Contenu de la décision
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Tribunal canadien |
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Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision
Membre :
Table des matières
VI. RÉSUMÉ DE LA POSITION DU PLAIGNANT
VII. RÉSUMÉ DE LA POSITION DE L’INTIMÉE
I. APERÇU
[1] Le plaignant, Marcus Williams, s’identifie comme un homme noir de nationalité canadienne. Il a travaillé comme employé occasionnel pour l’intimée, la Banque de Nouvelle-Écosse (la « Banque »), du 9 février 2015 au 26 octobre 2017, date à laquelle la Banque a mis fin à son emploi.
[2] M. Williams allègue que, durant son emploi à la Banque, celle-ci a fait preuve à son égard de discrimination fondée sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique, le sexe ou l’âge. La Banque l’aurait traité défavorablement : 1) en lui refusant des possibilités d’emploi (affichées et non affichées); 2) en lui refusant une prime annuelle et une hausse de salaire; 3) en mettant fin à son emploi, en contravention à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »).
[3] M. Williams soutient que la Banque lui a refusé des possibilités d’emploi, des primes et des augmentations et qu’elle a mis fin à son emploi en raison, notamment, de ses caractéristiques protégées.
[4] La Banque nie toute discrimination à l’endroit de M. Williams pendant sa période d’emploi, et elle affirme qu’aucune de ses décisions relatives à l’emploi du plaignant n’était liée, de quelque manière que ce soit, à l’une de ses caractéristiques protégées par la LCDP, contrairement à ce que prétend M. Williams.
[5] La Banque affirme que M. Williams n’était pas qualifié pour les emplois auxquels il avait postulé, qu’il n’avait pas droit à une prime ni à une hausse de salaire en raison de son statut d’employé contractuel occasionnel et qu’elle a mis fin à son emploi dans le cadre d’un exercice de restructuration visant à réduire les coûts à l’échelle de l’entreprise, au cours duquel il a été décidé que le poste occasionnel du plaignant n’était plus requis et pouvait être éliminé. La Banque ajoute que, si M. Williams croit avoir été victime de discrimination au cours de sa période d’emploi, ses impressions n’ont été étayées par aucun élément de preuve à l’audience établissant que la Banque avait commis quelque acte discriminatoire que ce soit à son encontre.
II. DÉCISION
[6] Les éléments de preuve présentés par M. Williams à l’audience n’étaient pas suffisants pour qu’il soit conclu que les actes de la Banque étaient discriminatoires à son endroit. Le plaignant n’a donc pas réussi à établir le bien-fondé de sa plainte à l’encontre de l’intimée, et sa plainte est rejetée.
III. QUESTION EN LITIGE
[7] La Banque a-t-elle fait preuve de discrimination à l’égard de M. Williams, au sens de l’article 7 de la LCDP, du 16 novembre 2016 au 26 octobre 2017, comme l’allègue le plaignant aux paragraphes 2 et 3 ci-dessus?
IV. CONTEXTE ET PREUVE
[8] Le 28 mars 2022, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a décidé que la portée temporelle des allégations formulées dans la plainte de M. Williams s’étendait du 16 novembre 2016 au 26 octobre 2017 (la « période visée »), et elle a renvoyé l’affaire au Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») pour instruction. La Commission n’a pas participé à l’audience. La Commission et le Tribunal ont établi que la portée des allégations de discrimination qui seraient instruites à l’audience se limiterait aux actes énoncés au paragraphe 2 ci-dessus et à la période visée par la plainte.
[9] M. Williams n’était pas représenté au début de l’audience, laquelle a commencé le 12 mai 2025. Après avoir témoigné pour son propre compte pendant les trois premiers jours de l’audience, notamment lors du contre-interrogatoire par les avocates de la Banque, il a informé le Tribunal, le matin du 15 mai 2025, qu’il avait l’intention de retenir dès le lendemain les services d’un avocat pour la suite de l’audience.
[10] Plusieurs semaines avant le début de l’audience, à la demande de M. Williams, le Tribunal a délivré des citations à comparaître qu’il devait signifier à huit témoins. Le Tribunal a délivré les citations à comparaître demandées et a fourni à M. Williams des directives écrites lui indiquant la façon de les signifier personnellement aux témoins et de leur verser les indemnités requises. Le matin du 15 mai, M. Williams a avisé le Tribunal qu’il n’avait signifié personnellement aucune des citations à comparaître aux témoins figurant sur sa liste de témoins et qu’il n’avait pas pu contacter ces derniers pour qu’ils comparaissent à l’audience.
[11] Christopher Karas, de Karas Legal Services, était présent au début du cinquième jour de l’audience, le 16 mai 2025, pour représenter M. Williams. Il a alors informé le Tribunal qu’il n’avait pas l’intention d’appeler d’autres témoins ni de présenter d’autres éléments de preuve à l’appui du dossier de son client. Ensuite, la Banque a commencé à présenter sa preuve et a appelé six témoins, qui ont fait l’objet d’un interrogatoire principal par ses avocates, O’Hearn Davies et Samantha Black, puis ont été contre-interrogés par M. Karas. Le plaignant n’a fourni aucune contre-preuve après la présentation de la preuve par l’intimée. Les parties ont présenté leurs arguments écrits le 26 mai 2025, puis leurs arguments oraux le lendemain.
[12] M. Williams était le seul témoin à témoigner pour son propre compte. Il n’a appelé aucun des autres témoins figurant sur sa liste, pour lesquels des citations à comparaître avaient été délivrées, et ce, ni en interrogatoire principal ni en contre-interrogatoire. Dans son propre témoignage lors de l’audience, M. Williams a expliqué que certains des témoins figurant sur sa liste pourraient appuyer ses allégations à l’encontre de la Banque, mais il n’a appelé aucun d’entre eux à l’audience et ne leur a signifié aucune des citations à comparaître délivrées par le Tribunal. En outre, il n’a pas appelé Trevor Kobe, son ancien gestionnaire principal, qui, selon ses dires, lui avait fourni certains des renseignements l’ayant amené à croire que la Banque avait agi de façon discriminatoire en l’empêchant d’avoir accès à des possibilités d’emploi. M. Kobe aurait pu témoigner au sujet d’une partie de la période visée par la plainte. Or, M. Kobe ne figurait pas sur la liste de témoins de M. Williams, et ce dernier n’a pas demandé de citation à comparaître le visant.
[13] Au début de l’audience, j’ai expliqué divers aspects de la procédure, notamment la marche à suivre pour produire en preuve des documents inclus dans les cahiers de preuve documentaire déposés par les parties. J’ai expliqué aux parties que, pour que des documents soient déposés officiellement comme pièces, ils devaient être identifiés et présentés en tant que pièces, puis admis en preuve par le Tribunal et versés au dossier de preuve à l’audience, par consentement ou par l’intermédiaire d’un témoin. J’ai souligné que le simple dépôt du cahier de preuve documentaire n’équivalait pas à l’admission en preuve d’un document contenu dans ce cahier, et que seuls les documents admis à l’audience, ainsi que les témoignages, seraient considérés comme constituant la preuve dans l’affaire devant le Tribunal.
[14] Malgré mes directives, il m’a semblé, à la fin de son témoignage principal, que M. Williams n’avait pas initialement compris qu’il devait en fait déposer officiellement les documents de son cahier de preuve documentaire qu’il voulait faire admettre en preuve par le Tribunal à l’audience. Je lui ai donc réexpliqué la procédure, après quoi il a présenté de nombreux documents provenant de son cahier de preuve documentaire, que j’ai admis comme pièces. Le plus souvent, il a simplement décrit les documents qu’il souhaitait déposer comme pièces.
[15] L’intimée s’est opposée à l’admission de plusieurs documents que M. Williams a tenté de faire admettre en preuve pendant son témoignage principal, de sorte que certains de ces documents n’ont pas été admis. J’ai rendu des décisions sur requête au sujet de ces objections; j’ai fait droit à certaines et j’en ai rejeté d’autres. J’ai statué ainsi en vertu du vaste pouvoir discrétionnaire que me confère la LCDP pour admettre des documents en preuve, afin d’établir au mieux la vérité sur les points en litige sans formalisme et de façon expéditive, autant que possible, tout en préservant les droits des parties à une audience juste et équitable.
[16] L’une de mes décisions sur requête consistait à ne pas admettre une copie du rapport d’enquête daté du 11 septembre 2020 de la Commission sur la plainte de M. Williams, que le plaignant avait produite comme pièce lors de son témoignage principal. Cette question a été soulevée de nouveau par M. Karas plus tard pendant l’audience. Comme il s’agissait d’une audience de novo, j’ai décidé que l’enquête de la Commission, qui était antérieure de plus de quatre ans à l’audience et qui avait été menée avant que la Commission ne renvoie la plainte au Tribunal pour instruction au titre de la LCDP, ne constituait pas un élément de preuve pertinent dans le cadre de cette audience. En outre, j’ai souligné le préjudice et l’injustice que pourrait entraîner l’admission d’un document dans un contexte où l’enquêteur l’ayant produit n’était pas présent à l’audience pour témoigner sur le rapport ni être contre-interrogé à ce sujet.
[17] Après l’audience, M. Karas a écrit plusieurs courriels au Tribunal et à l’intimée pour leur demander d’admettre en preuve des éléments de preuve qui n’avaient pas été admis à l’audience. J’ai rejeté ses demandes, car l’audience était terminée.
[18] Avant l’audience, afin d’en assurer le déroulement le plus rapide et le plus équitable possible, j’ai demandé à M. Williams, qui avait allégué, dans son exposé des précisions modifié, que la Banque avait pris de nombreuses décisions d’embauche discriminatoires à son endroit durant la période visée, de limiter ses contestations pendant l’audience à cinq décisions d’embauche qu’il jugeait discriminatoires, ce qu’il a fait. Il a choisi, pour l’une des contestations, un ensemble de décisions d’embauche concernant des possibilités d’emploi qui, prétend-il, n’avaient pas été affichées à l’interne à la Banque, de sorte qu’il n’avait pas pu postuler. Pour les autres contestations, il a opté pour quatre décisions d’embauche concernant des postes affichés auxquels il avait postulé.
[19] J’ai trouvé que M. Williams était un témoin honnête et, dans l’ensemble, crédible. Il ne fait aucun doute que son licenciement et le fait qu’il n’ait pas réussi à obtenir un autre poste, ni une prime ou une hausse de salaire sont tous des éléments qui ont eu sur lui un effet préjudiciable et lui ont nui, et qui auraient peut-être pu être évités par la Banque. Toutefois, j’ai conclu que ses perceptions, ses soupçons et ses impressions quant au caractère discriminatoire des actes de la Banque à son encontre n’étaient pas étayés par des éléments de preuve présentés à l’audience.
[20] Comme je l’ai déjà mentionné, M. Williams s’identifie comme un homme noir de nationalité canadienne. Son emploi à la Banque a débuté le 9 février 2015, officialisé par un contrat avec la Banque qu’il avait d’abord examiné, puis signé le 28 janvier 2015. Le 26 octobre 2017, M. Williams a fait l’objet d’un licenciement non motivé par la Banque et il a continué à recevoir son salaire de base pendant quatre semaines.
