Contenu de la décision
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Tribunal canadien |
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Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéros des dossiers :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimé
Décision sur requête
Membre :
I. APERÇU
[1] Le plaignant, Ryan Richards, est un détenu purgeant une peine de ressort fédéral qui est actuellement incarcéré à l’Établissement de Warkworth. Il a déposé six plaintes à la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »). Dans ses quatre premières plaintes, M. Richards allègue que le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), l’intimé, a fait preuve de discrimination à son égard lors de la fourniture d’un service. Avec le consentement des parties, ces plaintes ont été regroupées afin que le Tribunal puisse les instruire ensemble. L’instruction est en cours.
[2] M. Richards a déposé ses cinquième et sixième plaintes pour représailles en 2021 et 2022 (les « plaintes pour représailles »). En 2024, la Commission les a renvoyées au Tribunal. M. Richards allègue que le SCC a exercé des représailles contre lui en raison des plaintes pour atteinte aux droits de la personne qu’il a déposées, ce qui constitue un acte discriminatoire au sens de l’article 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « Loi »).
[3] Après avoir déposé son exposé des précisions dans le cadre des plaintes pour représailles, M. Richards a demandé à le modifier afin d’y inclure des allégations de discrimination fondées sur l’article 5 de la Loi, lequel interdit les actes discriminatoires dans la fourniture de services (la « modification proposée »). La Commission partage l’avis de M. Richards et estime que la modification proposée ne causera aucun préjudice au SCC. Le SCC s’oppose à la demande et soutient que la modification a pour effet d’introduire une plainte fondamentalement différente, fondée sur un acte discriminatoire distinct, et qu’elle entraînera de longs délais, causera préjudice au SCC et nuira au déroulement de la procédure.
II. DÉCISION
[4] Je rejette la demande qu’a présentée M. Richards dans le but de modifier ses plaintes. Je procède également au regroupement des dossiers relatifs aux représailles afin qu’ils soient instruits ensemble. Des directives additionnelles ont été communiquées aux parties à l’égard de certaines questions relatives à la gestion de l’instance toujours en suspens.
III. REGROUPEMENT DES DOSSIERS
[5] M. Richards s’est initialement opposé au regroupement des plaintes pour représailles et a déclaré qu’il n’accepterait le regroupement que si les allégations dont j’avais ordonné la radiation du dossier HP-DP-3025-24 étaient intégrées à la plainte HR-DP-2999-24 (2025 TCDP 5). J’ai imparti un délai à M. Richards pour qu’il précise sa position, et aux autres parties pour qu’elles présentent leurs réponses et fassent connaître leur position quant à la possibilité de regrouper les plaintes pour représailles.
[6] M. Richards a retiré sa demande visant à ajouter au dossier HR-DP-2999-24 les allégations qui avaient été radiées. Les parties consentent à ce que les dossiers soient regroupés et je reconnais qu’il convient de les instruire conjointement.
[7] À mon avis, regrouper les dossiers permettra d’éviter la multiplicité des instances, la répétition de la preuve et le chevauchement des témoins, et ce, sans causer de préjudice aux parties (Lattey c. Compagnie de Chemin de fer Canadien Pacifique, 2002 CanLII 45928, aux par. 11-13). Les plaintes soulèvent des questions communes de droit et de fait puisqu’elles portent toutes deux sur des allégations de représailles fondées sur l’article 14.1 de la Loi. À mon avis, le regroupement des plaintes contribue à assurer une instruction rapide et équitable devant le Tribunal (par. 48.9(1) de la Loi).
[8] Par ailleurs, le fait de regrouper les plaintes pour représailles ne change en rien la nature et la portée des allégations qui figurent à bon droit dans chacun des dossiers.
IV. DEMANDE DE MODIFICATION
A. CADRE JURIDIQUE
[9] Le Tribunal doit donner aux parties la possibilité pleine et entière de présenter des éléments de preuve et leurs observations à l’égard des questions soulevées dans la plainte (au par. 50(1) de la Loi).
[10] La compétence du Tribunal se limite à la portée de la plainte initialement déposée auprès de la Commission et à la décision que prend cette dernière lorsqu’elle lui renvoie la plainte pour instruction (Connors c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 6, aux par. 27‑28). Le Tribunal peut modifier, clarifier et déterminer la portée d’une plainte afin d’établir quelles sont les véritables questions en litige entre les parties, pourvu que la modification soit liée à la plainte initiale et que les autres parties n’en subissent aucun préjudice (Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313, aux par. 30 et 40 [Parent]; Mohamed c. Banque Royale du Canada, 2023 TCDP 20, au par. 7). Le rôle du Tribunal est d’instruire les plaintes que lui renvoie la Commission (voir les articles 40 et 49 et le paragraphe 44(3) de la Loi).
