Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 98

Date : Le 26 septembre 2025

Numéro du dossier : HR-DP-3111-25

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Hume Gunn

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

International Longshore and Warehouse Union, section locale 500

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Jo-Anne Pickel

I. APERÇU

[1] Pour les motifs exposés ci-après, je rejette la requête présentée par l’intimé, l’International Longshore and Warehouse Union, section locale 500, visant la mise en suspens de la plainte dans la présente affaire en attendant l’issue du contrôle judiciaire qu’il a sollicité dans une autre affaire.

[2] Le plaignant, Hume Gunn, est membre du syndicat intimé. Au moment où il a déposé la plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »), M. Gunn était âgé de 71 ou 72 ans. Il recevait alors une pension au titre du régime de pension de l’industrie portuaire (le « régime de pension »), mais souhaitait continuer à travailler jusqu’à au moins 76 ans.

[3] Le plaignant soutient que les règles de répartition du travail de l’intimé constituent à son égard de la discrimination fondée sur son âge, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »). Deux des politiques de l’intimé sont au cœur de la plainte : la règle de répartition du travail visant les pensionnés (la « règle de répartition ») et la règle d’uniformisation visant les pensionnés (la « règle d’uniformisation »). Aux termes de la règle de répartition, les employés qui choisissent de toucher des prestations de retraite ne peuvent pas se voir attribuer de travail tant que tous les employés non pensionnés n’en ont pas reçu. La règle d’uniformisation rend la règle de répartition applicable non seulement aux travailleurs qui choisissent de recevoir une pension, mais aussi aux travailleurs qui sont contraints par la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) à commencer à toucher des prestations de retraite lorsqu’ils atteignent l’âge de 71 ans. En plus de contester les procédures de répartition de l’intimé, le plaignant allègue que certains représentants ou membres du syndicat lui ont fait des commentaires liés à son âge qui constituaient du harcèlement.

[4] Un autre membre du Tribunal a tranché une plainte qui soulevait essentiellement la même question concernant la règle de répartition et la règle d’uniformisation, dans la décision Sidhu et Kopeck c. International Longshore and Warehouse Union, section locale 500, 2025 TCDP 11 [Sidhu et Kopeck]. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les faits des deux affaires sont essentiellement les mêmes ou s’ils diffèrent légèrement. Or, je ne pense pas que les différences factuelles, le cas échéant, soient pertinentes dans le contexte de la présente requête. Dans la décision Sidhu et Kopeck, le membre a accepté de scinder l’instance et de rendre une décision sur le bien-fondé avant de se pencher sur les autres questions en litige dans le dossier. Dans sa décision sur le bien-fondé, il a conclu que la mise en œuvre de la règle de répartition et de la règle d’uniformisation par l’intimé était discriminatoire au sens de la LCDP. L’intimé a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. Il a également demandé au membre de suspendre l’instance (c’est-à-dire de ne pas passer aux prochaines étapes de la procédure) jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit tranchée. Le membre a rejeté la demande de l’intimé, car il a conclu qu’il n’était pas approprié de suspendre l’instance en attendant qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire.

[5] L’intimé a présenté une requête similaire dans le dossier qui nous occupe. Il m’a demandé de mettre la plainte en suspens jusqu’à ce que sa demande de contrôle judiciaire de la décision Sidhu et Kopeck soit tranchée.

II. DÉCISION

[6] Pour les motifs exposés en détail ci-après, je rejette la requête de l’intimé.

III. QUESTION EN LITIGE

[7] La seule question que je dois trancher est celle de savoir s’il convient de mettre la plainte en suspens en attendant l’issue du contrôle judiciaire de la décision Sidhu et Kopeck.

IV. ANALYSE

A. Question no 1 : Convient-il de mettre la plainte en suspens?

[8] Non. Pour les motifs exposés ci-après, je conclus qu’il n’est pas indiqué de mettre la plainte en suspens.