[21] Selon les modalités de son contrat avec la Banque, M. Williams était embauché comme employé occasionnel au poste d’agent CARDS, un poste de niveau 4 au Service d’administration du risque de crédit (l’« ARC »), au taux horaire de 19,45 dollars. Son horaire de travail devait être établi [traduction] « en fonction des besoins ». Son contrat ne lui donnait pas droit à une augmentation de salaire annuelle ni à une prime, lesquelles étaient offertes aux employés permanents ou aux employés contractuels temporaires. De plus, la Banque pouvait mettre fin à son emploi à tout moment, sans motif, moyennant un préavis de deux semaines.
[22] Pendant toute la durée de son emploi, M. Williams a travaillé à temps plein, à raison de 37,5 heures par semaine. Il n’a pas reçu de prime ni d’augmentation de salaire, bien qu’il en ait fait la demande. C’était le seul agent CARDS qui occupait un poste occasionnel. C’était également l’un des trois employés noirs de l’ARC.
[23] À l’époque, l’ARC comptait trois équipes – internationale, entreprises et commerciale – formées selon le type d’autorisation de crédit et les clients dont elles étaient responsables. M. Williams travaillait dans l’équipe commerciale, qui s’occupait des clients commerciaux autres que les détaillants. Les autres équipes étaient responsables des clients internationaux ou des grandes entreprises. Essentiellement, le travail de M. Williams consistait à saisir les données des présentations commerciales dans la base de données CARDS.
[24] Le rendement au travail de M. Williams a été évalué une fois au cours de sa période d’emploi, dans le cadre d’une évaluation de rendement réalisée par sa gestionnaire immédiate, Julie Chan, et son gestionnaire principal, M. Kobe, le 28 octobre 2016. Aucun de ces deux gestionnaires n’a témoigné à l’audience. Globalement, ces derniers ont attribué à M. Williams la cote [traduction] « Qualité satisfaisante » ou « Répond aux attentes », soit la même cote que le plaignant avait lui-même attribuée à son rendement pour toutes les catégories évaluées. C’est une cote moyenne, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de la plus élevée ni de la plus faible. Dans l’évaluation de rendement, les évaluateurs ont noté que M. Williams [traduction] « interagissait bien avec les autres membres de l’équipe ». Bien que sa vitesse d’exécution pour le traitement et l’entrée des données ait été jugée un peu faible, une amélioration avait été constatée durant l’évaluation. Toutefois, M. Williams devait encore améliorer sa précision et sa vitesse en matière de saisie de données.
[25] Mme Chan travaillait sous la supervision de Mandrake Kahn, un employé de longue date de la Banque qui avait été nommé directeur de l’ARC en février 2017. M. Kahn a décidé de mettre fin à l’emploi de M. Williams à la Banque après avoir informé le Service des relations avec les employés, dans un courriel daté du 12 septembre 2017, que M. Williams [traduction] « n’était pas leur meilleur élément et [qu’ils souhaitaient] mettre fin à son emploi ». M. Kahn a déclaré qu’il avait envoyé ce courriel parce qu’il n’avait jamais eu à gérer le cas d’un employé occasionnel travaillant à temps plein et qu’il voulait savoir comment mettre fin à l’emploi. Le Service des relations avec les employés lui avait conseillé de fournir des renseignements sur le rendement de M. Williams; aussi, après avoir examiné l’évaluation de rendement et avoir discuté avec Mme Chan, qui lui avait dit que le rendement du plaignant n’était pas très élevé, M. Kahn avait écrit ce courriel.
[26] Outre l’évaluation de rendement du 28 octobre 2016, la Banque n’a fourni à M. Williams aucune évaluation ou orientation ultérieure concernant son rendement avant de mettre fin à son emploi, le 26 octobre 2017.
[27] J’ai trouvé que M. Kahn était un témoin franc et crédible à l’audience. Il occupe des postes de direction à la Banque depuis plus de 30 ans, ayant d’abord commencé à Trinité, d’où il est originaire.
[28] M. Kahn a soutenu que ni lui ni la Banque n’avaient fait preuve de discrimination à l’égard de M. Williams en mettant fin à son emploi à la Banque. Il a affirmé que les caractéristiques de M. Williams qui sont protégées par la LCDP n’avaient pas influé sur sa décision de mettre fin à l’emploi de M. Williams.
[29] M. Khan a déclaré que sa décision était uniquement attribuable à des difficultés opérationnelles qui avaient eu une incidence sur les emplois dans l’équipe CARDS, difficultés qu’il a dû résoudre lorsqu’il a repris le rôle de directeur de l’équipe CARDS, en février 2017. C’est dans ces circonstances qu’il a finalement décidé d’éliminer le poste occasionnel d’agent CARDS qu’occupait M. Williams, qu’il ne jugeait plus utile à l’époque. M. Khan a déclaré qu’il ne connaissait pas personnellement M. Williams et qu’il n’avait pas observé son rendement au travail, mais qu’il avait reçu des commentaires négatifs de la part de Mme Chan concernant la précision et la rapidité de M. Williams dans l’exécution de ses tâches.
[30] Les problèmes opérationnels susmentionnés, que M. Khan a dû régler en 2017 après être devenu directeur de l’ARC, concernaient deux initiatives : premièrement, l’initiative visant le remplacement progressif planifié du CARDS par un nouveau système de base de données, qui a plus tard été annulée; deuxièmement, l’initiative de transformation des coûts structurels (la « TCS ») à l’échelle de la Banque, qui visait une réduction des coûts et une amélioration de l’efficacité dans les différents groupes opérationnels de la Banque.
[31] Afin de se conformer à la réglementation bancaire et de simplifier le système d’entrée des données, la Banque a entrepris un programme visant à remplacer le CARDS par un nouveau système de base de données appelé Risk Origins (« RO »). Au début, les données des entreprises clientes ont été migrées vers RO, puisque l’intention était de migrer toutes les données du CARDS vers RO, pour finalement éliminer le CARDS et, éventuellement, l’ARC.
[32] Incertains de leur avenir, les agents CARDS ont commencé à quitter leur poste pour aller travailler dans l’équipe chargée du nouveau système RO ou ailleurs au sein de la Banque. Ces départs ont accentué l’arriéré de travail de l’équipe CARDS, qui, compte tenu de l’échéancier serré du projet RO, devait veiller à ce que tout l’arriéré de données soit d’abord saisi dans le CARDS, rapidement et avec précision, afin de ne pas retarder la mise en œuvre du projet.
[33] À cette fin, M. Kahn a obtenu, au printemps 2017, l’approbation d’un plan visant à embaucher, pour des contrats de six mois, six nouveaux employés qui seraient chargés de saisir l’arriéré temporaire dans le CARDS. Il a également obtenu l’autorisation d’offrir des postes à temps plein à six employés contractuels de l’équipe CARDS, soit des gestionnaires ou employés expérimentés, afin d’assurer la continuité et de conserver l’expérience et l’expertise.
[34] Les témoignages se contredisaient quant à la question de savoir si les nouveaux postes au sein de l’équipe CARDS créés en 2017 avaient ou non été affichés à l’interne. De son côté, la Banque a déclaré que, conformément à ses politiques, les six nouveaux postes avaient tous été affichés à l’interne et à l’externe et avaient été pourvus dans le cadre d’un concours. La Banque a précisé qu’elle n’affichait pas de postes vacants à l’externe sans les afficher aussi à l’interne. Les six employés contractuels ayant obtenu un poste à temps plein étaient des employés de l’équipe CARDS, et non de nouveaux employés.
[35] Pour sa part, M. Williams a soutenu que les postes n’avaient pas été affichés à l’interne et que, par conséquent, il ne savait pas qu’ils étaient offerts et n’avait pas pu postuler. Il a ajouté dans son témoignage que, de son point de vue, la Banque avait fait preuve à son égard de discrimination fondée sur ses caractéristiques protégées en n’affichant pas les emplois à l’interne, l’empêchant ainsi d’être informé de ces offres et de postuler en vue d’obtenir un statut d’emploi plus permanent. M. Williams a eu l’impression que, en agissant de la sorte, la Banque cherchait à l’empêcher d’obtenir des possibilités d’emploi, alors que, s’il est vrai que ces postes n’avaient pas été affichés, comme il le prétend, il aurait été dans la même situation que les autres agents CARDS qui ne possédaient pas les mêmes caractéristiques protégées.
[36] Plus tard, au printemps 2017, il est devenu évident que le projet RO ne pourrait pas être mené à bien, en raison de divers problèmes liés au nouveau système proposé, et ce, même si une grande partie des données avait été migrée du CARDS vers RO. Puis, le projet a été annulé, et il a été décidé d’abolir le système RO et de conserver plutôt le CARDS.
[37] Rodrigo Zuniga Castro a présenté un témoignage à l’audience. J’ai jugé qu’il s’agissait d’un témoin franc et crédible. M. Zuniga occupe des postes de direction à la Banque depuis plus de 17 ans; il a été affecté à la direction de l’équipe RO de 2015 à juillet 2017. Il n’a pas travaillé directement avec l’équipe CARDS, mais il a traité avec elle, d’abord par l’entremise de M. Kobe, puis de M. Kahn, lorsque ce dernier est devenu directeur de l’équipe CARDS.
[38] L’équipe RO était située au centre-ville de Toronto, plus précisément au 130, rue King Ouest, tandis que l’équipe CARDS se trouvait au 44, rue King Ouest. M. Zuniga ne connaissait pas M. Williams lorsque ce dernier travaillait pour la Banque. M. Zuniga a mentionné que, dans l’équipe RO, il avait été en contact avec certains anciens employés de l’équipe CARDS, dont certains analystes ou [traduction] « super utilisateurs » aussi chargés d’entrer des données. Il a déclaré que ces employés devaient posséder un niveau de compétence plus élevé que les agents CARDS, car ils devaient effectuer une certaine analyse des données saisies et qu’ils recevaient la rémunération associée au niveau 5 ou 6, alors que les agents CARDS avaient la rémunération de niveau 4 et n’avaient pas à effectuer d’analyse complexe. M. Williams a pour sa part affirmé que, en matière de saisie de données, il y avait très peu de différences, voire aucune, entre le travail des super utilisateurs et son travail de saisie de données en tant qu’agent CARDS, et que le niveau de compétence requis était pratiquement le même pour les deux emplois.
[39] M. Zuniga a expliqué que, en général, il ne participait pas directement à la dotation, sauf pour approuver l’affichage des offres d’emploi et déléguer les activités d’embauche aux gestionnaires principaux qui relevaient de lui. Toutefois, lorsqu’il est devenu évident que l’on mettrait fin au projet RO et aux emplois s’y rattachant, M. Zuniga a été autorisé par sa patronne, Karen Tait, vice-présidente, Gestion globale du risque à la Banque, à essayer de garder les employés du projet RO qui semblaient être de bons candidats pour des rôles dans l’équipe CARDS et l’équipe d’analyse du risque de crédit de l’entreprise.
