fond ait eu lieu. Le Tribunal n’a pas non plus reçu d’éléments de preuve ou de renseignements suffisants pour justifier l’élargissement de la portée de la plainte afin que celle-ci englobe les mesures de recouvrement en guise de représailles. Enfin, selon le Tribunal, il n’y a aucun motif raisonnable pour ordonner la révocation des avocates du ministère de la Justice (MJ) actuellement affectées à ce dossier pour représenter les FAC.

III. CONTEXTE

[5] Mme Nolet est une ancienne membre des FAC. Dans une décision antérieure, Nolet c. Forces armées canadiennes, 2025 TCDP 92 (« Nolet »), j’ai établi la portée de la plainte de Mme Nolet devant le Tribunal. J’ai jugé que la portée de la plainte concerne principalement la période allant d’avril 2020 à novembre 2021 et les allégations de Mme Nolet selon lesquelles les FAC ont fait preuve de discrimination à son égard en cours d’emploi pour des motifs fondés sur le sexe, la déficience ou l’état matrimonial par le traitement défavorable qu’elles lui ont réservé en mettant fin à son emploi et en ne lui fournissant pas un lieu de travail exempt de harcèlement, ce qui contrevient aux articles 7, 10 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « Loi »).

IV. ANALYSE

[6] Je traiterai d’abord de la demande présentée par Mme Nolet pour que le Tribunal élargisse la portée de sa plainte de manière à ajouter les représailles à titre d’acte discriminatoire sur le fondement de ses allégations relatives aux mesures de recouvrement des FAC.

A. La portée de la plainte ne sera pas élargie davantage

[7] Mme Nolet soutient que le Tribunal devrait élargir la portée de sa plainte de manière à ajouter les mesures de recouvrement des FAC parce qu’elles constituent une forme de représailles équivalant à de la discrimination au sens de la Loi.

[8] La requête de Mme Nolet vise à obtenir du Tribunal des ordonnances enjoignant aux FAC de cesser temporairement leurs mesures de recouvrement de la somme de 13 400 $ à l’encontre de Mme Nolet, en rapport avec les fonds que cette dernière a reçus pour un déménagement en juillet 2021, alors qu’elle était encore membre des FAC. Mme Nolet soutient que ces mesures de recouvrement ont été prises le 22 avril 2025 ou vers cette date.

[9] Les mesures de recouvrement des FAC n’ont pas été prises dans le cadre d’une procédure judiciaire ni par l’intermédiaire d’une agence de recouvrement externe. Les renseignements, les éléments de preuve et les arguments présentés au Tribunal indiquent que les FAC n’ont pris ces mesures que par courrier postal et par courrier électronique envoyés à Mme Nolet.

[10] La principale raison invoquée par Mme Nolet pour soutenir que les mesures de recouvrement constituent des représailles est le fait que les FAC ont entamé ces mesures de recouvrement après le dépôt par cette dernière d’une requête visant à élargir la portée de sa plainte, que j’ai traitée dans la décision Nolet c. Forces armées canadiennes 2025 TCDP 92. Elle affirme également que, lorsque les FAC ont pris les mesures de recouvrement en question, elles l’ont fait avec une intensité telle que la situation a déclenché ce qu’elle a qualifié dans ses documents d’épisodes de trouble de stress post-traumatique, ce qui appuie ses allégations de mauvais traitements, de discrimination et de représailles systémiques à l’encontre des FAC.

[11] Pour étayer ces allégations, Mme Nolet a joint à sa requête une facture envoyée par la poste et des courriels qu’elle a reçus du Bureau central de comptabilité ministérielle des Services du revenu des FAC, entre avril et juillet 2025, qui attestent les mesures de recouvrement des FAC. Les documents joints à la requête de Mme Nolet indiquent également que les fonds que les FAC cherchent à recouvrer auprès d’elle lui ont été accordés pour des frais de déménagement en juillet 2021, ce qui correspond à la période visée par la plainte, que j’ai définie dans la décision Nolet comme allant d’avril 2020 à novembre 2021.

[12] Je ne suis pas convaincu que les renseignements et les arguments présentés par Mme Nolet établissent un lien suffisant ou raisonnable avec la portée de la plainte que doit instruire le Tribunal.

