Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 88

Date : Le 4 septembre 2025

Numéros des dossiers : T2218/4017, T2282/3718, T2395/5419, T2647/2321

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Ryan Richards

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Jennifer Khurana


I. APERÇU

[1] L’instruction est en cours en l’espèce. Avant la reprise de l’audience le 16 juin 2025, soit lors de la conférence de gestion préparatoire tenue le 5 juin 2025, M. Richards a présenté une demande en vue d’ajouter à sa liste de témoins proposés Mme Zya Brown, cinéaste et militante communautaire qui effectue de la recherche pour le compte des détenus noirs, défend leurs intérêts et met à leur disposition des programmes de théâtre. M. Richards a déclaré qu’il avait auparavant retiré Mme Brown de sa liste de témoins proposés parce qu’il s’attendait à ce que deux autres détenus, à savoir M. Farrier et M. Williams, soient autorisés à témoigner. Dans la décision sur requête Richards c. Service correctionnel du Canada, 2025 TCDP 57, j’ai accueilli la requête par laquelle Service correctionnel Canada (« SCC ») réclamait l’exclusion des témoignages proposés par M. Farrier et M. Williams (la « décision sur requête concernant les témoins »).

[2] La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») appuie la demande de M. Richards. Elle affirme que l’ajout de Mme Brown à la liste des témoins proposés garantirait l’équité procédurale, appuierait le mandat du Tribunal et n’entraînerait pas de retard ou de préjudice pour SCC. SCC s’oppose à cette demande, en soutenant que l’ajout de Mme Brown à la liste des témoins proposés soulèverait un certain nombre de problèmes d’équité, et que l’effet préjudiciable d’un tel témoignage l’emporte sur toute valeur probante qu’il pourrait avoir.

[3] Je rejette la demande de M. Richards. La présente décision sur requête contient également des instructions aux parties concernant le témoin expert que la Commission a l’intention d’appeler à comparaître lors de la reprise de l’audience, le 6 octobre 2025.

II. MOTIFS

Le témoignage proposé

[4] M. Richards a soumis un document de 130 pages intitulé [traduction] « Témoignage anticipé de Zya Brown ». Ce document mentionne que Mme Brown témoignera de sa [traduction] « relation avec Ryan Richards et des incidents dont elle a été témoin » et qu’elle [traduction] « pourra également parler de ses connaissances sur d’autres sujets pertinents ». Aucune précision n’est apportée au sujet des incidents dont Mme Brown a été témoin, de la connaissance qu’elle pourrait avoir de tels « sujets pertinents » ou de ce en quoi consistent ces sujets, et aucune mention n’est faite des allégations figurant dans l’exposé des précisions de M. Richards. Le reste du document comprend des notes biographiques sur Mme Brown et une description de Think 2wice International, un organisme à but non lucratif que Mme Brown a fondé et qui fournit un soutien culturellement adapté aux personnes noires et racialisées, y compris celles incarcérées et celles en réinsertion dans la collectivité. Il décrit également le rôle de l’organisme dans le cadre de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires et de la Stratégie relative à la justice pour les jeunes du ministère de la Justice, en plus de renfermer des statistiques sur les taux d’incarcération en établissement fédéral des Noirs, des Autochtones et des jeunes. M. Richards a aussi inclus, dans le document relatif au témoignage anticipé, une copie de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires et du rapport intitulé Les jeunes provenant des communautés noires et le système de justice pénale, tous deux co-rédigés par le témoin expert proposé par la Commission, M. Owusu‑Bempah.

MOTIFS

[5] En grande partie pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels j’ai refusé, dans la décision sur requête concernant les témoins, d’entendre les témoignages de M. Farrier et de M. Williams, je rejette la demande de M. Richards visant à ajouter Mme Brown à la liste des témoins.