[40] M. Zuniga a choisi de garder six analystes de son équipe RO qui occupaient auparavant un poste d’agent CARDS et qui avaient postulé et accepté un poste d’analyste au sein de l’équipe RO. En juin 2017, ces six employés ont été mutés à l’équipe CARDS pour des contrats d’une durée déterminée d’un an. Ils étaient tous rémunérés au niveau 5 ou 6 et ont conservé leur taux de rémunération après leur mutation dans l’équipe CARDS. M. Kahn a expliqué que ces postes n’avaient pas été affichés parce qu’il ne s’agissait pas de postes vacants, mais plutôt de mutations, et que la Banque n’avait pas pour politique d’afficher un poste avant de procéder à une mutation.
[41] M. Kahn a ajouté que, en juin 2017, il avait toujours besoin de personnel supplémentaire pour éliminer l’arriéré de données à entrer dans le CARDS, et il avait donc été autorisé à embaucher six employés contractuels et à doter deux autres postes laissés vacants par des employés qui avaient quitté leur emploi. M. Khan n’a embauché que trois des nouveaux agents CARDS approuvés en 2017, puis il a embauché les trois autres en 2018. La Banque a déclaré que ces postes avaient été affichés à la fois à l’interne et à l’externe, et qu’il s’agissait de contrats à durée déterminée visant à traiter l’arriéré de travail au sein de l’équipe CARDS. En outre, plusieurs étudiants ont été embauchés durant l’été pour aider à éliminer l’arriéré.
[42] M. Williams n’a postulé aucun des emplois liés au CARDS, qui, a-t-il soutenu, n’ont pas été affichés à l’interne comme l’affirme la Banque. Rien n’indique qu’il ait fait part à la direction de ses préoccupations concernant les nouvelles embauches et les mutations. M. Williams a expliqué que, comme il occupait un poste occasionnel et qu’il était le seul employé à avoir ce statut, il ne voulait pas pour ainsi dire [traduction] « faire de vagues » et compromettre son statut déjà précaire. Il a déclaré que son gestionnaire, M. Kobe, qui était de son côté, lui avait laissé entendre qu’on l’empêchait de progresser dans sa carrière en raison de ses caractéristiques protégées. M. Williams n’a pas appelé M. Kobe comme témoin. La Banque a mis fin à l’emploi de M. Kobe en août 2017, dans le cadre de l’initiative de TCS décrite ci-dessous.
[43] Comme il est mentionné aux paragraphes 29 et 30 de la présente décision, la TCS constituait un défi unique pour M. Kahn lorsqu’il est entré en fonction comme directeur de l’équipe CARDS, en février 2017, compte tenu de l’incidence qu’avait cette initiative sur les employés. Il devait d’abord gérer la mise hors service du projet RO, en grande partie achevé, et la remise en fonction de CARDS, projet qui avait contribué à un arriéré de travail dans l’équipe CARDS dont il fallait s’occuper immédiatement en procédant à des embauches temporaires et à des mutations au sein de l’équipe CARDS. Par ailleurs, M. Khan devait aussi composer avec l’initiative de TCS en cours, qui visait à réduire l’effectif de tous les groupes opérationnels de la Banque, y compris l’équipe CARDS et l’ARC.
[44] M. Williams a avancé que les agents CARDS étaient déroutés et préoccupés par toutes ces embauches et toutes ces mutations dans l’équipe CARDS, mais aucun agent n’a été appelé à témoigner. M. Williams voyait tous ces gens être mutés ou embauchés dans l’équipe CARDS, tandis que son poste occasionnel dans l’équipe était réévalué dans le cadre de l’exercice de réduction des effectifs de la TCS mené à l’échelle de la Banque, exercice à l’issue duquel la Banque a mis fin à l’emploi de M. Williams.
[45] L’initiative de TCS, mise sur pied par le président-directeur général de la Banque, était en cours en 2017. Cette initiative visait à réduire les coûts et à optimiser et à simplifier les opérations, dans tous les groupes opérationnels de la Banque, en supprimant les postes et les processus jugés inutiles et en trouvant des façons de réaliser des gains d’efficacité.
[46] En mai 2017, une équipe de la TCS a commencé une évaluation de l’ARC, qui consistait à rencontrer les membres de l’équipe, à les observer et à revoir les processus en place.
[47] En date de juillet 2017, l’équipe de la TCS avait élaboré un plan de projet pour l’ARC. Ce plan proposait des façons de réaliser des gains d’efficacité. Par exemple, si un deuxième écran d’ordinateur était fourni aux agents CARDS, les employés n’auraient plus à imprimer les demandes de crédit, et ils auraient alors plus de temps à consacrer à la saisie des données et au traitement de l’arriéré qui, selon les prévisions, devait être éliminé en trois mois.
[48] En conséquence, l’équipe de la TCS a conclu que le nombre d’agents CARDS requis serait moindre, et elle a recommandé que l’effectif des agents CARDS soit réduit de deux équivalents temps plein (« ETP ») au plus tard le 31 octobre 2017. L’équipe de la TCS a aussi recommandé la suppression de trois ETP supplémentaires, soit le poste de gestionnaire principal de niveau 9 occupé par M. Kobe, un poste d’adjoint de direction et un poste d’agent CARDS laissé vacant par une personne en congé de maladie.
[49] M. Kahn a déclaré que, au 31 octobre 2017, tous les postes devant être éliminés l’avaient été. Le poste vacant a été supprimé en août, suivi du poste de M. Kobe, de celui d’adjoint de direction, puis des deux ETP d’agent CARDS, en octobre. Ces deux derniers postes comprenaient un poste contractuel dans l’équipe internationale et le poste occasionnel de M. Williams au sein de l’équipe commerciale, le seul poste occasionnel du service. Le 26 octobre 2017, M. Kahn a jugé que le poste occasionnel n’était plus utile et il a mis fin à l’emploi de M. Williams.
[50] L’équipe de la TCS avait recommandé l’élimination de deux ETP dans l’équipe CARDS, mais M. Williams soutient que ce quota a été atteint lorsque deux agents CARDS ont démissionné. Ces démissions, combinées à la suppression du poste contractuel dans l’équipe internationale, portent à trois le total des postes d’agent CARDS éliminés.
[51] M. Williams soutient qu’il aurait dû conserver son poste, puisque la réduction prévue d’ETP au sein de l’effectif des agents CARDS avait été effectuée, et le nombre avait même été dépassé. À son avis, le fait que M. Kahn ait quand même mis fin à son emploi, sans mauvaise évaluation de rendement ni commentaires particuliers de la direction concernant des problèmes de rendement, démontre qu’il a été victime de discrimination fondée sur ses caractéristiques protégées par la LCDP.
[52] Selon M. Williams, son point de vue est étayé par le courriel que M. Kahn a envoyé en septembre 2017, mentionné au paragraphe 25 de la présente décision, dans lequel il a écrit que le plaignant n’était pas [traduction] « leur meilleur élément ». M. Kahn avait fait cette remarque malgré le fait que le plaignant, après avoir obtenu la cote « Qualité satisfaisante », n’avait pas reçu de commentaires particulièrement négatifs sur son rendement ni de directive de la part de la Banque qui justifiaient une telle remarque, et que la Banque avait continué à l’employer à temps plein durant toute sa période d’emploi. D’après M. Williams, c’est la preuve que la direction de la Banque s’était fait des idées fausses à son endroit, du fait qu’il est un homme noir, et entretenait des préjugés négatifs qui étaient discriminatoires et qui ont mené à la cessation de son emploi.
[53] Pour étayer son point de vue, M. Williams a relaté deux autres incidents qui, selon lui, établissent que la direction de la Banque avait à son égard un préjugé négatif et discriminatoire fondé sur ses caractéristiques protégées par la LCDP. La Banque a nié que ces deux incidents se soient produits.
[54] Le premier incident se serait produit pendant que M. Kahn visitait les bureaux, après avoir été nommé directeur de l’équipe CARDS et de l’ARC. D’après le témoignage de M. Williams, M. Kahn se promenait dans les locaux en compagnie de Theresa Culnan, vice-présidente de l’ARC, quand celle-ci lui aurait dit que M. Williams [traduction] « n’irait nulle part ». Un collègue de M. Williams, qui se trouvait tout près de l’endroit où le commentaire aurait été fait, n’a pas été appelé comme témoin. M. Kahn a affirmé n’avoir aucun souvenir de l’incident.
[55] Pour ce qui est du deuxième incident, M. Kobe aurait dit à M. Williams, à un certain moment, qu’il souhaitait lui offrir un poste à temps plein, mais que Rob Smith, un ancien directeur de l’ARC, et d’autres gestionnaires ne voulaient pas lui donner d’avancement à cause de sa race. Ni M. Kobe ni M. Smtih, qui figurait sur la liste de témoins de M. Williams, n’ont été appelés à témoigner.
[56] M. Williams a allégué que Mme Chan, son ancienne gestionnaire, qui figurait également sur sa liste de témoins, mais qui n’a pas été appelée à témoigner, préférait que des femmes asiatiques soient embauchées et obtiennent de l’avancement à sa place. M. Williams a soutenu qu’il s’agissait là d’une autre preuve que la Banque avait à son égard un préjugé discriminatoire fondé sur des stéréotypes négatifs concernant les hommes noirs comme lui. Or, aucun élément de preuve concret établissant la prédominance des femmes asiatiques ou la sous-représentation des hommes noirs au sein de l’effectif n’a été présenté à l’audience.
[57] M. Khan a confirmé que c’était Mme Chan qui lui avait dit que M. Williams n’avait pas un rendement exceptionnel, ce qui l’avait incité à ne pas le garder et à plutôt mettre fin à son emploi, alors même que le quota de réduction de l’équipe CARDS fixé par l’équipe de la TCS avait déjà été atteint, étant donné la démission de deux agents CARDS et le départ d’un agent CARDS de l’équipe internationale qui avait un contrat de courte durée.
[58] Toutefois, M. Kahn a affirmé catégoriquement, lors de son témoignage, que sa décision de mettre fin à l’emploi de M. Williams n’était pas discriminatoire. M. Kahn a déclaré que sa décision était liée au statut occasionnel du poste et non à l’employé qui l’occupait, et qu’elle n’avait rien à voir avec la race du plaignant ni aucune autre de ses caractéristiques protégées par la LCDP. Le poste de M. Williams était le seul poste occasionnel dans l’équipe CARDS, et M. Kahn a expliqué que, à l’époque, comme l’avenir de l’ARC était incertain, il avait préféré garder uniquement les employés ayant un contrat de courte durée.
[59] M. Kahn a déclaré qu’il avait décidé de mettre fin au poste occasionnel en août, mais que sa décision n’avait été mise en œuvre ou communiquée à M. Williams qu’en octobre. Il a ajouté que, même s’il avait reçu des commentaires positifs de la part de Mme Chan, M. Williams aurait tout de même eu à postuler et à participer à un concours pour obtenir l’un ou l’autre des postes vacants offerts. M. Williams aurait pu poser sa candidature pour n’importe quel emploi non occasionnel d’agent CARDS offert, afin de ne plus avoir le statut d’employé occasionnel, mais il ne l’a pas fait. Cependant, rien ne garantit qu’il aurait obtenu un de ces postes s’il avait postulé.
