Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 85

Date : Le 2 septembre 2025

Numéro du dossier : T1340/7008

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

- et -

Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

(représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)

l’intimé

- et -

Chefs de l’Ontario

- et -

Nation Nishnawbe-Aski

- et -

Amnistie internationale

les parties intéressées

- et -

Chippewas de Georgina Island

Nation Taykwa Tagamou

les parties potentiellement intéressées

Décision sur requête

Membres : Sophie Marchildon

Edward P. Lustig



I. Contexte

[1] En 2016, le Tribunal a rendu sa décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 (la « décision sur le bien-fondé »), dans laquelle il a déclaré que l’affaire concernait les enfants, ainsi que les pratiques, actuelles et passées, en matière d’aide à l’enfance au sein des Premières Nations vivant dans des réserves du Canada et les répercussions que ces pratiques ont eues et continuent d’avoir sur les enfants des Premières Nations, leurs familles et leurs collectivités. Il a conclu que le Canada s’était livré de façon systémique à des actes de discrimination raciale à l’égard des enfants des Premières Nations vivant dans les réserves et au Yukon, non seulement par le sous-financement du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (les « SEFPN »), mais aussi par la conception, la gestion et le contrôle de ce programme.

[2] L’un des pires préjudices observés est le fait que, de par sa structure, le Programme des SEFPN incitait financièrement à retirer les enfants des Premières Nations de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité. Un autre préjudice important est le fait qu’aucun cas visé par le principe de Jordan n’a été approuvé, compte tenu de l’interprétation étroite qu’en fait le Canada et des critères d’admissibilité restrictifs. Le Tribunal a conclu qu’au‑delà de la simple question du financement, il fallait réorienter les politiques du programme de manière à respecter les principes des droits de la personne et à tenir compte des saines pratiques en matière de travail social, qui placent l’intérêt supérieur des enfants au premier plan.

[3] Il a donc ordonné au Canada de mettre fin à ses actes discriminatoires, de prendre des mesures pour réparer le préjudice et pour empêcher que la situation ne se reproduise, et de réformer le Programme des SEFPN et l’Entente de 1965 avec l’Ontario afin de tenir compte des conclusions tirées dans la décision sur le bien‑fondé. Le Tribunal a également décidé qu’il procéderait par étapes (réparation immédiate, à moyen terme et à long terme) de façon à apporter les changements urgents, puis de faire des ajustements en vue d’arriver un jour à une réparation durable, à long terme, laquelle serait fondée sur la collecte de données, les nouvelles études et les pratiques exemplaires déterminées par les experts des Premières Nations, ainsi que sur les besoins particuliers des collectivités des Premières Nations, les besoins dégagés par les organismes des Premières Nations, le Comité consultatif national sur la réforme des services à l’enfance et à la famille et les commentaires de toutes les parties concernées.

[4] Le Tribunal a rendu des ordonnances générales définitives afin que cesse la discrimination systémique, une série de décisions sur requête visant à accorder des réparations immédiates et à moyen terme et des ordonnances définitives sur le montant de l’indemnité et le maintien de la compétence afin qu’il puisse rendre des ordonnances durables à long terme une fois la collecte de données et les nouvelles études terminées. Ce sont les Premières Nations qui en ont fait la demande, alléguant qu’elles ne disposaient pas de toutes les informations nécessaires pour demander une réparation à long terme.

[5] Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, le Tribunal a déclaré qu’il entamait la phase relative à la réparation à long terme.

[6] Dans la décision sur requête 2022 TCDP 8, le Tribunal a rendu d’importantes ordonnances à long terme sur les services de prévention et le financement.

[7] Dans la décision 2023 TCDP 44, le Tribunal a rendu des ordonnances définitives approuvant l’une des plus vastes ententes d’indemnisation de l’histoire du Canada en ce qui concerne les préjudices causés aux enfants et aux familles des Premières Nations au Canada.

[8] Le 11 juillet 2024, les Chefs de l’Ontario (les « COO »), la Nation Nishnawbe-Aski (la « NNA »), l’Assemblée des Premières Nations (l’« APN ») et le Canada ont annoncé un projet d’entente définitive (l’« entente nationale »).

[9] Les 9 et 10 octobre 2024, respectivement, les chefs en assemblée de la Nation Nishnawbe-Aski et ceux de l’Ontario ont ratifié l’entente nationale lors de leur assemblée extraordinaire.

[10] Le 17 octobre 2024, lors de l’assemblée extraordinaire des chefs de l’APN tenue à Calgary, l’entente nationale a été soumise au vote des Premières Nations en assemblée et a été rejetée.

[11] En novembre 2024, à l’assemblée générale annuelle des COO, les chefs en assemblée ont confié aux COO le mandat de négocier une entente propre à l’Ontario.

[12] Le 10 février 2025, après cinq semaines de négociations, les COO, la NNA et le Canada ont conclu une entente définitive provisoire propre à l’Ontario et une entente trilatérale provisoire.

[13] Les 25 et 26 février 2025, les deux ententes provisoires ont été ratifiées par les chefs en assemblée de la NNA et de l’Ontario, respectivement.

[14] Le 26 février 2025, les chefs en assemblée de l’Ontario ont adopté la résolution no 25/02S confirmant ainsi qu’ils souhaitaient mettre en œuvre les réformes prévues par l’Entente définitive de l’Ontario et par l’Entente trilatérale. Dans cette résolution, les autres parties à l’instance étaient également invitées à ne pas s’opposer à l’approbation ou à la mise en œuvre de l’Entente définitive de l’Ontario.