[6] Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’admettre des éléments de preuve qui ne seraient peut-être pas admissibles devant un tribunal judiciaire (al. 50(3)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « Loi »)). Il se doit d’exercer ce pouvoir discrétionnaire d’une manière qui concorde avec l’esprit de la Loi et les principes de justice naturelle, et ce, en mettant en balance les droits qu’ont toutes les parties à une audition complète et équitable (Clegg c. Air Canada, 2019 TCDP 4, au par. 68 (Clegg); et par. 48.9(1) et 50(1) de la Loi). Le fait que le Tribunal jouisse d’une grande latitude pour ce qui est de décider quelle preuve il peut admettre et, en fin de compte, de déterminer le poids qu’il convient d’accorder à cette preuve une fois qu’elle a été admise, ne veut pas dire qu’il est tenu d’admettre n’importe quel élément de preuve qui lui est soumis dans chaque affaire (Clegg, au par. 73).

[7] Pour juger s’il convient d’admettre des éléments de preuve, le Tribunal peut examiner s’ils sont pertinents, si leur admission concorde avec les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, si leur valeur probante a moins de poids que leur effet préjudiciable et s’il y a un empêchement à leur admission, compte tenu notamment des paragraphes 50(4) et 50(5) de la Loi (Clegg, au par. 84).

[8] Le document que M. Richards a produit relativement au témoignage anticipé de Mme Brown n’est pas conforme à l’alinéa 18(1)e) des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles de pratique »), qui exige des parties qu’elles fournissent un résumé des témoignages prévus. Le document ne m’informe pas, et n’informe pas non plus les autres parties, au sujet de ce que Mme Brown dirait lors d’une audience; il y est seulement indiqué que Mme Brown a été témoin d’[traduction]« incidents » et qu’elle a des connaissances au sujet d’[traduction] « autres sujets pertinents », sans donner plus de détails. Le document est général et vague; il ne me permet pas de juger si le témoignage proposé aidera le Tribunal à évaluer les allégations de M. Richards.

[9] En outre, je suis d'accord avec SCC pour dire que la demande de M. Richards n'est pas étayée par les faits. Contrairement à ce que prétend aujourd'hui M. Richards, Mme Brown ne figurait sur aucune liste de témoins auparavant, et son nom n’a pas été retiré d’une liste pour être remplacé par ceux de M. Williams et M. Ferrier. Lors d'une conférence de gestion préparatoire tenue en décembre 2023, M. Richards a fait allusion à un témoin potentiel qui aurait pu être Mme Brown, et les avocats de la Commission ont indiqué qu'ils aideraient M. Richards à finaliser sa liste de témoins. En fin de compte, M. Richards n'a pas ajouté Mme Brown à sa liste. Après avoir conclu son témoignage, M. Richards a cherché à ajouter M. Williams et M. Farrier à sa liste de témoins, mais pas parce qu'il y remplaçait Mme Brown. Ce n'est qu'après que j’eus accueilli la requête de SCC visant à exclure M. Williams et M. Farrier de la liste de témoins que M. Richards a indiqué qu'il voulait y ajouter Mme Brown. SCC soutient que la chronologie de ces événements démontre que M. Richards tente de contourner la décision sur requête concernant les témoins.

[10] Bien que la Commission fasse valoir que M. Richards n’était pas représenté par avocat au moment où il a confirmé sa liste de témoins, et qu’il devait composer avec les strictes contraintes de son incarcération, M. Richards a eu amplement l’occasion de confirmer le témoignage qu’il proposait, et il a eu des années pour se préparer à l’audience. Si le témoignage de Mme Brown était important pour sa cause, il aurait pu ajouter son nom à la liste. Au lieu de cela, M. Richards a proposé d’ajouter Mme Brown après mon prononcé de la décision sur requête concernant les témoins.