[11] Les modifications ne peuvent pas servir à introduire une plainte fondamentalement nouvelle, qui n’a pas été examinée par la Commission, étant donné que cela contournerait le processus de renvoi prévu par la Loi (Richards c. Service correctionnel Canada, 2025 TCDP 5, au par. 10 [décision sur la portée de la plainte]). Le fond de la plainte originale et le mandat de la Commission doivent être respectés (Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6, au par. 7).
[12] Un acte de représailles constitue un acte discriminatoire distinct (Première Nation Millbrook c. Tabor, 2016 CF 894, au par. 60 [Millbrook]). Un plaignant qui allègue une violation de l’article 14.1 de la Loi doit établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une preuve prima facie de représailles en montrant a) qu’il a antérieurement déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne en vertu de la Loi; b) qu’il a subi un effet préjudiciable par suite du dépôt de sa plainte; c) que cette plainte a constitué un facteur dans le traitement défavorable dont il a fait l’objet. Le critère appliqué dans les cas de représailles n’est pas purement ou totalement subjectif parce qu’il doit quand même y avoir une perception raisonnable que des représailles ont été exercées. Il faut à tout le moins prouver qu’il est raisonnable pour le plaignant de penser qu’il y a eu représailles, et c’est ce qui injecte l’élément objectif nécessaire dans le critère applicable (Millbrook, aux par. 26, 62-64).
B. MOTIFS
[13] Je rejette la demande de M. Richards visant à modifier les plaintes pour représailles afin d’y ajouter des allégations selon lesquelles le SCC a commis un acte discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi.
(i) La modification proposée constitue un acte discriminatoire différent et a pour effet d’éloigner l’analyse des allégations principales de représailles
[14] Le SCC soutient que le processus d’instruction du Tribunal « ne doit pas ressembler à un voyage perpétuel du Vaisseau fantôme, dont l’équipage est condamné à errer sans fin sur les mers, sans destination précise », citant Bande indienne des Lax Kw'alaams c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 56, [2011] 3 R.C.S. 535, au par. 41).
[15] Je suis du même avis. Les plaintes ne sont pas des cibles en mouvement, et le Tribunal doit respecter le régime législatif de la Loi (voir aussi la décision sur la portée de la plainte, au par. 16). M. Richards a déposé ses plaintes en vertu de l’article 14.1 de la Loi en 2021 et 2022, et ses allégations — des 3 ou 4 dernières années — sont fondées sur des représailles qu’il aurait subies de la part du SCC. M. Richards n’a déposé aucune plainte dans laquelle il allègue que le SCC a, sur la base d’un motif de distinction illicite, fait preuve de discrimination à son égard dans la fourniture de services. Il n’a pas demandé à modifier ses plaintes dans les années où celles-ci étaient devant la Commission ni rédigé son exposé des précisions de manière à y inclure des allégations fondées sur l’article 5.
[16] Comme la Commission et le SCC l’ont indiqué dans leur exposé des précisions, les représailles constituent un acte discriminatoire distinct (Millbrook, au par. 60). En fait, les plaintes pour représailles ne sont pas fondées sur un motif de distinction illicite, mais plutôt sur une plainte antérieure pour atteinte aux droits de la personne (voir art. 14.1 et Millbrook, aux par. 26, 60).
[17] Dans la décision sur la portée de la plainte, on peut lire que le Tribunal peut certes faire preuve de souplesse dans son évaluation des limites d’une plainte compte tenu de la nature réparatrice de la Loi et de son mandat consistant à examiner les véritables questions en litige entre les parties, mais que la portée d’une plainte ne peut pas sans cesse être élargie et que de nouvelles allégations, auxquelles l’intimé devra répondre, ne peuvent pas continuellement y être ajoutées, sous le couvert de la précision, de la clarification ou du contexte. Une telle façon de procéder non seulement serait injuste pour l’intimé dans l’affaire en question, mais minerait le cadre législatif en permettant à une partie de contourner le processus de la Commission et d’ajouter ce qui constituerait essentiellement une nouvelle plainte à l’étape du dépôt de l’exposé des précisions (décision sur la portée de la plainte, au par. 16).