[15] Le 7 mars 2025, les COO et la NNA ont présenté une requête conjointe visant à faire approuver l’Entente définitive sur la réforme à long terme du programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations en Ontario (l’« Entente définitive de l’Ontario ») et l’Entente trilatérale en ce qui concerne la réforme de l’Entente de 1965 (l’« Entente trilatérale ») (la « requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario »). Les COO et la NNA soutiennent que l’Entente définitive et l’Entente trilatérale sont le fruit de leurs efforts et l’expression collective des droits à l’autonomie gouvernementale et à l’autodétermination des 133 Premières Nations de l’Ontario. Si elles sont approuvées, ces deux ententes ne s’appliqueraient qu’aux Premières Nations et aux organismes des SEFPN de l’Ontario et ne profiteraient qu’aux enfants, aux jeunes et aux familles des Premières Nations de l’Ontario.

[16] Le Tribunal a reçu plusieurs avis de la part de Premières Nations et d’organismes de Premières Nations qui souhaitaient obtenir le statut de partie intéressée à la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario et qui lui demandaient de leur indiquer quand et comment déposer les requêtes.

[17] Dans l’exercice de son pouvoir en tant que maître de sa propre procédure et dans le but d’assurer le déroulement diligent de l’affaire, le Tribunal a fixé au 15 avril 2025 la date limite pour toute partie requérante souhaitant obtenir le statut de partie intéressée à la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario.

[18] Le 11 août 2025, le Canada a déposé une requête conjointe modifiée le désignant comme co-requérant.

[19] Le 15 avril 2025, le Tribunal a reçu les requêtes de la Nation Taykwa Tagamou (la « NTT ») et des Chippewas de Georgina Island (les « CGI ») visant à obtenir le statut de partie intéressée à la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario.

II. Résumé des observations des parties

A. La Nation Taykwa Tagamou (la « NTT ») et les Chippewas de Georgina Island (les « CGI »)

[20] La NTT et les CGI demandent à participer, à titre de parties intéressées, uniquement à la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario. Ils souhaitent fournir une preuve par affidavit et présenter des observations écrites et orales conjointes sur la requête, sous réserve des contraintes quant à la longueur ou à la durée fixées par la formation.

[21] Les deux Premières Nations s’opposent à l’Entente de règlement définitive et à la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario.

[22] La NTT est une nation ojibwée et crie dont le territoire traditionnel est situé dans le nord de l’Ontario, le long de la rivière Abitibi. Le nom Taquahtagama (Nation Taykwa Tagamou), qui signifie [traduction] « eau en altitude », reflète l’esprit et la nature de son territoire dans le bassin de la rivière Moose. La NTT est signataire du Traité no 9 et est membre du Conseil de Muskegowuk, de la NNA, des COO et de l’Assemblée des Premières Nations.

[23] La NTT a promulgué sa propre loi sur le bien-être des enfants et a demandé la conclusion d’un accord de coordination. Elle est membre fondateur des Services à l’enfance et à la famille de Kunuwanimano.

[24] Les CGI sont une nation anichinabée dont le territoire traditionnel est situé dans la région du lac Simcoe. Ils sont les descendants d’un plus grand groupe connu historiquement sous le nom de Chippewas des lacs Huron et Simcoe. Ils sont signataires du Traité Collins, du Traité de Coldwater-Narrows et du Traité Williams. Ils sont également membres du Conseil tripartite des Chippewas, du Conseil tribal Ogemawahj, des COO et de l’APN.

[25] Le programme de protection de l’enfance des Chippewas de Georgina Island offre des services à la communauté, notamment des services de représentation des Premières Nations, des services de soutien après la majorité et des services de prévention. Les CGI ont demandé, soutenu et finalement mis en œuvre un plan qui a mené à la création des Dnaagdawenmag Binnoojiiyag Child & Family Services, qui sert maintenant d’organisme d’aide à l’enfance. Ils ont demandé l’ouverture d’une enquête sur la vie et la mort de Devon Freeman, qui s’est soldée par l’adoption du principe de Devon, selon lequel tous les organismes de services à l’enfance et à la famille doivent veiller à ce que les enfants des Premières Nations pris en charge aient toujours le droit de retourner dans leur communauté d’origine.

[26] La NTT et les CGI soutiennent que le Tribunal peut accorder le statut de partie intéressée lorsque 1) l’expertise de l’intervenant proposé l’aiderait; 2) la participation de l’intervenant proposé ajouterait à la position juridique des parties; 3) l’instance pourrait avoir des répercussions sur les intérêts de l’intervenant proposé. Le Tribunal privilégie une approche souple et globale, qui tient compte du contexte particulier de l’affaire et des contributions que peut apporter la partie intéressée proposée.

[27] Les deux Premières Nations affirment que leur expertise s’appuie sur l’expérience directe qu’elles ont acquise dans la prestation de services à l’enfance et à la famille en vertu des ordonnances du Tribunal. Elles sont bien placées pour savoir quelles répercussions les changements proposés pourraient avoir sur la prestation et le financement des services à l’enfance et à la famille dans chaque Première Nation.