[11] La Commission n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas ajouté Mme Brown à sa propre liste de témoins, et ce, même si elle affirme aujourd’hui que cette dernière [traduction] « apporterait des éléments de preuve pertinents » et un « éclairage précieux ». M. Richards n’était pas représenté lorsque les listes de témoins ont été finalisées; la Commission, elle, l’était. En outre, comme M. Richards et la Commission font valoir que Mme Brown figurait sur une liste de témoins antérieure, il ne s’agit pas d’une situation où un témoin a soudainement surgi à la dernière minute. Au contraire, ils affirment qu’elle figurait sur une liste ou qu’elle a fait l’objet de discussions dès le mois de décembre 2023.

[12] La Commission affirme que l’ajout proposé d’un témoin pour M. Richards n’est pas une tentative de contourner la décision sur requête concernant les témoins; je ne suis toutefois pas d’accord. Car tout en faisant cette affirmation, la Commission soutient également que le témoignage de Mme Brown est [traduction] « particulièrement important, étant donné l’exclusion de témoins qui auraient pu autrement soutenir les allégations du plaignant concernant la récurrence des mauvais traitements ».

[13] La Commission soutient que Mme Brown apporterait [traduction] « un éclairage précieux sur le contexte général dans lequel les allégations du plaignant s’inscrivent », qu’elle fournirait [traduction] « des éléments de preuve pertinents » et qu’elle [traduction] « contribuerait à une compréhension plus complète des enjeux », chose importante pour le Tribunal lorsqu’il se penche sur des allégations de discrimination systémique. Mais la Commission n’explique pas de quelle manière Mme Brown ferait tout cela. Comme le document ne contient pas de résumé du témoignage proposé de Mme Brown qui me permettrait d’évaluer sa valeur potentielle, il est difficile de voir sur quoi la Commission se fonde pour formuler ces allégations. En l’absence d’un contexte plus précis sur le lien entre son éventuel témoignage et M. Richards, j’estime que tout ce que Mme Brown pourrait dire au sujet des programmes offerts aux détenus noirs ou du vécu de ces derniers n’a qu’une valeur minime, voire aucune valeur.

[14] J’ai déjà conclu que les éléments de preuve généraux du type de ceux que Mme Brown est censée fournir ne sont pas nécessaires pour que le Tribunal puisse traiter les allégations de discrimination systémique (voir la décision sur requête concernant les témoins, au par. 22). En outre, la Commission a l’intention de faire appel à un témoin expert pour que celui-ci donne son opinion sur ce que vivent les détenus noirs purgeant une peine de ressort fédéral, notamment en ce qui concerne les conditions de détention, l’accès aux services dans les établissements correctionnels et les résultats correctionnels pour les détenus noirs, l’accès à des services pénitentiaires et à des programmes adaptés à la culture, ainsi que la classification de sécurité. Selon le rapport d’expert que la Commission a déposé en janvier 2024, M. Owusu‑Bempah traitera également, dans son témoignage, de la manière dont l’expérience individuelle de M. Richards correspond à ce que vivent les détenus noirs en général. La Commission n’a pas fait valoir que le témoignage de son expert dépendrait de celui de Mme Brown.

[15] L’instruction de la plainte de M. Richards par le Tribunal n’est pas une commission d’enquête sur de la discrimination qui existerait dans l’ensemble du système correctionnel fédéral. Comme je l’ai indiqué dans la décision sur requête concernant les témoins, les principales questions en litige en l’espèce sont centrées sur M. Richards et sur ses allégations selon lesquelles il aurait personnellement fait l’objet de discrimination (décision sur requête concernant les témoins, au par. 15). La nature systémique de certaines allégations ne dispense pas le Tribunal de son devoir de mettre en balance la pertinence et la valeur probante potentielle des éléments de preuve proposés avec le préjudice que ceux-ci pourraient causer (décision sur requête concernant les témoins, au par. 17).

[16] Ni M. Richards ni la Commission n’ont démontré que la valeur probante que présenterait le témoignage de Mme Brown pour ce qui est de décider des questions centrales en litige l’emporte sur tout préjudice que son témoignage pourrait occasionner à SCC et à l’instance, notamment en ce qui concerne le temps d’audience et le détournement d’attention de l’objet de l’instruction.

