Contenu de la décision
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Tribunal canadien |
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Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
la plaignante
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision sur requête
Membre :
II. DROIT RELATIF AU PRIVILÈGE
III. COMMUNICATIONS PROTÉGÉES PAR LE SECRET PROFESSIONNEL DE L’AVOCAT
IV. COMMUNICATIONS NON PROTÉGÉES PAR LE SECRET PROFESSIONNEL DE L’AVOCAT
A. S’agit-il de communications avocat-client?
B. Les communications comportent-elles une consultation ou un avis juridiques?
I. APERÇU
[1] Le 8 juillet 2025, la Première Nation de Peters a déposé une requête afin d’obtenir une ordonnance visant à exclure la preuve présentée par Andrew Genaille, un témoin proposé, en ce qui a trait aux renseignements qu’il a recueillis alors qu’il effectuait des recherches pour la Première Nation de Peters entre le 12 décembre 2012 et le 1er janvier 2014, au motif que ces renseignements sont protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat.
[2] Aux termes du paragraphe 50(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., (1985), ch. H-6 [la « LCDP »], le membre ne peut admettre en preuve des éléments « qui, dans le droit de la preuve, sont confidentiels devant les tribunaux », notamment en raison du secret professionnel de l’avocat.
[3] La Commission canadienne des droits de la personne [la « Commission »] a déposé des observations dans lesquelles elle conteste la requête. La plaignante, Patricia Raymond, conteste également la requête et s’appuie sur les observations déposées par la Commission.
[4] M. Genaille n’est pas avocat. Il a été embauché — avec sa sœur, Lisa Genaille, et son frère, Robert Genaille — pour faire des recherches généalogiques pour le compte de la Première Nation de Peters, conformément à une résolution adoptée par le conseil de bande le 15 janvier 2013. Les chercheurs étaient chargés d’évaluer les demandes d’adhésion présentées le 24 octobre 2012 par 66 personnes. Plus précisément, ils devaient mener des recherches afin d’aider la Première Nation de Peters à déterminer si ces personnes remplissaient les critères d’appartenance, c’est-à-dire trouver et examiner les actes de naissance, de décès, de mariage et de divorce, les certificats de statut d’Indien ainsi que les dossiers d’inscription et d’émancipation. La résolution autorisait les chercheurs à communiquer les résultats de leurs recherches au conseil de bande et aux employés autorisés, dont le gestionnaire et l’administrateur de la bande, ainsi qu’à tout agent autorisé, y compris l’avocat, Stan H. Ashcroft.
[5] La plaignante a l’intention d’appeler M. Genaille à témoigner afin qu’il fasse part des renseignements qu’il a recueillis et des observations qu’il a pu faire alors qu’il était chargé de faire des recherches pour le compte de la Première Nation de Peters sur les demandes d’adhésion déposées le 24 octobre 2012.
[6] Pour les motifs exposés ci-après, la requête est accueillie en partie. M. Genaille ne peut pas parler des échanges, écrits ou verbaux, qu’il a eus avec les avocats appelés à conseiller la Première Nation de Peters. Pour le reste, le secret professionnel de l’avocat ne s’applique pas, si bien qu’il ne peut être invoqué dans le but d’écarter ou de limiter les éléments de preuve touchant les recherches, les dossiers ou les observations que M. Genaille a pu présenter entre le 12 décembre 2012 et le 1er janvier 2014, alors qu’il travaillait pour la Première Nation de Peters.
II. DROIT RELATIF AU PRIVILÈGE
[7] Comme l’a souligné la Commission et comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada à maintes reprises, chacun — y compris les gouvernements tels que les conseils des Premières Nations — a le droit d’être représenté par un avocat et de bénéficier de l’expertise de ce dernier sans craindre que les communications soient utilisées contre lui. La protection des communications avocat-client est fondée sur le fait que les rapports et les communications entre l’avocat et son client sont essentiels au bon fonctionnement du système juridique (R. c. Gruenke, 1991 CanLII 40 (CSC), [1991] 3 RCS 263, à la p. 289).