[28] La NTT et les CGI indiquent que, de par leur expérience en tant que Premières Nations qui offrent des services à l’enfance et à la famille en Ontario, ils ont une perspective distincte. Ils ont l’intention de faire valoir que l’Entente définitive de l’Ontario ne constitue pas une réforme durable, que les engagements prévus dans cette entente sont limités dans le temps, que l’entente n’a pas été élaborée dans le cadre d’une véritable consultation, que l’entente pourrait ne pas refléter la manière dont il convient de lutter contre la discrimination dans les services à l’enfance et à la famille et que l’approche relative à l’éloignement ne tient pas compte des difficultés que pose l’accès aux services pour les CGI. Ils ont également l’intention de souligner que l’Entente trilatérale ne met pas en œuvre la directive du Tribunal visant à réformer l’Entente de 1965 et ne prévoit qu’un financement temporaire pour les enfants et les familles vivant hors réserve.

[29] En tant que Premières Nations établies en Ontario, la NTT et les CGI seront directement touchés par toute décision relative à l’Entente de règlement définitive de l’Ontario et à l’Entente trilatérale.

B. Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (la « Société de soutien »)

[30] La Société de soutien appuie la requête conjointe des parties intéressées, à savoir la NTT et les CGI. Elle fait remarquer que le Tribunal a déjà indiqué que la jurisprudence portant sur la qualité de partie intéressée, examinée plus tôt dans le cadre de la présente affaire, est la plus pertinente puisqu’elle découle du même contexte. Elle souligne l’importance de l’expertise des éventuelles parties intéressées, le fait que leur participation viendrait ajouter à la position juridique des autres parties et le fait que l’instance pourrait avoir des répercussions sur leurs intérêts. Elle souligne également l’importance que revêt l’engagement des parties intéressées proposées à ce que l’instruction se fasse de façon expéditive.

[31] Selon la Société de soutien, la NTT et les CGI possèdent une expertise unique et essentielle en matière de services à l’enfance et à la famille. À l’appui de leurs observations, les parties intéressées proposées entendent apporter leur expertise et présenter des éléments de preuve quant aux répercussions que l’Entente définitive de l’Ontario pourrait avoir sur les Premières Nations, ainsi que sur leurs enfants, leurs jeunes et leurs familles. Grâce à elles, le Tribunal pourra mener à bien sa mission, c’est-à-dire rendre des décisions et des ordonnances fondées sur la preuve, examiner le lien entre l’Entente définitive de l’Ontario et les ordonnances qu’il a déjà rendues et déterminer si l’Entente définitive de l’Ontario propose une réforme durable qui soit dans l’intérêt supérieur des enfants et des familles des Premières Nations.

[32] La Société de soutien estime que, en tant que titulaires de droits, la NTT et les CGI apporteront une perspective différente et qu’aucune autre partie ne peut parler en leur nom. De même, la Société de soutien souligne que l’Entente définitive de l’Ontario aura une incidence directe et immédiate sur les parties intéressées proposées et fait valoir que cette réalité milite fortement en faveur de leur demande de participation.

[33] Enfin, selon la Société de soutien, le nombre élevé de requêtes visant à obtenir le statut de partie intéressée témoigne du fait que les Premières Nations sont déterminées à mettre fin à la discrimination en cause dans cette affaire. Et, elles sont déterminées à aller de l’avant malgré toute préoccupation d’ordre procédural que cette situation pourrait engendrer. Par ailleurs, la collaboration entre les avocats et la limitation de l’étendue et de la nature de la participation à l’instance pourraient suffire à limiter les délais. La Société de soutien propose en outre que la NTT et les CGI se voient accorder suffisamment de temps pour déposer leur preuve avant que ne le fassent les autres parties, et ce, afin qu’elle puisse prendre position sur l’Entente définitive de l’Ontario.

C. Les Chefs de l’Ontario (les « COO »)

[34] Les COO ne se prononcent sur la demande présentée par la NTT et les CGI en vue de participer à titre de parties intéressées, bien qu’ils reconnaissent que les intervenants proposés ont un intérêt dans la procédure. Toutefois, ils font valoir que les intervenants proposés ne devraient pas être autorisés à présenter des observations sur le fond, à retarder l’audition de la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario ou à présenter des observations qui font double emploi avec celles des autres parties. Ils soutiennent en outre qu’il conviendrait d’imposer des limites quant au nombre de pages et à la durée des observations des intervenants proposés, et qu’ils devraient eux-mêmes être autorisés à déposer des observations supplémentaires pour répondre à tout nouvel élément.

D. La Nation Nishnawbe-Aski (la « NNA »)

[35] La NNA ne se prononce pas sur la requête visant à obtenir le statut de partie intéressée présentée par la NTT et les CGI, bien qu’elle reconnaisse que les intervenants proposés ont un intérêt dans la procédure. Toutefois, elle fait valoir que la NTT et les CGI ne devraient pas être autorisés à retarder l’instance, à réitérer des arguments avancés par d’autres parties ou à produire une preuve se rapportant au fond de l’affaire qui dépasse la portée de la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario. Elle demande en outre qu’il lui soit permis de répondre séparément à toute observation que pourraient déposer les parties intéressées.

E. Le procureur général du Canada (le « PGC »)

[36] Le PGC ne prend pas position sur la demande de la NTT et les CGI visant à obtenir le statut de partie intéressée, mais précise que ces Premières Nations devraient voir des limites raisonnables imposées à leur participation et qu’elles ne devraient pas être autorisées à produire une preuve.

[37] Le PGC indique que le critère relatif au statut de partie intéressée doit être appliqué de manière globale et que, pour ce faire, il peut être nécessaire d’examiner 1) si l’expertise des éventuelles parties intéressées aidera le Tribunal; 2) si la participation des éventuelles parties intéressées permettra d’enrichir de façon significative la position juridique des parties, surtout celles qui ont un point de vue similaire; 3) si l’instance aura une incidence sur les intérêts des parties intéressées proposées.