[60] Outre les postes dans l’équipe CARDS pour lesquels la Banque a pris, durant la période visée, les décisions d’embauche décrites ci-dessus, lesquelles, selon le témoignage de M. Williams, étaient discriminatoires à son encontre parce que les offres d’emploi n’avaient pas été affichées à l’interne, le plaignant a postulé quatre autres postes affichés au sein de la Banque, mais en dehors de l’équipe CARDS, sans succès. Le plaignant a allégué, lors de l’audience, que les décisions d’embauche de la Banque relatives à ces quatre postes étaient également discriminatoires à son endroit, pour des raisons expliquées plus loin dans la présente décision.
[61] Les quatre postes offerts à la Banque, mais en dehors de l’équipe CARDS, pour lesquels M. Williams a postulé sont les suivants :
1. un poste d’analyste de projets stratégiques de niveau 6 au sein de l’équipe RO, auquel il a postulé en décembre 2016;
2. un poste de spécialiste des solutions en matière de gouvernance, de politiques et de procédures de niveau 8 dans l’équipe de gouvernance et gestion des données, pour lequel il a aussi posé sa candidature en décembre 2016;
3. un poste d’analyste des données commerciales de niveau 7, auquel il a postulé le 19 août 2017, par l’entremise de la plateforme SuccessFactors;
4. un poste d’analyste des processus de niveau 7, auquel il a aussi postulé le 19 août 2017, par l’entremise de la plateforme SuccessFactors.
[62] M. Williams n’a obtenu une entrevue que pour le troisième poste susmentionné, et sa candidature n’a été retenue pour aucun des postes ci-dessus.
[63] M. Zuniga a délégué la dotation du poste d’analyste de projets stratégiques de niveau 6 au sein de l’équipe RO à ses deux gestionnaires principales, Marianne Soodoo et Sally Sawyer, qui ont toutes deux témoigné à l’audience et que j’ai trouvées franches et crédibles. Il s’agissait d’un poste temporaire à temps plein prenant fin le 29 décembre 2017.
[64] Mmes Soodoo et Sawyer ont présenté un témoignage semblable; elles ont toutes deux affirmé qu’elles ne connaissaient pas M. Williams et ne l’avaient jamais rencontré, qu’elles n’avaient consulté personne qui avait travaillé avec lui ou qui l’avait supervisé à la Banque lorsqu’elles ont examiné sa candidature, que sa candidature comportait plusieurs lacunes et qu’il ne possédait pas les qualifications requises pour le poste, tant sur le plan de l’expérience que des compétences. Pour ces raisons, M. Williams n’avait pas obtenu d’entrevue pour le poste.
[65] L’emploi consistait à transférer des données du CARDS vers le système RO. Selon Mmes Soodoo et Sawyer, la saisie des données était plus complexe dans RO que dans le CARDS, et la personne retenue devait mieux connaître le domaine commercial qu’un agent CARDS, en particulier les comptes d’entreprise. En outre, elle devait posséder d’excellentes compétences en matière de gestion du temps et d’organisation et avoir le souci du détail.
[66] Les deux témoins ont déclaré que, normalement, la candidature d’un employé de niveau 4 n’était pas envisagée pour un emploi de niveau 6. Elles ont affirmé clairement qu’elles avaient rejeté la candidature de M. Williams pour des raisons professionnelles valables, non fondées sur la discrimination, et qui n’étaient aucunement liées à ses caractéristiques protégées par la LCDP.
[67] La personne retenue pour le poste était une femme plus qualifiée que M. Williams, une analyste de niveau 5 de l’équipe RO affichant un excellent rendement, d’après Mmes Soodoo et Sawyer. Ces dernières ont aussi fait valoir que les politiques obligatoires de la Banque favorisaient le respect et interdisaient la discrimination en milieu de travail.
[68] Pour cet emploi comme pour les trois autres postes affichés pour lesquels sa candidature n’a pas été retenue, dont il est question ci-après, M. Williams a affirmé qu’il était qualifié, mais que les gestionnaires d’embauche avaient contacté les gestionnaires de l’équipe CARDS, qui lui avaient donné de mauvaises références, car ils avaient à son égard des préjugés fondés sur ses caractéristiques protégées par la LCDP.
[69] La Banque a nié que les gestionnaires d’embauche ou leurs représentants avaient communiqué avec les gestionnaires de M. Williams relativement aux postes auxquels il avait postulé. Selon la preuve présentée, la Banque exigeait l’autorisation des gestionnaires seulement lorsque des employés postulaient à de nouveaux postes au sein de la Banque au cours de leur première année d’emploi. M. Williams n’en était pas à sa première année à la Banque lorsqu’il a postulé aux postes susmentionnés.
[70] Selon la preuve non contredite de la Banque, en ce qui concerne les postes visés par les concours auxquels M. Williams a participé, les candidats retenus étaient clairement les meilleurs choix, en raison de leur niveau de compétence et de leur expérience liées aux postes, et le plaignant n’était pas aussi qualifié que ces personnes ni plus qualifié qu’elles.
[71] Sophia Pugh était gestionnaire d’embauche pour le poste de spécialiste des solutions en matière de gouvernance, de politiques et de procédures de niveau 8. Elle est actuellement vice-présidente de la Banque, où elle travaille depuis plus de 20 ans dans divers postes de direction. Mme Pugh a témoigné à l’audience, et je l’ai trouvée franche et crédible.
[72] Mme Pugh a déclaré qu’elle avait examiné la candidature de M. Williams et qu’elle lui avait accordé une entrevue parce qu’elle voulait constituer une liste de candidats potentiels pour la dotation de divers emplois éventuels.
[73] Lors de l’audience, M. Williams a déclaré que, pendant l’entrevue, un des intervieweurs avait dit [traduction] « nous aimons le blanc ». C’était la première fois qu’il alléguait que ce commentaire avait été exprimé. Mme Pugh a nié que ce commentaire ait été formulé.
[74] Mme Pugh a déclaré que les caractéristiques protégées de M. Williams n’avaient pas influé sur sa décision de ne pas l’embaucher pour ce poste. Elle a soutenu qu’il n’était pas le candidat le plus qualifié parce qu’il ne possédait pas les connaissances, l’expertise ou l’expérience nécessaires pour occuper ce poste complexe de niveau 8, bien au-dessus de son poste de niveau 4. L’emploi exigeait une expertise en matière de gouvernance des données et de gestion des risques, ainsi qu’une expérience de la rédaction et de la mise en œuvre de politiques. La personne retenue était une femme hautement qualifiée qui avait occupé des postes de direction dans deux grandes institutions financières privées, ce qui faisait partie des exigences du poste à pourvoir. Contrairement aux allégations de M. Williams, Mme Pugh a nié avoir contacté les gestionnaires du plaignant avant ou après son entrevue.
[75] M. Williams a soumis sa candidature pour les postes d’analyste des données commerciales et d’analyste des données liées aux processus, en soumettant deux dossiers de candidature pratiquement identiques par l’entremise d’une plateforme appelée SuccessFactors. Ces deux offres d’emploi concernaient de nombreux postes au sein de la Banque, et plus de 330 candidatures ont été reçues pour chaque poste.
[76] Paul Cameron, vice-président de l’équipe d’acquisition de talents pour la Banque, a témoigné au sujet des pratiques de recrutement de la Banque, dont celles qui étaient en vigueur en août 2017, lorsque M. Williams a postulé aux deux emplois susmentionnés. J’ai trouvé que M. Cameron était un témoin franc et crédible.
[77] M. Cameron ne connaissait pas M. Williams. Il a déclaré que les recruteurs n’avaient aucun contact avec les gestionnaires des postulants lors de la sélection pour les entrevues, et qu’ils n’avaient pas accès aux caractéristiques protégées d’un candidat au moment de l’examen de sa candidature. M. Cameron a ajouté que les recruteurs recevaient une formation sur les préjugés inconscients et sur la nécessité d’éviter la discrimination lors de l’embauche.
[78] Pour les deux postes, les candidats devaient avoir rempli des fonctions similaires dans une institution financière durant au moins trois ans. M. Cameron a précisé que tout candidat qui ne respectait pas cette exigence était disqualifié. Il a déclaré que l’expérience de M. Williams à l’Agence du revenu du Canada ne constituait pas une expérience dans une institution financière.
[79] M. Cameron a ajouté que le poste d’analyste des données commerciales avait été annulé et qu’aucun candidat n’avait été embauché à ce poste. Par ailleurs, les deux postes en question étaient de niveau 7, alors que M. Williams occupait un poste de niveau 4. Selon la preuve présentée par la Banque, les promotions multiniveaux étaient très rares et, dans la mesure du possible, réservées aux employés affichant le meilleur rendement. Toujours selon la preuve présentée par la Banque, M. Williams n’avait pas obtenu d’entrevue pour ces postes parce qu’il n’était pas qualifié, et non pour toute raison liée à ses caractéristiques protégées par la LCDP.
[80] M. Williams n’a pas reçu de prime lorsqu’il travaillait pour la Banque. Il a déclaré que c’était à cause de sa race. C’était le seul employé occasionnel et l’un des trois seuls employés noirs de l’équipe CARDS. Les employés non occasionnels ont obtenu des primes annuelles lors de leur évaluation de rendement, en octobre. M. Williams a estimé que le fait qu’il n’ait pas obtenu de prime était lié à ce que son gestionnaire, M. Kobe, lui aurait dit, à savoir que la direction l’empêchait intentionnellement de progresser en le maintenant dans un poste occasionnel, et ce, en raison de ses caractéristiques protégées par la LCDP.
[81] MM. Kahn et Cameron ont déclaré que la Banque ne versait aucune prime aux employés occasionnels. Suivant les modalités du contrat de M. Williams avec la Banque, il n’avait pas droit à une prime. Selon la preuve fournie par la Banque, M. Williams n’avait pas reçu de prime uniquement pour cette raison, et non pour toute raison liée à l’une de ses caractéristiques protégées par la LCDP. Mme Soodoo a déclaré qu’elle avait été employée occasionnelle à la Banque pendant trois ans et qu’elle n’avait obtenu ni prime ni avantages durant cette période.
[82] M. Williams a travaillé pendant plus de deux ans à la Banque et il n’a obtenu aucune augmentation de salaire au cours de sa période d’emploi, bien qu’il en ait demandé une après avoir obtenu la cote « Qualité satisfaisante » lors de son évaluation de rendement. Ni M. Kobe ni Mme Chan n’a répondu au courriel dans lequel le plaignant demandait une augmentation de salaire. M. Williams a estimé qu’il n’avait pas obtenu d’augmentation de salaire en raison de ses caractéristiques protégées par la LCDP, car les employés non occasionnels de l’équipe CARDS qui ne possédaient pas les mêmes caractéristiques protégées que lui ont obtenu une augmentation. M. Williams n’a pas appelé M. Kobe ni Mme Chan comme témoins. M. Kahn a déclaré qu’il n’avait pas reçu le courriel, mais qu’il était au courant de la demande de M. Williams et qu’il avait demandé à M. Kobe de la transmettre aux Ressources humaines (les « RH »). Cependant, il ne savait pas si ce dernier avait fait un suivi auprès des RH avant la cessation de l’emploi de M. Williams, en août 2017.