[17] La Commission soutient que le fait de permettre à Mme Brown de témoigner n’occasionnera aucun préjudice à SCC, parce que le dossier de M. Richards n’est pas encore clos et que la Commission n’a pas terminé la présentation de sa preuve. Elle affirme que le témoignage de Mme Brown ne retardera pas l’instance, alors que l’exclure risquerait de limiter la compréhension, par le Tribunal, des questions systémiques générales soulevées par la plainte. La Commission maintient que l’ajout d’un témoin est somme toute modeste par rapport aux 30 témoins proposés par SCC, et que l’ajout va dans le sens de l’équité et de la proportionnalité, en particulier parce que M. Richards agit pour son propre compte et que le Tribunal doit procéder à un examen équitable et complet des allégations de discrimination raciale systémique.

[18] Je ne souscris pas aux observations de la Commission. Comme l’affirme SCC, l’ajout proposé de Mme Brown démontre la nature changeante des allégations portées contre SCC et présente d’autres problèmes sur le plan de l’équité. Le document relatif au témoignage anticipé ne permet ni aux autres parties ni au Tribunal de savoir quel témoignage Mme Brown livrerait, ou quelle en serait la valeur probante. Il fait également référence à des situations qui ne relèvent pas de la portée temporelle de la plainte (à savoir, la présumée absence de mesures en réponse à la pandémie de COVID-19). Ces problèmes auront une incidence importante sur la capacité de SCC à connaître la preuve qu’il doit réfuter, à contre-interroger Mme Brown et à préparer toute contre-preuve (voir la décision sur requête concernant les témoins, au par. 20). L’audience n’est pas une procédure de communication préalable au cours de laquelle les parties et le Tribunal prennent connaissance pour la première fois de l’étendue de la preuve.

[19] Je rejette également l’affirmation de M. Richards et de la Commission selon laquelle l’ajout de Mme Brown à la liste des témoins ne prolongera pas les délais et ne nuira pas à l’instance. Si de nouveaux incidents ou de nouvelles questions sont soulevés, cela entraînera très certainement des retards, et SCC devra nécessairement se voir accorder plus de temps pour préparer son contre-interrogatoire sur le témoignage — dont il n’aura connaissance pour la première fois que lors de l’audience—, et possiblement pour compléter sa propre liste de témoins.

[20] Enfin, la Commission répète un argument qu’elle a fait valoir dans le cadre de l’instruction de la requête concernant les témoins, et que j’ai rejeté, à savoir que l’ajout de Mme Brown à la liste des témoins ne ferait que [traduction] « rééquilibrer le dossier » dans une faible mesure, étant donné que SCC a désigné 30 témoins. L’asymétrie du nombre de témoins cités par chaque partie n’est pas un indicateur d’iniquité. Cela est particulièrement vrai dans une affaire qui concerne le système correctionnel, où le contexte d’incarcération, par nature, fait en sorte qu’un grand nombre d’employés de SCC interagissent avec le plaignant, en fonction des changements dans les quarts de travail, les unités et les établissements. Cette asymétrie peut devenir plus prononcée dans les cas où un détenu formule de multiples allégations. Un litige n’est pas un concours pour savoir qui peut citer le plus de témoins à comparaître (décision sur requête concernant les témoins, au par. 34).

III. CLÔTURE DE LA PREUVE DE M. RICHARDS ET TÉMOIN EXPERT PROPOSÉ PAR LA COMMISSION

[21] M. Richards avait eu l’intention d’appeler un dernier témoin des faits, Mme Nicole McGilivary; toutefois, celle-ci n’était pas disponible. Les parties avaient accepté de poursuivre l’audience, y compris le début de la présentation de la preuve de SCC, et d’inscrire à l’horaire le témoignage de Mme McGilivary lorsqu’il y aurait eu des changements à sa disponibilité, le cas échéant.