[38] Le PGC soutient que, si le statut de partie intéressée est accordé, l’étendue de la participation devrait être limitée. Il ajoute que les parties intéressées ne devraient être autorisées à présenter que des observations écrites d’au plus 15 pages sur la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario, et que ces observations ne devraient pas faire double emploi avec celles des autres parties. Les parties intéressées ne devraient pas pouvoir produire une preuve ni participer à l’instance, si ce n’est dans le cadre de la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario. Elles ne devraient pas retarder le déroulement de l’instance ni intervenir dans la gestion de l’instance, sauf sur instruction du Tribunal. Le PGC demande à se voir accorder une réelle possibilité de répondre aux observations des parties intéressées.

F. L’Assemblée des Premières Nations (l’« APN ») et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »)

[39] Dans des observations distinctes, l’APN et la Commission ne se prononcent pas sur la demande d’intervention de la NTT et des CGI.

III. Droit applicable

[40] La LCDP prévoit l’éventuelle participation de parties intéressées au paragraphe 50(1) et à l’alinéa 48.9(2)b) et, par conséquent, confirme le pouvoir qu’a le Tribunal de faire droit à une demande de statut de partie intéressée.

[41] Les anciennes Règles de procédure ont récemment fait l’objet d’une refonte, qui a mené à l’adoption des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137. Toutefois, comme la présente instance est toujours en cours et qu’elle a été introduite en vertu des anciennes Règles de procédure (03-05-04), ce sont ces dernières qui continueront de régir la requête.

[42] La procédure à suivre pour ajouter des parties intéressées est énoncée à l’article 3 et au paragraphe 8(1) des anciennes Règles de procédure du Tribunal (03-05-04).

[43] Par conséquent, le Tribunal a compétence pour autoriser une personne à intervenir devant lui à titre de partie intéressée relativement à une plainte. « Il incombe au requérant de démontrer en quoi son expertise aidera à trancher les questions en litige » (L’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et Renee Acoby c. Service correctionnel du Canada, 2019 TCDP 30, au par. 34). Lorsqu’il est saisi d’une demande de statut de partie intéressée, le Tribunal peut notamment tenir compte des éléments suivants :

  1. l’expertise de l’éventuelle partie intéressée aiderait le Tribunal;
  2. sa participation ajouterait à la position juridique des parties;
  3. l’instance pourrait avoir des répercussions sur les intérêts de la partie requérante.

[44] Toutefois, bien que les critères énumérés ci-dessus et élaborés dans Walden soient toujours utiles dans des contextes similaires, « dans l’affaire Attaran c. Citoyenneté et Immigration Canada, 2018 TCDP 6 (Attaran), le Tribunal énonce que l’approche doit être globale et fondée sur l’analyse cas par cas. Il cite avec approbation l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 11 (NAN) » (Letnes c. GRC et al., 2021 TCDP 30, au par. 14). Par conséquent, il ressort de la jurisprudence du Tribunal que l’analyse ne doit pas être réalisée de manière stricte et automatique, mais plutôt au cas par cas, en appliquant une approche flexible et globale.

[45] Le statut de partie intéressée ne sera pas accordé s’il ne contribue pas de façon importante aux positions juridiques des parties alléguant un point de vue semblable. Voir, par exemple, Attaran, au par. 10.

[46] Comme il a été mentionné, la formation a examiné le critère applicable aux demandes de statut de partie intéressée dans la décision sur requête 2016 TCDP 11, dans laquelle elle a accordé ce statut à la NNA. Dans cette décision sur requête, au paragraphe 3, le Tribunal a exposé les facteurs à prendre en considération pour accorder le statut de partie intéressée :

Les demandes visant l’obtention du statut de partie intéressée sont tranchées au cas par cas, en tenant compte des circonstances particulières de l’instance et des questions qui sont en train d’être examinées. Une personne ou une organisation peut se voir accorder le statut de partie intéressée si l’instance a des incidences sur elle et si elle peut aider le Tribunal à trancher les questions dont il est saisi. Cette aide doit apporter un éclairage différent aux thèses défendues par les autres parties et contribuer à la prise de décision par le Tribunal. Par ailleurs, en vertu du paragraphe 48.9(1) de la LCDP, l’un des principes qui doit sous-tendre la décision sur l’étendue de la participation d’une partie intéressée est que le Tribunal doit instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique (voir Nkwazi c. Service correctionnel Canada, 2000 CanLII 28883 (TCDP), par. 22-23; Schnell c. Machiavelli and Associates Emprize Inc., 2001 CanLII 25862 (TCDP), par. 6; Warman c. Lemire, 2008 TCDP 17, par. 6-8; et Walden et autres c. Procureur général du Canada (représentant le Conseil du Trésor du Canada et Ressources humaines et Développement des compétences Canada), 2011 TCDP 19, par. 22-23).

[47] Par la suite, dans la décision sur requête 2020 TCDP 31, la formation a indiqué ce qui suit :

[28] Quand il a accordé le statut de partie intéressée dans le contexte de la présente affaire, le Tribunal a reconnu qu’il était difficile de déterminer quels organismes ou gouvernements de Premières Nations devraient se voir accorder le statut de partie intéressée, quand la nature des questions soulevées suppose qu’un grand nombre de communautés des Premières Nations sont directement touchées par l’instance : Le rôle de la formation à ce stade-ci de l’instance est de concevoir une ordonnance qui tienne compte des circonstances particulières de l’affaire et des conclusions déjà tirées dans la décision [sur le bien-fondé]. Les clarifications des mesures de réparatio[n] accordées et le processus de mise en œuvre de la décision dont s’occupe le Tribunal ne doivent pas être confondus avec le rôle d’une commission d’enquête ou d’une tribune visant la consultation de l’une ou de l’ensemble des parties. Dans le cas contraire, chaque collectivité ou organisme des Premières Nations pourrait demander d’intervenir dans la présente instance pour partager ses propres connaissances et expériences ainsi que sa culture et son histoire. Le traitement de telles demandes, à plus forte raison l’admission de nouvelles parties dans les procédures en cours, entraverait de façon importante la capacité de la formation de finaliser son ordonnance.