(i) Objet de la plainte

[9] Dans sa requête, l’intimé déclare que le plaignant lui reproche d’avoir fait preuve de discrimination à son égard en appliquant le régime de pension conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu et à son règlement. En fait, ce n’est pas ce que le plaignant allègue dans sa plainte. Il soutient plutôt que, par leur effet combiné, les politiques de l’intimé, soit la règle de répartition et la règle d’uniformisation, sont discriminatoires à son encontre, en partie en raison de son âge, car elles contribuent à réduire ses possibilités de se faire attribuer du travail. Il est vrai que le plaignant a demandé, à titre de réparation, qu’une certaine somme lui soit versée en supplément à sa pension. Toutefois, contrairement à ce que prétend l’intimé, le plaignant n’a pas contesté les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu relatives à l’âge auquel il devait commencer à toucher sa pension ni les règles interdisant l’accumulation des années de service ouvrant droit à pension pour les personnes qui travaillent après l’âge de 71 ans. Ce qu’il conteste, c’est la règle de répartition de l’intimé, à laquelle il est assujetti en tant que travailleur âgé de plus de 71 ans qui a été contraint de commencer à toucher des prestations de retraite. C’est cette question que la Commission a renvoyée au Tribunal et que je devrai examiner dans l’affaire qui nous occupe.

(ii) Procédures connexes

[10] Dans sa requête, l’intimé a fait valoir que trois procédures en cours portent sur les questions importantes soulevées dans la plainte :

1) la demande de contrôle judiciaire de la décision sur le bien-fondé rendue par le Tribunal dans la décision Sidhu et Kopeck;

2) l’affaire Sidhu et Kopeck, toujours en instance, dans laquelle le Tribunal doit examiner un avis de question constitutionnelle déposé par l’intimé, qui porte sur la constitutionnalité de la Loi de l’impôt sur le revenu et de son règlement, et déterminer la réparation appropriée;

3) l’examen d’une requête en injonction déposée par un autre membre du syndicat intimé.

(iii) La mise en suspens n’est pas indiquée dans les circonstances

[11] Il est bien reconnu que le Tribunal a le pouvoir de suspendre l’instance ou de mettre des plaintes en suspens s’il est dans l’intérêt de la justice de le faire : Laurent Duverger c. 2553-4330 Québec Inc.(Aéropro), 2018 TCDP 5. Toutefois, il ne le fait que dans des circonstances exceptionnelles : Bailie et al. c. Air Canada et Association des pilotes d’Air Canada, 2012 TCDP 6, au par. 22. Pour déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice de mettre une plainte en suspens, le Tribunal tient compte de toutes les circonstances, y compris le risque de dédoublement des ressources judiciaires et juridiques, la durée de la mise en suspens demandée, le motif de la requête, l’état d’avancement de la procédure et tout préjudice éventuellement causé aux parties : Adams c. Canadian Nuclear Laboratories, 2024 TCDP 87, au par. 11.

[12] L’intimé avance que, dans un contexte d’incertitude juridique, il y aurait un risque important de dédoublement de la procédure si je n’accordais pas la mise en suspens qu’il a demandée. Il ajoute qu’un dédoublement de la procédure saperait le principe de finalité et entraînerait un gaspillage des ressources judiciaires. L’intimé fait valoir qu’un certain nombre de questions seront examinées dans le cadre du contrôle judiciaire, dont celles de savoir i) si le membre qui a rendu la décision Sidhu et Kopeck s’est écarté de la jurisprudence établie en interprétant le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 et ii) si le membre a bien évalué l’effet de la décision sur les autres membres du syndicat. L’intimé soutient qu’il est dans l’intérêt de la justice et de la finalité que ces questions soient tranchées avant l’instruction de la plainte. Il ajoute que le retard causé serait minime.

[13] Je ne souscris pas aux arguments de l’intimé.

[14] Tout d’abord, il convient de rappeler que le Tribunal a pour mandat d’instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles ») : par. 48.9(1) de la LCDP; art. 5 des Règles. À mon avis, si je mettais la plainte en suspens, le retard causé serait probablement important. L’intimé a déposé sa demande de contrôle judiciaire en mars 2025. Rien n’indique que la Cour fédérale a pris quelque mesure que ce soit à cet égard, si ce n’est qu’elle a nommé le procureur général du Canada comme défendeur. L’instruction de la demande et tout appel éventuel pourraient prendre beaucoup de temps.

[15] Le plaignant a déposé sa plainte auprès de la Commission il y a plus de quatre ans et demi, soit en janvier 2021. D’après ses observations, il était âgé de 71 ou 72 ans lorsqu’il a déposé sa plainte, ce qui voudrait dire qu’il a maintenant 75 ou 76 ans. Un facteur que je dois apprécier est le préjudice qu’un retard supplémentaire dans la présente affaire pourrait causer au plaignant, étant donné son âge avancé.