[22] Puisque je rejette la demande de M. Richards visant à ajouter Mme Brown à la liste des témoins, et en l’absence de tout avis concernant Mme McGillivary, ce sera l’expert — et dernier témoin à comparaître — de la Commission, M. Owusu-Bempah, qui témoignera à la reprise de l’audience, le 6 octobre. J’ai donné des instructions concernant deux questions relatives au témoin expert proposé par la Commission.

La qualification de l’expert

[23] Lors de la conférence de gestion préparatoire du 5 juin 2025, j’ai dit aux parties que le Tribunal ne consacrerait pas de précieux temps d’audience à un processus formel de qualification de l’expert de M. Owusu-Bempah, et que toute question relative à cette qualité devrait être soulevée lors du contre-interrogatoire. J’ai également rappelé que les parties pourraient soulever, dans le cadre de leurs observations finales, toute question relative à l’admissibilité du témoignage du témoin en tant que preuve d’expert, et au poids devant être accordé à cette preuve. J’ai en outre indiqué que je n’avais pas besoin d’entendre, tout au long de l’interrogatoire principal de la Commission, une répétition de ce qui figure déjà dans le rapport d’expert. J’ai donc demandé à la Commission d’indiquer de quelle manière elle prévoyait utiliser le temps qu’elle aurait à sa disposition, attendu que le Tribunal a lu le rapport et que l’expert de la Commission peut confirmer qu’il constitue son témoignage. La Commission avait initialement indiqué qu’elle avait besoin de deux jours pour interroger M. Owusu-Bempah.

[24] Or, la Commission a ensuite réduit son estimation à une journée entière pour l’interrogatoire principal de l’expert proposé, étant entendu qu’aucun temps ne serait consacré à une qualification formelle de l’expert. Cependant, elle s’oppose à la démarche que j’ai proposée, et soutient que je dois aborder, même de manière informelle, la question de la qualification d’expert du témoin qu’elle propose avant que l’expert ne commence à livrer son témoignage d’opinion, parce qu’il serait injuste du point de vue de la procédure, et [traduction] « incompatible avec la pratique établie en matière de preuve », de reporter la question au contre-interrogatoire qui sera effectué par SCC. La Commission fait également valoir que cette démarche ferait planer de l’incertitude sur l’admissibilité et la portée du témoignage de l’expert et [traduction] « déplacerait indûment vers une autre partie le fardeau de soulever des questions fondamentales ». Elle n’a pas précisé à quelles questions fondamentales elle faisait référence, ni ce en quoi ce fardeau pourrait consister.

[25] La Commission soutient en outre que le Tribunal pourrait confirmer les titres de compétence de l’expert juste avant le début du témoignage de celui-ci, sans tenir un voir-dire formel ni passer par le processus complet de qualification, et simplement en se fondant sur son curriculum vitae et son rapport, si nul ne s’y oppose. Elle affirme qu’une telle démarche favorisera l’efficacité et préservera l’intégrité du dossier.

[26] Ni M. Richards ni SCC ne se sont opposés à la démarche que j’ai proposée. SCC n’a pas soulevé d’arguments concernant une éventuelle iniquité procédurale. En outre, la Commission n’a fourni aucune source pour justifier sa position selon laquelle la démarche que je propose est contraire à la [traduction] « pratique établie en matière de preuve ».

[27] Contrairement aux observations de la Commission concernant la [traduction] « pratique établie en matière de preuve », la Loi, qui crée le régime légal dans lequel le Tribunal exerce sa compétence, me confère le vaste pouvoir discrétionnaire d’adopter des procédures non conventionnelles qui peuvent faciliter la résolution équitable, juste et rapide de la présente plainte sur le fond. Le Tribunal peut recevoir et accepter des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment, ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux judiciaires, et à moins qu’ils ne soient confidentiels devant ceux-ci. Il ne peut non plus contraindre un conciliateur à témoigner. Le Tribunal peut également trancher toute question de procédure ou de preuve soulevée au cours de l’audience (Loi canadienne sur les droits de la personne, al. 50(3)c) et d)).