[13] Comme je l’ai fait remarquer dans la décision Nolet au paragraphe 58, il doit y avoir un lien suffisant ou raisonnable entre toute nouvelle allégation et la plainte initiale présentée à la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») pour que le Tribunal puisse élargir la portée de la plainte. J’estime que les renseignements dont je dispose actuellement au sujet des mesures prises par les FAC et des dates auxquelles elles l’ont été ne me permettent pas de conclure à l’existence d’un lien suffisant ou raisonnable avec la plainte de Mme Nolet.

[14] La requête de Mme Nolet ne contient pas de faits précis pour appuyer son affirmation selon laquelle les mesures de recouvrement ont été prises parce qu’elle a déposé une plainte au titre de la Loi, ce qui est nécessaire pour étayer une plainte pour représailles suivant l’article 14.1 de la Loi. C’est une autre raison pour laquelle je ne suis pas disposé à élargir la portée de la plainte de Mme Nolet afin qu’elle englobe les mesures de recouvrement.

[15] En outre, dans la récente décision Nolet que j’ai rendue sur la portée de la plainte de Mme Nolet, j’ai déclaré ce qui suit au paragraphe 111 :

D’importantes ressources devront déjà être consacrées à l’audience sur la plainte de Mme Nolet, dont la portée temporelle correspond à la période d’avril 2020 à novembre 2021, ainsi qu’aux allégations qui, comme je l’ai autorisé plus haut, peuvent s’inscrire dans la portée de l’instruction. Malgré l’exclusion des prétentions de Mme Nolet qui se rapportent à une période autre que celle allant d’avril 2020 à novembre 2021, l’audience dans la présente affaire nécessitera certainement plusieurs semaines d’audience, un nombre important de témoins, dont potentiellement des témoins experts, et plusieurs milliers de documents (écrits, vidéo et audio).

[16] J’ai écrit ce qui précède pour souligner l’obligation du Tribunal de maintenir une proportionnalité au cours de la procédure. Au paragraphe 64 de la décision Nolet, j’ai affirmé que le paragraphe 48.9(1) de la Loi et l’article 5 des Règles de pratique du Tribunal, interprétés conjointement, exigent du Tribunal qu’il tienne compte de la proportionnalité. Comme je l’ai expliqué, le Tribunal y parvient en réglant la plainte de façon à éviter que l’instance devienne déraisonnablement ou inutilement complexe, longue ou coûteuse.

[17] Le manque de renseignements et d’éléments de preuve permettant d’établir un lien entre les allégations de Mme Nolet concernant les mesures de recouvrement des FAC et les représailles pour avoir déposé sa plainte initiale m’amène à conclure que la proportionnalité ne serait pas maintenue si le Tribunal acceptait d’élargir la portée de la plainte, comme le demande Mme Nolet.

[18] En fin de compte, je considère la plainte de Mme Nolet concernant les mesures de recouvrement des FAC comme une plainte entièrement nouvelle qui devrait plutôt être déposée auprès de la Commission. Les articles 49 et 50 de la Loi limitent l’instruction du Tribunal aux plaintes qui lui ont été renvoyées par la Commission après que celle-ci a exercé sa fonction d’enquête et d’examen préalable pour les plaintes qui lui ont été présentées au titre de la Loi.

[19] Les mesures de recouvrement des FAC ne s’inscrivent pas dans le contexte d’une plainte dont la Commission a saisi le Tribunal. De plus, je ne trouve pas de fondement adéquat pour conclure qu’il existe un lien raisonnable ou suffisant entre la plainte de Mme Nolet et les mesures de recouvrement des FAC. Par conséquent, je n’ai pas compétence pour statuer sur les mesures de recouvrement des FAC prises contre Mme Nolet.

[20] Bien qu’il soit possible d’ajouter des allégations de représailles à une plainte à un stade ultérieur, j’estime que les circonstances actuelles ne le justifient pas.

B. Le Tribunal n’a pas compétence pour ordonner la suspension des mesures de recouvrement des FAC

[21] Mme Nolet demande également au Tribunal d’ordonner la suspension des mesures de recouvrement prises par les FAC dans l’attente de la décision finale du Tribunal sur le bien-fondé de sa plainte.