[18] Pourtant, dans ses observations en réplique, M. Richards confirme que la modification qu’il propose aurait précisément cet effet : élargir la portée de l’instruction, modifier le fondement juridique de l’affaire et la thèse sur laquelle elle repose, et transformer la nature fondamentale des plaintes pour représailles qu’il a déposées. Par exemple, M. Richards soutient que si je n’accepte pas la modification proposée, [traduction] « l’instruction du Tribunal risque d’être artificiellement limitée à la question de savoir si certains actes précis constituaient des représailles ». Il affirme en outre que, si je permets que des allégations fondées sur l’article 5 soient ajoutées, je pourrai [traduction] « me pencher sur la question de savoir si la conduite de l’intimé témoigne d’une discrimination systémique [...] et je pourrai proposer des réparations appropriées afin de régler non seulement les problèmes de représailles, mais aussi ceux de discrimination institutionnelle ».
[19] La Commission s’appuie sur la décision Parent, au paragraphe 30, pour faire valoir que le Tribunal devrait autoriser la modification à quelque stade que ce soit dans le but de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties. Or, la « véritable question litigieuse » est de savoir si le SCC a exercé des représailles à l’égard de M. Richards. La modification proposée ne permet pas de trancher cette question et substitue à la question fondamentale des représailles une nouvelle thèse basée sur un critère et un fondement juridiques différents. Je suis d’accord avec la Commission pour dire qu’il m’incombe d’examiner [traduction] « l’ensemble des questions soulevées dans les plaintes », c’est-à-dire, en l’espèce, l’ensemble des allégations de représailles. Comme le soutient le SCC, il ressort clairement des exposés des précisions de M. Richards et de la Commission que la plainte porte sur les représailles que le SCC aurait exercées à l’égard de M. Richards du fait qu’il avait déposé des plaintes pour atteinte aux droits de la personne.
[20] La Commission reconnaît que les modifications proposées doivent rester étroitement liées à la plainte initiale et, pour être autorisées, elles doivent avoir un lien factuel et juridique clair avec les allégations existantes. Elle soutient également qu’une modification dépasse les limites lorsqu’elle a pour effet d’introduire une nouvelle plainte qui n’a rien à voir avec la plainte initiale et que, dans un tel cas, le Tribunal n’a pas compétence puisque la Commission ne peut pas avoir demandé à ce que cette nouvelle plainte soit instruite.
[21] Je suis d’accord avec la Commission sur ces points. Il est possible de clarifier ou de raffiner le contenu de l’exposé des précisions, mais à mon sens, la modification proposée dépasse les limites puisqu’elle vient modifier le fondement juridique des plaintes pour représailles que M. Richards a déposées et que la Commission a renvoyées pour instruction.
[22] Comme le soutient le SCC, M. Richards présente essentiellement de nouvelles plaintes dans lesquelles il allègue avoir été victime d’un autre acte discriminatoire, et ce, sans préciser les détails, mais en invoquant une liste d’au moins dix différents enjeux : recours à la force, unités d’intervention structurées, interactions avec le personnel, accès aux soins de santé, gestion de la COVID-19 par le SCC et transfèrements entre établissements. D’après la modification proposée, chacune des allégations pourrait aussi faire l’objet d’un examen au regard de l’article 5 de la Loi, notamment pour discrimination personnelle et discrimination systémique, ce qui aurait pour effet de fondamentalement transformer les plaintes pour représailles.
[23] M. Richards a déposé quatre plaintes en vertu de l’article 5 de la Loi, mais il a choisi de déposer les plaintes pour représailles sur la base de l’article 14.1, tout comme son exposé des précisions. Le Tribunal est donc autorisé à instruire les plaintes déposées sur cette base, et il est bien établi qu’il n’appartient pas au Tribunal de contourner le processus d’examen et de renvoi de la Commission. Le Tribunal tire sa compétence des décisions de renvoi de la Commission. Je ne peux pas transformer les plaintes pour représailles renvoyées par la Commission en plaintes pour discrimination dans la fourniture de services, même si les faits qui sous-tendent les plaintes sont les mêmes. Bien que M. Richards et la Commission semblent vouloir minimiser la modification proposée, comme s’il s’agissait uniquement de remplacer une disposition législative par une autre plus « appropriée », il ne s’agit pas simplement de répéter les mêmes faits ou de préciser une plainte. Les représailles constituent un acte discriminatoire tout à fait distinct qui n’a aucun lien avec une caractéristique protégée. Ce que demande M. Richards, c’est d’ignorer le fait que, voici trois ou quatre ans, il a déposé des plaintes dans lesquelles il défendait une certaine thèse, alors qu’il souhaite maintenant en élargir la portée et y ajouter un acte discriminatoire qui n’a jamais été porté à l’attention de la Commission.