[48] Dans la décision sur requête 2022 TCDP 26, le Tribunal répète qu’il convient d’adopter une approche globale et fondée sur l’analyse au cas par cas plutôt que d’appliquer de façon stricte les facteurs énoncés dans la décision Walden. La partie intéressée doit apporter une expertise, un point de vue différent de celui des autres parties, y compris sur le plan juridique, et contribuer à la prise de décision par le Tribunal. De plus, les décisions sur requête Walden et Letnes se distinguent de l’espèce pour une autre raison. Dans ces deux affaires, la partie intéressée était un agent négociateur et les plaignants étaient membres de l’agent négociateur. Comme il est indiqué au paragraphe 19 de la décision sur requête Letnes, « sauf circonstances exceptionnelles, [un] syndicat obtient automatiquement le statut de partie intervenante dans une procédure ayant trait aux droits de la personne en milieu de travail où un de ses membres est plaignant ». La situation est bien différente en l’espèce puisque de nombreux organismes représentent différentes Premières Nations.

[49] De plus, dans la décision sur requête 2022 TCDP 26, le Tribunal a tiré des conclusions importantes qui n’ont été contestées par aucune des parties. En fait, les parties ont confirmé que les décisions sur requête que le Tribunal a déjà rendues dans l’affaire en ce qui concerne les parties intéressées faisaient davantage autorité dans les circonstances de la requête que les décisions que le Tribunal a rendues sur la même question dans d’autres affaires.

[50] Après avoir attentivement examiné ces décisions sur requête, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

[37] Dans son analyse de l’expression « contribuer à la prise de décision par le Tribunal », le Tribunal tient compte des questions juridiques et factuelles qu’il doit trancher, de la pertinence des éléments de preuve et des points de vue qui lui sont présentés, de l’historique procédural de l’affaire, de l’incidence sur la procédure ainsi que de l’incidence sur les parties et sur ceux qu’elles représentent. La formation tient également compte de la nature de la question et du moment auquel une partie intéressée cherche à intervenir. De plus, elle doit déterminer si l’ajout d’une autre partie intéressée influera négativement ou positivement sur la tâche du Tribunal consistant à trancher correctement l’affaire. Enfin, elle tiendra compte de l’intérêt public dans l’affaire.

[38] La formation souligne l’importance de prendre en considération le contexte et les faits précis de l’affaire dans toutes les instances dont elle est saisie, y compris le statut des parties intéressées. Autrement, la décision pourrait s’avérer technique ou formaliste ou avoir des effets injustes. Par ailleurs, les parties ne peuvent faire fi des décisions sur requête que le Tribunal a déjà rendues dans l’affaire en ce qui concerne les parties intéressées. L’approche adoptée dans ces décisions est particulièrement pertinente et fait autorité dans les circonstances de la requête étant donné qu’il s’agit de la même affaire et du même contexte historique.

[39] À ce stade-ci, la formation est saisie du dossier depuis une dizaine d’années, a instruit l’affaire sur le fond, y compris en ce qui a trait à l’indemnisation, et a rendu ses décisions sur le fond. La formation demeure saisie de l’affaire afin de superviser la mise en œuvre adéquate de ses ordonnances antérieures et de rendre, au besoin, de nouvelles ordonnances dans le but d’éliminer la discrimination systémique et d’empêcher qu’elle se reproduise. Au fil des ans, la formation a, à divers moments et pour diverses raisons, ajouté cinq parties intéressées : deux avant l’audience sur le fond, une au début de l’étape sur les mesures de réparation et deux autres pour des requêtes particulières et pour des raisons particulières résumées ci-dessus. La formation a statué sur la question de l’indemnisation et sur le processus d’indemnisation (décisions sur l’indemnisation) après plus d’un an et après avoir examiné un vaste dossier de preuve et s’être penchée sur de nombreuses questions juridiques et factuelles complexes avec l’aide des parties, notamment les Premières Nations plaignantes. De plus, la Cour fédérale a confirmé les décisions sur l’indemnisation. Par conséquent, la formation sait très bien ce qui peut l’aider ou la gêner dans son examen de l’affaire. On ne saurait faire abstraction de cette analyse. La formation a toujours reconnu qu’il fallait adopter une approche contextuelle et globale, c’est-à-dire une approche qui vient peaufiner et approfondir celle élaborée dans Walden. Les décisions sur requête Attaran et Letnes sont aussi venues enrichir la jurisprudence. Le Tribunal ne peut donc pas refuser de prendre en compte ces décisions subséquentes. Il convient de noter qu’Attaran et Letnes s’appuient toutes les deux sur une décision sur requête rendue par la présente formation. La demande doit être examinée dans son ensemble, en fonction des circonstances qui lui sont propres, au regard de l’utilité de cette démarche pour le Tribunal. La formation précise que les critères énumérés précédemment guident le Tribunal dans sa prise de décision.

[40] De plus, la décision sur requête Letnes a été rendue alors que la plainte venait à peine d’être déposée devant le Tribunal, mais ce dernier a tout de même limité la participation de la partie intéressée.