[22] Comme je l’ai établi ci-dessus, les allégations de Mme Nolet concernant les mesures de recouvrement des FAC ne font pas partie de la portée de la plainte qui a été renvoyée au Tribunal par la Commission. Ainsi, le Tribunal n’a pas l’autorité ni le pouvoir de rendre des ordonnances ou de donner des directives à la partie intimée en ce qui concerne les mesures de recouvrement qu’elle a prises contre Mme Nolet.

[23] En tant que tribunal administratif, le Tribunal exerce les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi. Celle-ci limite la compétence du Tribunal à statuer sur les plaintes qui lui ont été renvoyées par la Commission. (Voir les art. 49 et 50 de la Loi)

[24] Même si les mesures de recouvrement des FAC faisaient partie de la plainte de Mme Nolet, le Tribunal ne pourrait toujours pas accorder de mesure de réparation à Mme Nolet sous la forme d’un sursis, d’une injonction ou d’une mesure provisoire du type de celle qu’elle demande à ce stade de la procédure.

[25] La Loi ne confère au Tribunal aucun pouvoir lui permettant d’accorder provisoirement une mesure de réparation sous la forme d’un sursis dans l’attente de l’issue d’une instruction. Les pouvoirs du Tribunal en matière de réparation ne visent qu’à assurer le caractère définitif d’une affaire sur le fond. Il s’ensuit que le Tribunal ne peut exercer ses pouvoirs en matière de réparation qu’à l’issue d’une audience, une fois qu’il a conclu que la plainte était fondée. (Art. 53 de la Loi)

C. Le Tribunal ne peut pas conclure à l’existence d’un acte discriminatoire (y compris de représailles) au sens de la Loi sans avoir au préalable procédé à une audience sur le fond

[26] Mme Nolet qualifie les mesures de recouvrement des FAC d’actes de représailles au sens de la Loi et demande au Tribunal de conclure que ces mesures de recouvrement constituent des représailles prima facie.

[27] Aux termes de l’article 14.1 de la Loi, les représailles et la menace de représailles à l’encontre d’une personne qui dépose une plainte auprès de la Commission ou de la victime présumée constituent un acte discriminatoire.

[28] Une conclusion de représailles, même s’il ne s’agit que de représailles prima facie, ne peut être tirée qu’après qu’une telle plainte a été renvoyée par la Commission au Tribunal et que le Tribunal a mené une instruction de la plainte et statué sur celle-ci. L’audience relative à la plainte de Mme Nolet n’a pas commencé et est donc loin d’être terminée.

[29] En outre, la Commission n’a pas renvoyé au Tribunal les allégations de représailles de Mme Nolet en rapport avec les mesures de recouvrement, et je ne suis pas d’accord pour élargir la portée de la plainte afin d’y ajouter les représailles.

[30] Même si le Tribunal concluait que les mesures de recouvrement des FAC équivalaient à des représailles ou que la Commission avait renvoyé une telle plainte au Tribunal, cette décision ne pourrait être rendue qu’après une audience sur le fond.

[31] Pour cette raison, le Tribunal ne peut pas tirer la conclusion demandée par Mme Nolet, à savoir que les mesures de recouvrement des FAC constituent des représailles prima facie.

D. Les avocates du MJ chargées de représenter les FAC dans la présente affaire ne peuvent être révoquées au motif qu’elles représentent également les FAC dans d’autres instances civiles engagées par Mme Nolet

[32] Mme Nolet demande également au Tribunal d’ordonner aux FAC de révoquer les deux avocates du MJ affectées à la présente affaire, car elles représentent également les FAC dans deux instances civiles qu’elle a engagées contre les FAC. Une instance a été engagée en avril 2022 devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. L’autre a été déposée devant la Cour des petites créances de l’Ontario le 3 juillet 2024. Mme Nolet soutient que les avocates des FAC se trouvent dans une situation de conflit d’intérêts parce qu’elles représentent les FAC dans ces trois instances différentes dont les demandes sous-jacentes comportent des faits qui se recoupent en partie.