[8] Toutefois, pour assurer une bonne administration de la justice, seules les communications qui peuvent véritablement être considérées comme des communications avocat-client doivent être rigoureusement protégées. Si la portée du secret professionnel de l’avocat était indûment élargie, les cours et les tribunaux seraient injustement privés d’éléments de preuve pertinents et probants. Dans l’arrêt Solosky c. La Reine, 1979 CanLII 9 (CSC), [1980] 1 RCS 821, la Cour suprême du Canada a énoncé trois critères permettant d’établir l’existence du secret professionnel de l’avocat :
-
(i)une communication entre un avocat et son client;
-
(ii)qui comporte une consultation ou un avis juridiques;
-
(iii)que les parties considèrent de nature confidentielle.
[9] Comme il est énoncé dans l’arrêt General Accident Assurance Co. v. Chrusz, 1999 CanLII 7320 (ON CA) [Chrusz], le secret professionnel de l’avocat peut s’appliquer aux communications avec des tiers dans les quatre situations suivantes :
-
Le tiers sert d’intermédiaire entre l’avocat et le client;
-
Le tiers met à profit son expertise pour rassembler les renseignements fournis par le client et les expliquer à l’avocat;
-
Le tiers se voit autorisé par le client à donner, au nom de celui-ci, des instructions à l’avocat;
-
Le tiers se voit autorisé par le client à solliciter, au nom de celui-ci, les conseils de l’avocat.
La présente requête porte essentiellement sur la question de savoir si les communications que M. Genaille a eues avec des tiers correspondent à l’une de ces situations où le secret professionnel peut être levé.
[10] La présente requête soulève une autre question importante, à savoir s’il y a eu renonciation au secret professionnel de l’avocat. Seul le client (détenteur du privilège) peut renoncer au privilège du secret professionnel de l’avocat, que ce soit de manière expresse (en divulguant lui-même l’information de façon volontaire et informée ou en donnant son consentement) ou de manière implicite (en adoptant un certain comportement). La requête soulève donc la question de la renonciation implicite. Il peut y avoir renonciation implicite si les actions posées par le client sont incompatibles avec le privilège, par exemple s’il divulgue volontairement le contenu d’un avis juridique. L’intention de divulguer les renseignements doit être claire, et la renonciation peut être complète ou partielle (Vidcom Communications Ltd. v Rattan, 2022 BCSC 522 (CanLII), aux par. 41-43).
[11] Comme je l’explique ci-après, je ne suis pas convaincue que les critères susmentionnés, lesquels permettent d’établir l’existence du privilège, soient satisfaits en ce qui concerne nombre des communications de M. Genaille en cause dans la présente requête. Toutefois, le secret professionnel de l’avocat s’appliquerait à certaines d’entre elles. Par conséquent, je vais commencer par identifier les communications qui sont protégées par le secret professionnel de l’avocat et qui ne peuvent donc pas se retrouver dans la preuve de M. Genaille.
III. COMMUNICATIONS PROTÉGÉES PAR LE SECRET PROFESSIONNEL DE L’AVOCAT
[12] M. Genaille a déjà témoigné devant ce Tribunal dans l’affaire Lock et al. c. Première Nation Peters, 2023 TCDP 55 (CanLII) [Lock]. Il avait parlé du travail qu’il avait effectué comme chercheur pendant cette même période. À l’audience, la Première Nation de Peters s’était opposée à ce que M. Genaille parle des demandes évaluées lors des rencontres avec l’avocat. En réponse, le Tribunal a, dans une décision sur requête rendue de vive voix, interdit à M. Genaille de parler de ce qui s’était dit lors de ces rencontres. La Première Nation de Peters n’a jamais laissé entendre que les rencontres tenues en l’absence de l’avocat étaient également protégées par le privilège du secret professionnel de l’avocat. Par ailleurs, dans sa décision sur requête, le Tribunal a précisé que M. Genaille pouvait parler de ce qui s’était dit lors de ces rencontres. Le Tribunal estime que le privilège du secret professionnel de l’avocat pourrait être appliqué de façon similaire dans la présente affaire, mais qu’il couvrirait aussi les communications écrites.