[41] De plus, dans la présente affaire, qui a une grande portée, et qui touche les collectivités autochtones du Canada, le Tribunal doit tenir compte du fait que chaque collectivité ou organisation des Premières Nations pourrait demander d’intervenir pour partager ses propres connaissances et expériences, ainsi que sa culture et son histoire. Auraient-elles une expertise à offrir? Absolument. Cependant, toutes les Premières Nations ne peuvent se joindre à cette affaire sans interrompre le travail du Tribunal. Grâce à trois grandes organisations représentant des Premières Nations (l’APN, les Chiefs of Ontario et la NNA) et une organisation dotée d’une expertise dans le domaine des services d’aide à l’enfance et d’autres services offerts aux enfants des Premières Nations, quel que soit leur lieu de résidence (la Société de soutien), le Tribunal peut consulter les Premières Nations par différents moyens et tenir compte de leur point de vue dans le cadre de la présente instance.

[42] De plus, la formation reconnaît que les titulaires de droits sont les peuples, les collectivités et les gouvernements des Premières Nations. Idéalement, le Tribunal chercherait à entendre une fois de plus le point de vue de toutes les nations, mais il faut bien comprendre que la présente instance ne se veut ni une commission d’enquête, ni une commission de vérité et de réconciliation, ni une tribune visant la consultation. La formation s’appuie sur les éléments de preuve, les parties en cause et le travail qu’elles accomplissent au sein des différents comités, comme le Comité consultatif national sur la protection de l’enfance (le « CCN »), les tables, les forums et les consultations communautaires, pour étayer ses conclusions à moyen et à long terme.

[51] Enfin, le Tribunal continue de s’appuyer sur toutes ses décisions sur requête antérieures relatives au statut de partie intéressée, y compris celles qui imposent des limites à la participation de la partie intéressée.

[52] Les paragraphes précédents exposent les facteurs que le Tribunal prend en compte lorsqu’il statue sur les requêtes visant à obtenir le statut de partie intéressée dans le cadre de la présente affaire, particulièrement au stade où nous en sommes, soit près de dix ans après la décision sur le fond 2016 TCDP 2.

IV. Analyse

[53] Le Tribunal a reçu plusieurs requêtes de parties souhaitant obtenir le statut de partie intéressée et participer à la requête relative à l’Entente définitive de l’Ontario. La NTT et les CGI sont les seules parties requérantes provenant de l’Ontario. Par conséquent, le Tribunal a décidé de statuer séparément sur leur requête conjointe dans la présente décision sur requête.

[54] Le Tribunal reconnaît que les enfants des Premières Nations sont au cœur des intérêts et des priorités de chaque Première Nation. Cependant, comme il a été mentionné ci-dessus, il est impossible d’entendre directement chacune des Premières Nations sans paralyser l’instance et nuire aux enfants qui sont au cœur de celle-ci.

[55] De plus, présenter des observations dans le cadre de la présente requête sans tenir compte des décisions sur requête que le Tribunal a déjà rendues, ou citer les décisions de manière sélective, ne change rien aux conclusions que le Tribunal a déjà tirées ni aux facteurs qu’il prendra en considération pour statuer sur une telle requête.

[56] Le Tribunal a récemment statué, dans la décision sur requête 2025 TCDP 80, qu’il lançait sans plus attendre la phase relative à la réparation à long terme, tant pour l’Ontario que pour la réforme à long terme du Programme national des SEFPN, et ce, de manière simultanée, mais distincte. De plus, au paragraphe 98, le Tribunal a décidé de se pencher sur l’Entente définitive de l’Ontario, sans toutefois reporter la réforme à long terme du Programme national des SEFPN jusqu’à ce que la requête relative à l’Entente définitive de l’Ontario soit tranchée. Il a conclu que l’Entente définitive de l’Ontario ne s’appliquerait pas aux autres régions et qu’il ne s’y fierait pas pour statuer sur une mesure de réparation liée à la réforme à long terme du Programme national des SEFPN.

[57] À ce stade avancé, et compte tenu des retards importants accumulés pour diverses raisons, le Tribunal adopte une approche plus rigoureuse à l’égard des requêtes afin de limiter les retards qui pourraient nuire au règlement définitif de l’instance et, surtout, aux droits des enfants et des familles des Premières Nations.

[58] Compte tenu des principes énoncés ci-dessus et de l’examen des observations des parties, la formation estime que, bien que la NTT et les CGI aient indubitablement de l’expérience, de l’expertise et un point de vue précieux, ils ne devraient être autorisés à intervenir que de manière limitée dans le cadre de la procédure relative à l’Entente définitive de l’Ontario.

[59] Le Tribunal fait droit à la requête de la NTT et des CGI visant à obtenir le statut de partie intéressée, mais avec certaines restrictions. Les motifs et les restrictions sont exposés en détail ci-dessous.

A. L’expertise des éventuelles parties intéressées aidera le Tribunal et leur participation ajoutera à la position juridique des parties

[60] Il ne fait aucun doute que la NTT et les CGI possèdent une grande expertise dans le domaine des services à l’enfance et à la famille. Il convient de noter que leur expertise s’appuie sur l’expérience directe qu’elles ont acquise dans la prestation de services à l’enfance et à la famille en Ontario, conformément aux ordonnances du Tribunal.