[33] Mme Nolet soutient que le Tribunal devrait ordonner la révocation des avocates du MJ chargées de représenter les FAC dans la présente affaire parce qu’elles se trouvent dans une situation de conflit d’intérêts du fait qu’elles représentent également les FAC dans les instances civiles qu’elle a engagées contre les FAC devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario et la Cour des petites créances de l’Ontario. Elle soutient que cette représentation crée un [traduction] « grave conflit d’intérêts, un désavantage sur le plan de la procédure et un manquement aux principes de justice naturelle et d’équité ».

[34] Mme Nolet cherche à faire révoquer les avocates représentant le MJ dans la présente affaire pour conflit d’intérêts sur le fondement du critère relatif à l’inhabilité énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt MacDonald Estate c. Martin, [1990] 3 RCS 1235 (MacDonald Estate). Elle s’appuie également sur les principes relatifs à l’inhabilité qui sont énoncés dans l’arrêt R c. Neil, 2002 CSC 70, et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. McKercher LLP, 2013 CSC 39.

[35] La partie intimée soutient que les affaires invoquées par Mme Nolet ne lui permettent pas d’établir l’existence d’un conflit d’intérêts qui justifierait que soit prononcée l’inhabilité des avocates chargées de représenter les FAC devant le Tribunal. En effet, ces affaires indiquent que l’inhabilité ne s’applique pas aux affaires dans lesquelles un avocat représente le même client dans le cadre de différentes instances. Ces affaires illustrent plutôt le fait que l’inhabilité concerne la question de savoir si un avocat dans une instance se trouve dans une situation de conflit d’intérêts par rapport à un ancien client du fait qu’il a reçu précédemment des renseignements confidentiels et protégés par le secret professionnel de l’avocat qui pourraient porter préjudice à cet ancien client. Je suis d’accord avec la partie intimée.

[36] Mme Nolet ne soutient pas que les avocates qu’elle cherche à faire déclarer inhabiles pour représenter les FAC dans la présente affaire se trouvent en situation de conflit d’intérêts du fait qu’elle a déjà été leur cliente. Mme Nolet n’est pas une ancienne cliente et n’a donc jamais été dans une situation où elle devait transmettre aux avocates des FAC des renseignements confidentiels dans le cadre d’une relation avocat-client qui pourraient lui porter préjudice dans la présente affaire devant le Tribunal. Compte tenu de ce qui précède, l’argument de Mme Nolet selon lequel les avocates des FAC devraient être déclarées inhabiles ne peut être retenu.

[37] Même en tenant compte des préoccupations de Mme Nolet au-delà du critère et des principes relatifs à l’inhabilité, je ne suis toujours pas convaincu qu’il serait juste ou approprié de révoquer les avocates des FAC sur la base de l’argument de Mme Nolet selon lequel elles pourraient, dans des instances devant le Tribunal, utiliser de manière inappropriée et à son encontre des documents (y compris des documents confidentiels) obtenus dans d’autres instances engagées en matière civile. Comme la partie intimée le fait valoir dans ses observations, Mme Nolet n’a présenté aucune preuve ni aucun fait important pour étayer l’affirmation selon laquelle il existe un risque ou un cas antérieur d’utilisation inappropriée de ses renseignements confidentiels par les avocates des FAC.

[38] Je rappelle également que, dans les instances devant le Tribunal, il existe un engagement implicite de confidentialité. Ainsi, tout ce que Mme Nolet divulgue dans le cadre de l’instance est assujetti à un engagement implicite de confidentialité de la part des avocates des FAC. Les avocates de la partie intimée sont donc tenues de garder ces renseignements confidentiels et de ne pas les utiliser dans une autre instance. Il en va de même pour les deux instances civiles engagées par Mme Nolet à l’encontre des FAC. (Voir Richards c. Service correctionnel Canada, 2025 TCDP 61, aux par. 18 à 21; et Woodgate et al. c. GRC, 2022 TCDP 36, au par. 8.)