[13] Comme il est indiqué dans les affidavits que M. Genaille, la conseillère Victoria Peters et la cheffe Norma Webb ont déposés à l’appui de la présente requête, M. Genaille a, à plusieurs reprises, assisté à des rencontres auxquelles participait l’avocat de la Première Nation de Peters et a pris part à des communications écrites auxquelles ce dernier a contribué. Dans la plupart de ces communications, il était question de conseils juridiques fournis par l’avocat et de questions connexes, telles que l’interprétation de documents et les chances que les demandes soient acceptées ou rejetées. Ces communications sont dûment protégées par le privilège du secret professionnel de l’avocat et, par conséquent, M. Genaille ne peut pas en parler.
IV. COMMUNICATIONS NON PROTÉGÉES PAR LE SECRET PROFESSIONNEL DE L’AVOCAT
[14] Pour les motifs exposés ci-après, exception faite des communications faisant état de conseils juridiques fournis par l’avocat, la preuve que M. Genaille propose de présenter ne satisfait pas les critères du privilège du secret professionnel de l’avocat. Plus précisément, je conclus que le privilège du secret professionnel de l’avocat ne s’étend pas aux éléments de preuve touchant les recherches que M. Genaille a faites, les dossiers qu’il a tenus ou les observations qu’il a formulées en 2012-2013, quand il était chargé de traiter les nombreuses demandes. Je pense entre autres à tout témoignage portant sur les résultats de l’examen indépendant mené par M. Genaille, les faits dont il a connaissance et les discussions qu’il a eues avec la cheffe et le conseil en l’absence des avocats.
A. S’agit-il de communications avocat-client?
[15] M. Genaille n’est pas avocat. Il est clair que ses échanges avec la Première Nation de Peters ne constituent pas, à proprement parler, des communications avocat-client. En l’espèce, il faut déterminer si le privilège du secret professionnel de l’avocat, qui protège les communications entre la Première Nation de Peters et ses avocats à l’époque pertinente, s’applique aussi aux communications avec M. Genaille, c’est-à-dire si l’une des quatre situations où les communications avec des tiers sont protégées par le secret professionnel de l’avocat, comme il est indiqué dans la jurisprudence mentionnée précédemment, s’applique en l’espèce. J’examinerai ci-dessous si l’une ou l’autre de ces situations s’applique dans la présente affaire.
(i) Le privilège du secret professionnel de l’avocat s’étend-il aux communications avec un tiers dans la présente affaire?
(a) Servir d’intermédiaire entre l’avocat et son client
[16] La Première Nation de Peters soutient que M. Genaille a servi d’intermédiaire ou d’agent de communication entre elle et son avocat, à l’instar d’un traducteur ou d’un messager. La Première Nation de Peters a fait référence à l’opinion dissidente exprimée par le juge Doherty dans l’arrêt Chrusz, bien que tous les juges aient souscrit à son analyse du privilège du secret professionnel de l’avocat. Il était d’avis que le secret professionnel pouvait être élargi de manière à s’appliquer :
[traduction]
[…] aux communications faites par un tiers ou à un tiers qui sert d’agent de communication entre le client et l’avocat. Ainsi, lorsqu’un tiers agit en tant que messager, traducteur ou représentant, les communications entre le tiers et le client ou l’avocat seront protégées. En pareil cas, le tiers se contente de transmettre les renseignements du client à l’avocat ou de l’avocat au client.