[28] SCC soutient que, bien que la Commission n’ait pas précisé le domaine d’expertise proposé pour le témoignage de M. Owusu-Bempah, elle a examiné le curriculum vitae de ce dernier et a reconnu ses compétences en tant que témoin expert concernant la discrimination dont font l’objet les Noirs dans le système de justice pénale canadien. Selon SCC, cela règle la question de la qualification de l’expert proposé, M. Owusu-Bempah. Si d’autres questions se posent à ce sujet, je les aborderai lors de l’audience. J’ai décidé que nous suivrions la procédure que j’ai proposée aux parties.

Portée du témoignage de M. Owusu-Bempeh

[29] En réponse à ma demande de précisions quant à la manière dont elle entendait utiliser le ou les jours qui, selon elle, lui seraient nécessaires pour interroger son témoin expert proposé, la Commission a répondu que M. Owusu-Bempah était censé témoigner sur les sujets suivants :

[traduction]


Les questions pertinentes et émergentes, y compris les clarifications, les explications et les détails sur divers aspects de son rapport concernant, notamment, l’application de mesures disciplinaires en établissement, l’utilisation de la force, la classification de sécurité, le placement en isolement et les conditions de détention restrictives, le harcèlement racial ou religieux, les conditions de détention, l’accès aux programmes généraux et la disponibilité de programmes adaptés à la culture, la prestation de services pénitentiaires, l’accès aux services dans les établissements correctionnels et les résultats correctionnels, ainsi que les répercussions de ces enjeux sur les détenus noirs incarcérés dans des établissements fédéraux [caractères gras ajoutés]. Ces questions sont complexes, techniques et spécialisées; elles comportent beaucoup de nuances. Le fait d’accorder suffisamment de temps à ce processus garantit que le Tribunal puisse comprendre pleinement et véritablement le témoignage de l’expert en plus de favoriser l’équité de la procédure.

 

[30] La Commission poursuit en disant qu’elle a fourni une description du témoignage parce que je le lui ai demandé, mais que cette description ne [traduction] « vise pas à circonscrire ou à limiter la portée du témoignage de l’expert », et qu’elle [traduction] « se réserve le droit de présenter des éléments de preuve ne portant pas sur les questions décrites [dans son exposé], y compris des détails, des précisions ou des renseignements supplémentaires qui peuvent surgir au cours de l’audience ».

[31] SCC estime qu’en raison de la démarche adoptée par la Commission, et parce que M. Richards n’a pas indiqué combien de temps lui serait nécessaire pour interroger l’expert proposé, il lui faudra une journée pour contre-interroger M. Owusu-Bempah. SCC relève également que le rapport fait état de cinq champs d’expertise de M. Owusu-Bempah, alors que l’exposé de la Commission reproduit ci-dessus fait état « notamment » d’au moins neuf domaines d’expertise.

[32] La convocation d’un témoin expert n’est pas l’occasion de fournir une preuve étendue et illimitée concernant des [traduction] « questions pertinentes et émergentes ». La nature générale des plaintes présentées en l’espèce ne dispense pas une partie (y compris la Commission) de l’obligation de se conformer aux Règles de pratique du Tribunal ou aux principes fondamentaux de l’équité procédurale (Richards c. Service correctionnel du Canada, 2025 TCDP 57, au par. 25). L’approche par laquelle la Commission se réserve essentiellement le droit de poser les questions qu’elle veut et d’élargir le champ de l’expertise proposée, est contraire au paragraphe 22(1) des Règles de pratiques et à l’équité procédurale. Cette disposition impose aux parties d’aviser toutes les autres parties du témoignage proposé par leur expert, ce qui permet aux autres parties de connaître les arguments présentés à leur encontre et de se préparer en conséquence. La Commission a dûment déposé son rapport d’expert, mais l’audience n’est pas l’occasion d’aller au-delà des limites de ce rapport, pour aborder « notamment » des domaines qui n’étaient pas inclus dans l’avis qu’a reçu SCC.