[39] La partie intimée affirme que les seuls documents dont disposent les avocates qui la représentent sont ceux qui lui appartiennent et ceux qui ont été produits par Mme Nolet dans le cadre de ses obligations de divulgation. Les FAC soulignent en outre que tout avocat qui les représente aurait accès à ces mêmes documents de toute façon. Cette affirmation va à l’encontre de l’objectif de Mme Nolet de déclarer inhabiles les avocates actuelles des FAC et vient renforcer la raison pour laquelle la demande de révocation des avocates de Mme Nolet ne devrait pas être accueillie.

[40] Mme Nolet fait valoir d’autres arguments pour justifier la révocation des avocates des FAC de ce dossier; elle soutient notamment que le fait que les FAC sont représentées par les mêmes avocates devant le Tribunal et dans les instances civiles constitue une injustice structurelle à son égard et à l’égard de la procédure du Tribunal. En conséquence, elle ajoute que cette situation exacerbe le déséquilibre des pouvoirs entre elle et les FAC, compromet sa capacité à participer efficacement au processus sur un pied d’égalité et porte atteinte à l’intégrité de la procédure du Tribunal. Mme Nolet fonde ces arguments sur le fait que les FAC sont une partie institutionnelle au litige qui dispose d’un accès beaucoup plus important aux ressources et d’une meilleure connaissance de la procédure judiciaire. La plaignante, en revanche, se définit comme une partie vulnérable au litige, une personne non représentée par un avocat et une survivante présumée d’agression sexuelle commise par un militaire et d’actes de harcèlement et de violence. De plus, elle se définit comme une personne qui tente de s’y retrouver dans cette procédure tout en étant atteinte d’une déficience mentale, à savoir le trouble de stress post-traumatique.

[41] Je reconnais qu’en dépit de l’approche informelle et souple que le Tribunal est en mesure d’adopter pour régler les plaintes, il est souvent très difficile, stressant et lourd pour un plaignant dans la situation de Mme Nolet de défendre ses intérêts dans le cadre du processus de gestion préparatoire du Tribunal qui mène à l’audience et pendant celle-ci.

[42] Toutefois, tout au long de la procédure, Mme Nolet a toujours bénéficié et continue de bénéficier de la garantie prévue à l’article 50 de la Loi, à savoir une possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que ses observations. Au cours de la procédure, Mme Nolet a parfois été représentée par un avocat et, à d’autres moments, comme c’est le cas actuellement, elle a agi pour son propre compte.

[43] Le fait que Mme Nolet exerce maintenant son droit d’agir sans représentation tout en composant avec les difficultés qu’elle a énumérées ne lui permet pas, pas plus qu’il ne permet au Tribunal, de limiter le droit de la partie intimée de désigner l’avocat qui la représente dans le cadre de la présente procédure.

[44] Une procédure devant le Tribunal opposant, d’une part, un plaignant non représenté atteint d’une déficience mentale et, d’autre part, un intimé représenté par un avocat compétent ne rend pas la procédure inéquitable.

[45] En d’autres termes, je ne suis pas convaincu par les arguments de Mme Nolet selon lesquels le fait de ne pas être représentée et de tenter de s’y retrouver dans la procédure du Tribunal tout en étant atteinte d’une déficience mentale justifie que le Tribunal déclare inhabiles les avocates de la partie intimée dans le but de mettre les parties sur un pied d’égalité et de protéger l’intégrité de la procédure du Tribunal. La Loi régissant le Tribunal et les Règles de pratique du Tribunal tiennent compte du fait que les parties devant le Tribunal peuvent agir pour leur propre compte et composer avec différentes difficultés sur le plan social et structurel, tandis que la partie adverse peut être une institution représentée par un avocat. La Loi et les Règles de pratique tiennent compte de cette dynamique qui se manifeste couramment dans les instances devant le Tribunal en permettant à ce dernier d’adopter une approche fondée sur l’égalité réelle afin de régler les plaintes dont il est saisi sans formalisme, et de façon équitable et expéditive.

V. CONCLUSION

[46] La requête de la plaignante est rejetée.

Signée par

Anthony Morgan

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 10 octobre 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-2974-23

Intitulé de la cause : Arianna Nolet c. Forces armées canadiennes

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 10 octobre 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Arianna Nolet , pour son propre compte

Sameha Omer , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Melissa Gratta et Monisha Ambwani , pour la partie intimée

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