[16] D’un autre côté, je dois évaluer le gaspillage de ressources judiciaires ou l’incertitude du droit que pourrait entraîner mon rejet de la requête de l’intimé. À ce stade-ci, on ne sait pas si la Cour fédérale tranchera en faveur de l’intimé dans le contrôle judiciaire. L’intimé soutient que, dans la décision Sidhu et Kopeck, le membre a commis une erreur en interprétant le Code canadien du travail, mais il semble évident dans sa décision que ce n’est pas le cas. Le fait que le membre n’ait pas accepté la justification de l’intimé, qui reposait elle-même sur le Code canadien du travail, ne signifie pas qu’il a appliqué le Code. Il ressort clairement de sa décision qu’il a appliqué la LCDP et la jurisprudence applicable à une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée (« EPJ ») au sens de la LCDP. En outre, bien que l’intimé soutienne que le membre dans la décision Sidhu et Kopeck a commis une erreur en n’appliquant pas le critère de l’EPJ assoupli, le membre a expliqué en détail pourquoi il avait appliqué le critère de l’EPJ standard tel qu’il est établi dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada : Sidhu et Kopeck, aux par. 43 à 46. Pour cette raison, il est loin d’être évident que l’issue du contrôle judiciaire de l’intimé aura une grande incidence sur l’affaire qui nous occupe.

[17] Quant à l’avis de question constitutionnelle déposé par l’intimé dont il est question dans la décision Sidhu et Kopeck, je ne vois pas en quoi il est pertinent dans l’affaire dont je suis saisi. Cet avis semble soulever la question de la constitutionnalité des articles de la Loi de l’impôt sur le revenu et de son règlement selon lesquels les personnes doivent commencer à toucher des prestations de retraite lorsqu’elles atteignent l’âge de 71 ans et ne sont pas autorisées à accumuler des années de service ouvrant droit à pension après avoir atteint cet âge. Comme il a été souligné précédemment, ces dispositions ne sont pas contestées dans la plainte dont il est ici question. Sont plutôt contestées les politiques de l’intimé qui limitent les possibilités de travail pour les travailleurs qui ont choisi de continuer à travailler après avoir atteint l’âge de 71 ans et avoir commencé à toucher des prestations de retraite. L’une des mesures de réparation demandées par le plaignant dans la présente affaire est une augmentation de ses prestations de retraite, ce qui peut ou non être une réparation que le Tribunal a le pouvoir d’ordonner. Toutefois, cette demande ne fait pas de sa plainte une contestation de la Loi de l’impôt sur le revenu ni de son règlement. Puisque ni la Loi de l’impôt sur le revenu ni son règlement ne sont contestés dans la plainte, le fait que l’intimé ait déposé un avis de question constitutionnelle dans l’affaire Sidhu et Kopeck qui n’a pas encore été examiné par le Tribunal n’est pas pertinent, à mon avis.

[18] Enfin, j’estime que la requête en injonction déposée par un autre membre du syndicat n’a aucune incidence sur ma décision quant à la mise en suspens de la plainte. Comme l’a mentionné l’intimé dans sa réponse, la Cour fédérale a rejeté cette requête. Celle-ci n’a donc aucune incidence sur ma décision sur requête dans la présente affaire.

[19] Après avoir soupesé tous les facteurs pertinents, je conclus que la mise en suspens de la plainte aurait un effet préjudiciable sur le plaignant et sur la durée de l’instruction et que cet effet préjudiciable l’emporterait sur tout gaspillage de ressources judiciaires et juridiques qui pourrait, théoriquement, découler du rejet de la présente requête.

V. ORDONNANCE

[20] Pour les motifs susmentionnés, la requête de l’intimé est rejetée. Le greffe du Tribunal écrira aux parties pour les informer des délais associés aux prochaines étapes de la procédure.

Signée par

Jo-Anne Pickel

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 26 septembre 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-3111-25

Intitulé de la cause : Hume Gunn c. International Longshore and Warehouse Union, section locale 500

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 26 septembre 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Hume Gunn , le plaignant

Craig D. Bavis , pour l’intimé

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