[61] La NTT et les CGI possèdent de l’expérience et une expertise en tant que Premières Nations qui offrent des services à l’enfance et à la famille en Ontario. Le Tribunal reconnaît qu’ils sont bien placés pour savoir quelles seraient les répercussions des changements proposés sur la prestation et le financement des services à l’enfance et à la famille dans chaque Première Nation.

[62] La NTT a promulgué sa propre loi sur le bien-être des enfants et les CGI ont demandé l’ouverture d’une enquête sur la vie et la mort de Devon Freeman, qui s’est soldée par l’adoption du principe de Devon, selon lequel tous les organismes de services à l’enfance et à la famille doivent veiller à ce que les enfants des Premières Nations pris en charge aient toujours le droit de retourner dans leur communauté d’origine.

[63] La NTT et les CGI ont l’intention de faire valoir que l’Entente définitive de l’Ontario ne constitue pas une réforme durable, que les engagements pris dans le cadre de cette entente sont limités dans le temps, que l’entente n’a pas été élaborée dans le cadre d’une véritable consultation, que l’entente pourrait ne pas refléter la manière dont il convient de lutter contre la discrimination dans les services à l’enfance et à la famille et que l’approche relative à l’éloignement ne tient pas compte des difficultés que pose l’accès aux services pour les CGI. La NTT et les CGI ont également l’intention de souligner que l’Entente trilatérale ne met pas en œuvre la directive du Tribunal visant à réformer l’Entente de 1965 et ne prévoit qu’un financement temporaire pour les enfants et les familles vivant hors réserve.

[64] La requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario ne fait pas état de tels enjeux. Par conséquent, le Tribunal estime que les allégations sont suffisamment graves et importantes pour justifier que l’on prenne en considération les positions de la NTT et des CGI dans le cadre de la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario.

[65] De plus, le Tribunal juge que la NTT et les CGI possèdent une vaste expertise en matière de prestation de services à l’enfance et à la famille en Ontario de par toute l’expérience qu’ils ont acquise en mettant en œuvre les ordonnances du Tribunal. Le Tribunal est convaincu que cette expertise l’aidera à statuer sur la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario.

[66] Le Tribunal considère que la NTT et les CGI ont su démontrer que leur participation allait l’aider à statuer sur l’affaire, en particulier en ce qui concerne la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario, et que cette démarche est conforme aux exigences juridiques énoncées précédemment. Pour le Tribunal, la mesure dans laquelle leur participation est susceptible de l’aider à statuer sur cette affaire est décisive.

[67] Bien que ce ne soit pas déterminant en soi, il convient de noter qu’aucune des parties ne s’oppose à la participation de la NTT et des CGI à la requête relative à l’Entente définitive de l’Ontario. Seules les parties requérantes s’opposent à ce que la NTT et les CGI produisent les éléments de preuve qu’ils proposent.

[68] Le Tribunal rappelle constamment qu’il est à la recherche de la vérité et qu’il doit s’assurer que ses ordonnances permettent d’éliminer efficacement la discrimination raciale systémique et d’empêcher qu’elle ne se reproduise. Faire droit à la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario aurait pour effet de mettre fin à la compétence du Tribunal en Ontario, sauf pour les questions relatives au principe de Jordan, si bien que les répercussions sont importantes et que le Tribunal a besoin de tous les éléments de preuve, de tous les renseignements et de toute l’aide possibles pour rendre une décision éclairée.

[69] La NTT et les CGI ont respecté la date limite du 15 avril 2025 fixée par le Tribunal, ainsi que le nombre de pages permis et le calendrier. Voilà qui est positif et qui permet au Tribunal de croire que la NTT et les CGI respecteront ses directives dans le cadre de la requête relative à l’Entente définitive de l’Ontario. À ce dernier stade de la procédure, il s’agit là d’un aspect important dont le Tribunal doit tenir compte.

[70] Le Tribunal estime que les positions juridiques de la NTT et des CGI, exposées ci-dessus, viendront enrichir de manière significative celles des autres parties.

B. L’instance pourrait avoir des répercussions sur les intérêts des parties requérantes

[71] Dans la présente affaire, qui se distingue des autres affaires du fait qu’elle a trait à une plainte systémique de portée nationale touchant 634 Premières Nations et bon nombre d’ententes territoriales et régionales à l’échelle du Canada, cette partie du critère — à savoir qu’il faut démontrer que l’instance aura des répercussions sur les intérêts des parties requérantes — ne peut, à elle seule, justifier l’octroi du statut de partie intéressée. Conclure autrement pourrait inciter les 634 Premières Nations et les centaines d’organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, tous susceptibles d’être touchés par la présente affaire, à participer à l’instance, ce qui aurait pour effet de freiner le processus décisionnel du Tribunal. Le Tribunal ne serait pas en mesure de s’acquitter de son mandat dans un tel contexte. Le Tribunal en est maintenant à la phase finale de la plainte et doit donc pouvoir régler l’affaire dans un avenir proche, dans l’intérêt supérieur des enfants et des familles des Premières Nations.

[72] Le Tribunal estime que l’instance concernant la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario aura des répercussions sur les intérêts de la NTT et des CGI. En tant que Premières Nations établies en Ontario, la NTT et les CGI seront directement touchés par toute décision relative à l’Entente de règlement définitive de l’Ontario et à l’Entente trilatérale.

[73] Enfin, le Tribunal est convaincu que le critère relatif au statut de partie intéressée qu’il a lui-même appliqué, notamment dans les décisions sur requête qu’il a précédemment rendues dans cette affaire relativement à des demandes de statut de partie intéressée, a été respecté. Le Tribunal estime que la NTT et les CGI l’aideront à trancher la requête relative à l’Entente définitive de l’Ontario, qu’ils apporteront un point de vue unique, qu’ils ajouteront aux positions juridiques des parties et que l’instance concernant la requête aura des répercussions sur les intérêts de ces derniers.