[83] M. Cameron a témoigné à propos des politiques de la Banque relatives aux rajustements du salaire de base, lesquels sont examinés annuellement, mais ne sont pas garantis aux employés. Pour déterminer si des rajustements de salaire sont justifiés, à la hausse ou à la baisse, par rapport au point médian de la rémunération de base ou à la référence du marché pour un emploi donné, il faut tenir compte de plusieurs facteurs, dont le rendement. Normalement, cette décision est prise en octobre, mois au cours duquel la Banque a mis fin à l’emploi de M. Williams. Il est difficile de savoir si M. Williams aurait obtenu une augmentation, étant donné son rendement et son contrat d’emploi occasionnel, lequel ne prévoyait pas d’augmentation de salaire.
V. CADRE JURIDIQUE
[84] L’article 7 de la LCDP interdit toute discrimination en cours d’emploi fondée sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique, le sexe ou l’âge.
[85] Il incombe au plaignant qui allègue une infraction à la LCDP d’établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est « [...] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de [l]’intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, au par. 28).
[86] La norme de preuve applicable est la norme civile de la prépondérance des probabilités. Afin de s’acquitter de son fardeau, le plaignant doit établir non pas la preuve d’un lien « causal », mais plutôt d’un simple « lien » ou d’un « facteur » entre la conduite reprochée et le motif de distinction illicite prévu par la LCDP : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 RCS 789 [Bombardier], au par. 65.
[87] Pour que sa plainte soit accueillie, le plaignant doit démontrer qu’il existe un lien entre le traitement reproché et un motif de distinction illicite prévu par la LCDP. Il doit y avoir plus qu’une croyance abstraite ou un doute pour soutenir une allégation de discrimination : Ozcevik c. Canada (Agence du revenu), 2021 CF (CanLII), au par. 20; Banda c. Service correctionnel du Canada, 2024 TCDP 89, au par. 71.
[88] Une fois que la preuve prima facie de discrimination est établie, l’intimé a alors le fardeau de réfuter les allégations de discrimination ou de justifier la conduite suivant le régime d’exemptions prévu par la LCDP. Si la conduite ne peut être réfutée ou justifiée, le Tribunal conclura qu’il y a eu discrimination : Dulce Crowchild c. Nation Tsuut’ina, 2020 TCDP 6, aux par. 10 et 11 [Dulce-Crowchild]; Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 RCS 360, au par. 33 [Moore]; O’Malley, au par. 28.
[89] Pour établir une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 de la LCDP, le plaignant doit généralement démontrer : a) qu’il possède une ou plusieurs caractéristiques protégées par la LCDP contre la discrimination; 2) qu’il a subi un traitement défavorable ou un désavantage; 3) que sa ou ses caractéristiques protégées ont constitué un facteur dans la manifestation du traitement défavorable ou du désavantage subi : Moore, au par. 33; Fitzgerald v. Toronto Police Services Board, 2019 HRTO 22.
[90] Le critère pour établir une preuve prima facie est nécessairement souple et dépend des circonstances parce qu’il est appliqué dans des affaires présentant des variations factuelles diverses et impliquant des motifs de distinction variés (Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110, au par. 83).
[91] Il n’est pas nécessaire que les actes de l’employeur ou les décisions en cause aient été motivés uniquement par des considérations discriminatoires. Il suffit que la discrimination soit un des facteurs, même si d’autres facteurs ont aussi joué un rôle : Bombardier, aux par. 44 à 52; Khiamal c. Canada (Commission des droits de la personne), 2009 CF 495, aux par. 80 à 84.
[92] De plus, le plaignant n’est pas tenu de démontrer que l’intimé avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son endroit. C’est plutôt l’effet de l’acte discriminatoire qui importe : Bombardier, aux par. 40 et 41.
[93] Il est reconnu dans la jurisprudence en matière de droits de la personne que, dans bien des affaires, le plaignant ne dispose pas d’une preuve directe de discrimination, car celle-ci est rarement exprimée ouvertement. Par conséquent, il appartient aux tribunaux d’examiner l’ensemble des circonstances de la plainte et de décider s’il existe une « subtile odeur » de discrimination : Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP); Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2020 TCDP 1, au par. 48.
[94] La preuve circonstancielle peut aider les décideurs à tirer une conclusion de discrimination lorsque la preuve présentée à l’appui des allégations rend cette conclusion plus probable que les autres hypothèses ou conclusions possibles. Ainsi, la preuve circonstancielle et les conclusions tirées sont d’autant plus pertinentes dans ce genre d’affaires : Nielsen c. Nee Tahi Buhn Indian Band, 2019 TCDP 50 (CanLII), au par. 46; Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396 (CanLII) [Pieters], aux par. 72, 73 et 111.
[95] Les cours et les tribunaux ont reconnu qu’il pouvait être difficile de prouver la discrimination raciale, étant donné qu’un tel acte est souvent commis de manière très subtile et que [traduction] « les stéréotypes raciaux découlent généralement de subtiles croyances, partis pris et préjugés inconscients » (Pieters, au par. 111).
[96] Le Tribunal a établi, en tant que guide utile, un critère à trois volets applicable aux affaires portant sur l’article 7 de la LCDP où des concours sont menés pour un emploi et qu’une personne autre que le plaignant est embauchée. Dans ces affaires, le plaignant doit démontrer ce qui suit : 1) il était qualifié pour l’emploi en question; 2) il n’a pas obtenu l’emploi en question; 3) une personne qui n’était pas plus qualifiée, mais qui ne possédait pas la caractéristique protégée à l’origine de la plainte, a obtenu le poste. Le critère ne doit pas être appliqué d’une manière rigide ou arbitraire; il faut plutôt apprécier les circonstances de chaque affaire. En fin de compte, la question est de savoir si le plaignant a démontré que la preuve est complète et suffisante pour justifier un verdict en sa faveur, en l’absence d’une réponse de l’intimé (Premakumar c. Air Canada, 2002 CanLII 23561 (TCDP), aux par. 74 à 77).
[97] L’intimé peut présenter une preuve pour réfuter une allégation prima facie de discrimination. Lorsque l’intimé réfute une allégation de discrimination, son explication doit être raisonnable et crédible et ne doit pas constituer un simple « prétexte » ou une excuse pour dissimuler l’acte discriminatoire (Dulce-Crowchild, aux par. 10 et 11).
[98] Le fait que l’intimé change la raison expliquant sa conduite peut justifier qu’il soit conclu à l’existence de discrimination (Pieters, au par. 105).
[99] Les préjugés raciaux inconscients ou involontaires sont présents dans la société, même en l’absence de discrimination intentionnelle ou manifeste. On peut déduire qu’un employeur a un préjugé négatif inconscient s’il refuse une possibilité d’emploi à un employé en raison d’une fausse perception de sa personnalité et de son rendement réel (Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2020 TCDP 1, aux par. 49, 106, 109 et 113).
[100] Le défaut d’appeler des témoins, tels que des collègues qui posséderaient de l’information et une connaissance directe pouvant appuyer la cause du plaignant, pourrait amener le Tribunal à tirer une conclusion défavorable (Campbell v. SST Group Construction Companies Ltd, 2017 HRTO 1643, aux par. 38, 40, 44 et 45).
[101] En matière de dotation, il n’appartient pas au Tribunal de mettre en doute le bien-fondé des décisions par lesquelles les décideurs déterminent si un postulant est qualifié pour un emploi ou si, dans le cadre d’une restructuration, un poste doit être éliminé; le rôle du Tribunal consiste plutôt à déterminer si ces décisions sont entachées de discrimination (Tazehkand c. Banque du Canada, 2020 CF 1193, au par. 52; Durrer c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2007 TCDP 6, aux par. 63 et 64).
VI. RÉSUMÉ DE LA POSITION DU PLAIGNANT
[102] M. Williams affirme que, au cours de la période visée par la plainte, 36 postes à pourvoir dans l’équipe CARDS n’ont pas été affichés à l’interne et, en conséquence, il n’a pas eu une chance équitable de présenter sa candidature. Il allègue que le défaut de la Banque d’afficher ces postes à l’interne était lié à ses caractéristiques protégées par la LCDP. Toutefois, il reconnaît que les autres agents CARDS, qui ne possédaient pas les mêmes caractéristiques protégées que lui, n’ont pas non plus été informés de ces possibilités d’emploi, puisque la Banque ne les a pas affichées à l’interne. M. Williams affirme que les postes ont été pourvus par d’autres candidats qui ne faisaient même pas partie de l’équipe CARDS et qui ne possédaient pas les mêmes caractéristiques protégées que lui. Il dit que ces personnes ont été informées de ces possibilités et qu’elles ont été embauchées.
[103] M. Williams croit que, en n’affichant pas les postes CARDS à l’interne, la direction tentait délibérément d’empêcher sa progression professionnelle, en raison de ses caractéristiques protégées. Il s’appuie sur la discussion qu’il aurait eue avec son ancien gestionnaire principal, M. Kobe, qui lui aurait dit qu’il voulait faire passer son statut d’employé occasionnel à employé à temps plein dans l’équipe CARDS, mais que d’autres membres de la direction, y compris Mme Chan, ne voulaient pas le voir progresser. M. Williams allègue également que Mme Chan, qui a aussi été sa gestionnaire, préférait que des femmes asiatiques soient embauchées à sa place. Il ajoute que Mme Culnan, vice-présidente de l’ARC, aurait fait à M. Kahn la remarque infondée qu’il [traduction] « n’irait nulle part », montrant ainsi qu’elle avait un préjugé raciste à son égard parce qu’il est un homme noir.
[104] M. Williams avance qu’on lui a injustement refusé une entrevue pour le poste d’analyste de projets stratégiques de niveau 6 dans l’équipe RO en raison de sa race, de sa couleur ou de son origine ethnique. Encore une fois, il croit que la direction tentait délibérément d’empêcher son avancement professionnel, que M. Zuniga avait probablement demandé à ses gestionnaires de l’équipe CARDS s’il pouvait l’interviewer et que ces derniers, y compris Mme Chan, avaient fait des commentaires négatifs à son sujet en raison de leurs préjugés racistes à son endroit. De plus, M. Kahn, qui aurait dit que M. Williams n’était [traduction] « pas leur meilleur élément », et Mme Culnan, qui aurait dit qu’il [traduction] « n’irait nulle part », comme il a été mentionné précédemment, avaient aussi probablement fourni des références négatives à son égard pour le poste parce qu’ils avaient des préjugés racistes envers lui. Enfin, M. Williams soutient qu’il était au moins aussi qualifié pour le poste que les autres candidats convoqués en entrevue.
[105] M. Williams a bien obtenu une entrevue pour le poste de spécialiste des solutions en matière de gouvernance, de politiques et de procédures de niveau 8, mais il allègue qu’il n’a pas été retenu pour le poste en raison de sa race, de sa couleur ou de son origine ethnique. Pour appuyer cette affirmation, il invoque le commentaire d’un des intervieweurs, qui aurait dit [traduction] « nous aimons le blanc ». M. Williams estime qu’il était qualifié pour le poste. En outre, il avance que ses gestionnaires de l’équipe CARDS ont probablement été contactés et lui ont donné de mauvaises références, pour les raisons susmentionnées.