[33] Ni la Commission ni M. Richards ne seront autorisés à aller au-delà des sujets abordés dans le rapport (lequel, à 150 pages, couvre déjà beaucoup de sujets) comme bon leur semble ou en fonction de questions « émergentes », comme le laisse entendre la Commission. Comme je l’ai répété au cours de la présente instance, les plaintes de M. Richards ne peuvent donner lieu à une enquête générale sur l’ensemble du système correctionnel fédéral. La Commission et M. Richards devraient préparer leurs questions en conséquence. Il me semble tout de même excessif de consacrer une journée complète à l’interrogatoire direct. Bien que M. Richards n’ait pas fourni d’estimation du temps dont il aurait besoin pour interroger l’expert de la Commission, nous prévoirons une journée, au total, pour l’interrogatoire principal par la Commission et M. Richards. La Commission ne sera pas autorisée à faire parcourir au Tribunal les pages d’un rapport que j’ai lu, et je ne gaspillerai pas un temps d’audience précieux pour entendre M. Richards ou la Commission poser des questions auxquelles M. Owusu-Bempeh a déjà répondu dans le rapport, lequel devrait parler de lui-même. SCC a indiqué qu’il avait lui aussi besoin d’une journée.

[34] Enfin, comme je l’ai indiqué lors de la conférence de gestion préparatoire du 5 juin 2025, les parties peuvent également soulever, dans le cadre de leurs observations finales, toute question relative à l’admissibilité du témoignage en tant que preuve d’expert ou au poids à accorder à ce témoignage. SCC a fait savoir qu’il avait l’intention de s’opposer à certaines parties du rapport de M. Owusu-Bempah, au motif qu’elles empiètent en partie sur le rôle du Tribunal en tant que décideur. Je conviens qu’il n’appartient pas à un témoin expert, quel qu’il soit, de formuler des conclusions dans la présente affaire. Toutefois, le fait d’autoriser un expert à présenter un témoignage principal sur un point particulier ne constitue pas une décision de ma part quant à l’admissibilité de ce témoignage ou au poids à y accorder, et le fait qu’une partie ne soulève pas d’objection lors de l’interrogatoire principal ne sera pas considéré comme une acceptation tacite de l’admissibilité de ce témoignage. Comme le fait remarquer SCC, j’ai déjà donné des instructions sur ce point, et il aura l’occasion de contre-interroger le témoin et de traiter de ces questions dans le cadre de ses observations finales.

[35] Je vais donc entendre et examiner le témoignage d’expert prévu de M. Owusu-Bempah, conformément à la procédure que j’ai proposée ci-dessus et à ce qui a été discuté lors de la conférence de gestion préparatoire du 5 juin 2025.

IV. ORDONNANCE

[36] La demande présentée par M. Richards en vue d’ajouter Mme Zya Brown à sa liste de témoins est rejetée. L’audience se poursuivra le 6 octobre 2025, avec la comparution de M. Owusu‑Bempeh, le témoin expert proposé par la Commission.

[37] Au cours de leur interrogatoire principal, la Commission et M. Richards s’en tiendront au rapport d’expertise de M. Owusu-Bempeh et ne poseront pas de questions dont les réponses se trouvent déjà dans le rapport. Ils doivent donc préparer leurs questions et les circonscrire en conséquence.

[38] Le greffe communiquera avec les parties pour confirmer la date à laquelle l’audience reprendra en octobre, notamment avec le début de la présentation de la preuve de SCC.

 

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 4 septembre 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéros des dossiers du Tribunal : T2218, T2282, T2395, T2647

Intitulé de la cause : Ryan Richards c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 4 septembre 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Christopher Karas , pour le plaignant

Ikram Warsame et Sameha Omer, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Dominique Guimond , pour l’intimé

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