V. Ordonnance

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

[74] ACCUEILLE la requête conjointe de la Nation Taykwa Tagamou et des Chippewas de Georgina Island, mais avec les limites suivantes :

i. Le Tribunal accorde à la Nation Taykwa Tagamou et aux Chippewas de Georgina Island le statut limité de partie intéressée, sous réserve des conditions suivantes :

ii. La Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island ne participeront à l’instance concernant la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario que jusqu’à ce que l’audition de la requête soit terminée et que le Tribunal ait rendu sa décision. La Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island ne participeront pas à la médiation, à la négociation ou à tout autre processus de résolution des différends ou processus administratif dans le cadre de la présente affaire ou après l’audience.

iii. La Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island ne participeront pas à la gestion de l’instance, à moins que le Tribunal ne le demande expressément.

iv. La Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island ne peuvent pas demander le report d’échéances ou la modification du calendrier et des dates d’audience fixées par le Tribunal et acceptées par les autres parties.

v. La Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island ne sont pas autorisés à produire en preuve des affidavits et des pièces autres que ceux qui appuient leurs allégations selon lesquelles : l’Entente définitive de l’Ontario ne constitue pas une réforme durable, les engagements prévus dans cette entente sont limités dans le temps, l’entente n’a pas été élaborée dans le cadre d’une véritable consultation, l’entente pourrait ne pas refléter la manière dont il convient de lutter contre la discrimination dans les services à l’enfance et à la famille, l’approche relative à l’éloignement ne tient pas compte des difficultés que pose l’accès aux services pour les Chippewas de Georgina Island, l’Entente trilatérale ne met pas en œuvre la directive du Tribunal visant à réformer l’Entente de 1965 et ne prévoit qu’un financement temporaire pour les enfants et les familles vivant hors réserve. La Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island doivent accepter le dossier de preuve tel qu’il est. Au total, ils ne doivent pas déposer plus de 75 pages d’affidavits et de pièces.

vi. La Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island ne peuvent pas contre-interroger les déposants.

vii. La Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island sont autorisés à déposer des observations écrites conjointes d’au plus 30 pages, limitées aux questions soulevées dans la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario. Ils ne doivent pas reprendre les arguments des autres parties, mais peuvent indiquer lorsqu’ils adoptent la position de l’une d’elles. Leur participation vise à apporter une perspective différente et à présenter de nouveaux arguments juridiques. Ils ne participeront pas au débat sur les autres questions dont le Tribunal est actuellement saisi dans l’affaire.

viii. La Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island ne retarderont pas les procédures et doivent déposer leurs observations conjointes conformément aux directives du Tribunal. Étant donné le court délai avant l’audition de la requête relative à l’Entente définitive de l’Ontario, tout retard sera réputé être une renonciation par la Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island à leur droit de participer à l’instance.

ix. La Nation Taykwa Tagamou et les Chippewas de Georgina Island sont autorisés à présenter des observations orales conjointes s’ils le souhaitent, mais seulement aux dates fixées par le Tribunal, et celles-ci ne doivent pas durer plus de 45 minutes. Ce droit de présenter des observations orales peut être réduit, limité ou refusé par la formation si elle juge que les observations écrites ne font que répéter les observations des autres parties et/ou qu’elles n’ajoutent pas à la position juridique des autres parties et qu’elles n’apportent aucun point de vue nouveau. Dans un tel cas, la formation examinera les observations écrites de la Nation Taykwa Tagamou et des Chippewas de Georgina Island dans le cadre de ses délibérations, en même temps que les observations et les arguments oraux des autres parties.

x. Toutes les parties auront l’occasion de déposer des affidavits, des pièces et des observations en réplique aux affidavits, pièces et observations de la Nation Taykwa Tagamou et des Chippewas de Georgina Island.

A. Maintien de la compétence

[75] La formation conserve sa compétence sur les ordonnances rendues dans la présente décision sur requête et sur toutes ses ordonnances précédentes, à l’exception des ordonnances d’indemnisation. Elle réexaminera la question du maintien de sa compétence pour la région de l’Ontario quand l’instance concernant la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario sera terminée, ou quand elle le jugera approprié compte tenu de l’évolution de l’affaire.

[76] Le Tribunal établira le calendrier de la requête conjointe relative à l’Entente définitive de l’Ontario après avoir examiné les observations des parties sur ce point.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 2 septembre 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T1340/7008

Intitulé de la cause : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 2 septembre 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

David P. Taylor, Sarah Clarke, Kiana Saint-Macary et Robin McLeod, avocats de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, la plaignante

Anshumala Juyal et Khizer Pervez, avocats de la Commission canadienne des droits de la personne

Paul Vickery, Sarah-Dawn Norris, Meg Jones, Dayna Anderson, Kevin Staska, Sarah Bird, Jon Khan, Alicia Dueck-Read et Aman Owais, avocats du Procureur général du Canada, l’intimé

Maggie Wente, Jessie Stirling, Ashley Ash et Katelyn Johnstone, avocates des Chefs de l’Ontario, la partie intéressée

Julian Falconer, Asha James, Shelby Percival et Meaghan Daniel, avocats de la Nation Nishnawbe-Aski, la partie intéressée

Karey Brooks, c.r. et Jade Dumoulin, avocats de la Nation Taykwa Tagamou et des Chippewas de Georgina Island, les parties potentiellement intéressées

 

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