[106] M. Williams estime qu’il aurait dû être convoqué en entrevue pour les postes de niveau 7 d’analyste des données commerciales et d’analyste des processus auxquels il a postulé en même temps par l’entremise de la plateforme SuccessFactors. Il soutient que le refus de lui accorder des entrevues constituait un acte discriminatoire fondé sur ses caractéristiques protégées et sur les préjugés négatifs que, à son avis, ses gestionnaires de l’équipe CARDS avaient exprimés lorsque les gestionnaires d’embauche les avaient contactés à propos de ces postes. Il estime qu’il était suffisamment qualifié au moins pour être convoqué en entrevue, étant donné son expérience et ses compétences.
[107] M. Williams soutient aussi que la Banque a fait preuve de discrimination à son égard en ne lui donnant pas de prime, alors que les autres employés en ont reçu. C’était le seul employé occasionnel et l’un des trois seuls employés noirs de l’équipe CARDS. Je rappelle que, de son point de vue, s’il n’a pas obtenu de prime, c’est parce que la direction ne voulait pas qu’il réussisse en raison de ses caractéristiques protégées par la LCDP, selon la mise en garde que lui aurait servie M. Kobe.
[108] M. Williams soutient également qu’il aurait dû obtenir une augmentation comme les autres employés, compte tenu de son évaluation de rendement. Selon lui, le fait que la direction de l’équipe CARDS n’ait même pas répondu à sa demande d’augmentation montre qu’elle avait à son endroit un préjugé défavorable fondé sur ses caractéristiques protégées par la LCDP.
[109] M. Williams est fermement convaincu qu’il a été victime de discrimination lorsqu’il a fait l’objet d’un licenciement non motivé, sans qu’aucune raison ne soit donnée dans la lettre de cessation d’emploi. Selon lui, la cessation de son emploi ne cadrait pas avec la cote « Qualité satisfaisante » qu’il avait obtenue dans son évaluation de rendement. M. Williams est d’avis que M. Kahn a fait preuve de discrimination à son égard en choisissant de mettre fin à son emploi, car il pouvait et aurait dû le maintenir en poste, étant donné que l’effectif de l’équipe CARDS avait déjà été réduit de trois employés, soit un de plus que la recommandation faite par l’équipe de la TCS. M. Kahn a mis fin à l’emploi de M. Williams alors qu’il y avait toujours des embauches de nouveaux employés à temps plein dans l’équipe CARDS et que la Banque lui demandait encore de travailler à temps plein en tant qu’employé occasionnel. Compte tenu de ces contradictions, M. Williams croit que la raison énoncée par M. Kahn, à savoir qu’il a mis fin à son emploi pour des raisons opérationnelles, car il occupait le seul poste occasionnel dans l’équipe CARDS, était un prétexte pour le traiter de façon discriminatoire en raison de sa race et d’autres caractéristiques protégées par la LCDP.
[110] Par ailleurs, M. Williams affirme que la Banque a modifié les raisons expliquant pourquoi elle avait mis fin à son emploi. Il croit que, en réalité, il a fait l’objet d’un licenciement non motivé par M. Kahn en raison d’un commentaire infondé de Mme Chan selon lequel il n’affichait pas un rendement exceptionnel. Mme Chan a formulé ce commentaire même si M. Williams a obtenu la cote « Qualité satisfaisante » dans son évaluation de rendement et que la direction ne lui a jamais donné de conseils au sujet de lacunes relatives à son rendement après son évaluation. M. Williams avance que Mme Chan et M. Kahn ont tiré des conclusions sur son rendement sans aucun fondement, seulement parce qu’ils avaient à son égard de faux préjugés négatifs fondés sur ses caractéristiques protégées. Il estime que ce traitement était défavorable par rapport au traitement réservé aux autres employés qui ne possédaient pas les mêmes caractéristiques protégées que lui.
[111] M. Williams affirme que sa plainte est fondée et que le Tribunal devrait arriver à la même conclusion et l’indemniser en raison de la contravention à l’article 7 de la LCDP.
VII. RÉSUMÉ DE LA POSITION DE L’INTIMÉE
[112] Le principal argument avancé par la Banque est que, d’après les éléments de preuve présentés à l’audience, M. Williams ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir le bien-fondé de sa plainte, ce qu’il est pourtant tenu de faire suivant les principes juridiques applicables.
[113] La Banque fait valoir que les allégations de discrimination de M. Williams sont fondées sur ses perceptions et impressions des décisions qu’elle a prises, et que ces perceptions et impressions ne sont pas étayées par les faits présentés à l’audience ni raisonnablement liées aux motifs de distinction invoqués par le plaignant. La Banque exhorte le Tribunal à ne pas conclure qu’elle a fait preuve de discrimination sur la base des fausses perceptions et impressions de M. Williams quant aux événements survenus.
[114] La Banque affirme que ses témoins étaient tous francs, sincères et crédibles lorsqu’ils ont déclaré que les décisions qu’elle a prises, pendant la période visée, à propos des éléments contestés par M. Williams n’étaient aucunement discriminatoires. La Banque soutient que M. Williams n’était pas un témoin crédible à plusieurs égards. Elle estime que, chaque fois qu’il y avait un désaccord entre les parties au sujet d’un élément de preuve donné, le témoignage factuel présenté par ses témoins, plus expérimentés et crédibles, devait être préféré au témoignage subjectif et conjectural de M. Williams.
[115] La Banque soutient que le Tribunal devrait tirer une conclusion en défaveur de M. Williams au motif que ce dernier n’a pas appelé de témoins pour étayer sa cause, malgré le fait qu’il avait déclaré que des témoins pourraient éventuellement appuyer ses arguments et qu’il avait obtenu du Tribunal les citations à comparaître pour certains d’entre eux, qu’il n’a toutefois pas signifiées. Par exemple, M. Williams n’a pas appelé comme témoin M. Kobe, son ancien gestionnaire, alors que ce dernier lui aurait dit qu’il essaierait de lui faire acquérir le statut d’employé permanent, mais que d’autres gestionnaires empêchaient son avancement en raison de sa race. La Banque soutient qu’une conclusion défavorable devrait être tirée à l’égard de M. Williams, car, selon elle, le fait qu’il n’ait pas appelé M. Kobe à témoigner mine l’une de ses principales perceptions, à savoir que les gestionnaires de la Banque auraient uni leurs efforts pour empêcher son avancement en raison de ses caractéristiques protégées par la LCDP.
[116] Concernant l’allégation selon laquelle les postes dans l’équipe CARDS qui devaient absolument être pourvus à court terme pour traiter l’arriéré de travail temporaire, afin de respecter des exigences réglementaires et de pallier les conséquences du va-et-vient lié au projet RO, auraient seulement été affichés à l’externe, la Banque affirme que c’est faux. À cet égard, elle s’appuie sur sa preuve selon laquelle tous les postes vacants doivent être affichés à l’interne et à l’externe, à l’exception des mutations de courte durée d’employés existants visant à répondre à des besoins à court terme, conformément aux politiques de la Banque.
[117] La Banque estime avoir montré par sa preuve que tous les postes vacants dans l’équipe CARDS qui, selon M. Williams, n’ont pas été affichés à l’interne pour des motifs discriminatoires, ont en fait été affichés à l’interne et à l’externe, et qu’il aurait pu postuler à ces postes, mais il ne l’a pas fait.
[118] De plus, la Banque fait valoir que si, comme le prétend M. Williams, les postes vacants dans l’équipe CARDS n’avaient pas été affichés à l’interne, tous les autres agents CARDS qui ne possédaient pas les mêmes caractéristiques protégées que M. Williams auraient subi le même traitement que lui. Les décisions d’embauche prises par la Banque n’auraient donc pas constitué un traitement défavorable, car elles auraient eu sur M. Williams le même effet préjudiciable que sur tous les autres agents CARDS, et, par conséquent, ce traitement ne répondrait pas au critère juridique applicable en matière de discrimination.
[119] En outre, si les postes vacants dans l’équipe CARDS dont les nominations ont été contestées par M. Williams n’avaient pas été affichés à l’interne, et que M. Williams et ses collègues étaient sincèrement préoccupés par toutes les embauches au sein de l’équipe CARDS, comme il l’a allégué, M. Williams aurait pu demander à présenter sa candidature ou déposer une plainte auprès de la haute direction; or, il n’en a rien fait.
[120] La Banque soutient que le témoignage de M. Williams selon lequel son ancienne gestionnaire directe de l’équipe CARDS, Mme Chan, préférait que des femmes asiatiques plus âgées que lui soient embauchées, doit être rejeté. Comme pour M. Kobe, M. Williams n’a pas appelé Mme Chan à témoigner, même si elle figurait sur sa liste de témoins et qu’il avait obtenu du Tribunal une citation à comparaître pour elle, qu’il ne lui a pas signifiée. De plus, il n’a présenté aucune preuve crédible pour appuyer ses soupçons concernant la préférence de Mme Chan pour l’embauche de femmes asiatiques.
[121] De même, la Banque nie l’allégation selon laquelle Mme Culnan aurait dit à M. Kahn que M. Williams [traduction] « n’irait nulle part », compte tenu du témoignage contradictoire de M. Kahn et du fait que M. Williams n’a pas appelé à témoigner, pour corroborer son allégation, un potentiel témoin qui se trouvait près de l’endroit où le commentaire aurait été fait. En outre, la Banque fait valoir que, quand bien même le commentaire aurait été fait, il s’agissait, au mieux, d’une remarque vague n’établissant pas la discrimination.
[122] En ce qui concerne les quatre demandes d’emploi infructueuses de M. Williams pour des postes en dehors de l’équipe CARDS, la Banque affirme qu’elle n’a aucunement fait preuve de discrimination à son égard dans ses décisions. La Banque soutient que M. Williams n’a présenté aucun élément de preuve crédible prouvant qu’elle avait fait preuve de discrimination à son égard dans l’une ou l’autre de ces décisions. Selon elle, le plaignant n’était qualifié pour aucun des postes auxquels il a postulé, et elle affirme que c’est la seule raison pour laquelle sa candidature n’a pas été retenue.
[123] La Banque fait valoir qu’aucun élément de preuve n’indique que des gestionnaires de l’équipe CARDS ont été contactés durant le processus d’embauche pour les postes susmentionnés ni qu’ils ont formulé des commentaires négatifs au sujet de M. Williams. Il n’a pas non plus été démontré que M. Williams était aussi qualifié que les candidats retenus pour l’un ou l’autre de ces postes, lesquels étaient tous d’un niveau beaucoup plus élevé que le sien et exigeaient une expérience et des compétences bien plus importantes que les siennes. M. Williams ne savait même pas qui étaient les candidats retenus.
[124] Dans le seul cas où M. Williams a obtenu une entrevue, soit pour le poste de spécialiste des solutions en matière de gouvernance, de politiques et de procédures de niveau 8, la Banque nie qu’un intervieweur ait dit à M. Williams qu’ils [traduction] « aimaient le blanc », comme le prétend ce dernier. M. Williams a invoqué ce commentaire pour la première fois lors de l’audience et, quoi qu’il en soit, on ne sait pas exactement ce qu’il signifie, en supposant qu’il ait réellement été formulé. À l’exception des intervieweurs qui ont interviewé M. Williams pour ce poste, aucune des personnes ayant participé au processus d’embauche lié aux emplois postulés par le plaignant en dehors de l’équipe CARDS ne savait qui était M. Williams ni quelles étaient ses caractéristiques protégées.