[24] La Commission fait valoir que le Tribunal adopte une approche souple en matière de modifications et que la Loi prescrit une approche libérale afin que les procédures soient équitables, efficaces et pas trop formalistes. Elle affirme que le Tribunal ne devrait pas être limité par des formalités procédurales et qu’il doit promouvoir l’équité et s’en remettre à son large pouvoir discrétionnaire pour gérer efficacement les instances. La Commission s’appuie en outre sur la décision Wight v. Ontario, 1994 CanLII 18432 (ON HRT), au par. 31, adoptée dans Jeffrey v. Dofasco Inc., 2000 CanLII 20864 (ON HRT), pour affirmer que, comme les instances tenues devant le Tribunal sont des instances de novo, le Tribunal n’est pas tenu de se limiter aux motifs ou aux allégations formulés dans la plainte. Il doit déterminer s’il y a eu violation d’un droit, peu importe le motif, qu’il soit ou non invoqué dans la plainte.
[25] Je ne suis pas de cet avis. Il n’est pas « trop formaliste » ni « procédural » de respecter la Loi. Si le Tribunal acceptait la modification proposée, il outrepasserait le pouvoir qui lui est conféré par la Loi, laquelle définit et limite sa compétence. La Commission cite les décisions Wight et Dofasco, mais ces décisions, datant respectivement de 1994 et 2000, ont été rendues par la Commission d’enquête de l’Ontario, qui a été remplacée par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. Elles ne permettent pas de statuer sur une requête présentée en vertu d’un autre régime législatif, à savoir la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans ni l’une ni l’autre de ces décisions, il n’est question d’une demande visant à ajouter à une plainte pour représailles des allégations de discrimination dans la fourniture de services. De plus, bien que le décideur ait autorisé les modifications dans ces affaires, je suis tenue par la loi de veiller à ce que l’instruction soit équitable et qu’elle se déroule aussi rapidement que le permettent les exigences de justice naturelle et les règles de pratique.
[26] À mon avis, M. Richards doit également s’en tenir à une certaine thèse. Je ne peux accepter que, dans le cadre d’une interprétation large et libérale de la Loi, un plaignant puisse à tout moment modifier l’objet et la portée de l’instance, sans se soucier des conséquences pour les autres parties et pour l’intégrité de la procédure.
[27] Je ne peux pas non plus accepter que la modification proposée reflète des [traduction] « questions déjà soulevées dans les actes de procédure », comme le soutient la Commission. Les paragraphes extraits des exposés des précisions des parties sur lesquels s’appuie la Commission traitent de la demande de réparation présentée par M. Richards dans le dossier HR-DP-3025, qu’il a déposée pour la première fois en février 2025, après avoir reçu l’ordre de préciser les mesures de réparation sollicitées (décision sur la portée de la plainte, au par. 67). À ce moment-là, pour la première fois, il a mentionné d’autres actes discriminatoires, à savoir ceux visés aux articles 5 (services) et 14 (harcèlement, pour lequel il ne demande pas de modification), afin d’obtenir une indemnité financière supplémentaire, entre autres choses. Toutefois, comme il est indiqué précédemment, ni son exposé des précisions ni celui de la Commission ne contiennent d’allégations fondées sur l’article 5.
(ii) Autoriser la modification proposée ne favorise pas l’efficacité et l’équité et entraînera des délais, causera préjudice au SCC et nuira au déroulement de la procédure
[28] Dans ses observations en réplique, M. Richards fait valoir que la modification proposée vise à favoriser [traduction] « la clarté et l’efficacité, et non pas à être source de distraction ». Il soutient que les mises en garde que j’ai formulées précédemment contre les litiges longs et vagues mettent en évidence les raisons pour lesquelles je devrais autoriser la modification proposée, et que ne pas l’autoriser pourrait entraîner une inefficacité et un dédoublement des procédures puisqu’il serait alors contraint de déposer une autre plainte en vertu de l’article 5.