[17] M. Genaille a été embauché directement par la Première Nation de Peters, comme il est indiqué dans la résolution du conseil de bande. Bien qu’il ait été autorisé à communiquer les résultats de ses recherches à l’avocat, et qu’il l’ait fait à de nombreuses reprises, il en a aussi informé la cheffe et le conseil. Il ressort également de la preuve que l’avocat donnait directement des conseils à sa cliente. Par conséquent, M. Genaille ne servait pas uniquement d’intermédiaire entre la Première Nation de Peters et son avocat.
[18] Dans son affidavit, M. Genaille a déclaré ce qui suit :
[traduction]
Bien que j’aie fait part du résultat des recherches que j’ai effectuées dans les archives internes du bureau du conseil de bande à l’équipe juridique, j’en ai aussi régulièrement informé Victoria Peters. Il revenait ensuite à la cheffe et au conseil de demander un avis juridique lors des rencontres auxquelles j’assistais parfois. Je recueillais les faits, mais il appartenait aux avocats de les examiner avec la cheffe et le conseil et de leur donner leur avis sur les membres potentiels.
[19] Victoria Peters a déclaré dans son affidavit que le conseil avait décidé d’embaucher des chercheurs avec pour mandat de rendre compte directement à l’avocat. Cependant, ce n’est pas ce qui ressort de la résolution d’embauche et ce n’est pas non plus ce qui s’est réellement passé, en ce sens que M. Genaille rencontrait par lui-même le conseil et le personnel de la Première Nation de Peters (en présence ou non de l’avocat). Victoria Peter a ultérieurement reconnu ce fait dans son affidavit : [traduction] « Les membres de la famille Genaille mentionnés dans le présent affidavit étaient autorisés à consulter tous les dossiers de la bande qui contenaient des renseignements personnels sur les anciens membres de la bande et de faire part de leurs observations aux avocats et au conseil de bande ».
[20] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que M. Genaille n’agissait pas comme agent de liaison ni comme simple intermédiaire entre la Première Nation de Peters et M. Ashcroft. M. Genaille faisait part des résultats de ses recherches tant à l’avocat qu’à la Première Nation de Peters. Par conséquent, il serait inexact de dire que M. Genaille était juste un intermédiaire entre la Première Nation de Peters et l’avocat. Ainsi, les recherches effectuées par M. Genaille et les communications qu’il a eues avec la Première Nation de Peters en l’absence de l’avocat, ainsi que ses observations connexes, ne peuvent pas être considérées comme des communications entre un avocat et son client.
(b) Mettre son expertise à profit pour rassembler les renseignements fournis par le client et les expliquer à l’avocat
[21] La Première Nation de Peters soutient également que M. Genaille a agi en tant que représentant de la Première Nation de Peters. Il a obtenu des renseignements de la Première Nation de Peters et les a transmis à l’avocat au nom de la Première Nation en vue de la préparation d’un avis juridique.
[22] Dans l’arrêt Chrusz, le juge Doherty a expliqué les situations dans lesquelles le privilège du secret professionnel de l’avocat peut être invoqué :
[traduction]
Le privilège s’applique également aux communications et aux situations dans lesquelles le tiers met à profit son expertise pour rassembler les renseignements fournis par le client et pour les expliquer à l’avocat. Ce faisant, le tiers fait en sorte que les renseignements soient pertinents par rapport aux questions juridiques pour lesquelles l’avocat est consulté.
[23] Dans l’arrêt Chrusz, la Cour a établi une distinction entre le tiers qui se sert de ses connaissances spécialisées pour communiquer à l’avocat des renseignements que possède déjà le client, et la personne qui recueille des renseignements auprès de sources étrangères, ce qui est, du moins en partie, pertinent en l’espèce :
[traduction]
Je ne décrirais pas M. Bourret [un expert en sinistres] comme un intermédiaire entre General Accident et M. Eryou [un avocat]. Je ne dirais pas non plus qu’il traduisait ou interprétait les renseignements fournis par General Accident. M. Bourret ne transmettait pas à M. Eryou des renseignements provenant de General Accident, mais recueillait plutôt des renseignements auprès de sources étrangères et les transmettait à General Accident ou à M. Eryou. De même, M. Bourret n’était pas un intermédiaire entre General Accident et M. Eryou, mais plutôt un relais entre le monde extérieur et M. Eryou. Le rôle qu’il jouait était très différent de celui qu’assumaient les conseillers financiers et les comptables mentionnés dans l’affaire Susan Hosiery Ltd. Ce rôle s’apparentait davantage à celui des arpenteurs dans l’affaire Wheeler. À l’instar des arpenteurs, il avait été embauché pour recueillir des renseignements auprès de sources étrangères à la cliente et les transmettre à l’avocat afin que ce dernier puisse donner des conseils juridiques à la cliente.