[125] La Banque soutient que M. Williams n’a présenté aucun élément de preuve crédible permettant d’établir un lien entre ses décisions de ne pas lui donner de prime ou d’augmentation de salaire et une caractéristique protégée. Elle s’appuie sur le statut d’employé occasionnel de M. Williams et sur le contrat qu’elle avait conclu avec lui pour faire valoir que ce dernier n’avait droit ni à une prime ni à une augmentation de salaire.
[126] La Banque n’a pas répondu à sa demande d’augmentation de salaire, mais M. Williams n’était plus employé de la Banque au moment où une augmentation de salaire aurait pu lui être accordée, soit en octobre, lorsque les augmentations sont normalement données aux employés pour leur rendement, à l’occasion des évaluations de rendement. Ainsi, la Banque soutient qu’elle ne l’a pas traité défavorablement par rapport aux autres employés de la Banque, et que, par conséquent, le traitement de M. Williams n’était pas discriminatoire, au regard des critères juridiques applicables.
[127] La Banque s’appuie sur la preuve exposée aux paragraphes 25, 28, 29 et 30 de la présente décision pour étayer sa position voulant que la cessation de l’emploi de M. Williams n’était fondée sur aucune de ses caractéristiques protégées par la LCDP. La Banque soutient qu’elle a plutôt mis fin à son emploi pour des raisons opérationnelles valables, à la suite d’une initiative légitime de restructuration visant à réduire les coûts qui était menée à l’échelle de la Banque, durant laquelle le maintien du poste de M. Williams, le seul poste occasionnel de l’équipe CARDS, avait été jugé inutile. Cette preuve a été présentée en grande partie par M. Kahn, un gestionnaire professionnel chevronné qui, selon la Banque, s’est montré crédible lorsqu’il a déclaré que la principale raison de la cessation d’emploi était le statut occasionnel du poste, et non la personne qui l’occupait. En outre, la Banque fait valoir que M. Williams n’a postulé à aucun des postes vacants non occasionnels offerts dans l’équipe CARDS auxquels il aurait pu postuler.
[128] Comme pour les autres allégations de M. Williams selon lesquelles les décisions de la Banque qu’il a contestées étaient discriminatoires, la Banque estime que M. Williams n’a pas démontré que la cessation de son emploi était discriminatoire ou liée à l’une de ses caractéristiques protégées par la LCDP. Elle soutient que les allégations de M. Williams sont fondées sur ses impressions et perceptions des événements plutôt que sur des éléments de preuve crédibles présentés à l’audience. La Banque ajoute que de telles conjectures ne devraient pas permettre de tirer une conclusion selon laquelle elle a fait preuve, lors de la cessation d’emploi ou dans ses autres décisions contestées en l’espèce par M. Williams, de discrimination fondée sur l’une ou l’autre des caractéristiques protégées du plaignant.
[129] La Banque soutient que la plainte doit être rejetée, car M. Williams n’a pas réussi à en établir le bien-fondé au moyen des éléments de preuve présentés à l’audience et suivant les principes juridiques applicables.
VIII. ANALYSE
[130] M. Williams croit qu’il a été victime de discrimination pendant sa courte carrière à la Banque. Il possède des caractéristiques protégées par la LCDP, dont sa race et sa couleur. Il a subi un traitement défavorable par la Banque ou un désavantage, notamment sa cessation d’emploi, alors que d’autres personnes étaient embauchées et que l’effectif de l’équipe CARDS avait déjà été réduit conformément à la recommandation de l’équipe de la TCS. À cet égard, sa plainte satisfait aux deux premiers volets du critère de l’arrêt Moore mentionné au paragraphe 89 de la présente décision.
[131] Toutefois, pour que soit rempli le troisième volet du critère de l’arrêt Moore, il faudrait que le plaignant fournisse une preuve, directe ou circonstancielle, démontrant que ses caractéristiques protégées ont influé sur le traitement défavorable ou le désavantage subi.
[132] Compte tenu des éléments de preuve présentés à l’audience, je conclus qu’il n’existe aucune preuve directe (manifeste) ou circonstancielle démontrant que l’une ou l’autre des caractéristiques protégées de M. Williams a été un facteur dans toute décision de la Banque que conteste M. Williams.
[133] M. Williams a formulé un certain nombre d’allégations concernant des commentaires qui, selon lui, constituaient une preuve directe de racisme ou de préjugé de la Banque à son égard.
[134] Par exemple, M. Williams a allégué pour la première fois lors de l’audience que, pendant son entrevue pour le poste mentionné aux paragraphes 71 à 74 de la présente décision, quelqu’un a dit [traduction] « nous préférons le blanc ». Mme Pugh, qui a assisté à l’entrevue, a déclaré qu’elle ne se rappelait pas que de tels propos aient été tenus et qu’elle s’en souviendrait sûrement si un tel commentaire avait été fait. Elle est autochtone et fait la promotion de la diversité, de l’équité et de l’inclusion en milieu de travail à la Banque. Mais quand bien même ce commentaire aurait été exprimé, sa véritable signification n’est pas claire, car il aurait pu signifier bien d’autres choses que du racisme. J’accepte le témoignage de Mme Pugh selon lequel ce commentaire n’a pas été exprimé.
[135] Une autre preuve directe alléguée de discrimination, que M. Williams a mentionnée plusieurs fois et à laquelle il a accordé beaucoup d’importance, résidait dans les prétendus commentaires de M. Kobe, à savoir qu’il voulait promouvoir M. Williams, mais que d’autres gestionnaires de l’équipe CARDS contrecarraient les efforts de M. Williams pour obtenir de l’avancement au sein de la Banque parce qu’ils avaient à son égard des préjugés fondés sur sa race ou d’autres caractéristiques protégées. M. Kobe était le gestionnaire de M. Williams jusqu’à ce qu’il soit lui aussi licencié par la Banque dans le cadre de l’initiative de TCS. M. Williams aurait pu l’appeler comme témoin pour corroborer cette preuve potentiellement cruciale. M. Kobe ne figurait même pas comme témoin potentiel sur la liste de témoins de M. Williams et il n’a pas comparu en tant que témoin à l’audience.
[136] Je tire une conclusion défavorable du fait que M. Williams n’a pas appelé M. Kobe à témoigner. Je suis très sceptique par rapport à la preuve par ouï-dire de M. Williams, selon laquelle M. Kobe lui aurait dit qu’il voulait le promouvoir, mais que d’autres gestionnaires de l’équipe CARDS, qui avaient des préjugés à son égard, lui auraient donné de mauvaises références pour les emplois qu’il avait postulés à la Banque et auraient essayé d’empêcher son avancement en raison de l’une ou l’autre de ses caractéristiques protégées par la LCDP. Les témoignages présentés par les témoins de la Banque, à l’audience, contredisent le témoignage de M. Williams voulant que des gestionnaires de l’équipe CARDS avaient des préjugés à son endroit, et j’accepte leurs témoignages plutôt que celui du plaignant, car ils sont plus crédibles. Aucun élément de preuve n’indique que M. Williams ait jamais fait part aux RH ou à la haute direction de la Banque de ses préoccupations concernant la discrimination alléguée relativement aux questions en litige dans la présente affaire, par les mécanismes internes que la Banque met à la disposition des employés pour signaler les violations de sa politique sur les comportements respectueux en milieu de travail ou de sa politique antidiscrimination.
[137] J’ai aussi des doutes sur la preuve directe alléguée par M. Williams selon laquelle Mme Culnan aurait fait à M. Kahn le commentaire, mentionné au paragraphe 54 de la présente décision, que M. Williams [traduction] « n’irait nulle part ». J’accepte le témoignage de M. Kahn selon lequel il ne se souvenait pas qu’une telle déclaration ait été faite. Je tire également une conclusion défavorable du fait que M. Williams n’a pas appelé comme témoin, pour corroborer son allégation, un collègue qui se trouvait près du lieu où le commentaire aurait été fait. Quoi qu’il en soit, en supposant que le commentaire soit vrai, je ne comprends pas bien ce qu’il signifie ni comment il pourrait être lié à un motif de distinction illicite prévu par la LCDP.
[138] Mme Chan figurait sur la liste de témoins de M. Williams et, à la demande de ce dernier, le Tribunal avait délivré pour elle une citation à comparaître comme témoin à l’audience. Au début de l’audience, M. Williams a informé le Tribunal et la Banque qu’il appellerait tous les témoins figurant sur sa liste, y compris Mme Chan. Pourtant, après le début de l’audience, comme il a été souligné précédemment, M. Williams a mentionné au Tribunal et à la Banque qu’il n’avait pas été en mesure de signifier la citation à Mme Chan ni de la contacter, pas plus qu’il n’avait pu contacter les autres témoins de sa liste pour lesquels il avait obtenu du Tribunal des citations à comparaître, à sa demande, plusieurs semaines auparavant. De plus, M. Williams n’a pris aucune disposition pour leur signification à personne et le versement des indemnités requises, suivant les directives que lui avait fournies le Tribunal dans sa correspondance avec lui au sujet des citations à comparaître.
[139] Il ne faut pas en déduire que, en raison du défaut de M. Williams d’appeler Mme Chan comme témoin, je serais amené à tirer une conclusion défavorable au sujet du témoignage qu’elle aurait pu présenter. Or, M. Williams allègue que Mme Chan est la personne qui, à l’instar de M. Kahn, a participé à la prise de plusieurs décisions qui lui étaient défavorables, à son avis, en raison de ses caractéristiques protégées par la LCDP. Mme Chan n’a tout simplement pas comparu à l’audience, ni pour corroborer ni pour réfuter les allégations de M. Williams. Cependant, des témoins de la Banque ont présenté des témoignages crédibles qui semblent contredire le témoignage de M. Williams voulant que Mme Chan ait eu un préjugé discriminatoire à son endroit.
[140] Je considère qu’aucun des éléments de preuve présentés à l’audience ne constitue une preuve directe que M. Williams a subi de la discrimination de la part de Mme Chan, comme il le prétend. Plus précisément, le plaignant allègue que Mme Chan a favorisé l’embauche de femmes asiatiques, qu’elle a contribué à la décision de M. Kahn de mettre fin à son emploi en lui donnant des renseignements erronés défavorables sur son rendement ou qu’elle a, de concert avec les autres gestionnaires de l’équipe CARDS, nui à ses possibilités d’obtenir un meilleur statut d’emploi que son statut occasionnel, et ce, en raison de sa race ou d’autres caractéristiques protégées. Elle l’aurait notamment empêché d’obtenir une augmentation de salaire, une prime ou de bonnes références pour d’autres emplois qu’il a postulés à la Banque.