[29] Je ne souscris pas à l’argument de M. Richards selon lequel l’adoption de la modification proposée favoriserait l’efficacité et l’équité du processus d’audience. Comme je l’ai indiqué dans la décision sur la portée de la plainte, le fait de permettre que la portée de la plainte soit sans cesse élargie, et qu’elle soit modifiée au fur et à mesure que le plaignant — ou la Commission — modifie sa thèse, est également contraire à l’exigence de la Loi selon laquelle il convient d’instruire les plaintes de façon expéditive et équitable. Le fait d’autoriser la présentation d’allégations qui ne sont pas liées à la plainte rallongerait indûment le processus d’audience, ce qui aurait une incidence non seulement sur les parties en cause, mais aussi sur toute autre personne en attente de voir sa plainte instruite par le Tribunal (décision sur la portée de la plainte, au par. 16).
[30] De plus, M. Richards n’a fourni aucun détail sur la façon dont les nombreuses allégations qu’il a faites en vertu de l’article14.1 seraient désormais formulées en vertu de l’article 5, ni sur le fait de savoir si toutes ses allégations de représailles constituent également des allégations de discrimination fondée sur une ou plusieurs caractéristiques protégées. Dans sa requête, il ne dit pratiquement rien, si ce n’est qu’il souhaite ajouter des allégations fondées sur l’article 5 afin de clarifier sa plainte, et il évoque, de manière vague et générale, les [traduction] « diverses formes de discrimination » dont il aurait été victime.
[31] Le SCC a raison de dire qu’il ne connaît pas la preuve qu’il doit réfuter et qu’il n’appartient pas à l’intimé de deviner comment l’article 5 de la Loi s’appliquerait aux allégations sous-jacentes. Ce n’est pas promouvoir l’« équité », comme le prétend M. Richards. Les plaintes pour représailles contiennent collectivement plus de 25 allégations, et il n’est pas précisé dans la requête comment les allégations de discrimination dans la fourniture de services seraient désormais formulées.
[32] Élargir la portée des plaintes des années après que M. Richard les ait déposées porterait préjudice au SCC et nuirait au déroulement de la procédure. Non seulement le Tribunal ne peut pas contourner le processus mis en œuvre par la Commission en permettant que soit déposée une plainte qui, à mon avis, est fondamentalement différente, mais il serait également injuste de permettre que soit modifié le fondement de la plainte plusieurs années après que M. Richards eut déposé ses plaintes pour représailles, et après que les exposés des précisions eurent été déposés.
[33] La Commission soutient que la modification proposée ne risque pas de surprendre le SCC ni de lui porter préjudice et qu’elle vise à apporter, [traduction] « en temps opportun, des précisions nécessaires sur les questions dont est saisi le Tribunal ». Je rejette cet argument. La modification proposée introduit un nouveau fondement juridique qui n’avait ni été mentionné ni précisé auparavant par M. Richards ou la Commission. Comme je l’ai indiqué précédemment, M. Richards a mentionné pour la première fois l’article 5 en février 2025, lorsqu’il a demandé des mesures de réparation en vertu de cette disposition, en plus des mesures de réparation qu’il avait sollicitées en vertu des articles 14 et 14.1, mais il n’a fait aucune allégation fondée sur l’article 5 dans son exposé des précisions.
[34] Le SCC s’appuie sur la décision Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2021 TDCP 2, au par. 140, pour faire valoir qu’il n’a pas eu, au stade de la Commission, la possibilité de se prévaloir des mécanismes prévus par la Loi pour répondre aux allégations selon lesquelles il aurait fait preuve, à l’égard de M. Richards, de discrimination fondée sur une caractéristique protégée dans la fourniture de services. Il soutient qu’il est impossible de réparer le préjudice.
[35] Je suis du même avis. Comme je l’ai déjà indiqué, modifier les plaintes pour y ajouter un nouvel acte discriminatoire n’est pas simplement une modification d’ordre technique. En effet, une telle modification aurait pour effet de contourner le cadre législatif et serait inéquitable pour l’intimé puisque celui-ci n’aurait pas eu la possibilité de répondre à ces allégations devant la Commission.
[36] Enfin, modifier la plainte dans le but de présenter une nouvelle thèse et un autre fondement pour ces allégations entraînerait inévitablement un délai considérable. Les parties devraient alors modifier leur exposé des précisions afin d’y inclure des détails sur ce nouvel acte discriminatoire, sur les nouveaux moyens de défense invoqués et peut-être même sur de nouveaux documents à communiquer, sur les nouveaux témoins et sur la possibilité de présenter une preuve d’expert.
V. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES EN SUSPENS ET PROCHAINES ÉTAPES
[37] Dans le cadre de la gestion de l’instance, j’ai demandé aux parties de parvenir à un accord sur trois points :
1. les demandes de communication présentées par M. Richards;
2. la demande du SCC visant à obtenir des précisions sur l’allégation d’[traduction] « abus et de représailles de la part du personnel »;
3. la proposition du SCC de scinder l’instance afin de traiter séparément de la responsabilité et des mesures de réparation.