[24] Dans les faits de la présente affaire, le travail de recherche de M. Genaille s’apparente à celui de M. Bourret dans l’affaire Chrusz. Dans cette affaire, le secret professionnel de l’avocat ne s’appliquait pas aux démarches entreprises par M. Bourret pour recueillir des renseignements auprès de sources étrangères. De même, selon les affidavits déposés, le travail de recherche effectué par M. Genaille, son frère et sa sœur consistait à recueillir des renseignements auprès de sources internes et externes, à compiler les résultats et à les partager. M. Genaille a certes accordé une grande importance aux sources internes dans son analyse, mais il en a accordé tout autant aux sources externes. Rien n’indique qu’il aurait pu accomplir son travail sans consulter ces sources externes. Par conséquent, la présente situation s’apparente davantage aux faits des affaires Chrusz ou Wheeler puisque M. Genaille devait absolument être en contact avec le [traduction] « monde extérieur » pour s’acquitter de ses fonctions. Une fois les résultats compilés, ils étaient communiqués à la cheffe et au conseil, au personnel de la Première Nation de Peters ainsi qu’à l’avocat.
[25] Comme il est énoncé au paragraphe 43 de l’arrêt Colombie-Britannique Securities Commission c. Branch, 1995 CanLII 142 (CSC), [1995] 2 RCS 3, « le secret professionnel de l’avocat ne saurait être invoqué pour tous les documents qui sont passés entre les mains de l’avocat et du client aux fins d’obtenir des conseils juridiques, sauf si ces documents ont été créés à cette fin ». Conformément à la résolution d’embauche, M. Genaille a été embauché pour effectuer des recherches. Les résultats des recherches, y compris les documents connexes, visaient principalement à aider la Première Nation de Peters et son comité des adhésions à prendre des décisions en matière d’adhésion. Même si les résultats des recherches ont été utilisés par M. Ashcroft pour préparer des avis juridiques, je conclus que le travail n’a pas été effectué principalement à cette fin.
[26] Dans l’arrêt Chrusz, le juge Doherty a souligné que [traduction] « les communications faites par un tiers ou à un tiers ne sont pas protégées par le secret professionnel de l’avocat simplement parce qu’elles aident l’avocat à formuler un avis juridique pour un client ». La Cour a également fait référence à d’autres décisions pour illustrer les situations dans lesquelles le secret professionnel pouvait s’appliquer aux communications avec des tiers et celles où il ne s’appliquait pas. Elle a mentionné, par exemple, l’arrêt Wheeler v. Le Marchant (1881), 17 Ch. D. 675 à la p. 682, 50 L.J. Ch. 793, où un client avait retenu les services d’un avocat pour obtenir des conseils en matière immobilière, et où l’avocat avait embauché un arpenteur pour recueillir des renseignements. Dans un litige ultérieur, le client a fait valoir que les renseignements recueillis par l’arpenteur étaient protégés par le secret professionnel. Le juge Doherty a précisé que seuls les représentants embauchés dans le but d’obtenir des avis juridiques jouissaient de cette protection, mais pas les personnes embauchées à d’autres fins. Dans l’arrêt Chrusz, la Cour a fait aussi référence à l’arrêt Susan Hosiery Ltd. v. M.N.R., 1969 CanLII 1540 (CA EXC), [1969] 2 Ex. CR 27. Dans cet arrêt, des conseillers financiers avaient, à la demande de leur cliente, communiqué avec l’avocat pour lui transmettre des renseignements concernant les affaires de la cliente. La Cour, dans l’arrêt Chrusz, a souligné dans son interprétation de l’arrêt Susan Hosiery que [traduction] « [d]ans les faits, les comptables ont servi d’interprètes puisqu’ils ont rassemblé les renseignements nécessaires auprès de la cliente et ont présenté la situation de celle-ci de manière à ce que l’avocat comprenne. En outre, ils étaient chargés de transmettre les conseils de l’avocat à la cliente et les directives de la cliente à l’avocat ».