[141] Dans son témoignage, M. Williams formule simplement ces allégations, sans établir de lien raisonnable entre elles et un motif de distinction illicite prévu par la LCDP. Il n’existe aucune preuve concrète, statistique ou autre, d’une préférence de Mme Chan ou de toute autre employé de la Banque pour l’embauche de femmes asiatiques au détriment de M. Williams. Il n’y a pas eu de preuve à l’audience concernant la race ou la couleur de l’un ou l’autre des candidats retenus pour les postes auxquels M. Williams a postulé et pour lesquels il conteste les décisions.
[142] M. Williams n’a postulé à aucun des postes offerts dans l’équipe CARDS, lesquels, allègue-t-il, n’ont pas été affichés à l’interne. S’il est vrai qu’il s’agissait d’un processus non concurrentiel dans le cadre duquel les possibilités d’emploi à l’interne n’étaient pas affichées, comme le prétend M. Williams, l’effet aurait été le même sur tous les autres agents CARDS, quelles que soient leurs caractéristiques protégées. J’accepte le témoignage de témoins de la Banque selon lequel les postes sont toujours affichés à l’interne et les offres d’emploi en cause ont été affichées à l’interne et à l’externe. J’accepte également le témoignage de témoins de la Banque selon lequel les mutations d’employés existants entre les services n’ont pas besoin d’être affichées.
[143] Je ne peux concevoir que tous les postes dans l’équipe CARDS qui, selon M. Williams, ont été pourvus sans être affichés à l’interne, n’aient pas été affichés expressément dans le but d’empêcher son avancement professionnel en raison de sa race ou de sa couleur, comme M. Williams l’a laissé entendre. Il n’y a tout simplement aucune preuve que M. Williams ait subi, en raison de ce qu’il a qualifié de processus non concurrentiel, un désavantage que d’autres employés qui ne possédaient pas les mêmes caractéristiques protégées que lui n’auraient pas subi. Malgré les perceptions de M. Williams, je conclus qu’aucune preuve n’a été présentée à l’audience pour prouver que la Banque a fait preuve de discrimination à l’égard de M. Williams dans le cadre d’un prétendu processus non concurrentiel au cours duquel les possibilités d’emploi à l’interne n’auraient pas été affichées.
[144] Aucun des gestionnaires d’embauche responsables des postes auxquels M. Williams a postulé ne connaissait M. Williams ni n’était au fait de sa race, de sa couleur ou de ses autres caractéristiques protégées. J’accepte la preuve de la Banque selon laquelle aucun des gestionnaires d’embauche responsables des postes pour lesquels M. Williams a posé sa candidature n’a contacté les gestionnaires de l’équipe CARDS ou n’a été contacté par ces derniers durant le processus d’embauche. En fait, selon la preuve présentée, il n’aurait pas été permis d’agir ainsi. Selon la preuve concernant les politiques de la Banque, un employé qui souhaite poser sa candidature pour des postes en dehors du service dans lequel il a été initialement embauché doit obtenir le consentement de son gestionnaire seulement durant sa première année d’emploi à la Banque. En ce qui concerne les embauches qui sont contestées en l’espèce, M. Williams a posé sa candidature après sa première année d’emploi.
[145] C’est M. Kahn, et non Mme Chan, qui a pris la décision de mettre fin à l’emploi de M. Williams. M. Kahn a pris en compte le commentaire de Mme Chan, à savoir que M. Williams n’était pas le meilleur élément, dans sa décision de ne pas embaucher le plaignant à un poste vacant au sein de l’équipe CARDS, ce qu’il aurait pu faire. L’information était peut-être erronée, car M. Williams n’avait fait l’objet que d’une seule évaluation de rendement, pour laquelle il avait obtenu la cote « Qualité satisfaisante », ce qui correspond, au minimum, à une cote moyenne. Or, Mme Chan avait relevé quelques points négatifs dans son évaluation de rendement concernant sa productivité et sa rapidité d’exécution des tâches.
[146] Néanmoins, la Banque a continué à employer M. Williams à temps plein pendant toute la période visée. Elle ne semble l’avoir informé d’aucun autre problème, de rendement ou autre, ni lui avoir donné de formation ou d’encadrement pour combler toute lacune ou améliorer son rendement. M. Kahn s’est plutôt fié à l’information fournie par Mme Chan, sans en vérifier lui-même la véracité, ce qu’il aurait dû faire, à mon avis. Je pense qu’il aurait pu décider d’embaucher M. Williams à un poste vacant au sein de l’équipe CARDS, quoiqu’il aurait fallu que le plaignant postule pour le poste, ce qu’il n’a pas fait.
[147] Je pense également que M. Kahn aurait pu décider de ne pas mettre fin à l’emploi de M. Williams. Cependant, je ne crois pas qu’il ait pris cette décision ni aucune autre décision concernant l’emploi du plaignant en raison d’un préjugé, conscient ou inconscient, à l’endroit de M. Williams. Je ne suis pas prêt à remettre en question la décision de M. Kahn de ne pas embaucher M. Williams à un poste vacant ni sa décision de mettre fin à son emploi, car je ne pense pas que ces décisions soient entachées de discrimination. À cet égard, je m’appuie sur mes observations et sur mon impression à l’égard de M. Kahn, qui m’a semblé tout à fait crédible, expérimenté, juste et responsable, et qui ne m’a semblé d’aucune façon susceptible de faire preuve de racisme. J’accepte son témoignage, pendant lequel il a constamment déclaré qu’il avait agi ainsi uniquement parce qu’il avait vu une possibilité opérationnelle d’éliminer un poste (sans égard à la personne qui l’occupait) qui était inutile et marginal dans l’organisation, puisqu’il s’agissait du seul poste occasionnel. D’après les éléments de preuve qui m’ont été présentés à l’audience, M. Kahn n’a aucunement fait preuve de discrimination à l’égard de M. Williams, bien que ce dernier pense le contraire.
[148] Même si M. Kahn aurait pu faire un meilleur choix de mots, j’accepte également son témoignage selon lequel il avait écrit que M. Williams n’était [traduction] « pas leur meilleur élément », dans le courriel mentionné au paragraphe 25 de la présente décision, non pas pour une raison discriminatoire, mais parce qu’il avait obtenu des renseignements sur son rendement auxquels il s’était fié, puisque le Service des relations avec les employés lui avait demandé s’informer à ce sujet pour pouvoir respecter les obligations en matière d’indemnités de départ à l’égard de M. Williams prévues par le Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2).
[149] Tous les gestionnaires d’embauche et les autres témoins qui ont témoigné à l’audience au sujet des quatre postes susmentionnés pour lesquels M. Williams a posé sa candidature ont confirmé que, dans tous les cas, le dossier de candidature soumis ne justifiait pas l’embauche de M. Williams, et que les décisions de ne pas l’embaucher étaient entièrement fondées sur des considérations non discriminatoires. J’accepte ces témoignages.
[150] Les éléments de preuve de la Banque indiquaient tous que les dossiers de candidature soumis par M. Williams comportaient des lacunes, que ses compétences et son expérience n’étaient pas suffisantes et que les exigences et le degré de complexité des emplois postulés, lesquels étaient tous d’un niveau bien plus élevé que le poste de niveau 4 qu’il occupait alors, dépassaient les compétences et l’expérience de M. Williams. Aucun élément de preuve présenté par M. Williams ne satisfaisait au troisième volet du critère juridique énoncé au paragraphe 96 de la présente décision, c’est-à-dire qu’une personne qui n’était pas plus qualifiée que M. Williams, mais qui ne possédait pas la caractéristique protégée à l’origine de la plainte, a obtenu le poste. En fait, M. Williams ne savait pas qui étaient les candidats retenus pour les postes ni quelles étaient leurs compétences ou leurs caractéristiques protégées. Selon la preuve de la Banque, que j’accepte, les candidatures des personnes retenues étaient nettement supérieures à celle de M. Williams en ce qui concerne l’expérience, les connaissances et les compétences requises pour les postes. Je conclus qu’aucun élément de preuve crédible ne permet d’établir que les décisions prises par la Banque relativement aux quatre postes en question, qui sont contestées par M. Williams dans la présente affaire, étaient entachées de discrimination.
[151] Je ne suis pas en mesure de conclure, d’après les éléments de preuve présentés à l’audience, que la Banque a intentionnellement fait preuve de discrimination à l’égard de M. Williams dans l’une ou l’autre de ses décisions contestées par ce dernier dans la présente affaire.
[152] En ce qui concerne le refus de la Banque d’accorder une prime ou une augmentation de salaire à M. Williams, je conclus également qu’il n’y a aucun élément de preuve crédible présenté à l’audience qui permette d’établir un lien entre ces décisions et un motif de distinction illicite prévu par la LCDP. La Banque aurait certes fait un beau geste en accordant une prime et une augmentation de salaire à M. Williams, mais j’accepte la preuve qu’elle a présentée selon laquelle M. Williams n’y avait pas droit, ni suivant les modalités de son contrat d’emploi occasionnel avec la Banque, ni selon les pratiques de la Banque en matière de rajustement des salaires.
[153] Je ne suis pas en mesure de conclure, en fonction des éléments de preuve présentés à l’audience, qu’il existe la moindre preuve directe que la Banque ait fait preuve de discrimination à l’égard de M. Williams dans l’une ou l’autre de ses décisions relatives à son emploi à la Banque, ou qu’elle avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son encontre de quelque manière que ce soit.
[154] Comme c’est souvent le cas dans des plaintes comme celle qui nous occupe, lorsqu’il n’y a pas de preuve directe de discrimination, il faut déterminer si la preuve indirecte ou circonstancielle présentée à l’audience est suffisante pour permettre au Tribunal de raisonnablement conclure que le troisième volet du critère juridique énoncé au paragraphe 89 de la présente décision a été satisfait. Pour tirer une telle conclusion, il faut relever, parmi les actes discriminatoires reprochés, ceux qui pourraient être involontaires et inconscients. Il s’agit d’une tâche difficile qui consiste essentiellement à essayer de lire dans les pensées des personnes ayant prétendument commis un acte discriminatoire, même si elles ne l’ont pas fait intentionnellement. Or, une telle conclusion doit être fondée sur une évaluation raisonnable et équitable de la preuve circonstancielle présentée, y compris de la question de savoir si les actes reprochés sont liés à un motif de distinction illicite prévu par la LCDP.
[155] Bien que M. Williams ait le sentiment ou l’impression d’avoir fait l’objet de discrimination de la part de la Banque dans les décisions qu’il conteste concernant son emploi, il n’a pas présenté une preuve suffisante pour établir un lien entre l’une ou l’autre de ces décisions et un motif de distinction illicite prévu par la LCDP. À partir des éléments de preuve présentés à l’audience, je ne suis pas en mesure de conclure que les caractéristiques protégées de M. Williams ont influé sur les décisions de la Banque qu’il conteste dans la présente affaire.
IX. ORDONNANCE
[156] Puisque M. Williams n’a pas réussi à établir le bien-fondé de sa plainte au moyen des éléments de preuve présentés à l’audience, sa plainte est rejetée.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Date et lieu de l’audience : 12 au 16 mai 2025
20 au 22 mai 2025
27 mai 2025
Par vidéoconférence
Comparutions :
Marcus Williams, pour
Christopher Karas, pour le plaignant (16 mai, du 20 au 22 mai et 27 mai 2025)
Tiffany O’Hearn Davies et Samantha Black, pour