[38] J’ai également demandé aux parties de revoir leurs listes de témoins et leurs estimations de temps, et je leur ai dit que je déterminerais la nouvelle date à laquelle elles devraient s’être concertées et avoir dressé ces listes une fois que j’aurais tranché la question du regroupement des plaintes pour représailles. Je leur ai aussi demandé d’indiquer leur préférence quant au mode d’audience.
[39] Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre sur les points susmentionnés. Je donne donc quelques instructions ci-dessous et je traiterai les autres points à la prochaine conférence de gestion préparatoire ou par écrit.
A. Les demandes de communication présentées par M. Richards
[40] M. Richards est d’avis que le SCC n’a pas fourni tous les documents potentiellement pertinents. Dans une communication datée du 18 août 2025, son représentant, M. Karas, semble confondre la présente instance avec celle qui concerne les quatre premières plaintes de M. Richards. On ne sait pas exactement quels documents, le cas échéant, M. Richards reproche au SCC de ne pas avoir communiqués en rapport avec les plaintes pour représailles. Si ce point demeure litigieux, M. Richards est tenu d’informer le Tribunal et les autres parties au plus tard le 22 septembre 2025 et d’indiquer clairement quels documents, selon lui, n’ont pas été communiqués par le SCC.
B. Les listes des témoins
[41] Le 26 juin 2025, le Tribunal a ordonné aux parties de commencer à préparer la liste et d’y indiquer une estimation du temps nécessaire pour chaque témoin et le nombre total de jours d’audience proposés. Le plaignant a omis d’inscrire son nom sur sa liste, et la Commission n’a pas fourni d’estimation du temps nécessaire pour plusieurs témoins. Ni M. Richards ni la Commission n’ont fourni une estimation du temps total nécessaire à l’audience. La Commission n’a pas non plus confirmé si elle avait l’intention de faire appel à un expert, comme cela lui avait été demandé.
[42] J’ai également rappelé que l’audience ne pouvait pas durer indéfiniment et que les parties devaient s’efforcer de rendre le processus plus efficace, notamment en réduisant le nombre de jours d’audience et la liste des témoins, le cas échéant. J’ai informé les parties que je leur demanderais de proposer des moyens d’y parvenir. J’ai indiqué aux parties qu’elles sont tenues de travailler à la réalisation de cet objectif, par exemple en utilisant une preuve par affidavit ou en adoptant des déclarations détaillées de témoins.
[43] Comme les plaintes pour représailles sont maintenant regroupées et que j’ai statué sur la demande qu’a présentée M. Richards dans le but de modifier ses plaintes, les parties sont invitées à examiner, compléter et regrouper les listes de témoins qu’elles ont précédemment soumises au plus tard le 22 septembre 2025. Une fois que j’aurai reçu les listes des témoins et les estimations du temps nécessaire à l’audience, je donnerai des instructions supplémentaires et demanderai aux parties de soumettre leurs idées pour réduire la durée de l’audience.
C. Le mode d’audience privilégié des parties
[44] Le représentant de M. Richards a indiqué qu’il préférait procéder par voie d’audience virtuelle alors que M. Richards aimerait assister à l’audience en personne. La Commission et le SCC préféreraient aussi participer à distance. La Commission a indiqué que M. Richards pourrait se rendre en personne au Tribunal, tandis que tous les autres participants, y compris le représentant de M. Richards, pourraient participer à l’audience de façon virtuelle.
[45] Le Tribunal réexaminera le mode d’audience avec les parties à la prochaine conférence de gestion préparatoire.
VI. ORDONNANCE
[46] Les dossiers HR-DP-2999-24 et HR-3025-24 sont réunis et ils seront instruits conjointement. Le greffe du Tribunal modifiera ses dossiers en conséquence.
[47] La requête de M. Richards est rejetée.
[48] M. Richards doit informer les autres parties et le Tribunal au plus tard le 22 septembre 2025 si des questions relatives à la communication de la preuve demeurent en suspens, en indiquant clairement ce qui, selon lui, reste à communiquer en ce qui concerne uniquement les plaintes pour représailles.
[49] Les parties sont tenues de soumettre leurs listes de témoins révisées, comme indiqué ci-dessus, au plus tard le 22 septembre 2025.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéros des dossiers du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :
Ikram Warsame et Sameha Omer, pour la Commission canadienne des droits de la personne