[27] Comme nous l’avons vu, le contexte dans lequel M. Genaille a recueilli les renseignements et les a transmis à l’avocat était très différent de celui de l’arrêt Susan Hosiery. C’est d’ailleurs ce qui ressort du deuxième affidavit de Victoria Peters, dans lequel elle écrit : [traduction] « Je reconnais que […] Andrew a été embauché par la Première Nation de Peters […] Cette embauche visait à aider Fran Genaille, moi-même, la cheffe et les autres membres du conseil à statuer sur les demandes d’adhésion […] ». Cette déclaration appuie la thèse voulant que, bien que M Genaille ait travaillé avec l’avocat et que ses recherches aient pu aider ce dernier, il n’était pas chargé de transmettre à l’avocat les renseignements de la cliente ou de les lui faire comprendre. En fait, il donnait à la Première Nation de Peters ses propres conseils et lui présentait lui-même les résultats de ses recherches.
(c) Être autorisé par le client à donner, au nom de celui-ci, des directives à l’avocat
[28] La Première Nation ne soutient pas que M. Genaille était autorisé à donner, en son nom, des directives à l’avocat; je ne vais donc pas pousser mon analyse.
(d) Être autorisé par le client à solliciter, au nom de celui-ci, des conseils juridiques à l’avocat
[29] D’après les affidavits, aucun élément de preuve clair ne démontre que M. Genaille était autorisé par la Première Nation de Peters à solliciter des conseils juridiques directement auprès de l’avocat et à les transmettre à la Première Nation au nom de cet avocat. M. Ashcroft entretenait une relation directe avec la cheffe et le conseil et il leur communiquait ses avis juridiques sans intermédiaire. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner davantage cette situation. De plus, rien n’indique que M. Genaille se soit appuyé sur des conseils juridiques pour déterminer comment il allait mener ses recherches.
[30] Enfin, en ce qui concerne la possibilité d’élargir la portée du privilège pour qu’il s’applique aux communications avec un tiers, je renvoie à la décision SNC-Lavalin Engineers & Constructors Inc. v. Citadel General Assurance Co, 2003 CanLII 64289 (ON SC) (« SNC-Lavalin »), mise en exergue par la Première Nation de Peters. Dans cette affaire, la Cour supérieure de l’Ontario a conclu que certaines parties des rapports qu’un expert en sinistres avait remis à son client, qui faisaient référence à des opinions tirées des rapports de l’avocat, étaient protégées par le privilège et devaient être expurgées. La décision sur la présente requête va dans le même sens que celle rendue dans l’affaire SNC-Lavalin, c’est-à-dire que les communications de M. Genaille, échangées dans le cadre d’une consultation juridique, sont protégées par le secret professionnel de l’avocat. Comme dans l’affaire SNC-Lavalin, les autres communications avec des tiers ne sont généralement pas protégées par le secret professionnel de l’avocat.
B. Les communications comportent-elles une consultation ou un avis juridiques?
[31] M. Genaille n’est pas avocat et n’a pas fourni d’avis juridique, même s’il était parfois présent lorsque l’avocat donnait des conseils juridiques. Il n’avait aucun pouvoir décisionnel lorsqu’il s’agissait de déterminer si un demandeur pouvait devenir membre. Cette décision relevait exclusivement de la cheffe et du conseil en leur qualité de membres du comité des adhésions. À ce titre, la cheffe et le conseil demandaient directement conseil à leurs avocats. En tant que chercheur, M. Genaille a parfois exprimé son point de vue sur la qualité de membre d’une personne, en se fondant sur les faits qu’il avait recueillis relativement aux critères énoncés dans le Code d’appartenance. Toutefois, cela ne constitue pas un avis juridique.
[32] Dans son affidavit, M. Genaille a expliqué le processus qu’il avait suivi — de même que son frère et sa sœur — pour évaluer chaque demande d’adhésion, notamment l’examen de la liste des affiliés, l’examen des archives détenues par la Première Nation de Peters ainsi que celles de Chilliwack et de Boston Bar, entre autres recherches. Il comparait les résultats de ces recherches pour déterminer si, dans les faits, l’un des quatre critères d’appartenance était rempli. Le travail effectué par M. Genaille ne peut pas être considéré comme une prestation de conseils juridiques, même si les résultats de ses recherches ont pu être utilisés par l’avocat dans la formulation de ses avis juridiques. En revanche, tout avis juridique fourni par M. Ashcroft est protégé par le secret professionnel de l’avocat, que M. Genaille ait ou non pris part aux échanges.
C. Les parties considéraient-elles les communications comme des communications de nature confidentielle?
[33] La Première Nation de Peters soutient qu’elle souhaitait que toutes les communications de M. Genaille restent confidentielles. Elle affirme que des renseignements personnels importants ont été recueillis et évalués dans le cadre des recherches de M. Genaille, et qu’ils sont considérés comme confidentiels en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C., (1985), ch. P-21. Elle ajoute qu’elle a tout mis en œuvre pour éviter de rendre publics les renseignements personnels des membres ou des demandeurs.
[34] La Commission soutient le contraire. Elle affirme que l’objet d’une grande partie des recherches de M. Genaille est de nature publique et, de ce fait, n’est pas confidentiel et ne peut pas être protégé par le secret professionnel de l’avocat. Ainsi, elle déclare que les renseignements obtenus à partir d’archives publiques ou de cimetières sont des renseignements publics. La Commission fait également valoir que d’autres renseignements, comme les dossiers d’adhésion, les listes de bandes et les dossiers financiers, sont accessibles aux membres ou au public, sur demande. Dans son affidavit, M. Genaille a déclaré que les politiques de Services Autochtones Canada ainsi que les formations suivies par le personnel de la Première Nation de Peters abordent la question de l’accessibilité de ces renseignements.
[35] La Commission soutient également que les actions posées par la Première Nation Peters démontrent qu’il n’y avait aucune intention de garder ces renseignements confidentiels. Premièrement, elle affirme que Victoria Peters a, à plusieurs reprises, discuté publiquement de ces renseignements. Plus précisément, M. Genaille a déclaré dans son affidavit que Victoria Peters avait librement discuté des résultats de ses recherches sur l’adhésion avec des membres de sa famille, notamment son neveu, et que ces échanges avaient eu lieu dans des lieux publics, tels que la salle de bingo et un restaurant local. Dans son deuxième affidavit, Victoria Peters conteste que des renseignements personnels aient fait l’objet de discussions lors de ces activités. Elle y affirme qu’il a seulement été question, dans ces lieux publics, du traitement des demandes en général.
[36] La Commission souligne également que, lors de l’audience de l’affaire Lock, où la Première Nation Peters était également la partie intimée, celle-ci ne s’était pas opposée au témoignage de M. Genaille au sujet du travail de recherche qu’il avait effectué pendant cette même période, sauf en ce qui concerne les rencontres tenues en présence de l’avocat. C’est l’avocat de la Première Nation de Peters, M. Ashcroft, qui a formulé cette objection, en présence d’un représentant de cette dernière. Le témoignage de M. Genaille a ensuite été entendu, y compris pendant le contre-interrogatoire mené par M. Ashcroft, et ce témoignage fait désormais partie du dossier public. La Première Nation de Peter a permis que les échanges que M. Genaille a eus pendant cette même période soient versés au dossier public, elle ne s’est pas opposée à ce que les communications qui n’avaient pas été échangées dans le cadre d’une consultation juridique soient versées au dossier et elle a mené un contre-interrogatoire sur le même sujet lors d’une audience publique. Je conclus donc que la Première Nation de Peters n’avait pas l’intention de garder les renseignements confidentiels.
[37] Comme l’a déclaré la Cour dans l’arrêt Solosky, les communications entre un avocat et son client ne sont considérées comme protégées que s’il y avait intention de préserver la confidentialité des renseignements. En l’espèce, il semble que la Première Nation Peters avait l’intention de garder confidentiels certains renseignements d’identification personnels, notamment ceux qui figurent dans les demandes ainsi que dans les communications échangées dans le cadre d’une consultation juridique. Par ailleurs, je conclus que la Première Nation de Peters n’avait pas l’intention de préserver la confidentialité des autres communications de M. Genaille ni des résultats de ses recherches. Ainsi, les renseignements accessibles au public ne peuvent, en tout état de cause, constituer des renseignements protégés.
V. RENONCIATION AU PRIVILÈGE
[38] La Commission et Mme Raymond soutiennent que, même si les communications de M. Genaille auxquelles aucun avocat n’a pris part étaient effectivement protégées par le secret professionnel de l’avocat, la Première Nation de Peters a clairement renoncé au privilège puisqu’elle ne s’est pas opposée à la majeure partie du témoignage livré par M. Genaille devant le Tribunal dans l’affaire Lock ‒ témoignage portant sur le même sujet que celui pour lequel elle invoque maintenant le secret professionnel, comme il a été mentionné plus haut.
[39] La Première Nation de Peters affirme qu’il n’y a pas eu de renonciation et que, si renonciation il y a eu, celle-ci n’est pas valable puisqu’elle a été faite par l’avocat sans son consentement. Elle soutient qu’elle ignorait que les communications étaient protégées par le privilège, et qu’elle n’avait pas l’intention de renoncer au privilège ou de consentir à ce que M. Ashcroft y renonce.
[40] La Commission fait valoir que cette allégation de la Première Nation de Peters n’est étayée par aucune preuve. Rien n’indique que la Première Nation de Peters ait contesté la renonciation de quelque manière que ce soit avant le dépôt de la présente requête, ou qu’elle ait déposé une plainte contre M. Ashcroft auprès du barreau dont il est membre.
[41] Néanmoins, comme je conclus dans la présente décision sur requête que les communications de M. Genaille auxquelles aucun avocat n’a pris part et les résultats des recherches qu’il a effectuées pendant son mandat ne sont pas protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat, il n’est pas nécessaire d’établir s’il y a eu renonciation à ce privilège.
VI. CONCLUSION
[42] Par les présentes, la requête est accueillie en partie. M. Genaille ne peut pas parler des échanges, écrits ou verbaux, qu’il a eus avec les avocats de la Première Nation appelés à conseiller la Première Nation.
[43] Par ailleurs, je suis d’accord avec la Commission pour dire qu’il n’est pas justifié d’appliquer le secret professionnel de l’avocat à la plupart des éléments de preuve proposés.
[44] À ce titre, la Première Nation de Peters ne peut pas invoquer le privilège du secret professionnel de l’avocat pour exclure ou limiter les éléments de preuve touchant les recherches que M. Genaille a faites, les dossiers qu’il a tenus ou les observations qu’il a formulées en 2012-2013, quand il était chargé de traiter les nombreuses demandes, exception faite de ce qui est mentionné ci-dessus à propos des communications avec l’avocat. Pour plus de clarté, je précise qu’il est possible pour M. Genaille de discuter du résultat de l’examen indépendant qu’il a réalisé et des échanges qu’il a eus avec la cheffe et le conseil en l’absence d’avocats.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :